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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 55, [2016] 2 R.C.S. 670

Appel entendu : 18 mai 2016

Jugement rendu : 9 décembre 2016

Dossier : 36505

 

Entre :

Le Groupe Jean Coutu (PJC) inc.

Appelante

 

et

 

Procureur général du Canada

Intimé

 

- et -

 

Agence du revenu du Québec

Intervenante

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 53)

 

 

Motifs dissidents :

(par. 54 à 95)

Le juge Wagner (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Gascon et Brown)

 

La juge Côté (avec l’accord de la juge Abella)

 

 

 

 


Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 55, [2016] 2 R.C.S. 670

Le Groupe Jean Coutu (PJC) inc.                                                                Appelante

c.

Procureur général du Canada                                                                            Intimé

et

Agence du revenu du Québec                                                                   Intervenante

Répertorié : Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général)

2016 CSC 55

No du greffe : 36505.

2016 : 18 mai; 2016 : 9 décembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown.

en appel de la cour d’appel du québec

                    Contrats — Interprétation — Intention commune des parties — Instruments écrits relatifs à un montage transactionnel ne reflétant pas l’intention commune des parties de neutralité sur le plan fiscal — Transactions aux conséquences fiscales indésirables — En droit civil québécois, l’intention générale que la mise en œuvre d’un montage transactionnel soit neutre sur le plan fiscal est‑elle suffisante pour autoriser la rectification des instruments écrits? — Code civil du Québec, art. 1425.

                    Droit commercial — Sociétés par actions — Fiscalité — La rectification d’un instrument écrit équivaut‑elle à une planification fiscale rétroactive?

                    Le Groupe Jean Coutu (PJC) inc. (« PJC Canada ») est une société commerciale québécoise. En 2004, sa filiale, PJC USA, a investi dans une chaîne de pharmacies américaines. Les variations de la valeur de cet investissement en raison des fluctuations du taux de change des devises américaines et canadiennes suscitaient des perceptions négatives chez les investisseurs de PJC Canada. Cherchant un moyen de neutraliser ces perceptions, et ce, sans conséquences fiscales défavorables, PJC Canada a alors consulté des conseillers professionnels. Même si la série de transactions choisie a permis de neutraliser l’effet des fluctuations du taux de change, elle n’a pas pu empêcher les conséquences fiscales. En 2010, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a établi que PJC Canada devait la somme de 2,2 millions de dollars CAN au titre de l’impôt sur le revenu pour les années 2005, 2006 et 2007. L’ARC a conclu que, puisque PJC USA était une filiale contrôlée à l’étranger de PJC Canada, l’intérêt qu’elle a perçu au cours de ces années sur la somme de 70 millions de dollars US qui lui avait été prêtée constituait du revenu étranger accumulé, tiré de biens (« RÉATB »), au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu , et imposable à titre de revenu de PJC Canada.

                    Après la vérification de l’ARC, PJC Canada a déposé une requête en rectification des documents relatifs à l’entente et en jugement déclaratoire en application de l’art. 1425 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »). Le juge saisi de la demande a accueilli la requête. Compte tenu des conséquences défavorables sur le plan fiscal, il a conclu à une divergence entre l’intention commune des parties et les documents rédigés en vue de donner effet à cette intention. En conséquence, PJC Canada a été autorisée à modifier les documents par l’ajout des nouvelles transactions, de sorte que l’intérêt payable par PJC Canada à PJC USA soit compensé par l’intérêt payable par PJC USA à PJC Canada et que le RÉATB soit réduit à néant. La Cour d’appel a accueilli l’appel et conclu que l’intention générale de PJC Canada selon laquelle l’entente devait être neutre sur le plan fiscal n’était pas suffisamment déterminée pour justifier de la modifier.

                    Arrêt (les juges Abella et Côté sont dissidentes) : Le pourvoi est rejeté.

                    La juge en chef McLachlin et les juges Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Brown : Une intention générale de neutralité fiscale ne peut, en l’absence d’une opération juridique précise et d’une prestation, ou de prestations, déterminée ou déterminable au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’art. 1373 C.c.Q., donner lieu à une intention commune emportant formation de l’entente originale et justifier la modification des documents écrits constatant cette entente en application de l’art. 1425 C.c.Q. L’interprétation des contrats est axée sur ce que les parties ont vraiment convenu de faire, et non sur les raisons qu’elles avaient de conclure le contrat ou sur les conséquences qu’elles voulaient que ce contrat produise. Ainsi, lorsqu’un contrat, dont l’effet voulu est, en tout ou en partie, d’éviter, de reporter ou de minimiser l’impôt payable, produit des conséquences fiscales indésirables, l’expression de l’entente ne pourra être modifiée qu’à deux conditions. Premièrement, si les parties à l’entente cherchaient expressément au départ à éviter ces conséquences fiscales au moyen d’obligations suffisamment précises dont les objets, soit les prestations à exécuter, sont déterminés ou déterminables; et, deuxièmement, si les obligations, dans la mesure où elles avaient été correctement exprimées, et les prestations correspondantes, dans la mesure où elles avaient été correctement exécutées, avaient eu l’effet recherché.

                    En l’espèce, PJC Canada et PJC USA se sont entendues sur une série de prestations précises qu’elles voulaient exécuter, et il n’y a eu aucune erreur dans la façon d’exprimer ou d’exécuter cette entente. Cette dernière a simplement eu pour PJC Canada des effets imprévus et indésirables sur le plan fiscal. L’erreur résidait dans les transactions dont les parties ont convenu, non dans la façon dont elles ont été exprimées. Si PJC Canada et PJC USA s’étaient arrêtées à la question du RÉATB et avaient convenu d’un montage transactionnel qui, s’il avait été constaté et exécuté correctement, avait permis de réaliser l’objectif de neutraliser l’effet des fluctuations monétaires tout en évitant de produire du RÉATB, il serait approprié d’autoriser la modification des documents écrits afférents à ces transactions s’ils présentaient une transcription erronée de cette volonté commune. Permettre la modification des documents écrits reviendrait non seulement à consacrer une planification fiscale rétroactive, mais à créer un précédent non souhaitable. Les contribuables pourraient se protéger des conséquences fiscales imprévues et, eux et leurs conseillers fiscaux, des inattentions ou erreurs qu’ils pourraient commettre dans la planification des transactions.  

                    Bien que la réparation en droit civil québécois et celle en equity tirent leur origine de sources juridiques différentes, elles partagent des principes semblables et mènent à des résultats semblables. Ceux‑ci sont particulièrement les bienvenus dans le contexte fiscal, puisque les mêmes lois fiscales fédérales s’appliquent dans l’ensemble du pays. Les deux recours ont le même objectif : vérifier si l’entente véritable intervenue entre les parties contractantes est exprimée avec justesse dans les instruments écrits qui, soit reflètent les conditions de l’entente, soit constituent l’exécution des obligations elles‑mêmes. Les deux sont d’application stricte : la modification ne peut porter que sur l’expression ou la transcription du contrat; le contrat lui‑même ne peut être reformulé. En outre, que ce soit dans un système juridique ou dans l’autre, c’est la véritable entente qui prime, et non pas ses conséquences ou ses effets voulus. Même s’ils ne produiront pas toujours le même résultat, parce que les principes du droit des contrats propres à chacun des deux systèmes juridiques sont différents, ils le feraient en l’espèce. Même suivant les principes de l’equity, les modifications demandées par PJC Canada ne seraient pas permises : les parties contractantes n’ont conclu aucune entente préalable dont les conditions étaient déterminées et déterminables et qui incluait les deux nouvelles transactions que PJC Canada souhaite maintenant ajouter à l’entente originale.  

                    Les juges Abella et Côté (dissidentes) : Il y a lieu d’adopter, à l’égard de la rectification, l’approche libérale et généreuse appliquée dans l’arrêt Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65, [2013] 3 R.C.S. 838 (« AES »). Écarter cette approche limite l’exercice par les contribuables d’un recours important dans les cas d’erreur de bonne foi commise par eux ou par leurs conseillers fiscaux. Cela est en outre incompatible avec les réalités du commerce moderne. Toutefois, une simple intention d’éviter l’imposition n’est jamais suffisante pour légitimer une demande en rectification fondée sur l’art. 1425 C.c.Q.  Même si la convergence entre le droit civil québécois et la common law des autres provinces est souhaitable d’un point de vue de politique fiscale, renoncer à l’interprétation de l’art. 1425 C.c.Q. préconisée dans l’arrêt AES dans un effort d’harmonisation avec le recours en rectification en equity tel que l’envisagent les juges majoritaires dans Canada (Procureur général) c. Hôtels Fairmont Inc., 2016 CSC 56, [2016] 2 R.C.S. 720, est incompatible avec le droit des contrats au Québec.

                    La requête en rectification de PJC Canada est à la fois nécessaire et légitime. Il existe un écart évident entre, d’une part, l’intention commune et continue des parties et, d’autre part, les opérations exécutées dans le but de donner effet à cette intention. La preuve démontre que la neutralité fiscale était une condition sine qua non de la structure transactionnelle envisagée par les parties. L’objet de l’entente consistait en des prêts réciproques neutres sur le plan fiscal, créant un passif net en dollars US. Ne pas considérer que les prêts devaient être neutres sur le plan fiscal pour que l’entente soit logique sur le plan commercial va à l’encontre de l’économie générale de cette dernière. La neutralité fiscale était au cœur même de l’entente en cause.

                    L’objet du contrat, au sens de l’art. 1412 C.c.Q., transcende les prestations particulières de l’accord. Ainsi, la rectification ne peut pas être possible seulement si la prestation, telle qu’elle est exprimée dans le document écrit, constate ce que les parties avaient expressément envisagé au départ. Dans AES, la Cour a reconnu que même l’expression orale de la volonté des parties peut ne pas refléter leur intention commune  et que la rectification ne permet pas seulement de corriger les erreurs d’écriture. En outre, que l’erreur commise par les conseillers fiscaux en l’espèce en soit une d’omission — dans la mesure où ils ont négligé de tenir compte du RÉATB — plutôt que de commission — en calculant erronément le PRB des actions, par exemple — n’est pas une raison de principe qui justifie de distinguer la présente cause de l’affaire AES. Cette distinction est en contradiction avec la proposition selon laquelle, si l’expression d’une intention commune est entachée d’une erreur, notamment d’une erreur imputable comme ici au conseiller professionnel du contribuable, une fois cette erreur établie, le tribunal doit la constater et faire en sorte qu’on y remédie. Cette distinction est également en contradiction avec la reconnaissance, dans AES, du pouvoir qu’ont les tribunaux de combler des vides dans le texte en interprétant l’intention commune des parties.

                    Les transactions ou prestations additionnelles envisagées par les parties étaient suffisamment déterminables au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’art. 1373 C.c.Q. tel qu’il est interprété par la Cour dans l’arrêt AES. D’ailleurs, il appert des modalités du contrat de prêt intervenu entre PJC Canada et PJC USA le 7 février 2005 que le capital ne pouvait être remboursé qu’advenant le consentement mutuel des parties. L’insertion d’étapes intermédiaires impliquant le remboursement d’un prêt à demande ne constitue guère plus qu’une reconnaissance judiciaire de l’acquittement partiel d’une obligation, obligation que même les modalités de l’entente originale des parties permettent de déterminer. Les prestations supposaient le financement réciproque de la dette ainsi que le remboursement partiel de cette dette advenant — et uniquement advenant — le consentement mutuel des parties. Les prestations étaient donc déterminées et l’obligation de remboursement correspondante était déterminable.

                    PJC Canada ne demande pas de réécrire l’histoire fiscale des transactions, mais plutôt d’en combler les vides en y ajoutant deux étapes intermédiaires qui préservent la neutralité fiscale. Les modifications souhaitées ne changent pas la nature de la structure originale de l’opération envisagée au départ.  L’entente ne constituait pas une planification fiscale. Rien ne laisse supposer que PJC Canada a fait preuve de mauvaise foi ou commis un abus de droit. L’erreur d’omission des conseillers fiscaux est survenue en toute bonne foi, après que PJC Canada eut fait preuve de diligence raisonnable.

                    Rien dans la demande de PJC Canada ne portait atteinte aux droits de tiers et il n’y a eu aucune violation des règles de preuve. En l’absence d’argument fondé sur des droits de tiers, faire droit à la requête de PJC Canada favorise, plutôt qu’elle ne l’affaiblit, la stabilité commerciale parce que les attentes contractuelles des parties s’en trouvent réalisées. Puisque PJC Canada et PJC USA s’entendent quant à leur intention commune, il n’y a pas, en l’espèce, de risque de réécrire illégitimement l’entente initiale a posteriori. En outre, il est préférable de procéder à la rectification de l’entente, conformément à l’obligation de limiter les dommages incombant à la partie innocente suivant l’art. 1479 C.c.Q. plutôt que d’inciter cette partie à poursuivre ses conseillers.

Jurisprudence

Citée par le juge Wagner

                    Arrêt appliqué : Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65, [2013] 3 R.C.S. 838; arrêts mentionnés : Canada (Procureur général) c. Hôtels Fairmont Inc., 2016 CSC 56, [2016] 2 R.C.S. 720; Commissioners of Inland Revenue c. Duke of Westminster, [1936] A.C. 1; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795; Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3; Mackenzie c. Coulson (1869), L.R. 8 Eq. 368.

Citée par la juge Côté (dissidente)

                    Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65, [2013] 3 R.C.S. 838, conf. 2011 QCCA 394, 2011 D.T.C. 5045; Canada (Procureur général) c. Hôtels Fairmont Inc., 2016 CSC 56, [2016] 2 R.C.S. 720; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Walls c. Canada, 2002 CSC 47, [2002] 2 R.C.S. 684; Backman c. Canada, 2001 CSC 10, [2001] 1 R.C.S. 367; Pallen Trust, Re, 2015 BCCA 222, 385 D.L.R. (4th) 499; Lemair c. Canada (Procureur général), 2015 QCCS 1142; Canada (Attorney General) c. Brogan Family Trust, 2014 ONSC 6354, 2015 D.T.C. 5008; Philippe Trépanier inc. et Deloitte, s.e.n.c.r.l., 2014 QCCS 2615; Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) Inc., 2009 CSC 6, [2009] 1 R.C.S. 157; Commissioners of Inland Revenue c. Duke of Westminster, [1936] A.C. 1; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622; Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862; Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3.

Lois et règlements cités

Code civil du Bas Canada, art. 1013.

Code civil du Québec, art. 6, 7, 1371, 1373, 1374, 1375, 1378, 1385, 1410, 1412, 1425, 1479.

Code Napoléon, art. 1156.

Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, c. 1 (5 e  suppl .), art. 86, 91(1), 95(1) « revenu étranger accumulé, tiré de biens ».

Loi sur les impôts, L.R.Q., c. I‑3, art. 541 à 543.

Loi sur les sociétés par actions, RLRQ, c. S‑31.1, art. 458, 459.

Doctrine et autres documents cités

Baudouin, Jean‑Louis, et Pierre‑Gabriel Jobin. Les obligations, 7e éd., par Pierre‑Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2013.

Hanbury and Martin Modern Equity, 20th ed., by Jamie Glister and James Lee, London, Sweet & Maxwell, 2015.

Hogg, Peter W., Joanne E. Magee and Jinyan Li. Principles of Canadian Income Tax Law, 7th ed., Toronto, Carswell, 2010.

Krishna, Vern. Income Tax Law, 2nd ed., Toronto, Irwin Law, 2012.

Lluelles, Didier, et Benoît Moore. Droit des obligations, 2e éd., Montréal, Thémis, 2012.

Pineau, Jean, Danielle Burman et Serge Gaudet. Théorie des obligations, 4e éd., par Jean Pineau et Serge Gaudet, Montréal, Thémis, 2001.

Snell’s Equity, 31st ed., by John McGhee, ed., London, Sweet & Maxwell, 2005.

Snell’s Equity, 33rd ed., by John McGhee, London, Sweet & Maxwell, 2015.

Spry, I. C. F. The Principles of Equitable Remedies : Specific Performance, Injunctions, Rectification and Equitable Damages, 9th ed., Pyrmont (N.S.W.), Lawbook Co., 2014.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Chamberland, Giroux et Schrager), 2015 QCCA 838, [2015] 4 C.T.C. 82, [2015] AZ‑51175618, [2015] Q.J. No. 4127 (QL), 2015 CarswellQue 3542 (WL Can.), qui a infirmé une décision du juge Chabot, 2012 QCCS 6917, [2012] AZ‑50931255, [2012] J.Q. no 19046 (QL), 2012 CarswellQue 14611 (WL Can.). Pourvoi rejeté, les juges Abella et Côté sont dissidentes.

                    Dominic Belley et Jonathan Lafrance, pour l’appelante.

                    Daniel Bourgeois et Eric Noble, pour l’intimé.

                    Pierre Zemaitis et Christian Boutin, pour l’intervenante.

                    Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Brown rendu par

[1]                              Le juge Wagner — Le présent pourvoi est l’un des deux pourvois connexes concernant des demandes en modification de contrats, de documents ou d’instruments écrits après qu’ils eurent produit des conséquences fiscales indésirables. En l’espèce, la Cour doit déterminer si, en droit civil québécois, l’intention générale des parties contractantes selon laquelle une entente sera fiscalement neutre suffit pour permettre la modification des documents écrits au soutien de cette entente afin qu’ils reflètent cette intention.

[2]                              L’appelante, une société commerciale québécoise, souhaitait régler un problème de comptabilité sans produire d’incidences fiscales défavorables. À cette fin, sa filiale et elle ont convenu d’un montage transactionnel recommandé par leurs conseillers professionnels. Or, ces transactions ont eu une incidence fiscale particulière que les parties et leurs conseillers n’avaient pas prévue : une augmentation du montant que l’appelante aurait dû inclure dans son revenu à des fins d’imposition. Quelques années plus tard, après avoir fait l’objet d’une vérification par les autorités fiscales fédérales, l’appelante a reçu un avis de cotisation pour des impôts non payés; elle a alors déposé en Cour supérieure du Québec une requête introductive d’instance (« requête ») en vue d’obtenir la « rectification » des documents afférents aux transactions, en application de l’art. 1425 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »). Suivant cette disposition, l’interprétation du contrat est marquée par l’intention commune des parties contractantes, plutôt que par l’expression littérale de cette intention.

[3]                              La Cour supérieure du Québec a accueilli la requête présentée par l’appelante, mais la Cour d’appel du Québec a infirmé cette décision, considérant la demande de l’appelante comme une tentative de réécrire l’histoire fiscale de l’entente. Elle a conclu que l’intention de l’appelante — soit que les transactions n’aient aucune conséquence fiscale défavorable — n’était pas suffisamment déterminée pour justifier que les documents soient modifiés de manière à éviter la conséquence fiscale inattendue qu’ils avaient produite.

[4]                              Je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Je conviens avec la Cour d’appel que l’intention d’un contribuable de réaliser une entente neutre sur le plan fiscal — une intention qui n’est pas clairement définie ni liée à des obligations aux objets suffisamment déterminés ou déterminables — ne peut permettre la modification, en application de l’art. 1425 C.c.Q., des documents constatant et exécutant les transactions de manière à ce qu’ils reflètent cette intention. Le libellé d’un contrat, ou son expression verbale, peut être modifié s’il présente un écart par rapport à l’entente véritable intervenue entre les parties. Il ne peut être modifié si cet écart n’existe pas, mais que la véritable entente intervenue entre les parties a simplement produit des conséquences indésirables ou imprévues. Les modifications doivent faire concorder les documents écrits avec l’entente véritable qu’ils sont censés constater et exécuter, non pas avec les raisons ayant motivé les parties contractantes à conclure l’entente ou avec les attentes qu’elles pouvaient avoir sur ses conséquences.

[5]                              D’importantes considérations de principe relatives à la modification de documents écrits dans le contexte fiscal viennent renforcer l’issue du présent appel. En outre, ce résultat correspond à celui auquel permettrait d’arriver, dans les provinces de common law, la réparation en equity que constitue la rectification, qui est au cœur du pourvoi connexe Canada (Procureur général) c. Hôtels Fairmont Inc., 2016 CSC 56, [2016] 2 R.C.S. 720 (« Fairmont »). Bien que la réparation en equity et l’art. 1425 C.c.Q. tirent leur origine de sources juridiques différentes, ils partagent des principes semblables et mènent à des résultats semblables, qui sont particulièrement les bienvenus dans le contexte fiscal, puisque les mêmes lois fiscales fédérales s’appliquent dans l’ensemble du pays.

I.              Faits

[6]                              L’appelante, Le Groupe Jean Coutu (PJC) Inc. (« PJC Canada »), est une société constituée au Québec où elle a en outre son siège social. Au moment où l’entente en cause en l’espèce a été conclue, PJC Canada était l’unique actionnaire de Jean Coutu Group (PJC) USA Inc. (« PJC USA »), une société constituée sous le régime des lois du Delaware.

[7]                              En 2004, PJC USA a acquis une chaîne de pharmacies américaines à titre d’investissement. La valeur de cet investissement, selon le bilan financier de PJC Canada, variait d’un trimestre à l’autre en raison des fluctuations du taux de change des devises américaines et canadiennes jusqu’à ce que l’acquisition soit achevée. Bien que ces variations n’aient eu aucune conséquence fiscale jusqu’à ce moment‑là, elles devaient être consignées en tant que gains ou pertes, ce qui était perçu négativement par les investisseurs de PJC Canada. Cherchant un moyen de neutraliser cette perception négative, et ce sans conséquences fiscales défavorables, PJC Canada a alors consulté des conseillers professionnels. Ces derniers lui ont recommandé deux scénarios. Elle en a choisi un et l’a exécuté en 2005 :

(i)         7 févr. 2005 : PJC Canada prête 120 millions de dollars US à PJC USA, avec intérêt au taux interbancaire offert à Londres (« TIOL »), plus 2,5 pour 100.

(ii)        25 févr. 2005 : PJC Canada achète 10 actions ordinaires additionnelles de PJC USA pour la somme de 70 millions de dollars US.

(iii)       25 févr. 2005 : PJC USA prête 70 millions de dollars US à PJC Canada, avec intérêt au TIOL, plus 2,5 pour 100.

[8]                              Ce montage transactionnel a permis de neutraliser l’effet des fluctuations du taux de change, mais il n’a pu empêcher les conséquences fiscales. En 2010, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a procédé à une vérification de PJC Canada et a établi qu’elle devait la somme de 2,2 millions de dollars CAN au titre de l’impôt sur le revenu pour les années 2005, 2006 et 2007. L’ARC a conclu que, puisque PJC USA était une filiale de PJC Canada contrôlée à l’étranger, l’intérêt qu’elle a perçu au cours de ces années sur la somme de 70 millions de dollars US qu’elle avait prêtée à PJC Canada constituait du revenu étranger accumulé, tiré de biens (« RÉATB ») au sens du par. 95(1)  de la Loi de l’impôt sur le revenu ,   L.R.C. 1985, c. 1 (5 e  suppl .), imposable à titre de revenu de PJC Canada suivant le par. 91(1) de cette loi. Les conseillers de PJC Canada n’avaient ni prévu ni soulevé le problème de RÉATB.

II.           Historique judiciaire

A.           Cour supérieure du Québec (le juge Chabot), 2012 QCCS 6917

[9]                              Après la vérification de l’ARC, PJC Canada a déposé en Cour supérieure du Québec une requête en rectification des documents relatifs à l’entente et en jugement déclaratoire. Elle soutenait que les documents en cause ne reflétaient pas son intention que l’entente soit neutre sur le plan fiscal. Bien que le terme rectification puisse s’avérer une abréviation utile, la rectification est une réparation en equity dans le système de common law, et non une réparation en droit civil québécois. Les parties et les tribunaux d’instances inférieures ont effectivement employé ce terme pour désigner la correction d’une incompatibilité entre l’intention commune qu’avaient les parties contractantes à l’origine et l’expression de cette intention sous forme écrite ou verbale, par une interprétation du contrat selon l’art. 1425 C.c.Q. S’appuyant sur cette disposition, PJC Canada a demandé que les documents constatant et exécutant le montage transactionnel décrit précédemment soient corrigés par l’ajout des nouvelles transactions (iii) et (iv) figurant ci-après, de sorte que l’intérêt payable par PJC Canada à PJC USA soit compensé par l’intérêt payable par PJC USA à PJC Canada, et que le RÉATB soit réduit à néant :

(i)         7 févr. 2005 : PJC Canada prête 120 millions de dollars US à PJC USA, avec intérêt au TIOL, plus 2,5 pour 100. (inchangé)

(ii)        25 févr. 2005 : PJC Canada achète 10 actions ordinaires additionnelles de PJC USA pour la somme de 70 millions de dollars US. (inchangé)

(iii)       25 févr. 2005 : PJC USA rembourse 70 millions de dollars US sur le prêt de 120 millions de dollars US susmentionné.  (nouveau)

(iv)       25 févr. 2005 : PJC Canada prête 70 millions de dollars US à PJC USA. (nouveau)

(v)        25 févr. 2005 : PJC USA prête 70 millions de dollars US à PJC Canada, avec intérêt au TIOL, plus 2,5 pour 100. (inchangé)

[10]                          Le juge saisi de la demande a accueilli la requête de PJC Canada. Selon lui, la preuve démontre que les parties avaient l’intention claire de régler le problème de fluctuation du taux de change sans conséquences fiscales défavorables. Comme de telles conséquences s’étaient produites sous la forme de RÉATB, il a conclu à une divergence entre l’intention commune des parties (negotium) et les documents juridiques rédigés en vue de donner effet à cette intention (instrumentum). Il a donc estimé pouvoir corriger la série de documents de manière à refléter l’intention commune initiale des parties, même si ces dernières n’avaient jamais envisagé les corrections demandées. Il a aussi noté que PJC Canada n’avait pas fait preuve de négligence ni manqué de diligence en n’envisageant pas la possibilité d’un RÉATB. De plus, il a conclu que PJC Canada ne tentait pas par sa demande de réécrire l’histoire fiscale de l’entente, mais souhaitait plutôt en corriger les conséquences fiscales imprévues et indésirables. À son avis, faire droit à la requête ne touchait aucunement les droits de l’ARC.

[11]                          Pour tirer les conclusions mentionnées précédemment, le juge saisi de la demande n’avait pas pu prendre connaissance des motifs de la Cour dans les affaires connexes AES et Riopel, qui ont été instruites ensemble et ont fait l’objet d’une seule décision : Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65, [2013] 3 R.C.S. 838. En conséquence, il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers les conclusions de ce juge.

B.            Cour d’appel du Québec (les juges Chamberland, Giroux et Schrager), 2015 QCCA 838, [2015] 4 C.T.C. 82

[12]                          La Cour d’appel a accueilli l’appel. Pour elle, le juge saisi de la demande avait commis une erreur manifeste et dominante en concluant que les parties ne tentaient pas de réécrire l’histoire fiscale de l’entente.

[13]                          Contrairement au juge saisi de la demande, la Cour d’appel a pu prendre connaissance des motifs de la Cour dans l’arrêt AES. À son avis, cette décision n’a pas infirmé l’ensemble de la jurisprudence antérieure en matière fiscale, selon laquelle les parties ne peuvent réécrire l’histoire de leur entente et modifier le montage de leurs transactions à cause de conséquences fiscales indésirables. La Cour d’appel a plutôt jugé que l’arrêt AES étayait la proposition selon laquelle les parties qui choisissent d’effectuer une transaction commerciale légitime afin d’éviter, de reporter ou de réduire l’impôt qu’elles devront payer et qui commettent une erreur au moment d’y donner effet peuvent corriger cette erreur afin de produire la conséquence fiscale dont elles avaient initialement et expressément convenu. Cela dit, selon la Cour d’appel, les parties peuvent certes rétablir l’entente qui aurait dû être conclue, n’eût été l’erreur commise dans l’expression écrite de la transaction, mais pas l’erreur commise dans la transaction elle-même. La Cour d’appel a donc conclu que l’intention générale de PJC Canada que le montage transactionnel dont elle avait convenu devait être neutre sur le plan fiscal n’était pas suffisamment déterminée pour justifier la modification d’une entente qu’un tribunal devrait reconnaître avec effet rétroactif pour annuler ses conséquences fiscales indésirables.

III.        Question en litige et thèse des parties

[14]                          Le pourvoi soulève la question clé suivante : lorsque des parties conviennent de réaliser une ou plusieurs transactions avec l’intention générale que les conséquences fiscales de ces dernières soient neutres, mais que la transaction ou la série de transactions produit des conséquences fiscales indésirables et imprévues, l’art. 1425 C.c.Q. permet‑il de modifier avec effet rétroactif les documents écrits constatant et exécutant leur entente de façon à ce qu’ils soient conformes à leur intention de neutralité fiscale?

[15]                          PJC Canada affirme que la question appelle une réponse affirmative. Elle avance trois principaux arguments à l’appui de sa position selon laquelle la décision de première instance d’accueillir sa requête doit être rétablie. Premièrement, elle soutient que, conformément aux principes du droit des contrats qui sont expliqués dans l’arrêt AES, la rectification des documents était justifiée. Elle prétend que l’intention qu’elle et PJC USA avaient était précise et non équivoque, comme l’a reconnu le juge saisi de la demande : il s’agissait de neutraliser l’effet des fluctuations du taux de change sans produire de conséquences fiscales défavorables. PJC Canada affirme en outre que les documents constatant les transactions conclues en 2005 représentaient une expression erronée de cette intention, et qu’ils devraient donc être corrigés, avec effet rétroactif, par l’ajout des deux transactions proposées. Selon PJC Canada, le fait qu’elle n’avait pas envisagé ces transactions au moment de la formation du contrat ne fait pas obstacle à la rectification. Deuxièmement, PJC Canada plaide que la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle la requête en rectification constituait une tentative de réécrire l’histoire fiscale de l’entente est entachée d’un vice fatal parce qu’elle est fondée sur une erreur factuelle. Enfin, PJC Canada demande à la Cour d’adopter certains principes directeurs qui, selon elle, devraient régir les demandes en rectification fondées sur l’art. 1425 C.c.Q., ajoutant que sa propre demande respecte ces principes.

[16]                          L’intimé, le procureur général du Canada, réplique qu’il est impossible de procéder par voie de rectification dans le présent pourvoi, et ce, pour deux raisons fondées sur la preuve. Premièrement, selon lui, aucun élément de preuve n’établit que PJC Canada et PJC USA ont conclu une entente verbale avant d’accepter les documents écrits afférents aux transactions, de sorte que ces documents écrits représentent la manifestation de l’échange de consentement intervenu entre elles et reflètent donc exactement l’opération juridique envisagée et conclue par elles. Deuxièmement, et subsidiairement, pour l’intimé, même s’il y avait eu entente verbale, les documents écrits la constatant ne contiennent aucune erreur qui justifierait une rectification, parce qu’ils constatent précisément ce dont les parties avaient convenu. L’intimé précise que la rectification ne permet pas aux parties d’ajouter des transactions qu’elles n’avaient jamais envisagées au départ, et que PJC Canada confond l’objectif des parties en concluant le contrat — neutraliser le problème de taux de change sans produire de conséquences fiscales défavorables — avec leur intention commune, qui touche aux transactions dont elles ont convenu. L’intimé reconnaît toutefois que la Cour d’appel a commis l’erreur factuelle relevée par PJC Canada, mais il plaide qu’elle est sans importance. Enfin, l’intimé soutient qu’il n’est pas nécessaire que la Cour adopte les principes directeurs proposés par PJC Canada parce que la jurisprudence actuelle a établi des paramètres d’analyse suffisants.

IV.        Analyse

A.           Une intention générale de neutralité fiscale relative à des obligations aux objets non déterminés ou déterminables ne permet pas de modifier des documents écrits en application de l’art. 1425 C.c.Q.

(1)           Contrats en droit civil québécois

[17]                          Dans le récent arrêt AES de la Cour, le juge LeBel a examiné en profondeur les principes de la formation des contrats en droit civil québécois, et ce, dans un contexte semblable à celui de l’espèce, où des contribuables demandaient aux tribunaux d’autoriser et de reconnaître, en application de l’art. 1425 C.c.Q., les modifications apportées à des documents écrits après que les transactions constatées par ces documents eurent produit des conséquences fiscales indésirables. Les motifs du juge LeBel sont donc très utiles pour juger du présent pourvoi. L’article 1425 C.c.Q. prévoit que « [d]ans l’interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés. »

[18]                          En droit civil québécois, un contrat est un accord de volonté qui se réalise par l’échange des consentements. L’accord ou le contrat se trouve dans la volonté commune des parties, non pas dans la déclaration, orale ou écrite, de cette volonté, qui est leur volonté déclarée. Voir AES, par. 32 et 48; J. Pineau, D. Burman et S. Gaudet, Théorie des obligations (4e éd. 2001), par J. Pineau et S. Gaudet, p. 400; J.‑L. Baudouin et P.‑G. Jobin, Les obligations (7e éd. 2013), par P.‑G. Jobin et N. Vézina, p. 82; D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (2e éd. 2012), par. 173. Les documents écrits peuvent donc être modifiés avec effet rétroactif de façon à les rendre compatibles avec le contrat ou l’entente véritable qui est intervenue entre les parties (AES; Lluelles et Moore, par. 1574) comme c’était le cas dans l’affaire AES. Il convient, cependant, de garder à l’esprit certains principes relatifs aux obligations et à la formation des contrats lorsque des parties s’appuient sur l’art. 1425 C.c.Q. et s’adressent aux tribunaux en vue de modifier les documents exprimant leur intention commune. Je les examinerai ci-après.

[19]                          Aux termes de l’art. 1371 C.c.Q., « [i]l est de l’essence de l’obligation qu’il y ait des personnes entre qui elle existe, une prestation qui en soit l’objet et, s’agissant d’une obligation découlant d’un acte juridique, une cause qui en justifie l’existence. » L’objet de l’obligation contractuelle est la prestation à laquelle le débiteur est tenu envers le créancier et qui consiste à faire ou à ne pas faire quelque chose comme le prévoit l’art. 1373 C.c.Q. L’objet de la prestation est la chose sur laquelle porte la prestation. Voir Lluelles et Moore, par. 1049. De plus, l’art. 1373 prévoit que la prestation doit être « possible et déterminée ou déterminable » en plus de n’« être ni prohibée par la loi ni contraire à l’ordre public »; l’art. 1374 C.c.Q. pour sa part prévoit que « [l]a prestation peut porter sur tout bien, même à venir, pourvu que le bien soit déterminé quant à son espèce et déterminable quant à sa quotité. » Voir Baudouin et Jobin, p. 34-35; Lluelles et Moore, par. 1049.3. Cette condition sur la nature de la prestation, qu’elle porte sur un bien ou non, est nécessaire, puisque les parties doivent connaître l’étendue des droits et des obligations que leur confère ou impose le contrat.

[20]                          Le premier alinéa de l’art. 1378 C.c.Q. définit le contrat comme « un accord de volonté, par lequel une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres à exécuter une prestation ». Un contrat a une cause, que l’art. 1410 C.c.Q. définit comme « la raison qui détermine chacune des parties à le conclure ». Il a également un objet dont les parties doivent convenir, et que l’art. 1412 C.c.Q. définit comme « l’opération juridique envisagée par les parties au moment de sa conclusion, telle qu’elle ressort de l’ensemble des droits et obligations que le contrat fait naître ». Voir aussi AES, par. 30; Pineau, Burman et Gaudet, p. 272; Lluelles et Moore, par. 1049 et 1051. Autrement dit, la raison qui a incité les parties à conclure le contrat est la cause du contrat, qu’il ne faut pas confondre avec son objet, qui est l’opération juridique sur laquelle elles s’entendent : Pineau, Burman et Gaudet, p. 285-290; Lluelles et Moore, par. 1061 et 1061.2.

[21]                          Comme le montre l’analyse qui précède, « l’existence d’un contrat et son émergence à la vie juridique présupposent que les engagements des parties sont suffisamment précis pour établir les paramètres de l’opération envisagée » : AES, par. 31. Fait important, le juge LeBel a expliqué que l’intention de réduire l’impôt à payer ne peut faire l’objet d’un contrat ou d’une obligation contractuelle, de sorte qu’elle ne saurait justifier la modification des documents écrits constatant le contrat :

                    En effet, les contribuables ne devraient pas interpréter cette reconnaissance de la primauté de la volonté interne — ou intention commune — des parties comme une invitation à se lancer dans des planifications fiscales audacieuses, en se disant qu’il leur sera toujours possible de refaire leurs contrats rétroactivement en cas d’échec de ces planifications. L’intention d’un contribuable de réduire ses obligations fiscales ne saurait à elle seule constituer l’objet de l’obligation au sens de l’art. 1373 C.c.Q., compte tenu de son caractère insuffisamment déterminé ou déterminable, ni même l’objet du contrat au sens de l’art. 1412 C.c.Q. En l’absence d’un objet plus précis et mieux défini, aucun contrat ne serait formé. L’article 1425 ne pourrait dans un tel cas être invoqué pour justifier la recherche de l’intention commune des parties afin de lui donner effet, malgré les termes des écrits préparés pour la constater. Comme je l’ai souligné plus haut, dans les deux appels, les ententes entre les parties s’étaient valablement formées, puisqu’elles prévoyaient des obligations aux objets suffisamment déterminables, selon une preuve que l’[Agence du revenu du Québec] n’a jamais contredite. Ces ententes prévoyaient, pour les sociétés concernées, la mise en place de structures déterminées qui, si elles avaient été élaborées correctement, auraient permis de réaliser les objectifs des parties impliquées. Les modifications apportées par la suite ne changeaient pas la nature de la structure envisagée au départ. Elles se bornaient à modifier les écrits qui étaient censés donner effet à l’intention commune — intention clairement établie et portant sur des obligations aux objets déterminés ou déterminables. [Je souligne; par. 54.]

[22]                          Le juge LeBel parlait de la réduction des obligations fiscales, mais j’estime que ses commentaires peuvent tout autant s’appliquer à l’intention générale des parties contractantes d’assurer la neutralité fiscale d’une opération. Ce que j’entends par intention générale, c’est que les parties contractantes n’ont aucune conséquence fiscale précise en tête (sinon l’intention générale que l’opération ne produise aucune conséquence fiscale défavorable), et qu’elles n’ont convenu d’aucune prestation particulière, ou série de prestations, qui, correctement exprimée, produit la conséquence voulue.

[23]                          L’intention générale de neutralité fiscale d’un contribuable ne saurait constituer l’objet d’un contrat au sens de l’art. 1412 C.c.Q., parce qu’elle n’est pas suffisamment précise. Elle ne suppose aucune opération juridique suffisamment précise sur laquelle les parties se seraient entendues. Une telle intention générale ne peut pas non plus en elle-même avoir trait à des prestations déterminées ou déterminables comme l’exige l’art. 1373 C.c.Q. Elle ne dit rien de ce qu’une partie s’est engagée envers l’autre à faire ou à ne pas faire. En conséquence, une intention générale de neutralité fiscale ne peut, en l’absence d’une opération juridique précise et d’une prestation, ou de prestations, déterminée ou déterminable, donner lieu à une intention commune emportant formation de l’entente originale (negotium) et justifier la modification des documents écrits constatant cette entente (instrumentum). C’est pourquoi on ne saurait s’appuyer sur l’art. 1425 C.c.Q. pour donner effet à une intention générale de neutralité fiscale lorsque les écrits constatant l’intention commune des parties contractantes produisent des conséquences fiscales imprévues et indésirables.

[24]                          À mon avis, lorsqu’un contrat, dont l’effet voulu est, en tout ou en partie, d’éviter, de reporter ou de minimiser l’impôt payable, produit des conséquences fiscales indésirables, l’expression de l’entente ne pourra être modifiée sur le fondement de l’art. 1425 C.c.Q. qu’à deux conditions. Premièrement, si les parties à l’entente cherchaient expressément au départ à éviter ces conséquences fiscales au moyen d’obligations suffisamment précises dont les objets, soit les prestations à exécuter, sont déterminés ou déterminables; et, deuxièmement, si les obligations, dans la mesure où elles avaient été correctement exprimées, et les prestations correspondantes, dans la mesure où elles avaient été correctement exécutées, avaient eu l’effet recherché. Il en est ainsi parce que l’interprétation des contrats est axée sur ce que les parties contractantes ont vraiment convenu de faire, et non sur les raisons qu’elles avaient de conclure le contrat ou sur les conséquences qu’elles voulaient que ce contrat produise.

[25]                          Une telle interprétation des art. 1412 et 1373 C.c.Q. ne signifie pas que l’expression d’une entente ne pourra être modifiée sur le fondement de l’art. 1425 C.c.Q. que pour corriger les erreurs d’écriture. Elle consacre, cependant, les exigences du C.c.Q. suivant lesquelles l’objet d’un contrat doit être précis et celui d’une obligation doit être suffisamment déterminé ou déterminable pour qu’on y retrouve l’intention commune des parties recherchée au moment de l’interprétation d’un contrat.

(2)           Application au présent pourvoi des principes énoncés précédemment

a)              La requête de l’appelante n’aurait pas dû être accueillie

[26]                          À mon avis, la Cour d’appel a eu raison d’accueillir l’appel. L’article 1425 C.c.Q. ne permet pas à PJC Canada et à PJC USA de modifier avec effet rétroactif les documents constatant et exécutant leur entente dans les circonstances de l’espèce. L’expression de cette entente ne comportait aucune erreur. Qui plus est, les parties contractantes n’avaient pas songé à la question du RÉATB ou à un moyen particulier pour l’éviter; ils n’avaient que l’intention générale que l’entente soit neutre sur le plan fiscal.

[27]                          PJC Canada insiste sur le fait que, pour le juge saisi de la demande, leur intention commune à elle et à PJC USA était de neutraliser l’effet des fluctuations du taux de change et de ne produire aucune conséquence fiscale. Elle affirme donc qu’elle n’avait pas à songer à la série de prestations ou transactions nécessaires pour donner effet à son intention de neutralité fiscale. Je ne suis pas d’accord.

[28]                          Comme je l’ai mentionné, une intention générale de neutralité fiscale qui n’est pas liée à des obligations aux objets déterminés ou déterminables ne peut, en elle-même, donner lieu à une intention commune emportant formation du contrat original et permettre les modifications demandées. Il ne faut pas confondre le contrat, qui est un accord de volonté sur la réalisation d’une opération juridique, avec ses conséquences : AES, par. 28; Pineau, Burman et Gaudet, p. 271-272. Comme l’indiquent les professeurs Lluelles et Moore :

                    L’objet du contrat ne doit pas davantage être confondu avec son effet. [. . .] Contrairement au Code antérieur — et à la plupart des autres législations civilistes —, le Code civil du Québec distingue nettement l’objet du contrat (art. 1412), de l’objet de l’obligation (art. 1373) et de l’effet du contrat (art. 1433). [par. 1050]

Ainsi, il serait plus exact de dire que l’intention selon laquelle aucune conséquence fiscale défavorable ne doit découler du contrat est la conséquence recherchée par les parties au contrat, et que l’intention de neutraliser l’effet des fluctuations du taux de change est la cause du contrat : art. 1410 C.c.Q. Ni l’une ni l’autre ne constitue un contrat, l’objet d’un contrat ou l’objet d’une obligation, et ni l’une ni l’autre ne peut justifier que l’on modifie avec effet rétroactif des documents qui constatent et exécutent avec exactitude ce que les deux parties avaient vraiment convenu de faire.

[29]                          Des documents écrits peuvent être modifiés en application de l’art. 1425 C.c.Q. pour qu’ils reflètent avec exactitude l’entente véritable intervenue entre les parties. Par contre, l’entente comme telle ne peut être modifiée pour atteindre les résultats, quels qu’ils soient, que les parties peuvent avoir voulus ou escomptés en la concluant. PJC Canada et PJC USA se sont entendues sur la série de prestations précises qu’elles voulaient exécuter, et il n’y a eu aucune erreur dans la façon d’exprimer ou d’exécuter cette entente. Cette dernière a simplement eu pour PJC Canada des effets imprévus et indésirables sur le plan fiscal. Comme le dit l’intimé, l’erreur réside dans les transactions dont les parties ont convenu, non dans la façon dont elles ont été exprimées.

[30]                          Les affaires AES et Riopel offrent un contraste utile et montrent l’importance de l’entente sur le montage transactionnel précis qui permettra d’obtenir un certain résultat sur le plan fiscal. Dans ces affaires, les parties contractantes s’étaient entendues sur une série de prestations visant à reporter l’impôt payable. Les « ententes prévoyaient [. . .] la mise en place de structures déterminées qui, si elles avaient été élaborées correctement, auraient permis de réaliser les objectifs visés par les parties impliquées », soit un report de l’impôt découlant d’un transfert d’actions faisant appel aux dispositions de roulement des lois fiscales (AES), et un report de l’impôt consécutif à une planification fiscale détaillée comportant une fusion de sociétés commerciales, fondée encore là sur certaines dispositions fiscales (Riopel) : AES, par. 54 (je souligne). À cause d’erreurs dans les documents constatant et exécutant les accords conclus entre les parties contractantes, l’impôt n’a pas été reporté. Dans l’affaire AES, l’erreur résidait dans le calcul du prix de base rajusté (« PBR ») des actions transférées — la procédure acceptée par les parties prévoyait l’émission et la remise d’un billet égal au montant exact du PRB. Dans l’affaire Riopel, l’erreur tenait au fait que les conseillers fiscaux des parties avaient inversé l’ordre de certaines transactions, contrairement à la planification fiscale détaillée sur laquelle les parties s’étaient entendues verbalement.

[31]                          Par contre, dans le présent pourvoi, les parties au contrat n’avaient pas convenu spécifiquement à l’origine d’une série d’obligations et de prestations précises qui constitueraient l’opération juridique en vue de mettre en œuvre leur intention générale de neutraliser les conséquences fiscales. Cette intention générale des parties n’était pas suffisamment précise pour établir les paramètres de l’opération envisagée : AES, par. 31. Les parties ne se sont pas entendues pour réaliser, à titre d’exemple, une planification fiscale détaillée : AES, par. 36. Il n’y a pas d’acte erroné exprimant incorrectement ce sur quoi elles se seraient précisément entendues : AES, par. 38. Il n’y a pas de vide à combler dans le texte afin de donner effet à l’intention commune des parties, car cette intention n’a jamais été clairement établie et liée à des obligations dont les objets, les prestations, étaient déterminés ou déterminables : AES, par. 48, 52 et 54. Aucun accord de volonté n’a été exécuté erronément : AES, par. 37. Le scénario déterminé dont avaient convenu PJC Canada et PJC USA a été élaboré correctement, mais parce qu’il a été élaboré correctement, il a produit des conséquences fiscales indésirables et imprévues.

[32]                          En conséquence, si PJC Canada et PJC USA s’étaient arrêtées à la question du RÉATB et avaient convenu d’un montage transactionnel qui, s’il avait été constaté et exécuté correctement, aurait permis de réaliser l’objectif de neutraliser l’effet des fluctuations monétaires tout en évitant de produire du RÉATB, il serait approprié d’autoriser la modification des documents écrits afférents à ces transactions s’ils présentaient une transcription erronée de cette volonté commune. Ce n’est toutefois pas ce qui s’est passé.

[33]                          PJC Canada soutient qu’il suffit que le RÉATB ait été déterminable au moment de la formation du contrat, comme l’était le PBR des actions dans l’affaire AES. Il est vrai qu’il n’est pas nécessaire que la prestation soit déterminée au moment de la formation du contrat, pourvu qu’elle soit déterminable, c’est-à-dire que les parties conviennent de critères de détermination de la prestation qui soient prédéterminés et objectifs. Voir Pineau, Burman et Gaudet, p. 274; Lluelles et Moore, par. 1049.8 à 1049.13. Il existe pourtant une différence fondamentale entre un contrat selon lequel une des prestations à laquelle une partie est tenue — pour obtenir le résultat fiscal voulu — consiste en l’émission et la remise d’un billet égal au montant objectivement calculable du PBR des actions transférées, et un contrat en vertu duquel il n’existe ni obligation concernant un RÉATB, ni prestations dont les parties auraient convenu pour empêcher que ne surviennent les conséquences fiscales. Les parties à un contrat doivent connaître les droits que ce contrat leur confère et les obligations qu’il leur impose.

[34]                          Bien que je convienne avec PJC Canada que l’on peut modifier des documents écrits constatant l’entente entre les parties en y ajoutant des transactions, cela n’est possible que si, ce faisant, on comble l’écart entre l’intention commune des parties contractantes et son expression écrite. Ce serait le cas si, par exemple, PJC Canada et PJC USA avaient convenu d’un montage transactionnel qui aurait permis d’éviter la production de RÉATB mais que, pour une raison quelconque, on avait par erreur omis de consigner une ou plusieurs de ces transactions dans le contrat. Un tel écart n’existe pas en l’espèce.

[35]                          Cela étant dit, la comparaison entre ce qu’il fallait faire dans AES pour corriger l’entente et ce qu’il faudrait faire en l’espèce si la requête des parties était accueillie n’est pas pertinente. Ce n’est pas la nature des modifications qu’envisagent les parties en l’espèce qui fait échec à leur demande, mais le fait que leur intention n’était pas suffisamment précise à l’origine et qu’elle n’avait pas trait à des obligations aux objets déterminés ou déterminables, ce qu’il aurait fallu pour que ces modifications soient possibles en application de l’art. 1425 C.c.Q.

b)             L’erreur factuelle de la Cour d’appel est sans conséquence

[36]                          La Cour d’appel a déclaré que la rectification recherchée par PJC Canada consistait en la mise en œuvre du deuxième scénario proposé par ses conseillers professionnels qu’elle avait rejeté au départ : par. 37. Les deux parties conviennent que cette déclaration est erronée. Les transactions que PJC Canada cherche maintenant à introduire avec effet rétroactif ne faisaient pas partie des scénarios présentés par ses conseillers.

[37]                          À mon avis, cette conclusion factuelle erronée est sans conséquence. Selon la lecture que je fais de ses motifs, la Cour d’appel n’a pas fondé sa décision sur cette erreur factuelle. Il ressort plutôt de ses motifs que, pour elle, PJC Canada et PJC USA entendaient réaliser l’entente qui a en fait été réalisée. Elle a eu raison de conclure que les deux parties ne pouvaient tenter de réécrire l’histoire fiscale de leur entente parce que l’intention générale de réduire leurs obligations fiscales n’est pas une intention suffisamment déterminée pour justifier une rectification fondée sur l’art. 1425 C.c.Q. Quoi qu’il en soit, le fait que PJC Canada admette qu’elle n’a jamais envisagé à l’origine les nouvelles transactions qu’elle cherche maintenant à réaliser ne lui est d’aucun secours, comme le montre l’analyse qui précède.

c)              Autres arguments

[38]                          Vu ma conclusion selon laquelle l’intention de PJC Canada et de PJC USA, soit que l’entente devait être neutre sur le plan fiscal, ne permet pas de modifier les documents au soutien du montage transactionnel, il est inutile de répondre au premier argument de l’intimé fondé sur la preuve.

[39]                          Il n’est pas non plus nécessaire que la Cour examine ou adopte les lignes directrices proposées par l’appelante. J’estime, en effet, que les principes de droit civil québécois en matière de contrat combinés aux motifs de la Cour dans le présent pourvoi et dans l’arrêt AES, donnent aux contribuables et aux tribunaux d’instances inférieures des indications suffisantes sur la modification des contrats, des documents ou des instruments écrits permise par l’art. 1425 C.c.Q.

B.            Des considérations d’ordre fiscal renforcent l’issue du présent pourvoi

[40]                          Ma conclusion dans le présent pourvoi trouve en outre appui dans deux importantes considérations de principe et d’ordre fiscal. 

[41]                          Premièrement, en retenant la thèse de PJC Canada, la Cour se trouverait à ignorer le rapport juridique que cette dernière et PJC USA ont initialement convenu d’établir, et ont de fait établi, au profit des conséquences fiscales qu’elles cherchaient à produire. Or, cela aurait pour effet de compromettre l’un des principes fondamentaux de notre régime fiscal : soit que les conséquences fiscales découlent des rapports juridiques établis par les contribuables ou des transactions juridiques dont ils ont convenu. Voir P. W. Hogg, J. E. Magee et J. Li, Principles of Canadian Income Tax Law (7e éd. 2010), p. 578; et V. Krishna, Income Tax Law (2e éd. 2012), p. 473 et 475. Ce précepte est étroitement lié au principe tiré de l’arrêt Duke of Westminster, à savoir que les contribuables ont le droit d’organiser leurs affaires de manière à réduire le plus possible l’impôt qu’ils ont à payer : Commissioners of Inland Revenue c. Duke of Westminster, [1936] A.C. 1 (H.L.), p. 19, le lord Tomlin. Ces deux principes ont été confirmés à maintes reprises par la Cour. Voir p. ex. Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, par. 45-46; Stubart Investments Ltée c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, p. 540, la juge Wilson, et p. 557, le juge Estey; Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795, par. 88. À titre d’exemple, au par. 45 de l’arrêt Shell Canada, la Cour à l’unanimité a affirmé ce qui suit :

                    Sauf disposition contraire de la Loi, le contribuable a le droit d’être imposé en fonction de ce qu’il a fait, et non de ce qu’il aurait pu faire et encore moins de ce qu’un contribuable moins habile aurait fait. [Je souligne.]

De même, si les contribuables concluent et exécutent une entente qui entraîne des conséquences fiscales non souhaitées, ils doivent néanmoins être imposés en fonction de cette entente et non en fonction de ce qu’ils « auraient pu faire » pour produire les conséquences voulues s’ils avaient été mieux informés. Les conséquences fiscales ne découlent pas des motivations ou des objectifs fiscaux des parties contractantes.

[42]                          Deuxièmement, j’estime que permettre la modification des documents écrits dans le présent pourvoi reviendrait à consacrer une planification fiscale rétroactive. La Cour créerait ainsi un précédent non souhaitable, soit que les contribuables puissent invoquer une intention commune que leurs transactions soient fiscalement neutres pour se protéger des conséquences fiscales imprévues. Cette intention pourrait être invoquée par de nombreux contribuables et à l’égard de nombreuses transactions, notamment lorsque les parties ont un lien de dépendance. Reconnaître qu’une intention générale de neutralité fiscale peut justifier la modification avec effet rétroactif d’un contrat permettrait effectivement à de nombreux contribuables de considérer l’art. 1425 C.c.Q. comme une assurance générale les protégeant, eux et leurs conseillers fiscaux, des inattentions ou erreurs qu’ils pourraient commettre dans la planification des transactions.

[43]                          Je reconnais que le « droit de l’impôt sur le revenu est d’une complexité notoire, et [que] de nombreux contribuables recourent aux services de conseillers fiscaux pour en observer les règles » : Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3, par. 1. Cependant, lorsque des contribuables conviennent de certaines transactions et prétendent ensuite que leurs conseillers ont commis l’erreur de ne pas les avoir prévenus que les transactions en cause produiraient des conséquences fiscales indésirables, ce n’est pas en modifiant leur entente avec effet rétroactif qu’ils pourront recouvrer leurs pertes. En effet, si l’erreur commise est de nature à le justifier, les contribuables pourront plutôt poursuivre leurs conseillers — qui possèdent habituellement une assurance responsabilité professionnelle — et tenter de prouver le bien-fondé de leurs allégations devant les tribunaux.

C.            La cohérence naturelle entre les décisions issues du recours en rectification du droit civil québécois et celles issues du recours en rectification de l’equity est souhaitable

[44]                          Comme le révèlent les présents motifs et ceux de mon collègue le juge Brown dans l’arrêt Fairmont, le recours en rectification du droit civil québécois — comme l’ont désigné les parties et les juridictions d’instances inférieures — et le recours en rectification qui relève de l’equity découlent de sources juridiques différentes, mais aboutissent à des résultats semblables. Ils ont tous les deux en définitive le même objectif : vérifier si l’entente véritable intervenue entre les parties contractantes est exprimée avec justesse dans les instruments écrits qui, soit reflètent les conditions de l’entente, soit constituent l’exécution des obligations elles-mêmes. Le droit civil atteint cet objectif par l’interprétation du contrat et la modification avec effet rétroactif des documents, tandis que l’equity l’accomplit par la correction des documents écrits afin que ces derniers reflètent l’entente véritable intervenue entre les parties.

[45]                          En droit civil québécois, la rectification découle des principes relatifs à la formation et à l’interprétation des contrats codifiés dans le C.c.Q., plus particulièrement à l’art. 1425. Une disposition semblable figurait dans le Code civil du Bas Canada (art. 1013) qui l’a précédé, et dans le Code Napoléon (art. 1156) sur lequel ce dernier était en partie fondé.

[46]                          En common law, la rectification n’est pas fondée sur l’exercice du pouvoir législatif, mais sur la compétence dont jouissent les juges en equity. Cette dernière, qui s’attache à l’équité et à la justice, offre des réparations dans des cas particuliers où la rigidité de la common law mènerait à des résultats inadmissibles. Le cas où un document écrit constatant une entente intervenue entre les parties contractantes ne reflète pas avec exactitude cette entente en est un exemple. En common law, les modalités de l’entente seraient établies uniquement par une interprétation du libellé de l’instrument écrit. Les juges peuvent toutefois exercer le pouvoir que leur confère l’equity de remédier à ce manque de souplesse, en corrigeant le document écrit de sorte qu’il soit conforme à l’entente véritable intervenue entre les parties. La rectification est donc une exception à la règle d’exclusion de la preuve extrinsèque, selon laquelle la preuve testimoniale n’est pas admissible pour modifier un document écrit. Voir Snell’s Equity (31e éd. 2005), par J. McGhee, éd., p. 3-5 et 331-332; I. C. F. Spry, The Principles of Equitable Remedies (9e éd. 2014), p. 630-631; Hanbury et Martin Modern Equity (20e éd. 2015), par J. Glister et J. Lee, p. 3-4 et 846-847.

[47]                          Malgré leur origine différente, la rectification relevant du droit civil québécois et celle relevant de l’equity sont d’application stricte, en ce sens que la modification ne peut porter que sur l’expression ou la transcription du contrat; le contrat lui-même ne peut être reformulé. Voir AES; Spry, p. 630-632; Snell’s Equity (33e éd. 2015), par J. McGhee, p. 417-418; Mackenzie c. Coulson (1869), L.R. 8 Eq. 368, p. 375. En outre, dans les deux cas, c’est la véritable entente qui prime, et non pas ses conséquences ou ses effets voulus. Compte tenu de ces points communs, il n’est pas surprenant que, saisis des mêmes faits, les tribunaux qui œuvrent dans les deux systèmes juridiques parviennent généralement à un résultat semblable lorsqu’on leur demande d’autoriser la modification de l’expression de l’intention commune des parties en application de l’art. 1425 C.c.Q. ou de rectifier des instruments écrits sur le fondement des règles d’equity. J’examinerai brièvement la présente cause et l’affaire Fairmont pour illustrer cette cohérence dans les résultats.

[48]                          Dans l’affaire qui nous occupe, les parties contractantes ont consenti à trois transactions initiales qui ont été exprimées avec exactitude dans les documents écrits y afférents. Les modifications demandées par l’appelante — soit l’ajout de deux transactions que les parties contractantes n’avaient pas envisagées auparavant, de façon à réaliser leur intention générale de neutralité fiscale — ne sont pas permises par l’art. 1425 C.c.Q., et ne le seraient pas non plus en equity. Les parties contractantes n’ont conclu aucune entente préalable dont les conditions étaient déterminées et déterminables et qui incluait ces deux transactions. C’est pourquoi les tribunaux des provinces de common law considéreraient la requête des parties comme une tentative de reformuler l’entente qu’elles avaient conclue à l’origine, ce que la rectification ne fait pas.

[49]                          Dans Fairmont, l’intimée, Hôtels Fairmont Inc. (« Fairmont »), et deux filiales ont convenu d’un montage financier complexe avec une fiducie canadienne d’investissement immobilier. Comme le financement était conclu en dollars américains, en y participant, Fairmont et ses filiales s’exposaient à de possibles obligations fiscales découlant de la conversion monétaire. Le montage original protégeait entièrement Fairmont et ses filiales d’une telle éventualité. Cependant, quelques années plus tard, Fairmont a été acquise par deux autres sociétés, ce qui est venu contrecarrer l’objectif de neutralité fiscale de la conversion monétaire. Fairmont et les sociétés acquéreuses ont donc convenu d’un plan modifié par lequel Fairmont, mais non ses filiales, était de nouveau totalement protégée contre les obligations fiscales découlant de la conversion monétaire. Le plan modifié n’offrait pas la même protection aux deux filiales de Fairmont. Cette dernière avait l’intention de régler le problème ultérieurement, mais ne savait pas exactement comment elle s’y prendrait. Un an après l’acquisition et la mise en œuvre du plan modifié, l’arrangement financier conclu avec la fiducie a dû être résilié en toute hâte. À cette fin, Fairmont a racheté les actions qu’elle détenait dans ses filiales, présumant à tort que celles‑ci bénéficiaient de la neutralité fiscale de la conversion monétaire. Ce rachat a engendré des gains sur change imposables, qui ont été découverts à la suite d’une vérification effectuée par l’ARC. Afin d’échapper à cet impôt indésirable, Fairmont a demandé la rectification des résolutions autorisant le rachat des actions, s’adressant aux tribunaux pour qu’ils transforment en prêt le rachat des actions.

[50]                          Comme mon collègue le juge Brown l’explique dans ses motifs, Fairmont ne pouvait se prévaloir de la réparation en equity que constitue la rectification parce qu’elle n’était pas en mesure de démontrer qu’elle avait conclu une entente préalable, assortie de modalités déterminées et déterminables, afin que ses filiales bénéficient de la neutralité fiscale de la conversion monétaire après la mise en œuvre du plan modifié. Si la demande de Fairmont avait été présentée en application de l’art. 1425 C.c.Q., c.‑à‑d. selon le droit civil québécois, elle aurait également été rejetée. Bien que Fairmont eût à l’esprit une certaine conséquence fiscale (éviter les gains sur change imposables), elle n’a pas conclu l’entente qui aurait permis à ses filiales d’y échapper lors de la résiliation du montage financier. Une intention générale d’échapper à une certaine conséquence fiscale, tout comme une intention générale de neutralité fiscale, n’est pas suffisamment déterminée ou déterminable pour être l’objet d’une obligation ou d’un contrat en droit civil québécois. Les parties n’avaient convenu d’aucune série de transactions précises qui, si elles avaient été correctement exprimées, auraient empêché que les filiales de Fairmont n’aient à subir les conséquences fiscales indésirables de la résiliation du montage financier.

[51]                          Je reconnais que la rectification en droit civil québécois et celle en equity ne produiront toutefois pas toujours le même résultat. Cela tient au fait que les principes du droit des contrats propres à chacun des deux systèmes juridiques sont différents et que les faits sont uniques à chaque cas.

[52]                          La convergence naturelle des principes et des résultats que j’ai décrite précédemment est néanmoins généralement souhaitable, en particulier dans le contexte fiscal. Les contribuables du Québec et des provinces de common law sont assujettis au même régime fiscal fédéral. Ils devraient pouvoir parvenir à des résultats semblables lorsqu’ils demandent la modification de documents représentant l’expression de l’entente qu’elles ont conclue et produisant des conséquences fiscales indésirables. Tout comme la notion de bonne foi des régimes de droit civil et de common law en matière de contrats, il s’agit là d’un exemple de la convergence qui peut s’établir entre les deux systèmes juridiques, en dépit de leur origine et des principes différents qui les régissent.

V.           Dispositif

[53]                          Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi, avec dépens dans toutes les cours.

                    Version française des motifs des juges Abella et Côté rendus par

[54]                          La juge Côté (dissidente) — En l’espèce, nous sommes appelés à interpréter et à appliquer les lignes directrices régissant le recours en rectification en droit civil québécois établies par la Cour dans l’arrêt Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65, [2013] 3 R.C.S. 838 (« AES »). À mon avis, l’interprétation et l’application appropriées de ces lignes directrices, dans l’affaire qui nous occupe, confirment que la requête en rectification de l’appelante est à la fois légitime et nécessaire. Soit dit en tout respect, j’estime qu’il y a lieu d’adopter, en l’espèce, à l’égard de la rectification, l’approche libérale et généreuse appliquée par le juge LeBel dans AES et adoptée par la juge Abella dans Canada (Procureur général) c. Hôtels Fairmont Inc., 2016 CSC 56, [2016] 2 R.C.S. 720 (« Fairmont »). Écarter cette approche, comme les juges majoritaires le font dans ce cas‑ci et dans Fairmont, limite l’exercice par les contribuables d’un recours important dans les cas d’erreur de bonne foi commise par eux ou par leurs conseillers fiscaux. Une simple intention d’éviter l’imposition n’est jamais suffisante pour légitimer une demande en rectification fondée sur l’art. 1425 du Code civil du Québec (« Code » ou « C.c.Q. »). Cependant, cette importante restriction ne limite pas le recours à la rectification que permettent les faits de la présente affaire. Je serais donc d’avis d’accueillir le pourvoi.

I.              Contexte

[55]                          En 2004, Le Groupe Jean Coutu (PJC) inc. (« PJC Canada ») a acquis 1800 pharmacies situées aux États‑Unis au nom de sa filiale, Jean Coutu Group (PJC) USA inc. (« PJC USA »). La valeur de cet investissement, selon les états financiers de PJC Canada, variait en raison des fluctuations du taux de change. Ces variations devaient être inscrites aux états financiers de PJC Canada en tant que gains ou que pertes. Par exemple, en novembre 2004, PJC Canada a enregistré une perte de 20,1 millions de dollars à cause des fluctuations du taux de change. Bien que ces dernières n’aient eu aucune incidence fiscale, elles étaient perçues négativement par les investisseurs. PJC Canada a donc consulté ses vérificateurs en vue d’élaborer une solution comptable qui permettrait de neutraliser les effets négatifs des fluctuations du taux de change dans ses états financiers. Il a été clairement convenu entre les parties que cette solution devait en outre être neutre sur le plan fiscal, puisque les fluctuations du taux de change ne produisaient elles‑mêmes aucune conséquence fiscale immédiate. Pour s’assurer de cette neutralité fiscale, les parties ont pris soin de consulter des fiscalistes au sujet de l’entente financière envisagée. Les parties ne se sont pas limitées à simplement exprimer une intention que leur entente soit neutre sur le plan fiscal, elles ont choisi une structure transactionnelle en fonction des conseils qu’elles avaient reçus.

[56]                          En février 2005, suivant l’avis de leurs conseillers fiscaux, PJC Canada et PJC USA ont mis en œuvre les mesures suivantes prévues par la structure transactionnelle dont elles avaient convenu afin de neutraliser les effets des fluctuations du taux de change, et ce, sans conséquence fiscale :

(i)            le 7 février 2005 : PJC Canada prête 120 millions de dollars US à PJC USA, avec intérêt au taux interbancaire offert à Londres (« TIOL »), plus 2,5 pour 100; un prêt remboursable seulement advenant le consentement mutuel des deux parties;

(ii)           le 25 février 2005 : PJC Canada achète 10 actions ordinaires additionnelles de PJC USA pour la somme de 70 millions de dollars US;

(iii)          le 25 février 2005 : PJC USA prête 70 millions de dollars US à PJC Canada, avec intérêt au TIOL, plus 2,5 pour 100.

[57]                          En 2010, à l’issue d’une vérification visant PJC Canada pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a conclu que l’intérêt payé par PJC Canada à PJC USA sur le prêt de 70 millions de dollars US constituait du « revenu étranger accumulé, tiré de biens » (« RÉATB ») au sens du par. 95(1)  de la Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, c. 1 (5 e  suppl .) (« LIR  ») et était imposable à titre de revenu pour PJC Canada en application du par. 91(1) de cette loi. Il en a résulté un impôt additionnel de 2,2 millions de dollars.

[58]                          Le juge saisi de la demande a conclu que, bien que PJC Canada ait pris des mesures diligentes et raisonnables pour s’assurer que l’opération de février 2005 ne produirait aucune conséquence fiscale, les conseillers fiscaux n’avaient pas envisagé la question du RÉATB avant de donner leur avis aux parties sur la structure transactionnelle à adopter. Les parties avaient donc l’impression erronée que l’accord conclu était à tous égards neutre sur le plan fiscal. Seule la vérification effectuée par l’ARC en 2010 a révélé qu’il ne l’était pas.

[59]                          Ces conséquences fiscales imprévues ne correspondant pas à l’intention commune et continue des parties, PJC Canada a demandé une rectification de l’accord, soit l’ajout de deux étapes intermédiaires à la structure transactionnelle convenue entre elle et PJC USA :

(i)            le 7 février 2005 : PJC Canada prête 120 millions de dollars US à PJC USA, avec intérêt au TIOL, plus 2,5 pour 100;

(ii)           le 25 février 2005 : PJC Canada achète 10 actions ordinaires additionnelles de PJC USA pour la somme de 70 millions de dollars US;

(iii)          le 25 février 2005 : PJC USA rembourse à PJC Canada 70 millions de dollars US sur le prêt de 120 millions de dollars US;

(iv)          le 25 février 2005 : PJC Canada prête 70 millions de dollars US à PJC USA;

(v)           le 25 février 2005 : PJC USA prête 70 millions de dollars US à PJC Canada, avec intérêt au TIOL, plus 2,5 pour 100.

Grâce à ces changements, l’intérêt payable par PJC Canada à PJC USA est compensé par l’intérêt payable par PJC USA à PJC Canada, ce qui permet d’éviter les conséquences fiscales.

II.           Analyse

A.           L’arrêt AES

[60]                          Le présent pourvoi porte sur l’interprétation et l’application des lignes directrices établies par le juge LeBel dans l’arrêt AES, dans lequel la Cour s’est pour la première fois penchée sur les principes régissant le recours en rectification en droit civil québécois. Bien que le cadre établi dans cet arrêt ne suffise pas pour statuer sur toutes les demandes en rectification susceptibles d’être présentées au Québec, les motifs du juge LeBel comportent les principes directeurs fondamentaux nécessaires pour disposer de la présente cause.

[61]                          Dans l’affaire AES, Services Environnementaux AES inc. (« AES ») avait convenu de céder 25 pour 100 de ses actions de Centre technologique AES inc. à un investisseur, Groupe Sani‑Gestion. Pour faciliter cette transaction, AES et Centre technologique ont conclu une entente de réorganisation et de planification fiscale. Les parties avaient prévu recourir aux dispositions sur le roulement énoncées à l’art. 86 de la LIR et aux art. 541 à 543 de la Loi sur les impôts, L.R.Q., c. I‑3, afin d’éviter toute conséquence fiscale. Ces dispositions permettent à un contribuable de différer l’impact fiscal d’un échange d’actions si, entre autres, la contrepartie payée autrement qu’en actions au moment du transfert n’excède pas le prix de base rajusté (« PBR ») des actions reçues. Or, les conseillers d’AES ont commis une erreur dans le calcul du PBR des actions. AES a procédé au transfert en se fondant sur ce calcul erroné et a reçu, par la suite, un avis de cotisation faisant état d’un gain en capital imposable, contrairement à l’entente initiale des parties. Ces dernières ont demandé la rectification de l’entente afin d’éviter les conséquences fiscales indésirables qu’elle avait produites.

[62]                          Toujours dans AES, le procureur général du Canada a soutenu que dans la mesure où il existait en droit civil québécois, le recours en rectification permettait seulement de corriger les erreurs d’écriture. S’exprimant au nom de la Cour, le juge LeBel a rejeté cet argument, concluant que les modifications demandées par les parties étaient à la fois légitimes et nécessaires. Selon lui, l’art. 1425 C.c.Q. permet au tribunal de donner effet à l’intention commune des parties en corrigeant les erreurs commises dans l’expression de cette intention : AES, par. 48. Il en est ainsi, a‑t‑il précisé, à cause de la distinction en droit civil entre le negotium — la volonté commune des parties — et l’instrumentum — la volonté déclarée des parties. Aux termes de l’art. 1385 C.c.Q., le contrat se trouve dans la volonté commune, non dans la volonté déclarée, « malgré l’importance [. . .] de la déclaration, orale ou écrite » de cette volonté commune : AES, par. 32.

[63]                          Par conséquent, l’arrêt AES établit que l’art. 1425 C.c.Q. permet aux tribunaux de donner effet à la véritable entente intervenue entre les parties, tout en reconnaissant que cette entente ne se trouve pas nécessairement dans le document écrit. Selon le juge LeBel, ce pouvoir permet même de combler « des vides dans le texte » ou de retrouver dans celui‑ci « des contenus parfois bien dissimulés » : AES, par. 48.

[64]                          Le pouvoir que confère aux tribunaux l’art. 1425 C.c.Q. de « rectifier » une entente est néanmoins assujetti à certaines conditions. Les corrections demandées doivent être nécessaires et légitimes : AES, par. 51. Elles doivent refléter la volonté réelle des parties, sans contrevenir aux règles de la preuve civile : AES, par. 49-51. Enfin, elles ne doivent pas porter atteinte aux intérêts des tiers : voir AES, par. 33 et 35.

[65]                          Lorsque des parties cherchent à corriger une entente qui entraîne des incidences fiscales imprévues, AES indique clairement que le « fisc ne possède pas de droit acquis au bénéfice d’une erreur que les parties à un contrat auraient commise, puis corrigée de consentement mutuel » : par. 52. Par conséquent, le fisc ne peut « invoquer des droits acquis au maintien d’un écrit erroné, même si l’existence d’une erreur est établie » : AES, par. 44.

[66]                          Néanmoins, le juge LeBel a insisté sur le fait que les contribuables « ne devraient pas interpréter cette reconnaissance de la primauté de la volonté interne — ou intention commune — des parties comme une invitation à se lancer dans des planifications fiscales audacieuses, en se disant qu’il leur sera toujours possible de refaire leurs contrats rétroactivement en cas d’échec de ces planifications » : AES, par. 54. Il a ajouté ceci :

                    L’intention d’un contribuable de réduire ses obligations fiscales ne saurait à elle seule constituer l’objet de l’obligation au sens de l’art. 1373 C.c.Q., compte tenu de son caractère insuffisamment déterminé ou déterminable, ni même l’objet du contrat au sens de l’art. 1412 C.c.Q. En l’absence d’un objet plus précis et mieux défini, aucun contrat ne se serait formé. L’article 1425 ne pourrait dans un tel cas être invoqué pour justifier la recherche de l’intention commune des parties afin de lui donner effet, malgré les termes des écrits préparés pour la constater. Comme je l’ai souligné plus haut, dans les deux appels, les ententes entre les parties s’étaient valablement formées, puisqu’elles prévoyaient des obligations aux objets suffisamment déterminables, selon une preuve que l’[Agence du revenu du Québec] n’a jamais contredite. Ces ententes prévoyaient, pour les sociétés concernées, la mise en place de structures déterminées qui, si elles avaient été élaborées correctement, auraient permis de réaliser les objectifs des parties impliquées. Les modifications apportées par la suite ne changeaient pas la nature de la structure envisagée au départ. Elles se bornaient à modifier les écrits qui étaient censés donner effet à l’intention commune — intention clairement établie et portant sur des obligations aux objets déterminés ou déterminables. [Je souligne; par. 54.]

[67]                          À mon avis, en l’espèce, les conditions énoncées dans l’arrêt AES sont remplies. Compte tenu des conclusions de fait tirées par le juge saisi de la demande, les modifications demandées par PJC Canada sont à la fois nécessaires et légitimes.

B.            Application aux faits de l’espèce

(1)           Déférence à l’égard du juge saisi de la demande

[68]                          Le juge saisi de la demande a conclu ce qui suit :

(i)                 Les parties avaient, dès le départ, l’intention commune (1) de régler la question du taux de change, (2) sans conséquences fiscales (2012 QCCS 6917, par. 21 (CanLII));

(ii)               La série d’opérations exécutées par les parties ne reflétait pas complètement cette intention commune (par. 25-26);

(iii)             La rectification demandée concordait avec l’intention commune des parties (par. 25-26);

(iv)             Les parties ne cherchaient pas à réécrire leur histoire fiscale, mais à corriger une conséquence fiscale imprévue (par. 27).

Il est de droit constant que les conclusions de fait ne peuvent être infirmées « que s’il est établi que le juge de première instance a commis une “erreur manifeste et dominante” » : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 10. La Cour d’appel n’aurait relevé qu’une seule erreur de cette nature, soit lorsque le juge saisi de la demande a conclu que les [traduction] « parties ne cherchaient pas à réécrire l’histoire fiscale de l’entente » : (iv) précité; 2015 QCCA 838, [2015] 4 C.T.C. 82, par. 37. Sur ce point, la Cour d’appel a infirmé la conclusion du juge saisi de la demande. Elle a plutôt conclu que « c’était exactement ce que les parties cherchaient à faire » — c’est‑à‑dire réécrire l’histoire fiscale de l’entente — puisqu’elles avaient envisagé et rejeté précisément les opérations intermédiaires qu’elles ont plus tard demandé à la Cour supérieure de reconnaître : ibid. Je suis d’avis que ce n’est pas le juge saisi de la demande, mais la Cour d’appel, qui a commis une erreur en tirant cette conclusion. Comme le procureur général du Canada le reconnaît dans son mémoire, PJC Canada et PJC USA n’ont jamais rejeté les opérations intermédiaires en question. Il s’ensuit que les conclusions de fait tirées par le juge saisi de la demande et résumées précédemment ne sont pas contestées et imposent à la Cour de faire preuve de retenue dans son application du droit à la présente affaire.

(2)           Les modifications demandées sont nécessaires

[69]                          En l’espèce, il existe un écart évident entre, d’une part, l’intention commune et continue des parties et, d’autre part, les opérations exécutées dans le but de donner effet à cette intention. La preuve démontre que l’intention commune et continue des parties portait non seulement sur l’objet du contrat, mais aussi sur ses conséquences fiscales. Dès le départ, PJC Canada et PJC USA ont cherché à résoudre le problème relatif au taux de change, et ce, sans conséquences fiscales. Elles ont diligemment demandé conseil sur la façon d’y parvenir. Se fondant sur ces conseils, elles ont exécuté une série de transactions ou de prestations visant à créer un passif net en dollars américains de manière à neutraliser l’effet des fluctuations du taux de change dans les états financiers de PJC Canada, sans générer de conséquences fiscales.

[70]                          La neutralité fiscale était donc une condition sine qua non de la structure transactionnelle envisagée par les parties. Tant les circonstances à l’origine de ces transactions que le témoignage des parties permettent de le confirmer. Ainsi que l’a observé le juge saisi de la demande, il était essentiel que les transactions de financement ne produisent aucune incidence fiscale défavorable, puisque les fluctuations du taux de change n’en produisaient aucune dans l’immédiat. N’eût été l’erreur concernant l’application du RÉATB, les parties auraient immédiatement pris des mesures semblables à celles qu’elles ont plus tard demandé à la Cour supérieure de reconnaître. Ces mesures leur auraient permis de mettre en œuvre l’intention commune véritable qu’elles avaient depuis le début.

[71]                          Que l’erreur commise par les conseillers fiscaux en l’espèce en soit une d’omission — dans la mesure où ils ont négligé de tenir compte du RÉATB — plutôt que de commission — en calculant erronément le PRB des actions, par exemple — n’est pas une raison de principe qui justifie de distinguer la présente cause de l’affaire AES. Au contraire, cette distinction fait perdre tout son sens à la proposition selon laquelle, si l’expression d’une intention commune est entachée d’une erreur, « notamment [d’]une erreur imputable comme ici au conseiller professionnel du contribuable, une fois cette erreur établie [. . .] le tribunal doit la constater et faire en sorte qu’on y remédie » : AES, par. 52. Cette distinction est également en contradiction avec la reconnaissance, par le juge LeBel, du pouvoir qu’ont les tribunaux de « combler des vides dans le texte » en interprétant l’intention commune des parties : AES, par. 48. C’est précisément dans un cas comme celui de l’espèce — où il y a eu omission de la part des conseillers fiscaux — qu’il convient d’exercer ce pouvoir.

[72]                          En outre, le concept de l’objet du contrat, dont il est question à l’art. 1412 C.c.Q., n’est pas étroit au point d’exclure les opérations juridiques envisagées par les parties en l’espèce. L’objet du contrat transcende les prestations particulières de l’accord. Comme le disent les professeurs Lluelles et Moore :

                    Pour bien le distinguer de l’objet des obligations, on pourrait présenter l’objet du contrat comme « l’opération juridique considérée dans son ensemble [. . .] » C’est donc une notion globalisante, qui force à se faire une idée de l’économie générale d’un accord. . . 

                          . . . La détermination de la prestation centrale — « l’opération juridique principale » — est donc nécessaire, mais elle est insuffisante pour qualifier l’objet de la convention : l’économie générale de l’accord doit être prise en compte, en plus de la prestation centrale. Et cette économie variera d’un accord à l’autre. [Je souligne.]

(Droit des obligations (2e éd. 2012), par. 1051-1052)

[73]                          Je ne crois pas que la rectification soit possible seulement si la prestation, telle qu’elle est décrite dans le document écrit corrigé, constate ce que les parties avaient expressément envisagé au départ. En pratique, cela voudrait dire que la rectification permettrait seulement de corriger les erreurs d’écriture — un argument qui a été présenté et rejeté dans l’arrêt AES : par. 23. Cette affirmation fait abstraction du fait que, pour le juge LeBel, même l’expression orale de la volonté des parties peut ne pas refléter leur intention commune : ibid., par. 28. En l’espèce, l’objet de l’entente consistait en des prêts réciproques neutres sur le plan fiscal, créant un passif net en dollars américains. Ne pas considérer que les prêts devaient être fiscalement neutres pour que l’entente soit logique sur le plan commercial va à l’encontre de l’économie générale de l’entente. La neutralité fiscale était au cœur même de l’entente, et l’art. 1412 C.c.Q. n’empêche aucunement les tribunaux de donner effet à cette entente.

[74]                          Qui plus est, les transactions ou prestations additionnelles envisagées par les parties étaient suffisamment déterminables au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’art. 1373 C.c.Q., tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt AES. À cet égard, il est utile d’examiner de plus près les faits de l’affaire AES. Avant la réorganisation envisagée, AES détenait 1 217 029 actions de catégorie A de Centre technologique, et croyait à tort que leur PBR s’établissait à 1 217 029 $. AES a cédé toutes ses actions de catégorie A en échange de 4 500 000 actions de catégorie B de Centre technologique et d’un billet à demande de 1 217 028 $. Entre décembre 1998 et septembre 1999, Centre technologique a remboursé ce billet en totalité. En 2000, AES a reçu un avis de cotisation faisant état d’un gain en capital. AES et Centre technologique ont déposé une requête en rectification qui visait essentiellement à modifier les modalités du billet à demande. Les parties demandaient à la Cour supérieure de remplacer la somme de 1 217 028 $ par la somme de 95 000 $, cette dernière valeur correspondant au PBR exact des actions transférées au moment du contrat. Toutefois, afin de mettre en œuvre la correction, les parties ont également demandé à la cour de modifier les contrats pour y inclure l’émission de 1 122 029 actions privilégiées de catégorie C : Québec (Sous‑ministre du Revenu) c. Services environnementaux AES inc., 2011 QCCA 394, 2011 D.T.C. 5045, par. 2-3. Bref, pour réaliser leur intention originale, elles ont modifié une composante de la transaction qui reposait entièrement sur une dette (le billet à demande) en lui substituant des éléments distincts, soit une dette et des capitaux propres. L’élément de capitaux propres — l’émission d’actions privilégiées de catégorie C — n’avait jamais été envisagé auparavant par les parties.

[75]                          Pour plus de clarté, les fondements factuels de l’affaire AES et de la présente affaire sont reproduits dans le tableau ci‑après à des fins de comparaison :

 

Mise en œuvre originale

Rectification demandée (corrections demandées en caractères gras)

AES

a)   AES transfère 1 217 029 actions de catégorie A de Centre technologique à Centre technologique;

b)   Centre technologique transfère 4 500 000 actions de catégorie B de Centre technologique à AES;

c)   Centre technologique émet un billet à demande d’une valeur de 1 217 028 $ à AES.

 

a)   AES transfère 1 217 029 actions de catégorie A de Centre technologique à Centre technologique;

b)   Centre technologique transfère 4 500 000 actions de catégorie B de Centre technologique à AES;

c)   Centre technologique émet un billet à demande d’une valeur de 95 000 $ à AES;

d)  Centre technologique émet au nom d’AES 1 122 029 actions privilégiées de catégorie C.

 

Présent dossier

a)   Le 7 févr. 2005, PJC Canada prête 120 millions de dollars US à PJC USA;

b)   Le 25 févr. 2005, PJC Canada achète 10 actions ordinaires additionnelles de PJC USA pour 70 millions de dollars US;

c)   Le 25 févr. 2005, PJC USA prête 70 millions de dollars US à PJC Canada.

 

a)   Le 7 févr. 2005, PJC Canada prête 120 millions de dollars US à PJC USA, somme qui est remboursable seulement advenant le consentement des parties avec intérêt au TIOL, plus 2,5 pour 100;

b)   Le 25 févr. 2005, PJC Canada achète 10 actions ordinaires additionnelles de PJC USA pour 70 millions de dollars US;

c)   Le 25 févr. 2005, PJC USA rembourse à PJC Canada 70 millions de dollars US sur le prêt de 120 millions de dollars US;

d)  Le 25 févr. 2005, PJC Canada prête à PJC USA 70 millions de dollars US;

e)   Le 25 févr. 2005, PJC USA prête 70 millions de dollars US à PJC Canada, avec intérêt au TIOL, plus 2,5 pour 100.

[76]                          Quinze ans après l’entente originale dans AES, la Cour a accordé à AES la rectification demandée. Ce faisant, elle a annulé le billet à demande initial, l’a remplacé par un billet de valeur moindre, et a ajouté à l’entente une émission d’actions. Tout cela fut fait pour une seule raison : donner effet à l’intention originale des parties de préserver la neutralité fiscale de l’opération. Aujourd’hui, alors qu’elle est saisie d’une demande semblable par PJC Canada, les juges majoritaires de la Cour la rejettent.

[77]                          Pour revenir à l’art. 1373 C.c.Q., il est difficile de comprendre en quoi, dans l’affaire AES, l’ajout d’une émission d’actions initialement non prévue serait plus déterminé ou déterminable que l’ajout de transactions de prêt intermédiaires qui est demandé en l’espèce. D’ailleurs, dans la présente affaire, il appert des modalités du contrat de prêt intervenu entre PJC Canada et PJC USA le 7 février 2005 que le capital ne pouvait être remboursé qu’advenant le [traduction] « consentement mutuel » des parties. L’insertion d’étapes intermédiaires impliquant le remboursement d’un prêt à demande ne constitue guère plus qu’une reconnaissance judiciaire de l’acquittement partiel d’une obligation, obligation que même les modalités de l’entente originale des parties permettent de déterminer. En l’espèce, les prestations supposaient le financement réciproque de la dette ainsi que le remboursement partiel de cette dette qu’advenant — et uniquement advenant — le consentement mutuel des parties. Les prestations étaient donc déterminées et l’obligation de remboursement correspondante était déterminable.

[78]                          Il importe de souligner que, en ce qui concerne ces étapes intermédiaires, les parties en l’espèce demandent moins à la Cour que ce qui était réclamé dans AES. Aucune des étapes n’altère la structure du scénario de financement ou la structure des parties. La Cour est allée plus loin dans AES où, comme je l’ai expliqué, la rectification d’une erreur concernant l’art. 86  de la LIR  passait par l’ajout à l’entente des parties d’une émission d’actions qui n’avaient jamais été envisagée. Ici, la rectification d’une erreur concernant le par. 95(1)  de la LIR  passe par l’ajout de transactions intermédiaires de financement par prêt qui étaient déterminables, même en fonction des contrats initiaux de prêts remboursables sur demande.

[79]                          En raison de ce qui précède, j’estime qu’il est nécessaire d’accueillir la requête présentée par PJC Canada en vertu de l’art. 1425 C.c.Q. afin de corriger l’écart entre l’intention commune des parties et l’expression de cette intention par la mise en œuvre de la structure transactionnelle convenue par les parties. Comme je l’explique ci‑après, il est également légitime de le faire à la lumière des motifs de la Cour dans l’arrêt AES.

(3)           Les modifications demandées sont légitimes

[80]                          Par sa requête en rectification, PJC Canada ne demande pas de réécrire l’histoire fiscale des transactions, mais plutôt d’en combler les vides en y ajoutant deux étapes intermédiaires qui préservent la neutralité fiscale de la structure convenue. Ainsi que l’a souligné l’appelante, la conclusion erronée de la Cour d’appel — suivant laquelle les parties avaient initialement écarté les étapes intermédiaires visées par la présente demande — a vicié l’ensemble de ses motifs, dans la mesure où le tribunal a conclu que les parties avaient modifié leur intention commune, ce que les parties n’ont pas fait. Les modifications souhaitées « ne chang[ent] pas la nature de la structure envisagée au départ » : AES, par. 54.

[81]                          En outre, l’exercice judiciaire qui consiste à combler les vides dans ce cas‑ci n’aurait pas pour effet d’inviter les contribuables « à se lancer dans des planifications fiscales audacieuses » : AES, par. 54. Contrairement à l’affaire AES, où les parties cherchaient à reporter l’impôt payable en recourant aux dispositions de la LIR  sur le roulement, l’entente entre PJC Canada et PJC USA ne constituait pas une planification fiscale. Aucune des parties ne cherchait à réduire ou à reporter l’impôt payable. Les parties tentaient de remédier à un problème de fluctuation du taux de change tout en préservant la neutralité fiscale de l’opération. La rectification apportée par la Cour consisterait simplement à donner effet à leur intention commune et continue, tout en respectant les grandes lignes des opérations juridiques originales. Les modifications sont minimes : les parties sont les mêmes, les montants sont les mêmes et l’effet net sur le plan comptable reste le même.

[82]                          Puisque l’ajout des deux transactions intermédiaires ne modifie pas la structure originale convenue, rien ne laisse supposer que l’appelante, en l’espèce, a fait preuve de mauvaise foi ou commis un abus de droit. Il est bien établi qu’une motivation d’ordre fiscal n’enlève rien à la légitimité de l’entente des parties : Walls c. Canada, 2002 CSC 47, [2002] 2 R.C.S. 684; voir aussi Backman c. Canada, 2001 CSC 10, [2001] 1 R.C.S. 367, par. 22. L’erreur d’omission des conseillers fiscaux est survenue en toute bonne foi, après que PJC Canada eut fait preuve de diligence raisonnable. Aucune allégation de fraude, ni même une allusion de planification financière audacieuse n’a été formulée en l’espèce. Je souligne que l’erreur de bonne foi commise par un conseiller fiscal ne devrait pas automatiquement faire obstacle au recours en rectification.

[83]                          Dans les circonstances, rectifier l’entente pour qu’elle reflète l’intention commune et continue des parties ne fait pas de l’art. 1425 C.c.Q. une police d’« assurance générale » couvrant les « inattentions ou erreurs » : motifs des juges majoritaires, par. 42. Au Québec, « [t]oute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi » (art. 6 C.c.Q.) et « [a]ucun droit ne peut être exercé [. . .] d’une manière excessive et déraisonnable » (art. 7 C.c.Q.). En outre, l’art. 1375 C.c.Q. prévoit que les parties doivent agir de bonne foi tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution et de son extinction. Dans les cas où le demandeur n’a pas agi avec diligence, ou cherche à profiter d’une erreur antérieure dans une perspective de planification fiscale avec effet rétroactif, le tribunal aurait raison de rejeter la demande pour absence de bonne foi ou abus de droit. Ces considérations vont souvent être préférablement laissées à l’appréciation du juge saisi de la demande, puisqu’il a l’avantage d’avoir à sa disposition le dossier factuel complet. En l’espèce, toutefois, aucune préoccupation de cette nature n’a été soulevée.

[84]                          De plus, il appert des dispositions pertinentes de la loi constitutive gouvernant actuellement PJC Canada que sa demande est légitime. En effet, le passage pertinent de l’art. 458 de la Loi sur les sociétés par actions, RLRQ, c. S‑31.1, prévoit ce qui suit :

                    458. Le tribunal peut, à la demande de toute personne intéressée, rendre toute ordonnance appropriée afin qu’une erreur soit corrigée ou pour modifier les conséquences juridiques d’une telle erreur, ou pour valider tout acte vicié en raison d’une telle erreur. Il peut notamment, dans ce cadre, donner toute directive qu’il estime nécessaire.

                          Pour l’application de la présente sous‑section, le mot « erreur » s’entend notamment d’une omission, d’un défaut, d’un vice de forme, d’une méprise ou d’une irrégularité survenu dans la conduite des affaires internes d’une société et qui entraîne :

. . .

                         3o l’inobservation d’une mesure ou d’une décision prise par l’assemblée des actionnaires, le conseil d’administration ou l’un de ses comités.

Dans la même veine que les lignes directrices établies dans l’arrêt AES, suivant l’art. 459 de la même loi « [à] moins que le tribunal n’en décide autrement, une ordonnance [rendue en vertu de l’art. 458] ne peut porter atteinte aux droits d’un tiers ».

[85]                          En l’espèce, faire droit à la demande de PJC Canada ne porte aucunement atteinte aux droits de tiers. Comme je l’ai expliqué, le fisc n’est pas un tiers bénéficiaire des erreurs commises par les parties : AES, par. 52. Il convient de mentionner que le fisc n’est pas non plus une partie au contrat et qu’il ne saurait prétendre aux mêmes droits qu’une partie contractante.

[86]                          En l’absence d’argument fondé sur des droits de tiers, faire droit à la requête de PJC Canada favorise, plutôt qu’elle ne l’affaiblit, la stabilité commerciale parce que les attentes contractuelles des parties s’en trouvent réalisées. Le fait que PJC Canada et PJC USA s’entendent dans le cas présent quant à leur intention commune contraste nettement avec le cas où les parties sont en désaccord quant à l’entente qu’elles ont conclue. Dans ce dernier cas, le risque de réécrire illégitimement l’entente initiale a posteriori est d’autant plus évident. Ce risque n’existe toutefois pas en l’espèce.

[87]                          Depuis l’arrêt AES, les tribunaux du Québec et de l’ensemble du Canada ont permis à des parties qui s’étaient entendues quant à leur intention commune de rectifier ou d’autrement modifier leur entente, sans égard pour l’incidence que cela pouvait avoir sur les coffres du fisc : voir, entre autres, Pallen Trust, Re, 2015 BCCA 222, 385 D.L.R. (4th) 499; Lemair c. Canada (Procureur général), 2015 QCCS 1142; Canada (Attorney General) c. Brogan Family Trust, 2014 ONSC 6354, 2015 D.T.C. 5008; Philippe Trépanier inc. et Deloitte, s.e.n.c.r.l., 2014 QCCS 2615. Ces affaires, comme celles de l’espèce et d’AES, se distinguent de celles où l’une des parties tente d’imposer à l’autre des conditions contraires à celles de l’entente originale. Dans l’arrêt Shafron c. KRG Insurance Brokers (Western) Inc., 2009 CSC 6, [2009] 1 R.C.S. 157, par exemple, les parties ne s’entendaient pas sur la portée géographique du terme « agglomération de la ville de Vancouver ». Dans le cas d’un désaccord prouvé (ou d’une absence d’accord) entre les parties, il est évident que la requête en rectification doit être rejetée. Pour reprendre les termes du Code, il n’y a jamais eu, dans un tel cas, d’« accord de volonté » : art. 1378 C.c.Q.

[88]                          L’affaire qui nous occupe est différente. Le juge saisi de la demande a conclu, en l’espèce, que PJC Canada et PJC USA avaient clairement l’intention de résoudre le problème de fluctuation du taux de change sans engendrer de conséquences fiscales. En déclarant que les parties [traduction] « cherchaient  [. . .] à réécrire l’histoire fiscale de l’entente », la Cour d’appel a substitué de façon inappropriée sa propre conclusion de fait à celle du juge de première instance : par. 37. Je répète en outre que, ce faisant, elle a commis une erreur. Les étapes intermédiaires faisant l’objet de la requête en rectification des parties n’avaient jamais été rejetées par les parties. Un examen adéquat des circonstances entourant cette requête révèle qu’elle est légitime.

C.            Conclusion

[89]                          Pour ces motifs, la requête en rectification de PJC Canada est à la fois nécessaire et légitime. Les parties avaient une intention commune et continue, et elles ont fait preuve de diligence raisonnable en demandant conseil pour la réaliser. Elles ont agi de bonne foi en tentant de remédier à leur problème de fluctuation du taux de change, et ce, sans conséquences fiscales. Elles ont demandé au juge saisi de la demande de combler les vides entre les opérations jusqu’alors exécutées, dans la mesure où ces opérations ne permettent pas de refléter pleinement leur intention commune. Rien dans leur demande ne portait atteinte aux droits de tiers et il n’y a eu aucune violation des règles de preuve. J’estime que, pour toutes ces raisons, leur demande respecte clairement les paramètres établis dans l’arrêt AES pour qu’une rectification soit accordée.

[90]                          Soit dit en tout respect, j’estime que le fait de restreindre l’approche libérale et généreuse du juge LeBel au recours en rectification visé par l’art. 1425 C.c.Q. est incompatible avec les réalités du commerce moderne. Il découle des motifs des juges majoritaires que la rectification n’est possible, en droit civil, que si (i) chacun des actes juridiques nécessaires pour parvenir au résultat fiscal désiré a été correctement déterminé et précisé, et de ce fait rendu déterminé, et que (ii) chacune des conséquences fiscales possibles a été prédite avec exactitude. Tel n’était pas l’état du droit avant ou après l’arrêt AES. Et tel ne devrait pas devenir l’état du droit maintenant. Une structure transactionnelle complexe peut comporter une multitude d’actes juridiques. Les fiscalistes qui conseillent leurs clients à cet égard sont souvent appelés à résoudre des problèmes complexes dans des délais très serrés. Des erreurs peuvent survenir. Priver les contribuables de la possibilité de corriger ces erreurs porte atteinte à leur droit, depuis longtemps reconnu en droit canadien, d’organiser leurs affaires de manière à réduire leur responsabilité fiscale : Commissioners of Inland Revenue c. Duke of Westminster, [1936] A.C. 1 (H.L.); Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, par. 45-46.

[91]                          Que cette privation soit la même dans tout le Canada est encore plus troublant. Je suis d’accord avec mon collègue pour dire que la convergence entre le droit civil québécois et la common law des autres provinces est souhaitable d’un point de vue de politique fiscale : par. 52. D’ailleurs, les parties ont reconnu devant la Cour que la common law et le droit civil sont fonctionnellement semblables lorsqu’il s’agit d’exercer un recours en rectification. Cela dit, renoncer à l’interprétation de l’art. 1425 C.c.Q. préconisée par la Cour dans l’arrêt AES dans un effort d’harmonisation avec l’approche restrictive que celle‑ci adopte à l’égard du pouvoir discrétionnaire que confère l’equity dans l’arrêt Fairmont est incompatible avec le droit des contrats au Québec. Selon l’art. 1378 C.c.Q., le contrat est un « accord de volonté » qui se réalise par un simple échange de consentements. Cette disposition, comme toutes les autres dispositions du Code, doit recevoir une interprétation « large qui favorise l’esprit sur la lettre et qui permette [. . .] d’atteindre [son] objet » : Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862, par. 15. Puisque les contrats peuvent être exprimés oralement, sans être constatés par un document écrit, l’arrêt AES n’a pas écarté la possibilité de rectifier les erreurs d’expression verbale (par. 28 et 32). Cela est compatible avec la notion de contrat en droit civil, inhérente aux art. 1378 et 1425 C.c.Q., qui s’attache à l’intention commune des parties et non à l’expression de cette intention.

[92]                          Les motifs des juges majoritaires dans Fairmont sont inconciliables avec ces dispositions du Code. Dans les ressorts canadiens de common law, il n’y a dorénavant rectification « que dans les cas où l’entente entre les parties n’a pas été correctement consignée dans l’instrument qui est devenu l’expression finale de leur entente » : Fairmont, par. 3. Il semble n’y avoir aucune possibilité de rectifier les ententes orales. Ceci dit en tout respect, dans la mesure où mon collègue, dans la présente affaire, souhaite importer cette restriction en droit civil, la « convergence » entre les deux systèmes juridiques est, à mon avis, loin d’être « naturelle » : motifs des juges majoritaires, par. 52.

[93]                          En l’absence d’un recours en rectification adéquat, on pourrait dire que, dans les affaires comme celle dont nous sommes saisis, les contribuables peuvent poursuivre leurs conseillers pour négligence professionnelle. En tout respect, je crois qu’il est préférable de procéder à la rectification de l’entente, conformément à l’obligation de limiter les dommages incombant à la partie innocente suivant l’art. 1479 C.c.Q., plutôt que d’inciter cette partie à poursuivre ses conseillers. Sur ce point, la position des juges majoritaires ignore le rôle important que jouent les fiscalistes dans le monde moderne des affaires, et cette position s’écarte nettement de la récente reconnaissance par la Cour selon laquelle « [l]e droit de l’impôt sur le revenu est d’une complexité notoire, et [que] de nombreux contribuables recourent aux services de conseillers fiscaux pour en observer les règles » : Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3, par. 1.

[94]                          À mon avis, une solution qui favorise l’intention commune et continue des parties et qui tient compte des réalités commerciales est préférable.

III.        Dispositif

[95]                          Pour ces motifs, j’accueillerais le pourvoi avec dépens en faveur de l’appelante.

                    Pourvoi rejeté avec dépens, les juges Abella et Côté sont dissidentes.

                    Procureurs de l’appelante : Norton Rose Fulbright Canada, Montréal.

                    Procureur de l’intimé : Procureur général du Canada, Ottawa.

                    Procureurs de l’intervenante : Larivière Meunier, Montréal.

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