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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Bingley, 2017 CSC 12, [2017] 1 R.C.S. 170

Appel entendu : 13 octobre 2016

Jugement rendu : 23 février 2017

Dossier : 36610

 

Entre :

Carson Bingley

Appelant

 

et

 

Sa Majesté la Reine

Intimée

 

- et -

 

Criminal Lawyers’ Association (Ontario) et

Association canadienne des libertés civiles

Intervenantes

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Côté et Brown

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 35)

 

Motifs dissidents :

(par. 36 à 60)

La juge en chef McLachlin (avec l’accord des juges Abella, Moldaver, Côté et Brown)

 

La juge Karakatsanis (avec l’accord du juge Gascon)

 

 

 

 


R. c. Bingley, 2017 CSC 12, [2017] 1 R.C.S. 170

Carson Bingley                                                                                                 Appelant

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                           Intimée

et

Criminal Lawyers’ Association (Ontario) et

Association canadienne des libertés civiles                                            Intervenantes

Répertorié : R. c. Bingley

2017 CSC 12

No du greffe : 36610.

2016 : 13 octobre; 2017 : 23 février.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon, Côté et Brown.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

                    Droit criminel — Preuve — Preuve d’expert — Admissibilité — Évaluation en reconnaissance de drogues — Conclusion de l’expert en reconnaissance de drogues, certifié conformément au régime législatif, selon laquelle l’accusé a conduit avec les facultés affaiblies par la drogue — L’article 254(3.1)  du Code criminel  prévoit‑il l’admissibilité automatique au procès du témoignage d’opinion d’un tel expert? — Si ce n’est pas le cas, ce témoignage est‑il admissible en tant que témoignage d’opinion d’un expert suivant les règles de preuve en common law? — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 254(3.1)  — Règlement sur l’évaluation des facultés de conduite (drogues et alcool), DORS/2008‑196.

                    On a vu B conduire de façon irrégulière, entrer dans un stationnement et heurter un véhicule. La police est arrivée et a constaté que B présentait des signes d’affaiblissement des facultés. Par conséquent, une policière lui a fait subir un alcootest, lequel a donné des résultats non incriminants. L’agente a alors demandé à B de se soumettre sur place à un test de sobriété, effectué par un expert en reconnaissance de drogues (« ERD ») certifié sous le régime du Code criminel  et du Règlement sur l’évaluation des facultés de conduite (drogues et alcool) (« Règlement »). B a échoué au test, et a été arrêté pour conduite avec les facultés affaiblies par la drogue. Il a été conduit à un poste de police, où l’ERD a effectué une évaluation en 12 étapes en reconnaissance de drogues. Durant l’évaluation, B a admis avoir fumé du cannabis et avoir pris deux comprimés d’alprazolam dans les 12 heures précédentes. Une analyse d’urine a révélé la présence de cannabis, de cocaïne et d’alprazolam. B a été acquitté lors de son premier procès, mais l’acquittement a été annulé et un nouveau procès a été ordonné. Au second procès, contrairement au premier, le juge a conclu que le par. 254(3.1)  du Code criminel  ne prévoit pas l’admissibilité automatique du témoignage de l’ERD et qu’un voir‑dire est requis en common law suivant l’arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9. Cependant, lors de ce voir‑dire, le juge a conclu que le témoignage de l’ERD était inadmissible en tant que témoignage d’opinion d’un expert ou d’un profane, et en conséquence, il a acquitté B. Le juge d’appel des poursuites sommaires a statué que le par. 254(3.1) rend le témoignage de l’ERD automatiquement admissible et que, de toute façon, il s’agirait d’une opinion de profane admissible. Enfin, la Cour d’appel a conclu que le témoignage de l’ERD est automatiquement admissible sans voir‑dire et a ordonné la tenue d’un nouveau procès.

                    Arrêt (les juges Karakatsanis et Gascon sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté et l’ordonnance intimant la tenue d’un nouveau procès est confirmée.

                    La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Côté et Brown : Le paragraphe 254(3.1) du Code criminel  n’énonce pas l’admissibilité automatique au procès du témoignage d’opinion d’un ERD. Il fournit aux policiers des outils d’enquête leur permettant de faire respecter les dispositions interdisant la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue; cependant, il ne précise pas si les éléments de preuve obtenus grâce à ces outils seront admissibles. Lorsque le Parlement entend rendre une preuve automatiquement admissible, il le dit expressément. Comme le par. 254(3.1) ne traite pas de l’admissibilité des éléments de preuve recueillis, les règles de preuve en common law s’appliquent. 

                    Selon les règles de common law sur l’admissibilité, l’analyse du témoignage d’expert se divise en deux étapes. Premièrement, celui‑ci doit satisfaire aux quatre critères énoncés dans l’arrêt Mohan : pertinence, nécessité, absence de toute règle d’exclusion et expertise particulière. Deuxièmement, le juge du procès doit soupeser les risques éventuels et les avantages que présente l’admission du témoignage. En raison des concessions faites par B, la seule question à résoudre en l’espèce consiste à déterminer si l’ERD possède une expertise particulière.

                    Bien que le juge du procès détermine normalement si l’expert possède une expertise particulière lors d’un voir‑dire, le par. 254(3.1)  du Code criminel  et le régime législatif et réglementaire qui l’accompagne satisfont de façon concluante à l’exigence relative à l’expertise. L’ERD est un « expert en reconnaissance de drogues », certifié comme tel pour l’application du régime d’évaluation en 12 étapes. Du fait de sa formation et de son expérience, l’ERD possède indubitablement une expertise qui dépasse l’expérience et les connaissances du juge des faits lorsqu’il s’agit de vérifier si la capacité d’une personne est affaiblie par une drogue. L’ERD est donc un expert pour ce qui est d’effectuer l’évaluation en 12 étapes et de déterminer si celle‑ci indique un affaiblissement des facultés par l’effet d’une drogue. Son expertise a été établie de façon concluante et irréfragable par le législateur fédéral. La connaissance des principes scientifiques sous‑jacents ne constitue pas une condition préalable à l’admissibilité de l’opinion d’un ERD. La connaissance de ces principes n’est nécessaire que s’il est question d’un domaine scientifique nouveau. L’objet de la règle spéciale applicable dans un tel cas est de faire en sorte que la fiabilité du témoignage soit établie par la jurisprudence, la preuve ou la loi. En l’espèce, la fiabilité de l’évaluation en 12 étapes découle du régime législatif lui‑même.

                    Si, comme en l’espèce, les quatre critères d’admissibilité de l’arrêt Mohan sont respectés et il ne fait aucun doute que la valeur probante du témoignage l’emporte sur son effet préjudiciable, le juge du procès n’est pas obligé de tenir un voir‑dire pour statuer sur l’admissibilité de la preuve. Comme le témoignage de l’ERD est admissible en tant que témoignage d’expert, il n’est pas nécessaire de se demander si cette preuve pourrait également être admissible à titre d’opinion de profane.

                    Les juges Karakatsanis et Gascon (dissidents) : Le législateur fédéral n’a pas prévu que l’évaluation en 12 étapes de l’ERD est suffisamment fiable pour être admise au procès comme preuve de l’affaiblissement des facultés par l’effet d’une drogue. Il a simplement reconnu la fiabilité de cette évaluation en vue de fournir un outil d’enquête, et non un raccourci en matière de preuve au procès. S’il est incapable de vérifier la fiabilité du fondement scientifique de l’évaluation de l’ERD, le juge du procès — dans son rôle de gardien du processus judiciaire — ne sera pas en mesure d’apprécier la valeur probante d’une telle preuve, et le juge des faits sera incapable de déterminer le poids à y accorder. Les tribunaux conservent le pouvoir discrétionnaire d’exiger une confirmation — soit par voie jurisprudentielle, soit au moyen d’éléments de preuve dans le cadre d’un voir‑dire — que les assises scientifiques des évaluations des ERD satisfont à un degré minimal de fiabilité avant de pouvoir admettre une telle évaluation en preuve au procès.

                    Comme la jurisprudence n’est pas encore bien établie et vu le caractère relativement récent de l’admission de témoignages d’ERD devant les tribunaux canadiens, il était loisible au juge de première instance en l’espèce de considérer le témoignage proposé comme une opinion fondée sur des principes scientifiques nouveaux. Bien que le juge ait reconnu l’expertise spéciale de l’ERD lorsqu’il s’agit d’effectuer l’évaluation en 12 étapes en vue de demander des échantillons de substances corporelles, et de faire avancer ainsi l’enquête policière, il a conclu que celui‑ci n’avait pas reçu de formation sur la fiabilité de l’évaluation en 12 étapes. Comme le ministère public n’a pas fait entendre un expert différent sur cette question, la preuve relative à la fiabilité du régime était insuffisante. Le juge du procès pouvait donc exclure le témoignage de l’ERD.

Jurisprudence

Citée par la juge en chef McLachlin

                    Arrêt appliqué : R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9; arrêts mentionnés : Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157; Heritage Capital Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 19, [2016] 1 R.C.S. 306; White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182; R. c. Abbey, 2009 ONCA 624, 97 O.R. (3d) 330; R. c. J.‑L.J., 2000 CSC 51, [2000] 2 R.C.S. 600; R. c. D.D., 2000 CSC 43, [2000] 2 R.C.S. 275; R. c. Sekhon, 2014 CSC 15, [2014] 1 R.C.S. 272.

Citée par la juge Karakatsanis (dissidente)

                    R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9; R. c. J.‑L.J., 2000 CSC 51, [2000] 2 R.C.S. 600; R. c. Trochym, 2007 CSC 6, [2007] 1 R.C.S. 239; R. c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398; R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3; White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182.

Lois et règlements cités

Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 254(3.1) , (3.4) , 258(1) c), 723(5) , 729(1) .

Règlement sur l’évaluation des facultés de conduite (drogues et alcool), DORS/2008‑196, art. 1.

Doctrine et autres documents cités

Canada. Chambre des communes. Comité législatif chargé du projet de loi C‑2. Témoignages, no 3, 2e sess., 39lég., 31 octobre 2007, p. 7‑8.

Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Témoignages, no 72, 1re sess., 39e lég., 30 mai 2007, p. 1‑2.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Cronk, Gillese et Huscroft), 2015 ONCA 439, 126 O.R. (3d) 525, 20 C.R. (7th) 351, 325 C.C.C. (3d) 525, 335 O.A.C. 328, 80 M.V.R. (6th) 1, [2015] O.J. No. 3171 (QL), 2015 CarswellOnt 8987 (WL Can.), qui a confirmé une décision du juge McLean, 2014 ONSC 2432, [2014] O.J. No. 2468 (QL), 2014 CarswellOnt 6888 (WL Can.), qui avait annulé l’acquittement prononcé par le juge Frazer, [2013] O.J. No. 6277 (QL), 2013 CarswellOnt 18815 (WL Can.), et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Pourvoi rejeté, les juges Karakatsanis et Gascon sont dissidents.

                    Trevor Brown et Eric Granger, pour l’appelant.

                    Joan Barrett, pour l’intimée.

                    Mark C. Halfyard et Breana Vandebeek, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).

                    Jasmine T. Akbarali et Stuart A. Zacharias, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.

                    Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Moldaver, Côté et Brown rendu par

[1]                              La Juge en chef — La question en l’espèce est bien circonscrite : Un expert en reconnaissance de drogues (« ERD ») peut‑il témoigner au sujet de la conclusion qu’il tire au terme de sa vérification en vertu du par. 254(3.1)  du Code criminel , L.R.C. 1985, c. C-46 , sans qu’il soit nécessaire de tenir un voir‑dire pour statuer sur son expertise? Je conclus qu’un voir‑dire n’était pas requis dans le cas qui nous occupe. Je rejetterais donc le pourvoi et je confirmerais l’ordonnance de la Cour d’appel de l’Ontario intimant la tenue d’un nouveau procès.

I.               Faits

[2]                              On a vu l’appelant, Carson Bingley, conduire de façon irrégulière, entrer dans un stationnement et heurter un véhicule. La police a été appelée. À son arrivée, l’agente Jennifer Tennant a interrogé M. Bingley. Elle a témoigné qu’il avait les yeux [traduction] « vitreux » et injectés de sang, qu’il trébuchait et qu’il n’arrivait pas à articuler. Elle lui a fait subir un alcootest, lequel a donné des résultats non incriminants. L’agente Tennant lui a alors intimé de se soumettre sur place à un test de sobriété. L’agent Tommy Jellinek, un ERD certifié sous le régime du Code criminel , a fait passer à M. Bingley le test de sobriété normalisé. Ce dernier a échoué au test, et a été arrêté pour conduite avec les facultés affaiblies par l’effet d’une drogue. L’agent Jellinek a conduit M. Bingley à un poste de police et a effectué une évaluation en reconnaissance de drogues. Durant l’évaluation, M. Bingley a admis avoir fumé de la marijuana (cannabis) et avoir pris deux Xanax (alprazolam) dans les 12 heures précédentes. L’agent Jellinek a conclu que M. Bingley avait les facultés affaiblies par une drogue. Vu sa conclusion, il a ordonné une analyse d’urine en vertu du par. 254(3.4), laquelle a révélé la présence de cannabis, de cocaïne et d’alprazolam.

[3]                              Au procès, le ministère public a fait témoigner l’agent Jellinek pour qu’il explique les résultats de son évaluation en reconnaissance de drogues, afin de prouver l’affaiblissement des facultés de M. Bingley. Invoquant le par. 254(3.1)  du Code criminel  comme fondement de l’admissibilité du témoignage de l’agent Jellinek, le ministère public a soutenu qu’aucun voir‑dire n’était requis.

II.            Dispositions législatives pertinentes

[4]                              Les paragraphes pertinents de l’art. 254  du Code criminel  sont les suivants :

                    Évaluation

                    (3.1) L’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu’une personne est en train de commettre, ou a commis au cours des trois heures précédentes, une infraction prévue à l’alinéa 253(1)a) par suite de l’absorption d’une drogue ou d’une combinaison d’alcool et de drogue peut, à condition de le faire dans les meilleurs délais, lui ordonner de se soumettre dans les meilleurs délais à une évaluation afin que l’agent évaluateur vérifie si sa capacité de conduire un véhicule à moteur, un bateau, un aéronef ou du matériel ferroviaire est affaiblie par suite d’une telle absorption, et de le suivre afin qu’il soit procédé à cette évaluation.

. . .

                    Prélèvement de substances corporelles

                    (3.4) Une fois l’évaluation de la personne complétée, l’agent évaluateur qui a, sur le fondement de cette évaluation, des motifs raisonnables de croire que la capacité de celle‑ci de conduire un véhicule à moteur, un bateau, un aéronef ou du matériel ferroviaire est affaiblie par l’effet d’une drogue ou par l’effet combiné de l’alcool et d’une drogue peut, à condition de le faire dans les meilleurs délais, lui ordonner de se soumettre dans les meilleurs délais aux mesures suivantes :

a) soit le prélèvement de l’échantillon de liquide buccal ou d’urine qui, de l’avis de l’agent évaluateur, est nécessaire à une analyse convenable permettant de déterminer la présence d’une drogue dans son organisme;

b) soit le prélèvement des échantillons de sang qui, de l’avis du technicien ou du médecin qualifiés qui effectuent le prélèvement, sont nécessaires à une analyse convenable permettant de déterminer la présence d’une drogue dans son organisme.

III.          Jugements des instances inférieures

[5]                              Le juge qui a présidé le premier procès a, sans au préalable tenir de voir‑dire, permis à l’agent Jellinek de témoigner comme expert relativement aux résultats de l’évaluation en reconnaissance de drogues, mais il a acquitté M. Bingley. En appel, l’acquittement a été annulé et un nouveau procès a été ordonné (2012 ONSC 1186). Le ministère public a tenté une fois de plus de faire admettre le témoignage de l’agent Jellinek sur la base du par. 254(3.1). Au second procès, le juge a conclu que le par. 254(3.1) ne prévoyait pas l’admissibilité automatique du témoignage de l’agent Jellinek. Il s’est ensuite demandé si ce témoignage était admissible à titre de témoignage d’opinion d’un expert suivant l’arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9. À son avis, l’agent Jellinek ne pouvait pas être reconnu comme expert, car il n’avait pas de formation sur les principes scientifiques à la base de la procédure de reconnaissance de drogues. Il a aussi conclu que ce témoignage ne constituait pas une opinion de profane admissible. Il a acquitté M. Bingley. Le ministère public a interjeté appel avec succès du deuxième acquittement. Le juge d’appel des poursuites sommaires a statué que le par. 254(3.1) rendait l’opinion de l’ERD automatiquement admissible et que, de toute façon, il s’agissait d’une opinion de profane admissible (2014 ONSC 2432).

[6]                              La Cour d’appel a conclu que le témoignage d’opinion de l’agent Jellinek était admissible sans voir‑dire. Le paragraphe 254(3.1) permet à un ERD de « vérifie[r] » si les facultés d’une personne sont affaiblies par l’effet d’une drogue ou d’une combinaison de drogues et d’alcool. De l’avis de la cour, il est implicite que la conclusion tirée au terme de cette vérification est automatiquement admissible en tant que témoignage d’opinion. Le Parlement a créé un régime détaillé et s’est assuré de la validité des assises scientifiques de l’évaluation en reconnaissance de drogues prescrite par le Règlement sur l’évaluation des facultés de conduite (drogues et alcool), DORS/2008‑196 (« Règlement »); cela suffit pour établir l’admissibilité de cette preuve. La Cour d’appel a donc ordonné un nouveau procès (2015 ONCA 439, 126 O.R. (3d) 525).

IV.         Questions en litige

[7]                              L’admissibilité du témoignage d’opinion de l’agent Jellinek dépend de la réponse à trois questions. Premièrement, le par. 254(3.1)  du Code criminel  prévoit‑il l’admissibilité automatique du témoignage d’opinion de l’ERD? Deuxièmement, si ce n’est pas le cas, le témoignage de l’agent Jellinek est‑il admissible en tant que témoignage d’opinion d’un expert suivant les règles de preuve en common law? Troisièmement, s’il ne constitue pas un témoignage d’opinion d’expert admissible, le témoignage de l’agent Jellinek est‑il admissible à titre de témoignage d’opinion d’un profane?

V.            Analyse

[8]                              Le fait de conduire avec les facultés affaiblies par la drogue constitue un acte dangereux et malheureusement fréquent, qui est prohibé par le Code criminel . Le législateur fédéral a établi il y a longtemps un régime visant à faire respecter les dispositions interdisant la conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool, régime au centre duquel se trouvent l’alcootest et le certificat de l’analyste. L’application de l’infraction de conduite avec les facultés affaiblies par l’effet d’une drogue s’est toutefois révélée plus difficile.

[9]                              Pour répondre au besoin de faire respecter la loi à cet égard, le législateur a instauré en 2008 un régime qui permet de vérifier si la capacité d’un conducteur est affaiblie par une drogue. La pièce maîtresse de ce régime est une évaluation en 12 étapes établie par le Règlement qui doit être effectuée par des ERD, c’est‑à‑dire des policiers qui ont reçu une formation et une attestation spéciales[1]. Le paragraphe 254(3.1)  du Code criminel  confère pour la première fois aux responsables de l’application de la loi le pouvoir d’obliger une personne à se soumettre à une évaluation en reconnaissance de drogues lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle a conduit avec les facultés affaiblies par l’effet de drogues ou d’une combinaison de drogues et d’alcool. Si, après l’évaluation en 12 étapes, l’ERD a des motifs raisonnables de croire que cette personne a les facultés affaiblies par une drogue, le par. 254(3.4) autorise les policiers à faire prélever des échantillons de liquide buccal, d’urine ou de sang de cette personne pour vérifier si des drogues sont bel et bien présentes dans son organisme.

[10]                          Le ministère public soutient que le par. 254(3.1) a supplanté la common law et que la conclusion tirée par l’ERD au terme de sa vérification est admissible au procès contre l’accusé comme preuve de l’affaiblissement de ses facultés par l’effet d’une drogue. Pour sa part, M. Bingley fait valoir que cette conclusion n’est admissible que si l’ERD est reconnu comme expert au terme d’un voir‑dire, conformément à l’arrêt Mohan. En bref, la question centrale en l’espèce est de savoir si le par. 254(3.1) rend automatiquement admissible le témoignage d’opinion de l’ERD (la thèse du ministère public), ou si, comme l’exige la common law suivant l’arrêt Mohan, une audience spéciale est requise pour décider de l’admissibilité de cette preuve (la thèse de M. Bingley). Subsidiairement, le ministère public prétend que le témoignage de l’agent Jellinek devrait être admis à titre d’opinion donnée par un profane.

A.            Les règles de preuve en common law ont‑elles été écartées?

[11]                          Les règles de common law, notamment les règles de preuve, ne peuvent être écartées que par un texte clair et sans équivoque (voir Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1077; Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157, par. 39; Heritage Capital Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 19, [2016] 1 R.C.S. 306, par. 29‑30). Le ministère public soutient que le verbe « vérifie » au par. 254(3.1) est suffisamment clair pour produire cet effet. Je ne suis pas d’accord. Dans le cadre de l’application du par. 254(3.1), l’ERD est appelé à se faire une opinion sur la question de savoir si la capacité d’une personne est affaiblie par une drogue. Il ne s’ensuit pas que cette opinion sera automatiquement admissible au procès.

[12]                          L’objet du par. 254(3.1) confirme que l’opinion de l’ERD n’est pas automatiquement admissible au procès. Le paragraphe 254(3.1) fournit aux policiers des outils d’enquête leur permettant de faire respecter les dispositions interdisant la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue. Il ne précise pas si les éléments de preuve obtenus grâce à ces outils seront admissibles au procès. Lorsque le législateur entend rendre une preuve automatiquement admissible, il le dit expressément (voir p. ex. les par. 723(5) (preuve par ouï‑dire) et 729(1) (certificat de l’analyste en cas de manquement à une ordonnance de sursis) du Code criminel ). Comme le par. 254(3.1) ne traite pas de l’admissibilité des éléments de preuve recueillis, les règles de preuve en common law s’appliquent.

B.            Le témoignage constitue‑t‑il une opinion d’expert admissible?

[13]                          Le cadre légal moderne régissant l’admissibilité du témoignage d’opinion d’un expert a été énoncé dans Mohan et clarifié dans White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182. Ce cadre permet de parer aux dangers du témoignage d’expert. Il fait en sorte que le procès ne se transforme pas en un « procès instruit par des experts » et que le juge des faits demeure capable de faire un examen critique de la preuve (voir White Burgess, par. 17‑18). Le juge du procès agit comme gardien du processus judiciaire et veille à ce que les témoignages d’expert viennent renforcer, plutôt que fausser, le processus de détermination des faits.

[14]                          L’analyse du témoignage d’expert se divise en deux étapes. Premièrement, celui‑ci doit satisfaire aux quatre critères énoncés dans l’arrêt Mohan : (1) pertinence, (2) nécessité, (3) absence de toute règle d’exclusion et (4) expertise particulière. Deuxièmement, le juge du procès doit soupeser les risques éventuels et les avantages que présente l’admission du témoignage (White Burgess, par. 24).

[15]                          Si, à la première étape de l’analyse, le témoignage ne satisfait pas aux critères établis dans Mohan, il ne devrait pas être admis. Le témoignage doit être logiquement pertinent à l’égard d’un fait en cause (R. c. Abbey, 2009 ONCA 624, 97 O.R. (3d) 330, par. 82; R. c. J.‑L.J., 2000 CSC 51, [2000] 2 R.C.S. 600, par. 47). Il doit être nécessaire « pour permettre au juge des faits d’apprécier les questions en litige » en lui fournissant des renseignements qui dépassent son expérience et ses connaissances (Mohan, p. 23; R. c. D.D., 2000 CSC 43, [2000] 2 R.C.S. 275, par. 57). Un témoignage d’opinion qui respecte par ailleurs les exigences de l’arrêt Mohan sera inadmissible si une autre règle d’exclusion s’applique (Mohan, p. 25). Un tel témoignage doit être donné par un témoin qui possède des connaissances spéciales ou une expertise particulière (Mohan, p. 25). Dans le cas d’une opinion fondée sur une théorie ou technique scientifique nouvelle, les principes scientifiques sur lesquels repose l’opinion doivent également respecter un degré minimal de fiabilité (White Burgess, par. 23; Mohan, p. 25).

[16]                          À la deuxième étape de l’analyse, le juge du procès conserve le pouvoir discrétionnaire d’exclure un témoignage qui satisfait aux critères minimaux d’admissibilité si les risques de son admission l’emportent sur ses avantages. Bien que cette seconde étape ait été décrite de nombreuses façons, il vaut mieux la considérer comme une application de la règle générale d’exclusion : le juge du procès doit déterminer si les avantages de son admission l’emportent sur le préjudice potentiel pour le procès (Abbey, par. 76). Lorsque l’effet préjudiciable du témoignage d’opinion d’un expert l’emporte sur sa valeur probante, ce témoignage devrait être exclu (Mohan, p. 21; White Burgess, par. 19 et 24).

[17]                          L’analyse relative à l’admissibilité de l’opinion d’un expert ne saurait être [traduction] « effectuée dans l’abstrait » (Abbey, par. 62). Avant d’appliquer le cadre d’analyse en deux étapes, le juge du procès doit déterminer la nature et la portée de l’opinion d’expert proposée, laquelle doit être soigneusement circonscrite afin de réduire le risque de viciation du procès (voir Abbey, par. 62; R. c. Sekhon, 2014 CSC 15, [2014] 1 R.C.S. 272, par. 46).

[18]                          La seule question à résoudre en l’espèce consiste à déterminer si, comme l’exige le quatrième critère de l’arrêt Mohan, l’agent Jellinek possède une expertise particulière. M. Bingley concède que le témoignage proposé est logiquement pertinent, qu’il est nécessaire et qu’il n’est assujetti à aucune autre règle d’exclusion. Il ne soutient pas non plus que le témoignage devrait être exclu parce que son effet préjudiciable l’emporte sur sa valeur probante. Au vu des faits de l’espèce, ces concessions s’imposaient.

[19]                          Suivant l’exigence minimale relative à l’expertise d’un témoin expert, celui‑ci doit posséder une expertise qui dépasse l’expérience et les connaissances du juge des faits. La question est de savoir si l’agent Jellinek, l’ERD concerné en l’espèce, remplissait cette exigence. Je suis d’avis que oui.

[20]                          L’ERD est, comme l’indique son titre au long, un « expert en reconnaissance de drogues », certifié comme tel pour l’application du régime. Il n’est pas contesté que celui‑ci reçoit une formation spéciale sur la façon d’effectuer l’évaluation en 12 étapes en reconnaissance de drogues et sur les inférences susceptibles d’être tirées des données factuelles qu’il constate. C’est à cette fin limitée qu’un ERD peut assister le tribunal en produisant un témoignage d’opinion à titre d’expert.

[21]                          Bien que l’évaluation en 12 étapes de l’ERD vise certainement à appuyer l’enquête policière, la façon dont celle‑ci est effectuée et la conclusion d’affaiblissement des facultés qui peut en découler constituent une preuve pertinente susceptible d’aider le juge des faits. L’opinion de l’ERD repose sur sa formation spécialisée et son expérience dans la conduite de l’évaluation. Du fait de cette formation et de cette expérience, tous les ERD possèdent indubitablement une expertise qui dépasse l’expérience et les connaissances du juge des faits lorsqu’il s’agit de vérifier si la capacité d’une personne est affaiblie par une drogue.

[22]                          Le bien‑fondé de cette conclusion n’est pas contredit par le fait qu’un ERD n’a pas de formation sur les principes scientifiques à la base de l’évaluation en 12 étapes. Le critère applicable pour reconnaître l’expertise exige simplement que l’intéressé possède des connaissances qui dépassent l’expérience et les connaissances du juge des faits. La connaissance des principes scientifiques sous‑jacents ne constitue pas une condition préalable à l’admissibilité de l’opinion d’un ERD. L’étendue de l’expertise d’un ERD porte sur la réalisation de l’évaluation en 12 étapes prescrite, et non sur le fondement scientifique de celle‑ci. Le simple fait qu’un témoin expert n’ait pas de formation sur les principes scientifiques sous‑jacents ne l’empêche pas d’assister le tribunal au moyen de ses connaissances spécialisées. La connaissance de ces principes n’est nécessaire que s’il est question d’un domaine scientifique nouveau.

[23]                          Dans son analyse, le juge du procès s’est attaché à la fiabilité des principes scientifiques applicables, et il a conclu que, comme il s’agit d’un domaine scientifique nouveau, le témoignage d’opinion de l’ERD ne pouvait pas être admis sans qu’un témoin ne vienne expliquer la validité scientifique de l’évaluation. L’objet de la règle spéciale applicable à l’égard d’une preuve scientifique nouvelle est de faire en sorte que la fiabilité de la technique ou de la procédure utilisée pour former l’opinion soit établie par la jurisprudence, la preuve ou la loi.

[24]                          En l’espèce, la fiabilité de l’évaluation en 12 étapes découle du régime législatif lui‑même. Le législateur a décidé que, si elle est effectuée par un ERD qualifié, cette évaluation constitue une preuve de l’affaiblissement des facultés par l’effet d’une drogue. Elle peut ne pas être concluante, mais il s’agit d’une preuve qui dépasse l’expérience et les connaissances du juge des faits.

[25]                          Ma collègue conclut que, comme l’admissibilité en preuve du témoignage d’opinion de l’ERD n’est pas « indiqu[ée] clairement » au par. 254(3.1) et dans le Règlement, la fiabilité doit être établie autrement. Je ne suis pas de cet avis. Il est vrai que le par. 254(3.1) et le Règlement n’énoncent pas l’admissibilité automatique d’un tel témoignage. Mais cela ne met pas fin à l’analyse. Le Règlement établit un cadre d’évaluation uniforme que l’ERD doit suivre afin de tirer une conclusion sur l’affaiblissement des facultés par l’effet d’une drogue pour l’application du par. 254(3.1). Le législateur a le pouvoir d’instaurer un tel cadre, et, ce faisant, de décréter que l’évaluation en 12 étapes en reconnaissance de drogues est suffisamment fiable pour permettre de déterminer s’il y a affaiblissement des facultés. Aucune autre évaluation de la fiabilité des étapes prescrites par le Règlement n’est requise. Pour remettre en question l’efficacité fondamentale de l’évaluation, il faudrait remettre en question le régime législatif lui‑même.

[26]                          Contrairement à ce que suggère ma collègue, permettre à l’ERD de donner un témoignage d’opinion pertinent qui dépasse l’expérience et les connaissances du juge des faits ne constitue pas « une reconnaissance sans réserve des principes scientifiques » sur lesquels repose l’évaluation en 12 étapes en reconnaissance de drogues (par. 46). La fiabilité ne s’apprécie pas dans l’abstrait. Le législateur a considéré, au moyen du Règlement, que cette procédure est suffisamment fiable pour permettre à l’ERD de déterminer s’il y a affaiblissement des facultés pour l’application du par. 254(3.1). Le domaine d’expertise de l’ERD se limite à cette détermination, et c’est uniquement pour lui permettre de procéder à celle‑ci que le législateur a reconnu la fiabilité de l’évaluation en 12 étapes en reconnaissance de drogues.

[27]                          M. Bingley a concédé que toutes les exigences de l’arrêt Mohan autres que celle relative à l’expertise particulière avaient été remplies, et ne soutient pas que le témoignage devrait être exclu à la deuxième étape de l’analyse relative à l’admissibilité. Le législateur a fixé l’expertise requise. Il s’ensuit que le témoignage de l’ERD est admissible en l’espèce. Autrement dit, le seul objectif d’un voir‑dire dans la présente affaire consisterait à déterminer si l’agent Jellinek possède une expertise supérieure à celle d’une personne ordinaire. Normalement, le juge tranche cette question en s’appuyant sur la preuve présentée au voir‑dire. Toutefois, le par. 254(3.1) et le régime législatif et réglementaire qui l’accompagne satisfont de façon concluante à l’exigence relative à l’expertise. En effet, la fonction d’ERD créée par le législateur requiert du titulaire qu’il possède une expertise particulière dépassant l’expérience et les connaissances du juge des faits. Cette personne est donc un expert pour ce qui est d’effectuer l’évaluation en 12 étapes et de déterminer si celle‑ci indique un affaiblissement des facultés par l’effet d’une drogue pour l’application du par. 254(3.1). Son expertise a été établie de façon concluante et irréfragable par le législateur.

[28]                          Ce constat oblige à tirer la conclusion suivante. En l’espèce, la présence de tous les critères d’admissibilité énoncés dans l’arrêt Mohan est établie. Lorsqu’il est clair que toutes les exigences d’une règle de common law en matière d’admissibilité sont respectées (les quatre critères d’admissibilité de l’arrêt Mohan sont respectés et il ne fait aucun doute que la valeur probante du témoignage l’emporte sur son effet préjudiciable), le juge du procès n’est pas obligé de tenir un voir‑dire pour statuer sur l’admissibilité de la preuve. Exiger la tenue d’un voir‑dire serait inutile, voire absurde, sans compter qu’une telle exigence constituerait également un gaspillage de ressources judiciaires.

[29]                          Il est important de rappeler que la conclusion formulée par l’ERD en vertu du par. 254(3.1) résulte de l’évaluation prescrite que celui‑ci a effectuée. Il s’agit là de la seule expertise reconnue à l’ERD. Le juge du procès a « l’obligation de toujours faire en sorte que le témoignage de l’expert respecte les limites établies » (Sekhon, par. 46). Si on sollicite d’un ERD des opinions qui débordent son champ d’expertise, il pourrait alors être nécessaire de tenir à cet égard un voir‑dire conformément à l’arrêt Mohan.

[30]                          Le cadre législatif ne compromet pas le rôle important que joue le juge du procès en tant que gardien du processus judiciaire, chargé de veiller à ce que celui‑ci ne soit pas faussé par un témoignage d’opinion irrégulier donné par un expert. Le juge du procès conserve en tout temps le pouvoir discrétionnaire résiduel d’exclure une preuve si son effet préjudiciable l’emporte sur sa valeur probante. Les limites du témoignage d’opinion de l’ERD, par exemple l’absence d’une approche uniforme en matière de pondération des différents éléments du test administré afin d’arriver à une conclusion, peuvent avoir une incidence sur la valeur probante d’un tel témoignage. Il peut arriver que l’ERD soit incapable d’expliquer comment il a tiré sa conclusion sur le fondement de l’évaluation en 12 étapes. Si la valeur probante du témoignage d’un ERD donné est réduite à un point tel que le préjudice potentiel pour le procès de l’admission de ce témoignage l’emporte sur ses avantages, le juge du procès conserve le pouvoir discrétionnaire d’exclure cette preuve. Je rappelle ici que l’analyse doit être centrée sur la réalisation de l’évaluation par l’ERD, et non sur la fiabilité des étapes qui la composent, étapes qui sont prescrites par le législateur.

[31]                          Il est également important de souligner que la conclusion de l’ERD n’est pas décisive quant à la question fondamentale de savoir si l’accusé conduisait avec les facultés affaiblies par une drogue. La tâche de l’ERD consiste à déterminer si l’évaluation indique un affaiblissement des facultés par l’effet d’une drogue. Son témoignage ne permet pas de préjuger de la réponse à la question ultime, à savoir la culpabilité ou l’innocence; il constitue simplement un des éléments que doit prendre en considération le juge ou le jury.

[32]                          Le fait que la fiabilité de l’évaluation en 12 étapes en reconnaissance de drogues ait été établie par voie législative ne nuit pas à la capacité du juge des faits de faire un examen critique de la conclusion d’affaiblissement des facultés tirée par un ERD ou au droit de l’accusé de contester cette preuve. Il est possible que le contre‑interrogatoire de l’ERD ébranle sa conclusion. L’existence d’une preuve de partialité pourrait soulever des doutes quant à la conclusion de l’agent. Il se peut que celui‑ci n’ait pas effectué l’évaluation en reconnaissance de drogues en conformité avec la formation qu’il a reçue. Un ERD peut tirer des inférences douteuses à partir de ses observations. La preuve obtenue au moyen des échantillons de substances corporelles recueillis en vertu du par. 254(3.4) peut réfuter l’évaluation de l’ERD, tout comme la preuve d’autres experts ou témoins visuels. Il appartiendra toujours au juge des faits de déterminer le poids qu’il convient d’accorder au témoignage d’opinion d’un ERD. Le poids accordé à ce témoignage devra nécessairement respecter l’étendue de l’expertise de l’ERD et le fait qu’il n’établit pas de façon concluante l’affaiblissement des facultés.

[33]                          Le juge du procès a conclu à juste titre que l’ERD concerné en l’espèce était un expert apte à procéder à l’évaluation en 12 étapes et à vérifier si M. Bingley conduisait avec les facultés affaiblies, en vue de lui ordonner de se soumettre à des analyses plus poussées. Il a toutefois eu tort de conclure que, parce que l’agent n’était pas un expert à l’égard des assises scientifiques des divers éléments de l’évaluation en question, aucune partie de son témoignage d’opinion n’était admissible. L’ERD n’est pas un expert des assises scientifiques de l’évaluation, mais plutôt dans l’accomplissement de l’évaluation elle‑même. Comme les autres critères d’admissibilité ne sont pas en cause, le témoignage d’opinion de l’agent Jellinek aurait dû être admis.

C.            Témoignage d’opinion d’un profane

[34]                          Vu ma conclusion selon laquelle le témoignage d’opinion de l’agent Jellinek est admissible en l’espèce, il n’est pas nécessaire de se demander si cette preuve pourrait également être admissible à titre d’opinion de profane. Je dirai uniquement ceci : l’agent Jellinek a formé son opinion en mettant à profit sa formation spécialisée et son expérience dans l’exécution d’une évaluation en reconnaissance de drogues prescrite. Dans ces circonstances, son témoignage ne saurait être qualifié d’opinion de profane.

VI.         Conclusion

[35]                          Je rejetterais le pourvoi et je confirmerais l’ordonnance intimant la tenue d’un nouveau procès.

                    Version française des motifs des juges Karakatsanis et Gascon rendus par

                    La juge Karakatsanis (dissidente)

I.               Aperçu

[36]                          Le témoignage d’opinion d’un expert peut fournir aux juges et aux jurys des connaissances importantes, et parfois essentielles. Il est toutefois aussi susceptible de compliquer le processus judiciaire et de fausser la fonction de recherche de la vérité du tribunal. Dans les pires situations, des témoignages d’expert douteux ont contribué au prononcé de déclarations de culpabilité injustifiées. Pour parer à ces dangers, la common law a élaboré, à partir de celui énoncé à l’origine dans l’arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, un cadre d’analyse visant à faire en sorte que les risques de l’admission d’un témoignage d’expert ne l’emportent pas sur ses avantages.

[37]                          Je souscris à l’opinion de la Juge en chef à plusieurs égards. Tout comme elle, je ne crois pas que le par. 254(3.1)  du Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46 , ait écarté l’exigence ordinaire de la common law selon laquelle il faut tenir un voir‑dire pour statuer sur l’admissibilité de l’opinion d’un expert. Je suis également d’accord avec elle pour dire qu’en tant que gardien du processus judiciaire, le juge du procès doit déterminer si l’opinion devrait être admise suivant les critères de l’arrêt Mohan. Enfin, je conviens avec la Juge en chef que l’expert en reconnaissance de drogues (ERD) est un expert uniquement pour ce qui est d’effectuer l’évaluation en 12 étapes prescrite. Dans ce sens limité, celui‑ci possède une expertise qui dépasse les connaissances ordinaires du juge des faits.

[38]                          Je ne peux toutefois accepter que le législateur fédéral ait prévu que, dans les cas où elle est bien effectuée, l’évaluation en 12 étapes est suffisamment fiable pour être admise au procès comme preuve de l’affaiblissement des facultés par l’effet d’une drogue. À mon avis, il était loisible au juge du procès de refuser d’admettre l’opinion proposée en l’absence d’une preuve de la fiabilité et de la validité des assises scientifiques de l’évaluation en 12 étapes.

[39]                          Comme le soutient le ministère public, les évaluations réalisées par des ERD conformément au par. 254(3.1)  du Code criminel  reposent sur des bases scientifiques. Comme l’a reconnu l’ERD en l’espèce en contre‑interrogatoire, la fiabilité de son opinion dépend de la validité des divers tests applicables et de la fiabilité des inférences qu’on lui a enseigné à tirer à partir des résultats obtenus. De nombreux [traduction] « indices » et « signes » sur lesquels se fonde l’ERD pour tirer sa conclusion globale n’indiqueraient pas manifestement un affaiblissement des facultés aux yeux du profane. Des tests comme celui du nystagmus du regard horizontal ou l’examen de la capacité des yeux à converger, qui consistent à chercher des irrégularités dans le mouvement des yeux, ne constituent des indicateurs fiables d’un affaiblissement des facultés par l’effet d’une drogue que si les principes scientifiques sur lesquels ils reposent sont valides.

[40]                          Le législateur a reconnu la fiabilité de l’évaluation en 12 étapes en vue de fournir un outil d’enquête, et non un raccourci en matière de preuve au procès. S’il est incapable de vérifier la fiabilité du fondement scientifique de l’évaluation, le juge du procès — dans son rôle de gardien du processus judiciaire — ne sera pas en mesure d’apprécier la valeur probante d’une telle preuve, et le juge des faits sera incapable de déterminer le poids à y accorder. À mon avis, les tribunaux conservent le pouvoir discrétionnaire d’exiger une confirmation — par la preuve ou la jurisprudence — que les assises scientifiques des évaluations des ERD présentent le niveau de fiabilité nécessaire avant de pouvoir admettre une telle évaluation en preuve au procès. J’accueillerais le pourvoi et je rétablirais l’acquittement.

II.            Analyse

A.            Les critères de l’arrêt Mohan

[41]                          Un témoignage d’expert fondé sur des principes scientifiques nouveaux ou sur des principes scientifiques utilisés à des fins nouvelles doit être soigneusement examiné (Mohan, p. 25; R. c. J.‑L.J., 2000 CSC 51, [2000] 2 R.C.S. 600, par. 33 et 35‑36). Une telle preuve doit satisfaire à un degré minimal de fiabilité avant de pouvoir être admise (Mohan, p. 25). La prudence est de mise, car il peut être difficile pour le juge des faits d’évaluer d’une manière efficace les faiblesses d’un témoignage d’expert. Le juge Sopinka a fait la mise en garde suivante dans l’arrêt Mohan, p. 21 :

                    Exprimée en des termes scientifiques que le jury ne comprend pas bien et présentée par un témoin aux qualifications impressionnantes, cette preuve est susceptible d’être considérée par le jury comme étant pratiquement infaillible et comme ayant plus de poids qu’elle ne le mérite.

[42]                          Des techniques scientifiques peuvent être considérées nouvelles même lorsque leur utilisation est bien établie en dehors de la salle d’audience (J.‑L.J., par. 35). Des techniques qui sont suffisamment fiables pour une fin donnée — par exemple mesurer des améliorations en contexte thérapeutique — peuvent néanmoins ne pas l’être suffisamment pour servir d’outil diagnostique dans une procédure judiciaire (ibid.; R. c. Trochym, 2007 CSC 6, [2007] 1 R.C.S. 239, par. 37).

[43]                          Pour pouvoir admettre en preuve une opinion d’expert fondée sur des techniques ou des connaissances scientifiques, le juge de première instance doit avoir l’assurance que les principes scientifiques sous‑jacents sont suffisamment fiables. Lorsque le recours à ces principes dans des procédures judiciaires est bien établi, le juge disposera souvent de précédents où des éléments de preuve fondés sur ces principes ont déjà été déclarés admissibles (Trochym, par. 31). En revanche, le degré minimal de fiabilité requis d’un témoignage fondé sur des principes scientifiques nouveaux doit être établi dans le cadre d’un voir‑dire, parce que la fiabilité et la validité des prémisses sur lesquels ceux‑ci reposent ne sauraient être présumées.

B.            Le régime législatif dans lequel s’inscrit l’ERD

[44]                          Tout comme la Juge en chef, j’estime que les tribunaux doivent examiner soigneusement les opinions fondées sur des principes scientifiques nouveaux afin de s’assurer que la fiabilité de ces principes est reconnue par la jurisprudence, la preuve ou la loi. Je ne peux cependant pas conclure que le régime législatif comporte une telle reconnaissance en ce qui concerne l’évaluation en 12 étapes.

[45]                          À l’instar de la Juge en chef, je suis d’avis que le par. 254(3.1) a pour objet de fournir aux policiers d’autres outils d’enquête visant à faire respecter les dispositions interdisant la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue. Interprétée en corrélation avec le par. 254(3.4), cette disposition autorise une évaluation susceptible de fournir à l’ERD des motifs raisonnables, et le pouvoir, de demander un échantillon de liquide organique pour permettre de réaliser « une analyse convenable ».

[46]                          De toute évidence, le législateur considère que les évaluations des ERD sont suffisamment fiables pour les besoins de ce genre d’enquête. Cependant, je demeure profondément mal à l’aise avec l’idée de reconnaître une portée plus grande à ce régime — qui vise à la base à accroître les outils d’enquête à la disposition des policiers — en considérant qu’il comporte une reconnaissance sans réserve des principes scientifiques sous‑jacents lorsque le ministère public cherche à introduire l’évaluation d’un ERD en preuve devant un tribunal. 

[47]                          Ce ne sont pas toutes les opinions formées par des experts sur le fondement d’outils d’enquête policière valables qui sont admissibles en preuve. Les éléments de preuve obtenus par polygraphe, par exemple, ne sont pas admissibles (R. c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398, p. 416‑419). Même s’il est reconnu qu’ils sont loin d’être infaillibles, les tests polygraphiques demeurent des outils d’enquête policière valables (R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3, par. 95 et 100).

[48]                          Les préoccupations quant à la fiabilité des principes scientifiques sous‑jacents s’accentuent particulièrement lorsque, comme en l’espèce, le fondement scientifique n’est pas évident et que le témoignage d’expert proposé porte sur des éléments‑clés du crime reproché à l’accusé devant le tribunal. Bien que l’admission en preuve d’opinions portant sur la question fondamentale que doit trancher le juge des faits ne fasse plus l’objet d’une interdiction absolue, plus le témoignage d’expert tend à répondre à cette question fondamentale, plus il est important de l’examiner soigneusement (Mohan, p. 25; J.‑L.J., par. 37).

[49]                          En conséquence, en l’absence d’un texte législatif indiquant clairement que les évaluations des ERD sont admissibles en preuve, le degré minimal de fiabilité des tests effectués doit être établi soit par voie jurisprudentielle, soit au moyen d’éléments de preuve dans le cadre d’un voir‑dire.

[50]                          Même des éléments de preuve par ailleurs admissibles peuvent être exclus à la deuxième étape de l’analyse, étape où le juge du procès exerce son pouvoir discrétionnaire en tant que gardien du processus judiciaire, et évalue les avantages et les risques éventuels que présente l’admission au procès du témoignage d’expert proposé avant d’admettre ce témoignage (White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182, par. 24). « [L]a pertinence, la fiabilité et la nécessité » du témoignage doivent être évaluées par rapport « au délai, au préjudice, à la confusion qui peuvent [en] résulter » (J.‑L.J., par. 47).

[51]                          Pour apprécier la valeur probante du témoignage, il faut nécessairement évaluer la fiabilité des principes scientifiques sur lesquels il repose (Trochym, par. 28). En l’absence d’éléments de preuve relatifs aux principes scientifiques concernés, ou de possibilité de contre‑interroger l’expert sur ceux‑ci, comment le juge — dans son rôle de gardien du processus judiciaire — peut‑il effectuer un examen critique de la valeur probante de cette preuve au regard du préjudice qui pourrait éventuellement en découler, afin de s’assurer que celle‑ci vienne renforcer, plutôt que fausser, le processus de recherche des faits? (Voir White Burgess, par. 17‑18.)

[52]                          De plus, s’il est impossible de vérifier le fondement scientifique de l’évaluation, comment le juge des faits déterminera‑t‑il ultimement le poids à lui accorder? Cette preuve peut être hautement préjudiciable. À titre d’exemple, dans le contexte d’un procès pour conduite avec facultés affaiblies ayant causé la mort tenu devant jury, il existe un véritable danger que l’opinion exprimée par un policier certifié comme « expert en reconnaissance de drogues » sur la question de savoir si l’accusé avait les facultés affaiblies par une drogue se voie accorder un poids démesuré.

[53]                          Le contre‑interrogatoire de l’ERD n’aide pas non plus concrètement à comprendre la valeur probante d’une telle preuve et le poids de l’inférence qui devrait être tirée de l’opinion de l’ERD. En effet, comme le domaine d’expertise de cet expert se limite à la réalisation de l’évaluation prescrite et ne s’étend pas aux connaissances scientifiques nécessaires pour expliquer l’efficacité de celle‑ci, il est peu probable que le contre‑interrogatoire de cette personne permette au juge des faits de comprendre véritablement le poids qui devrait être accordé à cette preuve.

[54]                          L’accusé a le droit de contester la solidité de la preuve présentée contre lui. Dans le cas d’une accusation de conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool, l’al. 258(1) c) du Code criminel  énonce clairement que les résultats des analyses des échantillons d’haleine font « foi de façon concluante » de l’alcoolémie de l’accusé (pourvu que certaines conditions préalables soient respectées). Comme il n’existe pas de disposition équivalente pour les conclusions tirées par un ERD, l’accusé ne devrait pas avoir à soulever une contestation constitutionnelle pour remettre en cause la force probante de l’évaluation en 12 étapes.

[55]                          La Juge en chef reconnaît que le législateur n’a pas écarté la règle de common law exigeant la tenue d’un voir‑dire sur l’admissibilité d’un témoignage d’expert. L’une des raisons importantes justifiant l’existence de cette règle est la suivante : faire en sorte que toute preuve scientifique nouvelle sur laquelle se fonde l’opinion de l’expert soit fiable. Or, dans ses motifs, ma collègue écarte tout examen de la fiabilité et de la validité de l’évaluation en 12 étapes, mettant à l’écart par le fait même une garantie importante de notre règle de common law, et ce, en l’absence d’un texte clair en ce sens. Cela se traduit dans les faits par l’admissibilité automatique de l’évaluation dès qu’il a été prouvé qu’elle a été effectuée adéquatement. À mon avis, il n’y a aucune indication claire qu’il s’agissait là de l’intention du législateur.

C.            L’insuffisance de la preuve relative à la fiabilité soumise au juge du procès

[56]                          Le ministère public invoque la mention par un témoin, lors d’une audience en comité parlementaire, d’une étude dans laquelle on a conclu que les évaluations menées par les ERD présentent un taux de fiabilité de 98,6 p. 100. Toutefois, lorsqu’un témoignage d’expert reposant sur des principes scientifiques nouveaux est proposé, la fiabilité de ce témoignage est assujettie à une évaluation plus approfondie (voir J.‑L.J., par. 33). Si les techniques d’évaluation sont effectivement très fiables, on peut alors penser, selon moi, que la fiabilité du régime scientifique à la base de ces techniques sera sous peu bien établie dans la jurisprudence et qu’il sera donc rarement nécessaire de tenir un voir‑dire sur ce point. Cependant, nous ne sommes pas encore rendus là.

[57]                          Comme la jurisprudence n’est pas encore bien établie et vu le caractère relativement récent de l’admission de témoignages d’ERD devant les tribunaux canadiens, il était loisible au juge de première instance de considérer le témoignage proposé comme une opinion fondée sur des principes scientifiques nouveaux. Bien que le juge ait reconnu l’expertise spéciale de l’ERD lorsqu’il s’agit d’effectuer l’évaluation en 12 étapes en vue de demander des échantillons de substances corporelles (c.‑à‑d. pour les besoins de l’enquête policière), il a conclu que celui‑ci n’avait pas les compétences nécessaires pour donner son opinion devant le tribunal sur l’affaiblissement des facultés de l’accusé. Il ressort des motifs du juge du procès que ni le degré minimal de fiabilité requis ni le caractère adéquat des compétences de l’agent n’ont fait l’objet de concessions.

[58]                          Étant donné que l’ERD n’avait pas lui‑même reçu de formation sur la fiabilité de l’évaluation en 12 étapes, le ministère public aurait pu faire entendre un expert différent sur cette question. Comme il ne l’a pas fait, la preuve relative à la fiabilité du régime était insuffisante. Le juge du procès pouvait donc exclure l’opinion de l’ERD en ce qui concerne les résultats de son évaluation.

[59]                          À mon avis, la fiabilité des tests ainsi que le pouvoir discrétionnaire du juge de première instance d’exclure la preuve en découlant constituaient des questions fondamentales devant celui‑ci et des questions sur lesquelles notre Cour devait se prononcer. Le juge du procès avait le pouvoir discrétionnaire d’exiger la confirmation — au moyen d’éléments de preuve ou de précédents jurisprudentiels — que les assises scientifiques des évaluations des ERD présentaient le degré minimal de fiabilité nécessaire avant de pouvoir admettre une telle évaluation en preuve au procès.

III.          Conclusion

[60]                          En conséquence, j’accueillerais le pourvoi et je rétablirais l’acquittement.

 

                    Pourvoi rejeté, les juges Karakatsanis et Gascon sont dissidents.

                    Procureurs de l’appelant : Greenspon, Brown & Associates, Ottawa.

                    Procureur de l’intimée : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario) : Rusonik, O’Connor, Robbins, Ross, Gorham & Angelini, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Lerners, Toronto.



[1]   Le Règlement repose sur la procédure établie par l’Association internationale des chefs de police, et l’ERD doit être agréé par cette organisation (Règlement, art. 1). Cette procédure a été mentionnée lors des débats parlementaires ayant mené à l’adoption du par. 254(3.1)  du Code criminel  comme régime à envisager en matière d’évaluation en reconnaissance de drogues (voir Chambre des communes, Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Témoignages, no 72, 1re sess., 39e lég., 30 mai 2007, p. 1‑2; Chambre des communes, Comité législatif chargé du projet de loi C‑2, Témoignages, no 3, 2e sess., 39e lég., 31 octobre 2007, p. 7‑8).

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