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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Peracomo Inc. c. Société TELUS Communications, 2014 CSC 29, [2014] 1 R.C.S. 621

Date : 20140423

Dossier : 34991

 

Entre :

 

Peracomo Inc., Réal Vallée, les propriétaires et toutes les autres

personnes ayant un droit sur le navire de pêche « Realice » et

le navire de pêche « Realice »

Appelants

et

Société TELUS Communications, Hydro-Québec, Bell Canada et

Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances

Intimées

 

 

Traduction française officielle : Motifs du juge Cromwell

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 72)

 

Motifs dissidents en partie :

(par. 73 à 110)

 

Le juge Cromwell (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Rothstein et Karakatsanis)

 

Le juge Wagner

 

 

 


Peracomo Inc. c. Société TELUS Communications, 2014 CSC 29, [2014] 1 R.C.S. 621

Peracomo Inc.,

Réal Vallée, les propriétaires et toutes les autres personnes

ayant un droit sur le navire de pêche « Realice »

et le navire de pêche « Realice »                                                                    Appelants

c.

Société TELUS Communications,

Hydro-Québec, Bell Canada et

Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances                               Intimées

Répertorié : Peracomo Inc. c. Société TELUS Communications

2014 CSC 29

No du greffe : 34991.

2013 : 15 novembre; 2014 : 23 avril.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner.

en appel de la cour d’appel fédérale

                    Droit maritime Responsabilité délictuelle Limitation de la responsabilitéConduite supprimant la limitation Norme de faute Dommage évalué à presque un million de dollars causé par un pêcheur qui a sectionné intentionnellement un câble sous-marin à fibres optiques qu’il croyait abandonné Y a-t-il suppression du droit que la Convention confère aux appelants de voir leur responsabilité limitée?Le pêcheur avait-il l’intention de causer le dommage ou a-t-il agi témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement?Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, 1456 R.T.N.U. 221, art. 4.

                    Droit maritime — Assurance maritime — Exclusion de la garantie — Norme de faute — Inconduite délibérée — La norme de faute applicable est-elle la même aux fins de la Loi sur l’assurance maritime  et de la Convention? — Y a-t-il eu inconduite délibérée de la part du pêcheur de sorte que l’indemnisation du dommage soit exclue aux fins de la garantie? — Loi sur l’assurance maritime, L.C. 1993, ch. 22, art. 53(2) .

                    Pêcheur de crabe et unique actionnaire de P, V pêchait dans le Saint-Laurent lorsque l’une de ses ancres s’est accrochée dans un câble reposant sur le lit du fleuve.  Il a considéré l’éventualité que le câble soit en service, mais il est arrivé à croire qu’il ne l’était pas.  Sa croyance avait pour fondement une mention manuscrite sur une sorte de carte qu’il avait consultée brièvement l’année précédente au mur d’un musée.  Il n’a pris aucune mesure pour confirmer ou écarter sa croyance, et il a entrepris de sectionner le câble.  Or, le câble à fibres optiques était opérationnel; il faisait l’objet d’un droit de copropriété ou d’un droit d’utilisation détenus par certaines des intimées.  Le dommage causé a atteint près de un million de dollars.

                    La Cour fédérale a déclaré V, sa société et son navire solidairement responsables du dommage.  Le juge de première instance a estimé que, V ayant sectionné le câble délibérément, les appelants n’avaient pas droit à la limitation de leur responsabilité à 500 000 $ suivant la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes puisque ce plafond ne vaut pas lorsque le dommage est imputable à l’acte intentionnel et téméraire d’une personne.  En outre, la police d’assurance des appelants a été jugée inapplicable du fait que le sectionnement du câble constituait une « inconduite délibérée » qui emportait l’exclusion de la garantie par application du par. 53(2)  de la Loi sur l’assurance maritime .  L’appel interjeté en Cour d’appel fédérale a été rejeté.

                    Arrêt (le juge Wagner est dissident en partie) : Le pourvoi est accueilli en partie.

                    La juge en chef McLachlin et les juges Rothstein, Cromwell et Karakatsanis : La limitation de la responsabilité que prévoit la Convention s’applique, de sorte que la responsabilité des appelants est plafonnée à 500 000 $, mais l’indemnisation du dommage est exclue aux fins de leur garantie d’assurance.  V peut être tenu personnellement responsable du dommage.

                    Bien que les exclusions que prévoient la Convention et la Loi sur l’assurance maritime  soient liées, d’importantes distinctions existent entre elles sur le plan tant de l’objet que du libellé, ce qui emporte notre décision en l’espèce.  La Convention établit une norme de faute plus stricte que ne le fait la disposition qui exclut l’application de la garantie d’assurance.  Pour supprimer la limitation de la responsabilité que prévoit la Convention en matière maritime, il faut prouver que le dommage résulte d’un acte ou d’une omission commis avec l’intention de provoquer un tel dommage ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement.  Pour sa part, la Loi sur l’assurance maritime  exclut l’indemnisation du dommage imputable à l’« inconduite délibérée » de sorte que, suivant la norme de faute applicable, cette inconduite s’entend non seulement d’un acte fautif intentionnel, mais également d’une conduite qui témoigne d’une insouciance téméraire au vu d’une obligation de connaissance.

                    Il ne suffit pas, pour que la limitation de la responsabilité soit supprimée en application de l’art. 4 de la Convention, que V ait eu l’intention de sectionner le câble.  Il faut aussi prouver qu’il a voulu causer le dommage qui en a effectivement résulté ou qu’il a agi témérairement et avec conscience que le dommage en résulterait probablement.  Selon le juge de première instance, V croyait le câble inutile.  Lorsque V l’a sectionné, il n’avait ni l’intention de provoquer le dommage subi par les intimées, ni conscience que telles seraient probablement les conséquences de ses actes.  Les tribunaux inférieurs ont donc commis l’erreur de droit de conclure que V avait voulu provoquer un dommage ou qu’il avait agi témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement, pour les besoins de l’art. 4 de la Convention.

                    Les actes de V ne satisfont pas à la norme très stricte établie pour qu’il y ait perte du bénéfice de la limitation de la responsabilité prévue par la Convention, mais ils constituent une inconduite délibérée pour les besoins de la garantie d’assurance.  Il incombait à V de connaître l’existence du câble, obligation à laquelle il a lamentablement manqué.  Ses actes se sont à ce point éloignés de la gamme des conduites auxquelles on pouvait s’attendre de lui dans la situation considérée qu’on peut les assimiler à une inconduite.  Les conclusions du juge de première instance montrent clairement que l’inconduite était délibérée.  Aux fins de l’assurance, le fait que V a cru que le câble n’était pas en service est dénué de pertinence.  V savait que ce qu’il sectionnait était un câble sous-marin.  Il a considéré l’éventualité que le câble puisse être en service, mais il n’a pris aucune mesure pour confirmer ou écarter sa croyance selon laquelle le câble était abandonné et inutile.  Il a manifesté une insouciance téméraire vis-à-vis des conséquences possibles de ses actes dont il était pourtant bel et bien conscient.  Il y a donc eu inconduite délibérée de sa part : il a couru un risque déraisonnable dont il avait subjectivement conscience et il a fait preuve d’insouciance quant aux conséquences.

                    Le juge Wagner (dissident en partie) : Les appelants peuvent à la fois limiter leur responsabilité et bénéficier de la protection de leur police d’assurance.

                    Bien que la formulation des dispositions ne soit pas identique, il est nécessaire d’interpréter la disposition de la Loi sur l’assurance maritime  en cause en harmonie avec les dispositions de la Convention.  L’une et l’autre requièrent la preuve d’un même élément : l’assuré devait connaître les conséquences dommageables de son geste et les avoir voulues ou ne pas s’être soucié qu’elles se produisent.  Or, le par. 53(2)  de la Loi sur l’assurance maritime , tout comme l’art. 4 de la Convention, adopte un critère subjectif : un acte ne peut être qualifié d’inconduite délibérée en l’absence de preuve que l’assuré désirait le résultat de son geste ou ne se souciait pas qu’il se réalise.

                    « L’inconduite délibérée » exige soit un acte intentionnel ayant visé à causer le préjudice, soit la conduite d’une personne qui a tellement fermé les yeux ou s’est si peu souciée des autres qu’elle n’était pas attentive à ce qui pouvait en découler.  Une conduite qui témoigne d’une insouciance téméraire au vu d’une obligation de connaissance ne sera assimilée à une inconduite délibérée que s’il est établi en preuve que, au moment où l’acte fautif a été accompli, son auteur avait subjectivement connaissance des dommages qui en découleraient.  La preuve d’une conduite témoignant d’une insouciance téméraire en dépit d’une obligation de connaissance n’est que la première étape.  Il faut ensuite prouver que cette inconduite était délibérée.  Si après avoir apprécié les conséquences possibles de son acte, l’assuré croit de façon sincère, mais erronée, que son geste n’entraînera aucun préjudice, son inconduite ne peut alors être qualifiée de délibérée.

                    Le fait qu’une personne raisonnable aurait dû savoir, ou qu’une personne avait le devoir de savoir, n’est pas suffisant pour autoriser la conclusion qu’un acte présente les attributs d’une inconduite délibérée : il faut également établir que la personne voulait les dommages et faire la preuve d’une négligence grossière ou d’une inconduite qui présente un écart très marqué par rapport au comportement d’une personne raisonnable.

                    À l’évidence, la conduite de V ne répond pas à cette définition.  Celui-ci croyait sincèrement que le câble n’était pas en usage.  Rien dans le dossier ne permet de conclure que V savait effectivement que le câble était utilisé ou qu’il avait quelque soupçon à cet égard.  En outre, rien au dossier ne permet d’imputer à V la connaissance de la réalisation des dommages et encore moins son intention de causer de tels dommages.  Partant, cette situation le mettait à l’abri d’une dénégation de couverture par son assureur responsabilité, tout en lui permettant aussi de limiter sa responsabilité.

Jurisprudence

Citée par le juge Cromwell

                    Arrêts mentionnés : London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagel International Ltd., [1992] 3 R.C.S. 299; ADGA Systems International Ltd. c. Valcom Ltd. (1999), 43 O.R. (3d) 101, autorisation de pourvoi refusée, [2000] 1 R.C.S. xv; Nugent c. Michael Goss Aviation Ltd., [2000] 2 Lloyd’s Rep. 222; Margolle c. Delta Maritime Co. (The « Saint Jacques II » and « Gudermes »), [2002] EWHC 2452, [2003] 1 Lloyd’s Rep. 203; Schiffahrtsgesellschaft MS « Merkur Sky » m.b.H. & Co. K.G. c. MS Leerort Nth Schiffahrts G.m.b.H. & Co. K.G. (The « Leerort »), [2001] EWCA Civ 1055, [2001] 2 Lloyd’s Rep. 291; The « Bowbelle », [1990] 1 Lloyd’s Rep. 532; Daina Shipping Co. c. Te Runanga O Ngati Awa, [2013] NZHC 500, [2013] 2 N.Z.L.R. 799; MSC Mediterranean Shipping Co. S.A. c. Delumar BVBA (The « MSC Rosa M »), [2000] 2 Lloyd’s Rep. 399; Goulet c. Cie d’Assurance-Vie Transamerica du Canada, 2002 CSC 21, [2002] 1 R.C.S. 719; McCulloch c. Murray, [1942] R.C.S. 141; Studer c. Cowper, [1951] R.C.S. 450; Thompson c. Fraser, [1955] R.C.S. 419; Walker c. Coates, [1968] R.C.S. 599; Markling c. Ewaniuk, [1968] R.C.S. 776; Goulais c. Restoule, [1975] 1 R.C.S. 365; R. c. Boulanger, 2006 CSC 32, [2006] 2 R.C.S. 49; Attorney General’s Reference (No. 3 of 2003), [2004] EWCA Crim 868, [2005] Q.B. 73; Lewis c. Great Western Railway Co. (1877), 3 Q.B.D. 195; Thomas Cook Group Ltd. c. Air Malta Co., [1997] 2 Lloyd’s Rep. 399.

Citée par le juge Wagner (dissident en partie)

                    McCulloch c. Murray, [1942] R.C.S. 141; Studer c. Cowper, [1951] R.C.S. 450; Russell c. Canadian General Insurance Co. (1999), 11 C.C.L.I. (3d) 284; Avgeropoulos c. Karanasos (1969), 6 D.L.R. (3d) 34; Lewis c. Great Western Railway Co. (1877), 3 Q.B.D. 195; Thomas Cook Group Ltd. c. Air Malta Co., [1997] 2 Lloyd’s Rep. 399; Forder c. Great Western Railway Co., [1905] 2 K.B. 532; Horabin c. British Overseas Airways Corp., [1952] 2 Lloyd’s Rep. 450; Kenyon Son c. Baxter, Hoare & Co., [1971] 1 Lloyd’s Rep. 232; Compania Maritima San Basilio S.A. c. The Oceanus Mutual Underwriting Association (Bermuda) Ltd. (The « Eurysthenes »), [1976] 2 Lloyd’s Rep. 171; Rustenburg Platinum Mines Ltd. c. South African Airways, [1977] 1 Lloyd’s Rep. 564; Sidney G. Jones Ltd. c. Martin Bencher Ltd., [1986] 1 Lloyd’s Rep. 54; National Oilwell (UK) Ltd. c. Davy Offshore Ltd., [1993] 2 Lloyd’s Rep. 582; National Semiconductors (UK) Ltd. c. UPS Ltd., [1996] 2 Lloyd’s Rep. 212; Laceys Footwear (Wholesale) Ltd. c. Bowler International Freight Ltd., [1997] 2 Lloyd’s Rep. 369; Symons General Insurance Co. c. Sabau Construction Inc., [1986] R.J.Q. 2823; Aetna Casualty and Surety Co. c. Groupe Estrie, mutuelle d’assurance contre l’incendie, [1990] R.J.Q. 1792; Triglav c. Terrasses Jewellers Inc., [1983] 1 R.C.S. 283; Audet c. Transamerica Life Canada, 2012 QCCA 1746, [2012] R.J.Q. 1844; Canadian Indemnity Co. c. Walkem Machinery & Equipment Ltd., [1976] 1 R.C.S. 309.

Lois et règlements cités

Carriage by Air Act, 1961 (R.-U.), 9 & 10 Eliz. 2, ch. 27.

Code civil du Bas Canada, art. 2383, 2385, 2563, 2663, 2693.

Code civil du Québec, art. 1461, 1471, 1474, 1613, 1706, 2301, 2464, 2576.

Loi sur l’assurance maritime , L.C. 1993, ch. 22, art. 53 .

Loi sur la responsabilité en matière maritime , L.C. 2001, ch. 6, art. 26 , 28  [mod. 2009, ch. 21, art. 3], 29.

Marine Insurance Act, 1906 (R.-U.), 6 Edw. 7, ch. 41, art. 55(2)(a).

Motor Vehicle Act, S.N.S. 1932, ch. 6, art. 183.

Règlement sur les cartes marines et les publications nautiques (1995), DORS/95-149.

Traités et autres instruments internationaux

Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, 1456 R.T.N.U. 221, art. 1, 2, 4.

Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37, art. 32.

Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, 137 R.T.S.N. 11 [Convention de Varsovie], art. 25.

Protocole portant modification de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, 478 R.T.N.U. 371 [Protocole de La Haye].

Doctrine et autres documents cités

Arnould’s Law of Marine Insurance and Average, 17th ed. by Jonathan Gilman et al.  London : Sweet & Maxwell, 2008.

Belleau, Claude.  « L’harmonisation du droit civil et de la common law en droit des assurances au Québec » (1991), 32 C. de D. 971.

Brown, Craig.  Insurance Law in Canada, vol. 1.  Toronto : Carswell, 2002 (loose-leaf updated 2013, release 7).

Cane, Peter.  « Mens Rea in Tort Law » (2000), 20 Oxford J. Legal Stud. 533.

Comité Maritime International.  The Travaux Préparatoires of the LLMC Convention, 1976 and of the Protocol of 1996.  Antwerp, Belgium : CMI, 2000.

Damar, Duygu.  Wilful Misconduct in International Transport Law.  Heidelberg, Germany : Springer, 2011.

Gold, Edgar, Aldo Chircop and Hugh Kindred.  Maritime Law.  Toronto : Irwin Law, 2003.

Griggs, Patrick, Richard Williams and Jeremy Farr.  Limitation of Liability for Maritime Claims, 4th ed.  London : LLP, 2005.

Grime, R. P.  « Implementation of the 1976 limitation convention » (1988), 12 Marine Pol’y 306.

Heerey, Peter.  « Limitation of Maritime Claims » (1994), 10 MLAANZ Journal 1.

Hodges, Susan, and Christopher Hill.  Principles of Maritime Law.  London : LLP, 2001.

Le Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouvelle éd.  Paris : Le Robert, 2012, « délibéré ».

Lluelles, Didier.  Précis des assurances terrestres, 5e éd.  Montréal : Thémis, 2009.

Mandaraka-Sheppard, Aleka.  Modern Maritime Law and Risk Management, 2nd ed.  London : Routledge-Cavendish, 2007.

Ogg, Terry.  « IMO’s International Safety Management Code (The ISM Code) » (1996), 1 I.J.O.S.L. 143.

Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles, 5th ed.  Oxford : Oxford University Press, 2002, « wilful ».

Wilson, John F.  Carriage of Goods by Sea, 7th ed.  Harlow, England : Longman, 2010.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Létourneau, Gauthier et Trudel), 2012 CAF 199, 433 N.R. 152, [2012] F.C.J. No. 855 (QL), 2012 CarswellNat 2192, qui a confirmé une décision du juge Harrington, 2011 CF 494, 389 F.T.R. 196, [2011] A.C.F. no 602 (QL), 2011 CarswellNat 1227.  Pourvoi accueilli en partie, le juge Wagner est dissident en partie.

                    Nicholas J. Spillane et Victoria Leonidova, pour les appelants.

                    Jean Grégoire, John O’Connor et Michel Jolin, pour les intimées la Société TELUS Communications, Hydro-Québec et Bell Canada.

                    Jean-François Bilodeau et Nick Krnjevic, pour l’intimée la Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances.

                    Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Rothstein, Cromwell et Karakatsanis rendu par

                     Le juge Cromwell —

I.          Introduction

[1]                              L’appelant, Réal Vallée, pêche le crabe dans un secteur du fleuve Saint-Laurent qui correspond à la zone 17 et qui est situé près de Baie-Comeau, au Québec.  Il pratique la pêche depuis une cinquantaine d’années, soit depuis l’âge de 15 ans.  En 2005 et 2006, il exploitait le bateau de pêche Realice dont il est propriétaire par l’entremise de sa société, Peracomo Inc. 

[2]                              Un jour, alors qu’il naviguait à bord de son bateau, M. Vallée a hissé à la surface un câble à fibres optiques sous-marin dans lequel s’étaient pris ses engins de pêche et il l’a sectionné à l’aide d’une scie électrique.  Il savait qu’il sectionnait un câble et il a pris en considération l’éventualité que ce dernier puisse être en service.  Toutefois, il est arrivé à croire qu’il ne l’était pas sur la foi d’une mention manuscrite sur une sorte de carte qu’il avait consultée brièvement l’année précédente au mur d’un musée. Sa croyance était infondée.  Le câble était opérationnel.  Les dommages causés ont atteint près d’un million de dollars.  Pour reprendre les mots employés par le juge de première instance, M. Vallée est un homme bon qui a fait quelque chose de très stupide.

[3]                              L’action en dommages-intérêts intentée contre M. Vallée, sa société et le navire a été accueillie par la Cour fédérale.  L’appel interjeté en Cour d’appel fédérale a été rejeté.  Dans le cadre du présent pourvoi, les principales questions en litige sont celles de savoir si la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, 1456 R.T.N.U. 221 (« Convention »), et l’art. 29  de la Loi sur la responsabilité en matière maritime , L.C. 2001, ch. 6 , limitent tous deux la responsabilité des appelants à 500 000 $ et si le dommage est visé par leur garantie d’assurance.  M. Vallée soutient par ailleurs ne pas être personnellement responsable du dommage.

[4]                              L’application de la limitation de la responsabilité et de la garantie d’assurance tient au degré de faute de M. Vallée.  Ce dernier ne peut voir sa responsabilité limitée si le dommage « résulte de son fait ou de son omission personnels, [s’il a été] commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou [s’il a été] commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement » (art. 4).  En outre, l’indemnisation du dommage est exclue aux fins de la garantie d’assurance s’il est imputable à l’« inconduite délibérée » de l’assuré.  Il nous faut décider si les cours fédérales ont eu tort de conclure que ces deux exclusions s’appliquent aux actes de M. Vallée.

[5]                              À mon avis, la limitation de la responsabilité que prévoit la Convention s’applique, mais l’indemnisation du dommage est exclue aux fins de la garantie d’assurance.  Bien que les deux exclusions soient liées, d’importantes distinctions existent entre elles sur le plan tant de l’objet que du libellé, ce qui emporte notre décision en l’espèce.  Nous verrons que, en matière de faute, la Convention établit une norme plus stricte que ne le fait la disposition qui exclut la garantie d’assurance.  Les actes fautifs de M. Vallée ne satisfont pas à la norme très stricte établie pour qu’il y ait exclusion de la limitation de la responsabilité prévue par la Convention, mais ils constituent une « inconduite délibérée » pour les besoins de la garantie d’assurance.

[6]                              Je conclus que M. Vallée est personnellement responsable du dommage, que les appelants ont droit à la limitation de leur responsabilité sur le fondement de la Convention, mais que l’indemnisation du dommage est exclue aux fins de la garantie d’assurance.

II.       Faits et genèse de l’instance

[7]                              En 2005, alors que M. Vallée pêchait le crabe, l’une de ses ancres a rencontré un obstacle sur le lit du fleuve.  Après avoir remonté l’ancre à l’aide d’un treuil, il a constaté que l’obstacle en question était un câble.  Il s’agissait en fait du Sunoque I, un câble appartenant aux intimées Société TELUS Communications (« Telus ») et Hydro-Québec et que Bell Canada avait le droit d’utiliser.

[8]                              Peu de temps après, dans un musée local ― une ancienne église ―, M. Vallée a jeté un coup d’œil à une carte sur laquelle une ligne traversait le fleuve dans sa zone de pêche avec la mention manuscrite « abandonné ».  Il a pensé qu’il s’agissait du câble auquel son ancre s’était accrochée.  Comme le dit le juge de première instance, « [s]ans y penser à deux fois, M. Vallée a conclu que c’était cela que son ancre avait précédemment accroché [sic].  Il n’a regardé [la carte] que quelques secondes et ne peut se rappeler s’il s’agissait d’une carte marine, d’une carte topographique, ni même en fait du type de carte » (2011 CF 494 (CanLII), par. 40).  Le juge conclut que « [p]areille carte marine n’existe pas et n’a jamais existé » (par. 83).

[9]                              Lorsque, en 2006, son ancre s’est à nouveau accrochée au câble, M. Vallée a sectionné celui-ci au moyen d’une scie électrique circulaire et il a maintenu l’une de ses extrémités à flot.  Quelques jours plus tard, tandis qu’il pêchait dans le même secteur, son ancre s’est à nouveau prise dans le câble, qu’il a sectionné une seconde fois.  Telus, Hydro-Québec et Bell Canada (« intimées Telus ») ont poursuivi M. Vallée, sa société et son navire pour être indemnisées du coût de réparation.

[10]                          Au procès, le juge Harrington a déclaré les appelants coupables de négligence par suite de l’endommagement du câble.  Il a estimé que M. Vallée avait manqué à son devoir de diligence en common law ainsi qu’à son obligation légale de se tenir au courant de la présence de câbles sous-marins dans les secteurs où il pêchait (par. 34 et 49).  M. Vallée ne possédait aucune des cartes maritimes de la zone 17 qu’il était tenu d’avoir à bord et de consulter suivant le Règlement sur les cartes marines et les publications nautiques (1995), DORS/95-149.  Le juge a rejeté la prétention des appelants selon laquelle Telus s’était rendue coupable de négligence contributive en omettant d’enfouir le câble et de bien informer les navigateurs de sa présence.

[11]                       L’article 29  de la Loi sur la responsabilité en matière maritime  (qui correspondait alors à l’art. 28, modifié par L.C. 2009, ch. 21, art. 3) limite la responsabilité à 500 000 $ en cas de dommage matériel causé par un navire de la taille du Realice et appartenant à la même catégorie.  Le juge de première instance estime toutefois que, M. Vallée ayant sectionné le câble à dessein, la limitation ne vaut pas, car l’art. 4 de la Convention l’écarte en cas de dommage résultant d’un acte intentionnel ou téméraire.  De plus, les appelants ont perdu le bénéfice de l’assurance contractée auprès de l’intimée Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances (« Royal ») puisque le sectionnement du câble emportait l’exclusion de la garantie d’assurance responsabilité maritime pour « inconduite délibérée » de l’assuré prévue au par. 53(2)  de la Loi sur l’assurance maritime , L.C. 1993, ch. 22 .  Il explique que « [l’]état d’esprit qui dénote la témérité peut être défini comme l’indifférence face à l’existence d’un risque » (par. 85) et il conclut que même si M. Vallée « croyait que le câble n’était pas en [service] » (par. 5), il « s’est montré téméraire au plus haut point » (par. 84).

[12]                          Le juge de première instance déclare donc M. Vallée, Peracomo et le Realice, en qualité de défendeur in rem, solidairement responsables du coût de la réparation du Sunoque I s’élevant à 892 395,32 $, somme à laquelle s’ajoutent des frais d’administration de 88 038,22 $, ce qui porte le total à 980 433,54 $.

[13]                          La Cour d’appel fédérale rejette l’appel des appelants au motif que l’appréciation de la preuve et l’analyse juridique auxquelles se livre le juge de première instance ne sont entachées d’aucune erreur.

III.    Questions en litige

[14]                          Dans leur pourvoi devant notre Cour, les appelants soulèvent trois questions principales :

(1)        M. Vallée est-il personnellement responsable du dommage?

À mon avis, il l’est.

(2)        Les appelants ont-ils droit à la limitation de leur responsabilité en matière maritime malgré l’art. 4 de la Convention?

 

J’estime qu’ils y ont droit, et je suis d’avis d’infirmer les conclusions des cours fédérales sur ce point.

(3)        Le dommage a-t-il été causé par « l’inconduite délibérée » de M. Vallée, de sorte que son indemnisation est exclue aux fins de la police d’assurance souscrite auprès de Royal?

 

J’estime qu’il l’a été, de sorte que l’indemnisation du dommage est exclue aux fins de la garantie d’assurance.

IV.    Analyse

A.       M. Vallée est-il personnellement responsable du dommage?

[15]                          Les appelants prétendent qu’aucun élément ne permet de tenir M. Vallée personnellement responsable des actes fautifs de Peracomo. M. Vallée est l’unique actionnaire et dirigeant de Peracomo, et les appelants concèdent qu’il en est l’alter ego.  Ils soutiennent toutefois que déclarer M. Vallée personnellement responsable du dommage fait abstraction de la personnalité juridique distincte de Peracomo.  Ils invoquent l’arrêt London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagel International Ltd., [1992] 3 R.C.S. 299, dans lequel notre Cour envisage la possibilité que, dans certaines circonstances spéciales, il puisse être souhaitable de déroger à la règle générale applicable au lever du voile de la personnalité juridique.  Les appelants ne précisent pas quelles pourraient être ces circonstances spéciales.

[16]                          Le juge de première instance conclut que M. Vallée a personnellement manqué à son devoir de diligence envers les intimées Telus (par. 49), et la Cour d’appel fédérale abonde dans son sens.  Il estime que Peracomo est également responsable du dommage tant pour le fait d’autrui que pour ses propres actes. M. Vallée était l’âme dirigeante de Peracomo ou son alter ego (par. 50).  La Cour d’appel invoque l’arrêt ADGA Systems International Ltd. c. Valcom Ltd. (1999), 43 O.R. (3d) 101 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée, [2000] 1 R.C.S. xv, pour affirmer qu’administrateurs et dirigeants de personnes morales peuvent être tenus personnellement responsables de leurs actes lorsque, par leur négligence, ils causent des dommages à des biens dans l’exercice de leurs fonctions (par. 43).

[17]                          Je souscris à ces conclusions. Comme les intimées Telus le signalent, l’existence d’une personne morale n’est pas une considération valable en l’espèce, car M. Vallée a personnellement fait preuve de négligence lorsqu’il a sectionné le câble.  La société est responsable à cause des actes de M. Vallée, et non l’inverse. Je suis d’avis de rejeter ce moyen d’appel.

B.       Les appelants ont-ils droit à la limitation de leur responsabilité en matière maritime malgré l’art. 4 de la Convention?

[18]                          L’article 29  de la Loi sur la responsabilité en matière maritime  limite la responsabilité à 500 000 $ en cas de dommage matériel causé par l’exploitation d’un navire appartenant à la même catégorie que le Realice.  Cependant, cette limitation ne vaut pas lorsque le dommage « résulte [du] fait [du défendeur] ou de son omission personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement ».  Cette exception découle du fait que l’art. 26  de la Loi sur la responsabilité en matière maritime  confère force de loi au Canada à l’art. 4 de la Convention, qui écarte la limitation de la responsabilité en pareil cas :

                    Article 4.  Conduite supprimant la limitation

                        Une personne responsable n’est pas en droit de limiter sa responsabilité s’il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou de son omission personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement.

[19]                          La limitation ou la non-limitation de la responsabilité au regard de l’art. 4 tient à la faute de la personne responsable.  La disposition prévoit deux fautes qui suppriment l’une et l’autre la limitation de la responsabilité prévue par la Convention.  La première est celle commise avec l’intention de provoquer « un tel dommage » et la seconde est celle commise « témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement ».

[20]                          Les motifs du juge de première instance quant à ce que M. Vallée savait ou ce qu’il entendait faire sont quelque peu ambigus.  Je souscris à leur interprétation par la Cour d’appel fédérale, à savoir que M. Vallée savait qu’il sectionnait un câble et que cet acte suffit pour établir l’intention de provoquer le dommage qui a été causé.  Elle explique : « Étant donné que dans la présente affaire M. Vallée a eu l’intention de sectionner le câble pour la perte duquel il est poursuivi en justice, il n’est pas nécessaire d’approfondir cette question » (par. 58).  Elle estime donc que l’élément déterminant réside dans le fait que M. Vallée a intentionnellement causé un dommage matériel au câble.

[21]                          Les appelants font valoir que cette conclusion est erronée et que les actes de M. Vallée n’emportent la commission d’aucune des deux fautes prévues dans la Convention. En ce qui concerne la première celle commise avec l’intention de provoquer un tel dommage , M. Vallée n’aurait pas eu l’intention de causer le dommage parce qu’il croyait que le câble était une « cochonnerie » [sic] sans valeur et que le sectionner ne causerait aucun dommage (m.a., par. 48-49). Selon les appelants, le juge de première instance et la Cour d’appel fédérale ont commis l’erreur de s’attacher au sectionnement du câble plutôt qu’aux conséquences de ce sectionnement pour déterminer l’intention de M. Vallée. Quant à la seconde faute celle commise témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement , les appelants prétendent que M. Vallée n’a pas agi avec témérité et qu’il ignorait que le dommage en résulterait probablement. Sur le fondement de l’arrêt Nugent c. Michael Goss Aviation Ltd., [2000] 2 Lloyd’s Rep. 222 (C.A.), ils font valoir que le défendeur doit avoir reconnu le risque et décidé de le courir.  Ils avancent que M. Vallée ne connaissait l’existence d’aucun risque.  En raison de la carte qu’il avait vue, il croyait le câble abandonné.  Ils prétendent en outre que, même s’il a agi de façon téméraire, l’appelant ignorait que le câble était en service, de sorte qu’il ne pouvait savoir que ses actes seraient préjudiciables aux intimées Telus.

[22]                          Les intimées Telus soutiennent que les actes de M. Vallée correspondent aux éléments constitutifs de chacune des deux fautes prévues à l’art. 4.  En common law, le sectionnement du câble constitue un délit intentionnel d’atteinte mobilière.  Comme les faits étayent le délit intentionnel, les actes de M. Vallée doivent être tenus pour intentionnels aux fins de l’art. 4 (mémoire des intimées Telus, par. 86).  À titre subsidiaire, les intimées Telus font valoir que les actes de M. Vallée étaient téméraires.  Elles expliquent que la témérité suppose [traduction] « soit la décision de courir le risque, soit l’état mental d’indifférence quant à l’existence de ce risque » (par. 99, invoquant à l’appui Goldman c. Thai Airways International Ltd., [1983] 3 All E.R. 693 (C.A.), p. 699, le lord Eveleigh).  M. Vallée dit avoir vu le mot « abandonné » écrit à la main sur une carte dans un musée, mais il ne peut se rappeler quelque autre élément de cette carte.  Il n’a pas pris d’autre mesure pour s’assurer que le câble n’était pas en service.  Comme l’expliquent les intimées Telus, « [i]l [s’est gardé] volontairement dans l’ignorance.  Il [a fermé] les yeux. » (par. 102).

[23]                          Même si je ne fais pas droit à leur thèse dans sa totalité, je conviens avec les appelants qu’ils ont droit à la limitation de la responsabilité prévue par la Convention et énoncée plus précisément à l’art. 29  de la Loi sur l’assurance maritime .  À mon humble avis, la Cour d’appel fédérale conçoit de manière trop étroite l’intention exigée à l’art. 4 de la Convention.  En effet, selon elle, dès lors que M. Vallée savait qu’il sectionnait « le câble pour la perte duquel il est poursuivi en justice », il avait l’intention voulue.  Je ne suis pas de cet avis.  Conclure en ce sens revient à dire qu’il suffit de savoir que l’on porte atteinte à un bien pour être déchu du droit à la limitation de la responsabilité.  Outre son incompatibilité avec le libellé de la Convention, cette interprétation va à l’encontre de l’objet de cette dernière, soit la limitation quasi absolue de la responsabilité.

[24]                          Examinons d’abord l’objet de la Convention.  Les États contractants ont voulu l’exigence d’une faute stricte et une limitation de la responsabilité difficile à supprimer (Margolle c. Delta Maritime Co. (The « Saint Jacques II » and « Gudermes »), [2002] EWHC 2452, [2003] 1 Lloyd’s Rep. 203, par. 16; Schiffahrtsgesellschaft MS « Merkur Sky » m.b.H. & Co. K.G. c. MS Leerort Nth Schiffahrts G.m.b.H. & Co. K.G. (The « Leerort »), [2001] EWCA Civ 1055, [2001] 2 Lloyd’s Rep. 291, par. 18).  La Convention est considérée comme étant le « fruit d’un compromis »; [traduction] « en contrepartie à l’établissement d’un fonds de limitation d’un montant accru, la disposition permettant la suppression de la limitation de la responsabilité a été resserrée au point qu’il est presque impossible à un demandeur de l’obtenir » (A. Mandaraka-Sheppard, Modern Maritime Law and Risk Management (2e éd. 2007), p. 865).  L’acte fautif doit revêtir un caractère très répréhensible sur le plan subjectif pour satisfaire à l’exigence (Nugent, p. 229, où le tribunal interprète les dispositions au libellé analogue de la Convention de Varsovie, 137 R.T.S.N. 11, modifiée par le Protocole de La Haye, 478 R.T.N.U. 371).  On dit de la norme de faute établie à l’art. 4 qu’elle emporte [traduction] « un droit presque absolu à la limitation de la responsabilité » (P. Griggs, R. Williams et J. Farr, Limitation of Liability for Maritime Claims (4e éd. 2005), p. 3) et [traduction] « un droit presque incontestable à la limitation de la responsabilité » (The « Bowbelle », [1990] 1 Lloyd’s Rep. 532 (Q.B.D.), p. 535; voir également D. Damar, Wilful Misconduct in International Transport Law (2011), p. 168; R. P. Grime, « Implementation of the 1976 limitation convention » (1988), 12 Marine Pol’y 306, p. 313; P. Heerey, « Limitation of Maritime Claims » (1994), 10 MLAANZ Journal 1, p. 3; T. Ogg, « IMO’s International Safety Management Code (The ISM Code) » (1996), 1 I.J.O.S.L. 143, p. 149; J. F. Wilson, Carriage of Goods by Sea (7e éd. 2010), p. 288; E. Gold, A. Chircop et H. Kindred, Maritime Law (2003), p. 728).  Signalons que les États contractants ont envisagé pour finalement l’écarter expressément la possibilité de retenir la commission d’une « faute lourde » comme condition suffisante pour supprimer la limitation de la responsabilité (Comité Maritime International, The Travaux Préparatoires of the LLMC Convention, 1976 and of the Protocol of 1996 (2000), Article 4.  Conduite supprimant la limitation, p. 123-132). 

[25]                          Soit dit en tout respect, l’interprétation de la Cour d’appel fédérale des conditions qui permettent de supprimer la limitation de la responsabilité assouplit la norme de faute applicable et compromet ainsi l’objet de la Convention, à savoir la limitation quasi absolue de la responsabilité.

[26]                          En ce qui concerne le libellé de la Convention, je suis d’avis que la démarche de la Cour d’appel fédérale méconnaît la distinction qu’il convient de faire entre, d’une part, la limitation de la responsabilité pour une « créance » et, d’autre part, la suppression de cette limitation lorsque la personne responsable a eu l’intention de provoquer le « dommage » ayant résulté de son fait ou de son omission.  Nous verrons que la limitation est formulée de manière très générale, tandis que l’intention requise pour la supprimer vise les conséquences précises des actes de la personne responsable.

[27]                          L’article 2 énumère les types de créances qui font l’objet de la limitation de la responsabilité prévue par la Convention. Figurent parmi elles, à l’al. 1a), les « [c]réances pour mort, pour lésions corporelles, [ou comme celle visée en l’espèce] pour pertes et pour dommages à tous biens [. . .] survenus à bord du navire ou en relation directe avec l’exploitation de celui-ci ».  L’article 4 porte ensuite sur la limitation de la responsabilité de la « personne responsable », qui ne peut limiter sa responsabilité s’il est prouvé que « le dommage résulte de son fait ou de son omission personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement ».

[28]                          Deux constats s’imposent concernant l’interaction entre la limitation de la responsabilité énoncée à l’art. 2 et la conduite qui supprime cette limitation suivant l’art. 4.  D’abord, la limitation prévue à l’art. 2 vise la responsabilité à l’égard de « créances », lesquelles s’entendent des grandes catégories générales d’actes donnant droit à réparation (p. ex., en l’espèce, les « dommages aux biens »).  Bref, ce sont les « créances » qui sont assujetties à la limitation de la responsabilité, et cette limitation est formulée de manière très générale.  En second lieu, la disposition qui prévoit les conditions auxquelles la limitation peut être supprimée est libellée de manière beaucoup plus restrictive.  Contrairement à la limitation elle-même, sa suppression n’est pas formulée en fonction des créances.  Il n’y a suppression que si le « dommage » résulte de l’acte intentionnel de la personne responsable ou de l’acte accompli témérairement et avec conscience que l’endommagement était probable.  On peut en conclure que l’intention qui emporte suppression doit se rapporter à des conséquences des actes de la personne qui sont plus précises que les conséquences générales évoquées par le mot « créances ».  L’emploi des mots « un tel dommage » en liaison avec l’intention et la conscience requises par l’art. 4 font ressortir la nécessité que l’intention ait pour objet des conséquences assez précises.  Pour que la limitation soit supprimée, il faut établir que le dommage résulte du « fait ou de [l’]omission personnels » de la personne responsable, « commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement ».  Comme l’expliquent les auteurs d’un ouvrage qui fait autorité, [traduction] « l’emploi des mots “un tel dommage” à l’art. 4 semble souligner le fait que le droit à la limitation de la responsabilité est seulement exclu lorsque le dommage voulu ou prévu par la “personne responsable” correspond au dommage effectivement subi par le demandeur » (Griggs, Williams et Farr, p. 36 (en italique dans l’original); voir également Damar, p. 173).

[29]                          Avec quel degré de précision la personne responsable doit-elle avoir eu l’intention de provoquer le dommage?  La doctrine est quelque peu ambiguë sur ce point.  Certains auteurs estiment que l’intéressé doit avoir eu conscience du type de dommage causé (voir, p. ex., Nugent, p. 229, le lord juge Auld, pour l’interprétation du libellé semblable, quoique non identique, de l’art. 25 de la Convention de Varsovie mis en œuvre par la Carriage by Air Act, 1961 (R.-U.), 9 & 10 Eliz. 2, ch. 27).  Cet arrêt n’est toutefois pas très utile, car la Convention de Varsovie exige que l’intéressé ait pu prévoir qu’un « dommage » (dans la version anglaise, « damage ») en résulterait probablement, alors que la Convention exige qu’il ait eu conscience qu’« un tel dommage » (dans la version anglaise, « such loss ») en résulterait probablement (voir The « Saint Jacques II », par. 16).  Dans d’autres affaires, les tribunaux ont exigé que l’intéressé ait été conscient du dommage précis effectivement causé (voir, p. ex., Daina Shipping Co. c. Te Runanga O Ngati Awa, [2013] NZHC 500, [2013] 2 N.Z.L.R. 799, par. 42, où le tribunal établit, au par. 45, une distinction d’avec la décision de la Cour d’appel fédérale dans le présent dossier).  Il paraît s’agir du courant prédominant au sein des tribunaux d’Angleterre.  Dans l’arrêt de principe The « Leerort », lord Phillips of Worth Matravers, m.r. (alors président de la Cour d’appel) opine qu’il doit y avoir prévision [traduction] « du dommage précis effectivement causé, et non seulement du type de dommage causé » (par. 13) (voir également l’arrêt MSC Mediterranean Shipping Co. S.A. c. Delumar BVBA (The « MSC Rosa M »), [2000] 2 Lloyd’s Rep. 399 (Q.B.D.) et The « Saint Jacques II »).  Les auteurs de doctrine les plus influents adhèrent à ce point de vue (voir Griggs, Williams et Farr, p. 36; Damar, p. 173; S. Hodges et C. Hill, Principles of Maritime Law (2001), p. 593-594).

[30]                          Dans l’arrêt The « Leerort », lord Phillips explique au moyen d’un exemple la différence entre les notions de « type de dommage » et de « dommage précis causé » :

                         [traduction]  Il me semble que lorsqu’il s’agit d’établir si le dommage visé par la créance résulte de la collision entre le navire A et le navire B, le propriétaire du navire A ou de sa cargaison n’écartera le droit du propriétaire du navire B à la limitation de sa responsabilité que s’il prouve que le propriétaire du navire B a voulu que son navire entre en collision avec le navire A, ou qu’il a agi avec témérité et en ayant conscience que la collision se produirait vraisemblablement.

                        L’autre solution susceptible d’être avancée serait que le demandeur a simplement à prouver que le propriétaire du navire B a voulu que son navire entre en collision avec un autre navire, ou qu’il a agi avec témérité et en ayant conscience que la collision se produirait vraisemblablement.  [Je souligne; par. 16-17.]

[31]                          Même si lord Phillips dit pencher en faveur de l’exigence de l’intention de causer le « dommage causé », il ne clôt pas le débat.  Il n’est donc pas nécessaire, en l’espèce, de nous prononcer fermement sur la question de savoir s’il convient d’exiger l’intention d’infliger un « type de dommage » ou le « dommage précis causé ».  À mon avis, les appelants ont droit à la limitation de leur responsabilité dans un cas comme dans l’autre.

[32]                          Le « dommage » qui « résulte » des actes de M. Vallée correspond à la diminution de la valeur du câble proportionnelle aux frais engagés pour le réparer. Peu importe que l’on considère le dommage sous l’angle du « type de dommage » ou du « dommage précis causé » par les actes de M. Vallée, il appert des conclusions de fait du juge de première instance que M. Vallée n’avait pas l’intention de provoquer le dommage et qu’il ignorait que celui-ci serait la conséquence probable de ses actes.  Le juge conclut que M. Vallée croyait le câble inutile — peu importe la témérité avec laquelle il a pu former cette opinion — et qu’il n’a donc pas pu penser qu’il faudrait le réparer puisqu’il le pensait sans valeur (par. 75 et 77).  Il n’avait par conséquent pas « l’intention de provoquer un tel dommage », ni « conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement ».

[33]                          En toute déférence, je suis d’avis que la Cour d’appel fédérale interprète mal l’arrêt The « Leerort » lorsqu’elle conclut que, pour supprimer la limitation de la responsabilité en application de l’art. 4, il suffit que M. Vallée ait eu l’intention « de sectionner le câble pour la perte duquel il est poursuivi en justice » (par. 58).  Cette affirmation dénature les conséquences juridiques des faits pertinents déterminés par le juge de première instance dans l’arrêt The « Leerort ».  Voici d’ailleurs ce que fait observer lord Phillips, dans cette affaire, de manière fort à propos :

                         [traduction]  Me Teare affirme que les mots « un tel dommage » s’entendent d’un dommage du type de celui infligé et que, pour déterminer le type de dommage en cause, il fallait se reporter à l’art. 2, qui énumère les divers types de dommage qui font naître le droit à la limitation de la responsabilité. Ainsi, il s’agit en l’espèce de créances « pour pertes et pour dommages à tous biens », de sorte que la seule condition à respecter pour faire échec au droit de limiter la responsabilité était la probabilité de perte ou de dommage au bien.

                        Cette prétention contredit le sens clair du libellé de l’art. 4, où les mots « un tel dommage » renvoient de toute évidence au dommage qui a été effectivement causé et qui fait l’objet de la créance à l’égard de laquelle le droit à la limitation de la responsabilité est invoquée.  [Je souligne; par. 14-15.]

[34]                          Contrairement à ce que la Cour d’appel fédérale laisse entendre dans son application de l’arrêt The « Leerort », le juge de première instance ne conclut pas que M. Vallée s’est seulement mépris sur la valeur du bien (un câble d’une très grande valeur, et non un câble sans intérêt).  Il conclut à sa méprise sur la nature et l’appartenance du bien (un câble abandonné au lieu d’un câble appartenant à une personne qui le réparerait s’il était endommagé).  Au vu des faits de la présente affaire, l’arrêt The « Leerort » appuie la thèse selon laquelle M. Vallée n’était pas suffisamment conscient des conséquences probables de ses actes pour tomber sous le coup de l’art. 4. Comme l’explique lord Phillips, cet article vise [traduction] « le dommage qui a été effectivement causé et qui fait l’objet de la créance à l’égard de laquelle le droit à la limitation de la responsabilité est invoqué » (je souligne).  Dans le présent dossier, les intimées Telus réclament le paiement du coût de réparation.  Peu importe ce qu’on pourrait ajouter au sujet des actes de M. Vallée, force est de reconnaître qu’il n’avait pas vraiment conscience du fait que de ses actes résulterait probablement l’endommagement d’un bien que devrait ensuite réparer son propriétaire.  La Cour d’appel fédérale commet donc une erreur de droit lorsqu’elle conclut que M. Vallée a voulu causer un dommage ou qu’il a agi témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement au sens de l’art. 4.

[35]                          J’arrive à la conclusion que les appelants n’ont pas causé intentionnellement ou témérairement le dommage en question au sens de l’art. 4 de la Convention. Ils ont donc droit à la limitation de leur responsabilité.

C.       Le dommage a-t-il été causé par l’« inconduite délibérée » de M. Vallée, de sorte que son indemnisation serait exclue aux fins de la garantie d’assurance de Royal?

[36]                          Les appelants étaient titulaires d’une police d’assurance censée, selon eux, les indemniser des dommages-intérêts auxquels ils sont condamnés.  Leur assureur, l’intimée Royal, soutient que la garantie ne s’applique pas.  Les cours fédérales lui donnent raison, et les appelants font valoir qu’elles ont tort.

[37]                          Royal a établi au bénéfice des appelants une police d’assurance qui les protégeait durant la période considérée à l’égard de la responsabilité [traduction] « résultant du dommage causé à un objet fixe ou mobilier » par suite « d’un accident ou d’un événement » (cl. 20.1 et  20.1.1).  Il est acquis aux débats que cette police tombe sous le coup du par. 53(2)  de la Loi sur l’assurance maritime , qui exclut expressément l’indemnisation des pertes attribuables à « l’inconduite délibérée de l’assuré ».  Le juge de première instance a-t-il eu tort, par conséquent, de conclure à l’application de cette exclusion en l’espèce?  Voici le texte des dispositions applicables de la Loi :

                        53. (1) [Périls assurés] Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et sauf disposition contraire de la police maritime, l’assureur n’est responsable que des pertes résultant directement des périls assurés, y compris la perte qui ne se serait pas produite sans l’inconduite ou la négligence du capitaine ou de l’équipage.

                        (2)  [Périls expressément exclus] Sans restreindre la généralité du paragraphe (1), l’assureur n’est pas responsable des pertes attribuables à l’inconduite délibérée de l’assuré ni, sauf disposition contraire de la police :

. . .

[38]                          Bien que l’assureur ne reconnaisse pas que la perte soit la conséquence [traduction] « d’un accident ou d’un événement », le présent pourvoi porte essentiellement sur la question de savoir si l’exclusion prévue par la Loi s’applique.

[39]                          Le juge de première instance ne fait qu’effleurer la question, mais j’estime que ses conclusions doivent être interprétées à la lumière de ce qu’il conclut au sujet de la responsabilité et de la Convention.  Il estime que le câble constituait un danger pour la navigation, qu’il incombait à M. Vallée d’en connaître l’existence et que M. Vallée a lamentablement manqué à cette obligation (par. 34).  M. Vallée disposait à bord de son navire d’une carte marine datant de plus de 20 ans (mémoire de Royal, par. 15).  Des avis avaient été publiés à l’intention des navigateurs, et les cartes marines avaient été modifiées pour indiquer l’emplacement du câble installé en 1999.  S’il avait consulté ces documents au cours des six ans et demi qui ont suivi l’installation du câble, M. Vallée aurait connu l’existence de celui-ci et aurait su qu’il n’avait pas été abandonné (motifs de première instance, par. 28). 

[40]                          Le juge de première instance souligne que le gouvernement fédéral a publié « de nombreux » avis sur l’existence du câble et qu’il incombait à M. Vallée d’en prendre connaissance  (par. 27).  Il ajoute foi au témoignage d’un expert des intimées Telus suivant lequel la démarche habituelle des navigateurs était de s’informer auprès d’un centre de contrôle de la circulation maritime quant à la nature et à l’utilisation du câble (par. 32).

[41]                          Rappelons que, en 2005, une ancre de M. Vallée s’est accrochée au fond et que, pour la dégager, il a hissé le câble à la surface.  Après la saison de pêche, alors qu’il visitait l’église Saint-Georges — une église désaffectée de Baie-Comeau transformée en musée —, M. Vallée a vu sur une carte qu’une ligne traversait le fleuve là où il avait l’habitude de pêcher. Le mot « abandonné » y était écrit à la main.  Le juge de première instance explique que, « [s]ans y penser à deux fois, M. Vallée a conclu que c’était cela que son ancre avait précédemment accroché [sic].  Il n’a regardé [la carte] que quelques secondes et ne peut se rappeler s’il s’agissait d’une carte marine, d’une carte topographique, ni même en fait du type de carte » (par. 40).  Il conclut que « [p]areille carte marine n’existe pas et n’a jamais existé », c’est-à-dire que la carte aperçue par M. Vallée n’équivalait en rien à quelque chose d’aussi officiel qu’une véritable carte marine (par. 83).

[42]                          Selon le juge de première instance, à supposer que la témérité soit en cause, « M. Vallée s’est montré téméraire au plus haut point » (par. 84).  Il ajoute que l’« inconduite délibérée » ne s’entend pas de la simple négligence, mais exige « soit un acte intentionnel ayant visé à causer le préjudice, soit la conduite d’une personne qui a tellement fermé les yeux ou s’est si peu souciée des autres qu’elle n’était pas attentive à ce qui pouvait en découler » (par. 91).  Il conclut que la conduite de M. Vallée « s’éloign[e] de façon [. . .] marquée » de la norme et qu’il s’agit d’une inconduite délibérée de nature à écarter l’application de la garantie d’assurance (par. 92).  Sa conclusion selon laquelle M. Vallée s’est montré téméraire au plus haut point prend appui sur sa conception de la témérité, à savoir un « état d’esprit qui [. . .] peut être défini comme l’indifférence face à l’existence d’un risque » (par. 85).  Selon le juge, en se fiant à la carte aperçue au musée pour conclure que le câble n’était pas en service, M. Vallée, lorsqu’il a sectionné le câble, a fait preuve d’indifférence face au risque, dont il avait subjectivement conscience, que le câble dans lequel ses ancres s’étaient accrochées puisse être opérationnel.

[43]                          La Cour d’appel fédérale confirme la conclusion tirée en première instance, mais s’attache à la question de savoir si l’inconduite délibérée de M. Vallée a été la cause immédiate du dommage (par. 68-80).

[44]                          Selon les appelants, si M. Vallée a fait preuve de négligence, il a seulement été négligent, et assimiler ses actes à une « inconduite délibérée » élargirait considérablement la définition de ce terme en droit canadien de l’assurance maritime.  Ils ajoutent que pour qu’il y ait inconduite délibérée, les actes doivent s’éloigner « de façon très marquée » des normes de conduite habituelles.  De plus, l’écart doit être intentionnel.  Les appelants prétendent que, pour qu’il y ait intention dans les circonstances de l’espèce, la personne doit avoir voulu non seulement commettre l’acte lui-même, mais aussi obtenir les conséquences. Ils avancent que le critère de l’inconduite délibérée en matière d’assurance est pratiquement identique à celui de la conduite intentionnelle ou téméraire pour les besoins de la Convention.

[45]                          Les appelants invoquent un arrêt portant sur l’interprétation de l’art. 2464 du Code civil du QuébecC.c.Q. »), qui dispose que l’assureur n’est pas tenu de réparer le préjudice qui résulte de la faute intentionnelle de l’assuré.  En droit civil québécois, cela signifie que « [l]’assuré doit rechercher non seulement la réalisation du risque, mais aussi celle du dommage même » (Goulet c. Cie d’Assurance-Vie Transamerica du Canada, 2002 CSC 21, [2002] 1 R.C.S. 719, par. 33).

[46]                          Royal invoque diverses décisions de justice dans le domaine de l’assurance maritime à l’appui de sa prétention suivant laquelle l’« inconduite délibérée » visée au par. 53(2) peut s’entendre soit d’un acte fautif intentionnel, soit d’un acte fautif téméraire.  Selon elle, la jurisprudence de droit civil relative à l’exclusion de la garantie d’assurance en cas de faute intentionnelle ne s’applique pas dans le contexte considéré.  Ces décisions se fondent sur le libellé de l’art. 2464 du C.c.Q., qui est fort différent de celui du par. 53(2)  de la Loi sur l’assurance maritime .  Le droit maritime canadien tire sa source du droit maritime anglais, de sorte que la jurisprudence de tradition civiliste doit être considérée avec circonspection.  Quoi qu’il en soit, Royal affirme que les faits de l’espèce diffèrent de ceux des affaires québécoises auxquelles renvoient les appelants.  Contrairement à ce qui était le cas dans celles-ci, M. Vallée a intentionnellement détruit un câble qui ne lui appartenait pas (mémoire de Royal, par. 66-68).

[47]                          Royal fait valoir que l’objectif de l’exclusion légale de l’assurance responsabilité maritime en cas d’« inconduite délibérée » comporte deux volets.  En premier lieu figure la défense de l’ordre public. Il existe en effet un souci d’ordre moral d’empêcher l’assuré de se prévaloir de la garantie d’assurance pour se soustraire aux conséquences de son inconduite délibérée.  En second lieu, l’exclusion vise à favoriser l’assurabilité en matière de responsabilité maritime, dont l’assise est l’indemnisation de risques ou de périls imprévisibles.  L’assureur peut tenter d’évaluer le risque que présente un péril imprévu, mais il lui est impossible de chiffrer le risque afférent à un acte qui relève entièrement de la volonté de l’assuré.

[48]                          Ce volet du pourvoi soulève donc trois questions.  (1) La norme de faute applicable est-elle la même aux fins de l’art. 4 de la Convention et de l’exclusion de la garantie d’assurance au par. 53(2)  de la Loi sur l’assurance maritime ?  (2) Le juge de première instance interprète-t-il erronément l’expression « inconduite délibérée » employée dans la Loi?  (3) La notion de « faute intentionnelle » en droit civil québécois s’applique-t-elle pour circonscrire la notion d’« inconduite délibérée » propre à la Loi?

(1)      La norme de faute selon la Convention et selon la Loi

[49]                          Je rejette la thèse des appelants selon laquelle la faute exigée pour l’exclusion de la garantie d’assurance est la même que pour la suppression de la limitation de la responsabilité.  Tant l’objet que le libellé des dispositions en cause du contrat d’assurance et de la Convention diffèrent. Rappelons que la disposition en cause de la Convention vise la limitation quasi absolue de la responsabilité.  La disposition qui exclut la garantie d’assurance vise à définir et à circonscrire le risque assuré qui est soumis à la limitation générale prévue par la Convention.  Il va sans dire que les deux dispositions sont liées.  L’une des raisons d’être de la limitation de la responsabilité est de faire en sorte que l’on puisse s’assurer à un prix abordable du fait que l’obligation de réparation ne pourra dépasser le maximum fixé.  Comme l’explique la professeure Damar, à la p. 16 :

                    [traductionLa prime d’assurance est établie en fonction de la valeur assurée et du risque.  La prime d’assurance responsabilité est donc établie en fonction des limites fixées par les dispositions de lois internationales et nationales, car indépendamment du risque assuré, ces limites correspondent au montant maximal que le transporteur ou l’affréteur peut être tenu de verser.  [Je souligne.]

[50]                          Ainsi, bien qu’elle plafonne le risque financier global auquel s’expose l’assureur, la limite de responsabilité ne vise pas à déterminer l’étendue de la garantie quant à savoir quels risques sont assurés.  Le souci d’assurabilité qui anime la Convention vise la responsabilité financière globale, et non la nature du risque assuré.

[51]                          L’objet de la disposition qui exclut la garantie d’assurance est lié à un principe fondamental du droit des assurances, à savoir la répartition du risque.  Le dommage attribuable à l’inconduite délibérée de l’assuré n’est pas le produit d’un événement fortuit ou d’un accident et n’est donc pas assuré.  Ainsi, l’exclusion pour inconduite délibérée vise à distinguer les types de périls assurés de ceux qui ne le sont pas.

[52]                          Les objets distincts de la limitation prévue par la Convention et de l’exclusion d’assurance prévue par la Loi ressortent des libellés très différents qui leur donnent effet.  Je le rappelle, la limitation prévue par la Convention se veut quasi absolue.  En bref, pour l’écarter, il faut soit l’intention de causer le dommage, soit la conscience que celui-ci résultera probablement des actes.  Nous verrons que l’état d’esprit requis aux fins de l’inconduite délibérée englobe l’insouciance à l’égard des conséquences des actes, c’est-à-dire la connaissance réelle du risque et la décision de courir celui-ci, ce qui correspond à une norme de faute différente et moins stricte que celle qui vaut pour les besoins de la Convention.

[53]                          Les débats sur l’interaction entre le droit à la limitation de la responsabilité fondé sur la Convention et l’exclusion d’assurance pour cause d’inconduite délibérée commencent souvent par la citation des remarques bien connues de lord Diplock lors des travaux préparatoires de la Convention, à savoir que [traduction] « les limites doivent être fixées de manière à exclure leur dépassement le plus possible, étant entendu que la possibilité de dépassement doit commencer là où l’assurabilité prend fin » (Travaux Préparatoires, p. 127, par. 264).  Or, il n’y a pas pour autant coïncidence entre la possibilité de dépassement et l’assurabilité. Le souci de lord Diplock était de faire en sorte que la Convention soit libellée de manière à empêcher qu’un assureur puisse demeurer responsable malgré la suppression de la limitation de la responsabilité, et non l’inverse, c’est-à-dire que la garantie d’assurance puisse être exclue même si la limite n’est pas dépassée.  Ses remarques ont trait à la responsabilité globale, non à la nature du risque assuré.

[54]                          En conclusion, je ne conviens pas de l’identité des deux normes de faute.

(2)      L’inconduite délibérée

[55]                          Dans le contexte de l’assurance maritime, le principe selon lequel la garantie d’assurance est exclue lorsque le dommage est attribuable à une inconduite délibérée date d’avant une loi anglaise, qui l’a en fait adopté, la Marine Insurance Act, 1906, 6 Edw. 7, ch. 41, al. 55(2)a) (Damar, p. 35-43).  La disposition canadienne applicable de nos jours vise à distinguer les pertes exclues et les pertes assurées, les premières étant imputables « [à] l’inconduite ou [à] la négligence du capitaine ou de l’équipage » (par. 53(1)  de la Loi sur l’assurance maritime ).  Dans le domaine de l’assurance maritime, la plupart des affaires d’« inconduite délibérée » ont trait au sabordage délibéré d’un navire en vue de toucher le produit de l’assurance un cas évident d’inconduite délibérée , de sorte qu’il existe relativement peu de jurisprudence sur les nuances à apporter à l’interprétation de cette expression (Damar, p. 41; J. Gilman et al., Arnould’s Law of Marine Insurance and Average (17e éd. 2008), p. 958).

[56]                          Notre Cour n’a pas interprété l’expression « inconduite délibérée » dans le contexte de la clause d’exclusion d’un contrat d’assurance maritime, mais elle a souvent été appelée à se prononcer sur le sens de termes semblables dans d’autres contextes.  Ses remarques se sont révélées particulièrement influentes dans l’arrêt McCulloch c. Murray, [1942] R.C.S. 141, par la voix du juge en chef Duff.  Le pourvoi portait sur le verdict d’un jury selon lequel un conducteur était responsable des blessures subies par une personne transportée à titre gratuit.  L’existence de la responsabilité tenait à la question de savoir si le jury pouvait conclure que les blessures subies par la passagère étaient imputables [traduction] « à la faute lourde ou à l’“inconduite délibérée” et téméraire » du conducteur (Motor Vehicle Act, S.N.S. 1932, ch. 6, art. 183). Pour confirmer le verdict du jury, le juge en chef Duff conclut que les expressions [traduction] « faute lourde », « inconduite délibérée » et « inconduite téméraire » supposent toutes « une façon d’agir dans laquelle, s’il n’y a pas faute consciente, il y a écart très marqué vis-à-vis des normes habituellement suivies par les personnes responsables et compétentes au volant d’une automobile » (p. 145).  Je saisis l’occasion de signaler que, contrairement à la faute exigée par la Convention, la « faute consciente » — c’est-à-dire la « faute intentionnelle » — n’est pas requise pour que les actes de l’assuré constituent une inconduite délibérée.  Même si le juge en chef Duff n’a pas défini exhaustivement la notion d’« inconduite délibérée », la Cour a maintes fois repris ses remarques en les approuvant dans des affaires de transport de passagers à titre gratuit (Studer c. Cowper, [1951] R.C.S. 450; Thompson c. Fraser, [1955] R.C.S. 419; Walker c. Coates, [1968] R.C.S. 599; Markling c. Ewaniuk, [1968] R.C.S. 776; Goulais c. Restoule, [1975] 1 R.C.S. 365).

[57]                          Dans d’autres contextes, les tribunaux ont opiné que l’inconduite délibérée s’entend de [traduction] « l’accomplissement délibéré d’un acte fautif en toute connaissance de cause ou avec une insouciance téméraire », l’insouciance supposant alors « la conscience du devoir à accomplir ou l’insouciance subjective quant à l’existence de ce devoir » (R. c. Boulanger, 2006 CSC 32, [2006] 2 R.C.S. 49, par. 27, citant l’arrêt Attorney General’s Reference (No. 3 of 2003), [2004] EWCA Crim 868, [2005] Q.B. 73).  De même, selon un exposé éclairant de Peter Cane, [traduction] « [u]ne personne est insouciante à l’égard d’une conséquence particulière de sa conduite lorsqu’elle se rend compte que sa conduite peut avoir cette conséquence, mais qu’elle va quand même de l’avant. Il doit avoir été déraisonnable de courir le risque » (« Mens Rea in Tort Law » (2000), 20 Oxford J. Legal Stud. 533, p. 535).

[58]                          Il appert de ces formulations que l’essence de la notion d’inconduite délibérée inclut non seulement un acte fautif intentionnel, mais également une conduite qui témoigne d’une insouciance téméraire au vu d’une obligation de connaissance.  Deux des principales décisions qu’invoquent les appelants et qui, selon moi, suffisent pour trancher la question soulevée dans le pourvoi, étayent ce point de vue.

[59]                          Les appelants renvoient d’abord aux motifs du lord juge Bramwell dans Lewis c. Great Western Railway Co. (1877), 3 Q.B.D. 195 (C.A.).  Le lord juge assimile l’inconduite délibérée (dans le contexte du transport ferroviaire) à la conduite de [traduction] « la personne qui devrait savoir qu’un préjudice résultera de ses actes » ou à celle « de la personne qui agit en supposant que ses actes pourraient causer un préjudice, mais qui fait fi de son obligation de s’assurer que sa conduite n’est pas susceptible de causer un préjudice » (p. 206).  Cette formulation reprend non seulement l’acte fautif intentionnel, mais aussi l’insouciance téméraire au vu d’une obligation de connaissance.

[60]                          Les appelants invoquent également l’arrêt Thomas Cook Group Ltd. c. Air Malta Co., [1997] 2 Lloyd’s Rep. 399 (Q.B.D.), où le juge Cresswell exclut la limitation de la responsabilité prévue dans la version non modifiée de la Convention de Varsovie dans le cas de dommages causés par l’inconduite délibérée du transporteur (par. 25(1)).  Après un examen détaillé de la jurisprudence anglaise, le juge Cresswell énumère six étapes à suivre pour déterminer s’il y a ou non inconduite délibérée.  Il se penche d’abord sur le mot « misconduct » (l’équivalent anglais d’« inconduite »).  Selon lui, il faut se demander si la conduite s’éloigne à ce point de la gamme des conduites auxquelles on pourrait s’attendre d’une personne se trouvant dans la même situation qu’on peut bel et bien l’assimiler à une inconduite (p. 407).  Il aborde ensuite les inconduites que l’on peut tenir pour délibérées.  Parmi elles, mentionnons les suivantes :

                        [traduction] La personne qui sait et comprend bien que constitue une inconduite de sa part le fait d’accomplir ou d’omettre d’accomplir quelque chose et qui, malgré tout [. . .] agit avec une imprudence téméraire, sans se soucier du résultat possible de son imprudence.  (Une personne agit avec une imprudence téméraire si, consciente du risque que des marchandises confiées à ses soins peuvent être perdues ou endommagées, elle va quand même délibérément de l’avant et court le risque, alors qu’il est déraisonnable de le faire eu égard à l’ensemble des circonstances.) [p. 408]

[61]                          Sans vouloir décrire de manière exhaustive les types de conduite visés par la définition d’« inconduite délibérée », j’admets, à l’instar des appelants, que ces énoncés font bien état, mais pas forcément de manière exhaustive, des conduites susceptibles d’emporter l’exclusion de responsabilité de l’assureur sous le régime de la Loi sur l’assurance maritime . En somme, l’« inconduite délibérée » s’entend non seulement de l’acte fautif intentionnel, mais aussi de l’inconduite empreinte d’insouciance téméraire au vu d’une obligation de connaissance.

[62]                          Je ne suis pas convaincu qu’il s’agit là de la norme qu’appliquent le juge de première instance ou la Cour d’appel fédérale.  Je suis toutefois d’avis qu’il ressort des conclusions de fait du juge de première instance considérées à la lumière du dossier que la conduite de M. Vallée constitue une inconduite délibérée au sens de ces décisions.

[63]                          En ce qui concerne l’inconduite, il ne fait aucun doute, selon moi, que les actes de M. Vallée « s’éloigne[nt] à ce point de la gamme des conduites » auxquelles on pouvait s’attendre de lui dans la situation considérée qu’on peut les assimiler à une inconduite. Comme le conclut le juge de première instance, il incombait à M. Vallée de connaître l’existence du câble et il « a manqué lamentablement à cette obligation » (par. 34).  Il retient le témoignage d’opinion du capitaine Jean-Louis Pinsonnault, qui se dit d’avis que M. Vallée a fait preuve d’un « manque de prudence élémentaire » (par. 33-34).  Ses conclusions étayent donc entièrement sa décision de tenir les actes de M. Vallée pour une inconduite car, compte tenu de son obligation et de toutes les autres circonstances, ces actes « s’éloignaient beaucoup » de la gamme des conduites auxquelles on pouvait s’attendre d’une personne dans pareille situation.

[64]                          Quant à savoir si l’inconduite était délibérée au sens où on l’entend dans les sources précitées, j’estime que les conclusions du juge de première instance le montrent clairement. 

[65]                          Comme le conclut le juge de première instance, M. Vallée savait que ce qu’il sectionnait était un câble sous-marin.  Le fait qu’il a envisagé la possibilité que le câble puisse être soit en service, soit abandonné est mis en évidence par le fait qu’il s’en est remis à la carte aperçue au musée.  Au procès, M. Vallée a dit avoir su qu’il était possible de « transmettre de l’électricité par le biais d’un câble sous-marin » (d.a., vol. III, p. 111).  Il connaissait donc le risque qu’il puisse sectionner un câble « sous tension ». Sa conduite ne s’explique que par une insouciance vis-à-vis de ce risque au vu de son obligation de connaissance.  Le fait de s’être fié à la carte, dont il ignorait si elle était récente ou valable, qui n’était pas une véritable carte marine et qu’il n’a regardée que quelques secondes, conjugué à son obligation de s’informer des dangers pour la navigation et à son omission de posséder des cartes à jour ou de s’informer par radio à bord de son navire, étaye amplement la conclusion du juge de première instance selon laquelle M. Vallée s’est « montré téméraire au plus haut point » (par. 84).  Il a manifesté une insouciance téméraire vis-à-vis des conséquences possibles de ses actes dont il était bel et bien conscient.  Il y a donc eu inconduite délibérée de sa part : il a couru un risque déraisonnable dont il avait subjectivement conscience et il a fait preuve d’insouciance quant aux conséquences.

[66]                          Le fait que, selon le juge de première instance, M. Vallée a cru que le câble n’était pas en service est dénué de pertinence.  Conclure le contraire serait confondre témérité et intention.  Les gens qui, comme M. Vallée, courent des risques déraisonnables dont ils ont subjectivement conscience croient souvent à tort que le risque qu’ils décident de courir n’entraînera pas de préjudice.  C’est là l’essence de la témérité.

[67]                          Même si, pour les besoins de la Convention, la suppression de la limitation de la responsabilité requiert l’intention ou la témérité doublée de la conscience que le dommage en résultera probablement, aux fins de la Loi sur l’assurance maritime , l’inconduite délibérée n’exige ni l’intention de causer le dommage, ni la conscience subjective que le dommage en résultera probablement.  Dans le cas considéré en l’espèce, seule est requise l’inconduite doublée d’une insouciance téméraire à l’égard du risque connu malgré une obligation de connaissance.  Il appert des motifs du juge de première instance considérés à la lumière du dossier que, lorsqu’il a sectionné le câble, M. Vallée, qui aurait dû se montrer plus avisé, a subjectivement envisagé le risque que le câble soit opérationnel, mais a quand même décidé de le sectionner sur la seule foi d’une mention manuscrite sur une carte consultée quelques secondes dans un musée, un document qui n’était pas une carte marine et dont on ignorait quelle était l’origine et si elle était authentique.  Sectionner le câble dans ces circonstances constitue une inconduite délibérée selon toutes les sources doctrinales et jurisprudentielles auxquelles je fais référence précédemment.

(3)      La faute intentionnelle

[68]                          Les appelants invoquent un certain nombre de décisions québécoises rendues sous le régime du C.c.Q. en matière d’exclusion de la garantie d’assurance en cas de préjudice imputable à la « faute intentionnelle » de l’assuré (voir, p. ex., les art. 2464 et 2576).  Rappelons que, en droit civil québécois, cette notion renvoie à la conduite de l’assuré qui recherche « non seulement la réalisation du risque, mais aussi celle du dommage même » (Goulet, par. 33, interprétation de l’art. 2563 du Code civil du Bas Canada).  On peut soutenir qu’il s’agit d’une norme de faute plus stricte encore que celle qui vaut pour la Convention, laquelle écarte la limitation de la responsabilité non seulement en cas de conduite délibérée, mais aussi lorsqu’une personne fait preuve d’insouciance en ayant conscience qu’il en résulterait probablement un dommage.

[69]                          Dans le C.c.Q., l’expression « faute intentionnelle » est généralement rendue en anglais par « deliberate fault » et « intentional fault » (voir, p. ex., les art. 1461, 1471, 1474, 1613, 1706, 2301 et 2464).  Cependant, dans la disposition relative à l’assurance maritime, l’art. 2576, on la rend en anglais par « wilful misconduct ».  Il convient de faire ressortir la distinction d’avec le par. 53(2) de la Loi, où le législateur rend l’expression anglaise « wilful misconduct » par « inconduite délibérée » en français.  Nul ne conteste que c’est la Loi, et non l’art. 2576, qui s’applique en l’espèce.

[70]                          À mon sens, l’emploi de l’expression anglaise « wilful misconduct » comme équivalent de « faute intentionnelle » à l’art. 2576 n’appuie pas la thèse voulant que l’« inconduite délibérée » (rendue par « wilful misconduct » dans la version anglaise de la Loi) devrait être assimilée à la « faute intentionnelle » du droit civil québécois.  Le sens de « faute intentionnelle » est bien établi en droit civil québécois, tout comme il est bien établi que l’« inconduite délibérée » du droit de l’assurance maritime a un sens plus large. Les dispositions de la Loi tirent leur origine du droit maritime anglais et de la Marine Insurance Act, 1906 d’Angleterre, et c’est cette origine qui détermine le sens d’« inconduite délibérée » dans la Loi, ce qui n’a rien à voir avec la notion de « faute intentionnelle » bien connue en droit civil.

(4)      Conclusion

[71]                          Je conclus que, si l’on applique la bonne norme juridique aux conclusions de fait du juge de première instance, il est clair que l’indemnisation du dommage causé par les appelants est exclue aux fins de la garantie d’assurance, car il résulte de l’« inconduite délibérée » de M. Vallée.

V.       Dispositif

[72]                          En ce qui concerne la limitation de la responsabilité des appelants, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens, lesquels n’englobent toutefois que la moitié de ceux afférents à la demande d’autorisation.  La responsabilité solidaire des appelants est limitée par la Convention.  En ce qui concerne la demande visant Royal, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens, y compris ceux afférents à la demande d’autorisation.

                    Les motifs suivants ont été rendus par

[73]                          Le juge Wagner (dissident en partie) — Je partage l’avis de mon collègue le juge Cromwell selon lequel l’art. 4 de la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, 1456 R.T.N.U. 221 (« Convention »), n’a pas pour effet d’empêcher les appelants de limiter leur responsabilité tel que le permettent les par. 1(1), (4), (6), (7) et 2(1) de ladite Convention. Cela dit, je crois cependant qu’il est nécessaire d’interpréter le par. 53(2)  de la Loi sur l’assurance maritime , L.C. 1993, ch. 22 Loi  »), en harmonie avec les dispositions de la Convention. Bien que la formulation de l’art. 4 de la Convention et du par. 53(2)  de la Loi  ne soit pas identique, je conclus qu’en l’espèce les appelants peuvent à la fois limiter leur responsabilité et bénéficier de la protection de leur police d’assurance. En effet, je suis d’avis que l’une et l’autre des dispositions en cause requièrent la preuve d’un même élément : l’assuré devait connaître les conséquences dommageables de son geste et les avoir voulues ou ne pas s’être soucié qu’elles se produisent. Avec égards pour l’opinion contraire, on ne peut à la fois conclure que les appelants peuvent limiter leur responsabilité en vertu de la Convention aux motifs qu’ils n’ont pas posé de geste avec l’intention de provoquer les dommages, ou qu’ils ne l’ont pas posé de manière téméraire ou en sachant que ces dommages en résulteraient probablement, et du même souffle, permettre à l’assureur responsabilité de nier couverture en application du par. 53(2)  de la Loi  parce que les mêmes dommages auraient été causés en raison d’une inconduite délibérée. Pour ces raisons, j’accueillerais entièrement l’appel avec dépens.

[74]                          Je vais d’abord examiner le concept d’« inconduite délibérée » mentionné au par. 53(2)  de la Loi , puis traiter de la question de la perte de la protection d’assurance dans le régime d’assurance terrestre en droit civil et en common law et, enfin, expliquer en quoi les dispositions de la Convention et celles du par. 53(2)  de la Loi  doivent être interprétées avec harmonie.

I.          Les faits

[75]                          Je souscris généralement à la description des faits qu’a préparée le juge Cromwell. J’insiste toutefois sur une conclusion du juge des faits qui m’apparaît déterminante en l’espèce : au moment où M. Vallée a sectionné le câble, il croyait sincèrement que ce dernier n’était pas en usage. Le juge des faits n’a jamais évoqué la possibilité qu’un doute ait pu subsister dans l’esprit de M. Vallée à cet égard lorsqu’il a sectionné le câble. Les intimées n’ont jamais contesté cette conclusion ni soutenu que le juge de première instance avait commis une erreur manifeste et dominante dans l’interprétation des faits. Or, si M. Vallée croyait sincèrement que le câble était abandonné et hors service, on ne saurait présumer qu’il avait connaissance des dommages qu’il causerait en le sectionnant.  Partant, cette situation le mettait à l’abri d’une dénégation de couverture par son assureur responsabilité, tout en lui permettant aussi de limiter sa responsabilité.

[76]                          Cette conclusion est d’autant plus justifiée dans les circonstances que la preuve révèle que l’année précédente, alors qu’il n’avait aucune raison l’incitant à penser que le câble en question était abandonné, M. Vallée avait également constaté sa présence dans le fleuve mais ne l’avait pas sectionné. De plus, le juge des faits était fondé à conclure que M. Vallée croyait sincèrement que le câble était abandonné, puisqu’il était illogique de considérer que M. Vallée aurait tenté de sectionner le câble sous-marin et ainsi mis sa vie en danger s’il croyait que celui-ci était sous tension. Bien sûr, M. Vallée aurait dû savoir, tout comme il n’aurait pas dû avoir un comportement négligent ou fautif. Il ne s’agit cependant pas là de la question à résoudre en l’espèce. L’intimée Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances (« Royal ») devait établir, par une preuve prépondérante, que M. Vallée avait connaissance des dommages inhérents à son acte au moment où il a sectionné le câble. Elle n’a toutefois pas apporté cette preuve et, pour cette raison, on ne peut conclure que l’inconduite de M. Vallée était délibérée au sens du par. 53(2)  de la Loi .

II.       L’inconduite délibérée

[77]                          L’article 4 de la Convention a force de loi au Canada en vertu de l’art. 26  de la Loi sur la responsabilité en matière maritime , L.C. 2001, ch. 6 . L’objectif de l’art. 4 est de permettre à l’assuré de limiter sa responsabilité civile. Cette disposition énonce un critère subjectif : une personne ayant causé un dommage ne peut limiter sa responsabilité si elle avait l’intention de provoquer le dommage ou si elle a commis l’acte générateur de responsabilité avec témérité, sachant qu’un tel dommage en résulterait probablement. L’intention ou la connaissance subjective de la personne responsable du dommage doit être établie pour entraîner la suppression de la limitation, tel que prévu à l’art. 4 de la Convention.

[78]                          Toutefois, sans définir de façon exhaustive le concept d’inconduite délibérée, le par. 53(2)  de la Loi , tout comme l’art. 4 de la Convention, adopte également un critère subjectif : un acte ne peut être qualifié d’inconduite délibérée en l’absence de preuve que l’assuré désirait le résultat de son geste ou ne se souciait pas qu’il se réalise.  Ainsi, pour reprendre les propos exprimés par le juge Cromwell au par. 42, où il se réfère à ceux du juge de première instance : « . . . l’“inconduite délibérée”  ne s’entend pas de la simple négligence, mais exige “soit un acte intentionnel ayant visé à causer le préjudice, soit la conduite d’une personne qui a tellement fermé les yeux ou s’est si peu souciée des autres qu’elle n’était pas attentive à ce qui pouvait en découler” ».  À l’évidence, la conduite de M. Vallée ne répond pas à cette définition.

[79]                          Les dispositions pertinentes sont rédigées ainsi :

Loi sur l’assurance maritime 

 

53. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et sauf disposition contraire de la police maritime, l’assureur n’est responsable que des pertes résultant directement des périls assurés, y compris la perte qui ne se serait pas produite sans l’inconduite ou la négligence du capitaine ou de l’équipage.

 

(2) Sans restreindre la généralité du paragraphe (1), l’assureur n’est pas responsable des pertes attribuables à l’inconduite délibérée de l’assuré ni, sauf disposition contraire de la police :

 

a) dans le cas de l’assurance sur corps ou sur marchandises, des pertes résultant directement du retard, y compris le retard causé par le péril assuré;

 

b) de l’usure normale, de la casse ou du coulage ordinaire, ou des pertes attribuables à la nature même de la chose assurée ou à un vice qui lui est propre;

 

c) des pertes résultant directement du fait de la vermine;

 

d) des pertes ou des dommages causés à la machinerie qui ne résultent pas directement des périls de mer.

 

 

Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes telle que modifiée par le Protocole de 1996 modifiant la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes

 

 

Article premier.  Personnes en droit de limiter leur responsabilité

 

1. Les propriétaires de navires et les assistants, tels que définis ci-après, peuvent limiter leur responsabilité conformément aux règles de la présente Convention à l’égard des créances visées à l’article 2.

 

. . .

 

4. Si l’une quelconque des créances prévues à l’article 2 est formée contre toute personne dont les faits, négligences et fautes entraînent la responsabilité du propriétaire ou de l’assistant, cette personne est en droit de se prévaloir de la limitation de la responsabilité prévue dans la présente Convention.

 

. . .

 

6. L’assureur qui couvre la responsabilité à l’égard des créances soumises à limitation conformément aux règles de la présente Convention est en droit de se prévaloir de celle-ci dans la même mesure que l’assuré lui-même.

 

7. Le fait d’invoquer la limitation de la responsabilité n’emporte pas la reconnaissance de cette responsabilité.

 

 

 

Article 2.  Créances soumises à la limitation

 

. . .

 

2. Les créances visées au paragraphe 1 sont soumises à la limitation de la responsabilité même si elles font l’objet d’une action, contractuelle ou non, récursoire ou en garantie. Toutefois, les créances produites aux termes des alinéas d), e) et f) du paragraphe 1 ne sont pas soumises à la limitation de responsabilité dans la mesure où elles sont relatives à la rémunération en application d’un contrat conclu avec la personne responsable.

 

. . .

 

Article 4.  Conduite supprimant la limitation

 

Une personne responsable n’est pas en droit de limiter sa responsabilité s’il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou de son omission personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement.

[80]                          Le juge Cromwell soutient que le concept d’« inconduite délibérée inclut non seulement un acte fautif intentionnel, mais également une conduite qui témoigne d’une insouciance téméraire au vu d’une obligation de connaissance » (par. 58 (je souligne)). Je suis d’accord pour affirmer qu’un acte fautif intentionnel (« intentional wrongdoing ») constitue une inconduite délibérée. Toutefois, avec égards pour l’opinion contraire exprimée par mon collègue, la deuxième partie de son énoncé doit être complétée. Une conduite témoignant « d’une insouciance téméraire au vu d’une obligation de connaissance » ne sera assimilée à une inconduite délibérée que s’il est établi en preuve que, au moment où l’acte fautif a été accompli, son auteur avait subjectivement connaissance des dommages qui en découleraient. Conclure à l’existence d’une inconduite délibérée en l’absence de cette connaissance subjective revient à faire abstraction d’un aspect essentiel du sens de « délibérée », c’est-à-dire quelque chose — action ou omission — dont on a pesé le pour et le contre, les conséquences. En anglais, cela aurait pour effet de priver le « wilful » du « will ».

[81]                          Comme le souligne mon collègue, la Cour a examiné le concept d’inconduite délibérée (« wilful misconduct ») dans l’affaire McCulloch c. Murray, [1942] R.C.S. 141.  Le juge en chef Duff y a affirmé que, tout comme « la négligence grossière » (« gross negligence ») et « l’inconduite téméraire » (« wanton misconduct »), l’inconduite délibérée s’entend d’une conduite s’éloignant substantiellement du comportement de la personne raisonnable (p. 145). Néanmoins, le Juge en chef a effectué la mise en garde suivante quant à la portée de son jugement : [traduction] « Je n’estime pas qu’il incombe de quelque façon que ce soit à la Cour, dans l’application du texte de loi en cause, de définir ce qu’est la négligence grossière, ou encore ce qu’est l’inconduite délibérée et téméraire » (p. 144). En outre, le Juge en chef a reconnu que les trois concepts — négligence grossière, inconduite délibérée et inconduite téméraire — ne sont pas analogues :

[traduction] Personnellement, je suis incapable de me rallier à l’opinion selon laquelle il ne saurait se présenter de cas où le jury pourrait à juste titre déclarer le défendeur coupable de négligence grossière tout en refusant de conclure à sa culpabilité pour témérité délibérée ou téméraire. Toutes ces expressions, négligence grossière, inconduite délibérée, inconduite téméraire, impliquent une façon d’agir dans laquelle, s’il n’y a pas faute consciente, il y a écart très marqué vis-à-vis des normes habituellement suivies par les personnes responsables et compétentes au volant d’une automobile. Sous réserve de ces remarques, j’estime que la question de savoir si une conduite donnée appartient à la catégorie des négligences grossières, des inconduites délibérées ou des inconduites téméraires est entièrement une question de fait qui relève du jury. Il s’agit après tout de termes anglais très clairs, qui ne devraient pas être difficiles à appliquer par des jurés dont l’esprit n’a pas été embrouillé par une surabondance d’analyse verbale. [Je souligne; p. 145.]

 

[82]                          Notre Cour a effectivement distingué ces concepts. Ainsi, le juge Kerwin (plus tard Juge en chef) a souligné que, contrairement à la négligence grossière, l’inconduite délibérée suppose inévitablement une connaissance subjective des risques associés à l’acte en cause : [traduction] « L’expression “inconduite délibérée et téméraire” suppose un élément subjectif de la part du conducteur, alors qu’il peut y avoir négligence grossière indépendamment de ce à quoi pensait le conducteur ou de l’intention de ce dernier » (Studer c. Cowper, [1951] R.C.S. 450, p. 455). (Voir également Russell c. Canadian General Insurance Co. (1999), 11 C.C.L.I. (3d) 284 (C.J. Ont. (Div. gén.)), par. 47; Avgeropoulos c. Karanasos (1969), 6 D.L.R. (3d) 34 (C. dist. Ont.).)

[83]                          Le sens des mots « délibéré » et « wilful » appuie cette interprétation. Le Petit Robert (nouv. éd. 2012) définit l’adjectif « délibéré » comme « conscient, intentionnel, réfléchi, volontaire, voulu » (p. 661). Le Shorter Oxford English Dictionary (5e éd. 2002), définit quant à lui l’adjectif « wilful » comme « [o]f an action etc. : done on purpose; deliberate, intentional », « [d]one or undergone of one’s own free will; voluntary » (p. 3640).

[84]                          En conséquence, je crois que l’on ignore une condition essentielle de la notion d’inconduite délibérée lorsque l’on affirme qu’une « conduite qui témoigne d’une insouciance téméraire au vu d’une obligation de connaissance » en constitue une manifestation. Pour qu’une telle conduite puisse être considérée comme étant délibérée, il est essentiel de prouver que, au moment précis où l’acte d’inconduite a été commis, son auteur avait connaissance des conséquences dommageables associées à cet acte. La preuve d’une « conduite qui témoigne d’une insouciance téméraire au vu d’une obligation de connaissance » n’est que la première étape. Il faut ensuite prouver que cette inconduite était délibérée.

[85]                          Cet attribut est discuté dans la jurisprudence anglaise déposée par les appelants et l’intimée Royal. Dans l’affaire Lewis c. Great Western Railway Co. (1877), 3 Q.B.D. 195 (C.A.), le lord juge Bramwell s’exprimait ainsi au sujet du concept d’inconduite délibérée :

[traduction] J’estime que constituerait une inconduite délibérée le fait pour un individu d’accomplir un acte sans savoir s’il en résultera ou non un préjudice. Je n’entends pas par là le fait d’agir dans l’ignorance, mais plutôt d’agir après qu’on lui aurait dit : « Mais ça pourrait ne pas être une bonne chose d’agir ainsi. » L’intéressé pourrait répondre : « Bien, je ne sais pas quelle est la bonne chose à faire, et je m’en fous; je vais faire l’acte en question. » Je tends fortement à croire qu’il s’agirait là d’une « inconduite délibérée », car l’intéressé a agi en supposant que son acte pourrait être préjudiciable et en faisant preuve d’indifférence vis-à-vis de son obligation de vérifier si cet acte était préjudiciable ou non. [Je souligne; p. 206.]

Il ressort des propos du lord juge Bramwell que le demandeur devra prouver que, au moment même où le geste d’inconduite a été commis, son auteur [traduction] « a agi en supposant que son acte pourrait être préjudiciable ». Le fait qu’il ait agi « en faisant preuve d’indifférence vis-à-vis de son obligation de vérifier si cet acte était préjudiciable ou non » n’est pas, en soi, suffisant. Ainsi, une inconduite ne pourra être qualifiée de délibérée que lorsque son auteur avait subjectivement connaissance des risques inhérents à son acte au moment où il a été posé.

[86]                          Il convient également de souligner la définition de la notion d’inconduite délibérée énoncée par la Queen’s Bench Division  (Commercial Court) d’Angleterre à l’occasion de l’affaire Thomas Cook Group Ltd. c. Air Malta Co., [1997] 2 Lloyd’s Rep. 399. Le juge Cresswell affirmait alors :

[traduction] Qu’est-ce qui constitue une inconduite délibérée?  Fait délibérément preuve d’inconduite la personne qui sait et comprend bien que constitue une inconduite de sa part le fait d’accomplir ou d’omettre d’accomplir quelque chose et qui, malgré tout, a) intentionnellement accomplit ou omet d’accomplir la chose en question, b) persiste à agir ou à omettre d’agir sans égard aux conséquences ou encore c) agit avec une imprudence téméraire, sans se soucier du résultat possible de son imprudence.  (Une personne agit avec une imprudence téméraire si, consciente du risque que des marchandises confiées à ses soins peuvent être perdues ou endommagées, elle va quand même délibérément de l’avant et court le risque, alors qu’il est déraisonnable de le faire eu égard à l’ensemble des circonstances.) [Je souligne; p. 408.]

Je retiens de la troisième hypothèse, soit celle qui se rapproche le plus du cas qui nous occupe, qu’une inconduite est délibérée si, au moment où la personne pose son geste, elle est [traduction] « consciente du risque que des marchandises confiées à ses soins peuvent être perdues ou endommagées ». Bref, la connaissance subjective des dommages, au moment de la commission de l’inconduite, devra être prouvée.

[87]                          Je suis d’avis que cette proposition respecte la jurisprudence anglaise suivant laquelle une inconduite sera qualifiée de délibérée seulement si elle est le fruit de la volonté de la personne responsable. (Voir Forder c. Great Western Railway Co., [1905] 2 K.B. 532; Horabin c. British Overseas Airways Corp., [1952] 2 Lloyd’s Rep. 450 (Q.B.D.); Kenyon Son c. Baxter, Hoare & Co., [1971] 1 Lloyd’s Rep. 232 (Q.B.D.); Compania Maritima San Basilio S.A. c. The Oceanus Mutual Underwriting Association (Bermuda) Ltd. (The « Eurysthenes »), [1976] 2 Lloyd’s Rep. 171 (C.A.); Rustenburg Platinum Mines Ltd. c. South African Airways, [1977] 1 Lloyd’s Rep. 564 (Q.B.D. (Com. Ct.)); Sidney G. Jones Ltd. c. Martin Bencher Ltd., [1986] 1 Lloyd’s Rep. 54 (Q.B.D.); National Oilwell (UK) Ltd. c. Davy Offshore Ltd., [1993] 2 Lloyd’s Rep. 582 (Q.B.D. (Com. Ct.)); National Semiconductors (UK) Ltd. c. UPS Ltd., [1996] 2 Lloyd’s Rep. 212 (Q.B.D. (Com. Ct.)); Laceys Footwear (Wholesale) Ltd. c. Bowler International Freight Ltd., [1997] 2 Lloyd’s Rep. 369 (C.A.).)

[88]                          Duygu Damar, dans son ouvrage clé, Wilful Misconduct in International Transport Law (2011), adopte le même raisonnement. Un acte qualifié de « téméraire » ne sera assimilé à une inconduite délibérée que si la preuve démontre que son auteur était « subjectivement téméraire ». La professeure Damar illustre une telle inconduite de la façon suivante : [traduction] « Si l’intéressé est une personne effectivement avertie, c.-à-d. consciente de l’existence du risque injustifiable, sa témérité est alors subjective; en d’autres mots, sa conduite est considérée comme une témérité consciente » (p. 272-273). En revanche, un acte « objectivement téméraire », accompli par une personne qui ne soupçonne pas le risque que peut entraîner son acte, ne saurait être assimilé à une inconduite délibérée. La professeure Damar présente la situation ainsi :

[traduction] Contrairement à la témérité subjective, la témérité objective n’exige pas que l’auteur de la faute ait effectivement été conscient du risque injustifiable.  Pour qu’il y ait eu témérité objective, il suffit que le tribunal conclue qu’une personne raisonnable aurait vu le risque, même si l’auteur de la faute ne l’a pas vu. [p. 273]

[89]                          Il n’est donc pas suffisant d’imputer la connaissance de la témérité d’un acte à un individu en se référant uniquement à la norme de la personne raisonnable, ou en affirmant qu’il avait le devoir de s’informer davantage. La professeure Damar affirme à cet égard que [traduction] « [la témérité objective] ne devrait [. . .] pas être prise en considération dans les affaires de droit des transports, étant donné qu’elle ne satisfait pas à la condition préalable fondée sur “la connaissance effective” se rattachant au degré de faute de l’inconduite volontaire » (p. 273). Le fait qu’une personne raisonnable aurait dû savoir, ou qu’une personne avait le devoir de savoir, n’est pas suffisant pour autoriser la conclusion qu’un acte présente les attributs d’une inconduite délibérée : il faut également établir que la personne voulait les dommages et faire la preuve d’une négligence grossière ou d’une inconduite qui présente un écart très marqué par rapport au comportement d’une personne raisonnable.

[90]                          En outre, je retiens des propos de Peter Cane dans «  Mens Rea in Tort Law » (2000), 20 Oxford J. Legal Stud. 533, que la « témérité » (« recklessness ») implique nécessairement une connaissance subjective des conséquences du geste posé. Le professeur Cane soutient effectivement que le fait [traduction] « d’affirmer qu’une personne a été consciemment téméraire à l’égard d’un résultat donné revient à dire que celle-ci croyait qu’un tel résultat n’était pas impossible » (p. 538).

[91]                          Aux fins d’application du par. 53(2)  de la Loi sur l’assurance maritime , l’intimée Royal devait prouver, par la prépondérance des probabilités, que M. Vallée connaissait subjectivement les risques associés à son acte. Je rappelle que la preuve n’a pas établi qu’un tel doute meublait son esprit au moment de l’incident. Si après avoir apprécié les conséquences possibles de son acte, l’assuré croit de façon sincère, mais erronée, que son geste n’entraînera aucun préjudice, son inconduite ne peut alors être qualifiée de délibérée.

[92]                          Bref, il n’est pas suffisant de prouver qu’un individu a eu une « conduite qui témoigne d’une insouciance téméraire au vu d’une obligation de connaissance » pour que le tribunal puisse conclure que son geste constitue une inconduite délibérée. Si c’était le cas, le geste pourrait fort bien représenter une inconduite visée au par. 53(2)  de la Loi , sans pour autant que celle-ci puisse être qualifiée de délibérée.

III.    La perte de protection d’assurance dans le domaine des assurances terrestres

[93]                          Afin d’appuyer une conclusion selon laquelle l’inconduite délibérée nécessite une connaissance subjective des risques, il peut être utile d’examiner les énoncés issus du droit civil et de la common law en matière d’assurances terrestres. Les régimes ne sont pas identiques, mais chacun requiert la preuve, avant de priver l’assuré de la protection de l’assurance, que cet assuré avait une connaissance subjective des risques associés à son geste. La pertinence de se référer aux notions de droit civil en semblable matière ne devrait pas soulever de contestation. Tout comme la juge L’Heureux-Dubé, qui siégeait alors à la Cour d’appel du Québec, dans Symons General Insurance Co. c. Sabau Construction Inc., [1986] R.J.Q. 2823, p. 2831, et le juge Brossard dans Aetna Casualty and Surety Co. c. Groupe Estrie, mutuelle d’assurance contre l’incendie, [1990] R.J.Q. 1792 (C.A.), je note que le droit québécois des assurances est partiellement inspiré de la common law (voir également C. Belleau, « L’harmonisation du droit civil et de la common law en droit des assurances au Québec » (1991), 32 C. de D. 971, p. 973). Or, dans l’affaire Triglav c. Terrasses Jewellers Inc., [1983] 1 R.C.S. 283, p. 293 et 297, notre Cour a reconnu que le Code civil du Bas Canada codifiait effectivement le droit de l’assurance maritime en matière de prêt à la grosse (art. 2693), de délaissement (art. 2663) et de privilèges (art. 2383 et 2385).

[94]                          Ainsi, en vertu de l’art. 2464, al. 1 du Code civil du QuébecC.c.Q. »), l’assureur est tenu de réparer le préjudice causé par la faute de l’assuré, à moins que cette faute ne soit intentionnelle. Didier Lluelles affirme ce qui suit :

. . . ne devrait pas être qualifié de faute intentionnelle le geste manifestement maladroit de l’assuré, si ce dernier ignorait qu’il y avait un risque qu’un dommage serait inévitablement causé. La faute lourde non intentionnelle est donc couverte, à moins d’une clause d’exclusion expresse et limitative. [En italique dans l’original.]

 

(Précis des assurances terrestres (5e éd. 2009), p. 198-199)

[95]                          Les enseignements de l’arrêt Audet c. Transamerica Life Canada, 2012 QCCA 1746, [2012] R.J.Q. 1844, soumis par l’intimée Royal appuient cette conclusion. Dans cette affaire, le juge Dalphond a distingué les notions de faute intentionnelle et de faute lourde, rappelant que la première « se caractérise par une conduite qui recherche non seulement la réalisation du risque, mais aussi celle des préjudices ainsi causés, c’est-à-dire les conséquences d’une telle conduite » (par. 91). Au sujet de la seconde, il a donné les précisions suivantes :

     . . .  la faute lourde, dont la négligence grossière n’est qu’une manifestation, tout comme l’insouciance, même celle qualifiée de téméraire, découle d’un comportement anormalement déficient, voire inexcusable, qui dénote un mépris complet des intérêts d’autrui . . . [par. 90]

Dans Audet, l’assuré, un courtier en assurance-vie et placements, ignorait les conséquences fiscales des produits financiers qu’il vendait à ses clients, situation qui a entraîné un important préjudice financier pour ces derniers. La Cour d’appel a conclu que son manque de connaissance du traitement fiscal n’était ni une faute lourde, ni une faute intentionnelle, mais plutôt une incompétence génératrice de responsabilité couverte par la police d’assurance responsabilité. La société d’assurance avait donc l’obligation d’indemniser le dommage causé par l’assuré et ne pouvait lui nier couverture (par. 113).

[96]                          Je signale au passage que tant la version anglaise de l’art. 2576 C.c.Q. (qui traite d’assurance maritime) que celle du par. 53(2)  de la Loi  indiquent que l’assureur n’est pas tenu d’indemniser lorsque le préjudice résulte d’une « wilful misconduct » de l’assuré. Alors que le législateur fédéral a choisi le terme « inconduite délibérée » en français, le législateur québécois a retenu le terme « faute intentionnelle ». Voici les versions française et anglaise de la disposition du C.c.Q. :

2576. L’assureur n’est tenu que des pertes et des dommages résultant directement d’un risque couvert par la police.

 

Il est libéré de ses obligations lorsque ces pertes et dommages résultent de la faute intentionnelle de l’assuré, mais il ne l’est pas s’ils résultent de la faute du capitaine ou de l’équipage.

 

2576. The insurer is liable only for losses directly caused by a peril insured against.

 

The insurer is not liable for any such loss caused by the wilful misconduct of the insured, but he is liable if it is caused by the misconduct of the master or crew.

L’emploi des mots « intentionnelle » et « wilful » (« délibérée ») à l’art. 2576 témoigne de l’importance de la connaissance subjective des risques ou dommages inhérents à la faute ou à l’inconduite comme élément devant être établi pour que l’assureur soit autorisé à nier couverture à son assuré.

[97]                          En common law, depuis la décision de notre Cour dans l’affaire Canadian Indemnity Co. c. Walkem Machinery & Equipment Ltd., [1976] 1 R.C.S. 309, [traduction] « [à] tout le moins en ce qui concerne l’assurance de responsabilité, il est maintenant établi en droit qu’on est en présence d’un accident lorsque le résultat n’était pas voulu, même s’il était possible de le prévoir, ou même s’il s’agit d’une conséquence défavorable d’un risque calculé » (C. Brown, Insurance Law in Canada (feuilles mobiles), p. 8-33).

[98]                          Bref, l’interprétation du concept d’inconduite délibérée que je propose est en harmonie avec le droit civil et la common law : pour être autorisé à nier couverture selon les dispositions de la Loi , l’assureur devra prouver que l’assuré avait une connaissance subjective des conséquences et des risques inhérents aux gestes et aux actes qu’il a posés.

IV.    Le lien entre la limitation de responsabilité de la Convention et le par. 53(2)  de la Loi 

[99]                          L’analyse des circonstances qui ont mené à l’élaboration de la Convention permet également de conclure que les dispositions prévoyant la limitation de responsabilité doivent être interprétées en harmonie avec celle en vertu de laquelle un assuré risque de perdre le bénéfice de sa police d’assurance responsabilité.

[100]                      Les travaux préparatoires de la Convention, qui selon l’art. 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37, constituent un moyen complémentaire d’interprétation des traités, révèlent que les rédacteurs cherchaient à l’époque à arrimer le droit de limiter la responsabilité aux règles de droit régissant la protection d’assurance en cas d’inconduite délibérée. À cet égard, je note que les travaux préparatoires se réfèrent à l’al. 55(2)(a) de la Marine Insurance Act, 1906 (R.-U.), 6 Edw. 7, ch. 41, soit l’ancêtre de l’art. 53  de Loi  :

                          [traduction] Les mots « recklessly and with knowledge that such loss would probably occur » (« témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement ») se rapprochent considérablement du terme juridique anglais « wilful misconduct », lequel constitue normalement le caractère répréhensible requis pour justifier la déchéance de la couverture d’assurance  (Marine Insurance Act (1906) Sect. 55(2)a).  Le texte proposé implique donc qu’il y a droit à limitation de responsabilité lorsque la couverture d’assurance est intacte.  Protéger dans cette mesure le caractère immuable de la limitation devrait permettre une hausse appréciable des limites de la responsabilité. [Je souligne.]

 

(Comité Maritime International, The Travaux Préparatoires of the LLMC Convention, 1976 and of the Protocol of 1996 (2000), p. 122)

[101]                      En outre, selon la professeure Damar, conclure qu’une personne dont l’inconduite délibérée a causé un dommage ne perdrait pas de ce fait le droit de limiter sa responsabilité défierait en quelque sorte l’objectif même du système de limitation de responsabilité :

[traduction] Comme il a été mentionné précédemment, on a affirmé que l’une des caractéristiques fondamentales du principe de la responsabilité limitée est le régime de la faute présumée ou de la responsabilité stricte qui a été accepté en échange. La situation gagnante pour tous créée par cet échange cesse d’exister lorsque le dommage est causé par une faute intentionnelle du transporteur ou du propriétaire du navire. Si la limitation de responsabilité était également acceptée dans les cas où le dommage a été causé par une conduite intentionnelle ou téméraire, la situation deviendrait une situation gagnant-perdant où le gagnant serait le transporteur ou le propriétaire du navire, car, bien que coupable d’un comportement criminel, ce dernier jouirait du bénéfice de la responsabilité limitée. [Je souligne; p. 26.]

[102]                      En conséquence, je suis d’avis que la personne qui, par suite de certains gestes, est tenue responsable d’un dommage mais qui peut par ailleurs limiter sa responsabilité ne devrait pas toutefois perdre le bénéfice de sa garantie d’assurance pour les mêmes gestes, car cela risquerait de rompre l’équilibre, la cohérence et l’équité qui marquent certaines dispositions d’assurance lorsqu’elles réduisent la portée et la protection d’une police d’assurance responsabilité.

V.       Application du droit aux faits

[103]                      En l’espèce, je souscris à la conclusion de la majorité selon laquelle M. Vallée n’a pas perdu, en application de l’art. 4 de la Convention, le bénéfice de la limitation de responsabilité. Monsieur Vallée n’a pas commis son geste avec l’intention de causer les dommages survenus et il n’avait pas conscience que de tels dommages résulteraient probablement de son geste. La Cour fédérale a conclu que M. Vallée était un « homme honnête » (par. 1) et qu’il n’avait jamais eu l’intention de sectionner un câble qu’il aurait su en usage ou sous tension. Cette preuve n’est pas contredite. Son assureur responsabilité peut également en raison du par. 1(6) de la Convention bénéficier de cette limitation de responsabilité.

[104]                      Je ne peux toutefois me rallier à la seconde conclusion de la majorité basée sur le par. 53(2)  de la Loi  :

Il a manifesté une insouciance téméraire vis-à-vis des conséquences possibles de ses actes dont il était bel et bien conscient. Il y a donc eu inconduite délibérée de sa part : il a couru un risque déraisonnable dont il avait subjectivement conscience et il a fait preuve d’insouciance quant aux conséquences. [par. 65]

En effet, la majorité omet de tenir compte de la conclusion de fait non contestée selon laquelle M. Vallée croyait sincèrement que le câble était abandonné au moment où il l’a sectionné. Avec égards, j’estime également que la démarche empruntée par la majorité intègre un nouveau critère objectif à l’analyse applicable à l’égard du par. 53(2)  de la Loi . Comme cette disposition exige qu’il soit satisfait par une preuve prépondérante à un critère purement subjectif et comme les conclusions de fait du juge de première instance n’ont pas été écartées, il faut conclure en droit que M. Vallée n’a pas commis une inconduite délibérée visée au par. 53(2)  de la Loi .

[105]                      Il coule de source que M. Vallée a été négligent en sectionnant à deux reprises le câble des intimées la Société TELUS Communications, Hydro-Québec et Bell Canada. Comme l’a reconnu la Cour fédérale, M. Vallée avait un devoir de diligence envers ces sociétés.

[106]                      Cela dit, rien dans le dossier ne permet de conclure que M. Vallée savait effectivement que le câble était utilisé ou qu’il avait quelque soupçon à cet égard. Bien au contraire, la Cour fédérale a reconnu d’entrée de jeu que M. Vallée est un « homme honnête », et qu’il était « [m]ortifié » (par. 43) des conséquences de ses actes. Elle a reconnu à plusieurs reprises que M. Vallée croyait effectivement que le « câble était inutile » (par. 75; voir aussi par. 5 et 28-29). En particulier, le juge de première instance a précisé que M. Vallée avait tiré la conclusion que le câble était hors d’usage après avoir vu, sur une carte dans un musée à Baie-Comeau, le mot « abandonné » inscrit sur une ligne traversant le fleuve là où il avait l’habitude de pêcher (par. 40). À la suite de la consultation de cette carte, M. Vallée a cru sincèrement, mais erronément, que le câble était abandonné.

[107]                      En outre, rien au dossier ne permet d’imputer à M. Vallée la connaissance de la réalisation des dommages et encore moins son intention de causer de tels dommages.  Au contraire, les faits avérés confirment que M. Vallée croyait que le câble était abandonné et qu’il était ainsi « sans valeur » (par. 77). La Cour fédérale a souligné que, dès qu’il a été informé des dommages qu’il avait causés, M. Vallée s’est présenté volontairement aux autorités (par. 43). Le juge de première instance a souligné que le geste posé par M. Vallée aurait très bien pu mettre sa vie en danger, car si le câble avait été sous tension, il aurait pu s’électrocuter (par. 32). Monsieur Vallée savait qu’un câble sous-marin peut être sous tension (d.a., vol. III, p. 111), mais il est néanmoins passé à l’action et a sectionné le câble, et je ne crois pas qu’on puisse raisonnablement considérer qu’il avait quelque soupçon que le câble était toujours utilisé.

[108]                      La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale se sont bien gardées d’imputer à M. Vallée la connaissance d’un risque de causer un dommage. Au contraire, la première a d’ailleurs tiré la conclusion suivante : « . . . il est possible d’en déduire sans se tromper que si M. Vallée avait su que le Sunoque I était un câble utilisé, il ne l’aurait pas sectionné » (par. 29). Elle s’est plutôt limitée à affirmer que M. Vallée aurait dû savoir.

[109]                      En conclusion, l’intimée Royal devait établir que, au moment où il a posé son geste fautif, l’assuré M. Vallée avait l’intention de causer les dommages survenus ou savait que de tels dommages pouvaient résulter de son geste. Le juge des faits a conclu que, lorsqu’il a sectionné le câble, M. Vallée croyait sincèrement que ce dernier était abandonné. En conséquence, l’intimée Royal ne s’est pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait, et tout comme il n’avait pas perdu, en application des art. 1, 2, et 4 de la Convention, le droit de limiter sa responsabilité, l’assuré M. Vallée pouvait également bénéficier de sa garantie d’assurance responsabilité et obliger ses assureurs à prendre fait et cause pour lui et à indemniser les victimes le cas échéant.

[110]                      Pour ces motifs, j’accueillerais le pourvoi avec dépens devant toutes les cours.

                    Pourvoi accueilli en partie avec dépens, le juge Wagner est dissident en partie.

                    Procureurs des appelants : Brisset Bishop, Montréal.

                    Procureurs des intimées la Société TELUS Communications, Hydro-Québec et Bell Canada : Langlois Kronström Desjardins, Québec.

                    Procureurs de l’intimée la Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances : Robinson Sheppard Shapiro, Montréal.

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