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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Southcott Estates Inc. c. Toronto Catholic District School Board, 2012 CSC 51, [2012] 2 R.C.S. 675

 

Date : 20121017

Dossier : 33778

 

Entre :

Southcott Estates Inc.

Appelante / Intimée au pourvoi incident

et

Toronto Catholic District School Board

Intimé / Appelant au pourvoi incident

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Abella, Rothstein, Cromwell et Karakatsanis

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 63)

 

Motifs dissidents :

(par. 64 à 99)

La juge Karakatsanis (avec l’accord des juges LeBel, Deschamps, Abella, Rothstein et Cromwell)

 

La juge en chef McLachlin

 

 

 


 


Southcott Estates Inc. c. Toronto Catholic District School Board, 2012 CSC 51, [2012] 2 R.C.S. 675

 

Southcott Estates Inc.                                         Appelante/intimée au pourvoi incident

c.

Toronto Catholic District School Board               Intimé/appelant au pourvoi incident

Répertorié : Southcott Estates Inc. c. Toronto Catholic District School Board

2012 CSC 51

No du greffe : 33778.

2012 : 20 mars; 2012 : 17 octobre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Abella, Rothstein, Cromwell et Karakatsanis.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

                    Contrats — Contrats commerciaux — Recours — Exécution intégrale — Obligation de mitiger le préjudice — Promesse d’achat d’un terrain par une société à but unique — Inexécution de la promesse de vente par le promettant‑vendeur — Demande d’exécution intégrale par la société — Une société à but unique doit‑elle mitiger ses pertes? — La demanderesse qui cherche à obtenir l’exécution intégrale a‑t‑elle l’obligation de mitiger ses pertes?  — Le juge de première instance a‑t‑il eu tort de conclure qu’aucun immeuble comparable n’aurait pu servir à mitiger le préjudice?

                    L’appelante S est une société à but unique constituée dans le seul but d’acheter un terrain en particulier.  Elle n’a pas d’actifs autres que l’argent avancé par sa société mère pour le dépôt à verser en vue de cet achat.  S a conclu avec l’intimé une promesse d’achat et de vente du terrain en cause.  Lorsque l’intimé a fait défaut de satisfaire à une des conditions de l’entente et a refusé de proroger la date de clôture, S a réclamé l’exécution intégrale du contrat.  Cette dernière a plaidé qu’elle n’était pas tenue de mitiger ses pertes.  Le juge de première instance a refusé d’ordonner l’exécution intégrale du contrat mais a accordé à S la somme de 1 935 500 $ à titre de dommages‑intérêts.  La Cour d’appel a conclu que l’intimé n’avait pas respecté le contrat mais que S avait omis de prendre les mesures appropriées pour mitiger ses pertes.  Elle a ramené à une somme symbolique le montant accordé à titre de dommages‑intérêts.

                    Arrêt (la juge en chef McLachlin est dissidente) : Le pourvoi et le pourvoi incident sont rejetés.

                    Les juges LeBel, Deschamps, Abella, Rothstein, Cromwell et Karakatsanis.: La notion de mitigation du préjudice repose sur l’équité et le bon sens et vise à assurer la justice entre les parties en fonction des circonstances propres à l’espèce.  En principe, un demandeur ne peut se faire indemniser d’une perte qu’il aurait pu éviter par des précautions raisonnables. 

                    La principale question en litige est de savoir si S, une société à but unique, était relevée de son obligation de mitiger ses pertes lorsque le promettant‑vendeur n’a pas respecté la promesse d’achat et de vente, en particulier lorsqu’elle a rapidement intenté une action en exécution intégrale.  En tant qu’entité juridique distincte, S était tenue de mitiger ses pertes en faisant diligence pour trouver une autre propriété.  Quiconque choisit de bénéficier des avantages de la constitution en société doit en supporter les inconvénients.  La société a notamment la responsabilité de prendre des mesures pour mitiger ses pertes.  Un demandeur ne peut se faire indemniser des pertes qu’il pouvait raisonnablement éviter.  S réclamait l’exécution intégrale; elle était donc prête à parfaire l’achat.  Sa demande subsidiaire de dommages‑intérêts pour préjudice indirect dépendait de l’obtention, pour elle, de capitaux lui permettant de parfaire la vente.  En fait, les deux demandes étaient fondées sur la possibilité d’obtenir des ressources qui n’étaient pas bloquées par suite de l’inexécution reprochée.  S ne peut guère prétendre que les mêmes fonds n’auraient pas pu servir à mitiger le préjudice.  À défaut d’éléments de preuve concrets démontrant le manque de ressources, le fait de conclure que les pertes ne peuvent raisonnablement être évitées du simple fait qu’il s’agit d’une société à but unique membre d’un consortium de sociétés aurait pour effet de conférer à ces sociétés un avantage injustifié.  Si les sociétés à but unique n’étaient pas tenues de mitiger leurs pertes, les défendeurs qui signent des contrats avec elles seraient susceptibles d’être condamnés à des dommages‑intérêts plus élevés.

                    Notre Cour a reconnu que dans certains cas, l’inaction du demandeur peut se justifier malgré le fait qu’il n’a pas réussi à obtenir l’exécution intégrale.  Si le demandeur réclame l’exécution intégrale en se fondant sur des « motifs équitables, réels et importants » ou un « intérêt important et légitime », son refus d’acheter un autre bien peut être justifié, compte tenu des circonstances de l’espèce.  Un demandeur privé d’un immeuble de placement ne peut exiger l’exécution intégrale en invoquant des « motifs équitables, réels et importants » ou un « intérêt important et légitime » que s’il peut démontrer que l’octroi d’une somme d’argent ne constituerait pas une réparation complète parce que cet immeuble a « une valeur particulière » pour lui.  S n’a pas démontré que tel était le cas et elle ne peut donc justifier son inaction.  Elle avait entrepris cette opération commerciale dans le but de réaliser un profit.  Les caractéristiques particulières de l’immeuble tenaient seulement à sa valeur du fait qu’il pouvait s’avérer rentable, et les dommages‑intérêts constituaient une réparation adéquate.

                    Lorsqu’il est allégué que le demandeur n’a pas mitigé le préjudice, il incombe au défendeur de démontrer que le demandeur n’a pas pris toutes les mesures raisonnables pour mitiger le préjudice et que la mitigation était possible.  La question de savoir s’il existait des immeubles comparables et s’ils étaient rentables est une question de fait.  Le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante en affirmant qu’il n’y avait pas de possibilités de mitiger le préjudice.  Il n’a pas considéré les inférences raisonnables que lui présentaient le témoignage de l’expert relativement à d’autres terrains susceptibles de mise en valeur vendus dans la région, les immeubles de placement acquis par la société mère de S ainsi que l’absence de preuve contraire.  L’intimé s’est acquitté du fardeau de démontrer qu’il existait, au cours de la période en cause, d’autres immeubles de placement comparables qui auraient pu servir à mitiger les pertes.

                    La juge en chef McLachlin (dissidente) : Il incombe au conseil scolaire, qui n’a pas respecté le contrat, de prouver que le défaut de S de mitiger sa perte n’était pas justifié.  Cela signifie qu’il doit établir, suivant la prépondérance des probabilités, (1) que S avait eu une possibilité de mitiger la perte et (2) que le défaut de S de se prévaloir de cette possibilité n’était pas justifié.  La conclusion du juge de première instance selon laquelle le conseil scolaire n’a pas établi que S avait eu une possibilité de mitiger sa perte suffit pour disposer du pourvoi.  La preuve appuyait cette conclusion qui n’était entachée d’aucune une erreur manifeste et dominante.  Le conseil scolaire n’a pas prouvé qu’il se trouvait sur le marché une propriété comparable à celle que S avait tenté d’acquérir.  Ni le témoignage de l’expert cité par l’intimé ni la preuve des acquisitions faites par d’autres filiales de la société mère de S n’ont établi que S pouvait trouver une propriété comparable.

                    De plus, S ne pouvait agir de façon injustifiée en faisant défaut de mitiger sa perte parce qu’elle était justifiée de maintenir son action en exécution intégrale.  Le dépôt d’une demande d’exécution intégrale n’est pas compatible avec l’acquisition d’un bien de substitution.  Le demandeur qui agit raisonnablement ne peut réclamer l’exécution intégrale du contrat et en même temps mitiger sa perte éventuelle.  Rien ne permet de conclure que S n’était pas justifiée de maintenir sa demande en justice pour exécution intégrale au lieu de mitiger sa perte.  S avait des « motifs équitables, réels et importants » de réclamer l’exécution intégrale du contrat.  La propriété se prêtait particulièrement bien aux besoins de S pour la construction d’un complexe résidentiel unifamilial dans la ville de Toronto.  La preuve appuyait la prétention selon laquelle aucun terrain de substitution comparable n’était disponible.

                    En outre, il est difficile de conclure que le défaut de S de mitiger sa perte était injustifié étant donné qu’elle n’avait pas la capacité financière d’acheter sur le marché un terrain de substitution.

Jurisprudence

Citée par la juge Karakatsanis

                    Arrêts mentionnés : Asamera Oil Corp. c. Seal Oil & General Corp., [1979] 1 R.C.S. 633; British Westinghouse Electric and Manufacturing Co. c. Underground Electric Railways Company of London, Ltd., [1912] A.C. 673; Colombie-Britannique c. Canadian Forest Products Ltd., 2004 CSC 38, [2004] 2 R.C.S. 74; Red Deer College c. Michaels, [1976] 2 R.C.S. 324; Evans c. Teamsters Local Union No. 31, 2008 CSC 20, [2008] 1 R.C.S. 661; Redpath Industries Ltd. c. Cisco (Le), [1994] 2 C.F. 279; Kosmopoulos c. Constitution Insurance Co., [1987] 1 R.C.S. 2; Semelhago c. Paramadevan, [1996] 2 R.C.S. 415; Adderley c. Dixon (1824), 1 Sim. & St. 607, 57 E.R. 239; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.

Citée par la juge en chef McLachlin (dissidente)

                    Asamera Oil Corp. c. Seal Oil & General Corp., [1979] 1 R.C.S. 633; British Westinghouse Electric and Manufacturing Co. c. Underground Electric Railways Company of London, Ltd., [1912] A.C. 673; Dunkirk Colliery Co. c. Lever (1878), 9 Ch. D. 20; Janiak c. Ippolito, [1985] 1 R.C.S. 146; Darbishire c. Warran, [1963] 1 W.L.R. 1067; Red Deer College c. Michaels, [1976] 2 R.C.S. 324; Roper c. Johnson (1873), L.R. 8 C.P. 167; Lagden c. O’Connor, [2003] UKHL 64, [2004] 1 All E.R. 277; General Securities Ltd. c. Don Ingram Ltd., [1940] R.C.S. 670; Andros Springs c. World Beauty, [1970] P. 144; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Apeco of Canada, Ltd. c. Windmill Place, [1978] 2 R.C.S. 385; Semelhago c. Paramadevan, [1996] 2 R.C.S. 415.

Lois et règlements cités

Loi sur l’éducation, L.R.O. 1990, ch. E.2.

Doctrine et autres documents cités

Bates, Paul.  « Mitigation of Damages : A Matter of Commercial Common Sense » (1992), 13 Advocates’ Q. 273.

McGregor, Harvey.  McGregor on Damages, 18th ed.  London : Sweet & Maxwell/Thomson Reuters, 2009.

Siebrasse, Norman.  « Damages in Lieu of Specific Performance : Semelhago v. Paramadevan » (1997), 76 R. du B. can. 551.

Yorio, Edward.  « A Defense of Equitable Defenses » (1990), 51 Ohio St. L.J. 1201.

                    POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Sharpe, Blair et MacFarland), 2010 ONCA 310, 104 O.R. (3d) 784, 261 O.A.C. 108, 319 D.L.R. (4th) 349, 93 R.P.R. (4th) 159, 71 B.L.R. (4th) 196, [2010] O.J. No. 1772 (QL), 2010 CarswellOnt 2602, qui a infirmé une décision du juge Spiegel (2009), 78 R.P.R. (4th) 285, [2009] O.J. No. 428 (QL), 2009 CanLII 3567, 2009 CarswellOnt 494.  Pourvoi et pourvoi incident rejetés, la juge en chef McLachlin est dissidente.

                    J. Thomas Curry, Milton A. Davis et Paul‑Erik Veel, pour l’appelante/intimée au pourvoi incident.

                    Andrew M. Robinson, Elizabeth K. Ackman et Andrea Farkouh, pour l’intimé/appelant au pourvoi incident.

                     Version française du jugement des juges LeBel, Deschamps, Abella, Rothstein, Cromwell et Karakatsanis rendu par

                     La juge Karakatsanis —

I.    Introduction

[1]                              Des promoteurs immobiliers créent fréquemment des sociétés à but unique dans le seul objectif d’acquérir des immeubles et de les mettre en valeur pour réaliser un profit.  Les sociétés à but unique sont des sociétés à responsabilité limitée qui ne possèdent comme actifs que ceux découlant du placement immobilier qu’elles font.  Dans ce pourvoi, la question est de savoir si une telle société à but unique est dispensée de mitiger ses pertes en cas d’inexécution de la promesse de vente par le promettant‑vendeur, en particulier lorsque la société a fait diligence pour intenter une action en exécution intégrale.  L’autre question est de savoir si le juge de première instance a eu tort de conclure qu’il n’existait pas d’autres immeubles « comparables » pouvant servir à mitiger la perte.

[2]                              L’appelante, Southcott Estates Inc., fait partie du groupe Ballantry de sociétés associées qui achètent et mettent en valeur des terrains dans la région métropolitaine de Toronto.  Il s’agit d’une société à but unique sans actif qui a été constituée dans le seul but de mettre en valeur l’immeuble faisant l’objet de la présente action.  Lorsque le promettant‑vendeur, le Toronto Catholic District School Board (le « conseil scolaire »), a fait défaut de satisfaire à une des conditions de l’entente et a refusé de proroger la date de clôture, Southcott a réclamé l’exécution intégrale du contrat.  Cette dernière plaide qu’elle n’était pas tenue de mitiger ses pertes.

[3]                              Le juge de première instance ((2009), 78 R.P.R. (4th) 285) a conclu que le conseil scolaire avait violé la promesse de vente et qu’il n’avait pas démontré que Southcott aurait pu mitiger ses dommages.  Il a condamné le conseil scolaire à verser des dommages‑intérêts à Southcott pour l’indemniser de la perte de possibilité de réaliser un profit.  Il a refusé d’ordonner l’exécution intégrale du contrat, estimant que l’immeuble n’était pas « unique » et que les dommages‑intérêts constituaient une réparation adéquate.

[4]                              La Cour d’appel de l’Ontario (2010 ONCA 310, 104 O.R. (3d) 784) a statué que, bien que le juge de première instance ait eu raison de conclure que le conseil scolaire n’avait pas respecté ses obligations contractuelles, il avait commis une erreur dans sa façon d’aborder la question de la mitigation du préjudice.  La cour a conclu que Southcott avait, sans raison valable, omis de prendre les mesures appropriées pour mitiger ses pertes et a ramené à une somme symbolique le montant accordé en première instance à titre de dommages‑intérêts.

[5]                              Southcott n’a pas fait appel du refus du juge de première instance d’ordonner l’exécution intégrale.  Elle soutient toutefois que ses pertes étaient inévitables.  Le présent pourvoi soulève les questions suivantes :

1.                 Une société à but unique devrait-elle mitiger ses pertes?

2.                 Dans quelle mesure un demandeur doit-il mitiger ses pertes lorsqu’il a réclamé l’exécution intégrale du contrat?

3.                 Le juge de première instance a‑t‑il eu tort de conclure qu’aucun élément de preuve ne démontrait l’existence d’immeubles rentables comparables qui auraient pu servir à mitiger le préjudice?

[6]                              Pour les motifs qui suivent, je conclus que Southcott ne peut recouvrer les pertes qu’elle aurait raisonnablement pu éviter.  Je suis d’accord avec la cour d’appel pour dire que le juge de première instance a eu tort de conclure qu’aucun élément de preuve n’indiquait l’existence d’autres immeubles susceptibles d’être mis en valeur que Southcott aurait pu acheter pour mitiger son préjudice.  Je suis d’avis de rejeter le pourvoi. 

II.     Les faits

[7]                              Southcott est une filiale à cent pour cent de Ballantry Homes Inc.  Elle est membre d’un consortium de sociétés appelé Ballantry Group of Companies (« Ballantry » ou le « groupe Ballantry »).  Le conseil scolaire a été créé sous le régime de la Loi sur l’éducation, L.R.O. 1990, ch. E.2.  Il est dirigé par une assemblée de conseillers scolaires élus par la population.

[8]                              Après avoir constaté qu’il n’en avait pas besoin, le conseil scolaire a décidé de mettre en vente une parcelle du terrain d’une école.  Entendant se servir de ce terrain pour y ériger un complexe domiciliaire, Southcott a convenu d’acheter les 4,78 acres de terrain en question pour 3,44 millions de dollars.  Elle a versé en dépôt une somme correspondant à 10 p. 100 du prix d’achat et les parties ont arrêté le 31 août 2004 comme date de clôture.  Une condition de l’entente prévoyait que le conseil scolaire obtienne une disjonction du comité des dérogations au plus tard à la date de clôture.  Le 30 août 2004, les parties sont convenues de proroger la date de clôture au 31 janvier 2005.

[9]                              Le conseil scolaire a présenté sa demande de disjonction en novembre.  On l’a informé qu’il devait joindre un plan d’aménagement à sa demande, mais il a choisi de poursuivre ses démarches sans plan d’aménagement.  Le 16 décembre 2004, à la demande de la municipalité, le comité des dérogations a reporté l’examen de la demande de disjonction, estimant qu’elle était prématurée parce qu’elle n’était pas accompagnée d’un plan d’aménagement.  À ce moment, il est devenu évident pour Southcott et le conseil scolaire qu’ils ne pourraient parfaire l’opération avant la date de clôture du 31 janvier 2005.  Le conseil scolaire a refusé la demande de Southcott de proroger la date de clôture, a déclaré l’opération caduque et a remis à Southcott la somme versée en dépôt.

[10]                          En faisant valoir que le conseil scolaire avait manqué à son obligation de tout mettre en œuvre pour obtenir la disjonction, Southcott a introduit une action en vue d’obtenir l’exécution intégrale du contrat ou, à titre subsidiaire, des dommages‑intérêts.

[11]                          Southcott a admis qu’elle n’avait jamais eu l’intention de mitiger sa perte et qu’en réalité, elle n’avait jamais essayé de la mitiger (par. 137 de la décision du juge de première instance).  Southcott était une société à but unique constituée exclusivement en vue de ce projet d’aménagement et n’avait comme actif que l’argent avancé par Ballantry pour verser le dépôt.  Elle n’avait jamais eu l’intention d’acquérir un autre terrain.  En fait, le directeur de Southcott a expliqué au procès qu’il n’était pas question que Southcott acquière un autre terrain puisqu’elle était en cause dans le présent litige (par. 18 de la décision de la Cour d’appel).

[12]                          Le conseil scolaire a établi par expert que 81 terrains vagues susceptibles d’être mis en valeur avaient été vendus dans la région métropolitaine de Toronto entre la date du manquement et celle du procès.  Le terrain en question se prêtait à l’aménagement d’un complexe résidentiel et équivalait en gros, sur le plan de la superficie et du prix, aux autres terrains achetés par le groupe Ballantry.

[13]                          Au cours de la même période, des sociétés du groupe Ballantry ont acheté sept parcelles de terrain en vue de les aménager.  Le directeur de Ballantry a expliqué que ce groupe était toujours à la recherche de nouveaux terrains, qu’il disposait des moyens financiers nécessaires pour en acquérir et qu’il aurait acquis ces terrains même si Southcott avait réussi à acheter le terrain du conseil scolaire (par. 138 de la décision du juge de première instance).

III.    Décisions des juridictions inférieures

[14]                          Au procès, le juge Spiegel a conclu que le conseil scolaire n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables pour satisfaire à la condition relative à la disjonction.  Selon lui, le conseil scolaire avait manqué à son obligation de déployer les efforts nécessaires en ne communiquant pas avec les employés municipaux compétents, en retardant le traitement de la demande de disjonction, en ne joignant pas à sa demande de disjonction le plan d’aménagement proposé, en soumettant un levé incorrect, en ne cherchant pas à obtenir des conseils éclairés, en ne tenant pas compte de l’avis du comité des dérogations, en poursuivant sa demande de disjonction même après avoir été avisé qu’elle était incomplète et en ne tenant pas Southcott au courant (par. 71-87).

[15]                          Le juge de première instance a estimé que, si le conseil scolaire avait déployé les efforts nécessaires, la disjonction aurait probablement été accordée et l’opération se serait concrétisée avant la date de clôture.  Le juge de première instance s’est dit convaincu que les pertes subies par Southcott étaient attribuables à l’inexécution du contrat par le conseil scolaire (par. 93-116).

[16]                          En ce qui concerne la réparation, le juge Spiegel a conclu que l’exécution intégrale ne constituait pas une réparation appropriée étant donné que le bien‑fonds en question ne possédait pas les caractéristiques nécessaires pour être considéré comme unique (par. 128‑133).

[17]                          Il a toutefois conclu que Southcott avait droit à des dommages‑intérêts.  Il a rejeté l’argument du conseil scolaire suivant lequel Southcott avait effectivement mitigé le préjudice étant donné que le groupe Ballantry avait acheté plusieurs autres terrains après l’inexécution du contrat :

                    [traduction]  J’estime que ces acquisitions ultérieures étaient des opérations accessoires et distinctes qui étaient sans rapport avec l’inexécution.  Compte tenu de l’ensemble des circonstances, je suis d’avis qu’aucune de ces opérations ne pouvait servir à mitiger le préjudice.  [par. 143]

[18]                          Le juge de première instance a estimé que le conseil scolaire ne s’était pas acquitté du fardeau de démontrer que Southcott ne s’était pas prévalue des possibilités raisonnables qui s’offraient à elle de mitiger ses pertes.  Il a estimé que rien n’établissait que l’une quelconque des propriétés disponibles avait été effectivement offerte en vente ou aurait pu être mise en valeur de façon rentable, ajoutant qu’il n’était pas convaincu que les immeubles étaient comparables (par. 144‑146).  Il a par conséquent accordé à Southcott la somme de 1 935 500 $ à titre de dommages‑intérêts, ce qui correspondait à la perte d’une possibilité de 60 p. 100 de réaliser un profit de 3 225 827 $.

[19]                          En appel, le conseil scolaire n’a pas contesté la conclusion suivant laquelle il avait manqué à son obligation de tout mettre en œuvre pour obtenir la disjonction exigée pour parfaire la vente.  Il a contesté les conclusions relatives à la causalité et à la mitigation du préjudice.

[20]                          S’exprimant au nom de la Cour d’appel, le juge Sharpe a rejeté le premier moyen d’appel invoqué par le conseil scolaire suivant lequel le juge de première instance avait commis une erreur en concluant que le fait que l’on n’avait pas obtenu la disjonction avant la date de clôture était attribuable à l’inexécution du contrat par le conseil scolaire (par. 11‑14).

[21]                          En ce qui concerne la question de savoir si les pertes auraient pu être évitées toutefois, la Cour d’appel a conclu que le juge de première instance avait commis une erreur de droit en concluant que le conseil scolaire n’avait pas démontré que Southcott aurait pu mitiger ses pertes.  Tout d’abord, le fait que Southcott avait admis n’avoir eu nullement l’intention de prendre quelque mesure que ce soit pour mitiger ses pertes suffisait pour permettre au conseil scolaire de se décharger du fardeau de preuve qui reposait sur lui et pour déplacer ce fardeau sur Southcott, qui devait alors démontrer que, même si elle avait tenté de mitiger ses pertes, elle n’aurait pas pu le faire.  Deuxièmement, la cour a jugé que le juge de première instance avait commis une erreur dans la façon dont il avait traité les éléments de preuve présentés par le conseil scolaire au sujet des terrains qui étaient disponibles : [traduction] « En l’obligeant à démontrer [. . .] la rentabilité de diverses parcelles, le juge de première instance a imposé au conseil scolaire un critère tellement exigeant qu’il ne pouvait s’attendre de façon réaliste à ce qu’il puisse y satisfaire » (par. 25).  Enfin, le juge de première instance n’avait pas tenu compte du fait que les achats d’autres terrains effectués par Ballantry démontraient de façon évidente que le dirigeant de Southcott savait que des terrains de placement de qualité qui se prêtaient bien à une mise en valeur rentable étaient disponibles sur le marché.  La Cour d’appel a affirmé que Southcott était une entité juridique distincte qui ne pouvait éviter de mitiger sa perte en plaidant qu’elle faisait partie du groupe Ballantry : Southcott conservait l’obligation de mitiger son préjudice (par. 24‑27).

[22]                          La Cour d’appel a conclu que, même si elle avait démontré le bien‑fondé de ses arguments en ce qui concerne la rupture du contrat, Southcott n’avait pas réussi à démontrer qu’elle pouvait réclamer une exécution intégrale ou des dommages‑intérêts.  La cour a estimé qu’il convenait d’accorder la somme d’un dollar à titre de dommages‑intérêts symboliques.

IV.    Mitigation du préjudice Principes généraux

[23]                          Dans l’arrêt Asamera Oil Corp. c. Seal Oil & General Corp., [1979] 1 R.C.S. 633, notre Cour a cité (aux p. 660‑661) et approuvé l’énoncé suivant formulé par le vicomte Haldane, lord chancelier, dans l’arrêt British Westinghouse Electric and Manufacturing Co. c. Underground Electric Railways Company of London, Ltd., [1912] A.C. 673, p. 689 :

                            [traduction]  Le principe fondamental est donc la compensation des pertes pécuniaires découlant naturellement de l’inexécution; mais ce principe est mitigé par un autre qui veut que le demandeur ait l’obligation de prendre toutes mesures raisonnables pour mitiger le préjudice résultant de la rupture du contrat et ne puisse être indemnisé pour la partie du préjudice qu’il aurait ainsi pu éviter. 

[24]                          Dans l’arrêt Colombie‑Britannique c. Canadian Forest Products Ltd., 2004 CSC 38, [2004] 2 R.C.S. 74, au par. 176, notre Cour a expliqué que « [l]es pertes qui auraient pu être évitées par des précautions raisonnables se définissent comme celles qui sont, en fait, attribuables à l’inaction du demandeur plutôt qu’à la faute du défendeur. »  En principe, un demandeur ne peut se faire indemniser d’une perte qu’il aurait pu éviter par des précautions raisonnables.  Lorsqu’il est allégué que le demandeur n’a pas mitigé le préjudice, il incombe au défendeur de démontrer non seulement que le demandeur n’a pas pris toutes les mesures raisonnables pour mitiger le préjudice, mais encore qu’il était possible de mitiger le préjudice (Red Deer College c. Michaels, [1976] 2 R.C.S. 324; Asamera; Evans c. Teamsters Local Union No. 31, 2008 CSC 20, [2008] 1 R.C.S. 661, par. 30).

[25]                          Par contre, un demandeur qui prend effectivement des mesures raisonnables pour mitiger ses pertes peut recouvrer, à titre de dommages‑intérêts, les frais et les dépenses qu’il a engagés pour prendre ces mesures raisonnables, à condition que ces frais et dépenses soient raisonnables et qu’ils aient véritablement été engagés pour mitiger les dommages (voir P. Bates, « Mitigation of Damages: A Matter of Commercial Common Sense » (1992), 13 Advocates’ Q. 273).  L’évaluation des dommages est par conséquent une question d’appréciation.  Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Redpath Industries Ltd. c. Cisco (Le), [1994] 2 C.F. 279, p. 302 : « La Cour doit s’assurer que la victime est dédommagée de sa perte; mais elle doit en même temps s’assurer que l’on ne profite pas de la personne responsable. » La notion de mitigation du préjudice repose sur l’équité et le bon sens et vise à assurer la justice entre les parties en fonction des circonstances propres à l’espèce.

A.     Une société à but unique devrait‑elle mitiger ses pertes?

[26]                          Southcott soutient que la Cour d’appel n’a pas reconnu la situation singulière dans laquelle se trouve une société à but unique lorsqu’il s’agit de mitiger les pertes afférentes au contrat; en tant que société à but unique, Southcott n’avait pas d’actif et il lui était impossible de mitiger ses pertes sans une importante injection de capitaux de sa société mère ou sans mandat lui permettant de le faire.  Elle fait par ailleurs valoir que les personnes qui contractent avec une société à but unique pourraient raisonnablement s’attendre à ce que celle‑ci dispose de ressources limitées et à ce que son mandat soit restreint.  Dans le cas qui nous occupe, Southcott a agi de manière raisonnable, dans le cours normal de ses affaires, et elle a intenté cette poursuite sans tarder.

[27]                          Southcott réclamait l’exécution intégrale; elle était donc prête à parfaire l’achat.  En tout état de cause, sa demande subsidiaire de dommages‑intérêts pour préjudice indirect dépendait de l’obtention, pour elle, de capitaux lui permettant de parfaire la vente.  En fait, les deux demandes étaient fondées sur la possibilité d’obtenir des ressources, ressources qui n’étaient pas bloquées par suite de l’inexécution reprochée.  D’ailleurs, dans le cas qui nous occupe, la présumée inexécution n’a eu aucune incidence sur la capacité de Southcott d’obtenir des capitaux.  Southcott ne peut guère prétendre que les mêmes fonds n’auraient pas pu servir à mitiger le préjudice.

[28]                          En outre, la question est factuelle et l’on n’a pas prétendu au procès que Southcott ne pouvait se procurer des capitaux ou encore qu’il aurait été beaucoup trop risqué ou coûteux d’emprunter de l’argent.  Au procès, Southcott n’a pas plaidé l’impécuniosité.

[29]                          À défaut d’éléments de preuve concrets démontrant le manque de ressources, le fait de conclure que les pertes ne peuvent raisonnablement être évitées du simple fait qu’il s’agit d’une société à but unique membre d’un consortium de sociétés aurait pour effet de conférer un avantage injustifié à quiconque opte pour la société à but unique pour mener ses affaires.  De plus, le fait de ne pas obliger les sociétés à but unique à mitiger leurs pertes ferait en sorte que les défendeurs qui signent des contrats avec elles seraient susceptibles d’être condamnés à des dommages‑intérêts plus élevés que ceux réclamés de façon raisonnable par d’autres demandeurs et ce, uniquement en raison des actifs limités de ces sociétés.

[30]                          Le juge de première instance a conclu que l’achat de terrains susceptibles d’être mis en valeur par d’autres sociétés du groupe Ballantry n’avait pas en fait mitigé la perte de Southcott; cette conclusion n’est pas contestée en l’espèce.  Tel qu’indiqué précédemment, le juge a estimé que l’acquisition d’autres propriétés par les autres membres du groupe Ballantry constituait des [traduction] « opérations accessoires » en ce sens que les propriétés auraient été acquises indépendamment de la rupture, par la défenderesse, du contrat conclu avec Southcott (par. 143).  Toutefois, parce que Southcott est une entité juridique distincte, l’achat d’autres immeubles comparables par d’autres sociétés du groupe Ballantry n’a pas fait en sorte que ces immeubles ne « pouvaient plus servir » à mitiger le préjudice.  En tant qu’entité juridique distincte, Southcott était tenue de mitiger ses pertes en faisant diligence pour trouver une autre propriété.  Quiconque choisit de bénéficier des avantages de la constitution en société doit en supporter les inconvénients : Kosmopoulos c. Constitution Insurance Co., [1987] 1 R.C.S. 2, p. 10‑12.  Southcott a le droit de bénéficier des avantages d’une responsabilité limitée, mais elle doit aussi assumer les responsabilités qu’ont toutes les entités juridiques.  La nécessité de prendre des mesures pour mitiger ses pertes constitue l’une de ces responsabilités.  Un demandeur ne peut être indemnisé d’un préjudice qu’il aurait raisonnablement pu éviter.  La principale question en l’espèce est de savoir si l’inaction de Southcott était raisonnable et, dans la négative, si elle aurait raisonnablement pu mitiger ses pertes si elle avait tenté de le faire.

B.     Southcott était tenue de mitiger ses pertes malgré sa demande d’exécution intégrale

[31]                          L’exécution intégrale est une réparation fondée sur l’equity qui se concilie mal avec le principe de la mitigation du préjudice.  De toute évidence, si elle avait acheté un autre immeuble pour mitiger ses pertes, Southcott n’aurait peut‑être pas été en mesure de parfaire la vente du terrain excédentaire du conseil scolaire dans l’hypothèse où elle aurait finalement obtenu gain de cause dans sa demande d’exécution intégrale.  Dans quels cas le demandeur qui réclame l’exécution intégrale peut‑il justifier son inaction et être indemnisé pour des pertes qui auraient autrement pu être considérées comme évitables?

[32]                          Le juge de première instance a conclu que Southcott n’était pas fondée à réclamer l’exécution intégrale.  Il a estimé que, même si l’occasion d’affaires était peut‑être unique, la propriété elle‑même ne l’était pas.  Il a conclu qu’il s’agissait en l’espèce d’un plan d’affaires simple dont l’échec pouvait être quantifié en termes de dommages‑intérêts (par. 132).  La Cour d’appel s’est dite du même avis.  La décision du juge de première instance de ne pas ordonner l’exécution intégrale du contrat n’est pas contestée dans le présent pourvoi.

[33]                          Southcott affirme toutefois que, même si elle n’a pas obtenu gain de cause en ce qui concerne sa demande d’exécution intégrale, elle a agi rapidement et sa demande est sérieuse, étant donné que l’immeuble en question était une occasion unique, vu son emplacement et la rareté des propriétés de ce genre dans la région métropolitaine de Toronto.  Elle soutient par conséquent qu’il n’était pas raisonnable de tenter de mitiger son préjudice : la réparation que constitue l’exécution intégrale serait devenue illusoire.

[34]                          Suivant Southcott, le tribunal doit se poser deux questions distinctes lorsqu’un demandeur réclame l’exécution intégrale (1) y a‑t‑il lieu d’ordonner l’exécution intégrale?  Si la réponse à cette question est négative (2) ce demandeur est‑il justifié de ne pas prendre de mesures pour mitiger le préjudice?  Southcott affirme que le juge de première instance a confondu ces deux questions et qu’il a omis de se demander si Southcott était justifiée de ne pas mitiger le préjudice.

[35]                          Notre Cour a examiné cette question dans l’arrêt Asamera, p. 668‑669 :

                    Pour qu’un demandeur puisse invoquer une action en exécution intégrale pour justifier son omission d’acheter des biens de remplacement pour limiter le préjudice, son action en exécution intégrale doit être fondée sur des motifs équitables, réels et importants. . .

. . .

                         . . . Le seul cas où un demandeur peut justifier son inaction est celui où l’action en exécution intégrale, par opposition à une action en dommages‑intérêts, est fondée sur un intérêt important et légitime; dans ce cas, s’il n’obtient pas l’exécution intégrale, il peut obtenir des dommages‑intérêts pour des pertes qui, en d’autres circonstances, auraient pu être évitées et pour lesquelles il n’aurait donc pas pu se faire indemniser. . .

[36]                          Ainsi, notre Cour a reconnu que dans certains cas, l’inaction du demandeur peut se justifier malgré le fait qu’il n’a pas réussi à obtenir l’exécution intégrale, lorsque les circonstances révèlent que sa demande est fondée sur des « motifs équitables, réels et importants » ou qu’un « intérêt important et légitime » lui permet de réclamer l’exécution intégrale (Asamera, p. 668‑669 (je souligne)).  Cela ne signifie pas que le demandeur qui présente une telle demande ne devrait pas tenter de mitiger son préjudice; on reconnaît plutôt qu’une telle demande d’exécution intégrale indique ce qu’il faut entendre par comportement raisonnable du demandeur pour mitiger le préjudice.  Voir N. Siebrasse, « Damages in Lieu of Specific Performance : Semelhago v. Paramadevan » (1997), 76 R. du B. can. 551.

[37]                          L’arrêt Asamera énonce les principes généraux régissant la mitigation du préjudice : l’inaction du demandeur était‑elle raisonnable dans les circonstances, et le demandeur aurait‑il pu mitiger le préjudice s’il avait choisi de le faire?  Ces principes s’appliquent au demandeur qui cherche à obtenir une exécution intégrale.  Si le demandeur a des « motifs [. . .] importants » ou un « intérêt important et légitime » qui lui permet de réclamer l’exécution intégrale, son refus d’acheter un autre bien peut être raisonnable compte tenu des circonstances de l’espèce.

[38]                          Les énoncés que l’on trouve dans l’arrêt Asamera au sujet de l’exécution intégrale et de ce qu’il faut entendre par comportement raisonnable doivent être interprétés en fonction de l’arrêt Semelhago c. Paramadevan, [1996] 2 R.C.S. 415.  Dans cet arrêt, la Cour a reconnu que « [m]ême si, à une certaine époque, la common law considérait chaque bien immeuble comme étant unique, ce n’est plus le cas avec l’évolution du développement immobilier moderne » (par. 20).  La Cour a par conséquent conclu qu’« [o]n ne saurait présumer que des dommages‑intérêts pour la rupture du contrat de vente d’un immeuble constitueront une réparation inadéquate dans tous les cas » (par. 21).  Le demandeur ne pourra obtenir l’exécution intégrale que si l’octroi d’une somme d’argent ne pourrait l’indemniser complètement de la perte en raison de la « valeur particulière » que le terrain en question peut avoir pour lui (par. 21, citant l’arrêt Adderley c. Dixon (1824), 1 Sim. & St. 607, 57 E.R. 239, p. 240).

[39]                          La question essentielle est donc de savoir si l’inaction de Southcott était raisonnable.  Southcott a soutenu au procès que l’emplacement idéal de l’immeuble lui conférait le caractère unique nécessaire pour justifier sa demande d’exécution intégrale (par. 119 de la décision du juge de première instance).

[40]                          Je suis d’accord avec les juridictions inférieures pour dire qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où la demanderesse pouvait raisonnablement refuser de mitiger son préjudice.  Le juge de première instance a clairement indiqué que la seule caractéristique qui rendait ce terrain unique pour Southcott était le fait qu’il s’agissait d’un investissement particulièrement intéressant, et qu’il ne s’agissait pas d’un cas où les dommages‑intérêts étaient trop spéculatifs ou incertains pour constituer une réparation satisfaisante.  Les caractéristiques uniques avaient trait seulement à la rentabilité du projet immobilier et les dommages‑intérêts constituaient une réparation adéquate (par. 126 et 128).  Le calcul des profits n’était ni conjectural ni spéculatif car il ne s’agissait pas d’un projet complexe, et le seul point de discorde entre les parties concernant le montant des dommages‑intérêts portait sur le moment de la vente des unités achevées et le taux de vente de ces unités (par. 130 et 132).

[41]                          Un demandeur privé d’un immeuble de placement ne peut exiger l’exécution intégrale en invoquant des « motifs équitables, réels et importants » ou un « intérêt important et légitime » (Asamera, p. 668‑669) que si l’octroi d’une somme d’argent ne constituerait pas une réparation complète parce que cet immeuble a une « valeur particulière » pour lui (Semelhago, par. 21, citant l’arrêt Adderley, p. 240).  Southcott ne pouvait faire une telle affirmation.  Elle avait entrepris cette opération commerciale dans le but de réaliser un profit.  Les caractéristiques particulières de l’immeuble tenaient seulement à sa valeur du fait qu’il pouvait s’avérer rentable.  Southcott ne peut donc pas justifier son inaction.

C.     Le juge de première instance a commis une erreur en concluant à l’absence de preuve de l’existence d’immeubles comparables rentables pouvant servir à mitiger le préjudice

[42]                          Dans le cas qui nous occupe, Southcott a admis n’avoir fait aucun effort pour mitiger sa perte — parce qu’elle estimait ne pas y être tenue.  Southcott plaide que la Cour d’appel a commis une erreur en déplaçant le fardeau de la preuve sur elle parce que son directeur avait admis n’avoir nullement l’intention de mitiger le préjudice de Southcott.  Cette dernière affirme que le conseil scolaire n’a pas fourni au juge de première instance une preuve de l’existence d’une propriété de placement comparable et rentable offerte en vente.  Le juge a conclu qu’il n’y avait pas de propriétés comparables ou rentables.  Southcott plaide que la Cour d’appel a commis une erreur en écartant la conclusion de fait tirée par le juge de première instance et en y substituant la sienne.

[43]                          Voici le texte intégral de l’analyse de cette question faite par le juge de première instance :

                    [traduction]  Il n’y avait aucun élément de preuve démontrant que les immeubles mentionnés par [l’expert du conseil scolaire] étaient effectivement offerts en vente au public.  La preuve indiquait seulement que des immeubles avaient été vendus.  Il n’y avait également aucun élément de preuve permettant de conclure que, si l’on avait acheté ces immeubles, on aurait pu les mettre en valeur de façon rentable.  En tout état de cause, je ne suis pas convaincu que la preuve a établi que ces immeubles étaient des immeubles comparables ou que, si elle les avait achetés, la demanderesse aurait pu éviter ou diminuer sa perte.  [par. 144]

[44]                          En ce qui concerne l’omission de mitiger le préjudice, la Cour d’appel a conclu que le juge de première instance avait commis une erreur de droit :

                           [traduction]  Tout d’abord, le fait que Southcott avait admis qu’elle n’avait nulle intention de prendre quelque mesure que ce soit pour mitiger ses pertes suffisait pour permettre au conseil scolaire de se décharger du fardeau de preuve qui reposait sur lui et pour déplacer ce fardeau sur Southcott, qui devait alors démontrer que, même si elle avait tenté de mitiger ses pertes, elle n’aurait pas pu le faire.  Southcott n’a soumis aucun élément de preuve en ce sens.  À mon avis, le juge de première instance a commis une erreur en estimant que le conseil scolaire ne s’était pas déchargé du fardeau qui lui incombait de démontrer que Southcott n’avait pas mitigé ses pertes.

                            . . . En obligeant le conseil scolaire à démontrer de manière précise comment les 81 parcelles de terrain de placement avaient été vendues ou à prouver que certaines d’entre elles étaient rentables, le juge de première instance a imposé au conseil scolaire un critère tellement exigeant qu’il ne pouvait y satisfaire, d’autant plus que Southcott avait admis qu’elle n’avait nullement l’intention de mitiger le préjudice, et compte tenu des éléments de preuve suivant lesquels Ballantry avait effectivement trouvé et acheté d’autres propriétés susceptibles d’être mises en valeur.

                           Troisièmement, le juge de première instance a commis une erreur dans la façon dont il a traité les éléments de preuve relatifs aux achats d’autres terrains effectués par Ballantry.  Ces achats démontrent de façon évidente que le dirigeant de Southcott savait que des terrains de placement de qualité qui se prêtaient bien à une mise en valeur rentable étaient disponibles sur le marché.  [par. 24-26]

[45]                          Comme nous l’avons déjà signalé, lorsqu’il est allégué que le demandeur n’a pas mitigé ses pertes, la charge de la preuve selon la prépondérance des probabilités repose sur le défendeur, qui doit établir non seulement que le demandeur n’a pas fait d’efforts raisonnables pour trouver un bien de substitution, mais également qu’il était possible de trouver un bien de substitution rentable et valable.

[46]                          Ainsi, il serait erroné de prétendre qu’il n’incombait pas au défendeur de démontrer qu’il était possible de mitiger les dommages même lorsque le demandeur n’a rien fait pour les mitiger.  De plus, même si j’estime que le juge de première instance a commis une erreur dans son analyse de la preuve relative à la disponibilité des 81 immeubles faite par le conseil scolaire, il est préférable d’aborder cette erreur en disant qu’elle tient à une question de preuve plutôt qu’à l’application du fardeau de la preuve. 

[47]                          La conclusion relative à la question de savoir si Southcott aurait pu mitiger le préjudice suppose l’application d’une norme juridique; il s’agit d’une question mixte de fait et de droit.  La question de savoir s’il existait des immeubles comparables et s’ils étaient rentables est une question de fait.  Dans sa décision, la Cour d’appel en vient implicitement à qualifier de déraisonnables les conclusions de fait du juge de première instance.

[48]                          Pour les raisons qui suivent, je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le juge de première instance a commis une erreur de principe en n’examinant pas les éléments de preuve pertinents.  Plus particulièrement, les achats subséquents de Ballantry démontraient que d’autres terrains susceptibles d’être mis en valeur étaient raisonnablement disponibles.  Ces erreurs ont faussé l’analyse factuelle sur la question de la mitigation du préjudice.  Je conclus que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante en affirmant qu’il n’y avait pas de possibilités d’acquérir une propriété rentable comparable permettant de mitiger le préjudice : voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 10.

         (1)      La preuve d’expert relative aux immeubles comparables

[49]                          Au procès, le conseil scolaire a présenté des éléments de preuve établissant que 81 parcelles de terres en friche propres à être mises en valeur et 49 propriétés foncières subdivisées en lots constructibles étaient en vente dans la région métropolitaine de Toronto et avaient effectivement été vendues au cours de la période comprise entre le 31 janvier 2005 et la date du début du procès (par. 136 de la décision du juge de première instance).  L’expert du conseil scolaire avait retenu les paramètres suivants pour le choix des parcelles de substitution disponibles : des terrains vendus pour un prix variant entre 1 000 000 $ et 27 000 000 $ qui pourraient être mis en valeur dans un délai maximum d’un an et qui se trouvaient dans une zone résidentielle familiale à densité faible à moyenne.  Ces paramètres avaient été retenus parce qu’ils correspondaient aux achats effectivement effectués par le groupe Ballantry.

[50]                          Le juge de première instance a néanmoins conclu que le conseil scolaire ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que Southcott ne s’était pas prévalue d’une possibilité raisonnable qui s’offrait à elle de mitiger ses pertes.  Selon lui, la preuve ne démontrait pas que les 81 propriétés étaient effectivement offertes en vente au public, et que, si elle avait acheté ces propriétés, la demanderesse aurait pu les mettre en valeur de façon rentable, évitant ou diminuant ainsi ses pertes.  Toujours selon le juge, de toute façon, ces propriétés n’étaient pas des propriétés comparables.

[51]                          Le juge de première instance n’a pas considéré les inférences raisonnables que lui présentait la preuve faite par le conseil scolaire suivant laquelle 81 parcelles de terrain en friche prêtes à être mises en valeur et 49 propriétés subdivisées en lots constructibles avaient été vendues au cours de la période en cause.  En contre‑interrogatoire, l’expert cité par le conseil solaire a reconnu ne pas connaître les stratégies de mise en marché appliquées pour la vente des 81 immeubles vendus au cours de la période durant laquelle, selon le conseil scolaire, Southcott aurait pu mitiger ses pertes (d.a., p. 232‑233).  En dépit de cette réponse toutefois, on pouvait inférer tout naturellement que, si 81 terrains se prêtant à une mise en valeur avaient été offerts en vente et avaient effectivement été vendus, il existait donc des immeubles de placement qui étaient offerts en vente aux promoteurs immobiliers, en particulier en l’absence de preuve contraire.

[52]                          De plus, le juge de première instance n’a pas examiné si le fait que tous les immeubles étaient susceptibles, selon la déposition de l’expert cité par le conseil scolaire, d’être mis en valeur au cours de l’année pouvait permettre d’inférer que leur mise en valeur était rentable.  Il était raisonnablement possible de déduire la rentabilité en se fondant sur la superficie et le prix des terrains, ou sur le fait que des promoteurs d’expérience ont acquis des terrains pour les mettre en valeur.  Le juge de première instance ne s’est pas préoccupé de ces éléments de preuve.

[53]                          Enfin, le juge de première instance n’a pas tenu compte non plus de la possibilité de tirer une inférence défavorable à Southcott du fait que cette dernière n’a avancé aucun élément de preuve au sujet de la rentabilité des autres terrains susceptibles d’être mis en valeur.

         (2)      L’achat de terrains par Ballantry

[54]                          Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le juge de première instance a aussi commis une erreur en ne cherchant pas à savoir si l’achat de terrains par les sociétés du groupe Ballantry offrait la preuve de l’existence d’autres terrains pouvant servir à mitiger le préjudice.  Tel qu’indiqué précédemment, le juge de première instance a conclu (au par. 143) que les autres immeubles acquis par d’autres sociétés du groupe Ballantry étaient [traduction] « accessoires » en ce sens que ces acquisitions auraient été faites indépendamment de la violation, par la défenderesse, de son contrat avec Southcott et ne constituaient pas une véritable mitigation du préjudice en raison de la personnalité juridique distincte de Southcott.  Ce point n’est pas contesté.

[55]                          Le juge de première instance ne s’est toutefois pas demandé ensuite si ces opérations démontraient que ces mêmes terrains permettaient d’établir que des occasions comparables pouvant servir à mitiger le préjudice « s’offraient » sur le marché.  En raison de l’identité juridique distincte de Southcott, l’acquisition d’autres immeubles comparables par les autres sociétés du groupe Ballantry ne faisait pas en sorte que ces immeubles soient « non disponibles » pour mitiger le préjudice.  En fait, le juge de première instance a fait abstraction de la personnalité juridique distincte de Southcott et des autres sociétés du groupe Ballantry lorsqu’il n’a pas tenu compte de ces acquisitions comme preuve de l’existence de possibilités de mitiger le préjudice.

[56]                          Postérieurement à la violation du contrat, les sociétés du groupe Ballantry ont acheté sept autres propriétés susceptibles d’être mises en valeur.  Ces propriétés avaient une superficie variant entre 2,3 acres et 110,8 acres et leur prix oscillait entre 3,3 millions de dollars et 27,1 millions de dollars.  Parmi ces propriétés, deux en particulier étaient de toute évidence comparables.  Southcott avait convenu d’acheter 4,78 acres de terrain pour 3,44 millions de dollars en août 2004.  Les sociétés du groupe Ballantry ont acheté 2,7 acres pour 3,3 millions de dollars en août 2005 et 2,3 acres pour 6 millions de dollars en décembre 2006.

[57]                          Selon le moyen de défense invoqué par Southcott et accepté par le juge de première instance, les achats, par le groupe Ballantry, de terrains susceptibles d’être mis en valeur dans la région métropolitaine de Toronto étaient des achats qui auraient été faits de toute façon, peu importe que Southcott achète ou non le terrain du conseil scolaire.  Toutefois, il ne sert à rien de dire que d’autres sociétés du même groupe d’entreprises auraient de toute façon acheté les autres terrains disponibles.  Il ressort à l’évidence du témoignage du président de Southcott, qui est également copropriétaire de Ballantry, que le groupe Ballantry achetait toujours des terrains susceptibles d’être mis en valeur et qu’il se servait simplement de différentes sociétés pour diversifier les modes de placement. 

[58]                          Les dirigeants du groupe Ballantry ont fait le choix de la personne morale qui serait utilisée pour chacun de ces achats et ils ont écarté Southcott.  Le juge de première instance a par ailleurs fait observer que [traduction] « [l]e projet immobilier proposé par les demandeurs en l’espèce n’avait rien de complexe; il s’agissait d’un plan relativement simple prévoyant la construction de 48 habitations jumelées » (par. 132).  Dans ces conditions, Southcott aurait pu réaliser un projet tout aussi simple sur un autre terrain, si elle avait voulu mitiger ses pertes, ce qui correspond à la réalité moderne reconnue dans l’arrêt Semelhago, en l’occurrence que « [t]outes les propriétés, qu’elles soient résidentielles, commerciales ou industrielles, sont maintenant produites en série de la même façon que les autres biens de consommation » (par. 20).

[59]                          Ainsi que la Cour d’appel l’a conclu (par. 25-26), l’achat d’autres propriétés par le groupe Ballantry démontre que d’autres terrains convenables qui se prêtaient à une mise en valeur étaient disponibles et que la décision de ne pas les acheter au nom de Southcott était motivée par d’autres considérations.  Je suis d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le juge de première instance a commis une erreur en ne considérant pas l’achat de ces autres terrains comme une preuve qu’il existait d’autres terrains comparables qui pouvaient être mis en valeur.

V.     Conclusion

[60]                          En conclusion, le juge de première instance a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve pertinents, et il a commis une erreur de fait manifeste et dominante en concluant que Southcott n’aurait pas pu raisonnablement éviter sa perte.

[61]                          Dans son analyse de la question de la mitigation du préjudice, le juge de première instance n’a pas pris en compte le fait que Southcott avait tout simplement refusé de prendre des mesures pour mitiger sa perte.  Il n’a pas tenu compte des acquisitions faites par le groupe Ballantry comme preuve permettant d’inférer que d’autres parcelles de terrain étaient disponibles et que leur mise en valeur était suffisammant rentable pour satisfaire aux exigences du groupe Ballantry.  Il a confondu l’absence de preuve relative à la mise en marché des parcelles de terrain avec le manque de preuve qu’aucune des parcelles de terrain n’avait été disponible sur le marché.  Il ne s’est pas demandé si le fait que toutes les propriétés qui, selon la déposition de l’expert cité par le conseil scolaire, constituaient des propriétés susceptibles de mise en valeur au cours de l’année, pouvait permettre d’inférer que leur mise en valeur était rentable.  Enfin, il n’a pas tenu compte du fait que Southcott n’a présenté aucun élément de preuve à l’encontre de la preuve présentée par le conseil scolaire relativement aux autres propriétés susceptibles d’être mises en valeur.

[62]                          Dans ces conditions, la Cour d’appel pouvait examiner le dossier et conclure que le juge de première instance ne pouvait pas, vu la preuve dont il disposait, tirer les conclusions auxquelles il en est arrivé au sujet de la mitigation du préjudice.  Les éléments de preuve relatifs aux acquisitions de terrains par Ballantry démontraient, eu égard au refus de Southcott de prendre des mesures pour mitiger ses pertes, qu’il existait des possibilités de mitiger le préjudice en achetant d’autres terrains susceptibles d’être mis en valeur dans la région métropolitaine de Toronto.  Le défaut de mitiger ses pertes entraîne une réduction du montant des dommages‑intérêts.  La Cour d’appel a conclu que, compte tenu de l’achat d’immeubles de placement par Ballantry, et en l’absence d’éléments de preuve contraires, le conseil scolaire s’était acquitté du fardeau de démontrer qu’il existait, au cours de la période en cause, d’autres immeubles de placement qui auraient pu servir à mitiger les pertes, de sorte que la preuve dont disposait le juge de première instance ne lui permettait pas de conclure qu’il n’y avait pas d’immeubles comparables.  Je partage cet avis.

[63]                          Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.  Compte tenu de l’issue du pourvoi principal, il n’est pas nécessaire que j’examine le pourvoi incident et je suis d’avis de le rejeter sans dépens.

                    Version française des motifs rendus par

[64]                          La Juge en chef (dissidente) — Les dommages‑intérêts pour rupture de contrat peuvent être réduits lorsque le demandeur omet, sans justification, de mitiger sa perte.  Pour démontrer que le défaut du demandeur de mitiger sa perte n’était pas justifié, le défendeur qui n’a pas respecté le contrat doit établir (1) l’existence d’une possibilité de mitiger la perte, et (2) que le défaut du demandeur de se prévaloir de cette possibilité n’était pas justifié. 

[65]                          Le juge de première instance a conclu que le défendeur n’avait pas prouvé que Southcott avait eu une possibilité de mitiger sa perte.  Selon moi, cette conclusion était appuyée par la preuve.  Cela suffit pour trancher l’appel.  Cependant, s’il fallait conclure à l’existence d’une telle possibilité, je ne vois rien qui permette de conclure que Southcott n’était pas justifiée de maintenir sa demande en justice pour exécution intégrale au lieu de mitiger sa perte.  Il s’ensuit à mon avis que le jugement de la Cour d’appel devrait être annulé et qu’il y aurait lieu de rétablir la conclusion du juge de première instance selon laquelle la demanderesse a prouvé la rupture du contrat et les dommages. 

I.       Contexte

[66]                          Le Toronto Catholic District School Board (le « conseil scolaire ») a conclu avec Southcott Estates Inc. un contrat pour la vente d’un terrain de 4,78 acres, dont il n’avait pas besoin, au prix de 3,44 millions de dollars.  La date de clôture était le 31 août 2004.  Southcott est une filiale à cent pour cent de Ballantry Homes Inc., dont les activités consistent à acquérir des propriétés et y ériger des immeubles résidentiels.  Southcott est une société à but unique créée expressément dans le seul but d’acquérir cette parcelle de terrain et de la mettre en valeur en y construisant des résidences unifamiliales.  Southcott n’a aucun actif à l’exception de la somme d’argent versée en dépôt pour l’acquisition du terrain.

[67]                          Le terrain faisant partie d’une plus grande parcelle sur laquelle se trouvent les immeubles d’une école, le contrat était conditionnel à ce que le conseil scolaire obtienne du comité des dérogations une disjonction au plus tard à la date de clôture.  Le contrat a été signé le 14 juin 2004, mais il n’est devenu définitif que le 23 août 2004.  Constatant qu’il risquait de ne pas obtenir la disjonction à la date de clôture prévue pour le 31 août 2004, le conseil scolaire a demandé à Southcott de proroger la date de clôture à une date fixe postérieure à la disjonction.  Southcott a accepté de proroger la date de clôture du 31 août, mais elle a insisté pour que la date définitive soit fixée au 31 janvier 2005.

[68]                          La demande de disjonction du conseil scolaire a été examinée le 16 décembre 2004.  La décision a été retardée parce que le conseil scolaire n’avait pas joint à sa demande un plan de mise en valeur.  De ce fait, le conseil scolaire n’a pu respecter la date de clôture du 31 janvier 2005.  Southcott a demandé au conseil scolaire de proroger la date de clôture.  Le conseil scolaire a refusé, a déclaré l’opération caduque et a remboursé à Southcott la somme versée en dépôt. 

[69]                          Southcott a fait valoir que le conseil scolaire avait manqué à son obligation de tout mettre en œuvre pour obtenir la disjonction et a introduit une action visant à obtenir l’exécution intégrale du contrat ou, à titre subsidiaire, des dommages‑intérêts.

[70]                          Le juge de première instance a conclu que la demanderesse n’avait pas droit à l’exécution intégrale parce que l’immeuble n’avait pas le caractère unique qui lui aurait permis de répondre aux exigences nécessaires à l’obtention de cette réparation.  Il a toutefois accordé la somme de 1 935 500 $ à titre de dommages‑intérêts, ce qui correspondait à une perte de chance de 60 p. 100 de réaliser un profit de 3 225 827 $.  Il a rejeté l’argument du conseil scolaire selon lequel Southcott a omis sans justification de mitiger sa perte et a conclu que le conseil scolaire n’avait pas établi au regard des faits l’existence de possibilités de mitiger la perte.

[71]                          La Cour d’appel a infirmé la décision du juge de première instance et annulé la condamnation aux dommages‑intérêts; elle a essentiellement conclu que la preuve, appréciée comme il se doit, avait établi une omission injustifiée de mitiger le préjudice.

II.     Les exigences en matière de la mitigation du préjudice

[72]                          Selon le principe de la mitigation du préjudice, un demandeur ne peut obtenir des dommages‑intérêts pour des pertes qui auraient raisonnablement pu être évitées : Asamera Oil Corp. c. Sea Oil & General Corp., [1979] 1 R.C.S. 633, p. 660; British Westinghouse Electric and Manufacturing Co. c. Underground Electric Railways Company of London, Ltd., [1912] A.C. 673 (H.L.), p. 689; Dunkirk Colliery Co. c. Lever (1878), 9 Ch. D. 20 (C.A.), p. 25.  Un demandeur n’a pas d’obligation contractuelle de mitiger le préjudice, et en ce sens, l’expression « obligation de limiter le préjudice » est trompeuse.  Cependant, lorsque le demandeur omet sans justification de mitiger sa perte, les dommages‑intérêts pour rupture de contrat peuvent être réduits : Janiak c. Ippolito, [1985] 1 R.C.S. 146, p. 166‑167; Darbishire c. Warran, [1963] 1 W.L.R. 1067 (C.A.), p. 1075.

[73]                          Il incombe au défendeur, qui n’a pas respecté le contrat, de prouver que le défaut du demandeur de mitiger sa perte n’était pas justifié : Red Deer College c. Michaels, [1976] 2 R.C.S. 324, p. 330‑331; Roper c. Johnson (1873), L.R. 8 C.P. 167.  Cela signifie qu’il doit établir, suivant la prépondérance des probabilités, (1) que le demandeur avait eu des possibilités de mitiger sa perte et (2) que son défaut de se prévaloir de ces possibilités n’était pas justifié.

[74]                          Diverses raisons peuvent faire en sorte que l’omission de mitiger le préjudice sera justifiée.  L’existence de « motifs équitables, réels et importants » de demander l’exécution intégrale peut constituer l’une de ces raisons : Asamera, p. 667‑668.  Le manque de ressources financières peut constituer une autre raison : McGregor on Damages (18e éd. 2009), par. 7‑088.  Les règles relatives à la mitigation du préjudice [traduction] « n’exigent pas de la personne lésée qu’elle fasse ce qu’elle n’a pas les moyens de faire lorsqu’elle cherche à diminuer le montant des dommages‑intérêts que doit payer l’auteur du préjudice » : Lagden c. O’Connor, [2003] UKHL 64, [2004] 1 All E.R. 277, par. 51 (lord Hope); voir également General Securities Ltd. c. Don Ingram Ltd., [1940] R.C.S. 670.

[75]                          L’omission injustifiée de mitiger la perte diminue le montant des dommages‑intérêts dans la mesure où la mitigation aurait permis d’éviter la perte : voir Andros Springs c. World Beauty, [1970] P. 144 (C.A.), p. 154 (lord Denning).  Si une possibilité de mitiger le préjudice permettrait seulement d’éviter en partie la perte, une diminution partielle seulement des dommages‑intérêts peut être justifiée.

III.    Possibilité de mitiger le préjudice

[76]                          Le juge de première instance a conclu que le conseil scolaire ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver que le défaut de Southcott de mitiger sa perte n’était pas justifié parce que le conseil scolaire n’avait pas établi l’existence d’une possibilité de la mitiger.  Cette conclusion ne peut être écartée que si elle est entachée d’une erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 10.

[77]                          Le conseil scolaire a eu recours à deux moyens pour tenter de prouver l’existence de possibilités de mitiger la perte — par le témoignage d’un expert et par la preuve des acquisitions faites par d’autres sociétés du groupe Ballantry.

      A.       La déposition de l’expert

[78]                          Le juge de première instance a conclu que la déposition de l’expert cité par le conseil scolaire n’avait pas établi une possibilité de mitiger la perte. 

[79]                          L’expert cité par le conseil scolaire a affirmé que 81 parcelles de terres en friche et 49 propriétés foncières subdivisées avaient été achetées dans la région métropolitaine de Toronto entre le 31 janvier 2005 et la date du début du procès.  Le juge de première instance a relevé dans cette preuve un certain nombre de lacunes.

[80]                          Premièrement, il n’y avait pas de preuve que Southcott pouvait effectivement acquérir les propriétés en question dont l’expert faisait état; ce dernier a admis qu’il ne savait pas du tout si ces propriétés avaient été offertes en vente au public pendant la période durant laquelle, selon le conseil scolaire, Southcott aurait pu mitiger son préjudice (d.a., p. 233).

[81]                          Deuxièmement, la preuve n’établissait pas que ces propriétés étaient comparables au terrain que Southcott souhaitait acquérir ((2009), 78 R.P.R. (4th) 285, par. 144).  On savait peu de choses au sujet des terrains indiqués par l’expert cité par le conseil scolaire, si ce n’est leur superficie, leur coût et le grand carrefour le plus rapproché.  La plupart se trouvaient à l’extérieur de la ville de Toronto.  La superficie et le prix de ces terrains varient considérablement; les parcelles peuvent avoir de 0,251 à 123,988 acres et le prix peut atteindre 23,77 millions de dollars.  Le juge de première instance a conclu que la comparabilité de ces propriétés par rapport au terrain de 4,78 acres que Southcott souhaitait acquérir n’avait pas été établie.

[82]                          Troisièmement, le juge de première instance a conclu que la preuve n’avait pas établi que les propriétés indiquées par l’expert auraient pu être mises en valeur de façon rentable (par. 144).  Seule une mise en valeur rentable pouvait mitiger la perte de Southcott; une mise en valeur non rentable l’aurait accrue.  Un demandeur n’est pas tenu de prendre des mesures futiles qui ne réduiraient pas sa perte.  L’expert cité par le conseil scolaire n’a présenté aucune preuve de la rentabilité éventuelle des propriétés qu’il a mentionnées.

[83]                          La Cour d’appel a critiqué la conclusion du juge de première instance suivant laquelle la preuve n’avait pas établi la rentabilité, parce que le juge avait imposé au conseil scolaire un fardeau de preuve excessif (2010 ONCA 310, 104 O.R. (3d) 784, par. 25).  Avec égards, le fardeau de preuve était clair — le conseil scolaire devait établir suivant la prépondérance des probabilités qu’il était possible pour Southcott d’effectuer une mise en valeur rentable d’une autre propriété.  Rien n’indique que le juge de première instance n’a pas apprécié ce principe fondamental.  Voir World Beauty, p. 154.

[84]                          Le juge de première instance a conclu que l’expert cité par le conseil scolaire n’avait pas établi que Southcott avait eu des possibilités de mitiger sa perte.  Cette conclusion est appuyée par la preuve et n’est entachée d’aucune erreur de droit.  Elle ne doit donc pas être écartée : Housen.

        B.       La preuve des acquisitions faites par les autres sociétés du groupe Ballantry

[85]                          En tant que deuxième moyen pour s’acquitter de son fardeau d’établir la possibilité de mitiger la perte, le conseil scolaire a mis en preuve des acquisitions, par d’autres sociétés du groupe Ballantry, de terrains destinés à être mis en valeur dans la région métropolitaine de Toronto à l’époque en cause.  Le conseil scolaire a plaidé que ces autres acquisitions du groupe Ballantry avaient en fait mitigé la perte causée par l’inexécution du contrat par le conseil scolaire.

[86]                          Le juge de première instance a accepté, à la demande du conseil scolaire, d’examiner l’affaire du point de vue du groupe Ballantry dans son ensemble, levant ainsi le voile corporatif.  Il a conclu que les acquisitions subséquentes du groupe Ballantry constituaient des opérations accessoires et distinctes qui n’auraient pas permis d’éviter la perte découlant de l’inexécution du contrat par le conseil scolaire (par. 143) : voir Apeco of Canada, Ltd. c. Windmill Place, [1978] 2 R.C.S. 385, p. 389.  Abstraction faite de la question de l’opportunité de lever le voile corporatif dans ces circonstances, l’analyse du juge de première instance n’était pas erronée.  Il a considéré que le groupe Ballantry, jouissant d’un important accès au crédit, n’avait d’autre limite que le nombre de propriétés qu’il pouvait trouver.  Plus le groupe Ballantry pouvait trouver de bonnes propriétés, plus il pouvait réaliser des profits.  En ce sens, les autres propriétés acquises par le groupe Ballantry demeuraient accessoires et ne pouvaient être substituées à la propriété du conseil scolaire. 

[87]                          Après avoir disposé ainsi de la question des acquisitions des autres sociétés du groupe Ballantry, le juge de première instance ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si ces propriétés offraient à Southcott, en tant qu’entité juridique distincte, des possibilités de mitiger sa perte.  Toutefois, la preuve ne permet pas, selon moi, de conclure en ce sens.  Premièrement, aucun élément de preuve n’indiquait que Southcott aurait pu acquérir les propriétés acquises par les autres sociétés du groupe Ballantry.  Au mieux, Southcott aurait fait concurrence à des sociétés sœurs pour l’achat de ces propriétés.  La question de savoir si elle aurait réussi à acheter une propriété comparable relève de la conjecture.

[88]                          Deuxièmement, la preuve n’a pas établi que les autres propriétés achetées par le groupe Ballantry étaient comparables à celle que Southcott voulait acquérir.  Aux termes de son contrat avec le conseil scolaire, Southcott achetait, dans un quartier résidentiel recherché de la ville de Toronto, une parcelle de terre de 4,78 acres qui se prêtait à la construction de 48 habitations jumelées (par. 132).  Aucune preuve n’indiquait qu’un des autres terrains acquis par le groupe Ballantry était comparable.  Il ne suffit pas de démontrer que des sociétés préconisant des stratégies de mise en valeur différentes auraient pu acquérir un terrain se prêtant à la mise en valeur.  Les intérêts de Ballantry en matière de projets immobiliers résidentiels dans la région métropolitaine de Toronto étaient très variés.  Le projet de mise en valeur envisagé par Southcott était plus restreint et plus précis.  Pour démontrer une possibilité de mitiger le préjudice, le conseil scolaire devait prouver qu’il se trouvait sur le marché une propriété comparable à celle que Southcott avait tenté d’acquérir.

[89]                          Avec égards, je ne partage pas l’opinion de la juge Karakatsanis (au par. 56) suivant laquelle deux des propriétés acquises subséquemment par le groupe Ballantry étaient de toute évidence comparables à celle que Southcott souhaitait acheter.  La première (une parcelle de 2,7 acres payée 3,3 millions de dollars) était 43 p. 100 plus petite, coûtait 70 p. 100 plus cher l’acre et a été achetée pour y construire une maison de retraite.  La seconde (une parcelle de 2,3 acres payée 6 millions de dollars) était 51 p. 100 plus petite que le terrain recherché par Southcott, coûtait 260 p. 100 plus cher l’acre et a été achetée pour y construire un immeuble de grande hauteur.  Selon le dossier, ces propriétés n’étaient pas comparables à celle que Southcott voulait acquérir : une parcelle de 4,78 acres qui se prêtait à la construction de 48 habitations jumelées.  Les autres propriétés acquises par le groupe Ballantry étaient encore moins comparables à celle que Southcott voulait acheter.  Le conseil scolaire avait le fardeau d’établir la comparabilité de ces propriétés.  Il ne l’a pas fait.

[90]                          Selon moi, le juge de première instance a eu raison de conclure que la preuve relative aux autres propriétés acquises par le groupe Ballantry n’a pas établi des possibilités de mitiger la perte attribuable à l’inexécution du contrat par le conseil scolaire.

IV.       Southcott a‑t‑elle agi raisonnablement?

[91]                          La conclusion du juge de première instance selon laquelle le conseil scolaire n’a pas établi que Southcott avait eu des possibilités de mitiger sa perte suffit pour disposer du pourvoi.  J’ajoute toutefois les observations qui suivent quant à savoir si le conseil scolaire a établi, comme il devait également le faire, qu’il aurait été injustifié pour Southcott de ne pas se prévaloir de possibilités prouvées de mitiger le préjudice.

[92]                          À mon avis, il est difficile de conclure que Southcott a agi de manière injustifiée.  Tout d’abord parce qu’elle avait des « motifs équitables, réels et importants » de réclamer l’exécution intégrale du contrat : Asamera, p. 667‑668.  Dans de telles circonstances, un demandeur n’a aucune obligation de mitiger sa perte.  Ainsi que l’explique la Cour dans Asamera, il s’agit simplement de l’application de la règle en matière de mitigation du préjudice selon laquelle le demandeur doit agir raisonnablement dans les circonstances :

                    Le seul cas où un demandeur peut justifier son inaction est celui où l’action en exécution intégrale, par opposition à une action en dommages‑intérêts, est fondée sur un intérêt important et légitime; dans ce cas, s’il n’obtient pas l’exécution intégrale, il peut obtenir des dommages‑intérêts pour des pertes qui, en d’autres circonstances, auraient pu être évitées et pour lesquelles il n’aurait donc pas pu se faire indemniser. [p. 668-669]

[93]                          Le dépôt d’une demande d’exécution intégrale n’est pas compatible avec l’acquisition d’un bien de substitution.  Le demandeur qui agit raisonnablement ne peut réclamer l’exécution intégrale du contrat et en même temps mitiger son préjudice.  Il est illogique pour le demandeur raisonnable qui cherche à obtenir l’exécution intégrale d’un contrat de concéder la victoire à la partie adverse et d’acquérir un bien de substitution.  Il risquerait de se retrouver avec deux propriétés — celle qu’il voulait obtenir et une autre dont il ne voulait pas.  En outre, l’action en exécution intégrale est souvent motivée par l’absence de biens de substitution sur le marché.  Il est incohérent que le demandeur qui allègue de manière justifiée l’absence de biens de substitution sur le marché ait la possibilité d’acquérir ces mêmes biens (E. Yorio, « A Defense of Equitable Defenses » (1990), 51 Ohio St. L.J. 1201).

[94]                          En définitive, le juge de première instance a rejeté la demande d’exécution intégrale.  Cela ne signifie pas cependant que Southcott a agi de façon déraisonnable en présentant cette demande.  La question de savoir si le demandeur avait des « motifs équitables, réels et importants » qui le justifiaient de donner suite à son action en exécution intégrale se distingue de celle de savoir s’il y a lieu d’ordonner l’exécution intégrale à l’issue du procès, une fois que toute la preuve est versée au dossier et appréciée par le juge de première instance.  Les demandeurs ne peuvent jamais avoir la certitude que leur action en exécution intégrale sera accueillie, d’autant plus qu’il s’agit d’une réparation en equity qui est discrétionnaire.  Exiger des demandeurs qu’ils mitigent leurs pertes s’ils ne sont pas assurés d’obtenir une ordonnance d’exécution intégrale les dissuaderait de présenter des demandes valides d’exécution intégrale et leur imposerait une norme impossible à satisfaire. 

[95]                          Tout en rejetant finalement l’action de Southcott en exécution intégrale, le juge de première instance n’a pas conclu que Southcott avait agi de manière déraisonnable en exerçant ce recours.  Rien ne semble appuyer une telle conclusion.  On pourrait à juste titre prétendre que Southcott était justifiée de réclamer l’exécution intégrale du contrat.  La propriété se prêtait particulièrement bien aux besoins de Southcott pour la construction d’un complexe résidentiel unifamilial dans la ville de Toronto.  Même si la présomption de la common law en faveur du caractère unique des biens immeubles n’a plus sa place, une action en exécution intégrale peut quand même être justifiée si un bien possède des caractéristiques uniques faisant en sorte qu’il ne serait pas facile de le remplacer par un autre bien : Semelhago c. Paramadevan, [1996] 2 R.C.S. 415, par. 22.  La preuve appuyait la prétention de Southcott selon laquelle aucun terrain de substitution comparable n’était disponible.

[96]                          Le manque de ressources financières constitue une autre raison pour laquelle Southcott n’a pas acquis et mis en valeur une propriété de substitution, en supposant qu’une telle propriété ait été disponible.  Southcott n’avait pas la capacité financière d’acheter sur le marché un terrain de substitution.  Cette société à but unique avait pour seuls actifs les 344 000 $ avancés par le groupe Ballantry pour verser le dépôt en vue de l’achat du terrain du conseil scolaire (jugement de première instance, par. 137).  La question de savoir si elle aurait pu obtenir le financement pour l’achat d’un terrain différent reste à tout le moins conjecturale.

[97]                          En résumé, je ne vois aucune raison de conclure que Southcott a agi de façon injustifiée en faisant défaut de mitiger sa perte, en supposant qu’elle ait eu des possibilités de le faire.

V.     Conclusion

[98]                          Je ne vois rien qui m’autorise à écarter la conclusion du juge de première instance selon laquelle le défendeur n’a pas prouvé que le défaut de la demanderesse de mitiger sa perte était injustifié.  La preuve et la jurisprudence étayent ses conclusions.

[99]                          Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir le jugement du juge de première instance.

                    Pourvoi rejeté avec dépens.  Pourvoi incident rejeté sans dépens, la juge en chef McLachlin est dissidente.

                    Procureurs de l’appelante/intimée au pourvoi incident : Lenczner Slaght Royce Smith Griffin, Toronto; Davis Moldaver, Toronto.

                    Procureurs de l’intimé/appelant au pourvoi incident : Miller Thomson, Toronto.

 

 

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