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Supreme Court of Canada

Debtor and creditor—Tutorship—Sale of goods—Credit account to estate—Minor children—Promissory note signed by tutrix—Liability of children when of age—Joint and several or divisible—Prescription —Interruption—"Bills of Exchange Act," R.S.C. (1906) c. 119, ss. 47, 52—Arts. 290, 290a, 736, 1067, 1077, 1105, 1159, 1233, 2030, 2117, 2186, 2227 C.C.

O. C. died in 1897 leaving as heirs three minor children, the widow being a creditor of the estate to an amount of $6,000. When living, he used to buy goods at the appellants' general store. After his death their mother, living with her children, continued to buy whatever was necessary for her own use for their maintenance, with the authorization of the tutor R., a credit account being then opened under the name of "Estate O. C". In September, 1911, the appellants ceased to supply goods and the account then amounting to $1,705.53 was closed. On the 1st of August, 1912, the mother was appointed tutrix and, at that time, being requested to pay the account she promised to do so as soon as a valuable claim by the estate would be settled. On the 30th July, 1915, payment being again insisted upon by the appellants, the tutrix consented to sign a promissory note for $2,413.56, being $1,705.53 for the account due and $708.03 for interest at 7%, the said note bearing also the same rate of interest. In May, 1920, the appellants brought action against the respondents, the three children then of age, for $3,030.67 being the amount of the note with interest accrued. Before filing their plea the respondents asked for particulars as to the consideration of the note and the appellants produced a detailed account of the merchandise sold and delivered.

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Held, Idington J. dissenting, that the respondents were liable, each for one-third, for the payment to appellants of the sum of $2,195, being the amount of the account with interest at 5%.

Held, also, that the tutrix had not the authority to bind the estate for a rate of interest above the legal rate of 5%, Idington J. expressing no opinion.

Per Duff, Anglin and Brodeur JJ.—Such interest is to be computed from the demand of payment made in 1912 and per Mignault J. from the date of the signing of the note.

Held, also, that prescription of the appellants' account was interrupted by the promise to pay made by the tutrix in 1912, evidence of which, though illegal, had not been objected to; and it was further interrupted by the signing of the promissory note, Idington J. expressing no opinion.

Per Duff and Brodeur JJ.—Under special circumstances, such as in this case, the tutrix acted as a prudent administrator in signing a promissory note in acknowledgment of a debt legally owed by the estate and not prescribed, so as to obtain delay for payment to the benefit of the estate.—Mignault J. contra.

APPEAL from the judgment of the Court of King's Bench, Appeal side, Province of Quebec, reversing the judgment of the Superior Court, which had maintained the appellant's action, and maintaining said action for $192.91 only.

The material facts of the case and the questions in issue are fully stated in the above head-note and in the judgments now reported.

Jolicoeur for the appellants.

Getty K.C. for the respondents.

Idington J. (dissenting).—The legal consequences of our allowing this appeal would lead to very remarkable results in law and be most unjust.

I think the appeal should be dismissed with costs.

Duff J.—I concur with the judgment of Mr. Justice Brodeur.

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Anglin J.—With some hesitation I accept the views of my brothers Brodeur and Mignault that the defendants are liable each for an equal part of the indebtedness of the plaintiffs.

I have no difficulty in finding that there was an interruption of prescription in 1912 for the reasons fully stated by my brother Mignault and I also agree that there was a second interruption when the 1915 note was given.

On the question of interest, unless we impute to the tutrix an intention to do a distinctly unwarranted act in including arrears of interest in the note which she gave in 1915, it would seem to be a reasonable implication from her having done so that she then recognized liability for such arrears either because of a demand for payment having been made in 1912 (Arts. 1067 and 1077 C.C.), or because of a promise then given to pay interest in consideration of the creditors' forbearance. I am, therefore, disposed to assent to the view of my brother Brodeur, shared by Mr. "Justice Martin, and, as I read his opinion, by the learned Chief Justice of Quebec, that interest at the legal rate of 5% should run from the date of the acknowledgement of 1912.

Brodeur J.—Il s'agit d'une action sur billet promissoire signé le 30 juillet 1915 par Madame Carrier comme tutrice aux trois défendeurs-intimés, qui étaient alors mineurs mais qui étaient en majorité au moment de l'institution de l'action.

Le père des défendeurs, Orner Carrier, est décédé en 1897 laissant une femme et trois enfants.

On ne sait pas s'il y avait communauté de biens ou séparation de biens entre Orner Carrier et sa femme. A tout événement, cette dernière avait une réclamation de $6,000.00 contre la succession de son mari.

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Joseph-Edmond Roy, notaire, fut nommé en 1897 tuteur à ces trois enfants qui ont continué à vivre avec leur mère. Avec l'autorisation de leur tuteur, un compte a été ouvert en faveur de ces mineurs sous le nom de "Succession Orner Carrier" chez les demandeurs-appelants, qui sont marchands de nouveautés à Québec et qui font affaires sous le nom de Faguy & Lépinay. Il paraît que la succession avait des embarras financiers et que son principal actif consistait en une réserve forestière qui n'aurait pu alors être vendue qu'à sacrifice, et qu'il fallait s'endetter pour obtenir des fournisseurs les articles nécessaires pour la subsistance des enfants et de leur mère.

La veuve Carrier aurait bien pu prendre jugement contre les héritiers de son mari et faire vendre cette réserve forestière; mais cela n'aurait été à l'avantage de personne, car il est fort possible que cette réserve n'aurait pas réalisé suffisamment pour payer sa créance de $6,000.00 et qu'il valait mieux attendre des jours meilleurs et pour elle et pour ses enfants.

Le tuteur Roy, chargé d'administrer la succession, a cru devoir faire acte de bon administrateur en ouvrant un compte chez les demandeurs et en payant à ces derniers des acomptes de temps en temps à même les revenus qu'il percevait par ailleurs. Il paraît avoir été aussi l'administrateur des biens de Madame Carrier, et il utilisait l'argent de cette dernière pour faire des, versements sur ce compte des appelants. Dans ce compte entraient les articles nécessaires à l'entretien du ménage commun de la mère et des enfants, et les effets dont Madame Carrier et les enfants avaient besoin pour leur usage personnel.

En septembre 1911, les demandeurs cessèrent de faire des avances de marchandises, et le compte fut

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apparemment fermé avec une balance de $1,705.53. Environ un an après, soit le 1er août 1912, M. Joseph-Edmond Roy, qui était employé à Ottawa, démissionnait comme tuteur et Madame Carrier était nommé tutrice pour le remplacer.

Les demandeurs auraient, peu de temps après, demandé à la tutrice de régler et payer ce compte de $1,705.53 dû par la succession; mais elle leur a demandé du délai et elle dit dans son témoignage:

Il y avait une entente avec chez Monsieur Lépinay que le compte serait réglé lorsque la succession serait rentrée dans leur argent, chose qui ne pouvait pas se régler à cause des procès que la succession avait avec la Banque de Montréal.

En juillet 1915, la succession étant encore incapable de payer son compte, la tutrice, Madame Carrier, a été obligée de demander aux demandeurs de nouveaux délais; et alors ces derniers ont pris d'elle le billet qui fait la base de la présente action et qu'elle a signé comme tutrice à ses trois enfants mineurs.

Ce billet était pour une somme de $2,413.56 et couvrait la balance du compte ci-dessus mentionné, $1,705.53, et des intérêts à 7%, soit $708.03. Il était stipulé sur le billet qu'il porterait intérêt au taux de 7%.

Les défendeurs Carrier étant devenus majeurs et ayant refusé de payer ce billet avec intérêt, ils ont été poursuivis en mai 1920 par les appelants Faguy et al. qui ont réclamé d'eux la somme de $3,030.67, montant du billet ci-dessus en capital et intérêts.

Les défendeurs ont alors demandé des particularités qui montreraient la considération du billet, et les demandeurs ont produit le compte qui accusait une balance de $1,705.53 en 1911, qui, avec les intérêts accrus, formaient le montant du billet base de l'action.

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Les points en litige sont de savoir

1° si la tutrice pouvait signer ce billet;

2° si les défendeurs ont eu bonne et valable considération;

3° s'ils peuvent être condamnés solidairement à payer cette dette.

I.

Capacité.

Sur le droit de signer un billet promissoire, je réfère d'abord à la section 47 de "l'Acte des Lettres de Change" qui déclare que la capacité de s'engager a titre de partie à une lettre de change est corrélative à la capacité de contracter. Il me semble qu'un tuteur a parfaitement le droit de signer un billet en reconnaissance de l'existence d'une dette et pour obtenir du délai.

C'est un acte de bonne administration pour un tuteur que de donner des billets lorsque l'actif de son pupille ne peut pas être facilement réalisé et qu'il vaut mieux ajourner à plus tard la vente de ces biens. Dans le cas actuel, nous avons une succession dont le principal actif faisait l'objet d'un litige devant les tribunaux. Je considère alors que la tutrice, Madame Carrier, n'excédait pas ses pouvoirs en signant un billet qui lui permettrait de faire attendre son créancier jusqu'à ce que des jours meilleurs aient fait leur apparition.

L'article 290 du code civil impose au tuteur l'obligation d'administrer les biens de son mineur en bon père de famille et de faire enregistrer sur ses immeubles l'hypothèque légale dont ils sont affectés pour la protection de son pupille (arts. 2030 et 2117 C.C.); et si sa gestion est mauvaise, il répond des dommages intérêts qui peuvent en résulter.

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Le tuteur a dans l'exercise de ses fonctions une certaine latitude sur laquelle peuvent compter ceux qui font affaires avec lui comme tuteur. L'article 52 de "l'Acte des lettres de change donne implicitement au tuteur le droit de se servir du billet promissoire si c'est là un acte dont un bon père de famille ferait usage dans des circonstances semblables.

La preuve que nous avons devant nous n'est pas très complète, mais elle est certainement suffisante pour dire que la tutrice pouvait parfaitement donner un billet en reconnaissance de la dette due aux demandeurs. Il en aurait été autrement si la dette eût été, en 1915, prescrite. Elle n'aurait certainement pas eu le droit de faire revivre une dette éteinte. Cela n'aurait pas été un acte d'administration, mais la reconnaissance que Madame Carrier avait faite de cette dette peu de temps après qu'elle eût été nommée tutrice était valable et avait eu pour effet d'interrompre la prescription (art. 2227 C.C.).

II.

Considération.

Le billet a-t-il été donné pour bonne et valable considération?

Ceci nous amène à examiner si le tuteur Roy a agi en bon père de famille en ouvrant ce compte chez les demandeurs, Faguy & Lépinay. Si nous avions devant nous tous les documents qui ont trait à l'administration de cette succession ou de cette tutelle, comme le contrat de mariage, les inventaires, les faits et les circonstances affectant l'actif et le passif de cette administration, les autorisations qui ont pu être données sous l'article 290a du code civil, nous serions peut-être en meilleure position pour juger si le tuteur Roy a agi en bon père de famille en ouvrant un

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compte chez les demandeurs pour fournir à ses pupilles et à leur créancière, leur mère, les choses nécessaires à la vie. Mais nous ne saurions blâmer les demandeurs de ces lacunes dans la preuve de la présente poursuite, vu que toutes les circonstances seront plus faciles à établir sur la reddition de compte du tuteur ou de la tutrice à leurs pupilles; si ce tuteur ou cette tutrice leur ont de fait occasionné des dommages par une mauvaise gestion, ces enfants auront respectivement les recours que la loi leur accorde. Ce débat pourra se faire plus facilement et plus équitablement sur la reddition de compte entre la tutrice et les pupilles que sur une poursuite instituée par leur créancier contre les pupilles devenus majeurs.

Le tuteur était un homme de grande réputation et de grand savoir. Il paraît avoir agi dans le meilleur intérêt de ses pupilles; et alors les pupilles devraient faire leurs débats de compte avec lui ou avec leur tutrice et non pas avec les demandeurs qui avaient bonne raison de croire que ce tuteur et cette tutrice agissaient dans la limite de leur mandat.

Le tuteur Roy devait payer à Madame Carrier les $6,000.00 que ses pupilles lui devaient; et s'il a jugé plus avantageux de la payer partiellement au moyen de ce compte ouvert chez les appelants Faguy et autres, il me semble que ces derniers ne devraient pas souffrir de ce qui pourrait être considéré comme un bon acte d'administration, si surtout, comme le prétend Madame Carrier dans son témoignage, une grande partie de son actif a été absorbé pour le bénéfice des mineurs.

On peut dire la même chose pour la reconnaissance de la dette que la tutrice aurait faite vers 1912 et qui aurait interrompu la prescription. Mais si elle pouvait valablement reconnaître au moyen d'un billet l'existence

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de ces dettes et en interrompre par là même la prescription, pouvait-elle s'obliger de payer un taux d'intérêt plus élevé que celui édicté par la loi. Pouvait-elle leur créer une obligation nouvelle ou une dette pour laquelle ses pupilles ne recevaient aucune considération?

Du moment qu'il y avait mise en demeure par la demande de paiement (articles 1067 et 1077 C.C.), les défendeurs devaient l'intérêt légal sur leur compte; mais leur tutrice ne pouvait pas s'obliger de payer plus que l'intérêt légal, à moins de certaines circonstances qui feraient de cette obligation un bon acte de gestion; mais ces circonstances n'apparaissent pas au dossier.

J'endosse sur ce point l'opinion exprimée par l'honorable juge Lamothe et par l'honorable juge Martin. Le billet n'aurait pas dû être signé par la tutrice que pour la somme de $1,961.28.

III.

Reste la question de solidarité.

Les trois défendeurs peuvent-ils être tenus conjointement et solidairement au paiement de ce compte de $1,705.53 avec intérêt à 5% depuis qu'il y a eu demande de le payer. Je ne le crois pas.

Ce compte ayant été contracté au nom de la succession d'Orner Carrier, cela comporte pour les membres de cette succession obligation conjointe et non solidaire.

En principe général, les dettes d'une succession n'obligent les héritiers que fractionnairement. Tous les héritiers contribuent à l'acquittement des dettes chacun en proportion de sa part dans la succession (art. 736 C.C.). Les trois héritiers que nous avons devant nous étaient tous héritiers au même degré; alors ils doivent acquitter cette dette par parts égales.

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Il est fort possible cependant que tous n'aient pas retiré de cecompte chacun un montant absolument égal. Mais cela pourra être l'objet de débats de compte entre eux. Quant aux demandeurs, ils peuvent retirer de chacun des trois héritiers un tiers de leur créance.

Maintenant la solidarité ne se présume pas (art. 1105 C.C.). Elle s'applique, il est vrai, aux affaires du commerce; mais les ventes par un commerçant à une succession laisse présumer que le commerçant a voulu faire de sa créance une dette conjointe seulement mais non solidaire.

Pour ces raisons l'appel devrait être maintenu avec dépens de cette cour et de la Cour Supérieure. Les frais de la Cour du Banc du Roi pourraient être accordés aux défendeurs Carrier parce qu'ils avaient eu à porter leur cause devant ce tribunal pour se libérer de la solidarité prononcée contre eux en Cour Supérieure. Il devrait y avoir jugement en faveur des demandeurs contre les défendeurs conjointement pour la somme de $2,195.00 avec intérêt depuis l'institution de l'action, laquelle somme serait calculée comme suit:

Balance de compte………………………………………………

$ 1,705.53

30 juillet, 1915, intérêt à 5% lors de la signature du billet……

255.75

 

$ 1,961.28

25 octobre, 1919, intérêt depuis la date du billet jusqu'à date

362.45

 

$ 2,323.73

Cr. par argent……………………………………………………..

200.00

 

$ 2,123.73

27 mai, 1920, intérêt à date……………………………………...

71.27

 

$2,195.00

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Mignault J.—On soulève un assez grand nombre de questions légales dans cette cause, mais je pense qu'il est possible, comme Ta dit l'honorable juge en chef Lamothe, de la juger d'après ses circonstances d'espèce et sans porter atteinte aux principes.

Les appelants sont des marchands de nouveautés de Québec et, de son vivant, feu Orner Carrier avait un compte chez eux. Orner Carrier est décédé en 1897, laissant trois enfants en bas âge, et sa femme, Dame Corinne Hamel. Cette dernière, qui ne s'est pas remariée, a continué, après la mort de son mari, à tenir maison avec ses enfants. Le tuteur des enfants était feu le notaire J.-E. Roy que remplaça Madame Carrier elle-même le 1er août, 1912. Pendant quelque temps la famille recevait des revenus de l'usine Carrier & Laine de Lévis, et la succession avait des limites à bois dont elle ne pouvait disposer à cause d'un procès avec la Banque de Montréal. Il n'appert pas clairement que ce soit M. Roy, le tuteur, qui a continué, chez les appelants, le compte qu'avait ouvert feu Orner Carrier, mais à partir de la mort de ce dernier le compte a été continué au nom de la succession Orner Carrier, 33 rue Fraser, Lévis. C'était Madame Carrier qui faisait les achats; le notaire Roy payait de temps à autre, mais la plupart des achats étaient pour Madame Carrier elle-même ou pour la maison, les effets achetés pour l'usage des enfants étant assez peu de chose. Madame Carrier ne paraît pas avoir eu de biens personnels, mais son contrat de mariage lui assurait $6,000.00, et elle croit que le notaire Roy payait les comptes avec son argent parce qu'elle avait cette créance encore impayée contre la succession de son mari. Le compte dont il s'agit ici (mais il y avait eu d'autres comptes auparavant qui ont dû être payés par M. Roy) commence à la date du 11 novembre,

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1907 et a été clos le 30 septembre, 1911, avec un débit de $1,705.53, sans qu'on paraisse avoir fait des paiements en acompte durant ces quatre années. Le 30 juillet, 1915, Madame Carrier, comme tutrice dé ses trois enfants mineurs, signa en faveur des appelants un billet à demande pour $2,413.56, soit le débit de $1,705.53 avec $708.03 d'intérêts, le billet portant lui-même intérêt à sept pour cent. Le 25 octobre, 1919, un acompte de $200.00 fut payé par Mde Carrier, et le 27 mai, 1920, les appelants poursuivirent les intimés, qui sont les trois enfants de Mde Carrier devenus majeurs, leur réclamant conjointement et solidairement le montant du billet, $2,413.56, avec en sus intérêt à 7%, lequel intérêt, lors de l'action, s'élevait à la somme de $816.61, et sur demande de particularités, ils produisirent le compte dont je viens de parler. Analysant cette demande, nous trouvons que le montant des marchandises achetées est de $1,705.53 et celui des intérêts réclamés $1,524.64.

Voilà en traits bien rapides l'espèce que nous avons à juger, la cour supérieure ayant accordé aux appelants le montant entier de leur réclamation, et la cour d'appel ayant réduit la condamnation aux montants suivants: $22.68, $76.41 et $93.82, avec intérêt du 30 juillet, 1915, dus respectivement par Camille Carrier, Eléonore Carrier et Florence Carrier pour des marchandises fournies pour leur usage respectif et dont le montant n'était pas prescrit lors de la signature du billet. Les honorables juges Lamothe et Martin, dissidents, auraient accordé aux appelants le montant de leur compte, avec intérêt depuis la demande de paiement au taux de cinq pour cent.

La première question, c'est de savoir si Mde Carrier, comme tutrice, avait le droit de signer le billet sur lequel l'action est basée. Cela équivaut à se demander

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si la signature de ce billet est un acte d'administration permis à la tutrice, et elle ne l'était pas si par là la tutrice rendait pire la condition de ses pupilles. C'est précisément ce qui est arrivé ici, car le billet porte intérêt à sept pour cent et entraîne obligation solidaire. Je serais donc d'avis que ce billet ne peut servir de base à l'action des appelants, mais, heureusement pour eux, ils conservent leur créance à laquelle le billet n'a pas fait novation. C'est donc ce compté qu'il va falloir discuter.

Reste la question de prescription, et si les appelants ne peuvent invoquer le billet signé par Mde. Carrier, ils sont en mauvaise posture pour la discuter. A la date du billet, 30 juillet, 1915, s'il n'y avait pas eu interruption de prescription en temps utile, une grande partie du compte se serait trouvée prescrite, et la tutrice n'aurait pas eu le droit de renoncer à la prescription acquise, car elle ne pouvait aliéner les droits de ses pupilles (art. 2186, code civil). Cependant Mde Carrier dans son témoignage reconnaît qu'après sa nomination comme tutrice, en août, 1912 (il n'y avait pas alors prescription), elle avait promis de payer le compte des appelants aussitôt que les affaires de la succession seraient réglées. Cette preuve a été faite sans objection de la part de la défense et malgré le droit que l'article 1233 du code civil lui donnait de s'y opposer. Il faut donc prendre cette preuve sous considération (Schwersenski v. Vineberg) [1], et il en résulte qu'il y a eu reconnaissance de la dette et promesse de la payer. Et je crois qu'il a toujours été entendu que la succession payerait les appelants quand elle aurait disposé de sa réserve forestière.

Admettant donc comme interruptive de prescription la promesse faite par Mde Carrier en août, 1912,

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il y a encore un laps de temps de près de huit ans, car l'action n'a été instituée qu'en mai, 1920. Il est vrai qu'en octobre, 1919, Mde Carrier a payé aux appelants un acompte de $200.00, mais alors tous ses enfants étaient majeurs et Mde Carrier ne pouvait plus les lier. Si le billet à demande signé par elle est non avenu à l'égard des intimés comme titre de créance, ne peut-il au moins valoir comme reconnaissance de la dette et interrompre ainsi la prescription?

Il est de principe que le billet donné pour une dette existante ne comporte pas novation. La dette continue d'exister et peut servir de base à une action en justice. Et indubitablement le billet sert de reconnaissance de la dette et le fait qu'il ne peut valoir comme titre contre l'une des parties ne le prive pas d'effet interruptif si la reconnaissance de la dette n'est pas elle-même nulle. Car on enseigne que l'aveu résultant d'un acte juridique peut produire son effet interruptif alors même que cet acte serait entaché de nullité, si la nullité n'entache pas l'aveu lui-même et lui est étrangère. (Baudry-Lacantinerie et Tissier, Prescription, n°. 529). Il y aune décision intéressante au même effet dans notre jurisprudence où la cour de revision à Montréal a jugé qu'une donation rémunératoire, nulle comme faite à cause de mort, pouvait cependant servir d'interruption de la prescription d'un compte de services que la donation avait voulu rémunérer: Boucher v. Morrison[2]. Je crois donc que le billet en question a interrompu la prescription du compte.

Cela étant, les trois intimés sont-ils responsables seulement des effets achetés pour leur usage personnel, comme la majorité de la cour d'appel l'a décidé?

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Représentons-nous bien la situation de cette famille au décès d'Orner Carrier. Il y avait trois jeunes enfants, le dernier posthume, héritiers de leur père décédé sans testament. La veuve n'avait pas de biens personnels, mais seulement une créance contre la succession de son mari. Les enfants avaient d'abord des revenus qui provenaient de l'usine à Lévis et ensuite il ne leur restait que la perspective de disposer des réserves forestières de leur père. Pour tenir la jeune famille ensemble avec la mère et avoir un toit pour l'abriter, il fallait obtenir du crédit. Le compte en question a été ouvert au nom de la succession parce que c'est la succession qui devait le payer;. et la succession, ce sont les enfants. Dans ces circonstances, les enfants devenus majeurs sont-ils responsables d'un compte fait par leur tuteur pour leur bénéfice commun et pour celui de leur mère avec qui ils vivaient et dont les soins leur étaient indispensables?

Je suis d'opinion que les enfants en sont responsables. Ils devaient des aliments à leur mère qui était sans biens. Leur tuteur pouvait reconnaître cette obligation sans attendre qu'elle prît la forme d'une demande en justice, car le tuteur a le droit de payer les dettes de ses pupilles. C'est une obligation assez semblable qu'envisage Demolombe quand il dit (tome 7, n°. 692):—

Mais nous avons vu aussi qu'il appartient au tuteur d'acquitter les dettes légitimes du mineur; et si le tuteur reconnaît en effet que l'ascendant de celui-ci est dans le besoin, il pourra d'autant mieux acquitter, au nom du mineur, cette dette d'aliments, qu'une demande judiciaire pourrait être infiniment pénible pour toutes les parties et qu'il serait même du devoir du tuteur de la prévenir.

Au reste, en pareil cas, il fera bien d'en référer au conseil de famille.

Le conseil de famille dans la province de Québec n'a pas les pouvoirs de contrôle du conseil de famille en France, et il serait bien inutile de le consulter.

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La seule alternative dans un tel cas serait de mettre les enfants à l'hospice, et de condamner la mère à gagner sa vie. Je n'éprouve aucune hésitation à croire que, dans un cas comme celui que j'envisage, c'est le devoir des enfants, lorsqu'ils ont des biens, d'assumer, chacun pour sa part, la charge qui incombait à leur mère, et que si leur tuteur a fait des comptes chez les fournisseurs pour les besoins de la famille, les enfants en sont responsables.

Mais comme il s'agit ici d'un compte ouvert au nom d'une succession, je condamnerais les intimés à le payer tout comme si c'était une dette héréditaire, c'est-à-dire par parts et portions égales et non conjointement et solidairement.

Je maintiendrais donc l'appel et j'accorderais jugement aux appelants contre chacun des intimés pour un tiers du débit du compte, $1,705.53, avec intérêt à cinq pour cent à partir du 30 juillet, 1915.

Je crois devoir motiver ma condamnation quant aux intérêts. L'intérêt peut être réclamé soit en vertu d'une convention, soit comme dommages pour le retard de payer une somme d'argent. Il n'y a pas de preuve de convention ici. Mde Carrier a reconnu devoir le montant du compte et a promis de le payer, sans qu'op paraisse avoir mentionné l'intérêt. Et si le billet signé par elle ne peut servir de base à l'action des appelants, il ne peut certainement prouver une convention de payer les intérêts à compter de la clôture du compte ou d'aucune autre date. Si on réclame les intérêts comme dommages, alors ils ne sont dus qu'à compter de la mise en demeure (art. 1077 C.C.). Il n'y a pas de preuve directe de mise en demeure, mais on peut probablement inférer que Mde Carrier a signé le billet après une mise en demeure de payer.

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Cela donne la date du 30 juillet, 1915, et c'est à partir de cette date que la majorité des juges de la cour d'appel font courir les intérêts. Je suis disposé—non sans une certaine hésitation, car lorsque j'étais au barreau les juges ne faisaient courir les intérêts sur un compte courant que de la signification de l'action—à accepter le 30 juillet, 1915 comme point de départ des intérêts.

Il faut toutefois déduire du chiffre global des intérêts l'acompte de $200.00 payé par Mde. Carrier en octobre, 1919, qui doit s'imputer de préférence sur les intérêts (art. 1159 C.C.). Les frais de la cour supérieure et de cette cour, que les intimés devront payer aux appelants, se diviseront entre eux comme la dette. Ils avaient raison d'appeler du jugement de la cour supérieure qui les a condamnés à plus qu'ils ne devaient, et ils conserveront en conséquence contre les appelants la condamnation aux dépens que la cour du Banc du Roi leur a accordée.

Appeal allowed with costs.

Solicitors for the appellants: Gingras & Jolicoeur.

Solicitors for the respondents: Gelly & Dion.



[1] [1890] 19 Can. S.C.K. 243.

[2] [1901] Q.R. 20 S.C. 151.

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