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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : AIC Limitée c. Fischer, 2013 CSC 69, [2013] 3 R.C.S. 949

Date : 20131212

Dossier : 34738

 

Entre :

AIC Limitée

Appelante

et

Dennis Fischer, Sheila Snyder, Lawrence Dykun, Ray Shugar et Wayne Dzeoba

Intimés

Et entre :

CI Mutual Funds Inc.

Appelante

et

Dennis Fischer, Sheila Snyder, Lawrence Dykun, Ray Shugar et Wayne Dzeoba

Intimés

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 66)

Le juge Cromwell (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner)


 

AIC Limitée c. Fischer, 2013 CSC 69, [2013] 3 R.C.S. 949

AIC Limitée                                                                                                    Appelante

c.

Dennis Fischer,

Sheila Snyder, Lawrence Dykun, Ray Shugar et Wayne Dzeoba                 Intimés

‑ et ‑

CI Mutual Funds Inc.                                                                                    Appelante

c.

Dennis Fischer,

Sheila Snyder, Lawrence Dykun, Ray Shugar et Wayne Dzeoba                 Intimés

Répertorié : AIC Limitée c. Fischer

2013 CSC 69

No du greffe : 34738.

2013 : 18 avril; 2013 : 12 décembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

                    Procédure civile — Recours collectifs — Certification — Arbitrage sur la valeur liquidative — Action intentée par des investisseurs contre des gestionnaires de fonds pour manquement à leurs obligations fiduciaires envers les investisseurs et négligence pour avoir omis de prendre des mesures en vue de restreindre les arbitrages — Motion en vue de faire certifier que l’instance est un recours collectif présentée par les investisseurs en vertu de la loi provinciale sur les recours collectifs — Le recours collectif projeté satisfait-il au critère de certification du meilleur moyen, compte tenu de l’indemnité versée aux investisseurs par suite de l’instance intentée par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario? — Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6, art. 5(1)d).

                    Un groupe de gestionnaires de fonds mutuels étaient visés par une enquête menée par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (« CVMO ») sur l’« arbitrage sur la valeur liquidative », une pratique qui aurait fait baisser la valeur des placements d’investisseurs à long terme.  Les gestionnaires de fonds ont fini par conclure des ententes de règlement avec la CVMO en exécution desquelles ils ont versé des millions de dollars aux investisseurs.  Les ententes envisageaient la possibilité de poursuites civiles contre les gestionnaires de fonds mutuels; elles n’y faisaient pas obstacle.  Postérieurement aux ententes de règlement, les investisseurs ont demandé la certification d’un recours collectif visant les gestionnaires de fonds et reposant sur les mêmes actes d’arbitrage sur la valeur liquidative.  Le juge saisi de la motion a conclu que le recours collectif n’était pas le meilleur moyen et a refusé de le certifier.  La Cour divisionnaire a infirmé cette décision et accordé la certification.  La Cour d’appel a confirmé la conclusion de la Cour divisionnaire.

                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

                    Le pourvoi porte sur l’un des critères de certification établis par la loi, à savoir « le recours collectif est le meilleur moyen de régler les questions communes » (Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6, art. 5(1)d)).  La question est celle de savoir si le recours collectif projeté constitue un meilleur moyen de régler les questions en cause, dans l’optique de l’accès à la justice, que l’instance non judiciaire devant la CVMO.  Il est clair que le critère du meilleur moyen est assez large pour englober tous les moyens raisonnables offerts pour régler les demandes des membres du groupe, notamment les voies de droit autres que les poursuites judiciaires.  Dans l’analyse relative au meilleur moyen, le tribunal doit considérer les questions communes dans le contexte général de l’action.  Or, le tribunal ne saurait à cette étape procéder à l’appréciation détaillée du bien‑fondé du recours collectif ou des autres voies de droit ou de leur issue probable.  Il incombe à la partie qui cherche à faire certifier un recours collectif d’établir un certain fondement factuel pour chacune des conditions de certification.  

                    L’analyse relative au meilleur moyen s’effectue à la lumière des trois principaux objectifs du recours collectif : l’économie des ressources judiciaires, la modification des comportements et l’accès à la justice, mais la question à laquelle il faut ultimement répondre est celle de savoir s’il existe des moyens préférables de régler les demandes, non pas si le recours collectif projeté réalisera pleinement ces objectifs.  L’accès à la justice est assurément un objectif important du recours collectif.  Dans la mesure permise à l’étape de la certification, l’analyse servant à déterminer si le recours collectif est le meilleur moyen doit porter à la fois sur le fond et sur la forme.  Le recours collectif permet de réaliser l’objectif d’accès à la justice si (1) il existe des préoccupations à ce sujet auxquelles ce type d’action peut remédier et (2) ces préoccupations subsistent lorsque d’autres voies de droit sont envisagées.  Pour établir si ces deux conditions sont remplies, il peut être utile de poser une série de questions.  Elles ne sauraient être examinées isolément, ni dans un certain ordre, mais elles devraient éclairer une analyse comparative globale.

                    La première question est la suivante : quels sont les obstacles à l’accès à la justice?  Deux obstacles potentiels à l’accès à la justice se dressent en l’espèce.  Le premier, d’ordre financier, est lié à la nature de la demande.  Le montant des demandes individuelles est trop modeste pour qu’un recours individuel soit viable.  Le deuxième obstacle est lié au premier.  La nature de la demande est telle qu’il n’existe peut‑être pas d’autre moyen équitable de permettre aux membres du groupe d’exercer leurs droits et de mener au règlement des questions communes d’un groupe pouvant compter plus d’un million de membres.  Ainsi, dans un tel cas, l’action en justice classique ne sert pas l’accès à la justice, ni du point de vue substantiel, ni du point de vue procédural.  Si, en règle générale, l’obstacle à l’accès à la justice le plus fréquent est d’ordre financier, il peut également être d’ordre psychologique ou social.  L’impossibilité d’exercer tout autre recours qui permettrait d’obtenir une véritable réparation constitue un obstacle d’ordre procédural fréquent.   

                    La deuxième question est la suivante : dans quelle mesure le recours collectif permet-il d’éliminer ces obstacles?  Cette analyse ne s’effectue pas en vase clos, mais s’inscrit dans l’analyse comparative et vise à confronter le recours collectif aux autres moyens, eu égard à leur capacité respective de répondre aux préoccupations en matière d’accès à la justice.  Bien qu’il s’agisse d’un instrument de procédure, le recours collectif a, entre autres, pour objet sous‑jacent de procurer des résultats positifs quant au fond.  Dans l’évaluation de la capacité de ce type de recours d’aplanir les obstacles à l’accès à la justice, il faut prendre en compte la dimension procédurale et la dimension substantielle de la notion d’accès.  En l’espèce, le recours collectif proposé élimine ces deux obstacles.  Il permet à un groupe de faire valoir un ensemble de demandes individuelles qu’il serait autrement impossible pour des raisons d’ordre financier de soumettre aux tribunaux et il fournit aux membres du groupe une voie de droit équitable. 

                    La troisième question est la suivante : quels autres moyens y a‑t‑il?  Le tribunal saisi de la motion doit examiner de façon globale les autres moyens et déterminer s’ils permettent d’éliminer les obstacles à l’accès à la justice que soulève la demande.  Il n’existe pas d’autre solution judiciaire réaliste en l’espèce.  La seule autre voie de droit évoquée est l’instance devant la CVMO et les règlements intervenus, dont l’issue est connue. 

                    La quatrième question est la suivante : dans quelle mesure les autres moyens permettent-ils d’aplanir les obstacles à l’accès à la justice?  Il s’agit de déterminer si l’autre moyen permettra de régler utilement les demandes quant au fond tout en assurant la possibilité d’exercer des droits procéduraux adéquats. 

                    La dernière question est la suivante : quel est le résultat de la comparaison des deux instances?  Dans l’exercice de comparaison, le tribunal saisi de la motion doit déterminer, au vu de la preuve, s’il a été démontré que le recours collectif est le meilleur moyen de régler les préoccupations relatives à l’accès à la justice, sur le plan de la procédure et sur le plan du fond.  Il doit aussi, sans outrepasser le cadre de l’audience sur la certification, comparer les coûts et les avantages du recours collectif projeté à ceux de l’autre moyen proposé.

                    En réponse aux deux dernières questions en l’espèce, il faut mentionner que la participation des investisseurs à la procédure menant à l’indemnisation constitue un facteur important, qui milite fortement en faveur de la conclusion que le recours collectif satisfait au critère du meilleur moyen en l’espèce.  La nature réglementaire de l’instance devant la CVMO et les droits de participation limités qu’elle offrait aux investisseurs, conjugués à l’absence d’information sur les calculs effectués par son personnel en vue de l’indemnisation des investisseurs, étayent la conclusion qu’il subsiste d’importants obstacles à l’accès à la justice sur le plan procédural auxquels le recours collectif peut remédier.  Par ailleurs, l’objet et la nature de la procédure devant la CVMO accentuent les préoccupations en matière d’accès à la justice sur le plan du fond.  On ne peut conclure que l’issue concrète de cette instance ne joue pas pour déterminer si cette voie de droit a permis de lever l’obstacle à l’accès à la justice en l’espèce ou s’il en ressort que le recours collectif n’est pas le meilleur moyen. 

                    Toutefois, l’issue concrète de l’instance devant la CVMO et son effet sur l’analyse relative au meilleur moyen doivent être examinés à la lumière des normes de preuve applicables.  Les circonstances de l’espèce sont plutôt inhabituelles, car l’issue de l’instance devant la CVMO est connue.  L’analyse comparative doit donc aborder la question de savoir si l’examen des coûts et des avantages étaye la thèse selon laquelle le recours collectif est le meilleur moyen de régler les réclamations.  La preuve présente l’issue de l’autre voie de droit en détail et révèle qu’il subsiste des préoccupations relatives à l’accès à la justice quant au fond.  En outre, il n’y a aucune raison de croire que les coûts du recours annuleraient le montant des dommages‑intérêts susceptibles d’être accordés.  Les investisseurs ont bien étayé l’opinion que le recours collectif permettrait d’écarter les obstacles à l’accès à la justice subsistant après l’instance devant la CVMO et qu’à la lumière d’un examen des coûts et des avantages, il s’agit du meilleur moyen de faire valoir les demandes des investisseurs.  L’analyse du juge saisi de la motion est entachée d’erreurs de principe.  En conséquence, la révision en appel de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de refuser la certification est justifiée.  Les bons principes juridiques applicables étayent la décision de certifier le recours collectif projeté. 

Jurisprudence

                    Arrêt appliqué : Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158; arrêts mentionnés : Klay c. Humana, Inc., 382 F.3d 1241 (2004); Cloud c. Canada (Attorney General) (2004), 73 O.R. (3d) 401; Rumley c. Colombie‑Britannique, 2001 CSC 69, [2001] 3 R.C.S. 184; Webb c. K‑Mart Canada Ltd. (1999), 45 O.R. (3d) 389; Pearson c. Inco Ltd. (2006), 78 O.R. (3d) 641; Halabi c. Becker Milk Co. (1998), 39 O.R. (3d) 153; Pro‑Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57, [2013] 3 R.C.S. 477; Irving Paper Ltd. c. Atofina Chemicals Inc. (2009), 99 O.R. (3d) 358; Hague c. Liberty Mutual Insurance Co. (2004), 13 C.P.C. (6th) 1; McCracken c. Canadian National Railway Co., 2012 ONCA 445, 111 O.R. (3d) 745; 1176560 Ontario Ltd. c. Great Atlantic & Pacific Co. of Canada Ltd. (2002), 62 O.R. (3d) 535, conf. par (2004), 70 O.R. (3d) 182; Chadha c. Bayer Inc. (2003), 63 O.R. (3d) 22, autorisation d’appel refusée, [2003] 2 R.C.S. vi; Caputo c. Imperial Tobacco Ltd. (2004), 236 D.L.R. (4th) 348; Comité pour le traitement égal des actionnaires minoritaires de la Société Asbestos Ltée c. Ontario (Commission des valeurs mobilières), 2001 CSC 37, [2001] 2 R.C.S. 132; Markson c. MBNA Canada Bank, 2007 ONCA 334, 85 O.R. (3d) 321; Cassano c. Toronto‑Dominion Bank, 2007 ONCA 781, 87 O.R. (3d) 401, autorisation d’appel refusée, [2008] 1 R.C.S. xiv.

Lois et règlements cités

Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, ch. 50.

Federal Rules of Civil Procedure, 28 U.S.C. app., règle 23(b)(3).

Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6, art. 5(1).

Loi sur les valeurs mobilières, L.R.O. 1990, ch. S.5, art. 127.

Doctrine et autres documents cités

Cullity, Maurice.  « Certification in Class Proceedings — The Curious Requirement of “Some Basis in Fact” » (2011), 51 Rev. can. dr. comm. 407.

Good, Mathew.  « Access to Justice, Judicial Economy, and Behaviour Modification : Exploring the Goals of Canadian Class Actions » (2009), 47 Alta. L. Rev. 185.

Iacobucci, Frank.  « What Is Access to Justice in the Context of Class Actions? », in Jasminka Kalajdzic, ed., Accessing Justice : Appraising Class Actions Ten Years After Dutton, Hollick & Rumley.  Markham, Ont. : LexisNexis, 2011, 17.

Ontario.  Attorney General’s Advisory Committee on Class Action Reform.  Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Class Action Reform.  Toronto : The Committee, 1990.

Ontario.  Law Reform Commission.  Report on Class Actions, vol. I.  Toronto : Ministry of the Attorney General, 1982.

Rubenstein, William B.  Newberg on Class Actions, 5th ed.  Eagan, Minn. : West, 2011 (WL, CLASSACT, updated June 2013).

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (le juge en chef Winkler, la juge Epstein et la juge Pardu (ad hoc)), 2012 ONCA 47, 109 O.R. (3d) 498, 287 O.A.C. 148, 346 D.L.R. (4th) 598, 15 C.P.C. (7th) 81, [2012] O.J. No. 343 (QL), 2012 CarswellOnt 635, qui a confirmé une décision des juges Molloy, Swinton et Herman, 2011 ONSC 292, 104 O.R. (3d) 615, 276 O.A.C. 84, 6 C.P.C. (7th) 139, [2011] O.J. No. 562 (QL), 2011 CarswellOnt 800, qui avait infirmé en partie une décision du juge Perell, 2010 ONSC 296, 89 C.P.C. (6th) 205, [2010] O.J. No. 112 (QL), 2010 CarswellOnt 135.  Pourvoi rejeté.

                    James D. G. Douglas, David Di Paolo et Margot Finley, pour l’appelante AIC Limitée.

                    Benjamin Zarnett, Jessica Kimmel et Melanie Ouanounou, pour l’appelante CI Mutual Funds Inc.

                    Allan C. Hutchinson, Peter R. Jervis, Joel P. Rochon et Remissa Hirji, pour les intimés.

                    Version française du jugement de la Cour rendu par

                    Le juge Cromwell —

I.    Aperçu

[1]                              Pour faire certifier un recours collectif, le demandeur doit établir un certain fondement factuel permettant de conclure qu’il s’agit du meilleur moyen de régler les questions communes en cause (Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6 (« LRC »), al. 5(1)d)).  La principale question que pose le présent pourvoi est celle de savoir si, compte tenu de l’indemnité versée aux investisseurs par suite de l’instance introduite devant la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (« CVMO »), le recours collectif projeté satisfait au critère du meilleur moyen.  

[2]                              La question est épineuse; les trois juridictions qui se sont prononcées ont tenu des raisonnements très différents.  Le juge saisi de la motion a conclu que le recours collectif n’était pas le meilleur moyen de régler les questions communes et il a refusé de le certifier.  Selon lui, vu le mandat de la CVMO en matière de restitution, il n’était pas loisible au tribunal de remettre en question l’accès à la justice que représentent pour les investisseurs les règlements intervenus ou d’attacher beaucoup d’importance aux éléments qui distinguent le mandat et la procédure de la CVMO de ceux d’une cour de justice.  La Cour divisionnaire a infirmé cette décision et accordé la certification.  Son analyse a comparé le montant de l’indemnité versée à l’issue de la procédure réglementaire à celui des dommages‑intérêts réclamés dans le cadre du recours collectif.  Cette comparaison l’a amenée à conclure que ce dernier pouvait encore permettre le recouvrement d’une somme substantielle.  Par conséquent, l’instance devant la CVMO ne pouvait se révéler préférable au recours collectif projeté.  La Cour d’appel a confirmé cette conclusion, mais pour des motifs sensiblement différents.  Son raisonnement procédait d’une comparaison entre les droits procéduraux dont jouissent les membres d’un groupe ayant intenté un recours collectif, d’une part, et la nature réglementaire d’une instance devant la CVMO ainsi que les droits de participation limités qu’elle offre aux investisseurs, d’autre part.  Comme la Cour d’appel l’indique, l’analyse visant à déterminer le meilleur moyen doit [traduction] « s’attacher à la nature et à l’objectif sous‑jacents de l’autre voie de droit et les comparer à ceux du recours collectif. [. . .] La LRC exige qu’un tel examen englobe l’aspect procédural » (2012 ONCA 47, 109 O.R. (3d) 498, par. 79).

[3]                              La principale question qui se pose en l’espèce est de savoir si le recours collectif projeté constitue un meilleur moyen de régler les questions en cause, dans l’optique de l’accès à la justice, que l’instance devant la CVMO.  Le présent pourvoi fournit à notre Cour l’occasion d’approfondir la démarche analytique que commande cette question intéressant la LRC et qu’elle a empruntée dans l’arrêt Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158.

[4]                              Je conviens avec la Cour divisionnaire et la Cour d’appel que l’analyse du juge saisi de la motion est entachée d’erreurs de principe.  En conséquence, la révision en appel de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de refuser la certification est justifiée.  À mon avis, les bons principes juridiques applicables étayent la décision de ces cours de certifier le recours collectif projeté.  Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi.  Toutefois, pour les motifs que j’expose plus loin, je suis également d’avis que l’analyse relative au meilleur moyen ne saurait être uniquement axée sur des considérations d’ordre procédural et qu’elle doit tenir compte également de considérations de fond, dans la mesure permise à l’étape de la certification.

II.     Faits et historique judiciaire

A.     Aperçu des faits

[5]                              Les appelantes sont deux gestionnaires de fonds mutuels visés par l’enquête de la CVMO sur l’« arbitrage sur la valeur liquidative », une pratique qui aurait fait baisser la valeur des placements d’investisseurs à long terme.  L’enquête de la CVMO cherchait à déterminer si les gestionnaires de fonds avaient pris des mesures raisonnables contre le préjudice pouvant résulter de fréquents arbitrages sur la valeur liquidative.  Elle ne portait pas sur les auteurs des opérations, dont les actions avaient directement causé le préjudice aux fonds.  Les gestionnaires de fonds ont fini par conclure des ententes de règlement avec la CVMO.  En exécution de ces ententes, les appelantes, AIC Limitée et CI Mutual Funds Inc. ont respectivement versé 58,8 et 49,3 millions de dollars à leurs investisseurs (décision relative à la motion, par. 94).  Les ententes envisageaient la possibilité de poursuites civiles contre les appelantes; elles n’y faisaient pas obstacle.  Le groupe de demandeurs participant au recours collectif projeté contre les appelantes serait en gros formé des investisseurs à qui une indemnité avait été versée.

[6]                              Postérieurement aux ententes de règlement, les intimés ont demandé la certification d’un recours collectif visant les gestionnaires de fonds et reposant sur les mêmes actes d’arbitrage sur la valeur liquidative.  Dans le cadre du recours, les intimés avançaient notamment que les gestionnaires avaient manqué à leur obligation fiduciaire envers les investisseurs et avaient fait preuve de négligence en ne prenant pas de mesure pour restreindre les arbitrages.  (Le recours collectif projeté visait initialement cinq gestionnaires de fonds, mais trois d’entre eux ont conclu un règlement de sorte que les appelantes demeurent les seules défenderesses.)

B.  Décision relative à la motion en vue de la certification (Cour supérieure de justice de l’Ontario, 2010 ONSC 296, 89 C.P.C. (6th) 205 (le juge Perell))

[7]                              Selon le juge saisi de la motion, les questions communes consistaient à savoir si les défenderesses (dont les appelantes devant la Cour) avaient une obligation fiduciaire ou une obligation de diligence envers les membres du groupe projeté et, dans l’affirmative, si elles y avaient manqué.  Il n’était pas contesté que l’instance devant la CVMO et les ententes de règlement ne faisaient pas obstacle aux demandes formulées dans le recours.

[8]                              À l’étape de la motion, le débat a principalement porté sur la question de savoir si, au regard des objectifs que vise le recours collectif, soit l’économie des ressources judiciaires, la modification des comportements et l’accès à la justice, il s’agissait du meilleur moyen de régler les questions communes.  Selon le juge, si c’était le cas, il fallait certifier le recours, sous réserve de l’approbation d’un plan pour l’instance par le tribunal. 

[9]                              C’est dans l’optique de l’accès à la justice que le juge a procédé à l’analyse relative au meilleur moyen.  Il n’était pas contesté que l’instance devant la CVMO et les ententes de règlement avaient permis d’atteindre l’objectif de modification comportementale, et le juge a considéré que si elles avaient également permis de favoriser l’accès à la justice, elles auraient du même coup servi l’objectif d’économie des ressources judiciaires.  En tenant compte uniquement de l’existence de l’instance devant la CVMO et des ententes de règlement, il a jugé que le recours collectif projeté n’était pas le meilleur moyen.  Ce raisonnement découlait de deux conclusions importantes.  Suivant la première, l’instance devant la CVMO et les ententes de règlement devaient entrer en ligne de compte dans l’analyse relative au meilleur moyen.  Suivant la seconde, l’instance devant la CVMO avait offert [traduction] « une véritable autre voie de droit qui permet[tait] d’atteindre les objectifs d’un recours collectif, à savoir l’accès à la justice, la modification des comportements et l’économie des ressources judiciaires » (par. 234).  Il a retenu l’argument des défenderesses selon lequel le tribunal, « dès lors qu’il est convaincu que la CVMO cherchait à obtenir la réparation du préjudice subi par les investisseurs et que la procédure était adéquate, ne devrait pas remettre en question l’accès à la justice qu’offre l’instance devant la CVMO » (par. 256).  Et ce, même s’il avait par ailleurs conclu « que l’argument des demandeurs selon lequel les ententes de règlement n’ont peut‑être pas indemnisé intégralement les investisseurs repos[ait] sur un certain fondement factuel » (par. 101).

[10]                          Le juge saisi de la motion a donc refusé de certifier le recours collectif.

C.  Cour supérieure de justice de l’Ontario, Cour divisionnaire, 2011 ONSC 292, 104 O.R. (3d) 615 (la juge Molloy, avec l’accord des juges Swinton et Herman)

[11]                          La Cour divisionnaire a relevé trois erreurs dans l’analyse du juge saisi de la motion : [traduction] « (1) il n’a pas appliqué la norme de preuve peu exigeante à laquelle les demandeurs doivent satisfaire à [l’]étape [de la certification]; (2) il a conclu à tort que l’instance devant la CVMO, qui avait pris fin, était le meilleur moyen de régler le reste des revendications des demandeurs; et (3) il a commis une erreur de droit en prenant en compte les critères d’approbation d’un règlement à l’étape de la certification » (par. 33).  La cour a donc accueilli l’appel et certifié le recours collectif.  

D.  Cour d’appel de l’Ontario, 2012 ONCA 47, 109 O.R. (3d) 498 (le juge en chef Winkler avec l’accord des juges Epstein et Pardu (ad hoc))

[12]                          La Cour d’appel a rejeté l’appel, estimant que la Cour divisionnaire était parvenue au bon résultat sans toutefois poser les bonnes questions.  Selon la première, la seconde avait fait erreur en s’attachant à savoir si les ententes de règlement conclues par la CVMO représentaient la totalité ou la quasi‑totalité du montant de la mesure du redressement pécuniaire réclamée par les investisseurs.  À l’étape de la certification, la somme qu’il sera possible de recouvrer étant inconnue, il n’est par conséquent pas possible de déterminer si l’indemnisation était [traduction] « quasi totale » (par. 77).  En outre, tirer pareille conclusion équivaudrait à statuer sur le fond du litige, ce qui constituerait un écart marqué par rapport au fardeau de preuve applicable en matière de certification.  La cour a plutôt jugé que, dans le cadre de l’analyse relative au meilleur moyen, il fallait comparer les objectifs et la nature des autres voies de droit et du recours collectif.

[13]                          La Cour d’appel était d’avis que les différences procédurales importantes entre l’instance devant la CVMO et le recours collectif projeté permettaient de conclure que ce dernier constituait le meilleur moyen de régler les demandes des membres du groupe.  Premièrement, l’art. 127 de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. S.5, confère à la CVMO une compétence d’ordre réglementaire, et non pas une compétence en matière d’indemnisation, de sorte qu’elle ne dispose pas de pouvoirs de redressement suffisants pour lui permettre de faire droit à la totalité des demandes des membres du groupe.  Deuxièmement, l’instance devant la CVMO n’accorde pas aux investisseurs de droits de participation comparables à ceux que leur permettrait d’exercer un recours collectif, une importante considération d’accès à la justice.

III. Résumé des positions des parties

[14]                          Les appelantes reprochent à la Cour d’appel d’avoir confondu accès à la justice avec accès à une instance quasi judiciaire au détriment d’autres éléments importants.  Elles prétendent aussi qu’elle se serait attachée à tort à des questions théoriques plutôt qu’aux résultats concrets de l’instance devant la CVMO.  Selon les appelantes, de ces vices fondamentaux auraient découlé d’autres erreurs.  Ainsi, la Cour aurait trop insisté sur le fait que la CVMO exerce des pouvoirs d’ordre réglementaire, non pas des pouvoirs d’indemnisation.  Elle aurait mal apprécié la participation des investisseurs à l’instance devant la CVMO.  Elle n’aurait tenu compte ni du fait que le régime offert par la CVMO est rapide et sans frais et n’exige pas que la faute soit démontrée, ni de l’impartialité et de l’indépendance de cet organisme.  Les appelantes soutiennent en outre que la Cour d’appel a simplement substitué son propre pouvoir discrétionnaire à celui du juge saisi de la motion, en contravention à la norme de contrôle applicable.

[15]                          Pour leur part, les intimés font valoir que la Cour d’appel a axé à juste titre son analyse sur l’importance des droits de participation et sur la portée et la nature limitées de la compétence et des pouvoirs de redressement de la CVMO, plutôt que sur le résultat de l’instance devant cet organisme.  Ils soutiennent que la participation est au cœur de la notion d’accès à la justice.  Étant donné que les investisseurs ne jouissent d’aucun droit procédural fondamental devant la CVMO, que les ententes de règlement n’ont pas force exécutoire et que les pourparlers qui les ont précédées sont demeurés secrets, l’indemnité versée aux investisseurs est arbitraire et partiale et ne saurait être préférable au recours collectif. 

IV.   Analyse

A.        Introduction

[16]                          Le pourvoi porte sur l’un des critères de certification établis par la loi, à savoir « le recours collectif est le meilleur moyen de régler les questions communes » (LRC, al. 5(1)d)).  Dans les circonstances de l’espèce, la question de savoir s’il s’agit du meilleur moyen est assez précise, vu que les parties s’entendent dans une large mesure sur plusieurs points.  Il est à présent admis que le recours collectif projeté satisfait aux autres critères de certification.  Quant au critère du meilleur moyen, qui fait l’objet du litige, nul ne conteste plus que le recours collectif constituerait une procédure juste, efficace et pratique ni qu’il serait préférable à toute autre voie de droit judiciaire.  Les parties s’entendent également pour dire que le tribunal chargé de déterminer si le recours collectif serait préférable à toute autre voie extrajudiciaire pour régler les demandes des membres du groupe doit passer les possibilités au crible des objectifs que sont la modification des comportements, l’économie des ressources judiciaires et l’accès à la justice.  Ce faisant, le tribunal doit, bien sûr, garder à l’esprit que la question fondamentale est de savoir s’il a été satisfait au critère légal du meilleur moyen.  Il n’est en outre pas contesté que le pourvoi vise à déterminer lequel des deux moyens favorise le plus l’accès à la justice des investisseurs.  Telle est la question parce que les parties reconnaissent que le recours collectif est la seule voie judiciaire possible, que l’instance devant la CVMO a permis d’atteindre l’objectif de modification des comportements et que le juge saisi de la motion a conclu que l’une ou l’autre option servirait l’objectif d’économie des ressources judiciaires.  Cette conclusion n’est pas contestée dans le présent pourvoi.

[17]                          En général, les trois objectifs du recours collectif doivent être soupesés.  Or, dans les circonstances particulières de l’espèce, il s’agit de déterminer, dans une perspective d’accès à la justice, s’il y a lieu de refuser la certification par suite de l’issue de l’instance extrajudiciaire devant la CVMO.

[18]                          J’expose d’abord les grandes lignes que trace la jurisprudence relative au critère du meilleur moyen, en m’attardant tout particulièrement aux affaires où un mode de règlement extrajudiciaire des différends était présenté comme étant préférable à un recours collectif.  J’explique ensuite la démarche analytique à suivre en l’espèce selon moi et l’applique aux faits de l’espèce.

B.     Le critère du meilleur moyen — survol des principes

              (1)   Disposition législative

[19]                          Commençons par la disposition législative applicable.  L’alinéa 5(1)d) de la LRC requiert que le tribunal conclue que « le recours collectif est le meilleur moyen de régler les questions communes ».  (Le paragraphe 5(1) est reproduit intégralement à l’annexe.)  Bien que cette disposition puisse sembler exiger un moyen susceptible de mener au règlement formel des questions communes, la Cour rejette à l’unanimité cette interprétation dans Hollick.  La juge en chef McLachlin y indique clairement que le critère du meilleur moyen est assez large pour englober « tous les moyens raisonnables offerts pour régler les demandes des membres du groupe », notamment les voies de droit autres que les poursuites judiciaires (par. 31).  Dans la mesure où l’autre moyen permet de régler les demandes des membres du groupe, il n’est pas nécessaire qu’il tranche les aspects juridiques ou factuels précis des questions communes.  Cette conception large du critère du meilleur moyen revêt une importance capitale dans les affaires où, comme en l’espèce, l’action en justice individuelle ne constitue pas une solution viable.

[20]                          Cette manière d’envisager le rôle des voies extrajudiciaires dans l’analyse comparative que requiert le critère du meilleur moyen prévu à la LRC diffère de celle que prévoient les dispositions fédérales américaines en matière de recours collectif.  Aux termes de la règle 23 des Federal Rules of Civil Procedure des États‑Unis, le tribunal doit notamment être convaincu que [traduction] « le recours collectif est supérieur à toute autre méthode pour trancher le litige de façon juste et efficace » (28 U.S.C. app., r. 23(b)(3)).  Cette formulation invite à confronter le recours collectif à d’autres types de recours judiciaires et a généralement eu pour effet de limiter les comparaisons avec des voies de droit extrajudiciaires (voir W. B. Rubenstein, Newberg on Class Actions (5e éd. 2011) (WL), § 4:86). 

              (2)   Dans l’analyse relative au meilleur moyen, le tribunal examine les questions communes dans le contexte de l’action dans son ensemble

[21]                          Pour déterminer si le recours collectif est le meilleur moyen de « régler les questions communes », il faut considérer ces dernières dans le contexte général de l’action et en « examiner l’importance [. . .] par rapport à l’ensemble des revendications » (Hollick, par. 30).  Dans Hollick, la juge en chef McLachlin approuve le commentaire d’un observateur affirmant que, dans la comparaison du recours collectif avec d’autres voies de droit possibles, [traduction] « il importe de recourir à une analyse pratique tenant compte des coûts et des avantages et de prendre en considération l’incidence d’un recours collectif sur les membres du groupe, les défendeurs et le tribunal » (par. 29, citant W. K. Branch, Class Actions in Canada (feuilles mobiles 1998, envoi no 4), par. 4.690).

              (3)   L’analyse relative au meilleur moyen détermine dans quelle mesure le recours collectif projeté permet la réalisation des objectifs de ce type de recours

[22]                          Dans Hollick, la juge en chef McLachlin indique que l’analyse relative au meilleur moyen s’effectue à la lumière des trois principaux objectifs du recours collectif : l’économie des ressources judiciaires, la modification des comportements et l’accès à la justice (par. 27).  On n’entend pas par là qu’il faille prouver que le recours collectif projeté réalisera effectivement ces objectifs dans un cas donné.  En conséquence, dans son analyse comparative, le tribunal doit s’en tenir au critère légal du meilleur moyen et s’abstenir d’imposer au représentant des demandeurs le fardeau de prouver que tous les avantages du recours collectif se matérialiseront dans les faits.

[23]                          Il s’agit d’un exercice comparatif.  Le tribunal doit certes examiner dans quelle mesure le recours collectif projeté permet la réalisation des trois objectifs de la LRC, mais la question à laquelle il doit ultimement répondre est celle de savoir s’il existe des moyens préférables de régler les demandes, non pas si le recours collectif projeté réalisera pleinement ces objectifs.  Un arrêt de la Cour d’appel fédérale des États‑Unis exprime bien cette nuance, qui vaut également pour la LRC : [traduction] « L’analyse ne porte pas sur les avantages ou les difficultés du recours collectif en soi, mais sur les avantages relatifs d’un tel recours par rapport aux autres types de recours judiciaires [et j’ajouterais : de règlement des différends] dont les demandeurs peuvent réellement se prévaloir en pratique » (Klay c. Humana, Inc., 382 F.3d 1241 (11th Cir. 2004), p. 1269, cité dans Rubenstein, § 4:85, note de bas de page 2).

C.  L’accès à la justice comme objectif du recours collectif

[24]                          L’accès à la justice est assurément un objectif important du recours collectif.  Mais en quoi consiste‑t‑il dans le contexte qui nous occupe?  Il comporte deux dimensions interreliées.  L’une intéresse la procédure et la question de savoir si les demandeurs disposent d’une voie équitable de règlement de leurs réclamations.  L’autre intéresse le droit substantiel — l’issue recherchée — et la question de savoir s’ils obtiendront une réparation juste et adéquate si le bien‑fondé des réclamations est établi.  Ces deux dimensions sont interreliées, car, dans bien des cas, des vices de forme soulèvent des doutes sur l’issue quant au fond et des vices de fond peuvent susciter des questions à propos de la procédure.  Comme l’explique l’honorable Frank Iacobucci : [traduction] « . . . l’accès à la justice doit comporter un aspect procédural et un aspect substantiel.  Je conçois mal qu’on puisse mettre à la disposition de parties lésées une procédure leur permettant de faire valoir leurs prétentions sans veiller à ce qu’elle débouche sur une juste réparation au fond si celle‑ci est justifiée » (« What Is Access to Justice in the Context of Class Actions? », dans J. Kalajdzic, dir., Accessing Justice : Appraising Class Actions Ten Years After Dutton, Hollick & Rumley (2011), 17, p. 20).  Bien qu’il soit peut‑être commode sur le plan analytique d’étudier séparément la procédure et le fond, on ne doit pas le faire au détriment d’une évaluation globale des répercussions du recours collectif projeté sur le plan de l’accès à la justice.

[25]                          La Cour divisionnaire a axé son analyse relative à l’accès à la justice sur l’aspect substantiel.  Elle s’est fondée dans une large mesure sur sa conclusion selon laquelle un certain fondement factuel permettait de croire que les investisseurs avaient droit à une réparation considérablement supérieure à ce qu’ils avaient obtenu devant la CVMO (par. 4 et 8).  La Cour d’appel, quant à elle, a plutôt mis l’accent sur l’aspect procédural, son analyse faisant principalement intervenir des facteurs comme les droits de participation et les pouvoirs de réparation.  Or, la démarche à suivre pour déterminer si le recours collectif est le meilleur moyen doit porter à la fois sur le fond et sur la forme.  On ne saurait s’attacher exclusivement à la procédure : une voie de droit peut être équitable sans néanmoins permettre véritablement au demandeur d’être indemnisé de toutes les pertes subies.  Autrement dit, il arrive parfois que subsistent des obstacles importants à l’indemnisation malgré une voie de droit équitable.  Qui plus est, l’absence d’une voie de droit équitable risque de faire douter que justice a été rendue ou le sera au fond.  Bien sûr, ainsi que nous le verrons, l’analyse de ces éléments doit respecter la portée restreinte du processus de certification.

[26]                          Le recours collectif permet de réaliser l’objectif d’accès à la justice si (1) il existe des préoccupations à ce sujet auxquelles ce type d’action peut répondre et (2) ces préoccupations subsistent lorsque d’autres voies de droit sont envisagées (Hollick, par. 33).  Pour établir si ces deux conditions sont remplies, il peut être utile de se poser une série de questions.  Elles ne sauraient être examinées isolément, ni dans un certain ordre, mais elles devraient éclairer une analyse comparative globale.  Un bref commentaire accompagne l’énoncé de chacune d’elles.

              (1)   Quels sont les obstacles à l’accès à la justice?

[27]                          Le type d’obstacles varie selon la nature de la demande et la composition du groupe projeté.  Ils peuvent intéresser l’aspect procédural ou l’aspect substantiel de l’accès à la justice ou les deux.  L’obstacle le plus fréquent est d’ordre financier.  Il surgit lorsque les frais élevés d’une action en justice et les sommes modestes en jeu empêchent de s’adresser aux tribunaux.  Toutefois, les obstacles ne sont pas que financiers; ils peuvent également être d’ordre psychologique ou social et découler de facteurs comme l’ignorance des droits substantiels susceptibles d’être exercés (Commission de réforme du droit de l’Ontario, Report on Class Actions, vol. I (1982) (« Rapport de la CRDO »), p. 127), l’ignorance de l’existence d’un préjudice important (Rapport de la CRDO, p. 127‑128), des compétences linguistiques limitées (voir, p. ex., Rubenstein, § 4:65), l’âge avancé des demandeurs (voir, p. ex., Cloud c. Canada (Attorney General) (2004), 73 O.R. (3d) 401 (C.A.)), une santé psychologique ou physique fragile (voir, p. ex., Rumley c. Colombie‑Britannique, 2001 CSC 69, [2001] 3 R.C.S. 184), la crainte de représailles de la part du défendeur (Rapport de la CRDO, p. 128; voir, p. ex., Webb c. K‑Mart Canada Ltd. (1999), 45 O.R. (3d) 389 (C.S.J.)), et l’aliénation découlant de démêlés avec la justice (Rapport de la CRDO, p. 128‑129).  L’impossibilité d’intenter tout autre recours qui permettrait d’obtenir une véritable réparation constitue un obstacle d’ordre procédural fréquent.

              (2)   Dans quelle mesure le recours collectif permet‑il d’éliminer ces obstacles?

[28]                          La question suivante intéresse la capacité du recours collectif d’éliminer les obstacles à l’accès à la justice dans une affaire donnée.  L’analyse qu’elle commande ne s’effectue pas en vase clos, mais s’inscrit dans l’analyse comparative et vise à confronter le recours collectif aux autres moyens, eu égard à leur capacité respective de répondre aux préoccupations en matière d’accès à la justice.

[29]                          Le recours collectif peut permettre aux membres du groupe de surmonter l’obstacle d’ordre financier « en répartissant les frais fixes de justice entre les nombreux membres du groupe [. . .] [et ainsi] en rendant économiques des poursuites que les membres du groupe auraient jugées trop coûteuses pour les intenter individuellement » (Hollick, par. 15).  Il peut aussi permettre de surmonter les obstacles d’ordre psychologique ou social par le truchement du représentant, qui informe les membres du groupe et dirige le recours pour leur compte.

[30]                          Par ces mécanismes procéduraux, le recours collectif donne aux membres du groupe accès aux tribunaux.  En cela, il s’agit d’un « instrument de procédure » (Hollick, par. 15) : il ne leur garantit pas le résultat escompté.

[31]                          Cela dit, le recours collectif a pour objet d’offrir non seulement une voie de droit, mais également un résultat positif quant au fond.  Le rapport de la CRDO abordait les divers obstacles à l’action en justice ainsi que la solution que le recours collectif pourrait représenter.  Il ne fait aucun doute qu’une issue positive pour les membres tenait une large place dans l’analyse :

                        [traduction] Dans les sections précédentes, on a vu qu’il importe de faciliter l’accès aux tribunaux aux justiciables qui voudraient exercer un recours qui leur est reconnu mais qui ne sont pas en mesure de le faire.  La Commission estime que nombre d’actions individuelles ne sont pas intentées, non pas qu’elles ne soient pas fondées ou ne revêtent pas d’importance aux yeux du demandeur, mais en raison d’obstacles d’ordre financier, social ou psychologique.  Nous croyons que le recours collectif peut aider à lever ces obstacles et, en améliorant l’accès aux tribunaux, remplir une fonction sociale importante.  De toute évidence, un accès réel à la justice est préalable à l’exercice de tout autre droit juridique.

                        En outre, il est empiriquement établi que le recours collectif rend effectivement la justice accessible à un grand nombre de personnes.  La preuve révèle un intérêt individuel à faire valoir des revendications au moyen du recours collectif.  De plus, les recours collectifs en dommages‑intérêts procurent un avantage pécuniaire important, même après déduction des honoraires des avocats et frais d’administration.  [Renvoi omis; p. 139.]

[32]                          Le Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Class Action Reform (1990) (« rapport du procureur général ») reconnaît aussi, dans son entrée en matière, l’objectif sous‑jacent du recours collectif qui consiste à offrir une réparation aux membres du groupe :

                        [traduction] Un recours collectif est [. . .] un mécanisme procédural ayant pour objet de fournir un moyen efficace d’obtenir la réparation d’un préjudice subi par un grand nombre de personnes, en permettant à une personne ou plus d’intenter une action pour le compte de nombreuses autres.  [p. 15]

[33]                          Le rapport du procureur général souligne également l’aspect substantiel de l’accès à la justice :

                    [traduction] Les Ontariens vivent également dans une société qui s’efforce de favoriser le plus possible l’accès à la justice.  Des droits et obligations complexes et très développés ont peu de valeur s’il est impossible de s’en prévaloir de façon efficace et économique.  Que vaut un droit ou une obligation, voire le système judiciaire lui‑même, si le justiciable reçoit comme message que son droit est « trop insignifiant », « trop complexe » ou « trop risqué » pour être exercé?

                         Un recours collectif peut fournir le moyen de faire valoir de telles demandes et de donner accès à la justice.  Une voie procédurale utile est susceptible de favoriser l’économie des ressources judiciaires et de procurer une réparation à grande échelle aux nombreuses victimes de perte ou de préjudice.  [p. 16‑17]

[34]                          Ainsi, le recours collectif permet de surmonter les obstacles aux litiges en fournissant un moyen procédural d’arriver à une fin substantielle.  Comme un auteur l’a exprimé de façon mémorable, le recours collectif pourrait avoir l’effet d’[traduction] « insuffle[r] un nouvel élan aux droits substantiels » (M. Good, « Access to Justice, Judicial Economy, and Behaviour Modification : Exploring the Goals of Canadian Class Actions » (2009), 47 Alta. L. Rev. 185, p. 188).  Bien qu’il s’agisse d’un instrument de procédure, il a, entre autres, pour objet sous‑jacent de procurer des résultats positifs quant au fond.  Dans l’évaluation de la capacité de ce type de recours d’aplanir les obstacles à l’accès à la justice, il faut prendre en compte la dimension procédurale et la dimension substantielle de la notion d’accès.

              (3)   Quels autres moyens y a‑t‑il?

[35]                          Le tribunal saisi de la motion en certification doit examiner les autres voies de droit possibles.  Pour reprendre les propos de la juge en chef McLachlin dans Hollick, le tribunal, « dans l’analyse du meilleur moyen, doit examiner tous les moyens raisonnables offerts pour régler les demandes des membres du groupe, et non seulement la possibilité de recours individuels » (par. 31 (je souligne)).  En l’espèce, le tribunal a examiné d’autres recours judiciaires possibles (comme la jonction ou la réunion d’instances, la cause type, etc. (Hollick, par. 28)) ainsi que des voies de droit extrajudiciaires. 

[36]                          Le tribunal saisi de la motion doit examiner de façon globale les autres moyens et déterminer s’ils permettent d’éliminer les obstacles à l’accès à la justice que soulève la demande (Hollick, par. 30).  Dans certains cas, une voie de droit extrajudiciaire peut être envisagée en plus des recours individuels (voir, p. ex., Hollick, Cloud et Pearson c. Inco Ltd. (2006), 78 O.R. (3d) 641 (C.A.)).  Dans d’autres cas, par exemple lorsqu’il n’existe pas d’autre action en justice viable que le recours collectif, il faut envisager la possibilité d’une voie de droit extrajudiciaire au lieu de ce dernier (voir, p. ex., Halabi c. Becker Milk Co. (1998), 39 O.R. (3d) 153 (Div. gén.)).  La nature des autres moyens possibles influera sur la nature de l’analyse comparative.

              (4)   Dans quelle mesure les autres moyens permettent‑ils d’aplanir les obstacles?

[37]                          Après le recensement des autres voies de droit possibles, il faut évaluer la mesure dans laquelle elles résolvent les problèmes particuliers d’accès à la justice qui se posent dans les circonstances.  Le tribunal doit examiner les aspects procéduraux et substantiels de la notion d’accès en gardant à l’esprit que la voie judiciaire n’est pas nécessairement la modalité idéale de règlement équitable et efficace des différends.  Il doit se demander si l’autre moyen permettra de régler utilement les demandes quant au fond tout en assurant aux demandeurs la possibilité d’exercer des droits procéduraux adéquats.  Il faut, bien sûr, procéder à cette analyse comparative en fonction des normes de preuve applicables à l’étape de la certification, point que j’aborde plus loin.

              (5)   Bilan de la comparaison

[38]                          À cette étape, il s’agit de décider si l’autre moyen laisserait en totalité ou en partie subsister des obstacles à l’accès à la justice que le recours collectif permettrait d’aplanir (Hollick, par. 33).  En fin de compte, le tribunal saisi de la motion doit déterminer, au vu de la preuve, s’il a été démontré que le recours collectif est le meilleur moyen de régler les préoccupations relatives à l’accès à la justice, sur le plan de la procédure et sur le plan du fond.  Comme la Cour le mentionne dans Hollick, il doit aussi, sans outrepasser le cadre de l’audience sur la certification, comparer les coûts et les avantages du recours collectif projeté à ceux des autres moyens proposés.

D.  Les questions de preuve

              (1)   Fardeau de preuve applicable au critère du meilleur moyen à l’étape de la motion en vue de la certification

[39]                          L’examen des questions susmentionnées doit respecter le cadre de la certification; le tribunal ne saurait à cette étape procéder à l’appréciation détaillée du bien‑fondé du recours collectif ou des autres voies de droit ou de leur issue probable.  Dans l’arrêt Hollick, la juge en chef McLachlin explique que le fardeau de preuve applicable à l’étape de la motion en vue de la certification n’est pas élevé :

                        Je conviens que le représentant du groupe défini doit établir un certain fondement factuel pour la demande de certification.  Comme le dit la cour dans Taub [c. Manufacturers Life Insurance Co. (1998), 40 O.R. (3d) 379 (Div. gén.)], cela ne signifie pas qu’il faut des affidavits des membres du groupe ou qu’il faut un examen au fond des demandes d’autres membres du groupe.  Cependant, le rapport précité du comité consultatif du procureur général envisageait manifestement que le représentant du groupe serait tenu d’étayer sa demande de certification (à la p. 31) : ([traduction] « la preuve à l’appui de la demande devrait se limiter aux critères [de certification] »).  De toute évidence, c’est ce que prévoit la Loi au par. 5(4) (« [l]e tribunal peut ajourner la motion en vue de faire certifier le recours collectif afin de permettre aux parties de modifier leurs documents ou leurs actes de procédure ou d’autoriser la présentation d’éléments de preuve supplémentaires »).  À mon sens, le représentant du groupe doit établir un certain fondement factuel pour chacune des conditions énumérées à l’art. 5 de la Loi, autre que l’exigence que les actes de procédure révèlent une cause d’action.  Cette dernière exigence est régie bien sûr par la règle qu’un acte de procédure ne devrait pas être radié parce qu’il ne révèle pas de cause d’action à moins qu’il soit [traduction] « manifeste et évident » qu’il n’y a lieu à aucune réclamation : voir Branch, op. cit., par. 4.60.  [Je souligne; par. 25.]

[40]                          La Cour a récemment confirmé ces principes dans Pro‑Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57, [2013] 3 R.C.S. 477, dans le contexte du régime similaire de recours collectif établi en Colombie‑Britannique.  Dans son analyse de la norme de preuve applicable aux critères des questions communes et du meilleur moyen (par. 101), le juge Rothstein indique que la norme d’« “un certain fondement factuel” n’exige pas que le tribunal se prononce sur les éléments de fait et les éléments de preuve contradictoires à l’étape de la certification » (par. 102), reconnaissant par là le fait que le tribunal saisi de la motion « n’est pas en mesure de statuer sur les éléments contradictoires de la preuve non plus que de déterminer sa valeur probante à l’issue d’une analyse nuancée » (Pro‑Sys, par. 102, citant Cloud, par. 50; Irving Paper Ltd. c. Atofina Chemicals Inc. (2009), 99 O.R. (3d) 358 (C.S.J.), par. 119, citant Hague c. Liberty Mutual Insurance Co. (2004), 13 C.P.C. (6th) 1 (C.S.J. Ont.)).  En outre, cette norme ne peut s’appliquer dans l’absolu.  Comme le juge Rothstein le signale, « il serait peu utile de tenter de définir “un certain fondement” dans l’abstrait.  L’issue d’une affaire dépend des faits qui lui sont propres » (par. 104).

[41]                          Les motifs du juge en chef Winkler à propos de cette norme dans McCracken c. Canadian National Railway Co., 2012 ONCA 445, 111 O.R. (3d) 745, apportent des précisions utiles :

                        [traduction] Le principe posant qu’il faut établir un « certain fondement factuel » répond à deux préoccupations.  Premièrement, tous les critères, hormis celui de la cause d’action, étayant l’ordonnance de certification doivent reposer sur une preuve.

                        Deuxièmement, dans l’esprit du régime procédural établi par la LRC, l’emploi du mot « certain » indique que la preuve n’a pas à être exhaustive et qu’il ne s’agit certainement pas d’une preuve propre à présider au débat sur le fond.  Cette intention du législateur est exprimée à l’al. 2(3)a) de la LRC — qu’on honore le plus souvent en l’enfreignant — lequel exige du représentant des demandeurs qu’il présente la motion en vue de la certification dans les 90 jours suivant le dépôt de la défense ou de l’avis d’intention d’en présenter une ou de l’expiration du délai prescrit pour ce faire.  Passé ce délai, il faut obtenir l’autorisation du tribunal (voir l’al. 2(3)b)).  [Je souligne; par. 75‑76.]

[42]                          La jurisprudence souligne qu’il importe de ne pas laisser l’exigence du « certain fondement factuel » mener à une appréciation poussée des faits litigieux qui toucherait au bien‑fondé du recours.  Dans Cloud, par exemple, la Cour d’appel de l’Ontario a indiqué que cette norme [traduction] « n’entraîne pas d’évaluation au fond à l’étape de la certification » (par. 50).  Dans Pearson, elle a pareillement conclu, après avoir constaté que le représentant des demandeurs avait produit une preuve visant à établir la dépréciation d’immeubles, que celui‑ci avait satisfait à la norme du « certain fondement factuel » à l’égard du critère des questions communes.  Selon elle, bien que la défenderesse ait contesté cette preuve, [traduction] « il n’y a pas lieu de régler ce débat à l’audition de la motion en vue de la certification » (par. 76).  Ces règles de preuve s’appliquent tout autant au critère du meilleur moyen (voir, p. ex., 1176560 Ontario Ltd. c. Great Atlantic & Pacific Co. of Canada Ltd. (2002), 62 O.R. (3d) 535 (C.S.J.), par. 27, conf. par (2004), 70 O.R. (3d) 182 (C.S.J. (C. div.))).

[43]                          La norme de preuve applicable à l’examen d’une motion en vue de la certification était au cœur de l’appel dans Chadha c. Bayer Inc. (2003), 63 O.R. (3d) 22 (C.A.), autorisation d’appel refusée, [2003] 2 R.C.S. vi.  La cour a statué clairement qu’à cette étape le tribunal ne peut procéder à une appréciation détaillée de la preuve et doit plutôt se borner à vérifier si les critères de certification reposent sur un certain fondement factuel.  Dans Chadha, la cour n’a pas certifié le recours parce qu’aucun élément de preuve ne permettait d’établir l’un des préalables à une déclaration de responsabilité, soit la perte à l’échelle du groupe, de sorte qu’il n’y avait pas de question commune.  Il n’était pas nécessaire de démontrer l’existence d’une méthode convaincante qui prouverait une telle perte, mais il fallait établir un certain fondement factuel permettant de penser qu’une quelconque méthode existait.  Or, les demandeurs n’y sont pas arrivés.  Notre Cour dans Pro‑Sys tire la conclusion opposée quant à l’existence d’une question commune parce qu’il existait « une méthode proposée par un expert [qui] permettrait assez certainement d’établir la perte à l’échelle du groupe » (par. 140).

[44]                          La portée restreinte de l’examen factuel à l’étape de la certification fait en sorte que le tribunal saisi d’une telle motion n’est souvent pas en mesure de confronter les fonds que le recours collectif et les autres moyens permettraient de recouvrer.  Dans Pro‑Sys, par exemple, on a fait valoir que le recours collectif ne favorisait pas vraiment l’objectif d’accès à la justice parce que l’indemnité accordée serait probablement distribuée selon le principe de l’aussi‑près et non pas versée aux membres individuels.  Le juge Rothstein n’a pas retenu cet argument, indiquant qu’il était « trop tôt pour présumer que la réparation accordée [. . .] donnera[it] lieu à des versements selon le principe de l’aussi‑près ou que, le cas échéant, l’objectif de favoriser l’accès à la justice sera[it] compromis » (par. 141).

[45]                          Les restrictions qu’emporte par sa nature la procédure de certification sont directement en cause en l’espèce.  Fait assez inhabituel, une voie de droit possible — l’instance devant la CVMO — a déjà été menée à terme, et son issue est connue.  On pourrait, à l’instar de la Cour divisionnaire, être tenté de comparer ce résultat avec l’issue probable du recours collectif projeté, c’est‑à‑dire se demander si les fonds qui restent à recouvrer valent l’investissement en temps et en argent que requiert le recours collectif.  Dans cette perspective, [traduction] « [à] moins qu’on puisse affirmer que les demandeurs ont obtenu la totalité — ou à tout le moins la quasi‑totalité — de ce qu’ils réclamaient », ils sont autorisés à exercer un recours collectif (jugement de la Cour divisionnaire, par. 8).  Compte tenu du dossier, la Cour divisionnaire a conclu que « la demande actuelle contre AIC et CI se chiffre à 333,8 millions de dollars outre le montant visé dans le règlement conclu par la CVMO » (par. 4).  Selon la cour, il s’agit d’une « somme considérable » (par. 8) autorisant les demandeurs à exercer un recours collectif. 

[46]                          Bien que ce raisonnement puisse séduire au premier abord, il perd rapidement de son lustre dès lors que la nature et les limites de la procédure de certification sont dûment considérées.  Il n’y a pas lieu à cette étape de déterminer si [traduction] « les demandeurs ont obtenu la totalité — ou [. . .] la quasi‑totalité — de ce qu’ils réclamaient » (jugement de la Cour divisionnaire, par. 8) et de comparer avec l’issue probable du recours collectif quant au fond.  Le mieux que l’on peut faire, à défaut d’un tel examen, est de déterminer au vu de la preuve évidemment limitée si les obstacles à l’accès à la justice auxquels le recours collectif peut remédier subsistent une fois que l’autre moyen a suivi son cours.

[47]                          Quoi qu’il en soit, lorsque l’issue de l’autre moyen ou les plafonds qu’il impose sont connus lors de l’examen de la motion en vue de la certification, on ne peut faire abstraction de ces faits incontestables.  Dans l’arrêt Rumley, par exemple, la juge en chef McLachlin indique que l’autre voie de droit ne constitue pas le meilleur moyen notamment parce qu’elle plafonne à 60 000 $ l’indemnité qu’un plaignant peut recevoir (par. 38).  (Bien que cet arrêt porte sur la Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, ch. 50, de la Colombie‑Britannique, la LRC permet implicitement le même raisonnement.)  Dans une affaire présentant des faits similaires et intéressant la LRC, la Cour d’appel de l’Ontario a elle aussi fait remarquer que l’autre moyen permettait le recouvrement d’une indemnité limitée (Cloud, par. 92).  On peut supposer que, si la cour a tenu compte du plafond prévu par l’autre moyen, elle estimait que le recours collectif permettait de régler l’ensemble des demandes des membres du groupe.  L’issue et les plafonds peuvent donc entrer en ligne de compte, mais uniquement dans le cadre de preuve limité applicable à l’étape de la certification.  Dans une affaire où tant l’issue du recours collectif que celle de l’autre voie de droit sont inconnues, l’exercice de comparaison, eu égard aux obstacles à l’accès à la justice sur le plan du fond, sera généralement très limité.

              (2)   À qui incombe le fardeau de preuve?

[48]                          Il incombe à la partie qui cherche à faire certifier un recours collectif d’établir un certain fondement factuel pour chacune des conditions de certification (Hollick, par. 25).  S’agissant du critère du meilleur moyen, le représentant des demandeurs doit démontrer (1) que le recours collectif serait un moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance et (2) qu’il serait préférable à tous les moyens raisonnables offerts pour régler les demandes des membres du groupe (Hollick, par. 28 et 31).  Le défendeur peut présenter des éléments afin de [traduction] « réfuter l’existence du certain fondement factuel pouvant s’inférer de la preuve présentée par le demandeur » (M. Cullity, « Certification in Class Proceedings — The Curious Requirement of “Some Basis in Fact” » (2011), 51 Rev. can. dr. comm. 407, p. 417).

[49]                          Pour ce qui est du deuxième aspect du critère du meilleur moyen — c’est‑à‑dire l’analyse comparative — le représentant des demandeurs devra nécessairement établir un certain fondement factuel permettant de conclure que le recours collectif serait préférable aux autres voies judiciaires.  On ne saurait toutefois exiger qu’il passe en revue toutes les voies de droit extrajudiciaires possibles pour faire cette preuve.  Le défendeur qui invoque l’existence d’une solution extrajudiciaire est tenu d’étayer son affirmation.  Pour reprendre les propos du juge Winkler (plus tard juge en chef) dans Caputo c. Imperial Tobacco Ltd. (2004), 236 D.L.R. (4th) 348 (C.S.J. Ont.) : [traduction] « . . . les défenderesses ne peuvent se contenter d’affirmer que d’autres moyens sont préférables sans fondement probatoire [. . .] Leur affirmation doit être appuyée par des éléments de preuve » (par. 67).  Toutefois, dès lors que la preuve relative à un autre moyen est produite, le fardeau de prouver qu’il est satisfait au critère du meilleur moyen repose à nouveau sur le demandeur.

E.   Application

[50]                          En l’espèce, deux obstacles potentiels à l’accès à la justice se dressent.  Le premier, d’ordre financier, est lié à la nature de la demande.  Il s’agit d’un recours collectif portant sur de petites créances.  Le juge saisi de la motion a estimé que le montant des demandes individuelles était trop modeste pour qu’un recours individuel soit viable (par. 62).  Cet obstacle réside donc dans la non‑viabilité des recours individuels.  Dans un cas comme celui qui nous occupe, l’accès à la justice commande l’accès à une voie de droit susceptible de permettre l’indemnisation équitable — et possible sur le plan financier — des membres du groupe quant à leurs demandes pécuniaires individuelles, si elles sont établies.  Le deuxième obstacle est lié au premier.  La nature de la demande est telle qu’il n’existe peut‑être pas d’autre moyen équitable de permettre aux membres du groupe d’exercer leurs droits et de mener au règlement des questions communes d’un groupe pouvant compter plus d’un million de membres.  Ainsi, dans un tel cas, l’action en justice classique ne sert pas l’accès à la justice, ni du point de vue substantiel, ni du point de vue procédural. 

[51]                          Or, le recours collectif proposé élimine ces obstacles.  Il permet à un groupe de faire valoir un ensemble de demandes individuelles qu’il serait autrement impossible pour des raisons d’ordre financier de soumettre aux tribunaux et il fournit aux membres du groupe une voie de droit équitable.  Le recours collectif assure une ample protection de leurs droits par le truchement de certains mécanismes, dont le critère qui exige la nomination d’un représentant qui « représenterait de façon équitable et appropriée les intérêts du groupe », a préparé un plan efficace pour faire avancer l’instance au nom du groupe et n’a aucun conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe (LRC, al. 5(1)e)).

[52]                          Comme je l’ai déjà indiqué, il n’existe pas d’autre solution judiciaire réaliste en l’espèce.  La seule autre voie de droit évoquée est l’instance devant la CVMO et les règlements intervenus, dont l’issue est connue.  Par conséquent, la question qu’il faut poser est celle de savoir si cette instance a permis d’éliminer les obstacles à l’accès à la justice ou s’il en subsiste.  Cette analyse comporte un aspect procédural et un aspect substantiel.

[53]                          S’agissant de l’aspect procédural, les appelantes soutiennent que la Cour d’appel a attaché trop d’importance au fait que la CVMO exerce une compétence d’ordre réglementaire et ne dispose pas de pouvoirs d’indemnisation.  Selon elles, la cour a mal apprécié la participation des investisseurs à l’instance devant cet organisme.  Je ne puis leur donner raison.

[54]                          La principale compétence que confère à la CVMO l’art. 127 de la Loi sur les valeurs mobilières — en vertu duquel l’organisme a procédé à l’enquête — est de nature réglementaire. En conséquence, elle « n’est ni réparatrice, ni punitive; elle est de nature protectrice et préventive et elle est destinée à être exercée pour prévenir le risque d’un éventuel préjudice aux marchés financiers en Ontario » (Comité pour le traitement égal des actionnaires minoritaires de la Société Asbestos Ltée c. Ontario (Commission des valeurs mobilières), 2001 CSC 37, [2001] 2 R.C.S. 132, par. 42, citant (1999), 43 O.R. (3d) 257, p. 272, le juge Laskin).  En l’espèce, il ne fait aucun doute que la CVMO était habilitée à approuver les ententes de règlement ou, comme l’a conclu le juge saisi de la motion, que son personnel a voulu déterminer l’ampleur des pertes subies par les investisseurs et à faire en sorte qu’ils soient indemnisés par le truchement des ententes de règlement.  Cependant, l’indemnisation des investisseurs ne constitue pas la raison d’être du pouvoir dévolu à la CVMO par l’art. 127.  De plus, il n’existe aucun moyen de savoir comment la CVMO est parvenue aux ententes de règlement, puisque la méthode employée pour en fixer les montants n’a jamais été divulguée.  Comme l’a indiqué le juge saisi de la motion, [traduction] « on ignore en fait comment la CVMO a effectué ses calculs » (par. 99).

[55]                          Quant à la participation des investisseurs à l’instance devant la CVMO, les intimés et la Cour d’appel s’égarent à mon avis quelque peu en fondant presque exclusivement sur ce point leur conclusion que cette instance n’est pas le meilleur moyen.  J’estime néanmoins que la participation des investisseurs à la procédure menant à l’indemnisation constitue un facteur important, qui milite fortement en faveur de la conclusion que le recours collectif satisfait au critère du meilleur moyen en l’espèce.  Selon la Cour d’appel, l’instance devant la CVMO et la procédure dont découlent les ententes de règlement [traduction] « laissai[en]t peu ou pas de place à la participation des investisseurs » (par. 58 et 60), tandis que le recours collectif « permet la nomination d’un représentant ayant en commun avec les membres du groupe suffisamment d’intérêts [et qui] voit au déroulement du recours pour le compte de ces derniers sous la supervision du tribunal et dans le respect du principe de publicité des débats judiciaires » (par. 61).  En outre, ainsi que l’a conclu le juge saisi de la motion, on ne sait rien sur la façon dont la CVMO a fixé l’indemnité.  Pour résumer, la nature réglementaire de l’instance devant la CVMO et les droits de participation limités qu’elle offrait aux investisseurs, conjugués à l’absence d’information sur les calculs effectués par son personnel en vue de l’indemnisation des investisseurs, étayent la conclusion qu’il subsistait d’importants obstacles à l’accès à la justice sur le plan procédural auxquels le recours collectif pouvait remédier.  Par ailleurs, l’objet et la nature de la procédure devant la CVMO accentuent les préoccupations, que j’aborde dans les paragraphes suivants, en matière d’accès à la justice sur le plan du fond.

[56]                          Passons à l’aspect substantiel de l’accès à la justice.  La Cour d’appel a estimé que le juge saisi de la motion et la Cour divisionnaire avaient eu tort de s’attacher à l’issue concrète de l’instance devant la CVMO qui, selon elle, [traduction] « ne constitue pas un facteur pertinent dans l’analyse comparative que commande l’al. 5(1)d) de la LRC » (par. 10).  À mon avis, la Cour d’appel s’est montrée trop catégorique sur ce point dans les circonstances.  Tout examen de l’issue concrète doit évidemment s’en tenir à la norme de preuve applicable à une motion en vue de la certification.  Or, comme je l’explique, l’accès à la justice ne ressortit pas seulement à la procédure.  L’accès à la justice suppose une issue juste, et non pas une procédure engagée pour la forme.  J’estime toutefois que le poids considérable que mérite cet élément se rattachant au fond renforce la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle la certification de ce recours collectif s’impose.

[57]                          L’un des obstacles à l’accès à la justice dans ce recours collectif mettant en cause de petites créances provient de ce que l’action en justice classique n’offre pas aux investisseurs un moyen viable sur le plan financier de récupérer leurs pertes.  Les appelantes font valoir que l’instance réglementaire devant la CVMO a permis à ces derniers de toucher une indemnité appréciable sans engager de frais.  Dans ces circonstances, j’estime qu’on ne peut conclure que l’issue concrète de cette instance ne joue pas pour déterminer si cette voie de droit a permis de lever l’obstacle à l’accès à la justice en l’espèce ou s’il en ressort que le recours collectif n’est pas le meilleur moyen.

[58]                          Cela dit, l’issue concrète de l’instance devant la CVMO et son effet sur l’analyse relative au meilleur moyen doivent être examinés à la lumière des normes de preuve applicables.  Je le répète, les demandeurs ont à démontrer l’existence d’un « certain fondement factuel » permettant de penser que le recours collectif est préférable aux autres moyens.  Les circonstances de l’espèce sont plutôt inhabituelles, car l’issue de l’instance devant la CVMO est connue.  À mon sens, l’analyse comparative doit aborder la question de savoir si l’examen des coûts et des avantages étaye la thèse des intimés, selon qui le recours collectif est le meilleur moyen de régler leurs réclamations.

[59]                          La réponse à cette question me paraît assez simple en l’espèce.  Les intimés ont invoqué des causes d’action valables.  L’instance devant la CVMO et les ententes de règlement en découlant ne portent pas atteinte à de telles demandes.  Le juge saisi de la motion s’est dit convaincu de l’existence [traduction] « d’un certain fondement factuel étayant l’affirmation des demandeurs selon laquelle les ententes de règlement conclues par la CVMO n’ont peut‑être pas indemnisé totalement les investisseurs » (par. 101).  Il a également conclu que les membres du groupe ne cherchaient pas à « avoir le beurre et l’argent du beurre » :

                        [traduction] Je ne saurais admettre l’argument que les demandeurs [intimés devant la Cour] et les investisseurs se montrent déraisonnables, voire âpres au gain, en touchant l’indemnité obtenue par la CVMO et en intentant en plus un recours collectif.  Les investisseurs ne jouent pas sur les deux tableaux.  Ils n’ont pas demandé à la CVMO de prendre leur défense et de mener l’enquête en leur nom.  Ils n’ont rien fait de mal en acceptant une part de ce gâteau.  Les représentants proposés n’ont pas mal agi en tentant de faire certifier un recours collectif et je n’ai aucune raison de douter qu’ils estiment vraiment ne pas avoir été pleinement indemnisés.  [par. 218]

[60]                          Selon l’estimation du juge saisi de la motion, le groupe partie au recours collectif compte 264 036 membres dans le cas d’AIC et 803 903 membres dans le cas de CI.  Il s’agit du nombre de versements faits par chacune en exécution des ententes de règlement avec la CVMO (décision relative à la motion, par. 56).  AIC et CI ont respectivement versé 58,8 et 49,3 millions de dollars en exécution de ces ententes.  Les demandeurs ont soumis une preuve d’expert révélant des pertes, pour les investisseurs d’AIC, entre 6,5 et 251 millions de dollars, et pour les investisseurs de CI, entre 72,1 et 349,3 millions de dollars, en fonction de la méthode de calcul employée.  La méthode préconisée par un expert (qui en avait présenté cinq en tout) permettait d’arriver à des pertes estimatives de 192,6 millions de dollars dans le cas des investisseurs d’AIC et de 349,3 millions de dollars dans le cas de ceux de CI (décision relative à la motion, par. 94).  D’après l’expert engagé par les demandeurs, l’indemnité versée en exécution de l’entente de règlement correspondait, dans le cas des investisseurs d’AIC, à seulement 31 % de la somme intégrale, et dans le cas des investisseurs de CI, à seulement 14 % (décision relative à la motion, par. 94).

[61]                          Naturellement, l’audience sur la motion en vue de la certification n’est pas le moment d’évaluer les chances de succès de ces demandes ou de débattre le bien‑fondé des méthodes employées pour calculer les pertes des investisseurs.  Or, la preuve présente l’issue de l’autre voie de droit en détail et révèle qu’il subsiste des préoccupations relatives à l’accès à la justice quant au fond.  En outre, il n’y a aucune raison de croire que les coûts du recours annuleraient le montant des dommages‑intérêts susceptibles d’être accordés.  D’ailleurs, le juge saisi de la motion a indiqué que, puisque les défenderesses avaient été en mesure de verser les indemnités en exécution des ententes [traduction] « en s’appuyant sur leurs propres dossiers pour déterminer l’admissibilité, le lien de causalité et le montant », « il est à tout le moins envisageable que le juge qui procédera à l’examen des questions communes au procès puisse établir des modalités acceptables pour régler les questions de calcul et de distribution de façon juste, pratique et efficace » (par. 208).  J’estime par conséquent que les demandeurs (intimés devant la Cour) ont bien étayé l’opinion que le recours collectif permettrait d’écarter les obstacles à l’accès à la justice subsistant après l’instance devant la CVMO et qu’à la lumière d’un examen des coûts et des avantages, il s’agit du meilleur moyen de faire valoir les demandes des investisseurs.

[62]                          En conclusion, l’analyse relative au meilleur moyen faite par le juge des motions était entachée d’une erreur de principe.  J’estime qu’il a retenu à tort l’argument des défenderesses (appelantes devant la Cour) selon lequel il ne devrait pas [traduction] « dès lors qu’il est convaincu que la CVMO cherchait à obtenir la réparation du préjudice subi par les investisseurs et que la procédure était adéquate, [. . .] remettre en question l’accès à la justice assuré par cet organisme » (par. 256‑257).  Au contraire, son rôle consistait justement à comparer et à évaluer, dans le cadre limité de la certification, l’accès à la justice procuré par les deux voies de droit, au point de vue tant substantiel que procédural, dans son examen global de la question de savoir si les demandeurs avaient démontré qu’il était satisfait au critère du meilleur moyen selon la norme de preuve applicable.  Le fait que l’issue de l’instance devant la CVMO est connue en l’espèce ajoute un élément qui joue rarement dans l’évaluation au stade de la certification.

[63]                          Je partage l’avis de la Cour d’appel selon qui le juge saisi de la motion a commis une erreur de principe en [traduction] « considérant que les ententes de règlement conclues par la CVMO éclipsaient en quelque sorte toute comparaison entre l’objet purement réglementaire de cette instance et l’objet du recours collectif qui est d’offrir une réparation de droit privé » (par. 80).  Cette opinion l’a amené à négliger à tort d’importantes considérations d’accès à la justice ayant trait à cette instance : nature réglementaire, non‑participation des investisseurs et absence d’information sur la méthode d’évaluation des pertes de ces derniers.  Il ressort de ces limites procédurales que l’accès à la justice quant au fond est mieux servi par le recours collectif projeté.  

[64]                          Je conviens aussi avec la Cour divisionnaire et la Cour d’appel que le juge saisi de la motion a commis une erreur de principe en s’attachant à des considérations qui jouent au moment de l’approbation du règlement d’un recours collectif.  L’examen en profondeur du bien‑fondé des demandes ou du montant éventuel des dommages‑intérêts ne s’effectue pas à l’étape de la certification et encore moins lors de l’analyse relative au meilleur moyen.  À ce stade, comme la Cour d’appel l’a indiqué, le plus souvent [traduction] « on ne peut utiliser de point de référence sûr parce qu’on ignore encore le montant recouvrable à l’issue du recours collectif projeté.  Autrement dit, l’analyse relative au meilleur moyen ne doit pas se réduire à une évaluation après coup visant à déterminer si l’indemnité versée par suite de l’autre voie de droit est adéquate » (par. 77). 

[65]                          Je reconnais que la décision en matière de certification appelle une grande déférence (voir, p. ex., Pearson, par. 43; Markson c. MBNA Canada Bank, 2007 ONCA 334, 85 O.R. (3d) 321, par. 33).  Plus particulièrement, [traduction] « [l]a décision sur le meilleur moyen commande [. . .] une déférence spéciale parce qu’elle suppose l’appréciation et la mise en balance de plusieurs facteurs » (Pearson, par. 43).  Je considère toutefois que la déférence ne saurait mettre une décision à l’abri d’une révision si elle est entachée d’erreurs de principe touchant directement la conclusion tirée, comme c’est le cas en l’espèce (voir, p. ex., Cassano c. Toronto‑Dominion Bank, 2007 ONCA 781, 87 O.R. (3d) 401, par. 23, autorisation d’appel refusée, [2008] 1 R.C.S. xiv; Markson, par. 33; Cloud, par. 39).

V.     Dispositif

[66]                          Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

ANNEXE

Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch.  6

                        5  (1) [Recours collectif certifié par le tribunal] Le tribunal saisi d’une motion visée à l’article 2, 3 ou 4 certifie qu’il s’agit d’un recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

 

                       a)     les actes de procédure ou l’avis de requête révèlent une cause d’action;

 

                       b)    il existe un groupe identifiable de deux personnes ou plus qui se ferait représenter par le représentant des demandeurs ou des défendeurs;

 

                       c)     les demandes ou les défenses des membres du groupe soulèvent des questions communes;

 

                       d)    le recours collectif est le meilleur moyen de régler les questions communes;

 

                       e)     il y a un représentant des demandeurs ou des défendeurs qui :

 

                                (i)    représenterait de façon équitable et appropriée les intérêts du groupe,

 

                                (ii)   a préparé un plan pour l’instance qui propose une méthode efficace de faire avancer l’instance au nom du groupe et d’aviser les membres du groupe de l’instance,

 

                                (iii)  n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe, en ce qui concerne les questions communes du groupe.

                    Pourvoi rejeté avec dépens.

                    Procureurs de l’appelante AIC Limitée : Borden Ladner Gervais, Toronto.

                    Procureurs de l’appelante CI Mutual Funds Inc. : Goodmans, Toronto.

                    Procureurs des intimés : Rochon Genova, Toronto.

 

 

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