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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Colombie-Britannique (Forêts) c. Teal Cedar Products Ltd., 2013 CSC 51, [2013] 3 R.C.S. 301

Date : 20131004

Dossier : 34769

 

Entre :

Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique,

représentée par le ministère des Forêts

Appelante

et

Teal Cedar Products Ltd.

Intimée

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : Les juges LeBel, Fish, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 41)

Le juge Rothstein (avec l’accord des juges LeBel, Fish, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner)


 

Colombie-Britannique (Forêts) c. Teal Cedar Products Ltd., 2013 CSC 51, [2013] 3 R.C.S. 301

Sa Majesté la Reine du chef de la province de la

Colombie‑Britannique, représentée par le ministère des Forêts                Appelante

c.

Teal Cedar Products Ltd.                                                                                  Intimée

Répertorié : Colombie‑Britannique (Forêts) c. Teal Cedar Products Ltd.

2013 CSC 51

No du greffe : 34769.

2013 : 21 mars; 2013 : 4 octobre.

Présents : Les juges LeBel, Fish, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

                    Arbitrage — Intérêts — Expropriation — Réduction par la province de la coupe annuelle autorisée d’une entreprise forestière pour créer un parc — Indemnité demandée par l’entreprise forestière pour l’expropriation partielle — Intérêts composés accordés par l’arbitre à l’entreprise forestière pour la période allant de la date à laquelle la province a réduit la coupe annuelle autorisée jusqu’à celle de la sentence arbitrale — L’arbitre pouvait‑il accorder des intérêts composés ou uniquement des intérêts simples? — Commercial Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, ch. 55, art. 28 — Court Order Interest Act, R.S.B.C. 1996, ch. 79, art. 1.

                    T, une entreprise forestière, détenait un permis l’autorisant à récolter dans la province de Colombie-Britannique une certaine quantité de bois, ce qu’on appelle une coupe annuelle autorisée.  Lorsque la province a réduit la coupe annuelle autorisée de T pour créer un parc, T a intenté contre la province, en vertu de la Forest Act de cette dernière, une action en justice dans laquelle elle demandait à être indemnisée pour l’expropriation partielle.  Si les parties ne pouvaient pas s’entendre sur l’indemnité appropriée, la Forest Act prévoyait que le différend devait être réglé par voie d’arbitrage conformément à la Commercial Arbitration Act (« CAA »).  En l’espèce, l’arbitre a accordé à T plus de 6,3 millions de dollars, y compris plus de 2,2 millions de dollars en intérêts composés annuellement, pour la période allant de la date à laquelle la province a réduit la coupe annuelle autorisée jusqu’à celle de la sentence.  En appel, le juge a confirmé la décision de l’arbitre d’accorder des intérêts composés.  La Cour d’appel a rejeté la demande d’autorisation d’appel supplémentaire présentée par la province en vertu de l’art. 31 de la CAA quant à la question des intérêts composés.

                    Arrêt : Le pourvoi est accueilli.

                    Les arbitres qui agissent en vertu de l’art. 28 de la CAA ne peuvent accorder des intérêts composés, étant donné que l’art. 1 de la Court Order Interest Act (« COIA ») précise que les condamnations pécuniaires sont majorées uniquement d’intérêts simples.  Bien que l’art. 28 de la CAA n’assimile pas expressément l’arbitre à une cour, c’est la conclusion qui ressort, par implication nécessaire, des termes de la disposition précisant qu’une somme dont le paiement est ordonné par une sentence arbitrale constitue « une condamnation pécuniaire prononcée par une cour de justice ».  Compte tenu de son sens ordinaire et de son historique législatif, l’art. 28 de la CAA oblige les arbitres à appliquer les dispositions de la COIA.  Il ne fait aucun doute que l’attribution d’intérêts composés constitue une façon plus précise d’indemniser les parties pour la valeur temporelle de l’argent.  Toutefois, la législature n’a pas encore modifié la COIA et levé l’interdiction d’accorder des intérêts sur les intérêts, de sorte que l’attribution d’intérêts simples demeure la règle devant les tribunaux de la Colombie‑Britannique.

                    Les arbitres ne peuvent pas non plus inclure des intérêts composés dans l’indemnité elle‑même.  S’ils en avaient le pouvoir, il y aurait double indemnisation, parce que l’application de l’art. 28 de la CAA aurait alors pour effet d’ajouter des intérêts à une indemnité qui en comprend déjà.  Dans la mesure où la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a inclus les intérêts composés en tant que partie intégrante de la sentence arbitrale dans McKechnie, cet arrêt ne doit plus être considéré comme une règle de droit valable. 

                    Bien que les tribunaux présument que le législateur entend indemniser intégralement les intéressés en cas d’expropriation, cette présomption peut être réfutée s’il existe des dispositions législatives démontrant l’intention contraire du législateur.  Suivant l’art. 28 de la CAA, seuls des intérêts simples peuvent être accordés sur la somme dont le paiement est ordonné par une sentence arbitrale.  Il ressort de cette disposition que le législateur n’entendait pas que des intérêts composés puissent être inclus en tant qu’aspect de l’indemnisation intégrale dans un cas comme celui qui nous occupe. 

                    Enfin, dans le présent pourvoi, l’arbitre n’avait pas le pouvoir de tenir compte des moyens d’attribution des intérêts composés reposant sur l’equity.  Suivant l’art. 23 de la CAA, l’arbitre ne peut considérer ces moyens que si les parties en ont expressément convenu, ce que n’ont pas fait T et la province en l’espèce.

Jurisprudence

                    Arrêt désapprouvé : McKechnie c. McKechnie, 2005 BCCA 570, 47 B.C.L.R. (4th) 228; distinction d’avec l’arrêt : Morriss c. British Columbia, 2007 BCCA 337, 69 B.C.L.R. (4th) 1; arrêts mentionnés :  Hongkong Bank of Can. c. Touche Ross & Co. (1989), 36 B.C.L.R. (2d) 381; R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61; Irving Oil Co. c. The King, [1946] R.C.S. 551; Inglewood Pulp and Paper Co. c. New Brunswick Electric Power Commission, [1928] A.C. 492; British Pacific Properties Ltd. c. Minister of Highways and Public Works, [1980] 2 R.C.S. 283.

Lois et règlements cités

Commercial Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, ch. 55, art. 22, 23, 28, 29.

Court Order Interest Act, R.S.B.C. 1996, ch. 79, art. 1, 2, 7(2).

Expropriation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 125.

Forest Act, R.S.B.C. 1996, ch. 157, art. 60 [abr. S.B.C. 2004, ch. 36, art. 38].

Protected Areas Forests Compensation Act, S.B.C. 2002, ch. 51, art. 7.

Doctrine et autres documents cités

British Columbia International Commercial Arbitration Centre.  Domestic Commercial Arbitration Rules of Procedure.  Vancouver : The Centre, 1998, Rule 37 (online : www.bcicac.com/arbitration/rules-of-procedure/domestic-commercial-arbitration-rules-of-procedure).

Colombie-Britannique.  Law Reform Commission.  Report on Arbitration.  Vancouver : The Commission, 1982.

Colombie-Britannique.  Law Reform Commission.  Report on the Court Order Interest Act.  Vancouver : The Commission, 1987.

Sullivan, Ruth.  Sullivan on the Construction of Statutes, 5th ed.  Markham, Ont. : LexisNexis, 2008.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Saunders, Levine et Hinkson), 2012 BCCA 70, 29 B.C.L.R. (5th) 330, 317 B.C.A.C. 97, [2012] 6 W.W.R. 629, 105 L.C.R. 1, [2012] B.C.J. No. 275 (QL), 2012 CarswellBC 309, qui a infirmé en partie une décision du juge Macaulay, 2011 BCSC 360, 23 B.C.L.R. (5th) 144, 103 L.C.R. 124, [2011] B.C.J. No. 497 (QL), 2011 CarswellBC 651, confirmant en partie une sentence arbitrale.  Pourvoi accueilli.

                    Karen A. Horsman, Barbara A. Carmichael et Johnny Van Camp, pour l’appelante.

                    John J. L. Hunter, c.r., et K. Michael Stephens, pour l’intimée.

                    Version française du jugement de la Cour rendu par

                    Le juge Rothstein —

I.     Introduction

[1]                              Les parties au présent pourvoi demandent à notre Cour de décider si l’arbitre qui rend une sentence en application de la Commercial Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, ch. 55 (« CAA »), maintenant la Arbitration Act, peut accorder des intérêts composés ou uniquement des intérêts simples sur la somme dont sa sentence ordonne le paiement.  Pour les motifs qui suivent, je conclus que les arbitres agissant en vertu de la CAA ne peuvent accorder des intérêts composés.  En conséquence, j’accueillerais le pourvoi.

II.    Les faits

[2]                              Teal Cedar Products Ltd. (« Teal ») est une entreprise forestière établie en Colombie‑Britannique (la « Province »).  Elle détenait un permis d’exploitation forestière l’autorisant à récolter du bois dans une zone déterminée de la Province, y compris le droit de couper une certaine quantité de bois, ce qu’on appelle une coupe annuelle autorisée.  En 1999, à la suite de la création d’un parc provincial, la Province a réduit la coupe annuelle autorisée de Teal.  En 2001, cette dernière a intenté contre la Province une action en justice dans laquelle elle demandait à être indemnisée pour cette expropriation partielle.

[3]                              En 2002, la Province a adopté une loi rétroactive, la Protected Areas Forests Compensation Act, S.B.C. 2002, ch. 51 (« PAFCA »), qui a restreint la possibilité pour les entreprises forestières d’obtenir une indemnité lorsque la réduction de leur coupe annuelle autorisée résulte de la création d’un parc provincial.  La PAFCA précisait que de telles réductions ne constituaient pas une expropriation au sens de l’Expropriation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 125 (par. 7(3)).  La PAFCA obligeait Teal à demander une indemnité pour la réduction de sa coupe annuelle autorisée en vertu de l’art. 60 de la Forest Act, R.S.B.C. 1996, ch. 157, suivant la version de la Forest Act qui était en vigueur au moment de la réduction (par. 7(1)).  Dans l’éventualité où les parties ne pourraient s’entendre sur l’indemnité appropriée, le par. 60(7) de la Forest Act en vigueur à l’époque de la perte de Teal prévoyait que le différend devait être réglé par voie d’arbitrage conformément à la CAA.  (Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites dans l’annexe.)

[4]                              En conséquence, le différend opposant Teal à la Province a été soumis à l’arbitrage en vertu de la CAA, et des motifs provisoires et définitifs ont été déposés en 2010.  L’arbitre a accordé à Teal la somme de 6 350 000 dollars ainsi que les dépens.  La somme accordée dans la sentence arbitrale incluait des intérêts, calculés au taux préférentiel, composés annuellement, pour la période allant de la date de la réduction de la coupe annuelle autorisée en 1999 jusqu’à celle de la sentence, soit une somme s’élevant à plus de 2,2 millions de dollars.  L’arbitre a conclu que des intérêts composés pouvaient être accordés, parce qu’ils n’étaient pas [traduction] « interdits par la loi » (décision provisoire, par. 268 (d.a., p. 183)).  Bien que d’autres questions aient été soulevées dans le cadre de cet arbitrage et devant les tribunaux inférieurs, la validité de la décision accordant des intérêts composés demeure la seule question litigieuse devant notre Cour.

III.  Historique judiciaire

A.    Cour suprême de la Colombie‑Britannique, 2011 BCSC 360, 23 B.C.L.R. (5th) 144

[5]                              Teal et la Province ont toutes les deux demandé, conformément à la CAA, l’autorisation d’appeler à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique relativement à certaines questions de droit soulevées par la sentence arbitrale.  La question pertinente dans le présent pourvoi est la contestation par la Province de la décision de l’arbitre accordant à Teal des intérêts composés plutôt que des intérêts simples.  La Province a plaidé que le paiement d’intérêts composés était prohibé par la Court Order Interest Act, R.S.B.C. 1996, ch. 79 (« COIA »), laquelle est incorporée à la CAA par l’art. 28 de cette loi.  Le juge Macaulay a confirmé la décision de l’arbitre d’accorder des intérêts composés.  Il a fondé sa conclusion à la fois sur le fait qu’aucune disposition législative n’interdit d’inclure des intérêts composés en tant que partie intégrante de l’indemnité accordée au lieu d’ordonner qu’ils soient payés sur le montant de cette indemnité, et sur des décisions antérieures appuyant cette conclusion.  En particulier, le juge Macaulay a invoqué l’arrêt McKechnie c. McKechnie, 2005 BCCA 570, 47 B.C.L.R. (4th) 228 (où des intérêts composés avaient été inclus en tant que partie intégrante de l’indemnité accordée en vertu de la CAA), et l’arrêt Morriss c. British Columbia, 2007 BCCA 337, 69 B.C.L.R. (4th) 1 (où de tels intérêts avaient été accordés en tant qu’élément de l’indemnité dans une affaire d’expropriation à laquelle ne s’appliquait pas l’Expropriation Act).

B.    Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, 2012 BCCA 70, 29 B.C.L.R. (5th) 330

[6]                              La Cour d’appel a conclu que ses arrêts dans les affaires McKechnie et Morriss s’appliquaient et avaient un caractère obligatoire quant à la question des intérêts composés, refusant en conséquence l’autorisation d’appel de la Province.  Elle a jugé qu’il n’était pas opportun de revoir l’arrêt Morriss, puisqu’il s’agissait d’une affaire récente, où la décision des juges majoritaires était amplement motivée et basée sur l’ensemble de la jurisprudence pertinente.  La Cour d’appel a souligné que la Province [traduction] « dispose bien entendu de la possibilité d’intervenir par voie législative si elle souhaite agir » (par. 59).

IV.  Analyse

[7]                              La seule question à résoudre en l’espèce est de savoir si l’arbitre avait le pouvoir d’accorder à Teal des intérêts composés, plutôt que des intérêts simples, afin d’indemniser cette entreprise pour la période écoulée entre la perte de ses droits de récolte du bois et le moment de la sentence arbitrale.  Bien que Teal ait fait valoir un certain nombre de moyens différents au soutien de son argument selon lequel des intérêts composés peuvent être accordés, le régime législatif ne permet pas selon moi à l’arbitre de le faire.  Pour arriver à cette conclusion, j’ai considéré la COIA ainsi que son interaction avec la CAA, facteurs qui, à mon avis, déterminent l’issue du présent pourvoi.  J’ai aussi examiné les arguments fondés sur le principe de l’indemnisation intégrale en cas d’expropriations et sur la question de savoir si les sentences arbitrales accordant des intérêts composés peuvent, malgré la COIA, être basées sur l’equity.  Ni le principe de l’indemnisation intégrale en cas d’expropriation, ni aucune règle d’equity n’autorisent l’attribution d’intérêts composés en l’espèce.

A.    Application de la COIA

[8]                              La COIA compte deux parties : l’une porte sur les intérêts avant jugement, l’autre sur les intérêts postérieurs au jugement.  Les premiers indemnisent le demandeur pour la période qui s’écoule de la naissance de la cause d’action jusqu’à la date à laquelle la cour ordonne par jugement le paiement de la somme due : COIA, par. 1(1).  Les seconds l’indemnisent pour la période allant de la date du prononcé du jugement ou de celle à laquelle la somme est payable aux termes du jugement, si cette date est postérieure, jusqu’à la date à laquelle la somme est payée : COIA, par. 7(2).  Dans les deux cas, l’attribution d’intérêts composés est interdite : al. 2(c) (intérêts avant jugement) et par. 7(2) (intérêts postérieurs au jugement).

[9]                              Les dispositions de la COIA en matière d’intérêts ont un caractère impératif : [traduction] « . . . la cour doit ajouter à une condamnation pécuniaire des intérêts » (par. 1(1), intérêts avant jugement) et « [u]ne condamnation pécuniaire produit des intérêts simples » (par. 7(2), intérêts postérieurs au jugement).  Toutefois, si les parties se sont entendues sur la question des intérêts, la cour ne doit pas accorder d’intérêts avant jugement en application de l’art. 1 (al. 2(b)).

[10]                          Il ne fait aucun doute que l’attribution d’intérêts composés constitue une façon plus précise d’indemniser les parties pour la valeur temporelle de l’argent.  D’ailleurs, la commission de réforme du droit de la Colombie‑Britannique a recommandé la suppression de l’interdiction visant les intérêts composés dans son rapport daté de 1987 et intitulé Report on the Court Order Interest Act, p. 31‑32.  Toutefois, la législature n’a pas encore modifié la COIA et levé l’interdiction d’accorder des intérêts sur les intérêts, de sorte que, malgré ses défauts, l’attribution d’intérêts simples demeure la règle devant les tribunaux de la Colombie‑Britannique.

B.    Interprétation de l’interaction entre la COIA et la CAA

[11]                          Conformément à la Forest Act, le différend opposant Teal et la Province devait être réglé par voie d’arbitrage sous le régime de la CAA.  La COIA ne s’applique pas directement aux arbitrages régis par la CAA.  La CAA dispose plutôt que la COIA s’applique en précisant que [traduction] « la somme dont le paiement est ordonné par une sentence arbitrale constitue une condamnation pécuniaire prononcée par une cour de justice » (art. 28).  L’interaction de ces deux lois est essentielle pour bien comprendre le droit de Teal de recevoir des intérêts.  Pour interpréter ces lois, je vais d’abord examiner le sens ordinaire de l’art. 28 de la CAA à la lumière de l’historique législatif de cette disposition.  À mon avis, il ressort de cette analyse que seuls des intérêts simples peuvent être ajoutés à la somme dont une sentence arbitrale ordonne le paiement.  Je vais ensuite considérer l’interprétation de la CAA proposée par Teal et selon laquelle il serait permis d’inclure des intérêts composés en tant que partie intégrante de l’indemnité accordée par une sentence arbitrale.  À mon humble avis, cette interprétation ne résiste pas à l’analyse.

                       (1)   Le sens ordinaire de l’art. 28 de la CAA

[12]                          L’article 28 de la CAA incorpore à cette dernière les dispositions de la COIA :

                    [traduction]  Pour l’application de la Court Order Interest Act et de la Loi sur l’intérêt  (Canada) , la somme dont le paiement est ordonné par une sentence arbitrale constitue une condamnation pécuniaire prononcée par une cour de justice.

Selon moi, l’effet de cette disposition, interprétée à la lumière de son historique législatif, est d’assimiler les sentences arbitrales à des décisions judiciaires régies par les dispositions de la COIA, de telle sorte que seuls des intérêts simples peuvent majorer la somme accordée par la sentence.

[13]                          Comme il a été expliqué plus tôt, l’art. 1 de la COIA oblige les tribunaux judiciaires à ajouter des intérêts à une condamnation pécuniaire.  Selon l’art. 28 de la CAA, la somme dont une sentence arbitrale ordonne le paiement est assimilée à une condamnation pécuniaire prononcée par une cour de justice.  En raison de cette règle d’assimilation, les arbitres doivent appliquer les dispositions de la COIA.  Puisque, par l’effet de la COIA, ce sont des intérêts simples — et non des intérêts composés — qui sont ajoutés aux condamnations pécuniaires prononcées par les cours de justice, il découle du sens ordinaire de l’art. 28 que des intérêts simples, et non des intérêts composés, doivent être ajoutés à la somme accordée par la sentence.

[14]                          Cette conclusion est appuyée par l’historique législatif.  En 1982, la commission de réforme du droit de la Colombie‑Britannique a publié un rapport sur l’arbitrage dans lequel elle a dit ce qui suit :

                            [traduction]  Nous avons conclu qu’un arbitre ne devrait pas disposer du pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non des intérêts, et que toutes les sentences devraient automatiquement porter intérêts de la même manière qu’une somme due en vertu d’un jugement, ce qui comprendrait à la fois des intérêts postérieurs au jugement et des intérêts avant jugement.  [Je souligne.]

(Report on Arbitration, p. 51)

Comme je l’ai expliqué précédemment, la COIA précise que les condamnations pécuniaires prononcées par les cours de justice de la Colombie‑Britannique sont majorées d’intérêts simples, tant avant le jugement que postérieurement à celui‑ci.  Si les sentences arbitrales doivent porter intérêts de la même manière qu’une somme due en vertu d’un jugement — solution qu’a recommandée la commission —, la somme dont une sentence arbitrale ordonne le paiement doit donc elle aussi être majorée d’intérêts simples, tant avant la sentence que postérieurement à celle‑ci.

[15]                          La recommandation de la commission était motivée par la crainte que, en l’absence dans la loi pertinente de pouvoir autorisant les arbitres agissant sous le régime de cette loi à accorder des intérêts, ces derniers ne seraient peut‑être pas habilités à ordonner le paiement d’intérêts : Report on Arbitration, p. 50.  Au soutien de ses recommandations, la commission a proposé une loi type sur l’arbitrage.  Cette loi type comprenait une disposition pratiquement identique à l’art. 28 de la CAA.  Dans les notes accompagnant l’article proposé sur les intérêts, la commission a affirmé que cette disposition visait à donner effet à la recommandation suggérant de suivre, en matière d’intérêts sur les sommes accordées par arbitrage, la règle applicable aux intérêts sur les sommes accordées par jugement : p. 51.  En conséquence, il apparaît que, en édictant l’art. 28 de la CAA, la législature a adopté la recommandation de la commission selon laquelle les décisions judiciaires et les sentences arbitrales devaient être considérées sur un pied d’égalité relativement aux intérêts prévus par la COIA.

[16]                          Compte tenu du sens ordinaire de l’art. 28 de la CAA et de son historique législatif, cette disposition a pour effet d’obliger les arbitres à appliquer les dispositions de la COIA.  Sous réserve des exceptions mentionnées aux al. 2(a), (b), (d) et (e) de la COIA, les arbitres qui agissent en vertu de la CAA ne peuvent accorder des intérêts composés sur la somme dont une sentence ordonne le paiement, étant donné que le pouvoir d’accorder des intérêts est limité par la COIA, laquelle prévoit uniquement des intérêts simples pour les périodes antérieures et postérieures à la sentence.

                       (2)   L’interprétation de l’article 28 proposée par Teal

[17]                          Teal plaide qu’il est possible pour les arbitres d’inclure des intérêts composés en tant que partie intégrante de l’indemnité plutôt que d’accorder de tels intérêts en sus de celle‑ci.  En avançant cet argument, Teal adopte essentiellement le raisonnement formulé dans McKechnie.  Selon Teal, cette possibilité existe parce que les termes utilisés à l’art. 28 de la CAA sont « a sum directed to be paid by an award » ([traduction] « la somme dont le paiement est ordonné par une sentence arbitrale »), et que la CAA n’empêche pas un arbitre d’inclure des intérêts composés en tant que partie intégrante de cette somme.  Il s’agit là de l’interprétation qu’a retenue la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans McKechnie pour conclure que l’art. 28 de la CAA n’empêchait pas les arbitres d’accorder une indemnité incluant des intérêts composés.

[18]                          Je ne puis souscrire à cette interprétation de la CAA. L’article 1 de la COIA est formulé dans des termes analogues à ceux de l’art. 28 : « . . . a court must add to a pecuniary judgment an amount of interest calculated on the amount ordered to be paid » ([traduction] « la cour doit ajouter à une condamnation pécuniaire des intérêts calculés sur le montant dont le paiement est ordonné »).  Selon l’interprétation qui a été donnée à l’expression « amount ordered to be paid » (« montant dont le paiement est ordonné ») employée dans la COIA, cette somme se limite uniquement au principal de la condamnation pécuniaire : Hongkong Bank of Can. c. Touche Ross & Co. (1989), 36 B.C.L.R. (2d) 381 (C.A.), p. 391.

[19]                          Le libellé de la COIA est très semblable à celui de la CAA : « amount ordered to be paid » (COIA) et « sum directed to be paid » (CAA).  Si les mots « a sum directed to be paid » utilisés à l’art. 28 de la CAA permettaient d’inclure des intérêts dans l’indemnité originale, une telle interprétation devrait donc apparemment s’appliquer au par. 1(1) de la COIA, vu la similitude des libellés.  Il s’ensuivrait que les tribunaux pourraient inclure des intérêts, y compris des intérêts composés, dans la condamnation pécuniaire.  Cette interprétation contrecarrerait l’objet des dispositions de la COIA relatives aux intérêts avant jugement, puisqu’elle permettrait aux décideurs d’accorder des intérêts composés malgré le fait que l’al. 2(c) interdit d’attribuer des intérêts sur l’intérêt.

[20]                          Si des intérêts pouvaient être inclus dans la somme dont le paiement est ordonné par une sentence arbitrale, il y aurait double indemnisation au titre des intérêts, parce que l’application de l’art. 28 de la CAA aurait alors pour effet d’ajouter des intérêts à une indemnité en incluant déjà.  Bien que l’al. 2(c) de la COIA empêcherait que l’on accorde des intérêts en sus de la portion intérêts de l’indemnité, il y aurait quand même double indemnisation du fait que des intérêts seraient payables deux fois sur la portion principale de l’indemnité : une fois à la suite de l’inclusion des intérêts dans l’indemnité et une fois par l’effet de l’art. 28 de la CAA.  Un tel résultat est indéfendable.  D’ailleurs, c’est cette crainte de double indemnisation qui a amené la juge Saunders à exprimer sa dissidence dans Morriss, lorsque la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a conclu à l’existence d’un fondement en equity justifiant d’accorder des intérêts composés dans les affaires d’expropriation non régies par l’Expropriation Act (par. 48).

                       a)     Arguments de Teal sur la manière d’éviter la double indemnisation

[21]                          Cependant, Teal plaide que l’adoption d’une interprétation plus restrictive de l’art. 28 de la CAA permettrait d’éviter la double indemnisation.  Elle a proposé à cette fin deux interprétations différentes de l’art. 28, mais aucune d’elles ne repose sur une interprétation défendable de l’art. 28 de la CAA.

[22]                          Premièrement, Teal a fait valoir dans son mémoire que l’art. 28 de la CAA a pour effet d’imposer les dispositions de la COIA relatives aux intérêts postérieurs au jugement uniquement à l’égard des sommes dont le paiement est ordonné par une sentence arbitrale.  Toutefois, comme l’a souligné la Province à l’audience, cela voudrait dire que l’art. 28 n’a eu aucune utilité pendant la période de six ans qui s’est écoulée de la date de l’édiction de la CAA en 1986 jusqu’à celle où les dispositions de la COIA relatives aux intérêts postérieurs au jugement sont finalement entrées en vigueur en 1992.  Si l’on retenait l’argument de Teal selon lequel l’art. 28 ne s’appliquait pas aux dispositions de la COIA relatives aux intérêts avant jugement, l’art. 28 aurait été sans objet pendant ces six années, puisque seules étaient en vigueur les dispositions de la COIA relatives aux intérêts avant jugement, les dispositions auxquelles l’art. 28 n’était pas censé s’appliquer suivant Teal. 

[23]                          Si le législateur avait eu l’intention de limiter l’application de l’art. 28 de la CAA aux dispositions de la COIA relatives aux intérêts postérieurs au jugement, il aurait pu le dire expressément.  Or, le texte de la disposition ne renferme aucune restriction en ce sens.  À mon avis, il est impossible de considérer que l’art. 28 s’applique uniquement aux intérêts postérieurs au jugement.

[24]                          Deuxièmement, au cours des plaidoiries, Teal a présenté une interprétation différente de l’art. 28 qui permettrait d’une part d’appliquer aux sentences arbitrales à la fois les dispositions relatives aux intérêts avant jugement et celles relatives aux intérêts postérieurs au jugement, mais qui limiterait d’autre part l’application des premières à la période allant du prononcé de la sentence arbitrale à la date où une cour de justice inscrit les modalités de la sentence en tant que jugement dans le cadre d’une procédure d’exécution fondée sur l’art. 29 de la CAA.  Teal a plaidé que, comme l’art. 1 de la COIA précise que les intérêts courent à compter du moment où la cause d’action a pris naissance, dans le cas d’une sentence arbitrale, cet article ne s’appliquerait qu’à la période qui suit le prononcé de la sentence, étant donné que la sentence arbitrale elle‑même constitue la « cause d’action ».

[25]                          Sur la base de cette hypothèse, le double paiement d’intérêt serait évité, puisque l’arbitre aurait le pouvoir d’accorder des intérêts à compter de la date des faits à l’origine du litige jusqu’à celle de la sentence (des intérêts composés ou simples, à la discrétion de l’arbitre).  Une cour de justice aurait alors le pouvoir d’accorder des intérêts à compter de la date de la sentence jusqu’à celle de son inscription en tant que jugement dans le cadre d’une procédure d’exécution (intérêts simples avant jugement) ainsi que des intérêts à compter de l’inscription de la sentence en tant que jugement dans le cadre d’une procédure d’exécution jusqu’au moment où la somme due est payée (intérêts simples postérieurs au jugement).

[26]                          Une telle approche soulève deux difficultés.  Premièrement, elle repose sur une interprétation artificielle et forcée de l’expression « cause d’action » dans le contexte d’un arbitrage fondé sur la CAA.  En effet, la sentence arbitrale est le résultat du règlement de la cause d’action et rien ne tend à indiquer que la sentence elle‑même donne naissance à une nouvelle cause d’action.

[27]                          Deuxièmement, l’interprétation proposée par Teal ne tient pas compte du fait que l’art. 28 assimile la somme dont le paiement est ordonné par une sentence arbitrale à une condamnation pécuniaire prononcée par une cour de justice.  L’application de l’art. 28 de la CAA ne requiert pas qu’une partie s’adresse aux tribunaux pour faire exécuter la sentence — la somme dont le paiement est ordonné par la sentence constitue, en vertu de cette disposition, une condamnation pécuniaire prononcée par une cour de justice, et ce, que des mesures d’exécution soient prises ou non.  Voilà le sens ordinaire de l’art. 28.  Le texte de cet article n’exige pas la prise de mesures d’exécution fondées sur l’art. 29 de la CAA pour que les dispositions relatives aux intérêts produisent leurs effets.

[28]                          Aux termes de l’art. 29, la cour de justice inscrit un [traduction] « jugement [. . .] suivant les modalités de la sentence ».  Un jugement rendu par une cour de justice constitue déjà un jugement et il n’est aucunement nécessaire d’invoquer l’art. 28 pour qu’il soit de nouveau assimilé à « une condamnation pécuniaire prononcée par une cour de justice ».  Mais c’est pourtant ce qu’aurait pour effet d’exiger l’interprétation proposée par Teal, ce qui rendrait l’art. 28 dénué de sens.  Suivant un principe d’interprétation législative reconnu, une disposition législative ne doit pas être interprétée de façon telle qu’elle devienne [traduction] « superfétatoire » : R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5éd. 2008), p. 210, se référant à R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, par. 28, le juge en chef Lamer. 

                       b)    Absence de disposition assimilant l’arbitre à une cour de justice

[29]                          Teal prétend qu’il faut retenir une des interprétations qu’elle propose, car le par. 1(1) de la COIA impose l’obligation d’accorder des intérêts uniquement à une « cour de justice » et non à un arbitre.  Elle affirme que l’art. 28 n’a pas pour effet d’assimiler l’arbitre à une cour de justice.  Bien que Teal ait indubitablement raison de dire que l’art. 28 de la CAA n’assimile pas expressément les arbitres à une cour de justice, il me semble néanmoins que c’est la conclusion qui ressort, par implication nécessaire, des termes de la disposition précisant qu’une somme dont le paiement est ordonné par une sentence arbitrale constitue [traduction] « une condamnation pécuniaire prononcée par une cour de justice ».

[30]                          L’article 28 de la CAA est le fondement législatif prévoyant que les sommes dont le paiement est ordonné par une sentence arbitrale portent intérêts.  Sauf en vertu de l’art. 28, les arbitres qui agissent sous le régime de la CAA ne sont pas autorisés à accorder des intérêts car, comme je l’ai expliqué précédemment, des intérêts ne peuvent être accordés en tant que partie intégrante de l’indemnité.  Partant de là, il faut maintenant se demander à qui il incombe d’accorder des intérêts en vertu de l’art. 28 : l’arbitre ou une cour de justice?  Pour que cette disposition produise quelque effet concret, il m’apparaît que c’est nécessairement l’arbitre qui est chargé d’accorder les intérêts en vertu de cet article.

[31]                          Si l’article 28 requérait l’intervention d’une cour de justice pour que le paiement d’intérêts puisse être ordonné, l’arbitre demeurerait habilité à décider du principal de l’indemnité, mais les parties devraient ensuite s’adresser aux tribunaux pour obtenir des intérêts sur cette somme.  Une telle situation créerait deux problèmes.  Premièrement, les gains en efficacité que permet le processus d’arbitrage seraient amoindris, puisque les parties devraient dans chaque cas faire appel aux tribunaux pour obtenir des intérêts sur les sommes qui leur sont accordées par la sentence.  Les régimes d’arbitrage sont censés être des méthodes efficaces de règlement des différends : Report on Arbitration, p. 2‑3.  Une interprétation de l’art. 28 qui exigerait l’intervention à la fois d’un arbitre et des tribunaux pour permettre le règlement définitif d’un différend, y compris l’attribution des intérêts, irait à l’encontre de cet objectif législatif.

[32]                          Deuxièmement, il semble que cet argument fait effectivement des procédures d’exécution prévues à l’art. 29 une condition préalable à l’attribution d’intérêts, puisqu’une partie devrait s’adresser aux tribunaux pour obtenir un jugement lui accordant des intérêts.  Pour cette raison, cet argument présente le même défaut que celui que j’ai expliqué plus tôt — il rend l’art. 28 superfétatoire.  Si seule une cour de justice peut accorder des intérêts, l’art. 28 n’a tout simplement aucune raison d’être.

                       (3)   Conclusion sur l’interprétation de l’art. 28 de la CAA

[33]                          En conséquence, je dois rejeter l’argument de Teal selon lequel des intérêts peuvent être inclus dans une sentence arbitrale rendue sous le régime de la CAA.  Comme corollaire nécessaire à cette conclusion, dans la mesure où la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique s’est appuyée sur un raisonnement similaire pour autoriser l’inclusion d’intérêts composés en tant que partie intégrante de la sentence arbitrale dans McKechnie, cet arrêt ne doit plus être considéré comme une règle de droit valable.

[34]                          Je souligne en passant que cette conclusion est basée sur le régime légal particulier qui existe en C.‑B.  Il est bien possible que d’autres provinces reconnaissent aux arbitres le pouvoir d’accorder des intérêts composés dans des situations où la loi de la C.‑B. ne le prévoit pas.

C.    Rôle des règles du British Columbia International Commercial Arbitration Centre (« BCICAC »)

[35]                          Teal prétend en outre que l’art. 28 de la CAA n’apporte pas la réponse définitive à la question des intérêts en ce qui concerne les sentences arbitrales, étant donné que l’art. 22 de la CAA précise que les règles du British Columbia International Commercial Arbitration Centre (« règles du BCICAC »), qui permettent aux arbitres d’accorder des intérêts composés, s’appliquent aux arbitrages se déroulant en vertu de la CAA.  Toutefois, je suis d’avis que les règles du BCICAC ne confèrent pas le pouvoir d’accorder des intérêts composés dans les arbitrages régis par la CAA.

[36]                          Je reconnais que, suivant l’art. 22 de la CAA, les règles du BCICAC s’appliquent aux arbitrages fondés sur la CAA et que l’art. 37 de ces mêmes règles permet à un arbitre d’ordonner [traduction] « dans une sentence arbitrale [. . .] le paiement d’intérêts simples ou composés ».  Cependant, il ressort clairement du par. 22(3) de la CAA que, si les règles du BCICAC sont incompatibles avec la CAA ou contraires à celle‑ci, cette dernière prévaut : [traduction] « Si les [règles du BCICAC] sont incompatibles avec la présente loi ou contraires à celle‑ci, cette dernière prévaut. »  Selon moi, une telle incompatibilité existe en l’espèce, car l’art. 28 de la CAA écarte expressément la possibilité d’accorder des intérêts composés.  Par conséquent, malgré l’art. 37 des règles du BCICAC, les arbitres agissant en vertu de la CAA ne peuvent accorder de tels intérêts.

D.    Applicabilité du principe de « l’indemnisation intégrale » et de l’equity

[37]                          Teal avance que, comme la cause d’action à l’origine du présent litige en l’espèce est un type d’expropriation, le principe de l’indemnisation intégrale s’applique et que, en conséquence, des intérêts composés doivent être accordés.  Quoique de tels intérêts représentent sans un doute une meilleure mesure de l’ampleur véritable de la perte subie par Teal, il existe en l’espèce une exigence prévue par la loi qui a pour effet de limiter l’indemnité de Teal en imposant l’attribution d’intérêts simples.  Bien que les tribunaux présument que le législateur entend indemniser intégralement les intéressés en cas d’expropriation, cette présomption peut être réfutée s’il existe des dispositions législatives démontrant l’intention contraire du législateur : Irving Oil Co. c. The King, [1946] R.C.S. 551, p. 556; Inglewood Pulp and Paper Co. c. New Brunswick Electric Power Commission, [1928] A.C. 492 (C.P.), p. 499.  À mon avis, nous sommes en présence de telles dispositions dans la présente affaire.

[38]                          Le paragraphe 7(1) de la PAFCA limite l’indemnité payable à Teal [traduction] « au montant de l’indemnité déterminée [. . .] en vertu de l’article 60 de la Forest Act tel qu’il s’applique pour les besoins de la [PAFCA] ».  Pour sa part, le par. 60(7) de la Forest Act requiert que l’indemnité de Teal soit déterminée conformément à la CAA (abr. S.B.C. 2004, ch. 36, art. 38).  Comme il a été expliqué précédemment, suivant l’art. 28 de la CAA, seuls des intérêts simples peuvent être accordés sur la somme dont le paiement est ordonné par une sentence arbitrale rendue en application de cette loi.  À mon avis, il ressort de l’interaction de ces trois textes de loi que le législateur n’entendait pas que des intérêts composés puissent être inclus en tant qu’aspect de la somme accordée en vertu du principe de l’indemnisation intégrale dans un cas comme celui qui nous occupe.

[39]                          En conséquence, bon nombre des affaires d’expropriation invoquées par Teal et la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique ne sont pas pertinentes en l’espèce, parce qu’on n’y a pas interprété l’interaction de la PAFCA, de la Forest Act et de la CAA.  De façon plus particulière, l’arrêt British Pacific Properties Ltd. c. Minister of Highways and Public Works, [1980] 2 R.C.S. 283, dans lequel notre Cour a statué sur le pouvoir d’un arbitre d’accorder des intérêts composés dans une affaire d’expropriation, ne s’applique pas étant donné qu’il est antérieur à l’adoption de la CAA.

[40]                          L’arrêt Morriss est lui aussi inapplicable en l’espèce, parce qu’il portait sur la compétence d’une cour de justice qui s’appuyait sur l’equity pour accorder des intérêts composés.  En arrivant à la conclusion que des intérêts composés pouvaient être accordés par le tribunal dans cette affaire, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique s’est fondée sur la compétence en equity du tribunal, compétence qui l’autorisait à accorder de tels intérêts malgré les dispositions de la COIA.  Dans le présent pourvoi, l’arbitre n’avait pas le pouvoir de tenir compte de l’equity.  Sous le régime de la CAA, les arbitres ne peuvent considérer des moyens reposant sur l’equity que si les parties en ont expressément convenu (art. 23).  En l’espèce, l’entente entre Teal et la Province ne permettait pas à l’arbitre d’examiner de tels moyens.  En conséquence, le raisonnement adopté par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans Morriss — qu’il soit fondé ou non — n’est pas utile pour trancher le présent pourvoi.

V.    Dispositif

[41]                          J’accueillerais le pourvoi, avec dépens devant toutes les cours.  La Province doit être autorisée, en application de la CAA, à interjeter appel de la décision de l’arbitre accordant des intérêts composés à Teal.  J’annulerais cette décision et y substituerais une décision accordant des intérêts simples.

ANNEXE

Protected Areas Forests Compensation Act, S.B.C. 2002, ch. 51

            [traduction]

 

            Limite de l’indemnité

            7       (0.1) Pour l’application du présent article, le terme « indemnité » s’entend notamment des dommages‑intérêts.

                     (1)     L’indemnité payable au titulaire d’un permis en raison de l’une ou l’autre des situations énumérées ci‑après se limite au montant de l’indemnité déterminée, à l’égard de ce permis, en vertu de l’article 60 de la Forest Act tel qu’il s’applique pour les besoins de la présente loi :

                                    (a)     une suppression visée au paragraphe 2 (1) touchant le permis;

                                    (b)     une réduction de coupe annuelle touchant le permis, dans la mesure où cette réduction était ou est attribuable à l’établissement d’une zone protégée;

                                    (c)     l’établissement d’une zone protégée comprenant tout ou partie de l’aire visée par le permis;

                                    (d)    toute combinaison des situations précisées aux alinéas (a) à (c).

. . .

                     (3)     Une suppression visée au paragraphe 2(1), une réduction de coupe annuelle ou l’établissement d’une zone protégée comprenant tout ou partie de l’aire faisant l’objet du permis ne constitue pas une expropriation au sens de l’Expropriation Act.

Forest Act, R.S.B.C. 1996, ch. 157 (version en vigueur le 1er avril 1999)

            [traduction]

            Suppressions et réductions

            60     (7)     À défaut d’entente sur le montant de l’indemnité, la détermination de ce montant doit être soumise pour décision [. . .] conformément à la Commercial Arbitration Act . . .

Commercial Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, ch. 55 (version en vigueur le 1er avril 1999)

            [traduction]

            Règles de l’International Commercial Arbitration Centre

            22     (1)     Sauf entente à l’effet contraire entre les parties à un arbitrage, les règles du British C   olumbia International Commercial Arbitration Centre relatives à la conduite des arbitrages commerciaux internes s’appliquent à cet arbitrage.

                     (2)     Si les règles visées au paragraphe (1) sont incompatibles avec les dispositions d’une loi régissant un arbitrage auquel s’applique la présente loi, ou sont contraires à celles‑ci, les dispositions de cette autre loi s’appliquent.

                     (3)     Si les règles visées au paragraphe (1) sont incompatibles avec la présente loi ou contraires à celle‑ci, cette dernière prévaut.

            Application des règles de droit sauf convention contraire

            23     (1) L’arbitre doit trancher l’affaire dont il est saisi en appliquant les règles de droit pertinentes, à moins que les parties n’aient convenu, dans une convention visée à l’article 35, que le litige peut être décidé sur la base de considérations fondées sur l’equity, de raisons de conscience ou d’autres motifs.

            Intérêts

            28     Pour l’application de la Court Order Interest Act et de la Loi sur l’intérêt  (Canada) , la somme dont le paiement est ordonné par une sentence arbitrale constitue une condamnation pécuniaire prononcée par une cour de justice.

            Exécution des sentences

            29     (1) Avec l’autorisation d’une cour de justice, une sentence arbitrale peut être exécutée de la même manière qu’un jugement ou une ordonnance de cette cour au même effet, et un jugement peut être inscrit suivant les modalités de la sentence.

Court Order Interest Act, R.S.B.C. 1996, ch. 79

            [traduction]

            Intérêts sur les ordonnances de la cour

            1       (1)     Sous réserve de l’article 2, la cour doit ajouter à une condamnation pécuniaire des intérêts calculés sur le montant dont le paiement est ordonné, au taux qu’elle estime juste eu égard aux circonstances, et ce, de la date à laquelle la cause d’action a pris naissance jusqu’à celle de l’ordonnance.

            Aucuns intérêts dans certains cas

            2          La cour ne doit pas accorder d’intérêts en application de l’article 1

                                    (a)     sur la part de l’ordonnance qui vise la perte pécuniaire survenue postérieurement à l’ordonnance,

                                    (b)     si la question des intérêts fait l’objet d’une entente entre les parties,

                                    (c)     sur les intérêts ou sur les dépens,

                                    (d)    si le créancier a renoncé par écrit à son droit de se voir octroyer des intérêts,

                                    (e)     sur la part de l’ordonnance qui consiste en dommages non pécuniaires découlant de lésions corporelles ou d’un décès.

            Taux d’intérêt

            7 . . .   

                     (2)     Une condamnation pécuniaire produit des intérêts simples à compter de la date du prononcé du jugement ou de celle à laquelle l’argent devient payable en application du jugement, selon la plus tardive des deux.

British Columbia International Commercial Arbitration Centre, Domestic Commercial Arbitration Rules of Procedure

            [traduction]

            37.       Intérêts

         Sur la base de la preuve qui lui est présentée, le tribunal d’arbitrage peut dans une sentence arbitrale ordonner le paiement d’intérêts simples ou composés.

                    Pourvoi accueilli avec dépens devant toutes les cours.

                    Procureur de l’appelante : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Vancouver.

                    Procureurs de l’intimée : Hunter Litigation Chambers, Vancouver.

 

 

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