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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Sanichar, 2013 CSC 4, [2013] 1 R.C.S. 54

Date : 20130124

Dossier : 34720

 

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

et

Harry Persaud Sanichar

Intimé

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Fish, Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 4)

 

Motifs dissidents :

(par. 5 à 22):

La juge Karakatsanis (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Rothstein, Moldaver et Wagner)

 

Le juge Fish

 

 

 


 


R. c. Sanichar, 2013 CSC 4, [2013] 1 R.C.S. 54

Sa Majesté la Reine                                                                                        Appelante

c.

Harry Persaud Sanichar                                                                                     Intimé

Répertorié : R. c. Sanichar

2013 CSC 4

No du greffe : 34720.

2012 : 6 décembre; 2013 : 24 janvier.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Fish, Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

                    Droit criminel — Appels — Accusé déclaré coupable au procès relativement à plusieurs chefs d’accusation liés à des sévices corporels et des agressions sexuelles — Déclarations de culpabilité annulées et nouveau procès ordonné par la Cour d’appel — Le pourvoi soulève‑t‑il une question de droit? — La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en annulant les déclarations de culpabilité et en ordonnant un nouveau procès?

                    Arrêt (le juge Fish est dissident) : La requête en cassation de l’appel est rejetée.  Le pourvoi est accueilli et les déclarations de culpabilité sont rétablies.

                    La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner : Le juge du procès n’a pas fait appel à des principes juridiques erronés en appréciant la fiabilité du témoignage de la plaignante ou en appliquant le fardeau de la preuve.  Le pourvoi soulève une question de droit, à savoir si le juge du procès était tenu de se mettre en garde contre les dangers d’une déclaration de culpabilité, car le témoignage de la plaignante portait sur des faits qui datent d’un passé lointain, comportait diverses faiblesses et n’était pas corroboré alors qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à l’existence d’une preuve confirmatoire.

                    Le juge Fish (dissident) : Les motifs des juges majoritaires de la Cour d’appel ne renferment aucune affirmation — expresse ou implicite — que le juge du procès était tenu en droit de se mettre en garde contre les dangers que mentionne la juge Karakatsanis.  En outre, la dissidence en Cour d’appel ne repose pas sur un désaccord, réel ou imputé, avec les motifs des juges majoritaires concernant la mise en garde.  Elle a plutôt trait à des questions de fait ou, au mieux, des questions mixtes de fait et de droit.  Selon l’al. 693(1) a) du Code criminel , le ministère public peut uniquement interjeter appel à notre Cour sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d’appel est dissident, ce qui n’est manifestement pas le cas en l’espèce.

Jurisprudence

Citée par la juge Karakatsanis

                    Arrêt mentionné : R. c. J.M.H., 2011 CSC 45, [2011] 3 R.C.S. 197.

Citée par le juge Fish (dissident)

                    R. c. McGrath, [2000] O.J. No. 5735 (QL).

Lois et règlements cités

Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 693(1) a).

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Laskin, Cronk et Blair), 2012 ONCA 117, 288 O.A.C. 164, 280 C.C.C. (3d) 500, 92 C.R. (6th) 303, [2012] O.J. No. 748 (QL), 2012 CarswellOnt 1914, qui a annulé les déclarations de culpabilité inscrites par le juge Newbould, [2008] O.J. No. 4993 (QL), et ordonné la tenue d’un nouveau procès.  Pourvoi accueilli, le juge Fish est dissident.

                    Christine Bartlett-Hughes et Holly Loubert, pour l’appelante.

                    Mark C. Halfyard et Michael Dineen, pour l’intimé.

                    Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner rendu par

[1]                              La juge Karakatsanis — Nous sommes convaincus, pour les motifs exposés par le juge Laskin de la Cour d’appel, que le juge du procès n’a pas commis d’erreur et, plus particulièrement, qu’il n’a pas fait appel à des principes juridiques erronés en appréciant la fiabilité du témoignage de la plaignante ou en appliquant le fardeau de la preuve.

[2]                              De l’avis des juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Ontario, l’approche suivie par le juge du procès pour apprécier le témoignage de la plaignante reposait sur des principes juridiques erronés (2012 ONCA 117, 288 O.A.C. 164).  Tout particulièrement, les juges majoritaires ont conclu que, dans les circonstances de l’espèce, le juge du procès était tenu de se mettre en garde contre les dangers d’une déclaration de culpabilité, car le témoignage de la plaignante portait sur des faits qui datent d’un passé lointain, comportait diverses faiblesses et n’était pas corroboré alors qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à l’existence d’une preuve confirmatoire, et que, en conséquence, son omission de le faire constituait une erreur de droit. 

[3]                              Le juge Laskin a pour sa part exprimé son désaccord.  Selon lui, la décision de se formuler une telle mise en garde relevait du pouvoir discrétionnaire du juge du procès et ce dernier n’avait aucune obligation en droit de le faire.  Nous souscrivons à son appréciation de cette question.  Considérés sous cet angle, ses motifs de dissidence soulèvent une question de droit : voir R. c. J.M.H., 2011 CSC 45, [2011] 3 R.C.S. 197, par. 29‑30.

[4]                              La requête en cassation de l’appel présentée par l’intimé est rejetée.  Le pourvoi est accueilli et les déclarations de culpabilité sont rétablies, pour les motifs exposés par le juge d’appel Laskin. 

                    Version française des motifs rendus par

[5]                              Le juge Fish (dissident) — Contrairement à la juge Karakatsanis, et soit dit avec égards, je suis d’avis d’accueillir la requête en cassation de l’appel présentée par l’intimé.

[6]                              Ma collègue écrit ce qui suit :

                    . . . les juges majoritaires [de la Cour d’appel] ont conclu que, dans les circonstances de l’espèce, le juge du procès était tenu de se mettre en garde contre les dangers d’une déclaration de culpabilité, car le témoignage de la plaignante portait sur des faits qui datent d’un passé lointain, comportait diverses faiblesses et n’était pas corroboré alors qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à l’existence d’une preuve confirmatoire, et que, en conséquence, son omission de le faire constituait une erreur de droit.  [Italiques ajoutés; par. 2]

[7]                              J’ai trois observations à cet égard.

[8]                              Premièrement, je ne puis trouver dans les motifs des juges majoritaires aucune affirmation — expresse ou implicite — que le juge du procès était tenu en droit de se mettre en garde contre les dangers que mentionne ma collègue.

[9]                              S’exprimant au nom des juges majoritaires, le juge Blair a plutôt simplement qualifié de [traduction] « judicieuse » « l’idée que les juges du procès devraient envisager le “besoin de se mettre en garde contre les faiblesses du témoignage concernant des faits qui datent d’un passé lointain” [. . .] et ce pour toutes les raisons résumées dans McGrath » (2012 ONCA 117, 288 O.A.C. 164, par. 41; citant R. c. McGrath, [2000] O.J. No. 5735 (QL) (C.S.J.), par. 11‑15 (italiques ajoutés)).

[10]                          En outre, nul ne conteste que les facteurs qu’énonce ma collègue sont tous présents en l’espèce.  Et je suis d’accord avec le juge Blair pour dire qu’il est judicieux pour les juges du procès [traduction] « denvisager le besoin de se mettre en garde » contre les faiblesses du témoignage dans les cas où ces facteurs sont également présents.

[11]                          Deuxièmement, les motifs du juge Laskin, le juge dissident en Cour d’appel, ne laissent aucunement entendre qu’il ne partageait pas l’avis de la majorité sur ce point.  Au contraire, le juge Laskin estimait qu’il peut être judicieux pour les juges du procès d’envisager le besoin de se mettre en garde dans de tels cas, mais il a ajouté qu’ils ne sont pas tenus en droit de le faire expressément (par. 70‑71).

[12]                          Le juge Blair n’a pas dit qu’ils étaient tenus de le faire.  Comme nous l’avons vu, il a plutôt simplement estimé qu’il était logique ou prudent — il a employé le terme [traduction] « judicieux » — pour les juges du procès d’envisager le besoin d’une mise en garde de la sorte.  Il a alors pris soin d’ajouter que « [c]haque cas dépendra des circonstances qui lui sont propres », et a indiqué clairement qu’il « ne voulait pas dire qu’il faut nécessairement donner un genre de directive formelle » (par. 41).

[13]                          La déclaration du juge Blair qui en découle confirme, selon moi, que de l’avis des juges majoritaires de la cour d’appel, une mise en garde expresse n’était pas requise en droit, même si les facteurs que mentionne la juge Karakatsanis sont présents, ce qui est le cas en l’espèce.

[14]                          Ce qui est requis, selon les juges de la majorité, c’est que [traduction] « les motifs du juge du procès devraient démontrer qu’il est conscient des faiblesses du témoignage et des risques qu’il comporte, ainsi que de la nécessité d’examiner le témoignage avec un soin minutieux » — et, même alors, seulement « [s]’il existe [. . .] des raisons objectives d’examiner soigneusement la fiabilité d’un témoin dont la déposition est indispensable pour établir la culpabilité » (par. 41 (italiques ajoutés)).

[15]                          C’était le cas en l’espèce, selon le juge Blair, et cela s’appliquait également [traduction] « dans ce type d’affaire de façon générale » (par. 41).

[16]                          Avec égards, suivant une interprétation objective de ces extraits, je ne puis être d’accord avec la juge Karakatsanis pour dire que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu que le juge du procès était tenu en droit « de se mettre en garde contre les dangers d’une déclaration de culpabilité, car le témoignage de la plaignante portait sur des faits qui datent d’un passé lointain, comportait diverses faiblesses et n’était pas corroboré alors qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à l’existence d’une preuve confirmatoire ».

[17]                          Troisièmement, une observation elle-même décisive de l’issue de l’appel : la dissidence du juge Laskin ne reposait pas sur son désaccord, réel ou imputé, avec les motifs des juges majoritaires concernant la mise en garde que s’est faite le juge du procès en l’espèce, ou la mise en garde que se font les juges du procès de façon générale dans les affaires de ce genre.  C’est ce qui ressort de l’ordonnance de la Cour d’appel et, peut‑être de façon plus significative, des motifs du juge Laskin.

[18]                          Selon l’ordonnance :

                               [traduction] LA COUR ORDONNE que l’appel soit accueilli et qu’un nouveau procès soit ordonné.

 

                               L’HONORABLE JUGE LASKIN, DISSIDENT, A CONCLU que le juge du procès n’a pas commis d’erreur en appréciant comme il l’a fait la fiabilité du témoignage de la [plaignante].  Il a estimé en outre que le juge du procès n’a pas conclu à tort que, si on l’évalue par rapport au témoignage de la plaignante, l’absence de documents de la police ou de l’école confirmant le témoignage de [cette dernière] selon lequel elle avait signalé les agressions sexuelles ne soulevait pas un doute raisonnable.  Par conséquent, il aurait rejeté l’appel.  [d.a., vol. I, p. 106]

[19]                          L’ordonnance de la Cour d’appel est entièrement conforme aux motifs qu’a expressément donnés le juge Laskin pour se dissocier des juges majoritaires.  Il énonce en ces termes les motifs de sa dissidence :

                            [traduction] J’ai pris connaissance des motifs de mon collègue, le juge Blair.  Il est d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler les déclarations de culpabilité et d’ordonner un nouveau procès, et ce pour deux raisons.  Premièrement, il conclut que le juge du procès n’a pas apprécié correctement la fiabilité du témoignage de la plaignante.  Deuxièmement, il conclut que le juge du procès ne s’est pas demandé si l’absence de preuve documentaire qui aurait pu corroborer le témoignage de la plaignante soulevait un doute raisonnable.

 

                            Avec égards, je ne puis souscrire à ces deux conclusions.  Tout au long de ses motifs élaborés, le juge du procès a examiné non seulement la crédibilité, mais aussi la fiabilité du témoignage de la plaignante.  En fait, c’est ce qu’il a fait expressément à quelques reprises.  Il a examiné diverses questions au sujet du témoignage de la plaignante qui touchaient l’exactitude de la preuve offerte.  Et, ce qui est peut‑être plus important, il a estimé qu’il serait imprudent de se prononcer relativement à deux des incidents d’agression sexuelle allégués et il a écarté le témoignage de la plaignante relatif à ces incidents.  Il l’a fait non pas parce qu’il estimait que son témoignage n’était pas crédible, mais parce qu’il estimait que son témoignage au sujet de ces deux incidents n’était pas suffisamment fiable.

 

                         Le juge du procès a également pris en compte l’effet qu’a pu avoir l’absence de documents de la police et de l’école, mais il est demeuré convaincu hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’appelant en se fondant sur le témoignage de la plaignante.  Cette décision lui appartenait.  Je suis d’avis de rejeter l’appel.  [par. 64‑66]

[20]                          Ni l’ordonnance de la Cour d’appel, ni les motifs du juge Laskin ne peuvent appuyer la prétention du ministère public que ce pourvoi soulève une question de droit.  Les motifs de dissidence du juge Laskin soulèvent des questions de fait ou, au mieux, des questions mixtes de fait et de droit.

[21]                          Selon l’al. 693(1) a) du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , le ministère public peut uniquement interjeter appel à notre Cour « sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d’appel est dissident », ce qui n’est manifestement pas le cas en l’espèce.

[22]                          Avec égards pour ceux qui sont d’avis contraire, je casserais l’appel pour défaut de compétence.

                    Pourvoi accueilli, le juge Fish est dissident.

                    Procureur de l’appelante : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

                    Procureurs de l’intimé : Rusonik, O’Connor, Robbins, Ross, Gorham & Angelini, Toronto.

 

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