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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie‑Britannique, 2017 CSC 32, [2017] 1 R.C.S. 688

Appel entendu : 1er novembre 2016

Jugement rendu : 22 juin 2017

Dossier : 36595

 

Entre :

Teal Cedar Products Ltd.

Appelante

 

et

 

Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique

Intimée

 

Et entre :

Teal Cedar Products Ltd.

Appelante

 

et

 

Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique

Intimée

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 103)

Le juge Gascon (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Karakatsanis et Wagner)

 

Motifs conjoints dissidents en partie :

(par. 104 à 139)

Les juges Moldaver et Côté (avec l’accord des juges Brown et Rowe)

 

 

 


Teal Cedar c. Colombie‑Britannique, 2017 CSC 32, [2017] 1 R.C.S. 688

Teal Cedar Products Ltd.                                                                               Appelante

c.

Sa Majesté la Reine du chef de la

province de la Colombie‑Britannique                                                                Intimée

‑ et ‑

Teal Cedar Products Ltd.                                                                               Appelante

c.

Sa Majesté la Reine du chef de la

province de la Colombie‑Britannique                                                                Intimée

Répertorié : Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie‑Britannique

2017 CSC 32

No du greffe : 36595.

2016 : 1er novembre; 2017 : 22 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

                    Arbitrage — Appels — Compétence — Norme de contrôle — Sentences arbitrales commerciales — Réduction par la province de l’accès d’une entreprise forestière aux améliorations situées sur des terres de la Couronne qui servent à couper du bois — Désaccord des parties sur le montant de l’indemnité due à l’entreprise forestière et recours par celles‑ci à l’arbitrage Parties demandant l’autorisation d’interjeter appel de la sentence en vertu de l’art. 31(2) de l’Arbitration Act Appel de la sentence rejeté en partie mais rejet infirmé par la Cour d’appel La Cour d’appel a‑t‑elle fait erreur en considérant les questions tranchées par l’arbitre comme des questions de droit susceptibles de contrôle en appel? Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, c. 55, art. 31.

                    Contrats Interprétation Recours au fondement factuel Réduction par la province de l’accès d’une entreprise forestière aux améliorations situées sur des terres de la Couronne qui servent à couper du bois Conclusion par les parties d’une convention en vue de négocier l’indemnité due à l’entreprise forestière pour la perte de l’accès à des améliorations Convention écartant le paiement d’intérêts sur l’indemnité Désaccord des parties sur le montant de l’indemnité et recours par celles‑ci à l’arbitrage Une question de droit découle‑t‑elle de l’interprétation contractuelle donnée par l’arbitre au droit de l’entreprise forestière de toucher des intérêts?

                    Ressources naturelles Forêts Permis et licences — Réduction par la province de l’accès d’une entreprise forestière aux améliorations situées sur des terres de la Couronne qui servent à couper du bois Désaccord des parties sur le montant de l’indemnité due à l’entreprise forestière et recours par celles‑ci à l’arbitrage La conclusion de l’arbitre selon laquelle il est possible d’évaluer les pertes de l’entreprise forestière selon la méthode du coût de remplacement déprécié était‑elle raisonnable? Forestry Revitalization Act, S.B.C. 2003, c. 17, art. 6(4).

                    T, une entreprise forestière, détient des permis de coupe de bois sur des terres de la Couronne dans la province de la Colombie‑Britannique. Quand la province a réduit le volume de la coupe autorisée de T et retranché certaines zones du territoire de la Couronne en question, les parties n’ont pas été en mesure de s’entendre sur le montant de l’indemnité que la province devait à T en contrepartie de la réduction de son accès à certaines améliorations, comme des routes et des ponts, qu’utilisait T pour couper le bois. Leur différend a donc été soumis à l’arbitrage conformément à la Forestry Revitalization Act (« Revitalization Act »). L’arbitre a été saisi d’une question d’interprétation législative pour qu’il choisisse la bonne méthode d’évaluation dans le cas des améliorations en application de la Revitalization Act et il a jugé que cette méthode était celle du coût de remplacement déprécié. L’arbitre a également statué sur une question d’interprétation contractuelle, concluant qu’une convention intervenue entre les parties avant l’arbitrage n’excluait pas l’ajout d’intérêts sur le paiement, par la province, d’une indemnité à T pour les améliorations. Enfin, sur une question d’application de la loi, l’arbitre a décidé que T n’avait pas droit à une indemnité pour les améliorations auxquelles elle n’avait pas perdu accès. En appel, le juge saisi de la requête a confirmé la sentence de l’arbitre, sauf relativement à la question de l’application de la loi qui a été renvoyée à l’arbitre et qui a entraîné une sentence additionnelle accordant une somme égale à la valeur des améliorations. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont infirmé la décision du juge saisi de la requête, estimant que l’arbitre avait fait erreur à la fois sur la question d’interprétation législative et celle de l’interprétation contractuelle de même qu’en rendant sa décision subséquente concernant la question de l’application de la loi. Lorsque l’affaire a été renvoyée à la Cour d’appel pour qu’elle la tranche conformément à Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, la Cour d’appel a jugé à l’unanimité que cet arrêt ne changeait rien à sa décision sur l’appel, répétant sa conclusion que les questions tranchées par l’arbitre sont des questions de droit susceptibles de contrôle en appel et que l’arbitre avait erré, peu importe la norme de contrôle appliquée.

                    Arrêt (les juges Moldaver, Côté, Brown et Rowe sont dissidents en partie) : Le pourvoi est accueilli en partie.

                    La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Karakatsanis, Wagner et Gascon : La décision rendue par la Cour d’appel à la suite du renvoi ne tient pas eu égard à Sattva. La marche à suivre pour qualifier une question selon l’une des trois catégories principales — questions de droit, questions de fait ou questions mixtes — est bien établie, comme le confirme Sattva : les questions de droit concernent la détermination du critère juridique applicable; les questions de fait portent sur ce qui s’est réellement passé entre les parties; et les questions mixtes consistent à déterminer si les faits satisfont au critère juridique. Bien que l’application d’un critère juridique à un ensemble de faits soit une question mixte, si, durant cette application, le critère juridique sous‑jacent a pu être altéré, une question de droit se pose. Pareille question de droit, si elle est alléguée dans le contexte d’un différend relevant de l’Arbitration Act, et en supposant que les autres exigences relatives à la compétence de cette loi sont satisfaites, est susceptible de contrôle en appel. Il est plus juste d’affirmer que ces questions de droit isolables sont une forme cachée de question de droit — où le critère juridique sur lequel se fonde le juge (ou l’arbitre) peut être déduit de son application au lieu d’être énoncé clairement dans sa description — et non une quatrième catégorie, distincte, de questions.

                    Les tribunaux doivent cependant faire preuve de prudence lorsqu’ils relèvent des questions de droit isolables parce que les questions mixtes, par définition, comportent des aspects de droit. Les motivations pour lesquelles l’avocat qualifie stratégiquement une question mixte de question de droit — par exemple pour pouvoir saisir un tribunal de l’appel d’une sentence arbitrale ou pour faire appliquer une norme de contrôle favorable dans l’appel d’un jugement en matière civile — sont limpides. Une conception étroite des questions de droit isolables s’accorde avec le caractère définitif de l’arbitrage commercial et, de façon plus générale, avec la déférence à l’égard des conclusions de fait. Les tribunaux doivent se montrer vigilants lorsqu’il s’agit de faire une distinction entre une partie qui allègue que le critère juridique a pu être altéré lors de son application (une question de droit isolable) et une partie qui allègue que le critère juridique, qui n’a pas été altéré, aurait dû, lors de son application, donner lieu à un résultat différent (une question mixte).

                    Le fait de qualifier une question à l’examen de question mixte plutôt que de question de droit entraîne des différences considérables entre les appels interjetés à l’encontre d’une sentence arbitrale et ceux interjetés à l’encontre d’un jugement en matière civile. L’identification d’une question mixte dans le cadre d’un appel interjeté à l’encontre d’une sentence arbitrale fait échec à la compétence du tribunal en appel suivant l’Arbitration Act. À l’inverse, l’identification d’une question mixte dans le cadre d’un appel interjeté à l’encontre d’un jugement en matière civile ne fait que mener à l’application d’une norme de contrôle plus rigoureuse.

                    Compte tenu de ces principes confirmés dans Sattva, la question d’interprétation législative est habituellement qualifiée de question de droit. À l’inverse, le fait de dire qu’une question en est généralement une d’interprétation contractuelle n’établit pas nécessairement la nature de la question en cause. L’interprétation contractuelle met en jeu des questions de fait, des questions de droit et des questions mixtes. Donc, il faut examiner avec délicatesse la question étroite en litige pour qualifier la nature de la question précise posée au tribunal. En général, l’interprétation contractuelle demeure une question mixte et non une question de droit; elle suppose l’application du droit des contrats (principes du droit des contrats) à des faits d’ordre contractuel (le contrat lui‑même et son fondement factuel).

                    En l’espèce, la question d’interprétation législative, — c’est‑à‑dire la question de choisir une méthode d’évaluation conforme à la Revitalization Act — fait entrer en jeu deux types de questions : (1) les questions relatives à la catégorie générale de méthodes qui sont acceptables selon la Revitalization Act; et (2) les questions liées à la méthode précise, faisant partie de cette catégorie générale de méthodes acceptables, qui devrait être appliquée en fin de compte. Les premières questions — les méthodes acceptables suivant la Revitalization Act — concernent l’interprétation législative et, par conséquent, sont des questions de droit. Ainsi, les tribunaux ont compétence pour contrôler la décision de l’arbitre sur la question dans la mesure où cette décision consistait à cerner un ensemble de méthodes conformes à la Revitalization Act.

                    Les dernières questions — la meilleure méthode parmi celles qui respectent la Revitalization Act — sont inextricablement liées au dossier de preuve présenté à l’audience d’arbitrage, où différents experts se sont prononcés sur les vertus de méthodes d’évaluation incompatibles. Ce sont des questions mixtes, voire des questions de fait pures. Par conséquent, les tribunaux n’ont pas compétence pour contrôler la méthode précise choisie par l’arbitre parmi l’ensemble des méthodes conformes à la Revitalization Act.

                    Pour ce qui est de la question de l’interprétation contractuelle, les tribunaux n’ont pas compétence pour contrôler la décision de l’arbitre à ce sujet. L’arbitre — après une audience longue et complexe — était le mieux placé pour soupeser le fondement factuel dans son interprétation de la convention intervenue entre les parties à propos du paiement d’intérêts. La possibilité qu’il ait accordé beaucoup de poids à cette preuve dans son interprétation du contrat en question ne soulève pas une question de droit conférant compétence aux tribunaux suivant l’Arbitration Act, car cela n’altère pas le critère sous‑jacent qu’il a appliqué en l’espèce. En outre, l’interprétation de l’arbitre reposait sur les termes du contrat et n’était pas supplantée par ceux‑ci. Bien qu’il ait peut‑être accordé beaucoup d’importance au fondement factuel quand il a interprété le sens d’« indemnité », la prétention selon laquelle l’arbitre n’a pas interprété ce fondement séparément des termes du contrat de manière à créer effectivement une nouvelle convention est dépourvue de fondement défendable.

                    De même, sur la question de l’application de la loi, les tribunaux n’ont pas compétence pour contrôler la décision de l’arbitre à ce sujet. La question en cause, qui consiste à savoir si l’arbitre a bien appliqué la méthode d’évaluation à un permis, est une question mixte. Elle échappe donc à la portée du contrôle en appel.

                    Par conséquent, les tribunaux ont uniquement compétence sur la question de l’interprétation de la loi qui consiste à cerner un ensemble de méthodes conformes à la Revitalization Act. La décision sur ce point a été rendue dans un contexte arbitral en application de l’Arbitration Act. Comme le confirme l’arrêt Sattva, la norme de contrôle applicable aux questions de droit découlant de l’analyse de cette question d’interprétation de la loi effectuée par l’arbitre est celle de la décision raisonnable, la norme qui s’applique presque toujours lorsqu’il s’agit de contrôler des sentences arbitrales commerciales. Ce penchant en faveur de la norme de la décision raisonnable concorde avec les principaux objectifs de politique générale de l’arbitrage commercial, à savoir l’efficacité et le caractère définitif. Et ce penchant n’est pas exclu dans la présente affaire vu la nature de la question en litige et l’expertise présumée de l’arbitre.

                    Il serait erroné d’affirmer que toutes les interprétations législatives d’un arbitre commandent l’application de la norme de la décision correcte simplement parce qu’elles font intervenir une question de droit. En revanche, lorsque la décision faisant l’objet du contrôle est, par exemple, un jugement en matière civile, la nature de la question permet d’établir la norme de contrôle applicable, puisque les questions de fait et les questions mixtes sont examinées selon la norme de l’erreur manifeste et déterminante et les questions de droit — y compris les questions de droit isolables — doivent l’être en fonction de la norme de la décision correcte. Il est donc crucial de garder ces distinctions à l’esprit lorsque l’on détermine la norme de contrôle applicable dans un cas donné.

                    La Cour d’appel a conclu à tort que la norme de contrôle applicable à la question d’interprétation législative devait être celle de la décision correcte. Sa décision semble suggérer que les questions de droit, comme l’interprétation des lois, appellent toujours la norme de la décision correcte. Dans la mesure où la Cour d’appel a voulu faire cette suggestion, celle‑ci est erronée. Si la nature de la question (de droit, mixte ou de fait) permet de déterminer la norme de contrôle applicable dans le contexte d’un litige civil, elle ne permet pas de le faire dans le contexte de l’arbitrage commercial. 

                    En ce qui concerne l’étape du contrôle de l’analyse, la conclusion de l’arbitre selon laquelle la méthode du coût de remplacement déprécié respectait la Revitalization Act était raisonnable. Cette décision appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et la décision était justifiée, transparente, intelligible et défendable. La prétention selon laquelle cette méthode donne lieu à un gain fortuit élude la question, en ce qu’on tient ainsi pour acquis qu’une indemnité égale à la valeur de toutes les améliorations est excessive alors qu’on est en train d’expliquer cet excès. Et la prétention voulant qu’une indemnité excessive ait été payée en l’espèce repose sur la supposition selon laquelle il ne convenait pas que l’arbitre ordonne le paiement d’une indemnité supérieure aux frais réels de T, malgré l’absence dans la Revitalization Act de toute disposition limitant l’indemnité de T à ses frais ou dépenses réels. La pleine « valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne » est l’expression choisie par le législateur pour désigner le montant de l’indemnité dans la disposition d’indemnisation. Si le législateur provincial avait voulu verser aux entreprises une indemnité inférieure à la « valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne », il n’aurait pas prévu une indemnité « égale à » celle‑ci. Le raisonnement de l’arbitre n’est donc guère indéfendable, d’autant plus que le libellé de la disposition d’indemnisation fixe clairement l’indemnité au montant précisément établi par l’arbitre. Au bout du compte, le législateur a le droit d’offrir aux entreprises forestières une indemnité prévue par la loi dont le montant n’est pas fonction de la nature de leur intérêt dans la terre de la Couronne en cause et l’interprétation donnée par l’arbitre à la disposition d’indemnisation commande donc la déférence.

                    Les juges Moldaver, Côté, Brown et Rowe (dissidents en partie) : Peu importe la norme de contrôle applicable, l’interprétation que l’arbitre a donnée au par. 6(4) de la Revitalization Act ne tient pas. La seule interprétation du par. 6(4) qui résiste à un examen selon l’une ou l’autre norme de contrôle est celle selon laquelle T, en tant que titulaire de permis, n’avait le droit de recevoir une indemnité que pour son intérêt limité dans les améliorations. En évaluant les améliorations en vertu du par. 6(4), l’arbitre devait tenir compte du fait que T, en tant que titulaire de permis, n’était pas propriétaire des améliorations, lesquelles appartenaient à la Couronne.

                    Le sens ordinaire du par. 6(4) est le suivant : T a le droit d’être indemnisée sur une base reflétant l’intérêt limité qu’elle possède dans les améliorations en tant que titulaire de permis. Ce sens ordinaire du par. 6(4) est compatible avec l’objet de la Revitalization Act et son contexte d’expropriation. La Revitalization Act vise à réduire les droits des titulaires de permis, plus particulièrement leurs droits de couper du bois et d’utiliser les améliorations, et à indemniser les titulaires de permis pour ces réductions. À la suite des reprises en litige, T a perdu une partie de son droit d’utiliser les améliorations, et non des droits de propriété sur celles‑ci. Il va à l’encontre de l’objet de la Revitalization Act d’accorder à T une indemnité excédant la valeur de ce qu’elle a perdu en raison des reprises.

                    L’approche fondée sur les économies de coûts adoptée par l’arbitre peut constituer une méthode adéquate dans le cas des terres privées, mais les routes et les ponts en cause appartenaient à la Couronne. Puisque T n’était pas propriétaire des améliorations et n’avait qu’un intérêt limité dans celles‑ci en tant que titulaire de permis, on ne saurait affirmer qu’elle a perdu le coût de remplacement des améliorations lorsque la province a réduit le territoire visé par ses permis, et on ne peut pas non plus dire que T paierait le coût total du remplacement du réseau d’améliorations en cause.

                    L’arbitre a interprété trop restrictivement le par. 6(4) de la Revitalization Act en concluant que la distinction établie par cette disposition entre la valeur des améliorations et celle des droits de coupe signifie que la valeur marchande de l’ensemble de la tenure ne peut être prise en compte pour déterminer la valeur des améliorations. Rien dans le texte ou le contexte de la Revitalization Act n’appuie cette interprétation trop restrictive du par. 6(4). Au contraire, il était loisible à l’arbitre de choisir une méthode d’évaluation qui permettait de fixer la valeur des améliorations pour T en tant que titulaire d’un permis, pourvu que l’approche choisie serve à évaluer les améliorations comme élément séparé et distinct des droits de coupe.

                    L’arbitre pouvait utiliser la méthode de la valeur marchande en vertu du par. 6(4) de la Revitalization Act. Pourtant, il a choisi de recourir à une méthode incompatible avec cette disposition, ce qui a permis à T de réaliser un gain fortuit substantiel. La question de l’indemnité pour les améliorations concernant les trois permis en litige doit donc être renvoyée à l’arbitre pour nouvel examen.

Jurisprudence

Citée par le juge Gascon

                    Arrêt appliqué : Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633; arrêts mentionnés : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Heritage Capital Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 19, [2016] 1 R.C.S. 306; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135; Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37, [2016] 2 R.C.S. 23; Hayes Forest Services Ltd. c. Weyerhaeuser Co., 2008 BCCA 31, 289 D.L.R. (4th) 230; Glaswegian Enterprises Inc. c. B.C. Tel Mobility Cellular Inc. (1997), 101 B.C.A.C. 62; Black Swan Gold Mines Ltd. c. Goldbelt Resources Ltd. (1996), 78 B.C.A.C. 193; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Régie des transports en commun de la région de Toronto c. Dell Holdings Ltd., [1997] 1 R.C.S. 32; Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770.

Citée par les juges Moldaver et Côté (dissidents en partie)

                    CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724; Colombie‑Britannique (Forêts) c. Teal Cedar Products Ltd., 2013 CSC 51, [2013] 3 R.C.S. 301; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160; Diggon‑Hibben, Ltd. c. The King, [1949] R.C.S. 712; MacMillan Bloedel Ltd. c. British Columbia (1995), 12 B.C.L.R. (3d) 134.

Lois et règlements cités

Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, c. 55, art. 31.

Forest Act, R.S.B.C. 1996, c. 157.

Forest Planning and Practices Regulation, B.C. Reg. 14/2004, art. 79(2).

Forestry Revitalization Act, S.B.C. 2003, c. 17, art. 6, 13.

Doctrine et autres documents cités

Colombie‑Britannique. Legislative Assembly. Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard), vol. 13, No. 6, 4th Sess., 37th Parl., March 27, 2003, p. 5682.

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed., Toronto, Butterworths, 1983.

Hall, Geoff R. Canadian Contractual Interpretation Law, 3rd ed., Toronto, LexisNexis, 2016.

Mullan, David. « Unresolved Issues on Standard of Review in Canadian Judicial Review of Administrative Action — The Top Fifteen! » (2013), 42 Adv. Q. 1.

Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles, 6th ed. by Angus Stevenson, Oxford, Oxford University Press, 2007, « compensation ».

Todd, Eric C. E. The Law of Expropriation and Compensation in Canada, 2nd ed., Scarborough (Ont.), Carswell, 1992.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Lowry, Chiasson et MacKenzie), 2015 BCCA 263, 70 B.C.L.R. (5th) 320, 373 B.C.A.C. 211, 641 W.A.C. 211, 386 D.L.R. (4th) 40, 115 L.C.R. 1, [2015] B.C.J. No. 1180 (QL), 2015 CarswellBC 1550 (WL Can.), qui a confirmé après renvoi un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (le juge en chef Finch et les juges Lowry et MacKenzie), 2013 BCCA 326, 46 B.C.L.R. (5th) 272, 340 B.C.A.C. 256, 579 W.A.C. 256, 364 D.L.R. (4th) 465, 109 L.C.R. 276, [2013] B.C.J. No. 1480 (QL), 2013 CarswellBC 2059 (WL Can.), lequel avait infirmé une décision du juge en chef Bauman, 2012 BCSC 543, [2012] B.C.J. No. 735 (QL), 2012 CarswellBC 1054 (WL Can.), confirmant en partie une sentence arbitrale. Pourvoi accueilli en partie, les juges Moldaver, Côté, Brown et Rowe sont dissidents en partie.

                    John J. L. Hunter, c.r., Mark S. Oulton et K. Michael Stephens, pour l’appelante.

                    Karen A. Horsman, c.r., Barbara A. Carmichael et Micah Weintraub, pour l’intimée.

                    Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Karakatsanis, Wagner et Gascon rendu par

                    Le juge Gascon —

I.               Aperçu

[1]                              En Colombie‑Britannique, la portée de l’intervention d’une cour d’appel dans les arbitrages commerciaux est circonscrite par deux facteurs principaux. D’abord, la loi prévoit que le contrôle en appel des sentences arbitrales ne doit porter que sur des questions de droit (Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, c. 55, art. 31). Ensuite, même lorsqu’une telle compétence existe, notre Cour a récemment conclu qu’une norme de contrôle empreinte de déférence, soit la norme de la décision raisonnable, s’applique « presque toujours » aux sentences arbitrales (Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, par. 75, 104 et 106). Ensemble, la compétence limitée et le contrôle empreint de déférence contribuent à la réalisation des objectifs fondamentaux de l’arbitrage commercial : l’efficacité et le caractère définitif.

[2]                              La province de la Colombie‑Britannique (« C.‑B. ») et Teal Cedar Products Ltd. (« Teal Cedar »), une entreprise forestière, n’ont pas été en mesure de s’entendre sur le montant de l’indemnité que la Colombie‑Britannique devait à Teal Cedar en contrepartie de la réduction de son accès à certaines améliorations sur des terres de la Couronne (comme des routes et des ponts) qu’utilisait Teal Cedar pour couper du bois. Leur différend a donc été soumis à l’arbitrage, comme l’exige la loi applicable, la Forestry Revitalization Act, S.B.C. 2003, c. 17 (« Revitalization Act »). Teal Cedar a eu gain de cause en majeure partie. Trois questions découlant de la sentence de l’arbitre font l’objet du présent pourvoi.

[3]                              La première question porte sur l’interprétation de la loi : l’arbitre a‑t‑il commis une erreur en choisissant une méthode d’évaluation qui serait incompatible avec l’article de la Revitalization Act accordant une indemnité à Teal Cedar? Selon moi, il s’agit d’une question de droit relevant du contrôle en appel autorisé par l’Arbitration Act. Cependant, l’arbitre, qui s’est fondé sur le sens ordinaire de la loi prévoyant une telle évaluation, a choisi de manière raisonnable une méthode d’évaluation convenable. En conséquence, j’estime que sa sentence à cet égard ne peut être infirmée.

[4]                              La deuxième question en est une d’interprétation contractuelle : l’arbitre a‑t‑il laissé le fondement factuel supplanter les termes du contrat lorsqu’il a interprété une convention de règlement modifiée intervenue entre les parties eu égard au fondement factuel de l’échec de leurs négociations? Cette question peut être formulée de deux façons : (1) l’arbitre a‑t‑il accordé trop de poids au fondement factuel; ou (2) l’arbitre a‑t‑il interprété le fondement factuel séparément des termes du contrat? La première formulation est une question mixte de fait et de droit qui échappe de ce fait à la portée du contrôle en appel autorisé par l’Arbitration Act. Bien qu’elle soulève une question de droit, la deuxième formulation est dépourvue de fondement défendable en l’espèce parce que l’interprétation de l’arbitre se fondait clairement sur les termes du contrat qu’il a interprétés à la lumière du fondement factuel. Sans fondement défendable, cette formulation ne confère pas non plus de compétence pour procéder à un contrôle en appel selon l’Arbitration Act.

[5]                              La troisième question a trait à l’application de la loi : l’arbitre a‑t‑il commis une erreur en refusant que Teal Cedar touche une indemnité relativement aux améliorations liées à l’un de ses permis parce qu’elle n’a jamais perdu son accès à ces améliorations, contrairement aux autres permis à l’égard desquels elle a perdu cet accès? Le permis de Teal Cedar visant cette zone est appelé le permis Lillooet dans les présents motifs. Cette question implique l’application d’une méthode d’évaluation précise aux faits complexes présentés à l’arbitre, qui a établi une distinction sur le plan qualitatif entre le permis Lillooet et les autres permis en cause. Pour cette raison, j’estime qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui échappe à la portée du contrôle en appel autorisé par l’Arbitration Act.

[6]                              Puisque la Cour d’appel est parvenue à la conclusion contraire sur les deux premières questions, j’accueillerais le pourvoi en partie. À l’instar du juge saisi de la requête, je suis d’avis de confirmer la sentence de l’arbitre sur ces deux questions. Cependant, en ce qui concerne la troisième question, à l’instar de la Cour d’appel cette fois‑ci, je suis d’avis de rétablir la décision initiale de l’arbitre selon laquelle la C.‑B. ne devait aucune indemnité à Teal Cedar relativement aux améliorations liées au permis Lillooet.

II.            Contexte

A.            Les permis d’exploitation et la Revitalization Act

[7]                              En Colombie‑Britannique, les entreprises forestières détiennent des permis précisant la manière dont elles peuvent couper du bois sur les terres de la Couronne. L’appelante, Teal Cedar, est l’une de ces entreprises. Le litige actuel concerne trois des permis de Teal Cedar, soit : (1) le permis d’exploitation forestière A19201 dans la zone d’approvisionnement en bois de Fraser; (2) le permis de ferme forestière 46 sur l’île de Vancouver; (3) le permis d’exploitation forestière A18699 dans la zone d’approvisionnement en bois de Lillooet (« permis Lillooet »). De façon générale, ces permis autorisent Teal Cedar à couper du bois et à utiliser les améliorations comme les routes et les ponts pour s’y rendre.

[8]                              En 2003, l’intimée, la C.-B., a adopté la Revitalization Act, qui a modifié les droits que conféraient aux entreprises forestières leurs permis en retranchant des zones de leur territoire et en réduisant le volume de leur coupe autorisée. Tout particulièrement, voici comment ont été touchés les permis de Teal Cedar :

a)      Le volume de la coupe autorisée par le permis visant la zone d’approvisionnement en bois de Fraser a été réduit de 37 500 mètres cubes et de nombreuses zones de Teal Cedar ont été retranchées du territoire qui s’y rattache.

b)      Le volume de la coupe autorisée par le permis visant l’île de Vancouver a été réduit de 130 637 mètres cubes et de nombreuses zones où Teal Cedar exerçait ses activités ont été retranchées du territoire qui s’y rattache.

c)      Le volume de la coupe autorisée par le permis Lillooet a été réduit de 48 078 mètres cubes, mais, contrairement aux deux autres permis, aucune zone du territoire se rattachant à ce permis n’a été perdue à quelque moment que ce soit.

[9]                              En raison des changements susmentionnés, la Revitalization Act a accordé une indemnité aux entreprises forestières. Le montant de cette indemnité prévue par la loi est au cœur du litige opposant la C.‑B. à Teal Cedar. La disposition pertinente en la matière est l’art. 6, tout particulièrement le par. (4) selon lequel les entreprises forestières ont droit, [traduction] « de la part du gouvernement, à une indemnité égale à la valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne » :

                           [traduction]

                           Indemnité

                    6 (1)   Chaque titulaire d’un permis distinct a droit, de la part du gouvernement, à une indemnité pour la réduction, prévue au paragraphe 2 (1), de la coupe annuelle autorisée par le permis distinct; le montant de l’indemnité est égal à la valeur des droits de coupe retirés au moyen de la réduction pour la partie non écoulée de la durée du permis.

                    (2)      Chaque titulaire d’un permis d’exploitation a droit, de la part du gouvernement, à une indemnité pour la partie, attribuée en vertu du paragraphe 3 (1) à ce permis, s’il en est, de l’amputation des terres de la Couronne décrites dans le permis de coupe qui est faite en vertu du paragraphe 2 (2); le montant de l’indemnité est égal à la valeur des droits de coupe retirés au moyen de l’amputation.

                    (3)      Chaque titulaire d’un permis faisant partie d’un groupe de permis a droit, de la part du gouvernement, à une indemnité pour la partie, attribuée en vertu du paragraphe 3 (2) à ce permis, s’il en est, de la réduction, en vertu du paragraphe 2 (3), de la coupe annuelle autorisée par le permis; le montant de l’indemnité est égal à la valeur des droits de coupe retirés au moyen de la réduction pour la partie non écoulée de la durée du permis.

                    (4)      Outre l’indemnité à laquelle a droit le titulaire d’un permis distinct, d’un permis d’exploitation ou d’un permis faisant partie d’un groupe de permis en vertu du paragraphe (1), (2) ou (3), le titulaire a droit, de la part du gouvernement, à une indemnité égale à la valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne :

                                    (a) qui sont ou ont été autorisées par le gouvernement,

                                    (b) auxquelles ne s’applique pas l’article 174 du Forest Practices Code of British Columbia Act, et

                                    (c) qui ne sont pas ou n’ont pas été payées par le gouvernement conformément à la Forest Act ou à l’ancienne loi au sens de la Forest Act.

                    (4.1)   Le paragraphe (4) s’applique également au titulaire d’un permis de ferme forestière assujetti au retranchement de terres de la Couronne de l’aire visée par ce permis selon l’article 39.1 de la Forest Act, si le retranchement

                                    (a) a trait à une réduction, prévue par le paragraphe 3 (3) de la présente loi, de la coupe annuelle autorisée et

                                    (b) se fait avant la date d’entrée en vigueur du présent paragraphe.

                    (5)      Le droit à une indemnité conféré par le présent article est dévolu au titulaire à qui il revient le 31 mars 2003.

                    (6)      Le litige opposant le ministre et le titulaire d’un permis distinct, d’un permis d’exploitation ou d’un permis faisant partie d’un groupe de permis quant au montant de l’indemnité à laquelle a droit le titulaire en vertu du présent article est soumis à l’arbitrage selon l’Arbitration Act.

[10]                          Sur le plan conceptuel, l’art. 6 accorde deux types d’indemnité, à savoir une indemnité pour : (1) la réduction des droits de coupe (« indemnité visant les droits », prévue aux par. 6(1) à (3)); et (2) la valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne (« indemnité visant les améliorations » prévue au par. 6(4)).

[11]                          La Revitalization Act permet au lieutenant‑gouverneur en conseil de prendre des règlements concernant entre autres cette disposition d’indemnisation :

                           [traduction]

                           Règlements

                    13 (1) Le lieutenant‑gouverneur en conseil peut prendre les règlements visés à l’article 41 de l’Interpretation Act.

                        (2)  Sans limiter la portée du paragraphe précédent, le lieutenant‑gouverneur en conseil peut prendre des règlements

                                    (a) définissant un mot ou une expression que la présente loi ne définit pas autrement,

                                    (b) prescrivant entre autres ce qui suit quant à la valeur pour l’application de l’article 6 :

                                          (i)      la détermination de la valeur et la définition de ses éléments,

                                          (ii)     les méthodes d’évaluation à utiliser pour déterminer la valeur,

                                          (iii) les facteurs à prendre en considération dans une évaluation,

                                          (iv)    la définition du rôle joué par les évaluateurs dans la détermination de la valeur et les qualifications qu’ils doivent posséder pour participer à la détermination de la valeur, et

                                          (v)     les exigences liées à la sélection des arbitres.

En conséquence, alors que le par. 6(4) de la Revitalization Act accorde une indemnité visant les améliorations « égale à la valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne », le sous‑al. 13(2)(b)(ii) anticipe des règlements « prescrivant [. . .] les méthodes d’évaluation à utiliser pour déterminer » cette valeur. Or, aucun règlement prescrivant ces méthodes d’évaluation n’a été pris, que ce soit au moment du litige ou au moment de l’audience devant la Cour.

[12]                          En dernier lieu, pour ce qui est du processus, le par. 6(6) de la Revitalization Act dispose que le litige relatif au montant de l’indemnité que doit la C.‑B. à une entreprise forestière doit être soumis à l’arbitrage. Encore une fois, la Revitalization Act permet au lieutenant‑gouverneur en conseil de prendre des règlements « prescrivant [. . .] les exigences liées à la sélection des arbitres » (sous‑al. 13(2)(b)(v)). Tout comme dans le cas des règlements anticipés sur les méthodes d’évaluation, aucun règlement prescrivant les exigences liées à la sélection des arbitres n’a été pris, que ce soit au moment du litige ou au moment de l’audience devant la Cour. Par conséquent, avant l’audience devant la Cour, les arbitrages sur une indemnité visée par la Revitalization Act étaient présidés par des arbitres désignés sur consentement des parties. Aucune liste d’arbitres ne restreignait l’autonomie des parties en la matière.

B.            Le litige opposant Teal Cedar à la Colombie‑Britannique

[13]                          Teal Cedar a subi des pertes indemnisables au sens de la Revitalization Act. Elle a négocié la valeur de ces pertes avec la C.‑B. et les parties sont parvenues à un règlement partiel. Elles sont arrivées à s’entendre sur la valeur de l’indemnité visant les droits due à Teal Cedar, mais elles n’ont pu s’entendre sur la valeur de l’indemnité visant les améliorations. 

[14]                          Pour confirmer leur règlement partiel et établir des lignes directrices en vue de la poursuite de leurs négociations, les parties ont signé une convention cadre de règlement. Cette convention contenait une « clause zéro intérêt » qui empêchait de verser des intérêts à Teal Cedar :

                    [traduction] La [C.‑B.] n’est tenue de payer aucun intérêt à l’égard de cette indemnité ou de toute autre indemnité qui pourrait être due à [Teal Cedar] selon la [Revitalization Act].

(d.a., vol. I, p. 225)

[15]                          Les négociations sur la valeur de l’indemnité visant les améliorations n’ont finalement pas abouti. Par conséquent, 10 mois après la conclusion de la convention cadre de règlement, les parties ont signé une modification de cette convention (« Modification »), ce qui a fait naître une nouvelle convention regroupant la convention cadre de règlement et la Modification (« convention modifiée »). La convention modifiée précisait que les parties n’étaient pas parvenues à s’entendre sur le juste montant de l’indemnité et qu’elles soumettraient donc à l’arbitrage l’évaluation de « l’indemnité » (« clause d’arbitrage ») :

                    [traduction] [La C.‑B.] reconnaît par les présentes qu’il y a un différend entre les parties et [Teal Cedar] compte soumettre à l’arbitrage, selon le paragraphe 6 (6) de la [Revitalization Act], le litige quant au montant de l’indemnité visant les améliorations à laquelle elle a droit.

(d.a., vol. I, p. 228)

[16]                          Puisqu’aucun règlement ne prescrivait les exigences applicables aux arbitres, les parties pouvaient choisir la personne qui présiderait l’arbitrage. Elles ont fini par sélectionner Thomas Braidwood, c.r., un ancien juge de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique.

III.          Historique judiciaire

[17]                          À l’arbitrage initial, deux principales questions d’interprétation se posaient, et elles sont demeurées en litige jusqu’au présent pourvoi. Ces questions d’interprétation — l’une législative et l’autre contractuelle — sont les suivantes :

a)      Quelles méthodes d’évaluation de l’indemnité visant les améliorations sont conformes à la Revitalization Act? (« question de l’évaluation »)

b)      L’« indemnité » visant les améliorations soumise à l’arbitrage en vertu de la convention modifiée inclut‑elle des intérêts? (« question des intérêts »)

[18]                          De plus, une autre question a été soulevée en ce qui a trait au droit de Teal Cedar à une indemnité pour les pertes liées aux améliorations se rapportant au permis Lillooet (« question du permis Lillooet »).

A.            Sentence arbitrale (Thomas Braidwood, c.r. — 27 avril 2011, modifiée le 30 juin 2011)

[19]                          En ce qui concerne la question de l’évaluation, l’arbitre devait choisir la bonne méthode à employer pour évaluer l’indemnité visant les améliorations parce qu’aucun règlement prescrivant pareille méthode n’avait été pris. Au cours d’une « audience longue et complexe » (comme l’a noté le juge saisi de la requête, au par. 7), on lui a proposé trois [traduction] « méthodes d’évaluation généralement reconnues » (par. 112) :

a)      La « méthode de la valeur marchande », que l’arbitre a rejetée parce qu’elle consiste à déterminer la valeur marchande des améliorations, et le propre expert de la Colombie‑Britannique a concédé que les améliorations sur les terres de la Couronne n’avaient aucune valeur marchande (par. 113);

b)      La « méthode fondée sur le revenu », que l’arbitre a rejetée elle aussi car elle consiste à déterminer le revenu généré par les améliorations, et le propre expert de la Colombie‑Britannique a concédé que les améliorations sur les terres de la Couronne ne génèrent pas de revenu (par. 113);

c)      La « méthode du coût de remplacement déprécié », que l’arbitre a retenue (par. 93‑94). En termes simples, cette méthode consiste à évaluer l’indemnité visant les améliorations en estimant le coût théorique de la remise des améliorations à leur état actuel de dégradation (dépréciation), à partir de zéro (remplacement). L’arbitre a retenu cette méthode notamment parce que c’était la seule méthode d’évaluation proposée qui servait à fixer l’indemnité visant les améliorations séparément de celle visant les droits, ce qui concorde avec le traitement distinct que leur réserve la Revitalization Act (par. 94; voir Revitalization Act, par. 6(1) à (3) et 6(4)).

[20]                          Sur la question des intérêts, l’arbitre a jugé que Teal Cedar avait le droit de toucher des intérêts sur l’indemnité visant les améliorations, malgré la clause zéro intérêt, en raison du fondement factuel. Plus précisément, il a conclu qu’à l’époque de la convention cadre de règlement, lorsque cette clause a été rédigée, les parties étaient [traduction] « optimistes » et au beau milieu de négociations en cours dans le but de résoudre la question de l’évaluation (par. 180). En revanche, à l’époque de la Modification, lorsque la clause d’arbitrage a été rédigée, les parties venaient de vivre 10 mois de négociations avortées et avaient reconnu la nécessité de résoudre la question de l’évaluation, y compris des intérêts, par l’arbitrage (par. 181).

[21]                          Enfin, pour ce qui est de la question du permis Lillooet, l’arbitre a décidé que Teal Cedar n’avait pas droit à l’indemnité visant les améliorations pour ce permis parce qu’elle [traduction] « n’avait perdu aucune possibilité d’utiliser les routes » (par. 169-170). Autrement dit, l’arbitre a estimé que la C.‑B. ne devait aucune indemnité visant les améliorations à Teal Cedar pour le permis Lillooet parce que cette dernière n’avait jamais perdu son accès aux améliorations relatives à ce permis.

B.            Cour suprême de la Colombie‑Britannique (2012 BCSC 543, le juge en chef Bauman)

[22]                          Les tribunaux qui ont contrôlé la sentence arbitrale devaient en outre décider d’entrée de jeu s’ils avaient compétence pour le faire (« question de la compétence »). Plus précisément, l’arbitrage s’est déroulé en conformité avec l’Arbitration Act, selon laquelle il ne peut être interjeté appel que sur des questions de droit (art. 31). Les tribunaux ayant contrôlé la sentence arbitrale devaient par conséquent trancher la question préliminaire de savoir si l’évaluation, les intérêts et le permis Lillooet constituaient des questions de droit — le seul type de point sur lequel les tribunaux ont compétence pour procéder à un contrôle en appel en matière d’arbitrage commercial. Autre élément contextuel, l’arrêt Sattva — dans lequel nous avons précisé la qualification générale de l’interprétation des contrats comme question mixte de fait et de droit — n’a été prononcé qu’après la première décision rendue en l’espèce par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique. Ainsi, la décision de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique et la première décision de la Cour d’appel ont été rendues sans que ces cours ne bénéficient des enseignements de notre Cour dans Sattva.

[23]                          Sur la question de la compétence, le juge saisi de la requête, le juge en chef Bauman, de la Cour suprême (maintenant Juge en chef de la Cour d’appel), a statué que l’évaluation regroupait des questions de droit ainsi que des questions mixtes de fait et de droit. Tout particulièrement, le fait de décider si la méthode d’évaluation retenue était conforme à la Revitalization Act constituait une question d’[traduction] « interprétation législative » (par. 49 (CanLII)) et, par le fait même, une question de droit relevant de sa compétence (par. 57). Par contre, il a conclu que le fait d’utiliser cette méthode pour calculer la valeur de l’indemnité visant les améliorations soulevait des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit qui outrepassaient sa compétence (par. 57). De même, il a décidé que la question des intérêts supposait que l’on interprète la convention modifiée « eu égard au fondement factuel », une question mixte de fait et de droit outrepassant sa compétence (par. 81). En dernier lieu, il a conclu que la question du permis Lillooet constituait une « question de droit » parce que l’application de la méthode retenue par l’arbitre au permis Lillooet (qui comporte des améliorations) aurait dû entraîner l’octroi d’une indemnité visant les améliorations à Teal Cedar (par. 84).

[24]                          En ce qui concerne la question de l’évaluation, le juge en chef Bauman est parvenu à la conclusion que le recours par l’arbitre à la méthode du coût de remplacement déprécié était non seulement approprié, mais fondé (par. 57). Il a souligné [traduction] « qu’en l’absence de balise règlementaire », l’arbitre avait été contraint d’interpréter les termes clairs du par. 6(4) (par. 46). De plus, il s’est dit d’avis que l’arbitre avait donné à ce paragraphe « une interprétation qui s’offrait à lui compte tenu des règles applicables d’interprétation législative » (par. 50).

[25]                          Enfin, pour ce qui est de la question du permis Lillooet, le juge en chef Bauman a renvoyé à l’arbitre la question de l’indemnité visant les améliorations en raison du [traduction] « caractère incertain » de ses motifs (par. 88). Le juge en chef Bauman a estimé que l’arbitre n’avait pas « indiqué clairement » pourquoi il avait refusé d’accorder une indemnité visant les améliorations pour le permis Lillooet (par. 85). Il a conclu qu’étant donné que des améliorations se rapportaient au permis Lillooet et que la méthode utilisée par l’arbitre tenait pour acquis que toutes les améliorations seraient entièrement utilisées (par. 86), une indemnité visant les améliorations était apparemment due relativement à ces améliorations, tout comme une telle indemnité était due à l’égard des améliorations liées aux deux autres permis en cause. Pour cette raison, le juge saisi de la requête a renvoyé à l’arbitre la question de la valeur de l’indemnité pour les pertes subies par Teal Cedar à l’égard du permis Lillooet « pour qu’il la réexamine à la lumière de la méthode d’évaluation qu’il avait retenue » (par. 88).

C.            Sentence arbitrale additionnelle (Thomas Braidwood, c.r. — 3 juillet 2012, modifiée le 17 août 2012)

[26]                          Vu la décision du juge en chef Bauman sur la question du permis Lillooet, l’arbitre a octroyé une somme additionnelle [traduction] « égale à la valeur des améliorations » touchant le permis Lillooet (p. 10). Il a rendu cette décision malgré sa conclusion initiale selon laquelle le droit de Teal Cedar à une indemnité visant les améliorations n’avait jamais pris naissance puisqu’elle n’avait jamais, dans les faits, perdu sa faculté d’utiliser ces améliorations.

D.            Décision no 1 de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (2013 BCCA 326, 364 D.L.R. (4th) 465)

[27]                          L’affaire a été instruite deux fois par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique. La première fois, la Cour d’appel a exprimé deux avis dans lesquels elle est parvenue à des conclusions diamétralement opposées.

(1)           Juges majoritaires (juge MacKenzie, avec l’accord du juge Lowry)

[28]                          Les juges majoritaires ont accueilli l’appel de la C.‑B. en majeure partie. Sur la question de la compétence, la juge MacKenzie a statué que la question de l’évaluation (interprétation législative) et celle des intérêts (interprétation contractuelle) étaient deux questions de droit et qu’elles relevaient donc du contrôle en appel d’une sentence arbitrale (par. 57 et 114). De plus, bien qu’ils ne se soient pas prononcés expressément à ce sujet, les juges majoritaires semblent avoir conclu que la question du permis Lillooet ressortissait au pouvoir de contrôle des tribunaux parce qu’elle touchait le point de savoir [traduction] « si l’arbitre a[vait] utilisé la bonne méthode d’évaluation en l’espèce », une question de droit (par. 55-57).

[29]                          Sur la question de l’évaluation, la juge MacKenzie a conclu que l’arbitre avait commis une erreur de droit en retenant la méthode du coût de remplacement déprécié (par. 131-133). Plus précisément, elle a signalé que cette méthode ne tenait pas compte du véritable intérêt de Teal Cedar dans les améliorations (par. 68) en l’indemnisant comme si elle en était propriétaire, alors qu’elle avait uniquement perdu le droit de se servir des améliorations qui, en fait, appartenaient à la Couronne (par. 68 et 73).

[30]                          Pour ce qui est de la question des intérêts, la juge MacKenzie a statué que l’arbitre avait commis une erreur de droit en laissant le fondement factuel supplanter les termes du contrat (par. 125 et 129). Tout particulièrement, elle a conclu que l’arbitre avait erré en considérant que la convention modifiée ajoutait des intérêts à l’[traduction] « indemnité » de Teal Cedar soumise à l’arbitrage (par. 136). D’après moi, le raisonnement de la juge MacKenzie sur ce point (par. 105‑130) peut s’interpréter de deux façons. Soit elle a conclu que l’arbitre avait accordé trop de poids au fondement factuel, soit elle a statué que l’arbitre avait interprété le fondement factuel séparément des termes du contrat.

[31]                          Enfin, sur la question du permis Lillooet, la juge MacKenzie a conclu que le juge en chef Bauman avait fait erreur en renvoyant à l’arbitre l’indemnité relative à ce permis. Selon elle, l’arbitre a refusé à bon droit à Teal Cedar une indemnité pour un permis à l’égard duquel elle n’avait subi aucune perte réelle (par. 78-79). Par conséquent, elle a rétabli la décision initiale de l’arbitre de n’accorder à Teal Cedar aucune indemnité pour le permis Lillooet (par. 134).

(2)           Juge dissident (juge en chef Finch)

[32]                          Pour sa part, le juge en chef Finch, dissident, partageait l’avis du juge en chef Bauman et aurait rejeté l’appel dans sa totalité. En ce qui a trait à la question de l’évaluation, il a statué que l’arbitre n’avait commis aucune erreur de droit ou autre erreur (par. 140-143) et il aurait donc confirmé la décision de l’arbitre de retenir la méthode du coût de remplacement déprécié. Pour ce qui est de la question des intérêts, il a convenu avec le juge en chef Bauman que l’interprétation donnée par l’arbitre à la convention modifiée eu égard au fondement factuel était une question mixte de fait et de droit dépassant la portée du contrôle en appel d’une sentence arbitrale (par. 144-145). Finalement, sur la question du permis Lillooet, il a conclu que le juge en chef Bauman n’avait commis [traduction] « aucune erreur de droit » en renvoyant à l’arbitre l’évaluation de l’indemnité touchant ce permis (par. 146-148).

E.             Décision no 2 de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (renvoi après l’arrêt Sattva) (2015 BCCA 263, 386 D.L.R. (4th) 40, les juges Lowry, Chiasson et MacKenzie)

[33]                          En 2013, Teal Cedar a demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique devant notre Cour. Mais dans l’intervalle, notre Cour a rendu son arrêt Sattva en 2014. Par conséquent, notre Cour a renvoyé l’affaire à la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique pour qu’elle la tranche conformément à Sattva (no du greffe 35563, 23 octobre 2014, [2014] C.S.C. Bull. 1637).

[34]                          Après le renvoi, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a jugé à l’unanimité que la décision rendue sur l’appel par la juge MacKenzie (avec l’accord du juge Lowry) avant Sattva n’avait pas été modifiée par cet arrêt (par. 60).

[35]                          Sur la question de l’évaluation, la Cour d’appel a statué que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte puisque l’arbitre ne possédait pas d’expertise spécialisée dans les lois sur les forêts (par. 35), les parties étaient contraintes par la loi de résoudre leur différend par l’arbitrage (par. 35) et la question de l’évaluation était (1) importante pour les lois sur l’indemnisation en général (par. 35) et (2) une question de droit commandant l’application de la norme de la décision correcte (par. 36-37). Elle a aussi décidé que la sentence de l’arbitre était à la fois incorrecte (par. 37) et déraisonnable (par. 38) sur ce point parce qu’elle permettait à Teal Cedar de tirer un [traduction] « gain fortuit substantiel à même les fonds publics » (par. 38) qui ne correspondait à sa « véritable perte financière » (par. 39).

[36]                          Sur la question des intérêts, la Cour d’appel s’est dite d’avis que l’arbitre avait commis une erreur de droit conférant compétence au tribunal (par. 46), car il avait laissé le fondement factuel supplanter le contrat (par. 52) en dépit de son libellé clair (par. 59). D’après moi, la seconde décision de la Cour d’appel, tout comme sa première, étaye deux interprétations de ce qu’il faut entendre par un fondement factuel « supplantant » un contrat : (1) accorder trop de poids à ce fondement; ou (2) examiner ce fondement séparément des termes du contrat.

[37]                          La décision que la Cour d’appel a rendue à la suite du renvoi était muette sur la question du permis Lillooet.

IV.         Questions en litige

[38]                          En dernière analyse, le présent pourvoi porte sur deux principales questions d’interprétation, l’une législative et l’autre contractuelle, à savoir si l’arbitre a commis une erreur de droit en (1) considérant que la méthode du coût de remplacement déprécié était conforme à la Revitalization Act (la question de l’évaluation); et (2) en estimant que la convention modifiée ajoutait des intérêts à l’indemnité visant les améliorations versée par la C.‑B. à Teal Cedar (la question des intérêts). Le présent pourvoi porte également sur une question d’application de la loi : l’arbitre a‑t‑il commis une erreur de droit en refusant à Teal Cedar une indemnité visant les améliorations lorsqu’il a appliqué la méthode qu’il a retenue au permis Lillooet (la question du permis Lillooet)? Les points de savoir si les tribunaux ont compétence pour examiner ces questions et, dans l’affirmative, quelle est la norme de contrôle applicable sont eux aussi en litige.

V.            Analyse

[39]                          Selon le juge saisi de la requête, outre la présence d’une [traduction] « question » ou d’un « point » de droit en litige (voir l’al. 31(1)(b) et le par. 31(2)), les conditions d’autorisation établies par l’Arbitration Act étaient remplies en l’espèce pour ce qui est de la question de l’évaluation (par. 43). Ces conclusions ne sont pas contestées devant notre Cour, mais je note que le juge saisi de la requête ne s’est pas prononcé sur l’application de ces conditions à la question des intérêts, qu’il a tranchée en affirmant qu’elle ne soulève pas une question de droit (par. 81). De même, une fois que les conditions préalables établies par la loi sont remplies, le fait d’accorder l’autorisation d’interjeter appel d’une sentence en vertu de l’Arbitration Act relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal : [traduction] « . . . le tribunal peut accorder l’autorisation . . . » (Arbitration Act, par. 31(2)). L’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge saisi de la requête à cet égard n’est pas contesté non plus. Par conséquent, conformément à l’arrêt Sattva (par. 38, 102 et 107), il reste à effectuer une analyse en trois étapes pour contrôler en appel la sentence arbitrale, soit :

a)     Compétence : La cour d’appel a‑t‑elle compétence pour examiner l’erreur reprochée?

b)    Norme de contrôle : Dans l’affirmative, la norme applicable à ce contrôle est‑elle celle de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte?

c)     Contrôle : La sentence arbitrale résiste‑t‑elle à l’examen selon cette norme de contrôle (en d’autres termes, la sentence était‑elle raisonnable ou correcte)?

[40]                          Mon analyse reposera sur ce cadre logique.

A.            Compétence

(1)           Pouvoir de contrôler les sentences arbitrales commerciales

[41]                          La portée de la compétence susceptible d’être exercée à l’égard d’une sentence arbitrale commerciale comme celle en cause est désormais bien établie dans la jurisprudence (Sattva, par. 104). Tout comme dans Sattva, l’arbitrage en l’espèce s’est déroulé conformément à l’Arbitration Act, qui restreint la compétence de la cour de révision aux questions de droit :

                           [traduction]

                    31 (1) Une partie à un arbitrage ne portant pas sur un différend de droit de la famille peut interjeter appel au tribunal sur toute question de droit découlant de la sentence si, selon le cas :

                                    (a) toutes les parties à l’arbitrage y consentent,

                                    (b) le tribunal accorde l’autorisation.

                    (2)      Relativement à une demande d’autorisation présentée en vertu de l’alinéa (1)(b), le tribunal peut accorder l’autorisation s’il estime que, selon le cas :

                                    (a) l’importance de l’issue de l’arbitrage pour les parties justifie son intervention et que le règlement de la question de droit peut permettre d’éviter une erreur judiciaire,

                                    (b) la question de droit revêt de l’importance pour une catégorie ou un groupe de personnes dont le demandeur fait partie,

                                    (c) la question de droit est d’importance publique.

[42]                          Contrairement aux clauses privatives qui « signale[nt] » tout simplement que la déférence est de mise dans le contrôle judiciaire des décisions des tribunaux administratifs, les limites fixées par la loi à la portée du contrôle en appel des sentences arbitrales sont « absolue[s] » (Sattva, par. 104). En conséquence, la conclusion selon laquelle les points soulevés — l’évaluation, les intérêts et le permis — ne sont pas des questions de droit règlerait entièrement la question du pouvoir des tribunaux d’examiner ces points.

[43]                          La marche à suivre pour qualifier une question selon l’une des trois catégories principales — questions de droit, questions de fait ou questions mixtes — est aussi bien établie dans la jurisprudence (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, par. 35). En particulier, personne ne conteste que les questions de droit « concernent la détermination du critère juridique applicable » (Sattva, par. 49, citant Southam, par. 35); les questions de fait « portent sur ce qui s’est réellement passé entre les parties » (Southam, par. 35; Sattva, par. 58); et les questions mixtes « consistent à déterminer si les fait satisfont au critère juridique » ou, en d’autres termes, supposent « l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits » (Southam, par. 35; Sattva, par. 49, citant Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

[44]                          Cela dit, bien que l’application d’un critère juridique à un ensemble de faits soit une question mixte, si, durant cette application, le critère juridique sous‑jacent a pu être altéré, une question de droit se pose. Par exemple, si une partie allègue que le juge (ou l’arbitre), en appliquant un critère juridique, a négligé un élément essentiel de ce critère, cette partie allègue que le juge (ou l’arbitre) a en fait retranché cet élément du critère et l’a altéré du même coup. Comme l’a expliqué la Cour dans Southam, par. 39 :

                    . . . si un décideur dit que, en vertu du critère applicable, il lui faut tenir compte de A, B, C et D, mais que, dans les faits, il ne prend en considération que A, B et C, alors le résultat est le même que s’il avait appliqué une règle de droit lui dictant de ne tenir compte que de A, B et C. Si le bon critère lui commandait de tenir compte aussi de D, il a en fait appliqué la mauvaise règle de droit et commis, de ce fait, une erreur de droit.

Une telle allégation soulève en définitive la question de savoir si le juge (ou l’arbitre) s’est fondé sur le bon critère juridique, ce qui constitue une question de droit (Sattva, par. 53; Housen, par. 31 et 34-35). En conséquence, pareille question de droit, si elle est alléguée dans le contexte d’un différend relevant de l’Arbitration Act, et en supposant que les autres exigences relatives à la compétence de cette loi sont satisfaites, est susceptible de contrôle en appel. Il est plus juste d’affirmer que ces « questions de droit isolables » sont une forme cachée de question de droit — où le critère juridique sur lequel se fonde le juge (ou l’arbitre) peut être déduit de son application au lieu d’être énoncé clairement dans sa description — et non une quatrième catégorie, distincte, de questions.

[45]                          Les tribunaux doivent cependant faire preuve de prudence lorsqu’ils relèvent des questions de droit isolables parce que les questions mixtes, par définition, comportent des aspects de droit. Les motivations pour lesquelles l’avocat qualifie stratégiquement une question mixte de question de droit — par exemple pour pouvoir saisir un tribunal de l’appel d’une sentence arbitrale ou pour faire appliquer une norme de contrôle favorable dans l’appel d’un jugement en matière civile — sont limpides (Sattva, par. 54; Southam, par. 36). Une conception étroite des questions de droit isolables s’accorde avec le caractère définitif de l’arbitrage commercial et, de façon plus générale, avec la déférence à l’égard des conclusions de fait. Les tribunaux doivent se montrer vigilants lorsqu’il s’agit de faire une distinction entre une partie qui allègue que le critère juridique a pu être altéré lors de son application (une question de droit isolable; Sattva, par. 53) et une partie qui allègue que le critère juridique, qui n’a pas été altéré, aurait dû, lors de son application, donner lieu à un résultat différent (une question mixte).

[46]                          Vu sous cet angle, le fait de qualifier une question à l’examen de question mixte plutôt que de question de droit entraîne des différences considérables entre les appels interjetés à l’encontre d’une sentence arbitrale et ceux interjetés à l’encontre d’un jugement en matière civile. L’identification d’une question mixte dans le cadre d’un appel interjeté à l’encontre d’une sentence arbitrale fait échec à la compétence du tribunal de procéder à un contrôle en appel (Arbitration Act, art. 31; Sattva, par. 104). À l’inverse, l’identification d’une question mixte dans le cadre d’un appel interjeté à l’encontre d’un jugement en matière civile ne fait que mener à l’application d’une norme de contrôle plus rigoureuse (Housen, par. 36).

[47]                          Compte tenu de ces principes, une question d’interprétation législative est habituellement qualifiée de question de droit. À l’inverse, le fait de dire qu’une question en est généralement une d’interprétation contractuelle n’établit pas nécessairement la nature de la question en cause. L’interprétation contractuelle met en jeu des questions de fait, des questions de droit et des questions mixtes. Donc, il faut examiner avec délicatesse la question étroite en litige pour qualifier la nature de la question précise posée au tribunal. En général toutefois, comme l’a récemment expliqué la Cour dans Sattva, l’interprétation contractuelle demeure une question mixte et non une question de droit puisqu’elle suppose l’application du droit des contrats (principes du droit des contrats) à des faits d’ordre contractuel (le contrat lui‑même et son fondement factuel) (par. 50).

(2)           Compétence en l’espèce

[48]                          Cela étant, il est facile de déterminer la compétence en l’espèce. Tout d’abord, j’expliquerai pourquoi les tribunaux ont compétence en partie sur la question de l’évaluation. Ensuite, j’expliquerai pourquoi les tribunaux n’ont pas compétence sur les questions des intérêts et du permis Lillooet.

a)              Compétence sur la question de l’évaluation

[49]                          Comme l’ont conclu le juge en chef Bauman (par. 57) et le juge en chef Finch, dissident (par. 140 et 143), la question de l’évaluation — c’est‑à‑dire la question de choisir une méthode d’évaluation conforme à la Revitalization Act — fait intervenir une série de points, dont certains soulèvent des questions de droit tandis que d’autres soulèvent des questions mixtes. Plus précisément, la question de l’évaluation fait entrer en jeu deux types de questions : (1) les questions relatives à la catégorie générale de méthodes qui sont acceptables selon la Revitalization Act; et (2) les questions liées à la méthode précise, faisant partie de cette catégorie générale de méthodes acceptables, qui devrait être appliquée en fin de compte.

[50]                          Les premières questions — les méthodes acceptables suivant la Revitalization Act — concernent l’interprétation législative et, par conséquent, sont des questions de droit (Heritage Capital Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 19, [2016] 1 R.C.S. 306, par. 23, citant Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135, par. 33). Ainsi, les tribunaux ont compétence pour contrôler la décision de l’arbitre sur la question de l’évaluation dans la mesure où cette décision consistait à cerner un ensemble de méthodes conformes à la Revitalization Act.

[51]                          Les dernières questions — la meilleure méthode parmi celles qui respectent la Revitalization Act — sont inextricablement liées au dossier de preuve présenté à l’audience d’arbitrage, où différents experts se sont prononcés sur les vertus de méthodes d’évaluation incompatibles. Ce sont des questions mixtes, voire des questions de fait pures. Par conséquent, les tribunaux n’ont pas compétence pour contrôler la méthode précise choisie par l’arbitre parmi l’ensemble des méthodes conformes à la Revitalization Act.

[52]                          Les juges majoritaires de la Cour d’appel dans sa première décision semblent avoir fusionné les deux types de questions susmentionnées et conclu que les deux étaient des questions de droit (par. 57). Il s’agit d’une erreur puisque choisir parmi plusieurs méthodes techniques qui sont toutes conformes à la disposition d’indemnisation est indéniablement lié au dossier de preuve complexe dont disposait l’arbitre et fait entrer en jeu à tout le moins des questions mixtes. Dans sa décision faisant suite au renvoi, la Cour d’appel n’analyse pas séparément la compétence, mais elle indique effectivement que l’interprétation de la disposition d’indemnisation est une question de droit (par. 37). Dans la mesure où la Cour d’appel y reconnaît que les tribunaux ont uniquement compétence pour décider des méthodes qui sont conformes à la disposition d’indemnisation et qu’ils ne peuvent faire un choix parmi ces méthodes, la Cour d’appel interprète bien la compétence des tribunaux sur la question de l’évaluation en l’espèce.

b)             Compétence sur la question des intérêts

[53]                          En revanche, à l’instar du juge en chef Bauman et du juge en chef Finch, dissident, je conclus que les tribunaux n’ont pas compétence pour contrôler la décision de l’arbitre sur la question des intérêts.

[54]                          En l’espèce, l’arbitre a interprété la convention modifiée — y compris sa clause zéro intérêt, qui prend sa source dans la convention cadre de règlement et est demeurée telle quelle à la suite de la Modification — à la lumière du fondement factuel. Il s’agit là du bon critère juridique (Sattva, par. 50).

[55]                          Malgré cela, la C.‑B. soutient que l’arbitre a laissé le fondement factuel supplanter les termes du contrat, ce qui soulève une question de droit isolable. À mon avis, ce principe de la « supplantation » se prête à deux formulations et aucune d’entre elles ne confère compétence pour procéder à un contrôle en appel dans le cas présent, quoique pour des raisons différentes.

[56]                          La première formulation de ce principe de la « supplantation » est la suivante : le fondement factuel supplante les termes d’un contrat lorsqu’on lui accorde trop de poids. Cette formulation ne confère pas compétence pour procéder à un contrôle en appel dans le cas présent parce qu’il s’agit d’une question mixte.

[57]                          L’objectif de l’interprétation contractuelle est de déterminer « l’intention objective des parties », une opération, « de par sa nature même, axé[e] sur les faits » (Sattva, par. 55). Lorsqu’il a interprété les intentions des parties, l’arbitre a soupesé le fondement factuel et les termes employés dans la convention modifiée. Il était sensible à l’observation de la C.‑B. selon laquelle la clause zéro intérêt, prise isolément, interdisait le paiement d’intérêts (par. 178-179). En effet, l’arbitre a retenu a priori cette observation (par. 179). Par contre, il a conclu en dernière analyse que [traduction] « [l]e contexte qui s’applique en l’espèce » dévoilait une autre intention objective, à savoir suspendre les intérêts uniquement pour la durée des négociations (par. 180-181). Plus précisément, l’arbitre a apprécié l’évolution de la situation entre la signature de la convention cadre de règlement (lorsque les parties avaient « espoir » que le différend soit réglé par la négociation et qu’elles ont inséré la clause zéro intérêt relativement à l’indemnité due) et la signature de la convention modifiée (lorsque les parties savaient que les négociations avaient avorté et qu’elles ont soumis la question de la valeur de l’« indemnité » à l’arbitrage). Il a conclu que les parties, en soumettant l’« indemnité » à l’arbitrage, voulaient en fait que l’indemnité, y compris les intérêts, relève de sa compétence (par. 181).

[58]                          L’arbitre — après une audience longue et complexe — était le mieux placé pour soupeser le fondement factuel dans son interprétation de la convention modifiée. La possibilité qu’il ait accordé beaucoup de poids à cette preuve dans son interprétation de la convention ne fait pas intervenir une question de droit conférant compétence aux tribunaux suivant l’Arbitration Act, car cela n’altère pas le critère sous‑jacent qu’il a appliqué en l’espèce.

[59]                          Dans la première décision de la Cour d’appel, les juges majoritaires semblent parfois faire leur la première formulation du principe de « supplantation » et semblent laisser sous‑entendre que l’arbitre a commis une erreur de droit en accordant une trop grande importance au fondement factuel (par. 125), même si ce fondement ne s’était jamais traduit en une [traduction] « disposition expresse » dans le contrat (par. 127). Si c’est là l’approche qu’ont retenue les juges majoritaires, elle confond à tort les questions de droit (nécessaires à l’étape de l’autorisation d’appel pour établir la compétence) et les erreurs de droit (prises en compte à l’étape de l’examen au fond, une fois que la compétence a été établie). La conclusion qu’il existerait une erreur de droit doit reposer sur l’application, par l’arbitre, du mauvais critère, et non sur le fait qu’on aurait appliqué différemment le bon critère juridique. Sinon, cela ne soulève pas une question de droit qui accorde aux tribunaux le pouvoir de contrôler la sentence arbitrale (Sattva, par. 63-66); au contraire, on saute ainsi l’étape de l’établissement de la compétence pour procéder immédiatement au contrôle de l’analyse d’une question mixte effectuée par l’arbitre.

[60]                          De même, il est inexact d’affirmer qu’un tribunal devrait avoir compétence pour contrôler l’analyse contractuelle de l’arbitre du seul fait que cette analyse serait incorrecte. En effet, un tribunal aurait même tort de se déclarer compétent pour contrôler l’analyse d’un arbitre du seul fait que cette analyse était déraisonnable. Par exemple, le tribunal qui aurait examiné la convention modifiée aurait pu conclure que la clause zéro intérêt interdisait le paiement d’intérêts et que la clause d’arbitrage prévoyait cette interdiction lorsque la question de l’« indemnité » (sans intérêt) a été soumise à l’arbitrage. Mais se pencher immédiatement sur le bien‑fondé de l’analyse contractuelle de l’arbitre — qu’elle soit incorrecte ou déraisonnable — revient à mettre la charrue devant les bœufs. Il faut d’abord décider que son analyse soulève une question de droit. Et c’est seulement sur la base de cette décision que son analyse peut ensuite être contrôlée.

[61]                          En l’espèce, le principe juridique applicable exigeait de l’arbitre qu’il interprète la convention modifiée « à la lumière du fondement factuel » (Sattva, par. 50). C’est précisément ce qu’il a fait. On ne saurait conclure que l’arbitre a modifié ce principe juridique simplement parce que quelqu’un d’autre aurait pu l’appliquer différemment en l’espèce.

[62]                          La seconde formulation du principe de la « supplantation » est la suivante : le fondement factuel supplante les termes d’un contrat lorsqu’on l’interprète séparément de ses termes, créant dans les faits une nouvelle convention entre les parties. Cette formulation du principe en cause soulève une question de droit, mais elle est dépourvue de fondement défendable en l’espèce. Ainsi, elle ne confère pas non plus compétence pour procéder à un contrôle en appel dans l’affaire qui nous occupe.

[63]                          Dans Sattva, notre Cour a accepté que, dans de rares cas, l’application d’un mauvais principe ou l’omission d’appliquer un principe peut soulever une question de droit isolable (par. 53 et 62-64; voir aussi Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37, [2016] 2 R.C.S. 23, par. 21, citant Housen, par. 36). Comme l’a reconnu la Cour dans Sattva, le principe juridique selon lequel l’interprétation d’un contrat doit toujours s’appuyer sur le texte de celui‑ci limite le recours au fondement factuel dans son interprétation afin d’éviter de créer dans les faits une nouvelle convention entre les parties (par. 57; voir aussi Hayes Forest Services Ltd. c. Weyerhaeuser Co., 2008 BCCA 31, 289 D.L.R. (4th) 230; Glaswegian Enterprises Inc. c. B.C. Tel Mobility Cellular Inc. (1997), 101 B.C.A.C. 62; Black Swan Gold Mines Ltd. c. Goldbelt Resources Ltd. (1996), 78 B.C.A.C. 193; G. R. Hall, Canadian Contractual Interpretation Law (3e éd. 2016), p. 33).

[64]                          Le point de savoir si l’arbitre n’a pas appliqué le principe susmentionné constitue une question de droit. Cela dit, le simple fait de soulever une question de cette nature n’évacue pas toutes les conditions de compétence établies à l’art. 31 de l’Arbitration Act. Pour accorder l’autorisation d’appel sur la base d’une telle question de droit, le tribunal doit être convaincu que le moyen d’appel a un « fondement défendable » (Sattva, par. 74; Arbitration Act, al. 31(2)(a)). À mon avis, si la Cour d’appel, à la suite du renvoi, avait procédé comme il se doit à un « examen préliminaire de la question de droit » en fonction de la norme de la décision raisonnable à appliquer (Sattva, par. 74-75 et 106), elle aurait conclu que cette erreur de droit reprochée est dénuée de fondement défendable. L’interprétation de l’arbitre reposait sur les termes du contrat et n’était pas supplantée par ceux‑ci. Bien qu’il ait peut‑être accordé beaucoup d’importance au fondement factuel quand il a interprété le sens d’« indemnité », la prétention selon laquelle il a interprété ce fondement séparément des termes du contrat de manière à créer effectivement une nouvelle convention est dénuée de fondement défendable (Sattva, par. 57; Hall, p. 33-34).

[65]                          Je le répète, l’interprétation contractuelle est tributaire des faits. Ainsi, il sera très difficile de dégager en pratique une question de droit fondée sur le défaut d’appliquer le principe interdisant d’interpréter le fondement factuel séparément des termes du contrat. Un examen plus attentif montrera que ce n’est souvent rien de plus qu’une plainte au sujet du poids accordé au fondement factuel — en fait, un désaccord sur l’interprétation donnée par le décideur aux termes d’un contrat à la lumière du fondement factuel (Sattva, par. 50 et 65). Bref, la supposée question de droit se révèle fréquemment une question de savoir si le décideur a appliqué le principe comme il se doit — une question mixte — et non de savoir si le décideur a appliqué le bon principe. Pour dégager une question de droit fondée sur la prétendue erreur d’avoir supplanté le contrat, la cour de révision doit être convaincue que le décideur a interprété le fondement factuel séparément des termes du contrat, une approche qui peut effectivement déboucher sur la création d’une nouvelle convention. La prétention selon laquelle l’arbitre a adopté une approche ainsi viciée dans son analyse est dépourvue de fondement défendable en l’espèce.

[66]                          En somme, peu importe la formulation du principe de « supplantation » que l’on adopte, les juges majoritaires de la Cour d’appel (dans sa première décision) et la Cour d’appel à l’unanimité (dans sa seconde décision) ont conclu à tort que les tribunaux avaient compétence pour examiner la question des intérêts.

c)              Compétence sur la question du permis Lillooet

[67]                          Les tribunaux n’ont pas non plus compétence sur la question du permis Lillooet parce que celle‑ci ne soulève pas une question de droit. Les juges majoritaires de la Cour d’appel n’ont pas abordé explicitement la compétence sur la question du permis Lillooet, mais ils ont conclu que l’arbitre avait eu raison de refuser à Teal Cedar une indemnité pour le permis Lillooet. Le juge saisi de la requête a pour sa part déterminé qu’il avait compétence sur la question du permis Lillooet. Je suis en désaccord tant avec sa déclaration de compétence qu’avec sa décision de renvoyer la question à l’arbitre pour nouvel examen.

[68]                          Le juge en chef Bauman a statué que l’application par l’arbitre de la méthode qu’il avait retenue au permis Lillooet soulevait une pure question de droit (par. 84) :

                         [traduction] Teal soutient que, comme des améliorations se rapportaient aux volumes perdus dans la zone d’approvisionnement en bois de Lillooet, eu égard à la méthode retenue par l’arbitre, c’est commettre une erreur sur une pure question de droit que de refuser à Teal une indemnité pour les améliorations. Je conviens que cela soulève une question de droit . . .

[69]                          À mon humble avis, cette approche confond à tort la compétence et le contrôle. La présence alléguée d’une erreur dans l’application de la méthode (contrôle) ne se traduit pas nécessairement par une question de droit (compétence). La question en cause, qui consiste à savoir si l’arbitre a bien appliqué la méthode d’évaluation au permis Lillooet, est plutôt une question mixte. Elle échappe donc à la portée du contrôle en appel. Un examen plus approfondi du raisonnement de l’arbitre révèle en quoi la nature de la question soulevée en l’espèce par le permis Lillooet est mixte plutôt que juridique.

[70]                          Dans sa sentence initiale, l’arbitre a refusé à Teal Cedar l’indemnité visant les améliorations pour le permis Lillooet en raison de ses caractéristiques factuelles uniques. Il a conclu que Teal Cedar n’avait perdu aucune zone se rattachant à ce permis et qu’elle n’avait par conséquent subi aucune perte de valeur relativement aux améliorations liées à ce permis, améliorations qu’il lui était encore loisible d’utiliser en totalité. Selon l’arbitre, cela distinguait le permis Lillooet des deux autres permis, à l’égard desquels la C.‑B. avait retranché des zones, empêchant ainsi Teal Cedar d’avoir accès à certaines améliorations se rapportant à ces autres permis.

[71]                          En réalité, l’arbitre a estimé que l’application de la méthode du coût de remplacement déprécié impliquait une évaluation préliminaire d’une certaine perte d’accès aux améliorations, en fait, avant de déterminer, en droit, la valeur liée à cette perte. Par conséquent, le différend des parties quant à l’indemnité visant les améliorations pour le permis Lillooet porte sur l’application par l’arbitre de la méthode d’évaluation qu’il a retenue, une question mixte qui échappe à la compétence des tribunaux.

[72]                          D’ailleurs, la raison pour laquelle l’arbitre a refusé d’accorder l’indemnité visant les améliorations pour le permis Lillooet, à savoir que la C.‑B. n’a jamais pris de zones, et n’a donc jamais pris d’améliorations, se rapportant à ce permis, participe de l’examen des faits qu’il vaut mieux laisser à l’expertise de l’arbitre dont la proximité plus étroite avec les faits complexes de la présente affaire fait en sorte qu’il est mieux placé pour trancher cette question.

[73]                          Ayant expliqué pourquoi les tribunaux ont uniquement compétence sur la question de l’évaluation, je me pencherai maintenant sur les deux étapes restantes du cadre de contrôle des sentences arbitrales commerciales — la norme de contrôle et le contrôle lui‑même — pour cette question seulement.

B.            Norme de contrôle

(1)           Norme de contrôle des sentences arbitrales commerciales

[74]                          Dans un contexte arbitral comme celui qui nous occupe, où la décision faisant l’objet du contrôle est une sentence rendue sur la base de l’Arbitration Act, l’arrêt Sattva établit que la norme de contrôle applicable est « presque toujours » celle de la décision raisonnable (par. 75), laquelle concorde avec les principaux objectifs de politique générale de l’arbitrage commercial, à savoir l’efficacité et le caractère définitif. Dans Sattva, le juge Rothstein souligne qu’en « matière d’arbitrage commercial, la possibilité d’interjeter appel étant subordonnée à l’existence d’une question de droit, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, à moins que la question n’appartienne à celles qui entraînent l’application de la norme de la décision correcte » (par. 106). Il indique que cette norme ne s’applique que dans de rares circonstances, comme lorsqu’une question constitutionnelle ou une question de droit qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui est étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre est en cause (par. 75 et 106).

[75]                          La nature de la question à l’examen — c’est‑à‑dire de droit, de fait ou mixte — peut donc indiquer si l’une de ces circonstances est présente, mais elle ne permet pas, à elle seule, d’établir la norme de contrôle applicable. Par exemple, il serait erroné d’affirmer que toutes les interprétations législatives d’un arbitre commandent l’application de la norme de la décision correcte simplement parce qu’elles font intervenir une question de droit. Bien que l’interprétation législative soit une question de droit (Heritage, par. 23, citant Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, par. 33), la simple présence d’une question de droit n’empêche pas, à elle seule, d’appliquer la norme de la décision raisonnable dans un contexte d’arbitrage commercial. L’arrêt Sattva est clair à ce sujet.

[76]                          En revanche, lorsque la décision faisant l’objet du contrôle est, par exemple, un jugement en matière civile, la nature de la question permet d’établir la norme de contrôle applicable, puisque les questions de fait et les questions mixtes sont examinées selon la norme de l’erreur manifeste et déterminante (Housen, par. 10 et 36) et les questions de droit — y compris les questions de droit isolables — doivent l’être en fonction de la norme de la décision correcte (Housen, par. 8 et 36). Il est donc crucial de garder ces distinctions à l’esprit lorsque l’on détermine la norme de contrôle applicable dans un cas donné.

(2)           Norme de contrôle applicable à la question de l’évaluation

[77]                          Les décisions des juridictions inférieures, mis à part celle rendue par la Cour d’appel à la suite du renvoi, éludent en grande partie la question de la norme de contrôle. Le juge en chef Bauman a conclu que l’arbitre [traduction] « a[vait] correctement répondu » à la question de l’évaluation, laissant ainsi supposer qu’il a appliqué la norme de la décision correcte (par. 57). De même, les juges majoritaires emploient le terme « correct » dans leur raisonnement (par. 57). Le juge en chef Finch, dissident, n’a fait que souligner l’absence d’erreurs dans l’analyse de la question de l’évaluation à laquelle s’était livré le juge en chef Bauman, ce qui rend la norme de contrôle sans importance pour sa conclusion (par. 143). En toute justice, ces décisions précèdent l’arrêt Sattva et leurs auteurs ne bénéficiaient pas alors des directives de notre Cour sur la norme de contrôle applicable dans un contexte d’arbitrage commercial comme celui qui nous occupe.

[78]                          Toutefois, à la suite du renvoi, la Cour d’appel avait connaissance de l’arrêt Sattva et sa décision avait expressément pour objet de revoir la décision des juges majoritaires à la lumière de cet arrêt. À mon sens, la Cour d’appel a conclu à tort que la norme de contrôle applicable à la question de l’évaluation devait être celle de la décision correcte (par. 35‑37). Sa décision semble suggérer que les questions de droit, comme l’interprétation des lois, appellent toujours la norme de la décision correcte (par. 36-37). Dans la mesure où la Cour d’appel a voulu faire cette suggestion, celle‑ci est erronée. Comme je l’ai déjà mentionné, si la nature de la question (de droit, mixte ou de fait) permet de déterminer la norme de contrôle applicable dans le contexte d’un litige civil (Housen, par. 8, 10 et 36), elle ne permet pas de le faire dans le contexte de l’arbitrage commercial (Sattva, par. 75 et 106).

[79]                          La norme de contrôle applicable aux questions de droit découlant de l’analyse de la question de l’évaluation effectuée par l’arbitre est plutôt celle de la décision raisonnable. Comme nous l’avons vu, d’après l’arrêt Sattva, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’applique presque toujours en matière d’arbitrage commercial (par. 75). Ce penchant n’est pas exclu en l’espèce vu la nature de la question en litige et l’expertise présumée de l’arbitre.

[80]                          La question en litige, qui consiste à déterminer la catégorie de méthodes d’évaluation conformes à une loi forestière de la C.‑B., n’est pas une exception déjà reconnue mentionnée dans l’arrêt Sattva (par. 75 et 106). Ce n’est manifestement pas une question constitutionnelle. De même, elle ne revêt pas une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble (puisqu’elle concerne une seule province et une seule industrie) et n’est pas non plus étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre (qui a été choisi par les parties pour trancher ce différend précis et qui est donc présumé posséder l’expertise requise). De plus, les éléments pertinents de l’analyse établie dans Dunsmuir (Sattva, par. 106) militent en faveur d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[81]                          Par exemple, l’expertise spécialisée appuie le contrôle selon la norme de la décision raisonnable en l’espèce. Comme nous l’avons vu, les parties ont choisi l’arbitre pour trancher précisément cette question, confirmant ainsi de façon non équivoque leur reconnaissance de son expertise. Malgré cela, dans la décision qu’elle a rendue à la suite du renvoi, la Cour d’appel a conclu que le manque d’expertise de l’arbitre en ce qui concerne les lois forestières militait en faveur de la norme de la décision correcte (par. 35). Soit dit en tout respect, cette conclusion ne tient pas compte de la directive donnée par la Cour dans l’arrêt Sattva, selon laquelle, quand les parties choisissent leur arbitre, « on peut présumer qu’elles fondent leur choix sur l’expertise de l’arbitre dans le domaine faisant l’objet du litige ou jugent sa compétence acceptable » (par. 105). Le raisonnement de la Cour d’appel fait également abstraction de la réalité concrète selon laquelle l’appréciation de l’expertise réelle (plutôt que présumée) de l’arbitre dans chaque arbitrage nécessiterait une certaine évaluation préliminaire du degré d’expertise de l’arbitre en vue d’établir la norme de contrôle applicable à chaque audience — ce qui ferait obstacle aux gains en efficacité que l’on cherche à réaliser par la procédure d’arbitrage.

[82]                          Bien entendu, l’expertise présumée du décideur demeure un élément « contextue[l] » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 64). Dans Sattva, l’arbitrage était volontaire (par. 9), alors qu’en l’espèce, l’arbitrage était imposé par la loi (Revitalization Act, par. 6(6)), un point que la Cour d’appel a explicitement fait valoir dans la décision qu’elle a rendue à la suite du renvoi (par. 35). Or, cette distinction porte peu à conséquence. Les parties en l’espèce exerçaient toujours un contrôle complet sur le choix de leur arbitre; même si on s’attendait à la prise d’un règlement [traduction] « prescrivant [. . .] les exigences liées à la sélection des arbitres » (Revitalization Act, sous‑al. 13(2)(b)(v)), aucun règlement de ce genre n’avait encore été adopté au moment où a eu lieu l’arbitrage. De plus, comme je l’ai souligné, l’arbitre a examiné en l’espèce la question même qu’il était chargé d’étudier en vertu de la loi et sur consentement des parties. Si une question débordant le cadre prévisible du mandat d’un arbitre devait être soulevée au cours d’un arbitrage, cela pourrait fort bien miner l’expertise présumée de l’arbitre, mais ce n’est tout simplement pas le cas en l’espèce.

[83]                          Pour conclure sur ce point, je ferai remarquer que l’applicabilité de la norme de la décision raisonnable en l’espèce n’est guère contestable. Nous nous trouvons, après tout, dans un contexte d’arbitrage commercial qui, en principe, vise délibérément à maximiser l’efficacité et le caractère définitif. En outre, l’arbitre s’est expressément vu attribuer une compétence sur la question distincte de l’évaluation par la Revitalization Act (par. 6(6)), une question sur laquelle on s’attend à ce qu’il possède une expertise spécialisée, ayant été choisi sur consentement des parties. Cela commande un contrôle empreint de déférence.

C.            Contrôle de la question de l’évaluation

[84]                          En ce qui concerne maintenant l’étape du contrôle de l’analyse, à l’instar du juge saisi de la requête et du juge dissident en Cour d’appel, j’estime que la conclusion de l’arbitre selon laquelle la méthode du coût de remplacement déprécié respectait la Revitalization Act était raisonnable. Cette décision appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et la décision était justifiée, transparente, intelligible et défendable (Dunsmuir, par. 47). J’estime que le libellé large et non limitatif de la Revitalization Act ne mène pas inévitablement à « une seule interprétation raisonnable » (McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, par. 38) telle l’approche fondée sur la valeur marchande qu’ont retenue mes collègues dans leurs motifs (par. 133-134).

(1)           Observations générales

[85]                          Il convient de formuler deux observations générales renforçant le caractère raisonnable de la décision de l’arbitre en l’espèce avant de se pencher sur son raisonnement précis.

[86]                          Tout d’abord, la Revitalization Act prévoyait que le lieutenant‑gouverneur en conseil prendrait un règlement [traduction] « prescrivant [. . .] les méthodes d’évaluation à utiliser pour déterminer la valeur » (Revitalization Act, sous‑al. 13(2)(b)(ii)), mais aucun règlement de ce genre n’avait été pris au moment du litige, ni même au moment de l’audience devant notre Cour (transcription, p. 9). En l’absence d’un tel règlement, le régime législatif reconnaît que la détermination de la « valeur » dans ces circonstances donne ouverture à un éventail d’interprétations raisonnables (voir Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 18, citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 59). Autrement dit, le règlement anticipé (mais non encore promulgué) donne à penser qu’établir la « valeur » conformément à la Revitalization Act ne participe pas d’une analyse dans laquelle « les méthodes habituelles d’interprétation législative mènent à une seule interprétation raisonnable » (McLean, par. 38). D’ailleurs, s’il n’existait qu’une seule interprétation raisonnable pour déterminer la valeur, le pouvoir de réglementation prévu à l’art. 13 de la Revitalization Act serait superflu, contrairement aux principes établis d’interprétation des lois.

[87]                          Ensuite, le choix par l’arbitre d’une méthode d’évaluation raisonnable doit être apprécié eu égard à ses motifs dans leur ensemble. Trois [traduction] « méthodes d’évaluation généralement reconnues » ont été proposées à l’arbitre : celles de la valeur marchande, du revenu et du coût de remplacement déprécié (par. 112). L’arbitre a expressément expliqué qu’il avait rejeté les deux premières méthodes parce que les valeurs qu’elles donnaient ne correspondaient pas à une valeur raisonnable dans le cas des terres de la Couronne (qui ne peuvent ni être vendues à leur valeur marchande ni générer de revenu), un fait qui a été admis par le propre expert de la C.‑B. à l’audience (par. 113). Ainsi, le caractère raisonnable de l’analyse de l’arbitre ne peut être apprécié uniquement en fonction du caractère raisonnable de la méthode du coût de remplacement déprécié prise isolément. Comme l’a reconnu l’arbitre, toutes les méthodes présentées au cours de l’audience d’arbitrage comportaient des lacunes (par. 112-120). C’est une réalité avec laquelle l’arbitre a dû composer en examinant une abondante preuve d’expert juxtaposant ces méthodes. Son choix final — la méthode du coût de remplacement déprécié — était défendable au vu des faits et du droit. 

(2)           Sentence de l’arbitre

[88]                          Les points généraux qui précèdent ayant été abordés, je passe maintenant à la logique de la sentence de l’arbitre, qui a suivi le raisonnement suivant :

a)      La disposition d’indemnisation donne à Teal Cedar le droit de toucher une [traduction] « indemnité égale à la valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne ». L’arbitre doit donc choisir une méthode d’évaluation permettant de déterminer la « valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne ».

b)      Il n’est pas nécessaire que la méthode d’évaluation coïncide avec la valeur de la perte financière réelle de Teal Cedar, comme le prétend la C.‑B. En effet, la disposition d’indemnisation indique expressément à l’arbitre à quoi la méthode d’évaluation doit se rapporter, à savoir « la valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne ».

c)      La méthode du coût de remplacement déprécié a été reconnue par les deux parties comme un moyen raisonnable d’évaluer les améliorations apportées aux terres de la Couronne.

d)      Une interprétation de la Revitalization Act dans son ensemble appuie le choix de la méthode du coût de remplacement déprécié parce qu’il s’agit de la seule méthode d’évaluation proposée à l’arbitre qui permet de fixer l’indemnité visant les améliorations séparément de l’indemnité visant les droits, ce qui est conforme au traitement distinct que leur réserve la Revitalization Act.

e)      De toute façon, il est impossible d’interpréter la Revitalization Act en fonction des autres principales méthodes proposées à l’audience — celle de la valeur marchande et celle fondée sur le revenu — parce que ces méthodes sont inapplicables aux terres de la Couronne, qui ne peuvent ni être vendues ni générer de revenu.

[89]                          Ce raisonnement est soutenable et compréhensible, et donc raisonnable. Comme l’ont conclu le juge en chef Bauman (par. 52) et le juge en chef Finch, dissident (par. 141-143), il est logique de lier le montant de l’indemnité visant les améliorations à « la valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne » quand c’est précisément ce que prescrit la Revitalization Act. D’ailleurs, le fait de lier le montant de l’indemnité visant les améliorations à « la valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne » constitue la meilleure interprétation fondée sur le sens ordinaire que l’on puisse donner à la Revitalization Act.

(3)           Arguments de la C.‑B. contre la sentence

[90]                          Inversement, les attaques de la C.‑B. contre le caractère raisonnable du raisonnement de l’arbitre sont en réalité des attaques contre la justesse de ce raisonnement. De même, les juges majoritaires — qui ont fait erreur en considérant que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte — ont procédé à tort au contrôle de la décision de l’arbitre suivant cette norme, plutôt que d’en apprécier le caractère raisonnable (par. 68), ce qui a entaché toute leur analyse de la décision.

[91]                          Le premier argument de la C.‑B. traite de l’interprétation fondée sur le sens ordinaire de la disposition d’indemnisation. La position de la C.‑B. repose sur une version tronquée de la disposition d’indemnisation, où la C.‑B. interprète isolément le terme « indemnité » et soutient que celle‑ci ne doit pas être supérieure à la perte financière réelle de Teal Cedar. Il s’agit également de la démarche retenue par la majorité de la Cour d’appel dans sa première décision (par. 68 et 72-73), puis par la Cour d’appel à la suite du renvoi (par. 38). Or, la version complète de la disposition d’indemnisation fixe la valeur de l’indemnité à [traduction] « [un montant] éga[l] à la valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne », comme l’a souligné le juge en chef Bauman (par. 52) et l’a confirmé le juge en chef Finch, dissident (par. 141-143). Si ce montant excède la perte réelle de Teal Cedar, un tel raisonnement est très loin d’être indéfendable, surtout dans la mesure où la méthode choisie par l’arbitre : (1) est conforme aux principes de common law qui sous‑tendent l’interprétation libérale des lois réparatrices en matière d’expropriation (Régie des transports en commun de la région de Toronto c. Dell Holdings Ltd., [1997] 1 R.C.S. 32, p. 44-46, dont a fait état le juge en chef Bauman (par. 46-48)); et (2) constitue la seule méthode parmi les trois proposées qui reflète la distinction entre l’indemnité visant les droits et l’indemnité visant les améliorations prévue délibérément par la Revitalization Act, dont a également fait état le juge en chef Bauman (par. 63). Rappelons que la question à l’examen n’est pas de savoir si l’interprétation de l’arbitre était correcte, mais plutôt de savoir si cette interprétation — étayée par le sens ordinaire de la disposition — était raisonnable.

[92]                          Mes collègues suggèrent que le « sens ordinaire [. . .] évident » de la disposition d’indemnisation fait en sorte que l’indemnité ne doit pas dépasser l’« intérêt limité [de Teal Cedar] dans les améliorations en tant que titulaire de permis » (par. 112). Soit dit en tout respect, je ne suis pas d’accord qu’il s’agit là de la seule interprétation raisonnable de la disposition en cause. Certes, la disposition indique que cette indemnité est versée aux titulaires de permis, mais elle ne parle pas de la limiter en fonction de la nature de l’intérêt légal technique que possède un titulaire de permis. Elle fixe plutôt l’indemnité à un montant égal à la « valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne », soit l’interprétation retenue en fin de compte par l’arbitre.

[93]                          Le deuxième argument de la C.‑B. porte sur l’objet de la disposition d’indemnisation. La C.‑B. soutient que cet objet — c.‑à‑d. de rembourser les entreprises des améliorations qu’elles ont effectuées et auxquelles elles se sont vu par la suite refuser l’accès — empêche les entreprises de réaliser un [traduction] « gain fortuit » égal à la « valeur [nominale] de [toutes] les améliorations apportées aux terres de la Couronne ». La majorité de la Cour d’appel dans sa première décision (par. 73), puis la Cour d’appel à la suite du renvoi (par. 38) partageaient l’avis que [traduction] « [l]e législateur ne pouvait avoir souhaité » un tel « gain fortuit financé à même les fonds publics » en guise d’indemnité. Dans le même ordre d’idées, mes collègues qualifient en fait cette indemnité de « nettement excessive » au motif qu’elle excède la valeur marchande des améliorations (par. 134-136). Or, le fait de qualifier le paiement résultant de la méthode du coût de remplacement déprécié de gain fortuit élude la question, en ce qu’on tient ainsi pour acquis qu’une indemnité égale à la « valeur de [toutes] les améliorations » est excessive alors qu’on est en train d’expliquer cet excès. Pour donner lieu à un gain fortuit, il faudrait que la méthode accorde une indemnité excessive aux entreprises forestières. Mais la C.‑B. appuie sa prétention voulant qu’une indemnité excessive ait été payée en l’espèce sur la supposition selon laquelle il ne convenait pas que l’arbitre ordonne le paiement d’une indemnité supérieure aux frais réels de Teal Cedar, et ce, malgré l’absence dans la Revitalization Act de toute disposition limitant l’indemnité de Teal Cedar à ses frais ou dépenses réels.

[94]                          La pleine « valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne » est l’expression choisie par le législateur pour désigner le montant de l’indemnité dans la disposition d’indemnisation. Si le législateur de la C.‑B. avait voulu verser aux entreprises une indemnité inférieure à la « valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne », il n’aurait pas prévu une indemnité « égale à » celle‑ci. Le raisonnement de l’arbitre n’est donc guère indéfendable, d’autant plus que le libellé de la disposition d’indemnisation fixe clairement l’indemnité au montant précisément établi par l’arbitre. En outre, il n’est guère indéfendable de choisir une méthode d’évaluation qui donne une indemnité excédant les frais réellement engagés par les entreprises forestières pour apporter des améliorations à leurs terres de la Couronne lorsque la valeur commerciale de ces améliorations — qui sont des instruments nécessaires aux activités forestières complexes et lucratives de Teal Cedar — excède vraisemblablement les coûts initiaux qui ont dû être supportés pour les installer au départ. En effet, on pourrait soutenir que le coût théorique de construction des améliorations se rapportant à certains permis était incorporé dans le coût d’obtention du permis, ce qui justifierait une indemnité lorsque l’accès à ces améliorations a été restreint.

[95]                          Ainsi, le désir de restreindre l’indemnité de Teal Cedar à la perte ou aux dommages qu’elle a réellement subis par suite des reprises de la C.‑B. est plus complexe qu’on ne le croit, ce qui justifie d’autant plus que l’on fasse preuve de déférence envers l’opinion que s’est fait l’arbitre devant l’abondante preuve d’expert dont il disposait. Par exemple, mes collègues concluent que l’indemnité doit tenir compte du fait que Teal Cedar a seulement perdu son droit d’utiliser les améliorations, et non les améliorations elles‑mêmes (par. 123). Or, l’arbitre était clairement sensible à cette préoccupation quand il a fait remarquer que le montant de l’indemnité qu’il a fixé en définitive était inférieur aux frais réels engagés auparavant par Teal Cedar pour les améliorations (par. 140), et quand il a soustrait du montant final de l’indemnité les chemins de desserte qui, en fait, ne servent à rien après leur utilisation initiale (par. 166). De même, mes collègues affirment que Teal Cedar avait déjà été indemnisée « des coûts de construction futurs au moyen de déductions sur les droits de souche » (par. 126). Mais comme l’a expliqué l’arbitre en prenant appui sur le dossier qui lui a été présenté, les droits de souche (1) influent en définitive sur la valeur des droits de coupe, une indemnité sur laquelle les parties se sont entendues (par. 127); (2) n’ont même pas été pris en considération dans la méthode d’évaluation reconnue qu’il a fini par choisir (par. 127); et (3) ne peuvent servir à exclure une indemnité visant les améliorations puisque la disposition d’indemnisation sous‑entend l’existence d’une indemnité non couverte par d’autres solutions telles qu’une réduction des droits de souche (par. 156).

[96]                          En réalité, la contestation de la C.‑B. relative au « gain fortuit » ne tient pas au fait que Teal Cedar a reçu une indemnité plus élevée que ce que la Revitalization Act exige en droit, mais plutôt au fait que Teal Cedar a reçu une indemnité plus élevée que ce qu’elle aurait mérité en fait. Or, le rôle de l’arbitre dans l’interprétation de la Revitalization Act n’est pas d’évaluer le montant d’indemnité moralement dû à Teal Cedar; il doit évaluer le montant d’indemnité prescrit par la Revitalization Act.

[97]                          Le troisième argument de la C.‑B. repose sur un examen de la Revitalization Act consigné dans le Hansard, où l’ancien ministre des Forêts a expliqué en quoi la disposition d’indemnisation visait à indemniser les entreprises forestières du fait qu’elles avaient supporté des coûts financiers réels relativement à leurs améliorations : [traduction] « Elles ont construit des routes; elles ont construit des ponts. Elles méritent d’être indemnisées de ces coûts si elles ne peuvent pas utiliser ces infrastructures pour exploiter des zones qui seront redistribuées ailleurs » (Colombie‑Britannique, Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard), vol. 13, no 6, 4e sess., 37e lég., 27 mars 2003, p. 5682 (l’hon. M. de Jong)). Or, le Hansard ne va pas plus loin. Les termes d’une loi sont d’une importance primordiale pour son interprétation. Et la dernière phrase de la disposition d’indemnisation précise que l’« indemnité » sera égale à la « valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne ». Si le législateur avait voulu prendre en compte les coûts réels, la disposition d’indemnisation aurait pu disposer que l’« indemnité » sera égale, par exemple, aux [traduction] « dépenses engagées par les titulaires de permis pour apporter des améliorations aux terres de la Couronne pendant la période visée par leur permis » ou aux « coûts réellement supportés par les titulaires de permis pour apporter des améliorations aux terres de la Couronne pendant la période visée par leur permis ». Du reste, à supposer que le législateur souhaitait vraiment indemniser les entreprises de la pleine valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne auxquelles se rapportent leurs permis, j’ai peine à imaginer une formulation plus claire pour exprimer cette intention que le libellé actuel de la disposition d’indemnisation.

[98]                          Le dernier argument de la C.‑B. touche la nature de l’intérêt de Teal Cedar dans les terres de la Couronne où se trouvent les améliorations. La C.‑B. soutient qu’en remboursant Teal Cedar de la pleine valeur des améliorations, l’arbitre a présumé que Teal Cedar était propriétaire des actifs et qu’elle les a perdus par application de la Revitalization Act, alors que Teal Cedar a perdu uniquement le droit de se servir des actifs. En fin de compte, cet argument n’établit pas le caractère déraisonnable de l’analyse de l’arbitre pour le même motif que celui énoncé à l’égard des autres attaques exposées précédemment. En termes simples, Teal Cedar a touché [traduction] « [une somme] égale à la valeur des améliorations » parce que c’est ce que prévoit la disposition d’indemnisation. Quand la Revitalization Act a été adoptée, la C.‑B. était sans aucun doute bien consciente de la nature des intérêts des entreprises forestières sur les améliorations, ce qui ne l’a pas empêchée de choisir le libellé de la disposition d’indemnisation en n’établissant aucun lien explicite entre ces intérêts et le montant d’indemnité dû. Comme l’a fait remarquer le juge en chef Bauman, l’intérêt de Teal Cedar sur les améliorations n’est [traduction] « absolument pas pertinent » parce que son indemnité, et le montant de celle‑ci, tirent leur origine de la disposition d’indemnisation (par. 52). Au bout du compte, le législateur a le droit d’offrir aux entreprises forestières une indemnité prévue par la loi dont le montant n’est pas fonction de la nature de leur intérêt dans la terre de la Couronne en cause. Autrement dit, il n’est guère indéfendable de s’appuyer sur le sens ordinaire de la Revitalization Act pour fixer le montant de l’indemnité même si des allusions non prévues par la loi à la nature de l’intérêt de Teal Cedar peuvent ne pas concorder avec le montant d’indemnité découlant de ce sens ordinaire.

[99]                          Bref, les attaques de la C.‑B. contre le raisonnement de l’arbitre constituent des attaques indirectes contre la justesse de l’interprétation fondée sur le sens ordinaire et le contexte que l’arbitre a donnée à la disposition d’indemnisation. Dans la décision des juges majoritaires de la Cour d’appel et celle rendue par la Cour d’appel à la suite du renvoi, ce tribunal a retenu la même démarche axée sur l’appréciation du caractère correct plutôt que sur celle du caractère raisonnable. En outre, l’accent que mes collègues mettent sur l’« intérêt limité » de Teal Cedar dans les améliorations s’apparente davantage à un contrôle « [déguisé] » selon la norme de la décision correcte (Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770, par. 27, citant D. Mullan, « Unresolved Issues on Standard of Review in Canadian Judicial Review of Administrative Action — The Top Fifteen! » (2013), 42 Adv. Q. 1, p. 76‑81) qu’au contrôle selon la norme de la décision raisonnable qui s’impose ici. Au bout du compte, ces approches ne démontrent pas en quoi la décision de l’arbitre est injustifiable, non transparente, inintelligible ou indéfendable. La décision de l’arbitre ne peut être infirmée sur la base d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

VI.         Conclusion

[100]                      En résumé, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi en partie avec dépens dans toutes les cours en faveur de Teal Cedar, qui a eu gain de cause en majeure partie en appel.

[101]                      Comme le juge en chef Bauman (par. 57) et le juge en chef Finch, dissident (par. 141-143), l’ont conclu à bon droit, l’arbitre s’est raisonnablement appuyé sur la méthode d’évaluation fondée sur le coût de remplacement déprécié. Je suis donc d’avis d’infirmer la conclusion contraire que la Cour d’appel a tirée à la suite du renvoi (par. 38) et de rétablir l’évaluation initiale de l’arbitre qui repose sur cette méthode.

[102]                      De plus, le juge en chef Bauman (par. 81) et le juge en chef Finch, dissident (par. 144-145), ont statué à juste titre que la Cour suprême de la Colombie‑Britannique n’avait pas compétence pour contrôler la décision de l’arbitre sur la question des intérêts. Par conséquent, je suis également d’avis d’infirmer la conclusion contraire que la Cour d’appel a tirée à la suite du renvoi (par. 58) et de rétablir la décision initiale de l’arbitre selon laquelle la C.‑B. doit payer des intérêts en sus de l’indemnité visant les améliorations qu’elle doit à Teal Cedar.

[103]                      Cependant, le juge en chef Bauman a renvoyé à tort la question du permis Lillooet à l’arbitre pour nouvel examen (par. 88), car la Cour suprême de la Colombie‑Britannique n’avait pas compétence sur cette question. Par conséquent, quoique pour d’autres motifs que ceux de la Cour d’appel, je suis d’avis de rétablir la décision initiale de l’arbitre de refuser d’accorder à Teal Cedar une indemnité pour les pertes liées aux améliorations touchant le permis Lillooet.

                    Version française des motifs des juges Moldaver, Côté, Brown et Rowe rendus par

                    Les juges Moldaver et Côté (dissidents en partie)

I.               Introduction

[104]                      Le présent pourvoi porte sur l’indemnité payable à une entreprise forestière privée, Teal Cedar Products Ltd. (« Teal »), pour les réductions apportées par la Colombie-Britannique (« Province ») à trois de ses tenures forestières. Deux questions sont en litige en l’espèce : la première a trait à l’interprétation contractuelle d’une convention de règlement modifiée conclue entre la Province et Teal, et la seconde concerne l’interprétation législative du par. 6(4) de la Forestry Revitalization Act, S.B.C. 2003, c. 17 (« FRA »).

[105]                      Nous convenons avec notre collègue le juge Gascon que la question de l’interprétation contractuelle n’est pas susceptible de contrôle au titre de l’art. 31 de l’Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, c. 55. Nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi sur ce point.

[106]                      Nous divergeons cependant d’opinion sur la question de l’interprétation législative. À notre avis, peu importe la norme de contrôle applicable, l’interprétation que l’arbitre a donnée au par. 6(4) de la FRA ne tient pas. Comme nous l’expliquerons, la seule interprétation du par. 6(4) qui résiste à un examen selon l’une ou l’autre norme de contrôle est celle selon laquelle Teal, en tant que titulaire de permis, n’avait le droit de recevoir une indemnité que pour son intérêt limité dans les améliorations. En évaluant les améliorations en vertu du par. 6(4), l’arbitre devait tenir compte du fait que Teal, en tant que titulaire de permis, n’était pas propriétaire des améliorations, lesquelles appartenaient à la Couronne. Il ne l’a pas fait. Il a plutôt retenu une méthode d’évaluation — soit l’approche fondée sur les économies de coûts — qui ne tenait pas compte du fait que Teal n’avait qu’un intérêt limité dans les améliorations en tant que titulaire de permis et que, par conséquent, elle n’avait pas droit à une indemnité à ce titre en vertu du par. 6(4).

[107]                      Nous sommes donc d’avis de rejeter en partie le pourvoi sur la question de l’interprétation législative et de renvoyer à l’arbitre la question de l’indemnité payable pour les améliorations se rapportant aux trois permis détenus par Teal.

II.            Norme de contrôle

[108]                      Nous n’estimons pas nécessaire de décider si la norme de contrôle applicable à l’interprétation que l’arbitre a donnée au par. 6(4) de la FRA est celle de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable. Comme nous l’expliquerons, quelle que soit la norme de contrôle applicable, l’interprétation de l’arbitre ne tient pas.

III.          Analyse

(1)           Article 6 de la FRA

[109]                      Le ministre des Forêts accorde à des entreprises forestières privées comme Teal l’autorisation de couper du bois sur les terres de la Couronne en leur délivrant des permis en vertu de la Forest Act, R.S.B.C. 1996, c. 157. Selon ces permis, les entreprises forestières privées peuvent couper du bois dans certaines zones et utiliser les améliorations qui s’y trouvent. Trois de ces permis sont en cause dans le présent pourvoi : le permis de ferme forestière 46, le permis Fraser et le permis Lillooet. Avec l’adoption de la FRA, la Province a pu réduire le territoire et la coupe de bois annuelle autorisée par ces permis. À la suite des reprises effectuées par la Province, les droits de Teal de couper du bois et d’utiliser les améliorations dans ces zones ont été réduits.

[110]                      L’article 6 de la FRA prévoit le versement d’une indemnité aux titulaires de permis pour ces réductions. Selon le par. 6(3), le titulaire de permis a droit à une indemnité [traduction] « égal[e] à la valeur des droits de coupe retirés au moyen de la réduction ». Le titulaire de permis a également droit à une indemnité équivalant à la « valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne » en vertu du par. 6(4). Voici le texte de cette disposition :

                    [traduction]

(4)     Outre l’indemnité à laquelle a droit le titulaire d’un permis distinct, d’un permis d’exploitation ou d’un permis faisant partie d’un groupe de permis en vertu du paragraphe (1), (2) ou (3), le titulaire a droit, de la part du gouvernement, à une indemnité égale à la valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne :

 

(a) qui sont ou ont été autorisées par le gouvernement,

 

(b) auxquelles ne s’applique pas l’article 174 du Forest Practices Code of British Columbia Act, et

 

(c) qui ne sont pas ou n’ont pas été payées par le gouvernement conformément à la Forest Act ou à l’ancienne loi au sens de la Forest Act.

[111]                      Le principe moderne d’interprétation des lois est bien établi :

     [traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

(E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87)

[112]                      Selon ce principe, les lois « doivent être interprétées de manière à donner aux mots leur sens ordinaire le plus évident qui s’harmonise avec le contexte et l’objet visé par la loi dans laquelle ils sont employés » : CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743, para. 14; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21-22. Le sens ordinaire d’une disposition législative constitue simplement le « sens naturel qui se dégage de la simple lecture de la disposition » : Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724, p. 735. À notre avis, le sens ordinaire du par. 6(4) de la FRA qui s’harmonise avec l’objet et le contexte de la Loi est le suivant : le titulaire de permis a le droit de recevoir une indemnité pour les améliorations, sur la base de son intérêt limité dans les améliorations en tant que titulaire de permis.

(2)           Le sens ordinaire du par. 6(4) de la FRA

[113]                      Le sens du terme [traduction] « indemnité » (compensation) réfère à une somme versée en réparation intégrale d’une perte. Le Shorter Oxford English Dictionary (6e éd. 2007) définit l’indemnité comme une « réparation ou compensation; spécialt argent remis en guise de compensation d’une perte ou d’un préjudice » (p. 470). Selon le par. 6(4) de la FRA, Teal a droit à une indemnité égale à la valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne. Pour que l’indemnité constitue une réparation intégrale, la valeur des améliorations doit correspondre à la perte réelle de Teal.

[114]                      Cette disposition précise en outre que Teal, en tant que [traduction] « titulaire d’un permis », a droit à une indemnité correspondant à la « valeur des améliorations apportées aux terres de la Couronne ». Ce libellé indique clairement que les améliorations n’appartiennent pas à Teal. En tant que titulaire de permis, Teal acquiert seulement un droit restreint d’utiliser les améliorations. Les droits de propriété sur les améliorations restent dévolus à la Couronne.

[115]                      Suivant son sens ordinaire, la disposition en litige accorde à Teal le droit de toucher une indemnité correspondant à la valeur des améliorations pour Teal en tant que titulaire de permis. Si l’évaluation des améliorations ne tient pas compte du fait que Teal a un intérêt limité dans les améliorations, par opposition à un droit de propriété, Teal recevra non pas une « indemnité » au sens du par. 6(4), mais une indemnité excessive.

(3)           L’objet et le contexte de la FRA

[116]                      Le sens ordinaire du par. 6(4) est le suivant : Teal a le droit d’être indemnisée sur une base reflétant l’intérêt limité qu’elle possède dans les améliorations en tant que titulaire de permis. Ce sens ordinaire du par. 6(4) est compatible avec l’objet de la FRA et son contexte d’expropriation. La FRA vise à réduire les droits des titulaires de permis, plus particulièrement leurs droits de couper du bois et d’utiliser les améliorations, et à indemniser les titulaires de permis pour ces réductions. À la suite des reprises en litige, Teal a perdu une partie de son droit d’utiliser les améliorations, et non des droits de propriété sur celles-ci. Il va à l’encontre de l’objet de la FRA d’accorder à Teal une indemnité excédant la valeur de ce qu’elle a perdu en raison des reprises.

[117]                      Comme l’a souligné l’arbitre, la FRA est une [traduction] « espèce de loi d’expropriation » (sentence arbitrale, 27 avril 2011, par. 8). Une présomption en faveur d’une indemnisation intégrale s’applique donc à son interprétation : Colombie‑Britannique (Forêts) c. Teal Cedar Products Ltd., 2013 CSC 51, [2013] 3 R.C.S. 301, par. 37; E. C. E. Todd, The Law of Expropriation and Compensation in Canada (2e éd. 1992), p. 35. Cette présomption n’emporte cependant pas octroi, au propriétaire d’une propriété expropriée, d’une indemnité supérieure à la valeur de cet intérêt. L’indemnisation intégrale ne fait que permettre au propriétaire d’obtenir une « réparation intégrale » de la perte de cet intérêt (Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160, par. 55-56, citant Diggon-Hibben, Ltd. c. The King, [1949] R.C.S. 712).

[118]                      Considérant le sens ordinaire du par. 6(4) à la lumière de l’objet de la FRA et de son contexte d’expropriation, nous sommes convaincus que ce sens est clair et simple : l’indemnité accordée au titre du par. 6(4) ne doit pas dépasser la valeur de l’intérêt limité que Teal possède dans les améliorations en tant que titulaire de permis.

(4)           La méthode d’évaluation de l’arbitre

a)              L’approche fondée sur les économies de coûts

[119]                      L’arbitre a utilisé une méthode d’évaluation qu’il a appelée l’[traduction] « approche fondée sur les économies de coûts » pour fixer l’indemnité due à Teal en application du par. 6(4). Cette approche, qui a été élaborée en tant que méthode d’évaluation pour les « terres à bois privées », sert à évaluer l’indemnité destinée à Teal comme si cette dernière était le propriétaire privé des améliorations. Par conséquent, elle ne tient pas compte du fait que Teal n’était pas propriétaire des améliorations et n’avait qu’un intérêt limité dans celles‑ci comme titulaire de permis.

[120]                      La méthode des économies de coûts repose sur le coût de remplacement déprécié des améliorations (sentence arbitrale, par. 75), qui représente le coût de remplacement de [traduction] « l’ensemble du réseau utile des routes et des améliorations pour les zones visées par la reprise », à savoir « toutes les routes et les améliorations connexes qui permettent d’avoir accès au bois susceptible d’être coupé à l’intérieur des zones reprises » dans leur état déprécié actuel (par. 81). Selon la méthode des économies de coûts, Teal a droit à une indemnité pour ce coût de remplacement déprécié (par. 75). Il en est ainsi parce qu’avant les réductions, il existait déjà un réseau d’améliorations et Teal n’avait pas à payer la construction d’améliorations pour avoir accès au bois en vue de le couper (par. 93). Après les réductions apportées par la Province au territoire de Teal, cette dernière aurait à dépenser de l’argent pour remplacer les améliorations et elle doit donc être indemnisée de ce coût (par. 93).

b)             L’arbitre a appliqué l’approche fondée sur les économies de coûts lorsqu’il a évalué les améliorations se rapportant au permis Lillooet

[121]                      Comme l’a fait remarquer notre collègue le juge Gascon, l’arbitre a également utilisé la méthode des économies de coûts pour évaluer les améliorations se rapportant au permis Lillooet. L’arbitre n’a accordé aucune indemnité pour ces améliorations, ce qui est en fait conforme à l’approche fondée sur les économies de coûts (par. 170).

[122]                      En effet, contrairement aux deux autres permis, la Province n’a repris aucune zone d’exploitation du permis Lillooet (sentence arbitrale, par. 168). La réduction apportée par la Province au permis Lillooet n’a fait que réduire la coupe autorisée de 54,3 % (par. 168). Ainsi, comme l’a conclu l’arbitre, Teal n’a pas perdu la possibilité d’utiliser les routes (par. 169) et n’a donc pas eu à dépenser de l’argent pour remplacer les améliorations. Par conséquent, selon l’approche fondée sur les économies de coûts, Teal n’a pas droit au coût de remplacement déprécié des améliorations se rapportant au permis Lillooet.

(5)           L’approche fondée sur les économies de coûts retenue par l’arbitre ne tient pas compte du fait que les améliorations n’appartiennent pas à Teal

[123]                      En utilisant la méthode d’évaluation des économies de coûts pour évaluer les améliorations se rapportant aux trois permis dont Teal est titulaire, l’arbitre n’a pas tenu compte du fait que Teal, en qualité de titulaire de permis, n’avait qu’un intérêt limité dans les améliorations. L’approche fondée sur les économies de coûts peut constituer une méthode adéquate dans le cas des terres privées, mais les routes et les ponts en cause appartenaient à la Couronne. Puisque Teal n’était pas propriétaire des améliorations et n’avait qu’un intérêt limité dans celles‑ci en tant que titulaire de permis, on ne saurait affirmer qu’elle a perdu le coût de remplacement des améliorations lorsque la Province a réduit le territoire visé par ses permis. Comme l’a mentionné la majorité de la Cour d’appel dans sa première décision, [traduction] « Teal avait le droit d’utiliser les améliorations. Elle a donc perdu uniquement l’usage des biens, et non les biens eux‑mêmes » : 2013 BCCA 326, 46 B.C.L.R. (5th) 272, par. 73 (nous soulignons).

[124]                      L’arbitre a estimé que l’approche fondée sur les économies de coûts s’appliquait aux améliorations parce qu’elle permettait de déterminer avec précision la [traduction] « valeur pour le propriétaire », laquelle constitue une façon d’établir l’« indemnité intégrale » : Todd, p. 110-111. L’approche fondée sur la « valeur pour le propriétaire » évalue l’indemnité en se fondant sur ce qu’un propriétaire prudent paierait pour conserver son intérêt de propriété plutôt que d’en être privé (MacMillan Bloedel Ltd. c. British Columbia (1995), 12 B.C.L.R. (3d) 134 (C.A.), par. 29‑32). Le juge saisi de la requête, d’accord pour dire que cette approche utilisée par l’arbitre s’accordait avec l’[traduction] « indemnisation intégrale », a conclu lui aussi que Teal avait droit à ce qu’un propriétaire prudent « aurait été disposé à payer pour les améliorations au lieu d’en être dépossédé » : 2012 BCSC 543, par. 67 (CanLII).

[125]                      Nous ne partageons pas l’avis que l’approche fondée sur la « valeur pour le propriétaire » puisse servir de fondement pour permettre à Teal de toucher le coût de remplacement déprécié des améliorations au titre du par. 6(4) de la FRA. La méthode de la « valeur pour le propriétaire » emporte octroi d’une indemnité en fonction de la valeur, pour Teal, de son intérêt dans les améliorations. Puisque Teal n’était pas propriétaire des améliorations et n’avait qu’un intérêt limité dans celles‑ci, Teal ne paierait pas le coût total du remplacement du réseau d’améliorations en cause.

[126]                      Il est aussi révélateur qu’à titre de titulaire de permis ne possédant que des droits limités sur les améliorations, Teal serait remboursée par le gouvernement pour les coûts de construction futurs au moyen de déductions sur les droits de souche. Tel que l’a signalé la majorité de la Cour d’appel dans sa première décision, si Teal choisissait de reconstruire les améliorations reprises en application de la FRA, elle serait indemnisée de ses coûts de construction par le mécanisme de ces déductions (par. 74). Le fait qu’on rembourse Teal des coûts de construction futurs au moyen de déductions sur les droits de souche est une considération pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer ce que paierait Teal pour éviter d’être privée de son intérêt dans les améliorations selon la méthode de la « valeur pour le propriétaire ». Ce remboursement influerait logiquement sur la somme que Teal est disposée à payer pour éviter d’être dépossédée de cet intérêt. Le droit de Teal d’utiliser les améliorations était en outre conditionnel au paiement par cette dernière de l’entretien des routes visées par le permis et à leur mise hors service lorsqu’elles n’étaient plus utilisées (par. 79(2) du Forest Planning and Practices Regulation, B.C. Reg. 14/2004). Étant donné que Teal ne disposait que de cet intérêt limité dans les améliorations, elle ne paierait pas le coût total du remplacement des améliorations pour éviter d’en être privée.

(6)           L’approche fondée sur la valeur marchande

a)              L’arbitre a commis une erreur en interprétant étroitement la portée du par. 6(4) de la FRA de façon à exclure l’approche fondée sur la valeur marchande

[127]                      À notre avis, l’arbitre ne pouvait retenir l’approche fondée sur les économies de coûts en vertu du par. 6(4) de la FRA. Selon nous, il disposait toutefois d’une solution compatible avec cette disposition.

[128]                      Comme le signale notre collègue le juge Gascon, trois méthodes d’évaluation ont été proposées à l’arbitre : (1) la valeur marchande, (2) le revenu et (3) le coût de remplacement déprécié, qui comprend l’approche fondée sur les économies de coûts. L’arbitre a rejeté les deux premières méthodes au motif qu’elles ne pouvaient servir à évaluer les améliorations indépendamment des droits de coupe. Il a fait remarquer que la FRA établit une distinction entre la valeur des droits de coupe et la valeur des améliorations. Selon lui,

                    [traduction] [p]our donner un sens à cette distinction, la valeur des améliorations doit être déterminée indépendamment des considérations qui seraient en cause dans un contexte où il s’agit de déterminer soit la valeur (marchande ou pour le propriétaire) de la tenure dans son ensemble, soit celle des droits de coupe d’une manière indépendante. [par. 110]

[129]                      L’arbitre a interprété le par. 6(4) de la FRA comme signifiant que la valeur des améliorations devait être calculée séparément et indépendamment des droits de coupe, sans égard à la valeur du permis ou de la tenure dans son ensemble. L’arbitre a conclu que l’approche fondée sur la valeur marchande ne permettait pas d’évaluer les améliorations de cette manière. Comme il n’existe pas de marché pour la vente des améliorations, il faut déterminer la valeur marchande des améliorations en examinant d’abord la valeur marchande du permis ou de la tenure dans son ensemble. L’arbitre a convenu que l’approche fondée sur les économies de coûts était la seule méthode d’évaluation qui permettait d’évaluer les améliorations séparément et indépendamment de la tenure dans son ensemble (par. 94).

[130]                      À notre avis, l’arbitre a interprété trop restrictivement le par. 6(4) de la FRA en concluant que la distinction établie par cette disposition entre la valeur des améliorations et celle des droits de coupe signifie que la valeur marchande de l’ensemble de la tenure ne peut être prise en compte pour déterminer la valeur des améliorations. Avec égards, rien dans le texte ou le contexte de la Loi n’appuie cette interprétation trop restrictive du par. 6(4). Au contraire, il était loisible à l’arbitre de choisir une méthode d’évaluation qui permettait de fixer la valeur des améliorations pour Teal en tant que titulaire d’un permis, pourvu que l’approche choisie serve à évaluer les améliorations comme élément séparé et distinct des droits de coupe.

b)             L’approche fondée sur la valeur marchande est compatible avec le par. 6(4) de la FRA

[131]                      Bien que l’approche fondée sur la valeur marchande tienne effectivement compte de la valeur du permis ou de la tenure dans son ensemble, elle peut ultimement servir à évaluer les améliorations séparément et indépendamment des droits de coupe. Le témoin expert de la Province, Eleanor Joy, a expliqué ainsi cette méthode :

                    [traduction] . . . il est important de comprendre que ce que je faisais, c’était une approche fondée sur la valeur marchande. J’ai donc examiné ce que les gens étaient prêts à payer historiquement pour acquérir des tenures forestières, puis j’ai examiné tous les éléments de preuve que j’ai pu trouver qui pouvaient me donner une certaine indication de ce que les gens croyaient que les routes représentaient comme pourcentage de ce montant total qu’ils étaient prêts à payer pour acquérir des tenures forestières.

(d.a., vol. II, p. 100)

[132]                      Comme l’a fait remarquer l’arbitre, Mme Joy s’est servie des données du marché sur les ventes de permis [traduction] « pour établir un coût approximatif par mètre cube pour les tenures » et a ensuite alloué « un pourcentage de cette valeur aux améliorations en cause en l’espèce » (par. 121). Pour décider quel pourcentage de la valeur de la tenure dans son ensemble devait être alloué aux améliorations, Mme Joy a consulté des états financiers d’entreprises forestières qui attribuaient certaines valeurs aux améliorations, ainsi que des communiqués de presse diffusés par des entreprises forestières qui traitaient de règlements intervenus relativement à leurs demandes d’indemnité présentées en vertu de la FRA (sentence arbitrale, par. 122). Elle a donc calculé la valeur des améliorations en fonction de ce que les entreprises forestières étaient prêtes à payer pour acquérir des tenures et sur le pourcentage de cette valeur que les entreprises attribuaient aux améliorations.

[133]                      Non seulement l’approche fondée sur la valeur marchande permet-elle d’évaluer les améliorations séparément et indépendamment des droits de coupe, mais elle fait aussi en sorte que Teal ne reçoive pas en l’espèce une indemnité supérieure à la valeur de son intérêt dans les améliorations. Les entreprises forestières comme Teal qui achètent des permis d’exploitation forestière n’évaluent pas les améliorations comme si elles en acquéraient la propriété exclusive. Ce qu’elles sont prêtes à payer pour les améliorations tient plutôt à l’usage qu’elles prévoient en faire, ainsi qu’à d’autres considérations connexes comme le remboursement par le gouvernement des coûts de construction assumés par les titulaires de permis. Les améliorations représentent donc une fraction de la valeur totale du permis ou de la tenure. Comme l’explique Mme Joy :

                    [traduction]

R. . . . Je pense que mon argument consisterait à dire que, si quelqu’un est prêt à se départir de sa tenure forestière pour 5,1 millions de dollars, les routes doivent représenter une fraction de cette somme.

                    Q. Pourquoi doivent‑elles représenter une fraction de cette somme?

                    R. Bien, pour toutes sortes de raisons différentes dont nous avons déjà traitées. Quand elles seront utilisées, si les droits de souche sont remboursés, si le fait de construire des routes ou d’utiliser les routes existantes laisse les gens indifférents, la qualité des routes, le type de routes. Tous ces facteurs entrent en ligne de compte.

(d.a., vol. II, p. 107)

[134]                      En résumé, l’approche fondée sur la valeur marchande proposée par Mme Joy tient compte de l’intérêt limité de Teal dans les améliorations. L’arbitre pouvait utiliser cette méthode d’évaluation en vertu du par. 6(4) de la FRA. Pourtant, il a choisi de recourir à une méthode incompatible avec cette disposition, ce qui a permis à Teal de réaliser un gain fortuit substantiel : Mme Joy a estimé que la valeur des améliorations selon l’approche fondée sur la valeur marchande était de 1,5 million de dollars, tandis que l’arbitre a estimé que cette valeur était de 9,5 millions de dollars selon l’approche fondée sur les économies de coûts (sentence arbitrale, par. 194).

[135]                      En termes clairs, l’arbitre pouvait choisir une méthode d’évaluation compatible avec la seule interprétation raisonnable du par. 6(4) de la FRA : à savoir que Teal doit être indemnisée compte tenu de son intérêt limité dans les améliorations. Contrairement à ce qu’affirme notre collègue, nous sommes d’avis que la méthode de la valeur marchande n’est qu’une des méthodes que l’arbitre aurait pu employer en vertu du par. 6(4) de la FRA.

(7)           Conclusion

[136]                      En fin de compte, la complexité de la preuve relative à l’évaluation semble avoir eu l’effet malheureux de dissimuler la forêt derrière les arbres. La seule interprétation du par. 6(4) de la FRA qui résiste à un examen selon l’une ou l’autre norme de contrôle est celle selon laquelle Teal a droit à une indemnité pour l’intérêt qu’elle détient en tant que titulaire de permis dans les améliorations. Si l’indemnité accordée à Teal au titre du par. 6(4) ne reflète pas l’intérêt limité qu’elle possède dans les améliorations, elle ne reçoit pas d’indemnité; elle reçoit plutôt une indemnité nettement excessive, et ce, aux frais du contribuable. Comme l’a affirmé la Cour d’appel à la suite du renvoi, [traduction] « [i]l est impossible [. . .] qu’une loi prévoyant une indemnisation soit interprétée comme signifiant qu’elle procure un gain fortuit substantiel à même les fonds publics qui ne servirait à rien » : 2015 BCCA 263, 386 D.L.R. (4th) 40, par. 38. En effet, l’interprétation de l’arbitre mène au résultat absurde où le public de la Colombie‑Britannique indemnise Teal pour un droit de propriété privé sur les améliorations, en dépit du fait qu’aucun droit ou intérêt de cette nature n’existe et que les améliorations en cause appartiennent à la Couronne.

[137]                      Comme nous l’avons expliqué, l’arbitre disposait d’une méthode d’évaluation compatible avec le par. 6(4) de la FRA, mais il l’a rejetée sur la base d’une interprétation de la disposition qui ne résiste pas à un examen selon l’une ou l’autre norme de contrôle. Avec égards, cette interprétation nous paraît dépourvue de fondement.

IV.         Dispositif

[138]                      Nous convenons avec notre collègue le juge Gascon que le pourvoi doit être accueilli sur la question de l’interprétation contractuelle.

[139]                      Pour les motifs énoncés ci‑dessus, nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi en partie sur la question de l’interprétation législative. Nous sommes cependant d’avis de ne pas rétablir la décision de l’arbitre de ne pas accorder d’indemnité pour les améliorations se rapportant au permis Lillooet. Même si les juges majoritaires de la Cour d’appel ont souscrit à l’évaluation que l’arbitre a faite des améliorations se rapportant au permis Lillooet, nous avons conclu que l’arbitre a donné une mauvaise interprétation du par. 6(4) de la FRA lorsqu’il a évalué ces améliorations. Nous sommes donc d’avis de renvoyer à l’arbitre la question de l’indemnité pour les améliorations concernant les trois permis en litige, à savoir le permis de ferme forestière 46, le permis Fraser et le permis Lillooet.

                    Pourvoi accueilli en partie avec dépens devant toutes les cours, les juges Moldaver, Côté, Brown et Rowe sont dissidents en partie.

                    Procureurs de l’appelante : Hunter Litigation Chambers, Vancouver.

                    Procureur de l’intimée : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Vancouver.

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