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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30, [2017] 1 R.C.S. 591

Appel entendu : 9 décembre 2016

Jugement rendu : 15 juin 2017

Dossier : 36636

 

Entre :

Brent Bish au nom d’Ian Stewart

Appelant

 

et

 

Elk Valley Coal Corporation, Cardinal River Operations et Alberta Human Rights Commission (Tribunal)

Intimées

 

- et -

 

Conseil des Canadiens avec déficiences, Empowerment Council, Construction Owners Association of Alberta, Construction Labour Relations — an Alberta Association, Enform Canada, Electrical Contractors Association of Alberta, L’Association minière du Canada, Mining Association of British Columbia, Ontario Mining Association, Northwest Territories and Nunavut Chamber of Mines, Saskatchewan Mining Association, United Nurses of Alberta, Ontario General Contractors Association, Ontario Formwork Association et Greater Toronto Sewer and Watermain Contractors Association

Intervenants

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 47)

La juge en chef McLachlin (avec l’accord des juges Abella, Karakatsanis, Côté, Brown et Rowe)

 

Motifs conjoints

concordants quant au résultat :

(par. 48 à 57)

Les juges Moldaver et Wagner

 

Motifs dissidents :

(par. 58 à 145)

Le juge Gascon

 

 

 

 


Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30, [2017] 1 R.C.S. 591

Brent Bish au nom d’Ian Stewart                                                                    Appelant

c.

Elk Valley Coal Corporation, Cardinal River Operations et

Alberta Human Rights Commission (Tribunal)                                               Intimées

et

Conseil des Canadiens avec déficiences, Empowerment Council,

Construction Owners Association of Alberta,

Construction Labour Relations — an Alberta Association,

Enform Canada, Electrical Contractors Association

of Alberta, L’Association minière du Canada,

Mining Association of British Columbia,

Ontario Mining Association, Northwest Territories and Nunavut

Chamber of Mines, Saskatchewan Mining Association,

United Nurses of Alberta, Ontario General Contractors

Association, Ontario Formwork Association et Greater

Toronto Sewer and Watermain Contractors Association                         Intervenants

Répertorié : Stewart c. Elk Valley Coal Corp.

2017 CSC 30

No du greffe : 36636.

2016 : 9 décembre; 2017 : 15 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe.

en appel de la cour d’appel de l’alberta

                    Droits de la personne — Pratiques discriminatoires — Discrimination fondée sur une déficience mentale ou physique — Dépendance aux drogues — Politique de l’employeur visant à assurer la sécurité qui oblige les employés à révéler tout problème de dépendance ou d’accoutumance avant qu’un incident lié à la drogue ne survienne — Employé impliqué dans un accident — Obtention par l’employé d’un résultat positif à un test de dépistage de drogues — Employeur congédiant l’employé en vertu de la politique — L’employé a‑t‑il été congédié en raison de sa dépendance ou parce qu’il a violé la politique? — Si le congédiement constitue de la discrimination prima facie, l’employeur s’est‑il acquitté de son obligation de composer avec l’employé tant qu’il n’en résulte pas pour lui une contrainte excessive? — Human Rights, Citizenship and Multiculturalism Act, R.S.A. 2000, c. H‑14, art. 7(1).

                    S travaillait dans une mine exploitée par l’Elk Valley Coal Corporation où il conduisait un camion de transport. Les activités de la mine étaient dangereuses, et le maintien d’un chantier sécuritaire revêtait une grande importance aux yeux de l’employeur et des employés. Pour assurer la sécurité, l’employeur a mis en place une politique qui obligeait les employés à révéler tout problème de dépendance ou d’accoutumance avant qu’un incident lié à la drogue ne survienne. S’ils le faisaient, on leur offrait un traitement. Si, en revanche, ils ne le faisaient pas, étaient mêlés à un incident et obtenaient un résultat positif à un test de dépistage de drogues, ils étaient congédiés.

                    S prenait de la cocaïne pendant ses jours de congé. Il n’a pas dit à son employeur qu’il consommait de la drogue. Quand il a eu un accident avec son camion, il a obtenu un résultat positif à un test de dépistage de drogues, puis a dit croire qu’il souffrait d’une dépendance à la cocaïne. Son employeur l’a congédié. S, par l’entremise de son représentant syndical, soutient qu’il a été congédié en raison de sa dépendance et que cela constitue de la discrimination au sens du par. 7(1) de la Human Rights, Citizenship and Multiculturalism Act de l’Alberta.

                    L’Alberta Human Rights Tribunal a conclu que S avait été congédié non pas en raison de sa dépendance, mais pour avoir violé la politique. La décision du Tribunal a été confirmée par la Cour du Banc de la Reine et la Cour d’appel de l’Alberta.

                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

                    La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Karakatsanis, Côté, Brown et Rowe : La présente affaire concerne l’application de principes établis en matière de discrimination fondée sur une déficience en milieu de travail à une situation factuelle particulière. La nature de la déficience en cause ne modifie pas les principes juridiques à appliquer. Ces questions relevaient du Tribunal et elles commandent la déférence. Il s’agit seulement de savoir si la décision du Tribunal était raisonnable. Si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard de la preuve et du droit, elle est raisonnable.

                    II existait manifestement des éléments de preuve susceptibles d’appuyer la conclusion du Tribunal selon laquelle le motif du congédiement n’était pas la dépendance, mais la violation de la politique. Le Tribunal a conclu, au vu des faits de l’espèce, que S avait la capacité de respecter la politique et qu’il aurait été congédié, qu’il ait été un toxicomane ou un consommateur occasionnel. Il n’était donc pas déraisonnable pour le Tribunal de conclure à l’absence de discrimination prima facie. Bien qu’il soit loisible à un tribunal de conclure qu’une dépendance a constitué un facteur de la distinction préjudiciable, lorsque la preuve appuie pareille conclusion, il ne s’agit manifestement pas de la conclusion du Tribunal. Il a affirmé sans équivoque et à maintes reprises que la dépendance n’avait pas constitué un facteur de la décision de congédier S. Il a aussi rejeté l’argument selon lequel le déni avait empêché S de révéler sa dépendance avant l’accident. S niait peut‑être sa dépendance, mais il savait qu’il ne devait pas prendre de drogue avant de travailler et pouvait décider de ne pas en prendre, en plus d’avoir la faculté de révéler sa consommation de drogue à son employeur. Le déni de sa dépendance n’était donc pas pertinent en l’espèce. Enfin, la conclusion voulant qu’il existe un processus décisionnel stéréotypé ou arbitraire n’est pas une exigence distincte à laquelle il faut satisfaire pour établir la discrimination prima facie, et point n’est besoin de réviser la position établie selon laquelle le motif ou la caractéristique protégé n’a qu’à constituer un facteur de la décision.

                    Comme la décision du Tribunal voulant que la discrimination prima facie n’ait pas été démontrée était raisonnable, il n’est pas nécessaire de se demander si S a bénéficié d’un accommodement raisonnable.

                    Les juges Moldaver et Wagner : La conclusion du Tribunal selon laquelle la dépendance de S aux drogues n’a pas constitué un facteur de son congédiement était déraisonnable. Pour établir qu’il y a discrimination prima facie, S n’est pas tenu de démontrer que son licenciement est uniquement attribuable ni même principalement attribuable à sa dépendance aux drogues. En fait, il doit uniquement prouver l’existence d’un lien entre le motif protégé — sa dépendance aux drogues — et l’effet préjudiciable. L’exercice, par S, d’un certain contrôle sur sa consommation de drogue n’a fait que diminuer la mesure dans laquelle sa dépendance a contribué à son licenciement; cela ne l’a pas exclue en tant que facteur de son licenciement.

                    Cependant, le Tribunal a raisonnablement jugé que l’employeur s’était acquitté de son obligation de composer avec S tant qu’il n’en avait pas résulté pour lui une contrainte excessive. Étant donné les objectifs et responsabilités de l’employeur au chapitre de la sécurité à la mine de charbon, il était impératif de dissuader les employés de consommer de la drogue d’une manière susceptible de nuire à leur rendement et d’avoir des conséquences dévastatrices. Soumettre S à une évaluation individuelle ou lui imposer une suspension sans solde pour une durée limitée en guise de mesure disciplinaire au lieu de le licencier, une mesure grave et immédiate, aurait sapé l’effet dissuasif de la politique. Le Tribunal a donc raisonnablement conclu que l’instauration de ces aspects de l’accommodement individuel entraînerait une contrainte excessive.

                    Le juge Gascon (dissident) : Bien que la dépendance aux drogues constitue un motif de discrimination illicite en matière de droits de la personne, les préjugés qui concernent la dépendance aux drogues — comme la croyance que les personnes qui en souffrent sont les artisans de leur propre malheur ou que leurs préoccupations sont moins crédibles que celles des personnes souffrant d’autres formes de déficience — empêchent parfois les tribunaux et la société d’apprécier objectivement le bien‑fondé de leurs allégations de discrimination. Ces préjugés contribuent à l’intégration non harmonieuse des politiques en matière de dépendance aux drogues et de dépistage des drogues dans l’arène des droits de la personne. Les considérations non pertinentes sur lesquelles s’est appuyé le Tribunal ont eu pour effet d’exclure S de la portée des protections en matière de droits de la personne.

                    Une politique en matière de drogues dont l’application a pour effet de congédier automatiquement les employés qui consomment de la drogue exerce une discrimination prima facie envers les personnes que la dépendance aux drogues accable. Le critère juridique applicable en matière de discrimination prima facie consiste à se demander si le motif protégé du plaignant a constitué un facteur dans le préjudice qu’il a subi (aussi appelé « contribution »). En l’espèce, la dépendance aux drogues de S a constitué un facteur dans sa consommation de drogues. En conséquence, la politique en application de laquelle S a été congédié pour avoir consommé de la drogue est discriminatoire à première vue. L’analyse du Tribunal était déraisonnable car elle se méprenait sur les principes juridiques sous‑tendant le droit en matière de discrimination et n’était pas étayée par ses conclusions de fait.

                    L’analyse de la discrimination prima facie et, plus particulièrement, de la contribution, porte sur l’effet discriminatoire, et non sur l’intention discriminatoire. La contribution désigne le rapport entre le motif protégé de l’employé et le préjudice qu’il subit, et non entre le motif et l’intention de léser cet employé. Un motif n’a qu’à constituer l’un des facteurs à l’origine du préjudice de l’employé. Le Tribunal n’a pas suivi cette approche établie. Il a plutôt déraisonnablement conclu que la dépendance de S n’avait pas contribué à son congédiement en raison de quatre erreurs conceptuelles.

                    Premièrement, il exigeait de S qu’il fasse des choix prudents pour éviter la discrimination. Exiger que les plaignants se montrent prudents en évitant la discrimination équivaut à une sorte de moyen de défense fondé sur la faute contributoire en matière de discrimination, ce qui (1) fait porter au plaignant le fardeau d’éviter la discrimination, plutôt que de faire porter à l’employeur le fardeau de ne pas exercer de discrimination; (2) est incompatible avec certains motifs légaux reconnus récemment dont on peut prétendre qu’ils font entrer en ligne de compte les choix d’un plaignant qui sont importants pour son identité; (3) contredit généralement le rejet par la Cour de la séparation superficielle entre les motifs protégés et la conduite inextricablement liée à ces motifs; (4) contredit plus particulièrement le rejet par la Cour de l’opinion selon laquelle le choix rend les consommateurs de drogues responsables des préjudices découlant de leur consommation de drogue; (5) renforce la stigmatisation en blâmant les communautés marginalisées pour leurs choix; (6) remplace l’analyse appropriée — qui consiste à se demander si les personnes dépendantes aux drogues sont lésées par la politique — par une analyse inappropriée, soit celle de se demander si les personnes dépendantes aux drogues sont accablées par leur dépendance à tel point que la discrimination qu’elles subissent est exclusivement causée par leur dépendance.

                    Deuxièmement, le Tribunal a limité les protections dont jouit S à l’assurance d’une égalité formelle. Bien que les consommateurs de drogues, dépendants ou occasionnels, reçoivent le même traitement en cas de violation de la politique, ce ne sont que les personnes souffrant d’une dépendance aux drogues qui auront particulièrement et de façon disproportionnée de la difficulté à respecter la politique.

                    Troisièmement, le Tribunal a exigé de S qu’il prouve qu’il a été traité de façon arbitraire ou stéréotypée, introduisant ainsi des considérations de fond dans le critère établi et peu exigeant applicable à la discrimination prima facie et faisant passer le fardeau de la justification de l’employeur au plaignant.

                    Enfin, le Tribunal a exigé de S qu’il établisse un rapport de causalité entre son motif et son préjudice, une barre plus haute que le critère du simple « facteur » maintes fois adopté par la Cour. Il ne faut pas interpréter restrictivement la discrimination prima facie pour préserver le caractère exécutoire des politiques en matière de drogues et d’alcool. Cette interprétation a pour effet d’introduire des considérations liées à la justification dans l’analyse de la discrimination prima facie et d’exagérer ce que suppose le fait de juger ces politiques discriminatoires à première vue, alors qu’elles devraient tout simplement être justifiées comme se rapportant à des exigences professionnelles justifiées. Elle restreint également la jurisprudence récente de la Cour selon laquelle congédier un employé pour une raison liée à une dépendance constitue précisément ce qu’il faut entendre par le fait, pour la dépendance, d’avoir constitué un facteur du préjudice subi par l’employé.

                    Ainsi, bien que le Tribunal ait cité le bon critère juridique relativement à la discrimination prima facie, la manière dont il l’a appliqué et l’absence d’éléments de preuve à l’appui de ses conclusions démontrent que sa conclusion relative à la contribution est déraisonnable et ne mérite pas que l’on fasse preuve de déférence à son endroit. Même s’il a maintes fois affirmé que la dépendance de S n’avait pas constitué un facteur de son congédiement, ses motifs laissent entendre qu’il voulait dire que la dépendance de S n’avait pas constitué un facteur dans la décision de l’employeur de le congédier. Il s’agit du mauvais critère juridique. Selon le bon critère, la preuve dont disposait le Tribunal ne pouvait pas appuyer sa conclusion selon laquelle la dépendance aux drogues de S n’avait pas contribué à son congédiement. Le contrôle résiduel qu’il exerçait sur ses choix ne fait que diminuer la mesure dans laquelle sa dépendance a contribué à son préjudice, et ne l’exclut pas en tant que facteur. Le Tribunal a éludé cet argument en se penchant sur l’intention discriminatoire plutôt que sur l’effet préjudiciable, et en exigeant à tort une invalidité absolue pour justifier une plainte de discrimination fondée sur une dépendance. Par conséquent, le congédiement de S était discriminatoire à première vue.

                    Quant à la justification, une politique qui accommode l’employé au moyen de mécanismes dont il ne peut se prévaloir en raison de sa déficience ou qui s’appliquent à l’employé uniquement après son congédiement ne saurait justifier l’existence d’une discrimination prima facie. L’accommodement raisonnable exige que l’employeur aménage, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail. Pour déterminer quelles sont les solutions de rechange raisonnables ou pratiques qui s’offrent à lui, l’employeur doit se livrer à une analyse individualisée de l’employé en question, compte tenu des différences et des capacités individuelles de l’employé. Par conséquent, toute approche préétablie ou générale à l’égard des sanctions infligées aux employés pour une conduite liée à une déficience peinera à remplir l’obligation d’accommodement individualisé de l’employeur.

                    En l’espèce, le texte de la politique attaquée prévoit un accommodement adapté postérieur à l’incident : les mesures disciplinaires prises à l’endroit de l’employé qui obtient un résultat positif à un test de dépistage de drogues doivent dépendre de l’ensemble des circonstances pertinentes, notamment le dossier d’emploi de l’employé, les circonstances du résultat positif, les habitudes de consommation déclarées de l’employé, la probabilité que le rendement au travail de l’employé en ait souffert ou puisse en souffrir et l’importance de la dissuasion d’un tel comportement. Toutefois, contrairement à ses termes exprès, la politique a été mise en œuvre sans égard à la situation de S. Dans le contexte des droits de la personne, il n’est pas opportun pour l’employeur de passer outre à l’évaluation individuelle au nom de la dissuasion, et ce, même dans ce milieu de travail à risque et en dépit du fait que ce milieu incite à l’instauration de politiques strictes sur les drogues.

                    Aucune des mesures d’accommodement de l’employeur n’a fourni à S un accommodement dont il pouvait se prévaloir au cours de son emploi et ces mesures n’ont pas tenu compte de sa situation personnelle d’une manière digne. On ne saurait donc affirmer que l’employeur s’est acquitté de son obligation de composer avec lui en tant qu’employé jusqu’à ce qu’il en résulte pour l’employeur une contrainte excessive et les conclusions contraires du Tribunal étaient déraisonnables. Avant son congédiement, S aurait été accommodé par l’offre d’un traitement clément s’il divulguait volontairement sa dépendance aux drogues, mais il ne pouvait se prévaloir de cet accommodement parce qu’il ne semblait pas conscient de sa dépendance, un symptôme de sa déficience. Après son congédiement, il aurait été accommodé par la possibilité de postuler de nouveau à son poste, mais l’accommodement aide les employés qui ont conservé leur emploi, et non les anciens employés qui peuvent ou non postuler de nouveau avec succès au poste qu’ils ont perdu à la suite d’un congédiement discriminatoire à première vue. Étant donné que l’ensemble des prétendus accommodements consentis par l’employeur ne peuvent être considérés comme tels en droit, la conclusion du Tribunal selon laquelle ils constituaient des accommodements adéquats était susceptible d’intervention.

Jurisprudence

Citée par la juge en chef McLachlin

                    Arrêts mentionnés : Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3; Hydro‑Québec c. Syndicat des employé‑e‑s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro‑Québec, section locale 2000 (SCFP‑FTQ), 2008 CSC 43, [2008] 2 R.C.S. 561; Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, [2012] 3 R.C.S. 360; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, [2015] 2 R.C.S. 789; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Health Employers Assn. of British Columbia c. B.C.N.U., 2006 BCCA 57, 54 B.C.L.R. (4th) 113; Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61.

Citée par les juges Moldaver et Wagner

                    Arrêts mentionnés : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, [2015] 2 R.C.S. 789; Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489; Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie‑Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868; Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970.

Citée par le juge Gascon (dissident)

                    Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, [2015] 2 R.C.S. 789; Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, [2012] 3 R.C.S. 360; Hydro‑Québec c. Syndicat des employé‑e‑s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro‑Québec, section locale 2000 (SCFP‑FTQ), 2008 CSC 43, [2008] 2 R.C.S. 561; Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, 2013 CSC 11, [2013] 1 R.C.S. 467; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134; Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525; ADGA Group Consultants Inc. c. Lane (2008), 64 C.H.R.R. D/132; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331; Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, [2008] 2 R.C.S. 362; British Columbia Public Service Agency c. B.C.G.E.U., 2008 BCCA 357, 83 B.C.L.R. (4th) 299; Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504.

Lois et règlements cités

Alberta Human Rights Act, R.S.A. 2000, c. A‑25.5, art. 7(1).

Charte canadienne des droits et libertés , art. 7 .

Human Rights, Citizenship and Multiculturalism Act, R.S.A. 2000, c. H‑14, art. 7(1), (3), 44(1)(h) « mental disability », (l) « physical disability ».

Doctrine et autres documents cités

Koshan, Jennifer. « Under the Influence : Discrimination Under Human Rights Legislation and Section 15  of the Charter  » (2014), 3 Can. J. Hum. Rts. 115.

Oliphant, Benjamin. « Prima Facie Discrimination : Is Tranchemontagne Consistent with the Supreme Court of Canada’s Human Rights Code Jurisprudence? » (2012), 9 J.L. & Equality 33.

Pothier, Dianne. « Tackling Disability Discrimination at Work : Toward a Systemic Approach » (2010), 4 R.D.S.M. 17.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Picard, Watson et O’Ferrall), 2015 ABCA 225, 19 Alta. L.R. (6th) 219, 602 A.R. 210, 647 W.A.C. 210, 87 Admin. L.R. (5th) 299, 24 C.C.E.L. (4th) 1, 81 C.H.R.R. D/367, [2015] CLLC ¶230‑046, 386 D.L.R. (4th) 383, [2015] 9 W.W.R. 1, [2015] A.J. No. 728 (QL), 2015 CarswellAlta 1190 (WL Can.), qui a infirmé en partie une décision du juge Michalyshyn, 2013 ABQB 756, 581 A.R. 234, [2014] CLLC ¶230‑012, [2013] A.J. No. 1462 (QL), 2013 CarswellAlta 2733 (WL Can.), confirmant une décision de l’Alberta Human Rights Commission (Tribunal), 2012 AHRC 7, 74 C.H.R.R. D/425, 2012 CarswellAlta 2396 (WL Can.). Pourvoi rejeté, le juge Gascon est dissident.

                    E. Wayne Benedict, pour l’appelant.

                    Peter A. Gall, c.r., Andrea L. Zwack et Benjamin J. Oliphant, pour l’intimée Elk Valley Coal Corporation, Cardinal River Operations.

                    Janice R. Ashcroft, c.r., pour l’intimée Alberta Human Rights Commission (Tribunal).

                    Karen R. Spector et Mariam Shanouda, pour les intervenants le Conseil des Canadiens avec déficiences et Empowerment Council.

                    Barbara B. Johnston, c.r., et April Kosten, pour les intervenantes Construction Owners Association of Alberta, Construction Labour Relations — an Alberta Association, Enform Canada, Electrical Contractors Association of Alberta, L’Association minière du Canada, Mining Association of British Columbia, Ontario Mining Association, Northwest Territories and Nunavut Chamber of Mines et Saskatchewan Mining Association.

                    Ritu Khullar, c.r., et Vanessa Cosco, pour l’intervenant United Nurses of Alberta.

                    Norm Keith et Marc Rodrigue, pour les intervenantes Ontario General Contractors Association, Ontario Formwork Association et Greater Toronto Sewer and Watermain Contractors Association.

                    Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Karakatsanis, Côté, Brown et Rowe rendu par

                    La Juge en chef —

I.               Introduction

[1]                              Ian Stewart travaillait dans une mine exploitée par l’Elk Valley Coal Corporation où il conduisait un camion de transport. Les activités de la mine étaient dangereuses, et le maintien d’un chantier sécuritaire revêtait une grande importance aux yeux de l’employeur et des employés. L’employeur a mis en place une politique sur la consommation d’alcool, de drogues illégales et de médicaments qui visait à assurer la sécurité dans la mine (« Politique »). Les employés étaient censés révéler tout problème de dépendance ou d’accoutumance avant qu’un incident lié à la drogue ne survienne. S’ils le faisaient, on leur offrait un traitement. Si, en revanche, ils ne le faisaient pas, étaient mêlés à un incident et obtenaient un résultat positif à un test de dépistage de drogues, ils étaient congédiés — une politique succinctement appelée la règle [traduction] « pas d’accident sans conséquences ». La Politique visait à assurer la sécurité en encourageant les employés aux prises avec des problèmes de toxicomanie à se manifester et à suivre un traitement avant que leurs problèmes ne compromettent la sécurité. Les employés, dont M. Stewart, ont assisté à une séance de formation au cours de laquelle la Politique a été examinée et expliquée. Monsieur Stewart a signé un formulaire attestant qu’il avait reçu et compris la Politique.

[2]                              Monsieur Stewart prenait de la cocaïne pendant ses jours de congé. Il n’a pas dit à son employeur qu’il consommait de la drogue. Un jour, vers la fin d’un quart de travail de 12 heures, M. Stewart a eu un accident avec son camion. Personne n’a été blessé, mais M. Stewart a obtenu un résultat positif à un test de dépistage de drogues. À la suite du résultat positif, lors d’une rencontre avec son employeur, M. Stewart a dit croire qu’il souffrait d’une dépendance à la cocaïne. Neuf jours plus tard, son employeur l’a congédié conformément à la règle « pas d’accident sans conséquences ».

[3]                              La dépendance est une déficience reconnue dans la Human Rights, Citizenship and Multiculturalism Act, R.S.A. 2000, c. H‑14 (« Loi »). Monsieur Stewart, par l’entremise de son représentant syndical, Brent Bish, soutient qu’il a été congédié en raison de sa dépendance et que cela constitue de la discrimination au sens de la Loi, qui prévoit :

                    [traduction]

7(1) Nul employeur ne peut :

(a)    soit refuser d’employer ou de continuer d’employer une personne;

(b)   soit exercer une discrimination à l’égard d’une personne en matière d’emploi ou de conditions d’emploi,

                    sur le fondement de la race, des croyances religieuses, de la couleur, du sexe, de la déficience physique, de la déficience mentale, de l’âge, de l’ascendance, du lieu d’origine, de l’état matrimonial, de la source de revenu, de la situation familiale de la personne en question ou de toute autre personne.

. . .

                    (3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux restrictions, aux conditions, aux préférences ni aux refus fondés sur une exigence professionnelle justifiée.

. . .

44(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

. . .

(h)  « déficience mentale » Tout trouble mental, trouble de développement ou trouble d’apprentissage, indépendamment de la cause ou de la durée du trouble.

. . .

(l) « déficience physique » Tout degré de déficience physique, d’infirmité, de malformation ou de défigurement résultant d’une lésion corporelle, d’une anomalie congénitale ou d’une maladie . . .

[4]                              L’Alberta Human Rights Commission («  Tribunal ») a conclu que M. Stewart avait été congédié non pas en raison de sa dépendance, mais pour avoir violé la Politique qui l’obligeait à révéler sa dépendance ou son accoutumance avant que ne survienne un accident pour éviter d’être congédié. La décision du Tribunal a été confirmée par la Cour du Banc de la Reine et la Cour d’appel de l’Alberta, le juge O’Ferrall étant dissident. Monsieur Stewart, par l’entremise de M. Bish, se pourvoit maintenant devant notre Cour.

[5]                              À l’instar des juges majoritaires de la Cour d’appel, je ne vois aucune raison de modifier la décision du Tribunal. La question principale est de savoir si l’employeur a congédié M. Stewart en raison de sa dépendance (ce qui constituerait de la discrimination prima facie), ou s’il l’a congédié en raison d’une violation de la Politique interdisant la consommation de drogue qui n’a rien à voir avec sa dépendance parce qu’il avait la capacité de respecter ses modalités (ce qui ne constituerait pas de la discrimination prima facie). C’est essentiellement une question de fait qu’il appartient au Tribunal de trancher. Après un examen approfondi de toute la preuve, le Tribunal a conclu que l’employeur avait congédié M. Stewart pour avoir violé sa Politique. La conclusion du Tribunal était raisonnable.

II.            Les décisions antérieures

A.            La décision du Tribunal, 2012 AHRC 7

[6]                              Dans une décision rédigée par l’honorable Paul Chrumka, le Tribunal a retenu le critère à deux volets établi pour déterminer s’il y a discrimination en milieu de travail. Au premier volet, l’employé doit établir l’existence d’une discrimination prima facie en démontrant : (1) qu’il a une déficience protégée par la Loi; (2) qu’il a subi un traitement préjudiciable relativement à son emploi ou à une modalité de son emploi; (3) que la déficience a constitué un facteur du traitement préjudiciable. S’appuyant sur la preuve d’expert, le Tribunal a conclu que M. Stewart souffrait d’une dépendance aux drogues (même s’il ne le reconnaissait pas à l’époque) et que sa dépendance constituait une déficience protégée par la Loi. Le Tribunal a également conclu que le congédiement de M. Stewart constituait un traitement préjudiciable de la part de l’employeur. Cependant, il a conclu que la déficience de M. Stewart n’avait [traduction] « pas constitué un facteur du congédiement » (par. 125 (CanLII)). Selon le Tribunal, M. Stewart a été congédié pour avoir omis de se conformer à la Politique qui l’obligeait à révéler sa consommation de drogue avant l’accident et l’empêchait de bénéficier d’« un accident sans conséquences » (par. 142). Il n’y avait donc pas de discrimination prima facie.

[7]                              Subsidiairement, le Tribunal a affirmé que même si l’existence d’une discrimination prima facie avait été établie, il aurait conclu que l’employeur s’était acquitté de son fardeau, à la deuxième étape, de prouver qu’il avait composé avec M. Stewart tant qu’il n’en avait pas résulté pour lui une contrainte excessive.

[8]                              Au paragraphe 131, le Tribunal a invoqué Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (« Meiorin »), pour établir le critère applicable à l’exigence professionnelle justifiée. Selon Meiorin :

                    L’employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités :

(1)   qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;

(2)   qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;

(3)   que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive. [par. 54]

Puis, au par. 133, le Tribunal a cité les par. 12 et 16 de l’arrêt Hydro‑Québec c. Syndicat des employé‑e‑s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro‑Québec, section locale 2000 (SCFP‑FTQ), 2008 CSC 43, [2008] 2 R.C.S. 561, qui donne des précisions sur le critère de la contrainte excessive :

                    Ce qui est véritablement requis ce n’est pas la démonstration de l’impossibilité d’intégrer un employé qui ne respecte pas une norme, mais bien la preuve d’une contrainte excessive qui, elle, peut prendre autant de formes qu’il y a de circonstances. . .

. . .

                           Le critère n’est pas l’impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un employé. L’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail.

[9]                              Le Tribunal a conclu que l’employeur avait adopté la règle « pas d’accident sans conséquences » de bonne foi et dans un but lié au travail en cause, en croyant que [traduction] « l’application de la politique était nécessaire pour assurer son effet dissuasif et, ultimement, la sécurité au travail » (par. 147). Il s’agissait uniquement de savoir si l’employeur aurait pu continuer à employer M. Stewart sans subir de contrainte excessive. Le Tribunal a conclu que non :

                    [traduction] Si l’[employeur] devait offrir à M. Stewart la possibilité de se soumettre à une évaluation ou remplacer les conséquences plus lourdes et immédiates du congédiement par des conséquences moins graves, l’effet dissuasif de la Politique serait considérablement amoindri, ce qui constituerait une contrainte excessive pour l’entreprise, vu les responsabilités de l’[employeur] en matière de sécurité. [par. 152]

[10]                          Le Tribunal a également conclu qu’étant donné que M. Stewart était en mesure de faire des choix conscients quant à sa consommation de drogue, le fait d’offrir une évaluation sans congédiement diluerait l’objet de la Politique. Enfin, le Tribunal a conclu que la possibilité qu’offrait la Politique de se manifester et de suivre un traitement sans craindre des mesures disciplinaires, ainsi que l’invitation à suivre un traitement et à présenter une nouvelle demande d’emploi dans six mois, constituaient un moyen de composer avec la déficience.

B.            La décision du juge des requêtes, 2013 ABQB 756, 581 A.R. 234

[11]                          Monsieur Bish a interjeté appel de la décision du Tribunal devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Le juge des requêtes (le juge Michalyshyn) a conclu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte quant à la question de la discrimination prima facie et celle de la décision raisonnable quant à la question de l’accommodement. Il a rejeté l’appel au motif que le Tribunal n’avait pas commis d’erreur en concluant que le motif de congédiement était non pas la dépendance, mais la violation de la Politique. La preuve appuyait cette conclusion et la possibilité que M. Stewart ait été dans le déni n’y changeait rien.

[12]                          Quant à la deuxième question, le juge des requêtes a conclu que si une discrimination prima facie avait été établie, le Tribunal a conclu à tort que la Politique constituait un accommodement à l’égard de M. Stewart, parce que ce dernier [traduction] « n’était pas “capable” de chercher un traitement conformément à la Politique en raison d’une dépendance ou d’une accoutumance dont il ignorait souffrir » (par. 63; voir aussi par. 58-66). Selon lui, demander aux personnes de se manifester ne constitue pas un accommodement lorsque ces personnes nient leur déficience.

C.            La décision de la Cour d’appel, 2015 ABCA 225, 19 Alta. L.R. (6th) 219

[13]                          Les juges majoritaires de la Cour d’appel (les juges Picard et Watson) ont rejeté l’appel et confirmé la décision du Tribunal. 

[14]                          Quant à la discrimination prima facie, les juges majoritaires ont appliqué le critère à trois volets énoncé dans Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, [2012] 3 R.C.S. 360, et conclu que la déficience doit constituer un facteur réel dans la manifestation de l’effet préjudiciable, et pas seulement un élément du contexte. Citant l’exemple des politiques antitabac, les juges majoritaires ont conclu qu’il n’est pas permis de refuser d’employer une personne simplement parce qu’elle a une dépendance, mais qu’il est permis de refuser d’employer une personne pour violation d’une politique générale, imposée à tous, qui limite la consommation d’un produit susceptible de créer une dépendance. Les juges majoritaires ont conclu ceci, au par. 76 :

                            [traduction] Autrement dit, le Tribunal a conclu qu’il n’y avait aucun lien réel entre l’application de la politique de l’employeur et la déficience elle‑même, comme on l’a soutenu pour le compte de M. Stewart. On n’a pas démontré qu’il y avait eu discrimination directe, en ce sens que l’employeur aurait agi en fonction de stéréotypes arbitraires ou préconçus lorsque M. Stewart a été congédié. On n’a pas non plus démontré qu’il y avait eu discrimination indirecte, en ce sens que l’employeur aurait instauré une politique cadre d’emploi en raison de laquelle le congédiement découlerait effectivement d’une culture fondée sur des ententes discriminatoires en matière d’emploi. Enfin, et ce qui est important pour la décision du Tribunal, le lien entre la déficience et la mesure prise par Elk Valley à l’endroit de M. Stewart lorsqu’il a violé les modalités de la Politique d’au moins deux façons n’était pas suffisant pour faire de sa déficience elle‑même un « facteur » de la mesure prise par Elk Valley.

[15]                          En ce qui concerne l’accommodement, les juges majoritaires ont conclu qu’on ne peut obliger l’employeur à faire reposer sa politique de sécurité au travail sur une manifestation flagrante de dépendance. La possibilité que l’employé ne sache pas qu’il est dépendant ou nie sa dépendance ne change rien à cela. Les employeurs ne devraient pas être tenus d’établir des règles de travail intrusives afin de flairer les dépendances potentielles.

[16]                          Le juge O’Ferrall a exprimé sa dissidence au motif que le Tribunal avait commis une erreur de droit en se fondant sur l’absence de comportement stéréotypé pour conclure qu’aucune discrimination prima facie n’avait été établie, et en ne tenant pas compte de la volonté de l’employeur de dissuader pour déterminer si la dépendance avait constitué un facteur du congédiement. À son avis, la preuve établissait que la dépendance était le véritable motif à l’origine du congédiement de M. Stewart.

[17]                          Le juge O’Ferrall a également conclu que l’employeur n’avait pas composé avec la déficience de M. Stewart tant qu’il n’en avait pas résulté pour lui une contrainte excessive. À son avis, le fait que la personne doit elle‑même se manifester ne constitue pas un accommodement pour les personnes qui nient leur dépendance; le congédiement, par opposition à une suspension jusqu’à la fin du traitement, était trop sévère dans les circonstances; et le Tribunal a surestimé le besoin de dissuasion de l’employeur et sous‑estimé la nécessité d’évaluer les circonstances.

III.          Les questions en litige

[18]                          L’appelant soulève trois questions en appel. D’abord, il soutient que la norme de contrôle devrait être celle de la décision correcte. Ensuite, il affirme que le Tribunal a commis une erreur en concluant que l’existence d’une discrimination prima facie n’avait pas été établie. Enfin, il soutient que le Tribunal a fait erreur en concluant que l’employeur s’était acquitté de son fardeau d’établir la contrainte excessive.

IV.         Analyse

A.            La norme de contrôle

[19]                          Derrière la rhétorique entourant la norme de contrôle se trouve la question de la déférence : la cour de révision doit‑elle faire preuve de déférence à l’égard de la décision du tribunal inférieur?

[20]                          Les cours de révision font généralement preuve d’une grande déférence à l’égard des décisions des tribunaux constitués en vertu des lois sur les droits de la personne. Il appartient au tribunal d’apprécier la preuve, d’établir les faits et de tirer des inférences raisonnables des faits. Et il appartient au tribunal d’interpréter la loi d’une manière sensée sur le plan pratique et juridique dans l’affaire dont il est saisi, en se fondant sur la jurisprudence applicable. Les cours de révision agissent avec précaution dans ces domaines.

[21]                          S’appuyant sur des décisions dont il admet le caractère « marginal », l’appelant prétend que la norme de la décision correcte, qui appelle peu de déférence, s’applique parce que des questions de droit se posent quant à savoir si la présence de stéréotypes est nécessaire pour démontrer l’existence d’une discrimination prima facie, et à l’égard du moment où il devient « impossible » de modifier une politique en milieu de travail. Comme il appert de l’analyse qui suit, il s’agit essentiellement de questions d’application du droit établi aux faits.

[22]                          Bref, la présente affaire concerne l’application de principes établis en matière de discrimination fondée sur une déficience en milieu de travail à une situation factuelle particulière. La nature de la déficience en cause — en l’espèce, la dépendance — ne modifie pas les principes juridiques à appliquer. Les débats dans le cas présent ne portent pas sur le droit, mais sur les faits et les inférences qui doivent en être tirées. Ces questions relevaient du Tribunal et elles commandent la déférence. Il s’agit seulement de savoir si la décision du Tribunal était raisonnable.

B.            Le Tribunal a‑t‑il agi de manière déraisonnable en concluant que la discrimination prima facie n’avait pas été établie?

[23]                          Pour fonder une allégation de discrimination au sens de la Loi, l’employé doit établir qu’il y a discrimination prima facie. Si cette démonstration est faite, il incombe alors à l’employeur de prouver qu’il a composé avec l’employé tant qu’il n’en avait pas résulté pour lui une contrainte excessive.

[24]                          Pour établir l’existence d’une discrimination prima facie, « les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le [Human Rights Code, R.S.B.C. 1996, c. 210] contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable » : Moore, par. 33. La discrimination peut revêtir de nombreuses formes, notamment la « discrimination ‟indirecteˮ » lorsque des politiques par ailleurs neutres peuvent léser certains groupes : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, [2015] 2 R.C.S. 789, par. 32. La preuve de l’intention discriminatoire de l’employeur n’est pas requise pour démontrer l’existence d’une discrimination prima facie : Bombardier, par. 40.

[25]                          Il est admis que les deux premiers éléments d’une preuve prima facie de discrimination sont établis en l’espèce. Le seul point en litige concerne le troisième élément, soit celui de savoir si la dépendance de M. Stewart a constitué un facteur de son congédiement.

[26]                          Le Tribunal a cité le bon critère juridique et a fait remarquer au par. 117 de ses motifs qu’il [traduction] « n’était pas nécessaire que les actes reprochés soient uniquement motivés par les considérations discriminatoires pour qu’il y ait contravention de la Loi ». Après un examen détaillé de la preuve, le Tribunal a conclu que la dépendance de M. Stewart n’avait pas constitué un facteur de son congédiement pour deux raisons connexes. Selon le Tribunal, M. Stewart a été congédié non pas parce qu’il souffrait d’une dépendance, mais parce qu’il n’avait pas respecté la Politique et pour nulle autre raison. Le Tribunal a également conclu que M. Stewart n’avait pas été lésé par la Politique car il avait la capacité d’en respecter les modalités.

[27]                          La seule question que la cour de révision doit se poser est de savoir si cette conclusion est déraisonnable. La déférence suppose une attention respectueuse au raisonnement du Tribunal. La cour de révision doit veiller à ne pas se contenter de mentionner le contrôle empreint de déférence tout en imposant ses propres vues : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 48. Si la décision appartient aux « issues possibles acceptables » pouvant se justifier au regard de la preuve et du droit, elle est raisonnable : Dunsmuir, par. 47; voir aussi Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 16. 

[28]                          Je suis convaincue que la conclusion du Tribunal selon laquelle la dépendance n’a pas constitué un facteur du congédiement de M. Stewart est raisonnable.

[29]                          La lettre de congédiement est l’élément de preuve le plus important sur la question de savoir si la dépendance de M. Stewart a été un facteur des raisons pour lesquelles Elk Valley l’a congédié. Les trois premiers paragraphes portent sur le motif de congédiement :

                    [traduction]

                    Cher Ian,

                    Objet : Congédiement

                    Le 18 octobre 2005, vous avez obtenu un résultat positif à un test de dépistage de cocaïne après avoir été impliqué dans un accident. Un examen plus à fond de la question avec vous a révélé que vous consommez beaucoup de drogue.

                    Le 25 juillet 2005, vous avez signé un document dans lequel vous reconnaissiez que votre emploi vous obligeait à respecter la politique de l’entreprise en matière de consommation de drogue et d’alcool. Il est essentiel, pour assurer la sécurité dans la mine, que les employés se conforment à la politique en matière de consommation de drogue et d’alcool et révèlent leur dépendance à la drogue ou à l’alcool avant de contrevenir à la politique et de mettre leur vie et celle de leurs collègues en danger. La politique précise qu’en cas de violation de celle‑ci, l’entreprise accorde une importance primordiale à la dissuasion de comportements similaires de la part d’autres employés et congédie l’employé à moins que le congédiement soit injuste compte tenu de l’ensemble des circonstances.

                    Après avoir examiné l’ensemble des circonstances, nous arrivons à la conclusion que vous devez être congédié. Le congédiement prend effet le 3 novembre 2005. [Souligné dans l’original.]

(d.a., vol. III, p. 48)

[30]                          Le premier paragraphe de la lettre fait état du test de dépistage de drogues et de la consommation de drogues de M. Stewart. Le deuxième paragraphe cite et explique la Politique. Le troisième informe M. Stewart de son congédiement.

[31]                          Le Tribunal a interprété la lettre comme mettant l’accent sur la Politique comme facteur à l’origine du congédiement de M. Stewart, en dépit de l’argument de ce dernier voulant que le libellé de la lettre établisse que la dépendance a constitué un facteur du congédiement :

                            [traduction] Je prends [. . .] acte de l’argument de l’avocat [de M. Bish] concernant le libellé de la lettre de congédiement, mais dans l’ensemble du contexte de la lettre, l’accent est mis sur la violation de la Politique. [par. 123]

[32]                          Le Tribunal a conclu, sur la foi de la preuve dont il disposait, que M. Stewart avait été congédié [traduction] « en raison de [son] omission d’arrêter de consommer de la drogue et de révéler sa consommation avant l’accident » (par. 120). Il a reconnu que les gens souffrant d’une dépendance peuvent être dans le déni et que la distinction entre le congédiement imputable à une déficience et le congédiement imputable à l’omission de respecter une politique en milieu de travail peut paraître « superficielle » étant donné que l’omission de respecter une politique peut être symptomatique d’une dépendance ou d’une déficience (par. 122). Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal a conclu que la preuve établissait que la Politique avait lésé M. Stewart non pas en raison du déni, « mais parce qu’il a[vait] choisi de ne pas arrêter de consommer de la drogue ou de ne pas révéler sa consommation de drogue » (par. 122).

[33]                          D’après le Tribunal, la lettre de congédiement n’a pas établi que la dépendance constituait un facteur dans la décision d’Elk Valley de congédier M. Stewart. 

[34]                          Le Tribunal s’est ensuite demandé si la Politique lésait elle‑même M. Stewart en raison de sa dépendance. Dans ce contexte, le Tribunal a fait remarquer que [traduction] « M. Stewart aurait été congédié, qu’il ait été ou non un toxicomane ou un consommateur occasionnel » (par. 123) et que « [l]a Politique qui a été appliquée à M. Stewart et a entraîné son congédiement n’a pas été appliquée en raison de sa dépendance » (par. 125). Le Tribunal a conclu que M. Stewart avait « la capacité de faire des choix » quant à sa consommation de drogue (par. 126). Toujours selon le Tribunal, la preuve d’expert présentée en l’espèce a démontré que la dépendance de M. Stewart n’avait pas réduit sa capacité de respecter la Politique. En conséquence, celle‑ci n’a pas lésé M. Stewart. 

[35]                          Il existait manifestement des éléments de preuve susceptibles d’appuyer la conclusion du Tribunal selon laquelle le motif du congédiement n’était pas la dépendance, mais la violation de la Politique. Le Tribunal a conclu, au vu des faits de l’espèce, que M. Stewart avait la capacité de respecter la Politique. Il n’était donc pas déraisonnable pour le Tribunal de conclure à l’absence de discrimination prima facie en l’espèce. Monsieur Stewart avance deux arguments pour tenter de faire infirmer les conclusions de fait du Tribunal.

[36]                          Tout d’abord, M. Bish cherche à reformuler la conclusion du Tribunal en suggérant qu’il a jugé que, bien que la violation de la Politique ait été la principale cause du congédiement, la dépendance de M. Stewart a néanmoins constitué « un facteur » et que cela suffit à établir à première vue l’existence d’une discrimination. Il ne s’agit manifestement pas de la conclusion du Tribunal. Le Tribunal a affirmé sans équivoque et à maintes reprises que la dépendance n’avait pas constitué un facteur dans la décision de congédier M. Stewart :

[traduction]

         « La Politique a lésé M. Stewart non pas en raison du déni résultant de l’affaiblissement des facultés par une drogue, mais parce qu’il a choisi de ne pas arrêter de consommer de la drogue ou de ne pas révéler sa consommation de drogue » (par. 122);

         « La Politique qui a été appliquée à M. Stewart et a entraîné son congédiement n’a pas été appliquée en raison de sa déficience » (par. 125);

         « Vu ma conclusion selon laquelle la déficience de M. Stewart n’a pas constitué un facteur de son congédiement » (par. 126).

Le Tribunal n’aurait pas pu être plus clair : « . . . la déficience de M. Stewart n’a pas constitué un facteur de son congédiement. . . »

[37]                          Ensuite, M. Bish prétend que la dépendance de M. Stewart a constitué un facteur de son congédiement parce que le déni faisait partie de sa dépendance et l’a empêché de révéler sa dépendance avant l’accident. La violation de la Politique a peut‑être été la cause immédiate du congédiement, mais le motif de la violation de la Politique était la dépendance. Il soutient donc que le congédiement était imputable à la dépendance, laquelle a constitué indirectement « un facteur » du congédiement.

[38]                          Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, le Tribunal a rejeté cet argument. S’il s’est montré [traduction] « sensible à l’argument selon lequel la distinction entre le congédiement imputable à une déficience et le congédiement imputable à une omission de respecter la politique peut sembler superficielle vu que l’inconduite invoquée peut être considérée, dans certains cas, comme un symptôme de la dépendance ou de la déficience » (par. 122), il a conclu que l’argument n’était d’aucun secours à M. Stewart parce qu’il « était capable de se manifester et de révéler sa consommation de drogue » (par. 121) et qu’il « avait fait des choix rationnels quant à sa consommation de drogue » (par. 122). Monsieur Stewart niait peut‑être sa dépendance, mais il savait qu’il ne devait pas prendre de drogue avant de travailler et pouvait décider de ne pas en prendre, en plus d’avoir la faculté de révéler sa consommation de drogue à son employeur. Le déni de sa dépendance n’était donc pas pertinent en l’espèce.

[39]                          On ne saurait présumer que la dépendance de M. Stewart a réduit sa capacité de respecter la Politique. Dans certains cas, la personne souffrant d’une dépendance est tout à fait en mesure de respecter les règles en milieu de travail. Dans d’autres, la dépendance prive effectivement une personne de la capacité de les respecter, et la violation de la règle est alors inextricablement liée à la dépendance. Bien des cas peuvent se situer entre ces deux extrêmes. Le point de savoir si une caractéristique protégée est ou non un facteur de l’effet préjudiciable dépend des faits et doit être évalué au cas par cas. Le lien entre une dépendance et le traitement préjudiciable ne peut être tenu pour acquis; il doit reposer sur une preuve : Health Employers Assn. of British Columbia c. B.C.N.U., 2006 BCCA 57, 54 B.C.L.R. (4th) 113, par. 41.

[40]                          Il appartenait au Tribunal de déterminer si le motif du congédiement ou l’incidence de la Politique sur M. Stewart établissait l’existence d’une discrimination prima facie. Une preuve abondante appuie la conclusion du Tribunal selon laquelle il n’y avait pas de discrimination prima facie et rien ne permet donc de l’infirmer.

[41]                          Le juge O’Ferrall, dissident, a soutenu qu’un examen détaillé de la preuve montre que la véritable cause du congédiement était la dépendance de M. Stewart. Il s’agit cependant tout au plus d’une simple interprétation différente de la preuve et des inférences factuelles à en tirer. Cela n’établit pas que la conclusion du Tribunal ne s’appuyait pas sur la preuve et était déraisonnable. Soit dit en tout respect, les cours de révision ont pour fonction de décider si la décision d’un tribunal appartient aux issues acceptables, et non d’apprécier de nouveau la preuve. C’est au Tribunal qu’il revient de parvenir à des conclusions et de tirer des inférences de la preuve.

[42]                          Lorsque, comme en l’espèce, un tribunal conclut que la cause du congédiement était la violation d’une politique en milieu de travail ou toute autre conduite passible de mesures disciplinaires, la simple existence d’une dépendance n’établit pas qu’il y a discrimination prima facie. L’employeur ne pourrait pas, sans risquer de violer les lois sur les droits de la personne, sanctionner un employé qui ne se conforme pas à une politique en milieu de travail pour une raison liée à une dépendance. Encore une fois, pour reprendre l’exemple donné par les juges majoritaires de la Cour d’appel, dans le cas d’un employé dépendant à la nicotine qui viole une politique interdisant l’usage du tabac en milieu de travail, aucune sanction ne serait possible sans discrimination, que cet employé ait ou non la capacité de respecter la politique.

[43]                          Il est évidemment loisible à un tribunal de conclure qu’une dépendance a constitué un facteur de la distinction préjudiciable, lorsque la preuve appuie pareille conclusion. Il s’agit au départ de savoir si au moins une des raisons à l’origine du traitement préjudiciable était la dépendance de l’employé. Si, en l’espèce, le Tribunal avait conclu de la preuve que l’employeur avait congédié M. Stewart, ou que la Politique l’avait lésé, uniquement ou notamment parce qu’il souffrait d’une dépendance aux drogues, la discrimination prima facie aurait été établie. Or, selon le Tribunal, la preuve n’appuyait pas cette conclusion. Partant, M. Bish n’a pas établi à première vue l’existence d’une discrimination.

[44]                          Les parties ont soulevé deux autres points qui, sans être essentiels à la décision en l’espèce, méritent que l’on s’y attarde.

[45]                          Tout d’abord, je ne vois aucune raison de modifier le critère servant à établir s’il y a discrimination prima facie en y ajoutant une quatrième exigence, soit la nécessité de conclure à un processus décisionnel stéréotypé ou arbitraire. L’objectif de protéger les gens contre un traitement arbitraire ou stéréotypé ou contre un traitement qui crée un désavantage par la perpétuation d’un préjudice est atteint par l’exigence qu’il y ait un lien entre le motif protégé et le traitement préjudiciable. L’existence d’un traitement arbitraire ou stéréotypé n’est pas une exigence distincte à laquelle il faut satisfaire pour établir la discrimination prima facie. En exigeant autre chose, on s’attache à tort à « la question de savoir s’il existe une attitude, plutôt qu’un effet, discriminatoire », ce dernier étant le point de mire de l’analyse sur la discrimination : Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61, par. 327 (en italique dans l’original). Le Tribunal a expressément souligné au par. 117 qu’il n’était pas nécessaire de faire la preuve d’un traitement arbitraire et stéréotypé.

[46]                          Ensuite, je ne vois pas la nécessité de réviser la position établie selon laquelle le motif ou la caractéristique protégé n’a qu’à constituer « un facteur » de la décision. On a soutenu à l’audience qu’il faudrait ajouter des adjectifs : le motif devrait être un facteur « important » ou « déterminant ». Il est peu utile d’ajouter des adjectifs à l’exigence voulant que le motif contesté ait constitué « un facteur » du traitement préjudiciable. Dans chaque cas, le tribunal doit décider du ou des facteurs ayant joué un rôle dans le traitement préjudiciable. Il s’agit d’une question de fait. Si un motif protégé a contribué au traitement préjudiciable, alors il est déterminant.

V.            Conclusion

[47]                          La décision du Tribunal voulant que la discrimination prima facie n’ait pas été démontrée était raisonnable. Il n’est donc pas nécessaire de se demander si M. Stewart a bénéficié d’un accommodement raisonnable. Je suis d’avis de confirmer la décision et de rejeter le pourvoi avec dépens en faveur d’Elk Valley Coal Corporation, Cardinal River Operations.

                    Version française des motifs rendus par

 

                    Les juges Moldaver et Wagner —

I.                    Aperçu

[48]                          Nous sommes d’avis qu’il y a lieu de rejeter le pourvoi. Bien que nous soyons d’accord avec la Juge en chef sur le résultat, nous convenons avec le juge Gascon que le critère de la discrimination prima facie a été satisfait en l’espèce. La conclusion de l’Alberta Human Rights Commission (« Tribunal ») selon laquelle la dépendance de M. Stewart aux drogues n’a pas constitué un « facteur » de son licenciement était déraisonnable. Notre désaccord avec le juge Gascon porte sur l’accommodement raisonnable. À notre avis, le Tribunal a raisonnablement jugé que l’employeur s’était acquitté de son obligation de composer avec M. Stewart tant qu’il n’en avait pas résulté pour lui une contrainte excessive. En conséquence, nous retenons la conclusion du Tribunal selon laquelle l’employeur de M. Stewart n’a pas fait preuve de discrimination envers lui en raison de sa dépendance aux drogues.

II.                 Analyse

A.            Discrimination prima facie

[49]                          Selon le Tribunal, M. Stewart souffrait d’une dépendance aux drogues [traduction] « caractérisée par un manque de contrôle sur le recours à des substances psychoactives et sur le comportement » (motifs du Tribunal, 2012 AHRC 7, par. 109 (CanLII)). Nous acceptons la conclusion du Tribunal que la dépendance de M. Stewart ne l’avait pas rendu entièrement invalide et qu’il exerçait un certain contrôle résiduel sur sa consommation de drogue. Cependant, nous ne voyons pas en quoi le Tribunal pouvait raisonnablement conclure que, comme M. Stewart avait une capacité limitée de faire des choix quant à sa consommation de drogue, il n’existait aucun lien entre sa dépendance à la cocaïne et son congédiement imputable au fait qu’il ait obtenu un résultat positif à un test de dépistage de cocaïne après avoir été impliqué dans un accident de travail.

[50]                          Pour établir qu’il y a discrimination prima facie, M. Stewart n’est pas tenu de démontrer que son congédiement est uniquement attribuable ni même principalement attribuable à sa dépendance aux drogues. En fait, il doit uniquement prouver l’existence d’un « lien » entre le motif protégé — sa dépendance aux drogues — et l’effet préjudiciable : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, [2015] 2 R.C.S. 789, par. 52. Nous convenons avec le juge Gascon que l’exercice, par M. Stewart, d’un certain contrôle sur sa consommation de drogue n’a fait que diminuer la mesure dans laquelle sa dépendance a contribué à son congédiement; cela ne l’a pas exclue en tant que « facteur » de son congédiement (par. 120). Il y avait manifestement un lien entre le manque de contrôle de M. Stewart sur sa consommation de cocaïne et le fait qu’il a été congédié parce qu’il a obtenu un résultat positif à un test de dépistage de cocaïne après avoir été impliqué dans un accident de travail. À notre avis, le Tribunal a insisté déraisonnablement sur la capacité restreinte de M. Stewart de maîtriser ses choix et son comportement pour ce qui est de sa consommation de drogue et n’a pas tenu compte du lien entre sa dépendance aux drogues et la décision de son employeur de le congédier.

B.            Accommodement raisonnable

[51]                          Toutefois, nous ne partageons pas l’avis du juge Gascon sur la question de l’accommodement raisonnable. Selon nous, il était raisonnable pour le Tribunal de conclure qu’Elk Valley Coal Corporation, Cardinal River Operations, avait raisonnablement composé avec M. Stewart. 

[52]                          Le Tribunal devait décider si l’employeur avait démontré que la norme discriminatoire à première vue était en fait raisonnablement nécessaire, c.‑à‑d. qu’il était impossible de composer avec l’employé concerné « sans que l’employeur subisse une contrainte excessive » : Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, par. 54.

[53]                          D’après le Tribunal, le congédiement immédiat de M. Stewart était raisonnablement nécessaire. Elk Valley avait imposé une politique sur la consommation d’alcool, de drogues illégales et de médicaments (« Politique ») prévoyant le congédiement d’un employé impliqué dans un accident de travail qui obtient par la suite un résultat positif à un test de dépistage de drogues. Cette règle [traduction] « pas d’accident sans conséquences » avait pour objet de dissuader les employés de consommer de la drogue d’une manière susceptible de nuire à leur rendement. Comme nous l’avons vu, M. Stewart a obtenu un résultat positif à un test de dépistage de cocaïne après avoir été impliqué dans un accident de travail et il devait donc être congédié selon la Politique. Le Tribunal a estimé que, si Elk Valley devait offrir à M. Stewart la possibilité de subir une évaluation individuelle ou remplacer l’effet immédiat d’une cessation d’emploi par des sanctions moins graves (comme une suspension), l’effet dissuasif de la Politique s’en trouverait considérablement amoindri. Étant donné les objectifs et responsabilités d’Elk Valley au chapitre de la sécurité à la mine de charbon, le Tribunal a conclu que le fait de réduire ainsi le pouvoir de la Politique de dissuader d’autres employés de consommer de la drogue constituait une contrainte excessive.

[54]                          Une cour de révision doit se garder de substituer son avis sur l’accommodement raisonnable à celui d’un tribunal. Elle doit plutôt décider si la décision d’un tribunal « appart[ient] [. . .] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47.

[55]                          À notre avis, le Tribunal a raisonnablement conclu que le congédiement immédiat de M. Stewart était raisonnablement nécessaire, de telle sorte que l’effet dissuasif de la Politique ne soit pas considérablement amoindri. La mine de charbon exploitée par Elk Valley était un [traduction] « milieu à risque » (motifs du Tribunal, par. 75). Dans pareil milieu de travail, il était impératif de dissuader les employés de consommer de la drogue d’une manière susceptible de nuire à leur rendement et d’avoir des conséquences dévastatrices. La sécurité au travail est une considération pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer si l’employeur a composé avec l’employé tant qu’il n’en résultait pas pour lui une contrainte excessive : Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, p. 520-521. Soumettre M. Stewart à une évaluation individuelle ou lui imposer une suspension sans solde pour une durée limitée en guise de mesure disciplinaire au lieu de le congédier, une mesure grave et immédiate, saperait l’effet dissuasif de la Politique et, du même coup, compromettrait l’objectif valable de l’employeur d’empêcher les employés de consommer de la drogue d’une manière qui risque de causer de graves dommages dans son milieu de travail à risque. Le Tribunal a donc raisonnablement conclu que faire en sorte que ces aspects de l’accommodement individuel respectent la règle « pas d’accident sans conséquences » entraînerait une contrainte excessive : voir Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie‑Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868, par. 42.

[56]                          L’employé a droit non pas à un accommodement parfait, mais à un accommodement raisonnable dans les circonstances : Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, p. 994-995. Bien que M. Stewart ait été congédié sur‑le‑champ, on lui a offert la possibilité de postuler un emploi après six mois, pourvu qu’il ait complété un programme de réadaptation auprès d’une institution reconnue. L’employeur a consenti à payer la moitié du coût du programme à certaines conditions. La preuve indique également qu’il y aurait eu des postes vacants disponibles si M. Stewart avait postulé un emploi après avoir complété le programme.

[57]                          En conséquence, nous sommes d’opinion qu’il était raisonnable pour le Tribunal de conclure que M. Stewart n’avait pas été victime de discrimination de la part de son employeur en raison de sa dépendance aux drogues. Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.

                    Version française des motifs rendus par

 

                    Le juge Gascon (dissident)

I.               Aperçu

[58]                          La dépendance aux drogues constitue un motif de discrimination illicite en matière de droits de la personne. Cela est bien établi, et aucune des parties ne le conteste. Pourtant, les préjugés qui concernent la dépendance aux drogues — comme la croyance que les personnes qui en souffrent sont les artisans de leur propre malheur ou que leurs préoccupations sont moins crédibles que celles des personnes souffrant d’autres formes de déficience — empêchent parfois les tribunaux et la société d’apprécier objectivement le bien‑fondé de leurs allégations de discrimination. Ces préjugés contribuent à [traduction] « l’intégration non harmonieuse des politiques en matière de dépendance aux drogues et de dépistage des drogues dans l’arène des droits de la personne » dont l’Alberta Human Rights Commission (« Tribunal ») a fait état dans sa décision (motifs du Tribunal, 2012 AHRC 7, par. 153 (CanLII)).

[59]                          Cependant, comme les personnes dépendantes aux drogues représentent une des communautés marginalisées qui peuvent facilement se retrouver dans l’angle mort de la majorité dans le débat sur la discrimination, elles ont évidemment droit à une protection égale contre les effets préjudiciables de la discrimination. À mon avis, les considérations non pertinentes sur lesquelles s’est appuyé le Tribunal en l’espèce — comme le fait que les personnes dépendantes aux drogues exercent un certain contrôle sur leurs choix et sont traitées [traduction] « de la même façon » que les personnes non dépendantes aux drogues selon les politiques en matière de drogues, et que ces politiques ne sont pas nécessairement arbitraires ou fondées sur des stéréotypes — ont eu pour effet d’exclure M. Stewart, une personne dépendante aux drogues, de la portée des protections en matière de droits de la personne.

[60]                          J’ai pris connaissance des motifs majoritaires de la Juge en chef et je m’appuie en partie sur son résumé des faits et des décisions des juridictions inférieures. J’estime toutefois, avec égards, que d’autres points ayant trait au règlement adéquat du présent pourvoi devraient être ajoutés à ce résumé. Je ne suis pas non plus d’accord avec la façon dont elle tranche la question de la discrimination prima facie dont nous sommes saisis. Une politique en matière de drogues dont l’application a pour effet de congédier automatiquement les employés qui consomment de la drogue exerce une discrimination prima facie envers les personnes que la dépendance aux drogues accable. Le critère juridique applicable en matière de discrimination prima facie consiste à se demander si le motif protégé du plaignant constitue « un facteur » dans le préjudice qu’il subit. En l’espèce, la dépendance aux drogues de M. Stewart (son motif protégé) a constitué « un facteur » dans sa consommation de drogue (laquelle a constitué le fondement de son congédiement). En conséquence, la Politique sur la consommation d’alcool, de drogues illégales et de médicaments (« Politique ») de l’intimée, Elk Valley Coal Corporation, Cardinal River Operations, en application de laquelle M. Stewart a été congédié pour avoir consommé de la drogue, est discriminatoire à première vue. D’après moi, l’analyse du Tribunal — laquelle se méprenait sur les principes juridiques sous‑tendant le droit en matière de discrimination et n’était pas étayée par ses conclusions de fait — était par le fait même déraisonnable.

[61]                          J’ai également pris connaissance des motifs concordants des juges Moldaver et Wagner et je partage leur opinion selon laquelle la politique sur les drogues en l’espèce était discriminatoire à première vue envers M. Stewart. Je suis toutefois en désaccord avec la manière dont ils tranchent la question de la justification. Une politique qui « accommode » l’employé au moyen de mécanismes dont il ne peut se prévaloir en raison de sa déficience ou qui s’appliquent à l’employé uniquement après son congédiement ne saurait justifier l’existence d’une discrimination prima facie. Avant son congédiement, M. Stewart aurait été accommodé par l’offre d’un traitement clément s’il divulguait volontairement sa dépendance aux drogues, mais il ne pouvait se prévaloir de cet accommodement parce que, comme le Tribunal l’a conclu, il ne semblait pas conscient de sa dépendance, un symptôme de sa déficience. Après son congédiement, M. Stewart aurait été accommodé par la possibilité de postuler de nouveau à son poste, mais, encore une fois, l’accommodement aide les employés qui ont conservé leur emploi, et non les anciens employés qui peuvent ou non postuler de nouveau avec succès au poste qu’ils ont perdu à la suite d’un congédiement discriminatoire à première vue. Étant donné qu’aucune des mesures d’accommodement d’Elk Valley n’a fourni à M. Stewart un accommodement dont il pouvait se prévaloir au cours de son emploi, et étant donné que ces mesures n’ont pas tenu compte de sa situation personnelle d’une manière digne, on ne saurait affirmer qu’Elk Valley s’est acquittée de son obligation de composer avec lui en tant qu’employé tant qu’il n’en résultait pas pour elle une contrainte excessive. Je considère donc que les conclusions contraires du Tribunal étaient déraisonnables.

[62]                          Je suis parfaitement conscient du milieu à risque qui existe chez Elk Valley et de la façon dont ce milieu incite à l’instauration de politiques strictes sur les drogues à l’intention des employés. Néanmoins, ces politiques, même si elles reposent sur de bonnes intentions, n’échappent pas à un examen sous l’angle des droits de la personne. En l’espèce, un tel examen révèle que l’analyse du Tribunal portant sur la discrimination et la justification était déraisonnable. Par conséquent, j’aurais accueilli le pourvoi.

II.            Contexte

[63]                          J’ai quatre points à ajouter au contexte factuel résumé par la Juge en chef.

[64]                          Premièrement, M. Stewart a eu une longue carrière chez Elk Valley, cette carrière ayant débuté chez le prédécesseur de celle‑ci (Cardinal River Operations Ltd.) en 1996 et s’étant terminée par son congédiement en 2005, un total de neuf ans. Au cours de sa carrière, il a occupé divers postes. Il a d’abord conduit un camion de roulage, puis un camion de 170 tonnes et plus tard un camion de 260 tonnes. Il a également suivi une formation et obtenu une attestation d’opérateur de chargeuse sur pneus. Au moment de son congédiement, il occupait le poste d’opérateur de chargeuse. Comme l’indiquent les motifs dissidents de la Cour d’appel, dans un milieu syndiqué comme Elk Valley, ces années d’expérience procurent généralement de nombreux avantages aux employés, dont un traitement préférentiel au chapitre des mises à pied et des congés annuels. Le juge dissident a également souligné que M. Stewart avait eu un [traduction] « dossier disciplinaire vierge » pendant ces neuf années (motifs de la C.A., 2015 ABCA 225, 19 Alta. L.R. (6th) 219, par. 136). Le Tribunal n’a fait aucune observation et n’a constaté aucun fait indiquant le contraire.

[65]                          Deuxièmement, la politique initiale en matière de drogues, mise en œuvre par Cardinal River, avait reçu l’assentiment du syndicat de M. Stewart, mais la politique subséquente imposée par Elk Valley a été [traduction] « mise en œuvre unilatéralement » (motifs du Tribunal, par. 6). Il s’agit de la Politique en cause dans le présent pourvoi. La portée des mesures d’accommodement préalables à un incident prévues par cette politique est importante. Elle dispose qu’[traduction]« [a]ucun employé souffrant d’une dépendance ne fera l’objet de mesures disciplinaires ou d’une cessation d’emploi forcée [. . .] pour avoir volontairement demandé de l’aide afin de résoudre le problème » (d.a., vol. III, p. 13 (je souligne)). L’accommodement préalable à un incident prévu par la Politique ne s’applique donc qu’aux employés souffrant d’une dépendance et aussi n’est‑elle accessible qu’aux employés conscients de leur dépendance.

[66]                          Troisièmement, la Juge en chef écrit que les employés étaient censés révéler tout problème de dépendance aux drogues avant qu’un « incident lié à la drogue » ne survienne (par. 1), et que M. Stewart « a obtenu un résultat positif à un test de dépistage de drogues » (par. 2) après l’incident. Or, le Tribunal n’a tiré aucune conclusion de fait portant que M. Stewart était intoxiqué au moment de l’incident ou que l’incident était lié de quelque façon à sa consommation de drogue. Il a plutôt conclu que M. Stewart avait eu un incident et avait obtenu un résultat positif à un test de dépistage de cocaïne. Selon la propre preuve d’expert d’Elk Valley, cela signifiait tout simplement que M. Stewart avait consommé de la drogue jusqu’à deux jours avant l’incident. D’ailleurs, le rapport d’expert d’Elk Valley reposait sur l’hypothèse factuelle voulant que M. Stewart ait pris de la cocaïne pour la dernière fois plus de 21 heures avant l’incident.

[67]                          Enfin, je souligne que la Politique a été mise en œuvre contrairement à ses termes exprès. Textuellement, la Politique prévoit un accommodement adapté postérieur à l’incident. Elle dispose plus précisément que, si un employé obtient un résultat positif à un test de dépistage de drogues, les mesures disciplinaires prises à son endroit [traduction] « dépendront de l’ensemble des circonstances pertinentes », notamment : (1) le dossier d’emploi de l’employé; (2) les circonstances du résultat positif; (3) les habitudes de consommation déclarées de l’employé; (4) la probabilité que le rendement au travail de l’employé en ait souffert ou puisse en souffrir; (5) l’importance de la dissuasion d’un tel comportement de la part des employés. En l’espèce, cependant, la Politique a été mise en œuvre sans égard à la situation de M. Stewart. Il a été congédié sans que l’on tienne compte d’une évaluation médicale ou professionnelle de sa situation particulière. Le témoin factuel d’Elk Valley a lui‑même reconnu que la Politique, loin de tenir compte de la situation personnelle, prévoyait le congédiement automatique si jamais un employé obtenait un résultat positif à un test de dépistage de drogues.

III.          Décisions des juridictions inférieures

[68]                          J’estime que l’analyse que fait la Juge en chef des décisions des juridictions inférieures (par. 6-17) nécessite des éclaircissements supplémentaires pour situer mes motifs dans leur juste contexte. Ces décisions font ressortir d’importantes divergences sur la manière dont il convient d’aborder la discrimination prima facie, qui doit être traitée brièvement. De plus, des remarques supplémentaires s’imposent au sujet des deux décisions des juridictions inférieures où il a été conclu qu’Elk Valley avait fourni un accommodement insuffisant à M. Stewart : celle de la Cour du Banc de la Reine et l’opinion du juge dissident de la Cour d’appel.

A.            Approches contradictoires à l’égard de la discrimination prima facie

[69]                          Il n’est pas contesté que le test de base applicable en matière de discrimination prima facie comporte trois étapes, à savoir, (1) le plaignant a un motif protégé en vertu de la loi applicable sur les droits de la personne (que j’appellerai le « motif »; en l’espèce, la dépendance aux drogues); (2) le plaignant a subi un désavantage (que j’appellerai le « préjudice »; en l’espèce, le congédiement de M. Stewart); (3) le motif a constitué « un facteur » dans le préjudice subi par le plaignant (que j’appellerai la « contribution ») : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, [2015] 2 R.C.S. 789, par. 35; Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, [2012] 3 R.C.S. 360, par. 33.

[70]                          Malgré ce test bien établi, dans les décisions des juridictions inférieures, le Tribunal, la Cour du Banc de la Reine et les juges majoritaires de la Cour d’appel ont adopté des approches différentes à l’égard de la contribution. Ces approches se distinguent de trois façons. Premièrement, elles se distinguent sur la question de savoir si les discriminations directe et indirecte sont appréciées selon des cadres juridiques distincts (et, dans l’affirmative, quels cadres s’appliquent à elles). Deuxièmement, elles se distinguent sur la portée du critère de discrimination relatif au « facteur », dont le point de savoir si un simple facteur suffit ou si un type de facteur amélioré (comme un facteur « important » ou un facteur « causal ») est nécessaire, et la question de savoir si le critère relatif au facteur fait entrer en ligne de compte l’intention discriminatoire de l’employeur ou l’effet discriminatoire des actes de cet employeur. Troisièmement, elles se distinguent sur la question de savoir si les choix de l’employé, ou le traitement arbitraire ou fondé sur des stéréotypes de cet employé par l’employeur, sont juridiquement pertinents quant à la discrimination prima facie.

[71]                          Le Tribunal a adopté une approche à l’égard de la contribution. Il a jugé que le critère préliminaire de contribution consiste simplement à se demander si le motif protégé du plaignant a constitué « un facteur » de son préjudice, rien de plus (par. 115c)), quoiqu’il ait laissé entendre ailleurs qu’un lien causal est nécessaire (par. 120). Le Tribunal a conclu que M. Stewart ne satisfaisait pas à l’exigence de contribution (par. 129), car il avait été congédié en raison d’une consommation de drogue (violation de la Politique), et non en raison d’une dépendance aux drogues (sa déficience) (par. 120). Ainsi, le raisonnement implicite du Tribunal est que, pour satisfaire à l’exigence de contribution, la dépendance aux drogues de M. Stewart doit avoir constitué « un facteur » dans la décision d’Elk Valley de le congédier (ce qui se rapporte à l’intention discriminatoire d’Elk Valley), mais pas dans ce qui a donné lieu au congédiement en tant que tel (c’est‑à‑dire l’effet discriminatoire des actes d’Elk Valley). De même, le raisonnement du Tribunal s’appuie sur les choix imprudents de M. Stewart. Il a écrit que [traduction] « [l]a Politique a eu un effet préjudiciable sur M. Stewart non pas en raison du déni résultant de l’affaiblissement des facultés par une drogue, mais parce qu’il a choisi de ne pas arrêter de consommer de la drogue » (par. 120‑122). Toujours selon le Tribunal, un motif ayant contribué au préjudice présente une corrélation avec le traitement arbitraire, fondé sur des stéréotypes, qu’a subi le plaignant (par. 126). Enfin, le Tribunal s’est fondé sur les principes de l’égalité formelle (c.‑à‑d. l’opinion voulant que le fait de traiter tout le monde de la même façon prévienne la discrimination, même si de telles politiques « neutres » ont un effet préjudiciable sur un groupe minoritaire). Plus précisément, il a fait observer que  « M. Stewart aurait été congédié, qu’il ait été ou non un toxicomane ou un consommateur occasionnel » (par. 123).

[72]                          La Cour du Banc de la Reine a adopté une approche différente à l’égard de la contribution. Elle a rejeté la requête dont elle était saisie parce que M. Stewart avait été congédié pour avoir consommé de la drogue, et non en raison d’une dépendance aux drogues (2013 ABQB 756, 581 A.R. 234, par. 45). Cette partie de son raisonnement — où elle semble apprécier l’intention discriminatoire plutôt que l’effet discriminatoire — concorde avec une partie de l’approche du Tribunal. Toutefois, alors que le Tribunal a déterminé un critère unique pour tous les cas de discrimination (par. 115), la Cour du Banc de la Reine a adopté une approche à deux volets, où les cas de « discrimination directe » nécessitent que l’employeur ait l’intention de faire preuve de discrimination, et les cas de « discrimination indirecte » nécessitent que la décision de l’employeur soit fondée sur un raisonnement arbitraire ou stéréotypé (par. 38, 42 et 45). De plus, la Cour du Banc de la Reine a exigé que M. Stewart établisse un « lien causal » entre sa déficience et le préjudice (par. 45), un critère préliminaire plus élevé que le fait de constituer un simple « facteur » de ce préjudice (le critère préliminaire moins élevé que le Tribunal semble avoir appliqué à la contribution).

[73]                          Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont adopté une troisième approche à l’égard de la contribution. Ils ont conclu que pour satisfaire à l’exigence de contribution, laquelle se distingue du critère du « facteur » mentionné par le Tribunal et du critère du « facteur causal » appliqué par la Cour du Banc de la Reine, le motif protégé doit avoir constitué un [traduction] « facteur réel » du préjudice subi par le plaignant (par. 63). Les juges majoritaires ont également conclu que la Politique n’exerçait pas une discrimination prima facie parce qu’elle traitait tous les employés de la même façon, indépendamment de leur déficience (par. 66 et 70), se fondant ainsi, tout comme le Tribunal, sur les principes de l’égalité formelle. Les juges majoritaires semblent en outre avoir appliqué une version déformée de l’approche à deux volets adoptée par la Cour du Banc de la Reine, qui a statué que les cas de « discrimination directe » nécessitent une intention, tandis que les cas de « discrimination indirecte » nécessitent un traitement arbitraire ou stéréotypé. Les juges majoritaires ont plutôt expliqué que les cas de « discrimination directe » nécessitent un traitement arbitraire ou stéréotypé, tandis que les cas de « discrimination indirecte » nécessitent « une culture fondée sur des ententes discriminatoires en matière d’emploi » (par. 76).

B.            Conclusions d’accommodement insuffisant

[74]                          Tant la Cour du Banc de la Reine que le juge dissident de la Cour d’appel ont conclu qu’Elk Valley n’avait pas fourni un accommodement raisonnable à M. Stewart. Bien que la Juge en chef prenne acte de ces conclusions dans ses motifs (par. 12 et 17), j’estime qu’un examen plus détaillé de ces décisions s’impose pour les besoins des présents motifs.

[75]                          La Cour du Banc de la Reine s’est dite d’avis que M. Stewart n’avait pas bénéficié d’un accommodement raisonnable (par. 1). Elle a expliqué que M. Stewart ne pouvait pas bénéficier de l’accommodement préalable à un incident qui lui était offert parce que cet accommodement ne visait que les employés souffrant d’une [traduction] « dépendance » (par. 61), ce que M. Stewart niait « dans une certaine mesure » (par. 59), rendant ainsi un tel accommodement inaccessible aux « simples consommateurs de drogues » comme lui (par. 64-65). Étant donné que la conclusion d’accommodement suffisant tirée par le Tribunal reposait en partie sur cet accommodement inaccessible, la Cour du Banc de la Reine a conclu que, si Elk Valley avait bel et bien exercé une discrimination prima facie envers M. Stewart, elle ne lui avait pas fourni un accommodement suffisant (par. 66).

[76]                          Le juge O’Ferrall, dissident en Cour d’appel, a également décidé que M. Stewart n’avait pas bénéficié d’un accommodement raisonnable (par. 136). Il est arrivé à cette conclusion pour quatre raisons. Premièrement, il a conclu que [traduction] « de nombreuses solutions moins draconiennes que le congédiement » (comme la suspension sans solde) pouvaient atteindre l’objectif de dissuasion d’Elk Valley tout en accommodant M. Stewart et en lui permettant de conserver ses neuf années d’ancienneté au sein de l’entreprise (par. 136). Deuxièmement, il a souligné que l’approche généralisée du Tribunal — consistant à accorder la priorité à la dissuasion dans tous les cas — allait à l’encontre de l’approche individualisée adoptée par notre Cour en matière d’accommodement raisonnable (par. 137). Troisièmement, à l’instar de la Cour du Banc de la Reine, il s’est dit d’avis que M. Stewart ne pouvait se prévaloir de l’accommodement préalable à un incident prévu par la Politique car ce dernier n’était pas conscient de sa dépendance (par. 138). Quatrièmement, il a conclu que le désir de dissuasion ne pouvait l’emporter sur une évaluation individuelle lorsqu’une telle évaluation constitue non seulement une « obligation procédurale » selon la jurisprudence de notre Cour, mais est aussi exigée par la Politique en l’espèce (par. 139-140).

IV.         Analyse

A.            Norme de contrôle

[77]                          Je souscris à l’opinion de la Juge en chef sur la norme de contrôle applicable (par. 22). Notre Cour a récemment établi le test applicable en matière de discrimination (dans l’arrêt Bombardier, qui a appliqué Moore) et de justification (dans l’arrêt Hydro‑Québec c. Syndicat des employé‑e‑s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro‑Québec, section locale 2000 (SCFP‑FTQ), 2008 CSC 43, [2008] 2 R.C.S. 561, qui a appliqué Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (« Meiorin »)). Par conséquent, les décisions des juridictions antérieures — où on a au moins fait état de ces principes juridiques établis et seulement prétendu les appliquer aux faits en litige — sont contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (Bombardier, par. 73; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3, par. 50).

B.            Discrimination prima facie

[78]                          La Juge en chef a correctement déterminé le test à trois volets applicable en matière de discrimination prima facie : (1) le motif; (2) le préjudice; (3) la contribution (par. 24). Elle a également indiqué à juste titre que le troisième volet de ce test — la contribution — est le seul volet en litige (par. 25). Toutefois, à mon humble avis, son analyse, tout comme celle des juridictions inférieures, ne tient pas compte du fait que le Tribunal a appliqué le test de manière déraisonnable. J’expliquerai mon raisonnement en trois étapes. Premièrement, je décrirai ce que je considère être la bonne approche à l’égard de la contribution. Deuxièmement, j’expliquerai pourquoi l’approche de la Juge en chef me semble incorrecte. Troisièmement, je résumerai mon appréciation de l’approche déraisonnable adoptée par le Tribunal, qui, en raison d’erreurs juridiques et conceptuelles, est parvenu à une conclusion non étayée par ses propres constatations de fait.

(1)           La bonne approche à l’égard de la contribution

[79]                          L’analyse de la discrimination prima facie et, plus particulièrement, de la contribution porte sur l’effet discriminatoire, et non sur l’intention discriminatoire (bien que, si l’on établit l’intention de commettre un acte discriminatoire à l’endroit d’un groupe protégé — une situation probablement rare; voir Meiorin, par. 29 — il serait difficile pour l’employeur de nier la discrimination prima facie).

[80]                          La distinction entre l’effet et l’intention, sur le plan analytique, se comprend mieux du point de vue du rapport examiné. Si l’intention discriminatoire était déterminante quant à la contribution, le rapport pertinent serait celui entre le motif protégé de l’employé et l’intention de la société de causer un préjudice à cet employé. Mais la contribution met en évidence l’effet discriminatoire. En effet, pour que les lois sur les droits de la personne offrent une protection contre la « discrimination indirecte » — c.‑à‑d. les règles neutres qui ont des conséquences négatives pour certains groupes — l’intention ne peut constituer une exigence relative à la discrimination prima facie (voir Bombardier, par. 32 et 40; Meiorin, par. 29 et 31). Le rapport pertinent visé par la contribution est donc celui entre le motif et le préjudice de l’employé.

[81]                          La jurisprudence de notre Cour s’est toujours attachée à l’effet discriminatoire — c.‑à‑d. au rapport entre le motif et le préjudice de l’employé — dans l’appréciation de la contribution.

[82]                          Dans Meiorin, où une femme a contesté les exigences excessives liées à la capacité aérobique auxquelles devaient se plier les pompiers forestiers, la Cour a conclu que ces exigences constituaient à première vue de la discrimination parce qu’elles lésaient les femmes. Au moment de se prononcer sur la discrimination prima facie, la Cour ne s’est aucunement demandé si le gouvernement avait eu l’intention de faire preuve de discrimination envers les femmes. En fait, les exigences relatives à la capacité aérobique, loin de réserver intentionnellement un traitement particulier aux femmes, visaient légitimement à s’assurer que les pompiers forestiers, quel que soit leur sexe, étaient en assez bonne condition physique pour remplir les obligations liées à leur emploi.

[83]                          Dans Moore, où le père d’un enfant atteint de troubles d’apprentissage sévères a contesté la décision d’un district scolaire de fermer un centre exceptionnellement en mesure d’enseigner aux élèves ayant de tels troubles, la Cour a jugé cette décision discriminatoire à première vue parce qu’elle lésait ces élèves, et ce, même si la raison à l’origine de la décision de fermer le centre était « exclusivement financière » (par. 46) et il n’y avait aucune intention de faire preuve de discrimination envers les élèves ayant une déficience.

[84]                          Enfin, dans l’arrêt Bombardier, la Cour a rejeté une approche axée sur l’intention en matière de discrimination prima facie, écrivant que « tant en droit canadien qu’en droit québécois, le demandeur n’est pas tenu de démontrer que le défendeur avait l’intention de commettre un acte discriminatoire à son endroit » (par. 40). Cela n’a rien de surprenant, étant donné que bien des formes de discrimination sont « multifactoriel[les] » ou reposent sur des considérations « inconscient[es] » (par. 41), dont aucune n’est visée par une analyse axée sur l’intention. Comme la Cour l’a affirmé dans Bombardier :

Dans un arrêt récent portant sur le Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, c. H.19, la Cour d’appel de l’Ontario a jugé qu’il était préférable d’utiliser les termes communément employés dans la jurisprudence en matière de discrimination, par exemple [traduction] « lien » et « facteur » : Peel Law Assn. c. Pieters, 2013 ONCA 396, 116 O.R. (3d) 80, par. 59. Selon cette dernière, l’emploi du qualificatif « causal » a pour effet de hausser les exigences de l’analyse au‑delà de ce qui est nécessaire, puisque la jurisprudence en matière de droits de la personne s’attache aux effets discriminatoires des comportements plutôt qu’à l’existence d’une intention discriminatoire ou de causes directes : par. 60. Nous souscrivons au raisonnement de la Cour d’appel de l’Ontario à cet égard. [Je souligne; par. 49.]

[85]                          Comme l’illustrent ces trois arrêts de principe, notre Cour a indiqué que l’analyse de la discrimination prima facie, et plus particulièrement le critère de la contribution, porte sur le rapport entre le motif et le préjudice, et non sur celui entre le motif et l’intention de causer un préjudice. La Juge en chef reconnaît que l’analyse porte sur les effets, et non les attitudes, discriminatoires (par. 45) et qu’un motif n’a qu’à constituer « au moins un » des facteurs à l’origine du préjudice subi par l’employé (par. 43), une approche confirmée par les juges Moldaver et Wagner (par. 50). Elle considère toutefois que le Tribunal a suivi cette approche établie dans ses motifs. À mon humble avis, il ne l’a pas fait.

(2)           L’approche de la Juge en chef à l’égard de la contribution

[86]                          Il me semble que les motifs de la Juge en chef s’écartent de cette approche établie à l’égard de la contribution de trois façons : (1) ils ne relèvent pas la mauvaise compréhension, par le Tribunal, du critère de contribution relatif au « facteur »; (2) ils confirment implicitement des principes juridiques erronés sur lesquels s’est fondé le Tribunal dans son raisonnement; (3) ils introduisent à tort dans l’analyse de la discrimination prima facie des considérations liées à la justification.

[87]                          Quant au premier point, la Juge en chef s’en remet à la conclusion du Tribunal selon laquelle la dépendance de M. Stewart n’a pas constitué un facteur dans son congédiement, ce qu’elle considère comme étant « essentiellement une question de fait » (par. 5). Cependant, une lecture attentive de la décision du Tribunal révèle qu’il ne se préoccupait pas de savoir si la dépendance aux drogues avait contribué, du moins en partie, au congédiement de M. Stewart (l’analyse appropriée, comme l’explique la Juge en chef au par. 43). Le Tribunal se préoccupait plutôt de savoir si la dépendance aux drogues de M. Stewart avait constitué (1) un facteur irrépressible dans son congédiement, c.‑à‑d. un facteur qui échappait entièrement à sa volonté (une approche incorrecte, comme je l’explique ci‑dessous et comme le reconnaît la Juge en chef au par. 46); (2) un facteur dans la décision d’Elk Valley de congédier M. Stewart (c.‑à‑d. l’exigence relative à l’intention rejetée par notre Cour dans sa jurisprudence, comme je l’ai expliqué ci‑dessus et tel qu’en convient également la Juge en chef au par. 24). Compte tenu de ces erreurs, bien que le Tribunal ait conclu maintes fois que la dépendance de M. Stewart n’avait pas constitué un facteur dans le préjudice qu’il a subi, cette conclusion s’appuyait sur une mauvaise interprétation des principes et elle ne mérite donc pas que l’on fasse preuve de déférence à son égard.

[88]                          Selon la Juge en chef, la conclusion du Tribunal — selon laquelle la dépendance de M. Stewart n’a pas constitué un facteur de son préjudice — s’appuyait raisonnablement sur le fait que sa dépendance n’avait pas réduit sa capacité de respecter la Politique (par. 34). D’après moi, le Tribunal n’a jamais jugé que la dépendance de M. Stewart n’avait pas réduit (c.‑à‑d. affaiblit partiellement) sa capacité de respecter la Politique. Le Tribunal n’a plutôt fait que juger que sa dépendance n’avait pas neutralisé (c.‑à‑d. supprimé entièrement) sa capacité de respecter la Politique. Plus précisément, les conclusions du Tribunal relatives au choix — soit que M. Stewart [traduction] « était capable de faire des choix » à propos de la consommation de drogue (par. 121); « pouvait faire des choix rationnels et en avait effectivement fait » à ce sujet (par. 122); et « avait la capacité de faire des choix » à cet égard (par. 126) — veulent seulement dire que M. Stewart exerçait toujours un certain contrôle résiduel sur son choix de consommer de la drogue, et non qu’il conservait une maîtrise complète de ce choix. À mon avis, c’est la seule interprétation qu’il est possible de donner à ces conclusions, lorsque le Tribunal a estimé que M. Stewart souffrait d’une dépendance à la cocaïne (par. 118) et a considéré que « dépendance » signifiait « manque de contrôle » sur la consommation de drogue (par. 109). Par conséquent, admettre que M. Stewart manquait de contrôle sur sa consommation de drogue est incompatible avec l’idée que ce contrôle n’était aucunement affaibli par sa dépendance.

[89]                          Vu ces conclusions, je crois qu’il y a eu discrimination prima facie en l’espèce. Au paragraphe 39, la Juge en chef décrit un spectre théorique couvrant les différents degrés auxquels une dépendance peut nuire à la capacité d’une personne de maîtriser ses choix. Ce spectre se divise en trois sections où diffère la mesure dans laquelle la dépendance influe sur la maîtrise de soi d’une personne : (1) aucune incidence (la personne est « tout à fait en mesure de respecter les règles en milieu de travail »); (2) une incidence complète (la dépendance « prive effectivement une personne de la capacité de les respecter »); (3) une certaine incidence (« entre ces deux extrêmes »). À mon avis, si nous devons véritablement reconnaître qu’un motif protégé « à l’origine » du préjudice subi par le plaignant suffit pour constituer de la discrimination prima facie, seule la section « aucune incidence » du spectre n’emporterait pas discrimination prima facie. En considérant que toute la section « certaine incidence » du spectre relève de la discrimination prima facie, je ne tiens pas pour acquis que la dépendance de M. Stewart a réduit sa capacité de respecter les modalités de la Politique. Je reconnais uniquement que la dépendance — soit la capacité affaiblie de résister à l’envie de consommer, par exemple, une drogue en particulier — implique, dans les faits et logiquement, une capacité réduite de résister à l’envie de consommer cette drogue. Nous devons nous rappeler que, pour être considéré comme un toxicomane atteint d’une déficience (le motif en litige dans le cas présent), le plaignant doit d’abord établir qu’il ressent un besoin suffisamment élevé de consommer de la drogue pour atteindre le seuil de dépendance aux drogues.

[90]                          Quant au second point, j’estime que les motifs de la Juge en chef confirment implicitement des principes juridiques erronés sur lesquels s’est fondé le Tribunal dans son raisonnement. Par exemple, elle résume avec approbation la manière dont le Tribunal n’a fait porter son raisonnement que sur l’intention, plutôt que sur l’effet, discriminatoire (par. 26 et 31-36), même si elle reconnaît expressément que l’intention discriminatoire n’est pas requise pour prouver qu’il y a discrimination prima facie (par. 24). Elle résume également avec approbation le recours, par le Tribunal, à un raisonnement fondé sur le « choix » (par. 5, 26, 32, 34-35, 38-39 et 42). Enfin, elle résume avec approbation le recours, par le Tribunal, à un raisonnement fondé sur l’« égalité formelle » (par. 34), même si elle reconnaît expressément la recevabilité des allégations de discrimination indirecte (par. 24). Pour ma part, je ne souscris pas à ces principes qui s’écartent du test établi en matière de discrimination prima facie.

[91]                          Je préfère plutôt, et fais mienne, la description que la Juge en chef donne du bon test applicable en matière de discrimination prima facie, à savoir que le motif n’a qu’à constituer « au moins une des raisons à l’origine du traitement préjudiciable » (par. 43). En d’autres termes, il n’a qu’à constituer « un facteur » ayant « contribué » au préjudice (par. 24 et 46). Selon moi, ce critère préliminaire fondé et moins rigoureux a été respecté au vu du dossier dont disposait le Tribunal.

[92]                          En dernier lieu, la Juge en chef paraît suggérer qu’il faut interpréter restrictement la discrimination prima facie pour préserver le caractère exécutoire des politiques en matière de drogues et d’alcool (par. 42). Elle appuie cette analyse sur l’exemple d’employés ayant une dépendance à la nicotine qui fument dans les bureaux à l’abri de sanctions de la part de l’employeur, qui a les mains liées par des lois en matière de droits de la personne trop généreuses, ce qui rendrait inapplicables les politiques en milieu de travail (par. 42).

[93]                          Je suis en désaccord avec cette approche. Elle introduit des considérations liées à la justification — comme l’importance de la politique sur le milieu de travail et ses objectifs légitimes — dans l’analyse de la discrimination prima facie. Elle exagère en outre ce que suppose le fait de juger ces politiques discriminatoires à première vue en affirmant que ces politiques seraient inapplicables (« aucune sanction ne serait possible sans discrimination » : motifs de la juge en chef McLachlin, par. 42), alors qu’en réalité, elles devraient tout simplement être justifiées comme se rapportant à des exigences professionnelles justifiées. Elle restreint également la jurisprudence établie récemment par notre Cour dans les arrêts Moore et Bombardier; congédier un employé « pour une raison liée à une dépendance » (motifs de la juge en chef McLachlin, par. 42) constitue précisément ce qu’il faut entendre par le fait, pour cette dépendance, d’avoir constitué « un facteur » du préjudice subi par l’employé.

[94]                          Je passe maintenant à l’approche que le Tribunal a adoptée à l’égard de la contribution.

(3)           L’approche déraisonnable du Tribunal à l’égard de la contribution

[95]                          J’estime que l’analyse du Tribunal est indéfendable quant à ses conclusions de fait et aux principes juridiques qui sous‑tendent la discrimination prima facie (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47). La Juge en chef fait observer à juste titre que le Tribunal « a cité le bon critère juridique » relativement à la discrimination prima facie (par. 26), mais le Tribunal n’est pas à l’abri d’un contrôle simplement parce qu’il a énoncé le bon critère juridique. En l’espèce, sa mauvaise application de ce critère et l’absence d’éléments de preuve à l’appui de ses conclusions démontrent que sa conclusion relative à la contribution est déraisonnable et ne mérite pas que l’on fasse preuve de déférence à son endroit.

(a)       La mauvaise compréhension par le Tribunal des principes juridiques relatifs à la discrimination

[96]                          À mon avis, le Tribunal a appliqué le critère de contribution en dénaturant l’analyse appropriée; par conséquent, il a déraisonnablement conclu que la dépendance de M. Stewart n’avait pas contribué à son congédiement. Je relève quatre erreurs conceptuelles dans l’analyse du Tribunal : (1) le fait d’exiger de l’employé qu’il fasse des choix prudents pour éviter la discrimination (par. 120‑122); (2) le fait de limiter les protections dont jouit l’employé à l’assurance d’une égalité formelle (par. 123); (3) le fait d’exiger de l’employé qu’il prouve qu’il a été traité de façon arbitraire ou stéréotypée (par. 124 et 126); (4) le fait d’exiger de l’employé qu’il établisse un rapport de causalité entre son motif et son préjudice (par. 120).

[97]                          Les choix du plaignant n’ont rien à voir avec la contribution. La jurisprudence de notre Cour n’exige pas que les plaignants se montrent prudents en évitant la discrimination; cela équivaudrait essentiellement à une sorte de moyen de défense fondé sur la faute contributoire en matière de discrimination. Dans Meiorin, par exemple, la plaignante n’a pas eu à prouver que même en s’entraînant de manière plus assidue, il aurait été impossible d’acquérir la capacité aérobique exigée des pompiers forestiers. Au contraire, le fait que la capacité aérobique exigée soit plus difficile à acquérir pour les femmes (par. 11) était suffisant pour établir un lien entre le motif (le sexe) et le préjudice subi par la plaignante (le congédiement).

[98]                          Le Tribunal a conclu que M. Stewart avait été congédié [traduction] « parce qu’[il] n’avait pas [. . .] cessé de consommer de la drogue et n’avait pas révélé sa consommation avant l’accident » (par. 120). Ces omissions étaient cependant toutes deux symptomatiques de sa dépendance aux drogues; partant, il avait plus de difficulté à cesser de consommer de la drogue et il semblait ne pas être conscient de sa dépendance, ce qui l’empêchait de bénéficier de l’accommodement préalable à un incident prévu par la Politique. Prétendre que la dépendance aux drogues de M. Stewart n’a pas constitué « un facteur » de son congédiement parce qu’il a été congédié « en raison de » sa dépendance aux drogues est tout simplement une autre façon d’énoncer une contribution requérant qu’un motif soit la cause directe du préjudice (la violation de la Politique), plutôt qu’une cause indirecte (la dépendance à l’origine de cette violation). Dans le même ordre d’idées, reprocher à M. Stewart son omission de se prévaloir de l’accommodement préalable à un incident en vertu de la Politique, alors que cette omission semble prendre sa source dans un déni symptomatique de sa dépendance, ne tient compte que de son omission directe de respecter la politique, et non de l’explication indirecte de cette violation. Autrement dit, une analyse de la discrimination prima facie axée sur le choix exige qu’un motif soit un facteur « direct » du préjudice subi par le plaignant au lieu d’exiger simplement qu’un motif constitue « un facteur », le test établi. Ainsi, faire valoir que la dépendance de M. Stewart n’était pas une cause « immédiate » (c.‑à‑d. directe) de son préjudice parce qu’il a choisi de consommer de la drogue fait ressortir en quoi cette approche axée sur le choix métamorphose l’approche fondée sur le « facteur » en une approche fondée sur le « facteur immédiat ».

[99]                          Un critère préliminaire de contribution lié au choix n’est pas souhaitable sur le plan normatif pour de nombreuses raisons. Par exemple, un tel critère fait porter au plaignant le fardeau d’éviter la discrimination, plutôt que de faire porter à l’employeur le fardeau de ne pas exercer de discrimination. Il est également incompatible avec certains motifs légaux reconnus récemment dont on peut prétendre qu’ils font entrer en ligne de compte les choix d’un plaignant qui sont importants pour son identité — comme l’[traduction] « expression du genre » (Alberta Human Rights Act, R.S.A. 2000, c. A-25.5, par. 7(1)) — ce qui rend les plaintes fondées sur ces motifs théoriquement impossibles à présenter.

[100]                      De même, un critère préliminaire fondé sur le choix contredit généralement le rejet par la Cour — quoique dans le contexte d’autres articles de la Charte canadienne des droits et libertés  — de la séparation superficielle entre les motifs protégés, comme la dépendance aux drogues et l’orientation sexuelle, et la conduite inextricablement liée à ces motifs, comme la consommation de drogue et les activités sexuelles (Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, 2013 CSC 11, [2013] 1 R.C.S. 467, par. 121‑124), une préoccupation exprimée par le Tribunal en l’espèce (par. 122). De plus, il contredit plus particulièrement le rejet par la Cour — quoique dans le contexte de l’art. 7  de la Charte  — de l’opinion selon laquelle le « choix » rend les consommateurs de drogues responsables des préjudices découlant de leur consommation de drogue, plutôt que les lois portant atteinte à la Charte  ou les employeurs qui commettent des actes discriminatoires (Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134, par. 106).

[101]                      De plus, un critère préliminaire fondé sur le choix blâme les communautés marginalisées pour leurs choix — qu’il s’agisse d’un choix de s’exprimer (comme l’expression du genre) ou d’une capacité atténuée de maîtriser leurs choix (comme la dépendance aux drogues) — ce qui renforce la stigmatisation, comme l’a reconnu le Tribunal en l’espèce (par. 127). Cela va à l’encontre des objectifs réparateurs de la législation sur les droits de la personne et trouve sa source dans les stéréotypes mêmes que le droit relatif aux droits de la personne vise à combattre. Comme l’a fait observer un intervenant, le choix, dans ce contexte, [traduction] « est synonyme de culpabilité morale ».

[102]                      Dans cette optique, le Tribunal n’aurait pas dû mettre l’accent sur le fait que la dépendance aux drogues de M. Stewart n’était pas totalement invalidante. Le Tribunal a conclu qu’en dépit de sa dépendance aux drogues, M. Stewart était toujours à même de [traduction] « faire des choix rationnels quant à sa consommation de drogue » (par. 122) et continuait à exercer un contrôle sur « le moment et l’endroit où il consommait de la drogue » (par. 121). Se fondant sur ce contrôle résiduel, quoique réduit, le Tribunal a jugé que le congédiement de M. Stewart découlait de son choix de consommer de la drogue, et non de sa dépendance aux drogues (par. 122). Je ne souscris pas à ce raisonnement. Tout d’abord, il a pour effet de refuser les protections en matière de droits de la personne à une vaste majorité de personnes dépendantes aux drogues qui, en dépit de leur dépendance, continuent d’exercer un minimum de contrôle sur des choses aussi simples que « le moment et l’endroit » où elles consomment de la drogue. Ensuite, il remplace l’analyse appropriée — qui consiste à se demander si les personnes dépendantes aux drogues sont lésées par la Politique — par une analyse inappropriée, soit celle de se demander si les personnes dépendantes aux drogues sont accablées par leur dépendance à tel point que la discrimination qu’elles subissent est exclusivement causée par leur dépendance et aucunement influencée par leur volonté. Cela introduit un nouveau moyen de défense fondé sur la faute contributoire, non reconnu jusqu’à maintenant, en matière de discrimination.

[103]                      L’égalité formelle ne règle pas non plus la question de la contribution. Les protections en matière de droits de la personne s’appliquent tant aux allégations de discrimination directe qu’à celles de discrimination indirecte (Bombardier, par. 32; Meiorin, par. 29 et 31). Malgré cela, le raisonnement du Tribunal a pour effet d’exclure la discrimination indirecte de la portée des protections en matière de droits de la personne en se fondant sur les principes de l’égalité formelle. À cet égard, le Tribunal a écrit que [traduction] « M. Stewart aurait été congédié, qu’il ait été ou non un toxicomane ou un consommateur occasionnel » (par. 123) et que « [l]a Politique s’appliquait tant aux consommateurs occasionnels qu’aux toxicomanes » (par. 128). En d’autres termes, le Tribunal a conclu que le traitement égal réservé par la Politique aux personnes souffrant d’une dépendance aux drogues et à celles ne souffrant pas de pareille dépendance qui violent la Politique empêche celle‑ci d’être discriminatoire à première vue (par. 128). De même, la Cour d’appel a estimé que les interdictions de fumer la cigarette ne pouvaient pas être discriminatoires à première vue parce qu’elles s’appliquent aux fumeurs [traduction] « même s’ils viennent de commencer », c.‑à‑d. même s’ils n’ont pas encore développé une dépendance (par. 65). Or, ce traitement « égal » n’épuise pas l’analyse de la discrimination prima facie.

[104]                      Un homme qui ne satisfait pas à l’exigence aérobique dans l’affaire Meiorin aurait été congédié, tout comme Mme Meiorin. Ce qui comptait, c’était que les candidates étaient lésées par cette exigence. De même, dans l’affaire Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525, tout employé qui ne travaillait pas le jour du Yom Kippour, qu’il soit juif ou non, aurait eu à prendre un congé sans traitement. Ce qui comptait, c’était que les enseignants de religion juive — pour qui le Yom Kippour revêt une importance particulière — étaient lésés par la politique sur le milieu de travail.

[105]                      La présente affaire n’est pas différente. S’il est vrai que les consommateurs de drogues, dépendants ou occasionnels, recevraient le même traitement en cas de violation de la Politique, ce ne sont que les personnes souffrant d’une dépendance aux drogues, dont la déficience constitue un motif protégé reconnu, qui auront particulièrement et de façon disproportionnée de la difficulté à respecter la Politique. L’application égale d’une politique à ceux qui ont un motif protégé et à ceux qui n’en ont pas signifie tout au plus que la politique ne constitue pas de la discrimination directe; elle ne règle pas la question de la discrimination indirecte et ne met donc pas fin à l’analyse de la discrimination prima facie.

[106]                      En outre, je conclus que le Tribunal a eu tort de considérer le traitement arbitraire et l’application de stéréotypes comme pertinents pour son analyse de la contribution. Il a établi une distinction entre l’affaire ADGA Group Consultants Inc. c. Lane (2008), 64 C.H.R.R. D/132 (C. div. Ont.), et la présente affaire parce que, dans ADGA, l’employeur avait congédié un employé en raison de « stéréotypes » (par. 124). Le Tribunal a ensuite indiqué qu’en l’espèce, [traduction] « on ne saurait inférer que l’application de la Politique était arbitraire ou perpétuait des stéréotypes historiques » (par. 126). Cependant, une telle approche va à l’encontre de la jurisprudence de notre Cour. Cette dernière n’a jamais confirmé l’exigence d’un traitement arbitraire ou de l’application de stéréotypes dans l’analyse relative à la discrimination prima facie. Et aucun des trois piliers de la discrimination prima facie — le motif, le préjudice ou la contribution — ne se rapporte, sur le plan conceptuel, au traitement arbitraire ou à l’application de stéréotypes. Comme certains commentateurs universitaires l’ont fait remarquer, l’introduction de considérations « de fond » dans le critère établi et peu exigeant applicable à la discrimination prima facie entre en conflit avec la jurisprudence de notre Cour et fait passer le fardeau de la justification de l’employeur au plaignant (voir, p. ex., J. Koshan, « Under the Influence : Discrimination Under Human Rights Legislation and Section 15  of the Charter  » (2014), 3 Can. J. Hum. Rts. 115, p. 123-125; B. Oliphant, « Prima Facie Discrimination : Is Tranchemontagne Consistent with the Supreme Court of Canada’s Human Rights Code Jurisprudence? » (2012), 9 J.L. & Equality 33, p. 53; D. Pothier, « Tackling Disability Discrimination at Work : Toward a Systemic Approach » (2010), 4 R.D.S.M. 17, p. 31).

[107]                      Par exemple, le premier critère relatif à la justification — le lien rationnel — est mis en équilibre avec le traitement arbitraire; il s’agit de simples contraires (voir, p. ex., Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331, par. 83). De même, les trois critères relatifs à la justification — le lien rationnel, la bonne foi et l’accommodement raisonnable — seraient difficiles à satisfaire si l’employeur devait se livrer à un raisonnement stéréotypé. Il n’y a donc aucune raison de faire porter au plaignant le fardeau lié au traitement arbitraire ou à l’application de stéréotypes à l’étape de l’analyse portant sur la discrimination prima facie lorsque ce fardeau est déjà porté par l’employeur à l’étape de la justification (et que l’employeur est le mieux placé pour connaître ses motivations, de toute façon).

[108]                      J’ajouterais ce qui suit sur ce point. Le Tribunal a écrit au par. 116 :

                           [traduction] Un volet plus récent de l’analyse relative à la discrimination prima facie appliqué par les juges minoritaires de la Cour dans McGill [. . .] et adopté semble-t-il par les juges majoritaires dans Honda [. . .], met l’accent sur l’égalité réelle, les distinctions par opposition à la discrimination, de même que sur la question de savoir si l’acte préjudiciable de l’employeur fondé sur un motif prohibé relève d’un stéréotype ou est arbitraire. Toutefois, la démonstration d’un préjudice ou de l’application de stéréotypes ne représente pas une exigence additionnelle en matière de preuve à laquelle doit satisfaire le plaignant pour établir la discrimination prima facie. Une fois le traitement préjudiciable démontré sur la base d’un motif prohibé, on déduit généralement qu’il y a eu application de stéréotypes, traitement arbitraire ou perpétuation d’un désavantage. [Je souligne.]

[109]                      À mon sens, le passage ci-dessus fait trois choses : (1) il prétend que notre Cour a jugé dans Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, [2008] 2  R.C.S. 362, que la discrimination prima facie — laquelle « met l’accent sur l’égalité réelle » — vise l’application de stéréotypes et le traitement arbitraire; (2) il dit que la « démonstration » d’un préjudice ou de l’application de stéréotypes « ne représente pas une exigence additionnelle en matière de preuve » imposée au plaignant; (3) il soutient que l’« on déduit généralement » qu’il y a eu application de stéréotypes et traitement arbitraire lorsqu’un motif, un préjudice et une contribution sont établis. D’après moi, ce paragraphe n’exclut pas le traitement arbitraire et l’application de stéréotypes comme facteurs pertinents. Il en confirme plutôt la pertinence et fait remarquer plus modestement qu’il n’est pas nécessaire de les prouver individuellement dans tous les cas car, dans certains d’entre eux, ils peuvent être déduits des circonstances. Je conclus que cet examen du traitement arbitraire et de l’application de stéréotypes participe d’une mauvaise interprétation de principe.

[110]                      Enfin, le Tribunal a mal interprété le critère relatif au « facteur » établi dans la jurisprudence. À un moment donné, il affirme que [traduction] « l’effet préjudiciable doit avoir un lien de causalité » avec le motif (par. 120) — une barre plus haute que le critère du simple « facteur » maintes fois adopté par la Cour (Moore, par. 33; Bombardier, par. 49). De plus, ailleurs dans ses motifs, le Tribunal applique le critère relatif au « facteur » en s’attachant à tort à l’intention discriminatoire (une mauvaise analyse), plutôt qu’à l’effet discriminatoire (la bonne analyse). J’examinerai maintenant plus en détail cette erreur fondamentale.

(b)   La conception du critère relatif au « facteur » et son application par le Tribunal

[111]                      Le Tribunal a rejeté la plainte de M. Stewart en se fondant sur la fausse dichotomie selon laquelle M. Stewart doit avoir été congédié soit en raison de sa dépendance, soit en raison de la Politique. Le Tribunal a expliqué que la Politique [traduction] « n’a pas été appliquée [à M. Stewart] en raison de sa dépendance, mais plutôt en raison de son omission d’arrêter de consommer de la drogue » (par. 125). La Juge en chef convient que la preuve appuie la conclusion selon laquelle « le motif du congédiement n’était pas la dépendance, mais la violation de la Politique » (par. 35). Toutefois, d’après ce que je comprends des propres conclusions de fait du Tribunal, le congédiement de M. Stewart était clairement lié à la fois à la violation de la Politique et à sa dépendance.

[112]                      Certes, le Tribunal a maintes fois affirmé que la dépendance de M. Stewart n’avait pas constitué « un facteur » de son congédiement, ce qui constitue, de prime abord, le bon critère juridique. Cependant, d’après les motifs du Tribunal, je crois comprendre qu’il voulait plutôt dire que la dépendance de M. Stewart n’avait pas constitué « un facteur » dans la décision d’Elk Valley de le congédier, c.‑à‑d. qu’Elk Valley n’avait pas intentionnellement fait preuve de discrimination à l’égard de la dépendance de M. Stewart. C’est ce qui ressort des motifs du Tribunal et de sa préoccupation quant à la question de savoir si des [traduction] « considérations discriminatoires » ont joué dans la décision d’Elk Valley de congédier M. Stewart (par. 117). Avec égards, il s’agit du mauvais critère juridique.

[113]                      La manière dont le Tribunal conçoit le critère du « facteur » trouve son expression dans les deux décisions clés citées dans son analyse de la contribution : British Columbia Public Service Agency c. B.C.G.E.U., 2008 BCCA 357, 83 B.C.L.R. (4th) 299 (« Gooding »), et ADGA. Le Tribunal s’appuie sur Gooding pour affirmer qu’un motif ne constitue un facteur du préjudice que s’il joue un rôle [traduction] « dans la décision de l’employeur » de congédier l’employé (par. 119, citant Gooding, par. 11). Il établit une analogie entre Gooding et la présente affaire car la décision  d’Elk Valley — de congédier M. Stewart — a été prise parce qu’il avait violé la Politique, et non pas en raison de sa dépendance (par. 120). Dans le même ordre d’idées, le Tribunal invoque la décision ADGA pour affirmer qu’un employeur ne peut congédier un employé simplement parce que ce dernier « informe son employeur de sa déficience médicale », une décision « fondée sur des stéréotypes » (par. 124). Il explique ensuite qu’ADGA est  « très différente » de la présente affaire car Elk Valley a congédié M. Stewart en raison de sa violation de la Politique, et non pas simplement parce qu’il avait une dépendance (par. 124-125).

[114]                      Le fait que le Tribunal invoque ces décisions à l’appui de ces principes de droit montre comment il restreint la portée de la discrimination prima facie à la discrimination directe et intentionnelle. Il y a effectivement lieu d’établir une distinction entre ADGA et la présente affaire, mais parce qu’il s’agissait d’une affaire de discrimination directe. La discrimination directe n’a pas à être prouvée dans tous les cas. Si une telle preuve était toujours requise, la Cour n’aurait pas conclu à l’existence d’une discrimination prima facie dans les affaires Meiorin et Moore, qui portaient toutes deux sur une discrimination indirecte.

[115]                      À un moment donné, le Tribunal fait allusion à la bonne manière d’aborder la discrimination prima facie :

                         [traduction] . . . je suis sensible à l’argument selon lequel la distinction entre le congédiement imputable à une déficience et le congédiement imputable à une omission de respecter la Politique peut sembler superficielle vu que l’inconduite invoquée peut être considérée, dans certains cas, comme un symptôme de la dépendance ou de la déficience. [par. 122]

Ce critère préliminaire moins élevé — qui consiste à se demander si le motif a constitué « un facteur » dans la manifestation du préjudice, et non dans la décision de l’employeur de causer ce préjudice — constitue la bonne approche en droit, à laquelle la Cour a toujours souscrit. Le Tribunal ne l’a toutefois pas suivie.

[116]                      Étant donné ce qui précède, la conclusion répétée du Tribunal selon laquelle la déficience de M. Stewart n’avait pas constitué « un facteur » dans son congédiement (par. 122 et 125-126) ne saurait commander la déférence. Selon le bon critère — soit celui de savoir si le motif a constitué un facteur du préjudice — la preuve dont disposait le Tribunal ne pouvait pas appuyer sa conclusion selon laquelle la dépendance aux drogues de M. Stewart n’avait pas contribué à son congédiement.

[117]                      La Juge en chef reconnaît qu’« [i]l s’agit au départ de savoir si au moins une des raisons à l’origine du traitement préjudiciable était la dépendance de l’employé » (par. 43). À mon avis, la dépendance aux drogues fut au moins l’un des facteurs, sinon le principal facteur, du congédiement de M. Stewart pour consommation de drogue. Le Tribunal a conclu que la dépendance s’entend d’un [traduction] « manque de contrôle » sur la consommation de drogue, et les experts des deux parties se sont dits de cet avis (par. 109). Le Tribunal est également parvenu à la conclusion que M. Stewart souffrait d’une dépendance à la cocaïne (par. 118). Les deux experts ont convenu que M. Stewart n’était pas conscient de sa dépendance au moment de l’incident (par. 58, 61, 66 et 80). Monsieur Stewart avait donc une capacité affaiblie de respecter la Politique à deux égards : (1) elle interdisait la consommation de drogues, dont il avait particulièrement et excessivement envie; (2) elle offrait un accommodement aux personnes dépendantes aux drogues, ce qu’il semble avoir nié être — un symptôme de sa dépendance.

[118]                      Il est vrai que la dépendance de M. Stewart ne le rendait pas totalement invalide et qu’il exerçait toujours un certain contrôle résiduel sur ses choix (par. 121-122), mais cela ne fait que diminuer la mesure dans laquelle sa dépendance a contribué à son préjudice et ne l’exclut pas en tant que « facteur ». Exiger une invalidité totale résultant d’une dépendance pour fonder une plainte de discrimination aurait bel et bien pour effet d’exclure cette dépendance de la portée de la déficience en droit. Il en est ainsi parce que la dépendance, par définition, désigne un manque de contrôle, mais non une absence de contrôle. Selon la Juge en chef, le Tribunal « a rejeté cet argument » compte tenu « des faits » de l’espèce (par. 38-39), alors qu’en réalité, le Tribunal n’a pas rejeté cet argument; il l’a plutôt éludé en considérant le critère relatif au « facteur » comme s’attachant à l’intention discriminatoire, et non à l’effet préjudiciable, et en exigeant à tort une invalidité absolue pour justifier une plainte de discrimination fondée sur une dépendance.

[119]                      Par conséquent, à la lumière des conclusions de fait du Tribunal, le congédiement de M. Stewart par Elk Valley était discriminatoire à première vue. Son motif (la dépendance aux drogues) et son préjudice (le congédiement) sont reconnus. Quant à la contribution, le lien entre la dépendance aux drogues de M. Stewart (qui affaiblit sa capacité de contrôler sa consommation de drogue) et son congédiement (pour avoir consommé de la drogue, un symptôme, et donc une extension, de sa dépendance) a été établi au vu du dossier. De même, la dépendance aux drogues de M. Stewart semble l’avoir rendu inconscient de sa dépendance, affaiblissant ainsi sa capacité de se conformer aux dispositions de la Politique sur la divulgation volontaire et faisant en sorte que cette inconscience est loin de ne pas être pertinente en l’espèce. Comme l’a dit l’un des intervenants, la dépendance aux drogues — que ce soit par la stigmatisation ou le déni — peut constituer un facteur dans l’omission d’un employé de divulguer volontairement sa déficience. Pour ce motif, la discrimination prima facie a été établie en l’espèce.

[120]                      Je souligne également que, de toute façon, la dépendance aux drogues de M. Stewart a vraisemblablement constitué « un facteur » dans la décision d’Elk Valley de le congédier. À cet égard, je ne suis pas d’accord avec la façon dont la Juge en chef décrit la lettre de congédiement, affirmant que celle‑ci portait uniquement sur la « consommation de drogues » de M. Stewart et « expliqu[ait] la Politique » (par. 30). Comme le juge O’Ferrall l’a fait observer de manière convaincante dans ses motifs dissidents (par. 118‑121), le libellé de la lettre de congédiement porte, sinon principalement, sur la dépendance aux drogues de M. Stewart. Elle est ainsi rédigée :

                    [traduction] Un examen plus à fond de la question avec vous a révélé que vous consommez beaucoup de drogue.

                    . . . Il est essentiel, pour assurer la sécurité dans la mine, que les employés se conforment à la politique en matière de consommation de drogue et d’alcool et révèlent leur dépendance à la drogue ou à l’alcool . . .

. . .

                    . . . nous espérons que vous trouverez en vous la détermination nécessaire pour vous libérer d’une dépendance. . .

. . .

                    Nous vous souhaitons de réussir à reprendre votre vie en main. [Je souligne.]

(d.a., vol. III, p. 48; voir aussi les motifs de la C.A., par. 119.)

[121]                      Les questions qu’Elk Valley a posées à M. Stewart après l’incident, en présence du président et du vice‑président de son syndicat, traduisent pareillement ses préoccupations précises à l’égard de la dépendance aux drogues de M. Stewart. Parmi les nombreuses questions qui lui ont été posées, les questions suivantes méritent d’être soulignées : [traduction] « Donc, ce n’était pas la première fois que vous preniez de la cocaïne? [. . .] Consommez‑vous d’autres drogues Ian? [. . .] Toujours en ce qui concerne la cocaïne ou le crack, quelles sont vos habitudes de consommation? [. . .] Avez‑vous un problème? [. . .] Croyez‑vous avoir une dépendance? [. . .] Quelles sont vos habitudes de consommation présentement? [. . .] Avez‑vous l’intention d’entreprendre un traitement? » (d.a., vol. III, p. 36‑44 (je souligne)).

[122]                      Vu la lettre de congédiement et la transcription de l’entrevue de M. Stewart postérieure à l’incident, il était déraisonnable pour le Tribunal de conclure qu’Elk Valley ne voulait pas à tout le moins savoir si M. Stewart avait une dépendance aux drogues, sinon qu’elle avait été principalement motivée par cette préoccupation. Il ne s’agissait pas d’un simple élément de la toile de fond.

[123]                      Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire de se livrer à cette analyse de ce qui a joué dans la décision d’Elk Valley de congédier M. Stewart pour prouver l’existence d’une discrimination prima facie. L’analyse de la contribution traite simplement de la question de savoir si la dépendance de M. Stewart a constitué un facteur dans son congédiement. La preuve établissait que la dépendance de M. Stewart avait effectivement joué dans sa consommation de drogues et, partant, dans sa violation de la Politique. Si le Tribunal avait appliqué raisonnablement le critère juridique qu’il avait énoncé, il aurait conclu à l’existence d’une discrimination prima facie. Sa décision contraire était déraisonnable et il n’y a pas lieu, à mon avis, de faire preuve de déférence à son égard.

C.            Justification

[124]                      En ce qui concerne maintenant l’autre étape de l’analyse, le Tribunal (au par. 131) a correctement énoncé le test à trois volets établi en matière de justification dans les arrêts Meiorin et Hydro‑Québec : (1) l’existence d’un lien entre la norme adoptée et l’exécution du travail; (2) la bonne foi; (3) l’impossibilité de composer davantage avec l’employé sans subir de contrainte excessive (que j’appellerai l’« accommodement raisonnable »). Les juges Moldaver et Wagner ont raison d’affirmer que le troisième volet du test en matière de justification — l’accommodement raisonnable — est le seul volet en litige (par. 52). Toutefois, soit dit en tout respect, je suis en désaccord avec leur conclusion selon laquelle le Tribunal a raisonnablement interprété le droit en matière d’accommodement raisonnable et les faits dont il avait été saisi.

(1)           La bonne approche à l’égard de la justification

[125]                      L’accommodement raisonnable n’exige pas qu’il soit « impossib[le] pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un employé » (Hydro‑Québec, par. 16), mais l’employeur « a [. . .] l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail » (Hydro‑Québec, par. 16). En résumé, la Cour a précisé que l’accommodement raisonnable n’est établi que si l’employeur « n’aurait pu prendre aucune autre mesure raisonnable ou pratique pour éviter les conséquences fâcheuses » pour l’employé (Moore, par. 49).

[126]                      Pour déterminer quelles sont les solutions de rechange « raisonnables ou pratiques » qui s’offrent à lui, l’employeur doit se livrer à une analyse individualisée de l’employé en question (Meiorin, par. 54-55; Hydro‑Québec, par. 17), compte tenu des « différences individuelles » et des « capacités [individuelles] » de l’employé (Meiorin, par. 55, 64 et 67). Dans l’arrêt Meiorin, la Cour est allée jusqu’à dire que « [l]es employeurs qui conçoivent des normes pour le milieu de travail doivent être conscients des différences entre les personnes et des différences qui caractérisent des groupes de personnes » (par. 68). De même, dans Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504, par. 81, la Cour a conclu « qu’aucune mesure d’adaptation ne permet à elle seule de répondre aux besoins de tous », ce qui témoigne du large spectre sur lequel se situe la dépendance. Par conséquent, toute approche préétablie ou générale à l’égard des sanctions infligées aux employés pour une conduite liée à une déficience peinera à remplir l’obligation d’accommodement individualisé de l’employeur.

[127]                      Cette analyse individualisée implique tant des obligations procédurales que des obligations de fond. Les obligations d’ordre procédural se rapportent à « la procédure, s’il en est, qui a été adoptée pour étudier la question de l’accommodement »; les obligations de fond se rapportent à « la teneur réelle d’une norme plus conciliante qui a été offerte ou, subsidiairement, celle des raisons pour lesquelles l’employeur n’a pas offert une telle norme » (Meiorin, par. 66 (soulignement omis)).

[128]                      Enfin, le critère de la « contrainte excessive » — c.‑à‑d. l’obligation de fond — signifie que les employeurs, lorsqu’ils envisagent les solutions qui s’offrent à eux, doivent toujours soupeser des solutions qui donnent lieu à une certaine contrainte; seule la contrainte « excessive » ne peut être imposée à l’employeur. Obliger les employeurs à supporter une « certaine contrainte » permet d’atteindre l’équilibre libéral recherché par la législation sur les droits de la personne :

                    Il peut être idéal, du point de vue de l’employeur, de choisir une norme d’une rigidité absolue. Encore est‑il que, pour être justifiée en vertu de la législation sur les droits de la personne, cette norme doit tenir compte de facteurs concernant les capacités uniques ainsi que la valeur et la dignité inhérentes de chaque personne, dans la mesure où cela n’impose aucune contrainte excessive. [Meiorin, par. 62]

[129]                      Dans leur avis concordant, les juges Moldaver et Wagner s’en remettent à la manière dont le Tribunal aborde l’accommodement raisonnable (par. 55-56). Ce faisant, ils confirment qu’il était opportun pour Elk Valley de passer outre à l’évaluation individuelle au nom de la dissuasion. Je m’inscris en faux contre cette proposition dans le contexte du droit en matière de droits de la personne.

[130]                      L’évaluation individuelle est à la base de la structure de l’accommodement raisonnable. En congédiant automatiquement un employé, quelle que soit sa situation, qui a un jour obtenu un résultat positif à un test de dépistage pour avoir consommé de la drogue, qu’il ait été en fonction ou non, Elk Valley n’a rien fait pour composer particulièrement avec M. Stewart à titre individuel, contrairement aux directives de la Cour. Elk Valley a plutôt regroupé tous ensemble les consommateurs de drogue (quelle que soit leur motivation) et les toxicomanes (quel que soit leur degré de dépendance) pour régler leur cas de la même façon et sommairement, sans aucune évaluation individuelle.

[131]                      Certes, le Tribunal a jugé qu’obliger Elk Valley à fournir tout autre accommodement à M. Stewart reviendrait à lui imposer une contrainte excessive (par. 152 et 154). Toutefois, si l’ensemble des prétendus accommodements consentis par Elk Valley ne peuvent être considérés comme tels en droit, la conclusion du Tribunal selon laquelle ils [traduction] « constituaient des accommodements adéquats » (par. 152) est susceptible d’intervention en appel. À mon avis, la conclusion du Tribunal — voulant qu’Elk Valley ait offert un accommodement suffisant à M. Stewart — peut être infirmée car, dans les faits, Elk Valley ne lui a offert aucun accommodement.

(2)           L’approche déraisonnable du Tribunal à l’égard de la justification

[132]                      Tout comme dans le cas de la discrimination prima facie, bien que le Tribunal ait énoncé le bon critère (par. 131-133), la façon dont il a appliqué ce critère et la preuve sur laquelle il a fondé ses conclusions démontrent toutes deux que sa conclusion relative à la justification était déraisonnable.

[133]                      Le prétendu accommodement offert par Elk Valley doit être apprécié sous l’angle de ses obligations procédurales et de ses obligations de fond. Sur le plan procédural, le Tribunal a reconnu qu’Elk Valley avait l’obligation de s’enquérir de la situation particulière de M. Stewart avant de prendre une mesure préjudiciable contre lui (par. 149). Pourtant, nul ne conteste qu’Elk Valley n’a pas tenu compte de la situation particulière de M. Stewart (comme l’ampleur de sa dépendance, ses antécédents de travail, sa capacité de réadaptation) avant de mettre fin à son emploi. Le Tribunal a justifié en partie l’indifférence d’Elk Valley envers son obligation procédurale d’accommodement par le fait que M. Stewart aurait lui‑même fait fi de son obligation de [traduction] « demander un accommodement » pour sa déficience, vu sa « capacité » de le faire (par. 149).

[134]                      N’en déplaise au Tribunal, cette conclusion est indéfendable au vu du dossier. La Politique offrait un accommodement préalable à un incident uniquement aux employés [traduction] « souffrant d’une dépendance ». Les deux experts ont en outre convenu que M. Stewart n’était pas conscient de sa dépendance aux drogues au moment de l’incident (par. 58, 61, 66 et 80). Réduire l’obligation d’accommodement d’Elk Valley compte tenu de l’omission de M. Stewart de demander un accommodement, alors que cette omission semble avoir été symptomatique de la déficience pour laquelle il a été victime de discrimination, m’apparaît déraisonnable. La Cour du Banc de la Reine (aux par. 59, 61 et 64-65) et le juge dissident en Cour d’appel (au par. 138) ont pareillement estimé que l’on n’aurait pas dû s’attendre à ce que M. Stewart divulgue une dépendance aux drogues dont il n’était pas conscient. Puisque ceux et celles qui souffrent d’une dépendance aux drogues n’en sont habituellement pas conscients, cela revient, en fait, à priver ces gens de toutes les protections en matière de droits de la personne. En d’autres termes, le message est le suivant : vous n’obtiendrez les protections en matière de droits de la personne que si vous le demandez, mais nous savons qu’en raison de votre déficience, vous ne le ferez pas.

[135]                      Cette insensibilité est trop répandue dans le contexte des dépendances, vraisemblablement en raison de la réprobation sociale qui s’y rattache. Nous n’exigerions jamais d’un employé ayant une déficience physique de se livrer à une activité physique irréalisable pour obtenir un accommodement. Pourtant, c’est précisément ce qu’Elk Valley, dans un contexte psychologique, a fait à M. Stewart en l’espèce. Jamais n’aurait‑il pu demander un accommodement à l’égard d’une déficience qu’il ignorait avoir.

[136]                      Quoi qu’il en soit, la capacité de M. Stewart [traduction] « de faire des choix conscients au sujet de sa consommation de drogue » (motifs du Tribunal, par. 150) n’a réduit en rien l’obligation d’Elk Valley de composer avec lui. Les choix des plaignants, imprudents ou non, n’affaiblissent pas leurs droits de la personne, tant sur le plan du droit que sur celui des principes. Une telle approche inverse le fardeau de la preuve et exige des plaignants qu’ils évitent la discrimination. En outre, elle est inconciliable avec les motifs protégés qui, d’une certaine manière, peuvent être indissociables du choix (comme l’« expression du genre »), elle contredit la jurisprudence de notre Cour sur la Charte  qui lie les motifs protégés à la conduite symptomatique de ceux‑ci et elle blâme ou stigmatise les communautés marginalisées pour leurs choix contrairement aux objectifs réparateurs de la législation sur les droits de la personne.

[137]                      Sur le plan du fond, le Tribunal a reconnu que l’obligation d’accommodement d’Elk Valley comportait [traduction] « l’examen de solutions de rechange ayant un effet moins discriminatoire » (par. 150). Toutefois, le Tribunal a excusé l’omission d’Elk Valley de mettre en œuvre de telles solutions de rechange en se fondant sur une analyse déraisonnable. Il a résumé en ces termes l’accommodement antérieur et postérieur à un incident offert en l’espèce :

                    [traduction] Je reconnais que l’accommodement offert par les dispositions de la Politique relatives à la divulgation amélioratrice, l’offre de réintégration après un délai de six mois et l’offre de remboursement d’une partie des frais de réadaptation contenue dans la lettre de congédiement constituaient un accommodement approprié au vu des faits de la présente affaire qui n’imposait aucune contrainte excessive. [par. 152]

À mon avis, aucune de ces mesures d’accommodement ne peut être considérée comme un accommodement en faveur de M. Stewart à titre d’employé. Il était donc déraisonnable de conclure que ces mesures d’accommodement permettaient raisonnablement à Elk Valley de s’acquitter de ses obligations en matière de droits de la personne.

[138]                      Le Tribunal a conclu que les mesures d’accommodement d’Elk Valley préalables à un incident — c.‑à‑d. de laisser les employés divulguer volontairement leur déficience sans encourir de mesures disciplinaires — [traduction] « devraient être considérées comme faisant partie de l’accommodement offert à M. Stewart » (par. 151). Cela n’est pas étayé par les faits. L’accommodement raisonnable est une démarche individuelle, qui tient compte des caractéristiques individuelles de l’employé concerné. Les experts ont convenu que M. Stewart n’était pas conscient de sa déficience. Il s’ensuit que ce dernier ne pouvait se prévaloir des mesures d’accommodement d’Elk Valley préalables à un incident. Si d’autres employés, qui étaient conscients de leurs déficiences, pouvaient peut‑être se prévaloir de ces mesures d’accommodement, celles‑ci ne semblent pas avoir été accessibles à M. Stewart, l’employé concerné en l’espèce. Comme l’a statué la Cour du Banc de la Reine, une politique qui autorise les personnes dépendantes aux drogues à divulguer volontairement cette dépendance ne fait [traduction] « pas grand‑chose » pour quelqu’un qui n’est pas conscient de sa dépendance aux drogues (par. 61).

[139]                      Le Tribunal a également conclu que les mesures d’accommodement d’Elk Valley postérieures à un incident — c.‑à‑d. de laisser les employés postuler à un nouvel emploi six mois après leur congédiement automatique et de subventionner leur réadaptation, s’ils la réussissent — [traduction] « contribuent également aux responsabilités en matière d’accommodement » (par. 151). À mon avis, cela dément la notion même d’accommodement raisonnable. Ces mesures d’accommodement sont non seulement postérieures à un incident, elles sont aussi postérieures à l’emploi. Elles ne sont entrées en jeu qu’après le congédiement de M. Stewart. Même si elles constituaient peut‑être de beaux gestes, elles ne pouvaient permettre à Elk Valley de s’acquitter de son obligation de composer avec M. Stewart en tant qu’employé. En fait, toute personne étrangère au présent litige aurait pu postuler à un poste chez Elk Valley six mois après la date du congédiement de M. Stewart, ce qui rend cette mesure d’accommodement plutôt superficielle.

[140]                      En réalité, aucun des prétendus accommodements offerts à M. Stewart ne lui était accessible en cours d’emploi. Ainsi, le Tribunal a conclu qu’Elk Valley s’était acquittée de son obligation d’accommodement en ne fournissant, en fait, aucun accommodement à M. Stewart. Une telle conclusion était déraisonnable. Aucun des accommodements offerts ne concernait les « capacités uniques ainsi que la valeur et la dignité inhérentes » de M. Stewart (Meiorin, par. 62). Ces accommodements, lesquels ne prennent pas en compte l’expérience que vivent les personnes atteintes d’une dépendance, ou la situation unique de M. Stewart, garantissaient plutôt son congédiement s’il obtenait un résultat positif à un test de dépistage de drogues, peu importe les circonstances.

[141]                      J’ajouterais que le Tribunal n’a pas tenu compte du fait que la Politique requiert effectivement une évaluation individuelle des employés qui obtiennent un résultat positif à un test de dépistage de drogues, comme l’a fait observer le juge dissident en Cour d’appel (aux par. 139-140). En fait, la Politique traduit l’analyse individuelle exigée par la jurisprudence de notre Cour. Elle dispose que, si un employé obtient un résultat positif à un test de dépistage de drogues, les mesures disciplinaires prises à son endroit [traduction] « dépendront de l’ensemble des circonstances pertinentes, notamment [. . .] : (i) le dossier d’emploi de l’employé; (ii) les circonstances du résultat positif; (iii) les habitudes de consommation déclarées de l’employé; (iv) la probabilité que le rendement au travail de l’employé en ait souffert ou puisse en souffrir; (v) l’importance de la dissuasion d’un tel comportement de la part des autres employés » (d.a., vol. III, p. 16). Malgré ce libellé, aucun des éléments susmentionnés n’a été soupesé par Elk Valley lorsqu’elle a décidé de la mesure disciplinaire à prendre à l’endroit de M. Stewart. En effet, Elk Valley a essentiellement reconnu avoir unilatéralement imposé ce libellé sans jamais avoir eu l’intention d’y donner suite, comme l’a expliqué le témoin factuel d’Elk Valley et comme l’a souligné le Tribunal (au par. 71).

[142]                      Dans Meiorin, la Cour a écrit qu’en matière d’accommodement raisonnable, l’employeur ne peut choisir une norme « d’une rigidité absolue » à moins d’avoir raisonnablement tenu compte des « capacités uniques ainsi que [de] la valeur et [de] la dignité inhérentes » de chaque employé, « dans la mesure où cela [ne lui] impose aucune contrainte excessive » (par. 62). La mise en œuvre de la Politique en l’espèce constituait précisément, à mon avis, une norme « d’une rigidité absolue ». Elk Valley n’a aucunement tenu compte de facteurs concernant quoi que ce soit d’unique au sujet de M. Stewart, des neuf années qu’il a passées chez la société ou de son dossier disciplinaire apparemment vierge.

[143]                      J’insiste sur un dernier point en ce qui concerne la justification. Le Tribunal a soutenu qu’Elk Valley avait offert à M. Stewart [traduction] « la possibilité d’être réintégré dans six mois, sous réserve de certaines conditions raisonnables » (par. 151). Cela est, avec égards, inexact. La lettre de congédiement envoyée à M. Stewart lui offrait la possibilité d’un [traduction] « nouvel emploi » (d.a., vol. III, p. 48); elle ne contenait pas de déclarations à propos du fait que M. Stewart soit « réintégré », c.‑à‑d. qu’il retrouverait son emploi avec tous les avantages qu’il avait accumulés au cours de ses neuf années passées chez Elk Valley. De plus, même si Elk Valley comptait offrir la réintégration, je doute du caractère raisonnable de la conclusion du Tribunal selon laquelle le congédiement de M. Stewart était « raisonnablement nécessaire pour dissuader les consommateurs de drogue et toxicomanes » (par. 149). Si Elk Valley a effectivement offert à M. Stewart de le réintégrer, la différence entre le fait de suspendre M. Stewart sans traitement, sous réserve qu’il satisfasse aux conditions énoncées dans la lettre de congédiement, et le fait de le congédier, sous réserve d’une réintégration s’il satisfait aux mêmes conditions, n’a pas d’importance. La seule différence est que, dans le cas de la suspension, M. Stewart bénéficie d’un accommodement en cours d’emploi et que, dans le cas du congédiement, il bénéficie d’un « accommodement » en tant qu’ancien employé (contrairement au sens juridique de l’accommodement raisonnable). Dans les deux cas, l’obtention d’un emploi chez Elk Valley six mois plus tard dépend de la réussite de sa réadaptation. Si c’est ainsi que le Tribunal a interprété la lettre de congédiement, j’ai peine à comprendre comment une différence si négligeable peut améliorer la dissuasion à l’égard de la consommation de drogue.

[144]                      Comme le juge dissident de la Cour d’appel l’a souligné à juste titre, la [traduction] « [s]uspension sans traitement constitue une importante sanction qui produit un effet dissuasif considérable » (par. 136), surtout si la suspension est de six mois. Pour la plupart des gens, l’effet dissuasif d’une suspension de leur travail et de la privation de salaire pendant la durée de la suspension est immense et ne saurait être sous‑estimé. À mon avis, une sanction aussi sévère aurait dû être soigneusement envisagée parallèlement à d’autres sanctions dans le contexte de l’accommodement raisonnable. Elle ne l’a pas été. En définitive, la seule différence entre la sanction choisie par Elk Valley et une longue suspension sans traitement réside dans le fait que M. Stewart perd les avantages liés à son ancienneté même s’il réussit sa réadaptation. On doit faire preuve de retenue lorsqu’il s’agit de dépouiller un employé de ses neuf années d’ancienneté, d’autant plus que cette sanction plus sévère vise principalement à punir l’employé pour une mauvaise conduite symptomatique de sa déficience.

V.            Conclusion

[145]                      Elk Valley a fait preuve de discrimination prima facie envers M. Stewart. Ce dernier souffrait d’une dépendance aux drogues et il a été congédié pour avoir cédé à cette dépendance, un symptôme indéniable de sa déficience. De plus, Elk Valley n’a pas offert un accommodement raisonnable à M. Stewart. Le seul accommodement qui lui a été offert en cours d’emploi a été de le laisser divulguer volontairement sa déficience sans encourir de mesures disciplinaires, mais il n’a pas pu se prévaloir de cet accommodement parce qu’il semble ne pas avoir été conscient de sa dépendance, ce qui est, je le répète, un symptôme de sa déficience. Comme la décision contraire du Tribunal sur les deux questions était déraisonnable à mon sens, j’aurais accueilli le pourvoi.

                    Pourvoi rejeté avec dépens en faveur d’Elk Valley Coal Corporation, Cardinal River Operations, le juge Gascon est dissident.

                    Procureurs de l’appelant : McGown Cook, Calgary.

                    Procureurs de l’intimée Elk Valley Coal Corporation, Cardinal River Operations : Gall Legge Grant & Munroe, Vancouver.

                    Procureur de l’intimée Alberta Human Rights Commission (Tribunal) : Office of the Chief of the Commission and Tribunals, Calgary.

                    Procureur des intervenants le Conseil des Canadiens avec déficiences et Empowerment Council : ARCH Disability Law Centre, Toronto.

                    Procureurs des intervenantes Construction Owners Association of Alberta, Construction Labour Relations — an Alberta Association, Enform Canada, Electrical Contractors Association of Alberta, L’Association minière du Canada, Mining Association of British Columbia, Ontario Mining Association, Northwest Territories and Nunavut Chamber of Mines et Saskatchewan Mining Association : Dentons Canada, Calgary.

                    Procureurs de l’intervenant United Nurses of Alberta : Chivers Carpenter Lawyers, Edmonton.

                    Procureurs des intervenantes Ontario General Contractors Association, Ontario Formwork Association et Greater Toronto Sewer and Watermain Contractors Association : Fasken Martineau DuMoulin, Toronto.

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