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                                                  COUR SUPRÊME DU CANADA

 

 

Référence : Société de crédit commercial GMAC – Canada c. T.C.T. Logistics Inc.,  [2006] 2 R.C.S. 123, 2006 CSC 35

 

Date :  20060727

Dossier :  30391

Entre :

Syndicat des travailleurs de l’industrie du bois et leurs alliés,section locale 700

Appelant/Intimé à l’appel incident

et

Société de crédit commercial GMAC – Canada

Intimée/Appelante à l’appel incident

et

T.C.T. Logistics Inc., T.C.T. Warehousing Logistics Inc.,

KPMG Inc., séquestre intérimaire et syndic de faillite de

T.C.T. Logistics Inc., T.C.T. Warehousing Logistics Inc.,

TCT Logistics Inc., TCT Acquisition No. 1 Ltd., Atomic TCT

Logistics Inc., Atomic TCT (Alberta) Inc., TCT Canada

Logistics Inc., Inter-Ocean Terminals (B.C.) Ltd., Atomic

Transport Inc., TCT Warehousing Logistics Inc., TCT Warehousing

Logistics No. 2 Inc., R.R.S. Transport (1998) Inc., TCT Acquisition

No. 2 Ltd., Tri-Line Expressways Ltd. (a successor to Tri-Line

Expressways Ltd. and TCT Acquisition No. 3 Ltd.), Tri-Line

Expressways, Inc., 2984008 Canada Inc., High-Tech Express

& Distribution Inc., 606965 British Columbia Ltd. et 606966

British Columbia Ltd.

Intimés

 

Traduction française officielle : Motifs de la juge Abella

 

Coram :  La juge en chef McLachlin et les juges Major*, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron

 

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 84)

 

Motifs dissidents quant à l’appel :

(par. 85 à 167)

 

La juge Abella (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Fish et Charron)

 

La juge Deschamps

* Le juge Major n’a pas pris part au jugement.

 

______________________________


Société de crédit commercial GMAC — Canada c. T.C.T. Logistics Inc., [2006] 2 R.C.S. 123, 2006 CSC 35

 

Syndicat des travailleurs de l’industrie

du bois et leurs alliés, section locale 700              Appelant/Intimé au pourvoi incident

 

c.

 

Société de crédit commercial GMAC — 

Canada                                                                Intimée/Appelante au pourvoi incident

 

et

 

T.C.T. Logistics Inc., T.C.T. Warehousing Logistics Inc.,

KPMG Inc., séquestre intérimaire et syndic de faillite de

T.C.T. Logistics Inc. et T.C.T. Warehousing Logistics Inc., et

TCT Logistics Inc., TCT Acquisition No. 1 Ltd., Atomic TCT

Logistics Inc., Atomic TCT (Alberta) Logistics Inc., TCT Canada

Logistics Inc., Inter‑Ocean Terminals (B.C.) Ltd., Atomic

Transport Inc., TCT Warehousing Logistics Inc., TCT Warehousing

Logistics No. 2 Inc., R.R.S. Transport (1998) Inc., TCT Acquisition

No. 2 Ltd., Tri‑Line Expressways Ltd. (successeur de Tri‑Line

Expressways Ltd. et de TCT Acquisition No. 3 Ltd.), Tri‑Line

Expressways, Inc., 2984008 Canada Inc., High‑Tech Express

& Distribution Inc., 606965 British Columbia Ltd. et

606966 British Columbia Ltd.                                                                            Intimées

 

Répertorié : Société de crédit commercial GMAC — Canada c. T.C.T. Logistics Inc.

 

Référence neutre : 2006 CSC 35.

 

No du greffe : 30391.

 

2005 : 16 novembre; 2006 : 27 juillet.


Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major*, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella et Charron.

 

en appel de la cour d’appel de l’ontario

 

Faillite et insolvabilité — Tribunal de faillite — Compétence — Les juges de faillite sont-ils incompétents pour décider si un séquestre intérimaire est un employeur successeur pour l’application des lois provinciales sur les relations de travail? — Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B‑3, art. 47 , 72(1) .

 

Faillite et insolvabilité — Procédure — Action contre un séquestre intérimaire — Disposition législative sur la faillite interdisant l’engagement de procédures contre un séquestre intérimaire sans autorisation judiciaire préalable — Permission demandée par un syndicat en vue d’être autorisé à déposer contre un séquestre intérimaire une requête touchant le statut d’« employeur successeur » — Le critère énoncé dans l’arrêt Mancini est-il applicable? — Un critère différent s’applique‑t‑il lorsque le litige a trait aux obligations du séquestre envers les employés syndiqués du débiteur? — Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B‑3, art. 215 .

 


La société TCT est devenue insolvable et le principal créancier garanti de celle‑ci a demandé la nomination d’un séquestre intérimaire.  L’ordonnance portant nomination de KPMG précisait que les mesures prises par le séquestre intérimaire en matière d’emploi ne pouvaient être considérées comme celles d’un « employeur successeur » et interdisait l’engagement de procédures contre le séquestre intérimaire, sauf avec l’autorisation de la cour.  Après cession des biens de TCT au profit des créanciers, KPMG a vendu la plupart des éléments d’actif de l’entreprise d’entreposage à une société nouvellement formée.  KPMG a mis fin à l’emploi de tous les employés syndiqués de l’entrepôt de Toronto, mais certains d’entre eux ont été réembauchés subséquemment par la nouvelle société.  Exception faite du nouvel emplacement des activités, la seule différence importante dans l’exploitation de l’entreprise par TCT et par la nouvelle société était l’absence du syndicat comme représentant des anciens employés de TCT.

 


Le syndicat a présenté à la Commission des relations de travail de l’Ontario une requête dans laquelle il sollicitait notamment une déclaration portant que, en tant qu’employeur succédant à TCT ou KPMG, la nouvelle société était liée par la convention collective conformément à l’art. 69 de la Loi de 1995 sur les relations de travail (« LRT »).  Après que sa requête eût été suspendue pour le motif que l’art. 215  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  (« LFI  ») interdit l’introduction d’actions contre un séquestre intérimaire ou un syndic de faillite sans la permission du tribunal, le syndicat a demandé cette permission.  Le juge a modifié le paragraphe relatif à la protection touchant le statut d’« employeur successeur » dans l’ordonnance nommant le séquestre intérimaire, mais il a refusé la permission demandée.  La Cour d’appel a conclu à l’unanimité que seule la Commission avait compétence pour se prononcer sur le statut d’employeur successeur, mais elle s’est divisée sur le critère applicable pour décider, en vertu de l’art. 215  LFI , s’il y a lieu d’accorder ou non la permission de présenter une demande concernant le statut d’employeur successeur.  La majorité a estimé que le critère traditionnel formulé dans Mancini n’était pas assez exigeant lorsqu’il s’agissait d’instances relatives au statut d’employeur successeur et qu’il fallait considérer d’autres facteurs pour tenir davantage compte des conséquences de telles demandes en justice sur le processus de faillite.  La majorité a en conséquence annulé le refus du juge d’accorder la permission et lui a renvoyé la demande pour qu’il la réexamine en fonction des facteurs additionnels énumérés.  Le syndicat se pourvoit contre l’ordonnance de la Cour d’appel qui lui a refusé la permission d’engager des procédures, et le créancier garanti a formé un appel incident sur la question de la compétence du juge de faillite.

 

Arrêt (la juge Deschamps est dissidente quant au pourvoi principal) : Le pourvoi principal est accueilli et le pourvoi incident est rejeté.

 

La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Fish, Abella et Charron : Le tribunal de faillite n’a pas le pouvoir de décider si un séquestre intérimaire est un employeur successeur au sens de la LRT.  Le paragraphe 47(2)  LFI  accorde au tribunal de faillite le pouvoir d’enjoindre au séquestre intérimaire de faire certaines choses.  Cette disposition n’a pas pour effet d’habiliter — ni explicitement ni implicitement — le tribunal de faillite à rendre des jugements déclaratoires unilatéraux sur les droits de tiers en fonction d’autres régimes législatifs.  En outre, le par. 72(1)  LFI  énonce que celle‑ci n’a pas pour effet d’abroger des dispositions législatives non incompatibles avec elle se rapportant à la propriété et aux droits civils, ces dispositions étant réputées s’y ajouter.  Le droit de demander une déclaration touchant le statut d’employeur successeur conformément à la LRT, n’est pas incompatible avec le pouvoir que le par. 47(2) accorde au tribunal de faillite.  Si l’article 47 pouvait recevoir une interprétation assez large pour permettre de porter atteinte à tous les droits qui, bien que protégés par la loi, gênent le processus de faillite, il pourrait être invoqué pour éteindre tout droit.  Il faudrait un texte explicite pour que l’art. 47 confère un pouvoir aussi étendu. [4] [43‑51]



Le juge de faillite a fait erreur en refusant d’accorder au syndicat la permission de présenter contre le séquestre intérimaire une demande relative à la qualité d’employeur successeur.  Le critère énoncé dans Mancini à l’égard des demandes de permission fondées sur l’art. 215  LFI  n’est pas très exigeant.  Pour l’application de cette disposition, il s’agit de déterminer si la preuve étaye la cause d’action invoquée.  S’il existe une preuve prima facie, la permission demandée doit être accordée.  Cet examen n’a pas pour objet de trancher la question au fond.  Le critère énoncé dans Mancini établit un juste équilibre entre, d’une part, la protection des syndics et des séquestres contre les poursuites frivoles, et, d’autre part, la protection — dans la plus large mesure possible — des droits des créanciers et autres intéressés contre les décisions et les actes des syndics et des séquestres.  En ce sens, l’arrêt Mancini est compatible avec l’exigence selon laquelle il faut une disposition législative explicite pour que la LFI  puisse être interprétée de manière à priver une personne de droits conférés par une province.  Lorsque le législateur a voulu protéger les syndics ou les séquestres contre certains recours, il l’a fait explicitement.  En l’absence de dispositions expresses de ce genre, le tribunal de faillite ne devrait pas convertir la procédure d’autorisation établie à l’art. 215 en mesure de protection générale en faveur des auxiliaires de justice désignés par les tribunaux.  Il n’existe aucune raison de créer un critère plus exigeant, qui s’appliquerait uniquement aux recours des employés syndiqués.  Resserrer le critère d’application de l’art. 215 lorsque le litige porte sur une question relevant d’une commission des relations de travail équivaut à reconnaître à la LFI , par interprétation, une sensibilité moins grande envers les droits des employés syndiqués qu’envers ceux des autres créanciers.  Rien dans cette loi ne suggère une telle distinction.  Enfin, le critère de l’arrêt Mancini ne restreint nullement les mesures de protection que le législateur a jugé nécessaires d’établir pour préserver la capacité des syndics et des séquestres de s’acquitter de leurs fonctions avec souplesse et efficacité.  En l’espèce, comme il est impossible d’affirmer que la demande du syndicat est frivole ou n’est appuyée d’aucune preuve, celui‑ci doit être autorisé à la présenter.  [7] [55-61] [67-72] [80]

 

La juge Deschamps (dissidente quant au pourvoi principal) : Le juge appelé à décider s’il y a lieu d’accorder la permission de poursuivre un syndic en vertu de l’art. 215  LFI  doit évaluer concrètement la portée du recours recherché, identifier les conflits potentiels et moduler l’autorisation de façon à éviter qu’une poursuite fondée sur le droit provincial n’ait pour effet d’entraver l’exécution des devoirs et responsabilités imposés au syndic par la LFI .  Comme le droit constitutionnel ne tolère pas les conflits de compétence, une poursuite entraînant un conflit constitutionnel n’a pas de fondement juridique et le juge doit alors refuser la permission demandée. [154]

 


La décision de continuer les activités de l’entreprise est au cœur de la mission confiée au syndic par la LFI et, en principe, le syndic ne doit pas être assujetti à des obligations qui entravent le règlement de la faillite.  Les dispositions de la LFI  protégeant le syndic contre les poursuites indiquent clairement l’intention du Parlement de lui accorder la marge de manœuvre dont il a besoin pour accomplir les devoirs que lui impose la LFI .  La déclaration attribuant la qualité d’employeur successeur n’est pas sans créer d’embûches lorsqu’elle vise un syndic.  Une telle déclaration a pour effet de faire du syndic une partie liée par la convention collective et de le rendre responsable de toutes les obligations y afférentes, y compris celles qui incombaient à l’ancien employeur avant le transfert de l’entreprise.  Bien qu’il soit admis que la LRT confère à la Commission des relations de travail de l’Ontario le pouvoir exclusif de décider qui est « employeur successeur », la LRT ne saurait entraver la réalisation de l’objet de la LFI .  Il est donc important d’identifier le point d’équilibre entre les devoirs et immunités du syndic en vertu de la LFI et les droits reconnus aux employés par la LRT.  En cas de conflit, les parties doivent se reporter aux règles constitutionnelles.  Les tribunaux saisis de contestations portant sur la difficulté d’appliquer concurremment des lois fédérales et provinciales doivent tenter de concilier l’application de ces lois de façon à respecter les champs de compétence respectifs des deux ordres de gouvernement. Cependant, lorsque le conflit est inévitable, la loi fédérale a prépondérance sur la loi provinciale.  De là l’importance du mécanisme de filtrage de l’art. 215  LFI  qui sert de mesure de contrôle permettant d’éviter que des lois provinciale et fédérale n’entrent en conflit l’une avec l’autre.  Comme la faillite d’une entreprise met en cause les intérêts de tous les créanciers et non pas seulement ceux des employés, le juge de la cour de faillite est dans une meilleure position pour évaluer les intérêts en cause et prévenir les conflits. [91] [101] [103] [111‑112] [116‑117] [123] [127‑128]

 


D’application facile lorsqu’il s’agit d’une simple poursuite en dommages‑intérêts fondée sur la faute du syndic, les critères d’application de l’art. 215 énoncés dans l’arrêt Mancini doivent, dans les autres cas, être adaptés à la nature particulière de chaque demande.  Le juge doit évaluer la nature et la portée du recours à la lumière de la preuve.  Cet examen n’a pas pour effet d’accorder un traitement particulier ou différent aux déclarations attribuant la qualité d’employeur successeur.  Dans l’examen du sérieux de la cause d’action, le juge de faillite doit être vigilant et prévoir les conflits.  En s’assurant que les conclusions recherchées n’entravent pas l’application de la LFI et, au besoin, en limitant la portée d’une poursuite fondée sur une loi provinciale, le juge de faillite permet l’application simultanée de la loi fédérale et des lois provinciales.  Le juge qui refuse d’autoriser une poursuite ne fait qu’éviter le conflit en recourant de façon préventive à la doctrine de la prépondérance.  Le juge de faillite doit toutefois prendre garde de ne pas se substituer au tribunal qui statuera sur le fond.  La tâche première du juge consiste à s’interroger sur l’effet concret de la demande et non sur quelque effet diffus de celle‑ci sur l’administration de la faillite.  Seule une entrave réelle au travail du syndic justifie de limiter la portée du recours ou de refuser la permission d’intenter celui‑ci.  Une approche trop axée sur la flexibilité requise par le syndic dans sa gestion risquerait d’amener trop facilement à conclure à l’existence d’un conflit et serait peu respectueuse de l’art. 72  LFI  qui prévoit expressément l’application des lois provinciales compatibles avec la loi fédérale.  [124] [135] [143-153]

 

Dans la présente affaire, les conclusions sans réserve sollicitées par le syndicat sont susceptibles d’entraîner des conflits directs avec l’application de la LFI .  Ni les faits consignés au dossier ni les positions avancées par les parties ne permettent à notre Cour de procéder à l’examen auquel la Cour supérieure doit se livrer.  Le renvoi du dossier s’impose donc non seulement pour l’évaluation du dossier sous l’angle constitutionnel, mais aussi pour l’examen du sérieux de la cause d’action et du caractère suffisant de la preuve.  [162] [166]

 

Jurisprudence

 

Citée par la juge Abella

 


Arrêt appliqué : Mancini (Bankrupt) c. Falconi (1993), 61 O.A.C. 332; arrêts mentionnés : General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641; Global Securities Corp. c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), [2000] 1 R.C.S. 494, 2000 CSC 21; Bande Kitkatla c. Colombie‑Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146, 2002 CSC 31; Royal Crest Lifecare Group, Re (2003), 40 C.B.R. (4th) 146, conf. par (2004), 46 C.B.R. (4th) 126; Crystalline Investments Ltd. c. Domgroup Ltd., [2004] 1 R.C.S. 60, 2004 CSC 3; Randfield c. Randfield (1861), 3 De G. F. & J. 766, 45 E.R. 1075; In re Diehl c. Carritt (1907), 15 O.L.R. 202; Danny’s Cabaret Ltd. c. Horner, [1980] B.C.J. No. 1293 (QL); Virden Credit Union Ltd. c. Dunwoody Ltd. (1982), 45 C.B.R. (N.S.) 84; Re New Alger Mines Ltd. (1986), 59 C.B.R. (N.S.) 113; RoyNat Inc. c. Allan (1988), 61 Alta. L.R. (2d) 165; B.N.R. Holdings Ltd. c. Royal Bank (1992), 14 C.B.R. (3d) 233; Toronto Dominion Bank c. Alex L. Clark Ltd. (1993), 22 C.B.R. (3d) 6; Nicholas c. Anderson (1996), 40 C.B.R. (3d) 32; Burton c. Kideckel (1999), 13 C.B.R. (4th) 9; Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada c. Armitage (2000), 50 O.R. (3d) 688; Vanderwoude c. Scott and Pichelli Ltd. (2001), 143 O.A.C. 195; Sam Lévy & Associés Inc. c. Azco Mining Inc., [2001] 3 R.C.S. 978, 2001 CSC 92; Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l’industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644; Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701.

 

Citée par la juge Deschamps (dissidente quant au pourvoi principal)

 



Ex parte James, In re Condon (1874), L.R. 9 Ch. App. 609; Parsons c. Sovereign Bank of Canada, [1913] A.C. 160; L’Heureux (Syndic de), [1999] R.J.Q. 945; Caisse populaire de Pontbriand c. Domaine St-Martin Ltée, [1992] R.D.I. 417;  Azco Mining Inc. c. Sam Lévy & Associés Inc., [2000] R.J.Q. 392; Re Reed (1980), 34 C.B.R. (N.S.) 83; Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l’industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644; Metropolitan Parking Inc., [1980] 1 Can. L.R.B.R. 197; Lincoln Hydro Electric Commission, [1999] O.L.R.B. Rep. May/June 397; Adam c. Daniel Roy Ltée, [1983] 1 R.C.S. 683; Man of Aran (1974), 6 L.A.C. (2d) 238; Woodbridge Hotel (1976), 13 L.A.C. (2d) 96; Uncle Ben’s Industries, [1979] 2 Can. L.R.B.R. 126; Re United Brotherhood of Carpenters & Joiners of America, Local 3054 and Cassin‑Remco Ltd. (1979), 105 D.L.R. (3d) 138; Radio CJYQ-930 Ltd. (1978), 34 di 617; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Hodge c. The Queen (1883), 9 App. Cas. 117; Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance‑emploi (Can.), art. 22 et 23, [2005] 2 R.C.S. 669, 2005 CSC 56; Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161; Law Society of British Columbia c. Mangat, [2001] 3 R.C.S. 113, 2001 CSC 67; Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, [2005] 1 R.C.S. 188, 2005 CSC 13; Sous‑ministre du Revenu c. Rainville, [1980] 1 R.C.S. 35; Deloitte Haskins and Sells Ltd. c. Workers’ Compensation Board, [1985] 1 R.C.S. 785; Banque fédérale de développement c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 1061; Colombie‑Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., [1989] 2 R.C.S. 24; Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1995] 3 R.C.S. 453; D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général), [2005] 2 R.C.S. 564, 2005 CSC 52; Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), [2006] 1 R.C.S. 513, 2006 CSC 14; Sam Lévy & Associés Inc. c. Azco Mining Inc., [2001] 3 R.C.S. 978, 2001 CSC 92; Alamo Linen Rentals Ltd. c. Spicer Macgillivry Inc. (1986), 63 C.B.R. (N.S.) 38; Beatty Limited Partnership (Re) (1991), 1 O.R. (3d) 636; Chastan Ventures Ltd., (Re) (1993), 23 C.B.R. (3d) 115; Willows Golf Corp. (Bankrupt), Re (1994), 119 Sask. R. 208; McKyes, Re, 1996 CarswellQue 2575; Nicholas c. Anderson (1998), 5 C.B.R. (4th) 256; Gallo c. Beber (1998), 7 C.B.R. (4th) 170; Kearney c. Feldman, [1998] O.J. No. 5109 (QL); Burton c. Kideckel (1999), 13 C.B.R. (4th) 9; Society of Composers, Authors & Music Publishers of Canada c. Armitage (2000), 20 C.B.R. (4th) 160; Mann c. KPMG Inc. (2000), 197 Sask. R. 181, 2000 SKQB 460; Vanderwoude c. Scott & Pichelli Ltd. (2001), 25 C.B.R. (4th) 127; Caswan Environmental Services Inc., Re (2001), 24 C.B.R. (4th) 191, 2001 ABQB 240; K.D.N. Distribution & Warehousing Ltd., Re (2002), 33 C.B.R. (4th) 77; Canada 3000 Inc. (Re), [2002] O.J. No. 3266 (QL); MacLean c. Morash (2003), 219 N.S.R. (2d) 83, 2003 NSSC 219; Down, Re (2003), 46 C.B.R. (4th) 58, 2003 BCSC 1286; Jiwani c. Devgan, [2005] O.J. No. 2868 (QL); 105497 Ontario Inc. c. Schwartz Levinsky Feldman Inc. (2005), 12 C.B.R. (5th) 122; 477470 Alberta Ltd., Re (2005), 12 C.B.R. (5th) 125, 2005 ABQB 430; 588871 Ontario Ltd., Re (1995), 33 C.B.R. (3d) 28; Royal Crest Lifecare Group, Re (2003), 40 C.B.R. (4th) 146, conf. par (2004), 46 C.B.R. (4th) 126; Mancini (Bankrupt) c. Falconi (1989), 76 C.B.R. (N.S.) 90, conf. par (1993), 61 O.A.C. 332; Syndicat national de l’amiante d’Asbestos inc. c. Mine Jeffrey inc., [2003] R.J.Q. 420.

 

Lois et règlements cités

 

Loi constitutionnelle de 1867 , art. 91(21) , 92(13) .

 

Loi de 1995 sur les relations de travail, L.O. 1995, ch. 1, ann. A, art. 1(4), 69(2), (12), 96, 114, 116.

 

Loi sur la faillite et l’insolvabilité , L.R.C. 1985, ch. B‑3 , art. 14.06(1.2) , (2) , (4) , 16(4) , 30 , 31 , 37 , 41(2) , (8) , 47 , 50(9) , 50.4(5) , 67 , 69.1 , 71 , 72 , 80 , 121 , 136  à 147 , 148(3) , 171(6) , 197(3) , 215 , 251 , 252 .

 

Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies , L.R.C. 1985, ch. C‑36 , art. 11.7(4) , 11.8(1) , (3) , (5) .

 

Loi sur les liquidations et les restructurations , L.R.C. 1985, ch. W‑11 , art. 35.1 , 76(2) .

 


Doctrine citée

 

Adams, George W.  Canadian Labour Law, 2nd ed.  Aurora, Ont. : Canada Law Book, 1993 (loose‑leaf updated May 2006, release 25).

 

Auger, Jacques, and Albert Bohémier.  « The Status of the Trustee in Bankruptcy » (2003), 37 R.J.T. 57.

 

Bennett, Frank.  Bennett on Bankruptcy, 8th ed.  Toronto : CCH Canadian, 2005.

 

Bennett, Frank.  Bennett on Receiverships, 2nd ed.  Scarborough, Ont. : Carswell, 1999.

 

Carter, Donald D., Geoffrey England, Brian Etherington and Gilles Trudeau.  Labour Law in Canada, 5th ed. The Hague : Kluwer Law International, 2002. 

 

Houlden, L. W., G. B. Morawetz and Janis Sarra.  Bankruptcy and Insolvency Law of Canada, 3rd ed., vols. 1 and 3.  Toronto : Carswell, 1989 (loose‑leaf updated 2006, release 5).

 

Lederman, W. R.  « The Concurrent Operation of Federal and Provincial Laws in Canada » (1963), 9 McGill L.J. 185.

 

Roman, Andrew J., and M. Jasmine Sweatman.  « The Conflict Between Canadian Provincial Personal Property Security Acts and the Federal Bankruptcy Act : The War is Over » (1992), 71 R. du B. can. 77.

 

Tay, Derrick C. A.  « The Bankruptcy and Insolvency Act  : Striking a Balance Between the Rights of the Debtor and its Creditors », article VI in Implications of the New Bankruptcy and Insolvency Act.  Toronto : Insight Press, 1993.

 

POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Feldman, MacPherson et Cronk) (2004), 71 O.R. (3d) 54, 238 D.L.R. (4th) 677, 185 O.A.C. 138, 48 C.B.R. (4th) 256, [2004] O.J. No. 1353 (QL), qui a infirmé une décision du juge Ground (2003), 42 C.B.R. (4th) 221, [2003] O.J. No. 1603 (QL).  Pourvoi accueilli, la juge Deschamps est dissidente.  Pourvoi incident rejeté.

 

Stephen Wahl et Andrew J. Hatnay, pour l’appelant/intimé au pourvoi incident.


Orestes Pasparakis et Susan E. Rothfels, pour l’intimée/appelante au pourvoi incident.

 

Benjamin Zarnett et Frederick L. Myers, pour l’intimée KPMG Inc.

 

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, LeBel, Fish, Abella et Charron rendu par

 

1                                   La juge Abella — La faillite suspend l’indépendance financière d’une entreprise ou d’un particulier.  Le propriétaire d’une entreprise ne peut plus prendre de décisions touchant l’exploitation de celle‑ci.  Ces décisions deviennent alors la responsabilité du séquestre ou du syndic, lequel est nommé par le tribunal pour sauver tout ce qu’il peut des restes de l’entreprise au profit des créanciers.

 

2                                   Ces créanciers peuvent comprendre des employés syndiqués.  Le présent pourvoi soulève la question de savoir dans quelle mesure les droits de ces employés doivent céder le pas devant l’objectif global du processus de faillite, à savoir maximiser la capacité des créanciers de réduire leurs pertes au minimum.  Plus particulièrement, la Cour doit décider si ces employés disposent du même droit de recours que les autres intéressés pour contester la conduite du séquestre ou du syndic.

 

3                                   Cette analyse fait intervenir tant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , L.R.C. 1985, ch. B‑3 , que la loi ontarienne intitulée Loi de 1995 sur les relations de travail, L.O. 1995, ch. 1, ann. A.

 


4                                   Les faits en cause nécessitent l’examen de trois dispositions de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  : l’art. 47, qui autorise un juge à nommer un séquestre intérimaire et à lui enjoindre de prendre possession des biens du débiteur, d’exercer un contrôle sur eux et de prendre toute autre mesure indiquée; l’art. 215, qui met les séquestres et syndics à l’abri de poursuites intentées sans autorisation judiciaire préalable; le par. 72(1), qui énonce que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  n’a pas pour effet d’abroger des dispositions législatives non incompatibles avec elle se rapportant à la propriété et aux droits civils, lesquelles sont réputées s’y ajouter.

 

5                                   Les dispositions pertinentes de la Loi de 1995 sur les relations de travail sont les par. 69(2), 69(12) et 114(1) et l’art. 116 qui, ensemble, ont pour effet de conférer à la Commission des relations de travail de l’Ontario (la « Commission ») le pouvoir exclusif de rendre une décision ayant force de chose jugée sur la question de savoir si une opération constitue la vente d’une entreprise, imposant à l’acquéreur, en tant qu’« employeur successeur » l’obligation de respecter les conventions collectives liant l’entreprise qu’il a acquise.

 

6                                   Il s’agit, par l’interprétation de ces dispositions interreliées, d’établir s’il y a lieu d’entériner la position jurisprudentielle actuelle, exposée dans l’arrêt Mancini (Bankrupt) c. Falconi (1993), 61 O.A.C. 332 (C.A.), à l’égard des décisions rendues sous le régime de l’art. 215  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  en matière d’autorisation de poursuivre un séquestre ou un syndic.

 


7                                   Pendant plus d’une décennie, c’est le critère établi dans Mancini qui a présidé à la conciliation, d’une part, de la protection des personnes chargées d’administrer l’actif des faillis contre les poursuites, et, d’autre part, du droit de poursuivre ces personnes relativement à cette même administration.  Essentiellement, les trois principes résumés dans Mancini empêchent les instances frivoles, vexatoires ou manifestement non fondées d’aller de l’avant.  Contrairement à la majorité de la Cour d’appel, et pour les motifs exposés ci‑après, je ne vois aucune raison d’écarter ce critère et d’en créer un autre plus exigeant, qui s’appliquerait uniquement aux recours des employés syndiqués.

 

I.       Contexte

 

8                                   La faillie, T.C.T. Logistics Inc., faisait partie d’un groupe de sociétés liées (collectivement « TCT ») qui exploitait une entreprise de camionnage, de courtage, de fret et d’entreposage en rapport avec des marchandises de haute technologie au Canada et aux États‑Unis.  TCT exploitait plusieurs entrepôts, dont un à Toronto.

 

9                                   La Section locale 700 du Syndicat des travailleurs de l’industrie du bois et leurs alliés (le « Syndicat ») représentait 42 employés de l’entrepôt de Toronto.  Le Syndicat avait conclu en leur nom une convention collective avec TCT pour la période allant du 1er mai 2000 au 30 avril 2004.

 

10                               TCT est devenue insolvable pendant cette période.  La Société de crédit commercial GMAC — Canada (« GMAC »), principale créancière garantie de TCT, a demandé en vertu de l’art. 47  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  une ordonnance portant nomination de KPMG Inc. (« KPMG ») comme séquestre intérimaire.  Le Syndicat n’a pas été avisé de cette demande.

 


11                               L’ordonnance, qui a été rendue le 24 janvier 2002, précisait que l’emploi de tous les employés prenait fin [traduction] « immédiatement », mais donnait également à KPMG le pouvoir d’embaucher ou de congédier tout employé de TCT.

 

12                               L’ordonnance indiquait expressément que les mesures prises par KPMG en matière d’emploi ne pouvaient être considérées comme celles d’un « employeur successeur ».  Elle interdisait aussi que soit engagée contre le séquestre intérimaire quelque procédure que ce soit, sauf avec l’autorisation de la cour et, même là, uniquement à la condition que le paiement des dépens procureur‑client de KPMG dans le cadre d’une telle procédure soit garanti au moyen d’une ordonnance judiciaire.

 

13                               La mesure formant le nœud du présent litige est le par. 15 de l’ordonnance.  Il s’agit de la principale disposition protégeant KPMG contre toute désignation à titre d’« employeur successeur » et, de manière plus précise, contre les obligations en matière d’emploi découlant de lois fédérales ou provinciales.  Cette disposition prévoit ce qui suit :  

 

[traduction]  

EMPLOYÉS

 

. . .

 


15.  LA COUR ORDONNE que l’emploi des employés des débiteurs, y compris des employés absents en congé de maternité, en congé d’invalidité ou pour toute autre cause d’absence approuvée, prenne fin immédiatement avant la nomination du séquestre.  Malgré la nomination du séquestre ou l’exercice de l’un quelconque des pouvoirs et attributions prévus par la présente ordonnance ou encore l’embauche ou le recours aux services de toute personne par le séquestre en rapport avec sa nomination et l’exercice de ses pouvoirs et attributions, le séquestre n’est pas et ne saurait être réputé ou considéré employeur successeur, employeur lié, promoteur d’un régime de retraite ou payeur à l’égard d’un employé ou ancien employé des débiteurs, au sens de la Loi  sur les relations de travail (Ontario), de la Loi sur les normes d’emploi (Ontario), de la Loi sur les régimes de retraite (Ontario), du Code canadien du travail, de la Loi sur les normes de prestation de pension (Canada), de toute autre mesure législative fédérale, provinciale ou municipale ou  règles de common law régissant l’emploi ou les normes de travail (les « lois sur le travail ») ou de toute autre mesure législative ou réglementaire ou règle de droit ou d’equity, ou de quelque convention collective ou autre contrat liant l’un ou l’autre des débiteurs et l’un quelconque de leurs employés, anciens ou actuels.  Plus particulièrement, le séquestre n’assume aucune responsabilité envers les employés des débiteurs pour les salaires (au sens de la Loi sur les normes d’emploi (Ontario)), ce qui comprend l’indemnité de cessation d’emploi, l’indemnité de licenciement et l’indemnité de vacances, exception faite des salaires que le séquestre peut expressément consentir à verser.  Le séquestre n’assume aucune responsabilité relativement à quelque contribution ou  autre paiement à un fonds de retraite ou une caisse de retraite.

 

14                               Le paragraphe 14 de l’ordonnance est pertinent lui aussi :  

 

[traduction]  LA COUR ORDONNE ET DÉCLARE que la présente ordonnance n’a pas pour effet de faire du séquestre l’employeur des employés de l’un ou l’autre des débiteurs, et que la nomination du séquestre ne constitue pas la vente de l’entreprise de l’un ou l’autre des débiteurs.

 

15                               Une ordonnance subséquente a enjoint à KPMG de procéder à une cession de biens au nom de TCT et des sociétés liées.  La cession a été déposée le 25 février 2002.  KPMG a été nommée syndic de faillite.

 

16                               KPMG n’a donné aucun avis aux employés de TCT avant d’avoir obtenu l’ordonnance du 24 janvier l’autorisant à mettre fin aux emplois.  En apprenant l’existence de l’ordonnance, le Syndicat a écrit à TCT et à KPMG le 1er février 2002, leur disant qu’à son avis tous les droits de négociation collective prévus par la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario demeuraient [traduction] « en vigueur et continuaient de produire tous leurs effets ».

 


17                               KPMG a rencontré les employés le 25 février et les a informés qu’elle continuerait l’exploitation de l’entreprise afin d’évaluer les possibilités de vente du secteur de l’entreposage.  Elle a fait appel à leur loyauté et à leur appui pour lui [traduction] « permettre de maximiser la valeur de l’entreprise pour le bénéfice de tous les intéressés ».

 

18                               Par la suite, comme l’entreprise d’entreposage se dégradait rapidement, KPMG a cherché à la vendre le plus promptement possible comme entreprise en exploitation.  Le 12 avril, KPMG a accepté de vendre la plupart des éléments d’actif de l’entreprise d’entreposage à Spectrum Supply Chain Solutions Inc., société nouvellement formée.

 

19                               Le 16 avril, KPMG a informé les employés de l’entente avec Spectrum et de son intention de demander l’approbation du tribunal deux jours plus tard.  Une ordonnance approuvant la transaction a été rendue le 18 avril.  L’entente devait être signée le 19 avril 2002.

 

20                               Le droit de tenure à bail afférent à l’entrepôt de Toronto ne faisait pas partie des éléments d’actif acquis par Spectrum.  KPMG a donc décidé de liquider les opérations et de renoncer au bail.  Elle a demandé à Spectrum de gérer ce processus du 19 avril au 23 mai, date à laquelle KPMG était tenue de quitter les locaux de Toronto.  L’accord de gestion conclu en ce sens par Spectrum et KPMG accordait à Spectrum les revenus réalisés pendant cette période en contrepartie des frais faits par cette dernière pour liquider l’entreprise de Toronto.

 


21                               KPMG a mis fin à l’emploi de tous les employés syndiqués de Toronto le 9 mai.  Spectrum a subséquemment réembauché certains d’entre eux, mais sans suivre la liste d’ancienneté établie par le Syndicat.

 

22                               Le 13 mai, le Syndicat a en conséquence présenté à la Commission une requête fondée sur la Loi de 1995 sur les relations de travail provinciale afin d’obtenir :  

 

·                  une déclaration portant que Spectrum avait succédé comme employeur à TCT ou KPMG et qu’elle était donc liée par la convention collective conclue avec TCT (art. 69 de la Loi);

 

·                  une déclaration portant que TCT et Spectrum constituaient un seul employeur relativement aux relations de travail (par. 1(4) de la Loi);

 

·                  une déclaration portant que TCT ou KPMG et Spectrum s’étaient livrées à des pratiques déloyales de travail en concluant une entente discriminatoire à l’endroit des employés syndiqués et en éliminant le Syndicat de la main‑d’œuvre de Spectrum (art. 96 de la Loi);

 

·                  une ordonnance accréditant le Syndicat à titre d’agent négociateur exclusif des employés de Spectrum.

 


23                               Dans sa requête à la Commission, le Syndicat prétend fondamentalement que Spectrum a été constituée en personne morale à seule fin d’acquérir l’entreprise d’entreposage de TCT et a conclu avec KPMG un arrangement collusoire en vue d’exploiter l’entreprise de TCT à un autre endroit mais substantiellement sous la même direction.  Exception faite du nouvel emplacement, la seule différence importante dans l’exploitation de l’entreprise par TCT et par Spectrum était l’absence du Syndicat.  Le président de Spectrum était l’ancien vice‑président à l’entreposage et à la logistique de TCT, plusieurs des gestionnaires d’entrepôt de TCT étaient devenus gestionnaires pour Spectrum et l’entreprise d’entreposage installée dans de nouveaux locaux à Toronto par Spectrum desservait essentiellement les mêmes clients que TCT.

 

24                               Invoquant principalement l’art. 215  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , lequel interdit l’introduction d’actions contre un séquestre intérimaire ou un syndic de faillite sans la permission du tribunal, KPMG a obtenu de la Commission la suspension de la requête présentée par le Syndicat.

 

25                               Le Syndicat s’est donc adressé aux tribunaux pour obtenir la permission nécessaire.  Dans sa requête au juge de faillite, il a demandé la radiation des dispositions de l’ordonnance du 24 janvier qui mettaient la conduite de KPMG à l’abri de tout examen sous le régime des lois fédérales ou provinciales en matière de travail et d’emploi.  Il a de plus sollicité la radiation de la disposition relative au cautionnement pour dépens.

 

26                               Le juge de faillite a reconnu que l’exigence relative au cautionnement était indûment onéreuse et l’a supprimée ((2003), 42 C.B.R. (4th) 221).  Il a toutefois refusé de radier la disposition de l’ordonnance portant que le séquestre intérimaire ne pouvait être considéré comme « employeur successeur » pour l’application de la Loi de 1995 sur les relations de travail.

 


27                               Dans son analyse, le juge de faillite a fait certaines observations.  Comme les ordonnances désignant un séquestre intérimaire visent à accroître le plus possible la valeur de l’actif du failli, et que la réalisation de cet objectif peut parfois exiger la poursuite de l’exploitation de l’entreprise du débiteur jusqu’à sa vente, le tribunal était admis à prendre en compte les conséquences que pourrait avoir le fait d’exposer les séquestres intérimaires ou les syndics au risque qu’ils soient considérés comme des employeurs successeurs.  Il a en outre souligné que le fait d’écarter le risque pour le syndic ou le séquestre d’avoir à assumer des obligations qu’entraînerait autrement la poursuite des activités d’une entreprise offre aux employés la possibilité de travailler pour un acquéreur subséquent.

 

28                               Le juge de faillite a conclu que, vu la nature temporaire et limitée des relations d’emploi, il serait trop onéreux pour le séquestre intérimaire — et de surcroît incompatible avec ses fonctions — de lui imposer les exigences accompagnant l’attribution de la qualité d’employeur successeur.

 


29                               Toutefois, appliquant la doctrine de la « compétence accessoire » ou de l’effet « nécessairement accessoire » formulée par le juge en chef Dickson dans General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641 (puis précisée par le juge Iacobucci dans Global Securities Corp. c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), [2000] 1 R.C.S. 494, 2000 CSC 21, et par le juge LeBel dans Bande Kitkatla c. Colombie‑Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146, 2002 CSC 31), le juge de faillite a statué que les [traduction] « dispositions relatives à l’employeur successeur » de l’ordonnance n’étaient « suffisamment intégrées » au régime législatif de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  que si le séquestre intérimaire exploitait l’entreprise du failli afin de procéder à la liquidation ordonnée des éléments d’actif de celui‑ci ou de vendre l’entreprise comme entreprise en exploitation.  Il s’est appuyé sur la distinction établie par le juge Farley dans Royal Crest Lifecare Group, Re (2003), 40 C.B.R. (4th) 146 (C.S.J. Ont.), entre un séquestre (ou syndic) qui agit « en tant que liquidateur » et un séquestre (ou syndic) qui agit « en tant qu’employeur ».  Le premier a le droit d’être soustrait à l’application des dispositions relatives à l’employeur successeur.

 

30                               Le juge de faillite a donc modifié le par. 15 de l’ordonnance en précisant que la protection accordée à KPMG contre la désignation d’« employeur successeur » n’était valide que si cette dernière agissait « en tant que liquidateur » et que les mesures qu’elle prenait tendaient à sauvegarder, protéger ou liquider l’actif du débiteur.  Le passage qu’il a ajouté à la deuxième phrase du par. 15 est rédigé comme suit :  

 

[traduction]  dans le but de sauvegarder, de protéger et de réaliser l’actif des débiteurs au moyen de la vente des éléments d’actif ou de l’entreprise des débiteurs comme entreprise en exploitation ou autrement, ou dans le but de procéder à la liquidation ordonnée de l’actif des débiteurs.

 

Étant d’avis que KPMG exploitait l’entreprise précisément dans ce but et qu’elle agissait « en tant que liquidateur », le juge de faillite a statué qu’elle avait droit à la protection prévue par l’ordonnance du 24 janvier.

 


31                               Le juge de faillite a refusé au Syndicat, en vertu de l’art. 215  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , la permission d’intenter des procédures contre KPMG devant la Commission.  Comme il avait conclu que, telles qu’elles avaient été modifiées, les dispositions de l’ordonnance se rapportant à la qualité de KPMG en tant qu’employeur successeur étaient valides, il a estimé que rien ne justifiait d’autoriser un recours allant à l’encontre des modalités de l’ordonnance.

 

32                               L’appel formé par le Syndicat devant la Cour d’appel soulevait les deux questions suivantes :  

 

·                  Le juge de faillite avait‑il compétence, en vertu du par. 47(2)  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , pour se prononcer sur le statut d’employeur successeur?

 

·                  A‑t‑il exercé son pouvoir discrétionnaire de façon erronée en refusant la permission visée à l’art. 215 de la Loi?

 


33                               La Cour d’appel a conclu à l’unanimité que seule la Commission avait compétence pour se prononcer sur le statut d’employeur successeur ((2004), 71 O.R. (3d) 54).  Le paragraphe 47(2)  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  n’habilitait pas le juge de faillite à rendre un jugement déclaratoire sur ce point ou à mettre KPMG à l’abri d’une possible déclaration de la Commission portant que KPMG avait ce statut.  Rendant jugement pour la cour sur ce point, la juge Feldman a fait remarquer que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  elle‑même énonce expressément, au par. 72(1), que seules les dispositions provinciales incompatibles peuvent être abrogées.  Elle n’a rien vu au par. 47(2) qui habilite à déclarer que des mesures prises par KPMG puissent faire de celle‑ci un employeur successeur.  Par conséquent, elle n’a relevé aucun conflit entre, d’une part, le pouvoir reconnu au juge de faillite par le par. 47(2) de contrôler les actes du séquestre intérimaire et, d’autre part, les dispositions relatives au statut de successeur visées au par. 69(12) de la Loi de 1995 sur les relations de travail, ce qui éliminait la nécessité de procéder à l’analyse fondée sur la doctrine de la prépondérance.  Elle a donc conclu que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  était sans effet sur les dispositions législatives provinciales attribuant compétence exclusive à la Commission.

 

34                               Comme le juge de faillite n’avait pas compétence pour prononcer quelque décision que ce soit concernant le statut d’employeur successeur, la distinction qu’il avait établie au par. 15 de l’ordonnance du 24 janvier et qui ne protégeait le séquestre intérimaire que dans la mesure où il agissait « en tant que liquidateur » et non quand il agissait « en tant qu’employeur » devenait sans objet.

 

35                               Sur ce fondement, la Cour d’appel a modifié à son tour le par. 15 de l’ordonnance, supprimant le passage ajouté par le juge de faillite relativement aux mesures prises en vue de la réalisation de l’actif et ajoutant les deux passages suivants :  

 

[traduction] . . . tant que la Commission des relations de travail de l’Ontario n’aura pas rendu d’ordonnance, dans le cadre d’un recours permis par notre cour sous le régime de l’art. 215  de la LFI , déclarant que le séquestre intérimaire succède aux débiteurs à titre d’employeur et, sous réserve des modalités précises d’une telle ordonnance, le séquestre intérimaire n’est pas obligé d’effectuer quelque paiement que ce soit en tant qu’employeur successeur [. . .] Pour plus de clarté, les parties sont convenues que si le séquestre intérimaire doit effectuer de tels paiements à titre de successeur de l’employeur, il ne peut en aucun cas être tenu responsable à l’égard d’une somme due ou exigible avant la date de sa nomination.

 


36                               Toutefois, la Cour d’appel s’est divisée quant à l’analyse et à la solution du juge de faillite relativement à la demande présentée par le Syndicat en vue d’être autorisé à intenter des procédures devant la Commission.  Les juges ont différé d’avis sur le critère applicable pour accorder ou non, en vertu de l’art. 215  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , la permission de présenter des demandes concernant le statut d’employeur successeur.  La juge Feldman, à l’analyse de laquelle a souscrit la juge Cronk dans des motifs concourants, a estimé que le critère traditionnel formulé dans Mancini n’était pas assez exigeant lorsqu’il s’agissait d’instances relatives au statut d’employeur successeur.  À son avis, il fallait un critère tenant davantage compte des conséquences de telles demandes en justice sur le processus de faillite.

 

37                               Le nouveau critère proposé par la juge Feldman ajoutait des facteurs comme la complexité du mandat du séquestre, l’existence d’acquéreurs acceptables, la durée possible de l’exploitation de l’entreprise par le séquestre en attendant une vente, tout arrangement pris par le séquestre avec le Syndicat pour prendre en compte la situation des employés, la probabilité qu’un acquéreur soit déclaré employeur successeur lié par les obligations découlant de la convention collective et la possibilité que l’audience de la Commission ait lieu en temps utile vu la nature provisoire de l’administration du séquestre et la vente de l’entreprise.

 

38                               La juge Feldman a conclu que le juge de faillite avait l’obligation, non pas de trancher la question comme telle, mais plutôt de déterminer si le statut d’employeur successeur avait été établi prima facie et, eu égard aux facteurs susmentionnés, de décider s’il y avait lieu d’accorder la permission demandée.  Elle a donc annulé le refus du juge d’accorder la permission et lui a renvoyé l’affaire pour qu’il la réexamine en fonction des facteurs qu’elle avait énumérés.

 


39                               Dans sa dissidence, le juge MacPherson a indiqué qu’il ne voyait aucune raison de resserrer le critère lorsque l’autorisation demandée visait des procédures portant sur le statut d’employeur successeur.  Les demandes d’autorisation fondées sur l’art. 215 présentées par d’autres créanciers sont généralement tranchées par application du critère de l’arrêt Mancini, dont la Cour d’appel de l’Ontario a invariablement reconnu l’applicabilité, la décision la plus récente à cet égard étant  Royal Crest Lifecare Group Inc., Re (2004), 46 C.B.R. (4th) 126.   À son avis, en formulant — uniquement à l’égard des autorisations de recours portant sur le statut d’employeur successeur — un critère qu’il a qualifié de [traduction] « plus vague et plus poussé » (par. 111), les juges majoritaires invitaient le tribunal de faillite à faire indirectement, en vertu de l’art. 215, la chose même que, suivant ce qu’ils avaient par ailleurs décidé, et ce, à juste titre selon lui, le par. 47(2) interdisait de faire, c’est‑à‑dire mettre le séquestre à l’abri de décisions portant sur le statut d’employeur successeur.

 

40                               Le juge MacPherson a appliqué le critère de l’arrêt Mancini et, concluant que le juge de faillite avait à tort refusé d’autoriser le Syndicat à poursuivre KPMG sur le fondement du statut d’employeur successeur et de pratiques déloyales de travail, il a indiqué qu’il aurait donné au Syndicat la permission de présenter sa requête à la Commission.

 

41                               Le Syndicat se pourvoit contre l’ordonnance de la Cour d’appel qui lui a refusé l’autorisation de saisir la Commission d’un recours portant sur le statut d’employeur successeur et il conteste la conclusion des juges majoritaires selon laquelle le critère de l’arrêt Mancini n’était pas assez rigoureux lorsqu’il s’agissait de décider d’accorder ou non l’autorisation d’engager des instances devant la Commission.  Il a également demandé la radiation du par. 15 modifié par la Cour d’appel, dans la mesure où celui‑ci comporte encore des déclarations relatives au statut d’employeur successeur.


 

42                               GMAC a formé un appel incident relativement à la modification du par. 15 par la Cour d’appel, contestant la conclusion unanime de celle‑ci selon laquelle les juges de faillite n’ont pas compétence pour décider si un séquestre intérimaire est un employeur successeur pour l’application de la Loi de 1995 sur les relations de travail.

 

II.      Analyse

 

A.     Le juge de faillite peut‑il trancher des questions touchant le statut d’employeur successeur?

 

43                               La première question qu’a tranchée la Cour d’appel et qui est soulevée dans l’appel incident concerne le pouvoir du tribunal de faillite de décider si un séquestre intérimaire est un employeur successeur au sens de la Loi de 1995 sur les relations de travail.  La Cour d’appel a conclu à l’unanimité que le tribunal de faillite ne possède pas ce pouvoir.  Je suis du même avis.

 

44                               Le pouvoir du tribunal de faillite de contrôler l’action du séquestre intérimaire est prévu au par. 47(2)  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , qui est rédigé ainsi :  

 

47. . . .

 

(2) Le tribunal peut enjoindre au séquestre intérimaire :  

 

ade prendre possession de tout ou partie des biens du débiteur mentionnés dans la nomination;

 

b) d’exercer sur ces biens ainsi que sur les affaires du débiteur le degré de contrôle que le tribunal estime indiqué;

 

c)  de prendre toute autre mesure qu’il estime indiquée.


 

45                               Bien qu’ils soient assez souples pour permettre une vaste gamme de mesures en rapport avec la prise en charge, la gestion et l’aliénation éventuelle des biens du débiteur, ces paramètres législatifs n’ont pas une portée illimitée.  Le paragraphe 47(2) accorde au tribunal de faillite le pouvoir d’enjoindre au séquestre intérimaire de faire certaines choses.  Cette disposition n’a pas pour effet d’habiliter — ni explicitement ni implicitement — le tribunal de faillite à rendre des jugements déclaratoires unilatéraux sur les droits de tiers en fonction d’autres régimes législatifs.

 

46                               Enfin, s’il subsiste encore quelque doute que le par. 47(2) pourrait avoir eu pour but d’attribuer des pouvoirs aussi larges, ce doute est dissipé lorsqu’on lit cette disposition en corrélation avec le par. 72(1)  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , lequel prévoit ce qui suit :  

 

72.  (1)  La présente loi n’a pas pour effet d’abroger ou de remplacer les dispositions de droit substantif d’une autre loi ou règle de droit concernant la propriété et les droits civils, non incompatibles avec la présente loi, et le syndic est autorisé à se prévaloir de tous les droits et recours prévus par cette autre loi ou règle de droit, qui sont supplémentaires et additionnels aux droits et recours prévus par la présente loi.

 


47                               Suivant cette disposition, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  n’a pas pour effet d’éteindre des droits garantis par la loi, sauf si ces droits sont incompatibles avec la Loi sur la faillite et l’insolvabilité .  En l’espèce, il s’agit du droit de demander, sur le fondement de l’art. 69 de la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario, un jugement déclarant qu’un employeur subséquent est lié par les obligations en matière d’emploi prévues par les conventions collectives signées par son prédécesseur.  Je souscris à la conclusion suivante de la juge Feldman :  

 

[traduction] . . . la première moitié de [l’art. 72] énonce clairement que la LFI  n’a pas pour effet d’abroger ou de remplacer une règle de droit provinciale sauf si celle‑ci est incompatible avec la LFI .  Il n’y a pas d’incompatibilité entre le libellé du par. 47(2) de la LFI et les dispositions de la LRT concernant le successeur de l’employeur, et, par conséquent, ce paragraphe n’a pas pour effet d’abroger ou de remplacer cette dernière Loi. [par. 30]

 

48                               Le paragraphe 114(1) de la Loi de 1995 sur les relations de travail dispose ainsi :  

 

114.  (1)  La Commission a compétence exclusive pour exercer les pouvoirs que lui confère la présente loi ou qui lui sont conférés en vertu de celle‑ci et trancher toutes les questions de fait ou de droit soulevées à l’occasion d’une affaire qui lui est soumise.  Ses décisions ont force de chose jugée.  Toutefois, la Commission peut à l’occasion, si elle estime que la mesure est opportune, réviser, modifier ou annuler ses propres décisions, ordonnances, directives ou déclarations.

 

49                               Cela signifie que la Commission a compétence exclusive pour se prononcer sur le statut d’employeur successeur.  Il est difficile de voir en quoi le droit de demander une déclaration sur cette question serait incompatible avec le pouvoir que le par. 47(2) accorde au tribunal de faillite de diriger et superviser l’administration efficace de l’actif du débiteur par le séquestre intérimaire.

 


50                               Il convient de faire preuve, envers les syndics et les séquestres ainsi qu’envers les tribunaux spécialisés qui les supervisent, du degré de déférence correspondant à leur expertise incontestée en matière de gestion efficace des faillites.  Il va de soi que la souplesse est indispensable pour solutionner les problèmes que pose une faillite donnée.  Toutefois, la protection de cette souplesse au moyen de dispositions standard immunisant ces intervenants contre l’engagement de procédures les visant dépasse le pouvoir thérapeutique de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité .

 

51                               Si l’article 47 pouvait recevoir une interprétation assez large pour permettre de porter atteinte à tous les droits qui, bien que protégés par la loi, gênent le processus de faillite, il pourrait être invoqué pour éteindre tous les droits en matière d’emploi si le tribunal de faillite estimait qu’il s’agit d’une mesure « indiquée » aux termes de l’al. 47(2)c).  Pour que l’art. 47 confère un pouvoir aussi étendu, en dépit de l’existence de l’art. 72 protégeant les droits civils d’origine provinciale, il faudrait un texte explicite.  Comme l’a indiqué le juge Major dans l’arrêt Crystalline Investments Ltd. c. Domgroup Ltd., [2004] 1 R.C.S. 60, 2004 CSC 3 :  

 

. . . il faut une disposition législative explicite pour priver une personne de droits dont elle jouit par ailleurs en droit. [. . .]  [T]ant que la doctrine de la primauté des lois fédérales n’entre pas en jeu, on ne saurait utiliser des procédures en matière de faillite et d’insolvabilité régies par le droit fédéral pour écarter des droits de propriété et autres droits civils régis par le droit provincial.  [par. 43]

 

Le texte du par. 47(2) est loin de satisfaire à cette condition.  Le tribunal de faillite peut indubitablement donner au séquestre des instructions en matière d’emploi, mais, compte tenu du libellé actuel du par. 47(2)  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , le tribunal n’est pas habilité à abroger de son propre chef le droit de présenter une demande à une commission des relations de travail.

 


52                               Par conséquent, la Cour d’appel a eu raison de conclure que le juge de faillite n’avait pas compétence pour statuer sur la responsabilité du séquestre en tant qu’employeur successeur ni pour le mettre à l’abri de cette responsabilité.  Dans la mesure où quelque élément de l’ordonnance, y compris les modifications apportées par la Cour d’appel, a cet effet, il y a lieu de supprimer cet élément.

 

B.      L’application de l’art. 215 requiert‑elle un critère particulier pour les demandes d’autorisation touchant au statut d’employeur successeur?

 

53                               Vu la conclusion que le juge de faillite n’a compétence ni pour décider si le séquestre a le statut d’employeur successeur ni pour le protéger contre une décision de cette nature de la Commission, il reste à se demander s’il faut infirmer la décision du juge de faillite de refuser au Syndicat la permission de s’adresser à la Commission.

 

54                               La question en litige concerne la portée du pouvoir discrétionnaire du tribunal de faillite lorsqu’un syndicat requiert la permission de présenter contre le séquestre ou le syndic une demande relative à la qualité d’employeur successeur.  La disposition pertinente de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  est alors l’art. 215, qui énonce ce qui suit :  

 

215.  Sauf avec la permission du tribunal, aucune action n’est recevable contre le surintendant, un séquestre officiel, un séquestre intérimaire ou un syndic relativement à tout rapport fait ou toute mesure prise conformément à la présente loi.

 

55                               Depuis près de 150 ans, la jurisprudence et la doctrine considèrent unanimement que le critère applicable en matière d’autorisation de poursuivre un séquestre ou un syndic n’est pas très exigeant et qu’il vise à protéger ceux‑ci seulement  contre les actions frivoles, vexatoires ou dépourvues de fondement factuel.  Comme l’ont affirmé L. W. Houlden, G. B. Morawetz et J. Sarra dans Bankruptcy and Insolvency Law of Canada (3e éd. (feuilles mobiles)), vol. 3, p. 7‑118.2 :  


 

[traduction]  Le tribunal ne refusera pas la permission demandée à moins que l’action soit sans fondement ou qu’elle soit frivole ou vexatoire . . .

 

56                               Essentiellement, sauf si l’action était sans fondement, celle‑ci a généralement été autorisée en vertu de l’art. 215 et des dispositions qui l’ont précédé : voir Randfield c. Randfield (1861), 3 De G. F. & J. 766, 45 E.R. 1075, p. 1077, le lord juge Turner ([traduction] « . . . il n’appartient selon moi, pas au tribunal de refuser la liberté de faire valoir un droit à l’encontre d’un séquestre, à moins que l’action n’ait manifestement aucun fondement »); In re Diehl c. Carritt (1907), 15 O.L.R. 202 (H.C.J.), p. 204; Danny’s Cabaret Ltd. c. Horner, [1980] B.C.J. No. 1293 (QL) (C.A.); Virden Credit Union Ltd. c. Dunwoody Ltd. (1982), 45 C.B.R. (N.S.) 84 (B.R. Man.), p. 90; Re New Alger Mines Ltd. (1986), 59 C.B.R. (N.S.) 113 (C.A. Ont.); RoyNat Inc. c. Allan (1988), 61 Alta. L.R. (2d) 165 (B.R.); B.N.R. Holdings Ltd. c. Royal Bank (1992), 14 C.B.R. (3d) 233 (C.S.C.‑B.); Toronto Dominion Bank c. Alex L. Clark Ltd. (1993), 22 C.B.R. (3d) 6 (C. Ont. (Div. gén.)), par. 7; Nicholas c. Anderson (1996), 40 C.B.R. (3d) 32 (C. Ont. (Div. gén.)), par. 13‑15; Burton c. Kideckel (1999), 13 C.B.R. (4th) 9 (C.S.J. Ont.), par. 13; Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada c. Armitage (2000), 50 O.R. (3d) 688 (C.A.), par. 2; Vanderwoude c. Scott and Pichelli Ltd. (2001), 143 O.A.C. 195, par. 22; Bennett on Bankruptcy (8e éd. 2005), p. 416‑417; Bennett on Receiverships (2e éd. 1999), p. 223, et Houlden, Morawetz et Sarra, p. 7‑118.2.

 

57                               Dans Mancini, l’arrêt‑clé sur la question, la Cour d’appel a résumé ainsi les principes reconnus :  


 

[traduction]  

 

1.  La permission de poursuivre un syndic ne devrait pas être accordée si l’action est frivole ou vexatoire.  Des actions manifestement non fondées ne devraient pas être autorisées.

 

2.  Il ne faudrait pas permettre la poursuite d’une instance si la preuve soumise à l’appui de la requête, y compris la version préliminaire de la déclaration envisagée, ne révèle pas de cause d’action opposable au syndic.  La preuve, qui est habituellement présentée par affidavit, doit faire état des faits allégués à l’appui des conclusions recherchées.

 

3.  Le tribunal n’a pas à se prononcer sur le bien‑fondé de l’action avant d’accorder la permission demandée.  [Références omises; par. 7.]

 

58                               Dans Mancini, la Cour d’appel a expliqué que le syndic a le mandat de protéger à la fois les créanciers et l’intérêt du public dans l’administration ordonnée de l’actif du failli.  Compte tenu de ce mandat, l’obligation d’obtenir une permission a donc pour but d’éviter au syndic ou au séquestre d’avoir [traduction] « à se défendre contre des actions qui sont frivoles ou vexatoires, ou qui ne révèlent aucune cause d’action » (par. 17), de façon que le processus de faillite ne soit pas paralysé.  En revanche, cette obligation garantit que les actions légitimes peuvent être intentées.

 

59                               Pour l’application de l’art. 215, il faut déterminer si la preuve étaye la cause d’action invoquée.  Comme l’a fait remarquer le juge Blair dans Nicholas :  

 

[traduction]  La question [. . .] consiste à déterminer si, dans les circonstances en cause, une preuve par affidavit suffisante étaye les faits allégués au soutien de l’action envisagée, afin de s’assurer du bien‑fondé factuel de l’action, vu la règle qui requiert l’obtention d’une autorisation dans le but de protéger le syndic contre les demandes dépourvues de fondement factuel.  [par. 16]

 

Autrement dit, il doit exister une preuve prima facie.


60                               Bien que le critère établi dans Mancini exige que le tribunal se demande si la poursuite envisagée révèle une cause d’action, cet examen n’a pas pour objet de trancher la question au fond.  Cette observation est particulièrement importante lorsqu’un autre tribunal a compétence exclusive pour statuer sur les questions juridiques soulevées par l’instance.  Comme l’a signalé la Cour d’appel dans Mancini, par. 16, [traduction] « [s]ur une échelle qui va de l’absence totale de preuve à une preuve qui est concluante, la preuve nécessaire pour fonder une ordonnance en vertu de [la disposition antérieure à l’art. 215] doit être suffisante pour établir l’existence d’un fondement factuel à l’égard de l’action envisagée, et pour établir que cette action révèle une cause d’action. »  Voir aussi l’arrêt Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada, par. 2.

 

61                               Ce critère établit un juste équilibre entre, d’une part, la protection des syndics et des séquestres contre les dérangements et délais inhérents aux poursuites frivoles ou intentées pour des raisons purement tactiques, et, d’autre part, la protection — dans la plus large mesure possible — des droits des créanciers et autres intéressés contre les décisions et les actes des syndics et des séquestres.  En ce sens, l’arrêt Mancini est compatible avec l’exigence énoncée dans Crystalline selon laquelle il faut « une disposition législative explicite » (par. 43) pour que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  puisse être interprétée de manière à priver une personne de droits conférés par une province. 

 


62                               L’analyse suggérée par les juges majoritaires de la Cour d’appel obligerait les tribunaux à examiner l’effet de l’instance proposée au regard de diverses considérations, notamment la possibilité qu’elle entrave la maximisation de la valeur de l’actif au profit des divers intéressés.  En toute déférence, l’application de ce critère plus exigeant aurait nécessairement pour conséquence d’empêcher l’introduction d’actions qui méritent d’être instruites, au motif qu’une telle décision serait plus avantageuse pour certains intéressés.  Permettre aux tribunaux de faillite d’utiliser l’obligation d’obtenir une permission prévue à l’art. 215 pour choisir entre les réclamations des personnes intéressées en se fondant sur une norme qui, comme l’a souligné le juge MacPherson de la Cour d’appel au par. 111, est à la fois [traduction] « plus vague et plus poussée » que celle énoncée dans Mancini constituerait une importante dérogation aux principes formulés dans l’arrêt Crystalline.  Il suffit, pour assurer l’intégrité et l’efficacité du processus de faillite, que l’on demande aux tribunaux de faillite de ne pas autoriser les poursuites frivoles ou intentées pour des raisons purement tactiques.

 

63                               Le recours à une démarche plus interventionniste repose sur la théorie du « contrôle unique » des litiges en matière de faillite.  Dans Sam Lévy & Associés Inc. c. Azco Mining Inc., [2001] 3 R.C.S. 978, 2001 CSC 92, où il était question du caractère exécutoire, partout au Canada, des ordonnances du tribunal de faillite, le juge Binnie a signalé que le recours à un tribunal unique qui contrôle tous les aspects d’une faillite, y compris les litiges, a pour objectif « la gestion expéditive, efficace et économique des retombées d’un effondrement financier » (par. 27).  La décision repose sur les avantages qui découlent du fait d’éviter l’instruction de multiples procédures dans plusieurs provinces.  Or, comme l’a fait remarquer le juge Binnie, « [l]e contrôle unique n’est pas nécessairement incompatible avec le renvoi de litiges particuliers à d’autres ressorts » (par. 76).

 


64                               « [L]e renvoi de litiges particuliers à d’autres ressorts » est tout ce qui est accompli lorsque la permission visée à l’art. 215 est accordée.  De plus, je souligne qu’en l’espèce le « renvoi » revient uniquement à autoriser le tribunal à trancher, en bout de ligne, une affaire sur laquelle il a par ailleurs compétence exclusive.  C’est une chose d’éviter que les régimes d’exécution provinciaux permettent de déroger aux ordonnances légitimes rendues en matière de faillite, comme il a été décidé dans Sam Lévy.  Par contre, c’en est une autre d’utiliser le processus de faillite pour faire obstacle à la revendication légitime de droits reconnus par une province, y compris des droits en matière de travail et d’emploi qui ne sont pas du ressort du tribunal de faillite.  Bref, le critère énoncé dans Mancini n’est pas incompatible avec celui du « contrôle unique ».

 

65                               En définitive, le critère approprié pour l’application de l’art. 215  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  demeure une question d’interprétation législative, et la Loi elle‑même fournit un contexte important pour résoudre cette question.  Je trouve révélateur que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  prévoie, à l’art. 37, que lorsqu’un acte ou une décision d’un syndic ou d’un séquestre relativement à l’administration de l’actif du failli lèse ce dernier, un créancier ou toute autre personne, l’intéressé peut s’adresser au tribunal de faillite.  Ce tribunal peut alors infirmer, modifier ou confirmer l’acte ou la décision qui fait l’objet de la plainte et rendre l’ordonnance qu’il juge équitable.  L’article 37 n’exige aucune permission.

 


66                               Les articles 37 et 215 ont été considérés comme deux façons différentes de contester les décisions d’un syndic ou d’un séquestre : voir Virden Credit Union, p. 89‑90.  La différence réside bien sûr dans le fait qu’il est possible, en vertu de l’art. 215, de demander la permission d’engager un recours devant un tribunal autre que le tribunal de faillite, et que certaines actions échapperont à la compétence accordée au tribunal de faillite par l’art. 37.  Néanmoins, de nombreux recours pouvant être intentés sur autorisation en vertu de l’art. 215 peuvent également être soumis au tribunal de faillite en application de l’art. 37.  Toutefois, l’intérêt de cette dernière disposition est qu’elle démontre que le législateur n’a pas jugé indiqué de mettre à l’abri des poursuites les auxiliaires de justice nommés par les tribunaux.

 

67                               En revanche, lorsque le législateur a voulu protéger les syndics ou les séquestres contre certains recours, il l’a fait explicitement, par exemple : par. 14.06(1.2) (immunité à l’égard de certaines réclamations conférées au syndic qui continue l’exploitation de l’entreprise du débiteur ou lui succède comme employeur); par. 14.06(4) (protection du syndic dans certaines circonstances contre les ordonnances en matière environnementale); par. 41(8) (exonération de responsabilité par suite de la libération); par. 50(9) et 50.4(5) (protection du syndic contre la responsabilité pour préjudice subi par un tiers qui s’est fié à l’état de l’évolution de l’encaisse, lorsque l’état a été examiné avec soin et bonne foi); art. 80 (exonération de responsabilité du syndic à l’égard de pertes découlant de la saisie de biens); par. 148(3) (aucun droit d’action en recouvrement de dividende); par. 171(6) (protection du syndic contre la responsabilité découlant d’une déclaration raisonnable faite de bonne foi sur la cause probable de la faillite); par. 197(3) (exclusion de responsabilité personnelle en matière de frais de justice); art. 251 (protection du séquestre contre les actions fondées sur un préjudice découlant de l’envoi de l’avis de sa nomination); art. 252 (moyen de défense accordé au séquestre qui aurait contrevenu à la Loi s’il avait des motifs raisonnables de croire que le débiteur n’était pas insolvable).

 

68                               En l’absence de dispositions expresses de ce genre, le tribunal de faillite ne devrait pas convertir la procédure d’autorisation établie à l’art. 215 en mesure de protection générale des auxiliaires de justice désignés par les tribunaux.


 

69                               Il faut alors se demander pour quelle raison les principes établis de longue date qui régissent l’obtention de la permission devraient différer lorsque le litige a trait aux obligations du séquestre envers les employés syndiqués du débiteur.

 

70                               Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont estimé qu’il fallait appliquer un critère plus exigeant et plus poussé afin d’accroître la capacité du séquestre de décider quand et comment il entend vendre l’actif du débiteur, sans craindre qu’on lui reproche plus tard d’avoir contrevenu aux règles en matière de relations de travail.  Le critère de l’arrêt Mancini ne restreint nullement les mesures de protection que le législateur a jugé nécessaires d’établir pour préserver la capacité des syndics et des séquestres de s’acquitter de leurs fonctions avec souplesse et efficacité.  Si l’on prétend qu’il y a lieu de protéger le séquestre contre les risques de poursuites par le Syndicat en raison des coûts, délais et inconvénients inévitables qu’elles occasionnent, il faudrait alors refuser à tout créancier la permission d’intenter des poursuites.  Toute action en justice engendre des coûts, des délais et des inconvénients.  Le législateur a tout de même décidé, en édictant l’art. 215, que le tribunal de faillite devait posséder le pouvoir discrétionnaire de permettre l’engagement de poursuites contre des auxiliaires de justice nommés par les tribunaux.  En accordant ce pouvoir discrétionnaire, il n’a pas fait de distinction entre les syndicats et d’autres créanciers, et il n’y a pas lieu de présumer qu’une telle distinction existe.

 


71                               Resserrer le critère d’application de l’art. 215 lorsque le litige porte sur une question relevant d’une commission des relations de travail équivaut à reconnaître à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , par interprétation, une sensibilité moins grande envers les droits des employés syndiqués qu’envers ceux des autres créanciers.  Je ne vois rien dans la Loi qui suggère une telle distinction.

 

72                               Le fait d’appliquer l’art. 215 d’une manière hiérarchique, qui rendrait considérablement plus difficile l’obtention de la permission pour les demandes touchant le statut d’employeur successeur, aurait pour effet d’accorder indûment aux syndics et aux séquestres une protection accrue contre les poursuites fondées sur de possibles fautes reliées à la violation des règles touchant les relations de travail et offrirait aux syndics qui contreviennent aux lois en la matière une protection supplémentaire exceptionnelle.  Une telle conception irait de plus à l’encontre de la protection des droits reconnus par notre Cour dans l’arrêt Crystalline.  Comme l’a signalé le juge Borins de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Royal Crest :

 

[traduction]  Bien que le rôle important que jouent les syndics mérite d’être protégé, le droit des syndicats de défendre les intérêts légitimes de leurs membres doit lui aussi être respecté.  [par. 70]

 


73                               La Cour d’appel a à l’unanimité — et à juste titre — conclu que le tribunal de faillite n’est pas habilité à rendre de jugement déclaratoire sur la responsabilité des auxiliaires de la justice désignés par les tribunaux à l’égard de contraventions aux lois applicables en matière de relations de travail, ni à protéger ceux‑ci contre une telle responsabilité.  Pourtant, le critère proposé par la majorité à l’égard des demandes de permission fondées sur l’art. 215 aurait non seulement pour effet de rompre l’équilibre établi par la Loi entre le rôle de gardien du tribunal de faillite et la protection de la propriété et des droits civils, mais aussi de faire naître le risque réel que l’art. 215 permette de facto au tribunal de faillite de rendre de tels jugements déclaratoires et, contrairement au principe formulé dans l’arrêt Mancini, de trancher concrètement la question au fond.  C’est ce qui s’est produit en première instance dans la présente affaire.  Comme l’a indiqué le juge MacPherson dans ses motifs dissidents :  

 

[traduction]  Bref, et cela dit en toute déférence, par l’art. 215 (qui est une disposition d’autorisation, et non une disposition conférant quelque pouvoir au séquestre), ma collègue permet indirectement à ce dernier de faire exactement ce qu’elle lui refuse, à juste titre d’ailleurs, de faire en vertu du par. 47(2).  [par. 115]

 

74                               L’article 215 n’a pas pour objet de protéger le syndic contre des actions en justice légitimes, mais bien contre les poursuites qui ne reposent sur aucun fondement factuel.  Une simple lecture du texte de loi montre que les art. 37 et 215 offrent à tous les principaux intéressés la même possibilité de faire valoir un grief contre le syndic.  En l’absence de toute intention contraire du législateur dans la loi, il faut maintenir cette symétrie, quel que soit l’intéressé.  Rien ne justifie que l’on y déroge lorsque la réparation recherchée est du ressort d’une commission des relations de travail plutôt que d’un juge de faillite.

 

75                               Cela nous amène à l’action envisagée en l’espèce, à savoir la présentation d’une requête à la Commission touchant le statut d’employeur successeur.  Diverses lois provinciales disposent que l’employeur successeur est lié par les conventions collectives et tenu de reconnaître le syndicat comme représentant exclusif des employés.  Ces lois déclarent que la convention collective continue de s’appliquer si l’entreprise a été vendue ou autrement transférée au successeur, jusqu’à déclaration contraire du tribunal compétent.

 


76                               Dans Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l’industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644, la juge Wilson a expliqué, dans ses motifs dissidents, que les dispositions des lois sur le travail relatives au « statut d’employeur successeur » visaient à « empêcher la perte de l[a] protection syndicale par les employés d’une société dont l’entreprise est vendue ou transférée » (p. 652).  Un employeur successeur est défini au par. 69(2) de la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario comme étant une personne qui acquiert une entreprise par suite de sa vente ou de son transfert par un employeur et qui est liée par les conventions collectives existantes jusqu’à déclaration contraire de la Commission.

 

77                               S’exprimant au nom de la majorité de la Cour dans l’arrêt Lester, la juge McLachlin a indiqué que, pour conclure qu’une personne est employeur successeur, une commission des relations de travail doit d’abord déterminer si une partie identifiable de l’entreprise a été aliénée, ce qui exige un examen de « la nature de l’entreprise du prédécesseur ainsi que [de] la nature de l’entreprise du successeur » (p. 676) afin d’établir si l’entreprise du prédécesseur est exploitée par le successeur.  Les facteurs pertinents à l’égard de cet examen sont notamment la nature des travaux visés par la convention collective, la sorte d’actif qui a été transféré, la question de savoir si des employés ont été transférés et s’il y a continuité dans la direction ou les travaux accomplis.  Dans chaque cas, comme l’a signalé la juge McLachlin, la commission doit déterminer « si, dans le contexte commercial où s’est produit l’opération, on peut raisonnablement affirmer, compte tenu des facteurs en jeu, que l’entreprise ou une partie de l’entreprise a été transférée du prédécesseur au successeur » (p. 677).

 


78                               KPMG et GMAC ont invoqué un certain nombre d’arguments portant expressément sur les obstacles à la requête du Syndicat relative à la qualité de successeur, notamment un argument constitutionnel fondé sur la doctrine de la prépondérance et concernant l’effet, sur l’ordre de priorité prévu dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , d’une déclaration reconnaissant la qualité d’employeur successeur.  Il s’agit là de questions que la Commission doit examiner.  Elles ne sont pas pertinentes à l’égard de la décision d’accorder ou non la permission d’intenter une action.  Je comprends que les juges majoritaires de la Cour d’appel aient craint que la possibilité d’une instance devant la Commission influe sur la décision du séquestre quant à la meilleure façon de maximiser la valeur de l’actif au profit des intéressés.  Une fois encore cependant, cette considération n’intervient pas dans la décision d’accorder ou non la permission demandée, mais plutôt dans l’examen au fond de la requête relative à la qualité d’employeur successeur.  Ces questions relèvent de la compétence exclusive de la Commission.  Le législateur provincial lui a conféré la responsabilité exclusive de trancher ces questions, parce qu’il l’a jugée apte à statuer sur ces questions dans l’intérêt public, eu égard non seulement aux attentes des employés mais également à celles des employeurs.

 

79                               En l’espèce, le Syndicat a voulu faire valoir devant la Commission que le séquestre intérimaire était devenu l’employeur, après sa nomination, lorsqu’il a décidé d’avoir recours aux employés pour continuer à exploiter l’entrepôt.  En sa qualité d’employeur, il serait tenu de respecter la convention collective et les dispositions législatives applicables en matière d’emploi et de travail.  Selon le Syndicat, il s’est soustrait à cette obligation, notamment en manipulant l’acte de vente de telle sorte que le Syndicat soit exclu de la main‑d’œuvre de l’acquéreur.

 


80                               Il est difficile de prévoir la décision de la Commission sur une question donnée touchant la qualité d’employeur successeur, car chaque situation dépendra des faits qui lui sont propres.  Toutefois, comme en l’espèce il est impossible d’affirmer que la demande du Syndicat est frivole ou n’est appuyée d’aucune preuve, celui‑ci doit être autorisé à la présenter.

 

81                               Un dernier point : aucun avis de la requête sollicitant la nomination d’un séquestre intérimaire n’a été donné au Syndicat, l’agent négociateur exclusif des employés.  Je suis consciente que cette façon de faire n’est pas rare : les séquestres présentent couramment aux juges de faillite une demande d’ordonnance ex parte accompagnée d’un projet d’ordonnance sur lequel l’entreprise débitrice et les principaux créanciers se sont entendus.  Comme ce fut le cas en l’espèce, les syndicats ne reçoivent aucun avis, perdant ainsi dès le départ la possibilité de participer à l’établissement du plan de gestion de l’actif du débiteur.  Bien que l’avis ne garantisse ni la coopération ni une solution, il est néanmoins possible de soutenir qu’un syndicat exclu dès le départ du processus cherchera tôt ou tard, comme tout autre créancier important, à protéger ses intérêts.  Comme l’a fait remarquer le juge Iacobucci dans l’arrêt Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701 :  

 

Le moment où il y a rupture de la relation entre l’employeur et l’employé est celui où l’employé est le plus vulnérable et a donc le plus besoin de protection.  Pour reconnaître ce besoin, le droit devrait encourager les comportements qui réduisent au minimum le préjudice et le bouleversement (tant économique que personnel) qui résultent . . .  [par. 95]

 


82                               Même si la tenue de négociations préalables avec un syndicat sur des décisions importantes n’empêche pas nécessairement la présentation subséquente d’un recours fondé sur la responsabilité du successeur de l’employeur, de telles négociations peuvent quand même offrir plus de chance de parvenir à une solution que si le syndicat est maintenu à l’écart.  Idéalement, des discussions préalables au sujet des effets de la poursuite des activités de l’entreprise sur les employés entraîneront un compromis plutôt qu’un litige.

 

83                               En l’espèce, une telle mesure aurait eu pour effet d’associer d’entrée de jeu au déroulement et à la supervision de l’administration ordonnée, équitable et efficace du processus de faillite une partie nettement concernée par ce processus.  Bien sûr, cela n’aurait pas nécessairement permis d’éviter une multiplicité de procédures. Cela n’aurait pas non plus assuré l’approbation par le Syndicat de la méthode proposée pour préserver et réaliser l’actif.  Mais, à tout le moins, une telle démarche aurait fait en sorte que les préoccupations légitimes du Syndicat soient prises en compte suffisamment tôt dans le processus, évitant possiblement de ce fait des recours ultérieurs, comme ceux intentés dans la présente affaire.

 

III.    Dispositif

 

84                               Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens devant toutes les cours, d’accorder au syndicat la permission de soumettre sa requête à la Commission et d’annuler les éléments de l’ordonnance concernant la responsabilité du séquestre en tant que successeur de l’employeur ou lui accordant l’immunité contre cette responsabilité.  Je suis d’avis de rejeter le pourvoi incident avec dépens.

 

Les motifs suivants ont été rendus par

 


85                               La juge Deschamps (dissidente quant au pourvoi principal) — Quels facteurs guident le juge de faillite saisi d’une requête sollicitant la permission de poursuivre un syndic? Telle est la principale question en litige.  Cette question amène cependant la Cour à se pencher sur les limites de l’application du droit provincial dans le contexte d’une faillite. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le juge appelé à statuer sur une requête fondée sur l’art. 215  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , L.R.C. 1985, ch. B-3 LFI  »), doit assurer le respect des compétences législatives fédérales et provinciales, de façon à éviter tout conflit constitutionnel. Je confirmerais donc le jugement de la Cour d’appel ((2004), 71 O.R. (3d) 54) qui renvoie le dossier à la Cour supérieure de justice pour réexamen à la lumière des principes exposés ci-dessous.

 

86                               J’ai pris connaissance de l’opinion de la juge Abella.  Elle conclut (par. 78) que c’est la Commission des relations de travail de l’Ontario (« CRTO ») qui doit trancher la question constitutionnelle. Pour ma part, j’estime que la LFI  prévoit une étape qui permet justement d’éviter tout conflit constitutionnel et que le tribunal administratif ne peut être autorisé à prononcer une déclaration inconstitutionnelle. Nous sommes donc divisées sur l’identité de la juridiction devant laquelle la question du conflit doit être débattue. Les juges des cours supérieures qui siègent en faillite agissent comme tribunal spécialisé. Ils connaissent les devoirs et responsabilités du syndic. Ils constituent le premier guichet auquel doit s’adresser la personne qui veut poursuivre le syndic. Je propose une analyse des demandes de permission de poursuivre fondées sur l’art. 215  LFI  qui s’attache à l’effet concret des poursuites sur les devoirs et responsabilités du syndic aux termes de la LFI . Seule une telle analyse garantit le respect des règles du droit constitutionnel.

 


87                               Afin de pouvoir évaluer les zones de conflit entre la LFI et les dispositions de la Loi de 1995 sur les relations de travail, L.O. 1995, ch. 1, ann. A (« LRT »), concernant la succession à titre d’employeur, il est utile, d’abord, de faire un survol du rôle du syndic dans le contexte de la réforme de 1992 du régime de la faillite.  J’examinerai ensuite l’effet de la déclaration d’employeur par la CRTO, puis les règles constitutionnelles applicables en cas de conflit. Enfin, je terminerai en dégageant les critères propres à éviter les conflits et en formulant quelques commentaires sur le dossier dont la Cour est saisie.

 

1. Pouvoirs et responsabilités du syndic

 

1.1    Rôle du syndic

 

88                               Considérée globalement, l’administration d’une faillite se fait selon une règle simple. Le syndic reçoit les actifs d’une main, puis de l’autre il règle les réclamations  au moyen du produit de la réalisation de ces actifs. De façon concrète, ces fonctions se traduisent par un rôle actif du syndic dans la liquidation du patrimoine du failli.  Les devoirs et responsabilités du syndic sont régis explicitement par la LFI .  Les biens du failli lui sont dévolus (art. 71). Ses pouvoirs à l’égard de ces biens sont prévus par la LFI  (art. 30  et 31 ). Sous réserve des droits des créanciers garantis et de quelques exceptions, les recours de tous les créanciers sont suspendus (art. 69.1). La LFI  régit aussi la nature des réclamations prouvables de même que la procédure de réclamation (art. 121).  Le syndic qui continue l’exploitation de l’entreprise du failli ou lui succède comme employeur n’est personnellement responsable d’aucune réclamation antérieure à la faillite (par. 14.06(1.2)). Il est cependant autorisé à les régler sur les actifs qui lui sont dévolus (art. 67), en répartissant le produit de leur réalisation conformément à la LFI et en suivant l’ordre de priorité établi par celle-ci (art. 136 à 147).

 


89                               Le syndic est, avant tout, un auxiliaire de justice :

 

[traduction] . . . et le tribunal le considère comme son auxiliaire, chargé de conserver l’argent qui lui est confié afin qu’il puisse être réparti équitablement entre les créanciers.

 

(Ex parte James, In re Condon (1874), L.R. 9 Ch. App. 609, p. 614)

 

90                               Le rôle d’auxiliaire de justice, qui est depuis longtemps reconnu par la jurisprudence, prend sa source dans le par. 16(4)  LFI ; la LFI  confère au syndic un statut identique à celui du séquestre intérimaire : Parsons c. Sovereign Bank of Canada, [1913] A.C. 160 (H.L.), p. 167; L. W. Houlden, G. B. Morawetz et J. Sarra, Bankruptcy and Insolvency Law of Canada (3e éd. (feuilles mobiles)), vol. 1, C§10 et C§44. Ce statut impose au syndic d’agir avec équité et prudence, de collaborer avec le tribunal et, plus généralement, de concourir à la saine administration de la justice (L’Heureux (Syndic de), [1999] R.J.Q. 945 (C.A.), p. 949; Caisse populaire de Pontbriand c. Domaine St-Martin Ltée, [1992] R.D.I. 417 (C.A.); Azco Mining Inc. c. Sam Lévy & Associés Inc., [2000] R.J.Q. 392 (C.A.); Re Reed (1980), 34 C.B.R. (N.S.) 83 (C.A. Ont.); J. Auger et A. Bohémier, « The Status of the Trustee in Bankruptcy » (2003), 37 R.J.T. 57, p. 99-100).

 


91                               La LFI  protège le syndic lorsqu’il agit comme auxiliaire de justice et qu’il exerce les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi.  Il n’est pas tenu personnellement aux obligations du failli.  En plus d’être protégé par les dispositions lui conférant une immunité (par. 14.06(1.2), (2) et (4), 50(9) et 50.4(5)), le syndic bénéficie du mécanisme de filtrage des poursuites que prévoit  l’art. 215 et sur lequel repose tout le litige dans la présente affaire. Les dispositions protégeant le syndic contre les poursuites indiquent clairement l’intention du Parlement d’accorder au syndic la marge de manœuvre dont il a besoin pour accomplir les devoirs que lui impose la LFI .

 

92                               Il est d’ailleurs intéressant de constater que le contrôleur d’un arrangement nommé en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies , L.R.C. 1985, ch. C-36, par. 11.7(4)  et 11.8(1) , (3)  et (5) , ainsi que le liquidateur agissant aux termes de la Loi sur les liquidations et les restructurations , L.R.C. 1985, ch. W‑11, art. 35.1  et par. 76(2) , bénéficient de protections similaires.

 

1.2    Réforme de 1992

 

93                               Les règles régissant la faillite ont été considérablement modifiées par l’entrée en vigueur de la réforme de 1992. Le changement le plus marquant est la priorité donnée à la réorganisation des entreprises plutôt qu’à l’interruption des affaires. L’auteur D. C. A. Tay signale l’importance de la nouvelle orientation imprimée par la loi :

 

[traduction]  La LFI a pour principale conséquence que la législation canadienne en matière de faillite est désormais axée non plus sur la liquidation, mais sur la réhabilitation. Alors que l’ancienne loi régissait essentiellement la détermination du partage des biens du failli entre les créanciers, la LFI  tend à offrir au débiteur insolvable un plus grand nombre de moyens d’éviter la faillite et de restructurer et réorganiser ses affaires.

 

(Implications of the New Bankruptcy and Insolvency Act (1993), article VI, « The Bankruptcy and Insolvency Act  : Striking a Balance Between the Rights of the Debtor and its Creditors », p. 2)

 


94                               Il s’agit d’un changement fondamental, qui constitue sans nul doute l’un des principaux objectifs ayant motivé la réforme.  Dans le présent dossier, cela signifie concrètement que le syndic devait favoriser la vente d’une entreprise en exploitation plutôt que l’interruption des activités et la liquidation de l’actif démembré. L’objectif de maintien des activités est un élément qui doit être intégré à l’analyse constitutionnelle lorsqu’il s’agit de déterminer si une loi provinciale fait obstacle à la réalisation de l’objet de la LFI .

 

95                               Les devoirs et responsabilités du syndic à titre d’auxiliaire de justice imprègnent ses nouvelles fonctions. De simple liquidateur, le syndic est devenu réorganisateur financier.  S’il doit voir à la survie de l’entreprise et préserver les emplois, il s’ensuit qu’il doit la gérer, le temps de trouver un acquéreur. La gestion du syndic est essentiellement temporaire.  Bien que la durée de son administration puisse varier selon la nature de l’entreprise et les conditions économiques du moment, le syndic sert essentiellement de pont lorsqu’il maintient ou réorganise l’entreprise avant de la remettre à un acquéreur.

 

96                               À la lumière de ce rôle crucial du syndic, on comprend qu’une faillite entraîne inévitablement des conséquences sur les relations de travail au sein de l’entreprise, d’où l’importance d’examiner l’interrelation entre les règles de la faillite et les relations de travail, plus spécifiquement la déclaration attribuant la qualité d’employeur successeur.

 

2.      But et effet de la déclaration attribuant la qualité d’employeur successeur

 

2.1    But de la déclaration

 


97                               Tous les législateurs canadiens ont adopté une disposition permettant aux employés de conserver la protection syndicale en cas de transfert de l’entreprise pour laquelle ils travaillent. La disposition ontarienne pertinente en l’espèce est rédigée ainsi :

 

69. . . .

 

(2)  Si l’employeur qui est lié par une convention collective ou qui y est partie vend son entreprise, la personne à qui l’entreprise a été vendue est, jusqu’à déclaration contraire de la Commission, également lié [sic] par la convention collective comme s’il [sic] en était partie. Si l’employeur vend son entreprise alors qu’il est partie à une requête en accréditation ou en révocation du droit de négocier en cours devant la Commission, la personne à qui l’entreprise a été vendue est, jusqu’à déclaration contraire de la Commission, également l’employeur aux fins de la requête.

 

98                               Sans cette protection, les employés pourraient dans les faits continuer à occuper le même emploi chez un nouvel employeur, mais en étant privés des droits que leur syndicat avait négociés en leur faveur.

 

99                               Dans Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l’industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644, la juge McLachlin, maintenant Juge en chef, met en relief le but de la déclaration de successeur à titre d’employeur :

 

Le but fondamental de ces dispositions est d’empêcher que des employés ne perdent leur protection syndicale lorsqu’une entreprise est vendue ou transférée ou lorsque des modifications sont apportées à la structure d’une entreprise. . . [p. 671]

 


100                           De nombreux critères sont utilisés pour déterminer si l’acquéreur à qui l’entreprise a été transférée succède à son vendeur à titre d’employeur. Afin de décider s’il y a eu transfert de l’entreprise, on se demande généralement si suffisamment d’éléments importants de l’actif de cette entreprise ont été vendus à l’acquéreur et on évalue le degré de continuité des activités associées à cette entreprise. Chaque situation est un cas d’espèce et aucun critère n’est déterminant. Le décideur peut considérer autant l’aspect humain (savoir-faire des employés, système de gestion, licences, brevets, achalandage) que l’aspect physique (actif matériel de l’entreprise, équipement, terrain, emplacement) de l’entreprise cédée et de la nouvelle entreprise afin de conclure ou non à une vente. Le décideur vérifie aussi si les éléments composant l’entreprise sont transmis comme un tout suffisamment cohérent pour équivaloir à la vente de l’entreprise en tant que « véhicule économique fonctionnel » et justifier la survie des droits découlant de la négociation collective (Lester, p. 676; Metropolitan Parking Inc., [1980] 1 Can. L.R.B.R. 197 (Ont.), p. 208; Lincoln Hydro Electric Commission, [1999] O.L.R.B. Rep. May/June 397, p. 415-416; G. W. Adams, Canadian Labour Law (2e éd. (feuilles mobiles)), p. 8-4 à 8-23).

 

2.2    Effet de la déclaration

 


101                           Une déclaration par la CRTO qu’une entité succède à une autre à titre d’employeur a pour effet de faire de l’entité visée par cette déclaration une partie liée par  la convention collective et de la rendre responsable de toutes les obligations y afférentes, y compris celles qui incombaient à l’ancien employeur avant le transfert de l’entreprise.  Le nouvel employeur devient personnellement responsable tant des dettes de l’employeur précédent que des violations de la convention collective survenues avant la vente. Il peut, par exemple, être lié par une sentence arbitrale prononcée contre l’employeur précédent et devoir assumer la responsabilité découlant de pratiques de travail déloyales. De façon générale, il est personnellement tenu de respecter les obligations de l’employeur précédent (Adam c. Daniel Roy Ltée, [1983] 1 R.C.S. 683, p. 694-695; Man of Aran (1974), 6 L.A.C. (2d) 238 (Ont.); Woodbridge Hotel (1976), 13 L.A.C. (2d) 96 (Ont.); Uncle Ben’s Industries, [1979] 2 Can. L.R.B.R. 126 (C.-B.); Re United Brotherhood of Carpenters & Joiners of America, Local 3054 and Cassin-Remco Ltd. (1979), 105 D.L.R. (3d) 138 (H.C.J. Ont.); Radio CJYQ-930 Ltd. (1978), 34 di 617; Adams, p. 8-38.2 à 8-39; D. D. Carter, G. England, B. Etherington et G. Trudeau, Labour Law in Canada (5e éd. 2002), p. 280-281).

 

102                           Si la protection des employés, lors de la vente d’une entreprise, se conçoit facilement dans le contexte du transfert des obligations à l’acquéreur, cela ne va pas toutefois sans soulever plusieurs questions lorsqu’il s’agit d’appliquer cette notion à la situation du syndic.  Les difficultés avec lesquelles le syndic doit composer sont accrues du fait que les lois sur les relations de travail ne sont pas uniformes à travers le Canada, pas plus d’ailleurs que la jurisprudence sur celles-ci (Adams, p. 8-4 et suiv.; p. 8-39 et suiv.).

 

103                           Il est admis que la LRT confère à la CRTO le pouvoir exclusif de décider qui est « employeur successeur ».  Cependant, comme la loi ontarienne ne saurait entraver la réalisation de l’objet de la LFI , il est nécessaire de déterminer dans quelle mesure une déclaration attribuant à un syndic la qualité d’employeur successeur est compatible avec la LFI .

 

3.      Conflits entre la LFI et la LRT

 


104                           J’ai déjà souligné l’effet d’une déclaration attribuant la qualité d’employeur successeur prononcée en vertu de la LRT. Selon le par. 69(2) LRT, l’acquéreur de l’entreprise est lié par les obligations de l’employeur-vendeur qui avait signé la convention collective, comme s’il était partie à celle-ci.  J’ai aussi mentionné plus haut que, si un syndic est déclaré employeur au sens de la LRT, cette déclaration n’est pas sans soulever plusieurs questions. En fait, un examen, même sommaire, permet de faire ressortir plusieurs conflits.

 

105                           Le conflit le plus flagrant résulte des réclamations pour salaire impayé.  Une déclaration attribuant la qualité d’employeur successeur rend la personne qui en fait l’objet responsable des obligations de l’employeur qui a signé la convention collective.  Le nouvel « employeur », ici le syndic, serait responsable de tous les salaires impayés par le failli.  Cette obligation entre en conflit direct avec deux dispositions de la LFI .

 

106                           La première est le par. 14.06(1.2), qui énonce explicitement ce qui suit :

 

(1.2) Par dérogation au droit fédéral et provincial, le syndic qui, ès qualités, continue l’exploitation de l’entreprise du débiteur ou succède à celui-ci comme employeur est dégagé de toute responsabilité personnelle découlant de toute réclamation contre le débiteur ou liée à l’obligation de celui-ci de payer une somme si la réclamation est antérieure à sa nomination ou découle de celle-ci.

 

La déclaration assujettissant le syndic à toutes les obligations de l’employeur qui a signé la convention collective a pour effet d’imposer à cet auxiliaire de justice une responsabilité personnelle dont il est explicitement dégagé par le par. 14.06(1.2).

 


107                           La deuxième disposition incompatible est l’al. 136(1)d), qui donne priorité aux créances des employés du failli pour les arriérés de salaire d’au plus six mois, jusqu’à concurrence de 2 000 $ par employé. Toute créance excédentaire est traitée comme une réclamation ordinaire et acquittée au prorata des réclamations (art. 141). Si le syndic est considéré comme un employeur, il doit alors payer la réclamation des employés au complet, ce qui est incompatible avec la LFI . Il s’agit ici aussi d’un conflit direct résultant d’une impossibilité de se conformer à la fois à la LFI et à la LRT.  Toutefois, tous les employeurs faillis n’accumulent pas des arriérés excédant les limites prévues par la LFI .  Lorsqu’ils accumulent de tels arriérés, la cour de faillite ne peut, sans réserve, autoriser un syndicat à demander que le syndic soit déclaré successeur du failli.

 

108                           Un autre conflit peut résulter d’une situation analogue à celle qui s’est produite dans l’arrêt Adam c. Daniel Roy Ltée.  Dans cette affaire, le nouvel employeur a été condamné à réintégrer et à indemniser une employée congédiée pour activités syndicales par l’employeur précédent. Appliquée au syndic, une telle décision signifierait que celui-ci devrait réintégrer une employée, alors que la faillite a, en principe, mis fin à l’emploi de celle-ci (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27).

 

109                           D’autres situations conflictuelles sont plus subtiles. C’est le cas par exemple lorsque le syndic doit assurer la continuité de l’entreprise en ne recourant qu’à quelques employés seulement. La procédure de mise à pied ou de déplacement peut imposer des contraintes incompatibles avec la réorganisation pour les besoins de la faillite.

 


110                           Enfin, un autre conflit résulte du fait que la déclaration attribuant la qualité d’employeur successeur n’est pas limitée dans le temps.  Lorsqu’il s’agit du véritable acquéreur, l’absence de délai ne présente pas de difficultés.  Le transfert de l’entreprise, comme la déclaration, ont en principe un caractère définitif.  Il en va autrement dans le cas du syndic, puisque, en tant qu’auxiliaire de justice, il a le droit d’être libéré lorsque l’administration de l’actif est terminée (par. 41(2)  LFI ). Une déclaration non assortie de  réserves fera du syndic un employeur, et ce, malgré la fin de la réorganisation et sa libération comme syndic par la cour de faillite.

 

111                           Ces exemples illustrent clairement que la déclaration attribuant la qualité d’employeur successeur n’est pas sans créer d’embûches lorsqu’elle vise un syndic qui doit exercer ses fonctions conformément à la LFI . Si mon premier exemple constitue un cas patent d’impossibilité d’application concurrente des deux lois, l’hypothèse de la responsabilité personnelle pour les dettes du failli se rapportant à la convention collective est un cas tout aussi évident d’entrave à la réalisation de l’objet de la LFI . Comme le dit la juge Feldman de la Cour d’appel dans la présente affaire :

 

[traduction] Ces considérations relatives à la faillite sont de toute première importance lorsqu’un séquestre intérimaire pourrait être déclaré employeur successeur du débiteur, s’il exploite l’entreprise du débiteur en vue de la vendre à titre d’entreprise en activité. La décision d’exploiter ou non l’entreprise est une des plus importantes que doit prendre le séquestre. Elle a des incidences sur l’ensemble du déroulement de la faillite et sur l’issue de celle-ci, et, chose importante, sur la capacité du séquestre de maximiser la valeur de l’actif du failli au bénéfice de tous les intéressés. [par. 53]

 

112                           La décision de continuer les activités de l’entreprise est au cœur de la mission confiée au syndic par la LFI . Cette mission ne peut être occultée. Les parties doivent identifier le point d’équilibre entre les devoirs et immunités du syndic en vertu de la LFI et les droits reconnus aux employés par la LRT.  En cas de conflit, les parties doivent se reporter aux règles constitutionnelles. Il est donc opportun de faire un bref rappel des doctrines pertinentes.


 

4.      Doctrines du double aspect et de la prépondérance

 

113                           Le droit constitutionnel ne tolère pas le conflit de compétences législatives.  Plusieurs doctrines ont été élaborées pour assurer le respect des compétences fédérales et provinciales. Deux d’entre elles sont pertinentes en l’espèce, le double aspect et la prépondérance. Cette dernière a fait l’objet de plusieurs arrêts de la Cour dans le contexte particulier de la faillite et il sera utile d’en rappeler les grandes lignes.

 

4.1    La théorie du double aspect

 

114                           Les législateurs provinciaux ont compétence sur la propriété et les droits civils en vertu du par. 92(13)  de la Loi constitutionnelle de 1867  (la « Constitution  »). La réglementation des conditions de travail relève de ce pouvoir. Ni la validité constitutionnelle de l’ensemble de la LRT ni celle du par. 69(2) ne sont remises en question.  Par ailleurs, la compétence du Parlement à l’égard de la faillite et de l’insolvabilité repose sur le par. 91(21) de la Constitution et n’est pas non plus contestée, pas plus du reste que les dispositions conférant des pouvoirs ou immunités au syndic. Il s’agit donc de deux lois relevant, chacune dans son domaine, de la compétence du niveau de gouvernement qui l’a adoptée. 

 

115                           Lorsque des lois fédérales et provinciales sont mises en œuvre, elles peuvent souvent être appliquées concurremment. Le Conseil privé a très tôt reconnu cette possibilité :

 


[traduction] . . . des matières qui, sous un aspect donné et pour un objet précis, relèvent de l’art. 92 peuvent, sous un autre aspect et pour un objet différent, relever de l’art. 91.

 

(Hodge c. The Queen (1883), 9 App. Cas. 117, p. 130)

 

Ainsi, lorsque le syndic gère une entreprise le temps de trouver un acheteur, il tire ses pouvoirs de la LFI , qui est de compétence fédérale. Il n’est toutefois pas exempté de l’application de l’ensemble des lois provinciales. La LFI  prévoit même explicitement l’application des règles provinciales compatibles concernant la propriété et les droits civils. Le paragraphe 72(1) réaffirme le maintien des lois non incompatibles :

 

72. (1) La présente loi n’a pas pour effet d’abroger ou de remplacer les dispositions de droit substantif d’une autre loi ou règle de droit concernant la propriété et les droits civils, non incompatibles avec la présente loi, et le syndic est autorisé à se prévaloir de tous les droits et recours prévus par cette autre loi ou règle de droit, qui sont supplémentaires et additionnels aux droits et recours prévus par la présente loi.

 

Le syndic qui exploite une entreprise est assujetti à un grand nombre d’exigences à cet égard. Par exemple, il ne pourrait omettre de prélever les retenues à la source des salaires des employés ou déroger aux normes minimales du travail.

 

116                           En raison du partage des pouvoirs législatifs entre les niveaux de gouvernement, le syndic est donc assujetti à un grand nombre de lois provinciales.  Les tribunaux saisis de contestations portant sur la difficulté d’appliquer concurremment des lois fédérales et provinciales doivent tenter de concilier l’application de ces lois de façon à respecter les champs de compétence respectifs des deux ordres de gouvernement :  Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance-emploi (Can.), art. 22 et 23, [2005] 2 R.C.S. 669, 2005 CSC 56. Lorsque le conflit est inévitable, une autre doctrine peut être pertinente, celle de la prépondérance.


 

4.2    La doctrine de la prépondérance

 

117                           La prépondérance des lois fédérales sur les lois provinciales en cas de conflit est une doctrine établie de longue date : W. R. Lederman, « The Concurrent Operation of Federal and Provincial Laws in Canada » (1963), 9 McGill L.J. 185. Un conflit propre à déclencher le recours à cette doctrine peut résulter de l’impossibilité d’appliquer simultanément une loi fédérale et une loi provinciale : Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, p. 191, mais peut aussi naître du fait que l’application de la loi provinciale entrave la réalisation de l’objet de la loi fédérale : Law Society of British Columbia c. Mangat, [2001] 3 R.C.S. 113, 2001 CSC 67, et Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, [2005] 1 R.C.S. 188, 2005 CSC 13, par. 12.

 

118                           S’il est facile d’énoncer ce principe, son application n’est pas toujours aisée, comme en font foi les nombreux litiges sur la question.

 

4.3    Contexte particulier de la faillite

 


119                           La LFI et la LRT ne sont pas d’emblée incompatibles. S’il est important de reconnaître les conflits potentiels, il est tout aussi important de faire en sorte que la doctrine de la prépondérance ne soit pas interprétée de façon à empêcher l’application des dispositions provinciales pour les aspects qui sont compatibles avec la loi fédérale.  La théorie du double aspect revêt une importance tout aussi grande que celle de la prépondérance. Les tribunaux doivent s’assurer que l’équilibre prévu par la Constitution  est respecté et que chaque niveau de gouvernement peut exercer pleinement ses compétences lorsque cela peut se faire sans entraver l’action de l’autre niveau.

 

120                           En matière de faillite, plusieurs arrêts importants de la Cour étudient les rapports entre la législation relative à la faillite et divers aspects du droit provincial régissant la propriété : Sous‑ministre du Revenu c. Rainville, [1980] 1 R.C.S. 35; Deloitte Haskins and Sells Ltd. c. Workers’ Compensation Board, [1985] 1 R.C.S. 785; Banque fédérale de développement c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 1061; Colombie‑Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., [1989] 2 R.C.S. 24; Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1995] 3 R.C.S. 453, et D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général), [2005] 2 R.C.S. 564, 2005 CSC 52.

 

121                           Dans Husky Oil, le juge Gonthier, qui s’exprimait pour la majorité, résume les principes permettant de formuler une « philosophie cohérente et générale quant aux objets du régime fédéral de la faillite et au lien qu’il a avec les dispositions provinciales en matière de droit des biens » (par. 31).  Non seulement rappelle-t-il que les provinces ne peuvent modifier directement l’ordre de priorité établi par la Loi sur la faillite, mais il énonce aussi les propositions qui permettent d’appliquer la théorie de la prépondérance là où une loi provinciale entre en conflit indirectement avec la LFI  (par. 32 (citant A. J. Roman et M. J. Sweatman, « The Conflict Between Canadian Provincial Personal Property Security Acts and the Federal Bankruptcy Act : The War is Over » (1992), 71 R. du B. can. 77, p. 78-79) et 39) :

 

(1)   les provinces ne peuvent ni créer des priorités entre les créanciers ni modifier le plan de répartition en matière de faillite, prévu au par. 136(1) de la Loi sur la faillite;

 


(2)   bien qu’une loi provinciale puisse validement modifier l’ordre de priorité dans un contexte autre que celui d’une faillite, dès qu’il y a faillite, c’est le par. 136(1) de la Loi sur la faillite qui détermine le statut et l’ordre de priorité des réclamations qui y sont visées expressément;

 

(3)   si les provinces pouvaient créer leur propre ordre de priorité ou modifier celui établi en vertu de la Loi sur la faillite, cela aurait pour effet d’inciter à l’établissement, en matière de faillite, d’un plan de répartition différent d’une province à l’autre, ce qui est inacceptable;

 

(4)   en matière de faillite, des expressions comme « créancier garanti », lorsqu’elles sont définies dans la Loi sur la faillite, doivent être interprétées selon la définition que leur donne le législateur fédéral et non celle que leur donnent les législatures provinciales. Les provinces ne peuvent modifier la façon dont ces expressions sont définies aux fins de la Loi sur la faillite[;]

 

                                                                   . . .

 

(5)   pour déterminer le lien qui existe entre une loi provinciale et la Loi sur la faillite, il ne faut pas que la forme du droit créé par la province l’emporte sur le fond. Les provinces n’ont pas le droit de faire indirectement ce qui leur est interdit de faire directement;

 

(6)   pour que la loi provinciale soit inapplicable, il n’est pas nécessaire que la province ait eu l’intention d’empiéter sur la compétence fédérale exclusive en matière de faillite et d’être en conflit avec la Loi sur la faillite. Il suffit que la loi provinciale ait cet effet. [Souligné dans l’original.]

 

122                           Même si les propositions énoncées dans Husky Oil traitent plus particulièrement des conflits entre les lois provinciales et le plan de répartition établi par la LFI , elles ont une portée qui déborde ce cadre spécifique et servent à démontrer comment la doctrine de la prépondérance s’applique dans le contexte de la faillite.

 


123                           En principe, le syndic ne doit pas être assujetti à des obligations qui entravent le règlement de la faillite. Tous les conflits auxquels j’ai fait allusion ne se produiront cependant pas à chaque fois que la CRTO prononce une déclaration attribuant la qualité d’employeur successeur.  D’une part, les circonstances particulières d’une affaire peuvent révéler une conduite du syndic qui se démarque du rôle qui lui est confié par la LFI et, d’autre part, la CRTO peut prononcer une déclaration partielle lorsque le syndicat ne requiert pas le transfert de toutes les obligations de l’ancien employeur. La présente affaire est un bon exemple de ce dernier cas.  Le syndicat plaide qu’il ne cherche pas à obtenir une déclaration de responsabilité pour les dettes dues avant la nomination du séquestre. Cette précision est utile, mais elle n’écarte pas tous les conflits potentiels.

 

124                           La Cour supérieure joue un rôle déterminant dans l’identification des conflits potentiels et elle ne doit pas autoriser une poursuite qui risque de créer un conflit. Le juge qui refuse d’autoriser une poursuite ne déclare pas nulle ou inopérante la disposition provinciale, il ne fait qu’éviter le conflit en recourant de façon préventive à la doctrine de la prépondérance.  De là l’importance du mécanisme de filtrage de l’art. 215  LFI .

 

5.      L’article 215  LFI 

 

5.1    Le but de l’art. 215  LFI 

 

125                           J’ai dit plus tôt que l’intention du Parlement de faire bénéficier le syndic d’une marge de manœuvre dans l’administration de la faillite ressort des immunités prévues par la LFI .  L’article 215 joue un rôle important dans la protection accordée au syndic, parce qu’en application de celui-ci une cour supérieure doit filtrer les poursuites susceptibles d’être intentées contre lui. Cette disposition est rédigée ainsi :

 

215.  Sauf avec la permission du tribunal, aucune action n’est recevable contre le surintendant, un séquestre officiel, un séquestre intérimaire ou un syndic relativement à tout rapport fait ou toute mesure prise conformément à la présente loi.


126                           Ma collègue la juge Abella s’oppose à l’intégration, dans les critères d’application de l’art. 215  LFI , de facteurs qui prendraient en considération la nature particulière d’une déclaration attribuant au syndic la qualité d’employeur.  Elle y voit la création d’un test particulier et exceptionnel à l’égard de cette déclaration.  J’y vois plutôt l’incorporation des règles constitutionnelles et une adaptation aux nouvelles dimensions des recours pouvant être autorisés contre un syndic.

 

127                           À l’instar des juges Feldman et Cronk, je suis d’avis que l’art. 215 agit comme mécanisme de contrôle permettant d’éviter que des lois provinciale et fédérale n’entrent en conflit l’une avec l’autre.  Le juge de faillite agit à titre de tribunal spécialisé. Non seulement est-il chargé d’appliquer la loi fédérale, laquelle doit primer sur les lois provinciales en cas de conflit, mais il est aussi le premier à être saisi de la question du conflit potentiel et est le seul qui soit en mesure d’évaluer l’ensemble des intérêts en jeu. Il est celui qui sera chargé de tous les aspects de l’application de la LFI .


128                           Dans Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), [2006] 1 R.C.S. 513, 2006 CSC 14, la Cour a reconnu le rôle central du premier tribunal auquel un réclamant s’adresse.  Dans cette affaire, il s’agissait de décider lequel de deux organismes administratifs devait décider d’une question touchant les droits de la personne.  En l’espèce, le choix oppose la Cour supérieure et un tribunal administratif, la CRTO, et concerne de surcroît une question constitutionnelle. Vu l’expertise de la Cour supérieure en matière de faillite et en matière constitutionnelle, le choix doit, à plus forte raison, s’arrêter sur celle-ci plutôt que sur le tribunal administratif.  Il faut laisser la cour de faillite jouer pleinement son rôle central avant que le tribunal externe à la faillite soit saisi de la demande contre le syndic : Sam Lévy & Associés Inc. c. Azco Mining Inc., [2001] 3 R.C.S. 978, 2001 CSC 92.  Par contraste, la CRTO est spécialisée dans les relations de travail et a comme mission d’appliquer la LRT et, plus particulièrement ici, le par. 69(2), qui a pour but de protéger les employés. Comme la faillite d’une entreprise met en cause les intérêts de tous les créanciers et non pas seulement ceux des employés, le juge de faillite est dans une meilleure position pour évaluer les intérêts en cause et prévenir les conflits.

 

129                           D’ailleurs, je suis d’accord avec ma collègue la juge Abella lorsqu’elle dit que le syndic n’est pas immunisé par la LFI .  Deux dispositions pourvoient au contrôle de l’activité du syndic : les art. 37 et 215.  L’article 37 permet à tout intéressé de s’adresser à la cour de faillite pour lui demander de confirmer, d’infirmer ou de modifier un acte ou une décision du syndic qui fait l’objet d’une plainte. Ce recours ne requiert pas de permission préalable et constitue parfois un recours alternatif à l’art. 215  LFI .  Ce qui distingue l’art. 37 de l’art. 215 est que cette dernière disposition permet d’intenter un recours devant un tribunal autre que la cour de faillite et qu’une permission est requise.  Cette permission est requise parce que le Parlement a voulu que la cour de faillite exerce un contrôle sur les poursuites qui sont intentées.  L’autre tribunal n’est pas un tribunal spécialisé en matière de faillite.

 


130                           La vaste majorité des décisions fondées sur l’art. 215 concernent des cas où une faute est reprochée au syndic : Alamo Linen Rentals Ltd. c. Spicer Macgillivry Inc. (1986), 63 C.B.R. (N.S.) 38 (C. prov. Ont.); Beatty Limited Partnership (Re) (1991), 1 O.R. (3d) 636 (Div. gén.); Chastan Ventures Ltd., Re (1993), 23 C.B.R. (3d) 115 (C.S.C.-B.); Willows Golf Corp. (Bankrupt), Re (1994), 119 Sask. R. 208 (B.R.); McKyes, Re, 1996 CarswellQue 2575 (C.S.); Nicholas c. Anderson (1998), 5 C.B.R. (4th) 256 (C.A. Ont.); Gallo c. Beber (1998), 7 C.B.R. (4th) 170 (C.A. Ont.); Kearney c. Feldman, [1998] O.J. No. 5109 (QL) (Div. gén.); Burton c. Kideckel (1999), 13 C.B.R. (4th) 9 (C.S.J. Ont.); Society of Composers, Authors & Music Publishers of Canada c. Armitage (2000), 20 C.B.R. (4th) 160 (C.A. Ont.); Mann c. KPMG Inc. (2000), 197 Sask. R. 181, 2000 SKQB 460; Vanderwoude c. Scott & Pichelli Ltd. (2001), 25 C.B.R. (4th) 127 (C.A. Ont.); Caswan Environmental Services Inc., Re (2001), 24 C.B.R. (4th) 191, 2001 ABQB 240; K.D.N. Distribution & Warehousing Ltd., Re (2002), 33 C.B.R. (4th) 77 (C.S.J. Ont.); Canada 3000 Inc. (Re), [2002] O.J. No. 3266 (QL) (C.S.J.); MacLean c. Morash (2003), 219 N.S.R. (2d) 83, 2003 NSSC 219; Down, Re (2003), 46 C.B.R. (4th) 58, 2003 BCSC 1286; Jiwani c. Devgan, [2005] O.J. No. 2868 (QL) (C.S.J.); 105497 Ontario Inc. c. Schwartz Levinsky Feldman Inc. (2005), 12 C.B.R. (5th) 122 (C.S.J. Ont.), et 477470 Alberta Ltd., Re (2005), 12 C.B.R. (5th) 125, 2005 ABQB 430.

 

131                           Par ailleurs, le tribunal se montre réticent à accorder une permission lorsqu’il s’agit de poursuivre le syndic pour faire déclarer qu’il succède à titre d’employeur successeur. La présente affaire l’illustre, mais la Cour d’appel ne faisait pas cavalier seul : 588871 Ontario Ltd., Re (1995), 33 C.B.R. (3d) 28 (C. Ont. (Div. gén.)).

 

132                           Avec le développement du droit administratif et la multiplication des tribunaux spécialisés, l’art. 215 est maintenant utilisé à des fins beaucoup plus variées qu’auparavant. J’approuve à ce sujet ce que dit la juge Feldman de la Cour d’appel :

 

[traduction] Dans les décisions rendues jusqu’ici au sujet de la permission exigée à l’art. 215  de la LFI , par exemple Mancini, et où le litige portait sur une faute du syndic, il n’était pas question de facteurs touchant au contrôle exercé par le tribunal de faillite sur le processus. Dans de tels cas, si la permission est accordée, le syndic retient les services d’un avocat pour se défendre devant le tribunal, et il peut continuer à accomplir ses fonctions relatives à la mise sous séquestre ou à la faillite. [par. 54]


133                           Les demandes de permission fondées sur des moyens autres que la négligence ou le refus du syndic de remplir les devoirs de sa charge sont donc une réalité assez récente. Les quelques cas répertoriés montrent bien que les juges de faillite sont soucieux de préserver la marge de manœuvre du syndic et s’assurent que les poursuites intentées devant l’autre tribunal n’entravent pas l’action du syndic. Ainsi, dans Royal Crest Lifecare Group, Re (2003), 40 C.B.R. (4th) 146, la Cour supérieure de l’Ontario a rejeté, pour les motifs suivants, la requête du syndicat demandant la permission de s’adresser à la CRTO :

 

[traduction] Il n’a pas été allégué — et encore moins prouvé — qu’en l’espèce le syndic (même si E&Y Inc. était considéré en sa qualité de séquestre intérimaire) a traîné les pieds ou le fera. La requête incidente de permission présentée par le SCFP est rejetée, sans préjudice de la possibilité que soit soumise ultérieurement une requête semblable sur une base factuelle appropriée, laquelle devrait à mon avis démontrer que le syndic a cessé d’agir avec diligence en tant que liquidateur pour jouer principalement le rôle d’employeur. [par. 29]

 

En appel de ce jugement ((2004), 46 C.B.R. (4th) 126, par. 27), la Cour d’appel de l’Ontario appuie explicitement l’approche adoptée par la Cour supérieure, tout en rappelant les contraintes inhérentes au contexte de la faillite :

 

[traduction] Une faillite est une catastrophe. Une entreprise a échoué; dans biens des cas, elle ne survivra pas. Les créanciers, qui de bonne foi lui ont fourni des biens et des services, risquent de perdre des sommes importantes. Les employés de la société en faillite perdent immédiatement leur emploi.

 

Le juge siégeant en matière de faillite est plongé au cœur de cette catastrophe. Il lui faudra prendre des décisions importantes qui auront une incidence sur l’avenir de la société, de ses créanciers et de ses employés. Les qualités d’un bon juge de faillite sont par conséquent l’expertise, la sensibilité et la rapidité.

 

. . .

 


Le syndic a de nombreuses obligations — envers le patrimoine qu’il a pour mission de gérer, envers les créanciers et envers le tribunal. Lorsque, comme en l’espèce, un syndic de faillite souhaite engager d’anciens employés de la société faillie, il a également une obligation envers ces employés. La décision du syndic de présenter, le jour même où il a commencé à exercer sa fonction, une requête demandant au tribunal de déclarer qu’il ne devait pas être considéré, « pour quelque fin que ce soit », comme un employeur successeur était, de l’avis du juge de faillite, prématurée. Ce dernier a donc rejeté cette requête. Le syndic n’interjette pas appel de ce volet de la décision.

 

De même, la requête incidente des appelants, compréhensible sans doute vu la requête du syndic, était dans un sens elle aussi mal fondée. La première journée d’une faillite ne constitue certainement pas une « journée comme les autres » pour quiconque, y compris les employés. La relation entre le syndic et les employés de la société en faillite ne peut être résolue instantanément. Il faudra de l’attention, de la sensibilité, de la négociation et au moins un certain temps pour qu’une relation appropriée puisse s’établir. Le juge de faillite a estimé que la requête incidente du syndicat était elle aussi prématurée. Il l’a par conséquent rejetée, mais sans exclure la possibilité qu’une telle requête puisse être accueillie une fois que les parties auraient, à tout le moins, exploré l’établissement d’une relation d’emploi appropriée. Là encore, il n’existe selon moi aucune raison d’intervenir à l’encontre de l’exercice par le juge de son pouvoir discrétionnaire à ce sujet. [par. 21, 22, 31 et 32]

 

134                           Le but des art. 37 et 215 n’est donc pas d’immuniser le syndic contre des poursuites légitimes, mais de permettre la supervision de son administration sans toutefois l’entraver. Favoriser l’exercice d’un contrôle par la cour de faillite appuie le rôle du syndic. La LFI  met en place un régime qui permet de tenir compte de l’efficacité de l’administration du syndic tout en ne soustrayant pas le syndic au pouvoir de surveillance des tribunaux.  L’article 215 n’énonce pas les critères d’application. La flexibilité laissée par le Parlement permet à la cour de faillite de s’adapter aux nouvelles réalités, y compris une déclaration attribuant la qualité d’employeur successeur.

 

5.2    Les critères d’autorisation

 


135                           L’affaire Mancini (Bankrupt) c. Falconi (1993), 61 O.A.C. 332 (C.A.), est souvent citée comme étant celle qui a établi l’analyse qui s’impose au juge.  D’application facile lorsqu’il s’agit d’une simple réclamation contre un syndic pour contravention à ses devoirs, les critères qui y sont énoncés doivent cependant être adaptés à la nature particulière de chaque demande.

 

5.2.1   L’affaire Mancini et la suffisance de la preuve

 

136                           Il y a lieu de démythifier l’analyse élaborée dans l’arrêt Mancini.  Dans cette affaire, les parties requérantes demandaient la permission d’intenter contre un syndic une action incidente en dommages-intérêts.  Elles prétendaient que le syndic avait commis un abus de procédures et organisé une poursuite criminelle. Les requérants reprochaient donc au syndic des actes qu’ils estimaient fautifs et réclamaient une condamnation pécuniaire personnelle contre celui-ci. Il ne s’agissait pas d’une poursuite susceptible d’entraver l’application de la LFI . Le juge n’avait pas à s’interroger sur l’effet que la poursuite pouvait avoir à cet égard.  La Cour d’appel a cependant distingué clairement deux questions auxquelles doit répondre le juge saisi d’une demande d’autorisation présentée en vertu de l’art. 215 : le sérieux de la cause d’action et la suffisance de la preuve. Relativement au sérieux de la cause d’action, la Cour d’appel n’a pas établi l’analyse applicable dans Mancini, mais a simplement résumé l’état de la jurisprudence.

 

137                           L’aspect le plus intéressant de cette affaire est, à mon avis, l’examen de la norme de preuve qui y est fait.  Il s’agissait d’ailleurs de la principale question en litige. La Cour d’appel a écrit :

 


[traduction] Pour décider s’il y avait lieu de permettre, en vertu de l’art. 186 [maintenant art. 215] de la Loi sur la faillite, qu’une action soit engagée contre le syndic, le juge des requêtes devait tenir compte de la preuve, décrite à très grands traits ci-dessus, dans le contexte de la demande reconventionnelle qu’on voulait déposer contre le syndic. Il s’agit de déterminer, non pas si la preuve produite à l’appui de la requête fondée sur l’art. 186 révèle l’existence d’une cause d’action contre le syndic, mais si la preuve étaye suffisamment la cause d’action invoquée dans la demande reconventionnelle des appelants. Il est par conséquent nécessaire d’examiner les prétentions que les appelants souhaitent formuler contre le syndic.

 

                                                                   . . .

 

Les appelants soutiennent que le juge des requêtes a fait erreur en statuant que la preuve produite à l’appui de leur requête fondée sur l’art. 186 de la Loi sur la faillite doit être suffisante pour établir un fondement factuel à l’action qu’ils entendent intenter contre le syndic. Les appelants soutiennent que le critère prévu par l’art. 186 exige seulement la présentation de quelques éléments de preuve donnant un fondement factuel à l’action qu’ils souhaitent intenter. Selon moi, le juge des requêtes a eu raison de conclure comme il l’a fait. Sur une échelle qui va de l’absence totale de preuve à une preuve qui est concluante, la preuve nécessaire pour fonder une ordonnance en vertu de l’art. 186 doit être suffisante pour établir l’existence d’un fondement factuel à l’égard de l’action envisagée, et pour établir que cette action révèle une cause d’action.

 

C’est dans le contexte de l’objectif visé par l’art. 186 qu’il faut déterminer si la preuve est suffisante. Cet objectif, comme nous l’avons vu, consiste à éviter que le syndic ait à se défendre contre des actions qui sont frivoles ou vexatoires, ou qui ne révèlent aucune cause d’action. Comme je l’ai souligné plus tôt, il n’est pas nécessaire que la preuve à l’appui d’une requête fondée sur l’art. 186 soit suffisante pour permettre au juge des requêtes de statuer de façon définitive sur le fond de l’action qu’on veut intenter; cependant, elle doit être suffisante pour qu’il soit possible de répondre aux questions que j’ai signalées, en ayant à l’esprit les objectifs de l’art. 186. [Je souligne; par. 12, 16 et 17.]

 

138                           La Cour d’appel confirmait par là la décision du juge de première instance ((1989), 76 C.B.R. (N.S.) 90), qui avait adopté une formulation claire de ce qu’est une preuve suffisante pour qu’une poursuite contre un syndic soit autorisée :

 


[traduction] Comme la décision suppose l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal doit effectuer un examen plus approfondi que lorsqu’il s’agit de déterminer si une déclaration, en droit, révèle une cause d’action. Lorsqu’il doit décider si, oui ou non, une déclaration révèle une cause d’action, le tribunal tient pour avérées les allégations faites dans la déclaration afin de déterminer si elles peuvent constituer le fondement d’un recours. Dans le cas d’une requête fondée sur l’art. 186, le tribunal doit se demander s’il existe dans la preuve un fondement factuel pour l’action envisagée. L’article 186 vise à protéger le syndic contre des actions sans fondement factuel. Si on veut s’assurer que l’action envisagée repose sur un fondement factuel approprié, il faut que les faits allégués soient révélés par une preuve par affidavit suffisante. Les faits ne sont pas des allégations qu’il faut tout bonnement accepter telles quelles. [p. 93-94]

 

139                           Si l’affaire Mancini peut être considérée comme ayant formulé un quelconque seuil ou critère, je dirais que c’est à l’égard de la norme de preuve requise pour que la cour de faillite accorde la permission de poursuivre.

 

140                           Pour ce qui est de la suffisance de la preuve, cet arrêt précise donc que le juge à qui une demande de permission est présentée en vertu de l’art. 215 ne peut pas se contenter de vagues allégations. La preuve doit justifier les allégations.  Le juge n’a pas besoin d’être convaincu du bien-fondé de la poursuite, puisqu’il n’est pas lui-même juge du fond.  Il doit cependant s’assurer qu’une preuve factuelle suffisante soutient les allégations, soit par des affirmations sous serment, soit par la production de pièces. Pour ce faire, le juge doit examiner la preuve. Dans le langage usuel, l’intensité de la norme de preuve au civil est souvent qualifiée soit de prépondérante, soit de prima facie. Le seuil requis par l’art. 215 n’est pas celui auquel est tenu le juge du fond, à savoir la prépondérance de la preuve, mais la preuve prima facie.

 

141                           À la différence de l’affaire Mancini, le débat ne porte pas en l’espèce sur la question de fait qu’est la suffisance de la preuve, mais plutôt sur la question de droit qui est étudiée à l’étape de l’examen du sérieux de la cause d’action.

 

5.2.2   Le sérieux de la cause d’action


 

142                           L’examen du sérieux de la cause d’action doit être modulé suivant la nature de la poursuite que le demandeur cherche à intenter. S’il s’agit d’une simple réclamation pécuniaire, comme dans Mancini ou dans la majorité des affaires soumises aux tribunaux jusqu’à tout récemment, la poursuite n’empêche pas le syndic d’accomplir ses devoirs et ne lui impose pas un fardeau incompatible avec la LFI .

 

143                           Il est cependant clair que le juge de faillite ne peut accorder la permission d’intenter un recours incompatible avec la LFI .  Il ne pourrait autoriser une poursuite ayant pour but d’imposer au syndic une responsabilité contre laquelle celui-ci est immunisé par la LFI , en matière de dommages environnementaux par exemple. Comme le syndic bénéficie, en vertu des par. 14.06(2) et (4) d’une défense complète, une telle poursuite ne saurait être qualifiée de sérieuse ou, selon l’expression utilisée dans Mancini, de [traduction] « non frivole ». Lorsque le recours n’est pas une simple poursuite en dommages-intérêts fondée sur une faute du syndic, le juge doit en conséquence évaluer la nature et la portée du recours à la lumière de la preuve.

 

144                           Ainsi, dans le cas d’une poursuite demandant à la CRTO de déclarer qu’un syndic succède au failli comme employeur, l’examen que fait le juge de faillite lui permet de déterminer l’objectif réel que poursuit le syndicat en présentant cette demande. Ce faisant, le juge de faillite peut concilier les intérêts des employés avec ceux des autres intéressés dans la faillite.

 


145                           L’examen fait par le juge n’a pas pour effet d’accorder un traitement particulier ou différent aux déclarations attribuant la qualité d’employeur successeur. Quel que soit le motif pour lequel un juge autorise une poursuite, le contexte général de la faillite demeure pertinent. Le juge doit jouer un rôle dynamique, anticiper les conséquences de la poursuite et en limiter la portée, au besoin.  Ce filtrage des recours est d’ailleurs l’exercice auquel s’est livré le juge de première instance lorsqu’il a modifié l’ordonnance de nomination du séquestre pour limiter la protection dont jouit le séquestre aux gestes que pose celui-ci dans le contexte de la liquidation des biens. Cette limitation mérite d’être nuancée, par exemple si le débat touche au taux des salaires payés par le syndic. L’exercice auquel s’est livré le juge de première instance constitue cependant un exemple de ce que les juges de faillite peuvent être appelés à accomplir de façon routinière dans leur interaction avec les parties.  Ils peuvent ajuster leur autorisation en fonction des besoins spécifiques de chaque dossier. Dans l’examen du sérieux de la cause d’action, le juge de faillite doit être vigilant et parer aux conflits qui seraient susceptibles d’entraver l’application de la LFI 

 

146                           Dans la présente affaire, la juge Feldman de la Cour d’appel conclut qu’il y a conflit d’application chaque fois que le juge de faillite refuse la permission d’intenter le recours visé au par. 69(2) LRT  :

 

[traduction] Étant donné que le tribunal de faillite peut, lorsque les circonstances le justifient, refuser une demande de permission fondée sur l’art. 215 de la LFI et ainsi empêcher la CRTO de déclarer, en vertu de sa compétence exclusive en la matière, qu’une personne est employeur successeur, il y a en conséquence incompatibilité d’application entre cette disposition et l’art. 69 de la LRT en cas de refus de la permission demandée. En pareil cas, le par. 72(1)  de la LFI  entre alors en jeu, avec pour conséquence que l’art. 215  de la LFI  l’emporte sur le par. 69(12) de la LRT. [par. 69]

 


147                           Je présenterais plutôt cette idée sous une perspective positive.  Le juge qui exerce sa compétence en vertu de l’art. 215 est en mesure d’éviter le conflit d’application.  En s’assurant que les conclusions recherchées n’entravent pas l’application de la LFI et, au besoin, en limitant la portée d’une poursuite fondée sur une loi provinciale, les juges de faillite permettent l’application simultanée de la loi fédérale et des lois provinciales.

 

148                           Si le syndicat ne cherche qu’à assurer le maintien du taux de salaire, la poursuite peut être limitée à cet objet. De même, le problème de la période de validité de la déclaration peut être résolu en précisant que la responsabilité du syndic prend fin lors de la transmission de l’entreprise à l’acquéreur. 

 

149                           Plusieurs cas peuvent être difficiles à évaluer, par exemple le respect de l’ancienneté. De telles questions dépendront des faits propres à chaque faillite et exigeront parfois une évaluation globale de l’incidence de la poursuite.

 

150                           La juge Feldman de la Cour d’appel mentionne les critères suivants :

 

[traduction] Les facteurs appliqués par le tribunal de faillite pour statuer sur une demande présentée  en vertu de l’art. 215 concernent tant des aspects procéduraux que des aspects substantiels du processus. Parmi les facteurs importants, mentionnons : le moment où la requête est présentée, la complexité de la mise sous séquestre et les contraintes auxquelles fait face le séquestre dans l’exécution de ses obligations, la durée possible de la période pendant laquelle le séquestre a l’intention d’exploiter l’entreprise avant qu’elle puisse être vendue (cette période est normalement la plus brève possible), l’existence d’acquéreurs possibles et leur solidité financière et la probabilité qu’un acquéreur soit déclaré employeur successeur et assume la totalité des obligations découlant de la convention collective. Ce dernier facteur peut s’avérer particulièrement important, parce qu’il donnera au syndicat l’assurance concrète que toutes les clauses de la convention collective seront respectées et que les salariés seront protégés. Un autre facteur clé est l’utilité de la procédure devant la CRTO et la possibilité que l’audience devant ce tribunal administratif puisse avoir lieu en temps opportun dans le contexte de l’exploitation temporaire de l’entreprise et de la vente proposées. [par. 58]

 


Ces critères risquent d’être mal appliqués. Ils chevauchent inévitablement ceux qui dicteront la décision sur le fond.  Le juge de faillite doit prendre garde de ne pas se substituer au tribunal qui statuera sur le fond. 

 

151                           L’utilisation des critères suggérés par la juge Feldman comporte un deuxième danger.  Les critères ne font pas mention explicitement des droits des employés. Or, le syndic représente les intérêts de tous les créanciers, y compris les employés. Les critères suggérés doivent donc être replacés dans le contexte de l’exercice d’un recours qui implique nécessairement des contraintes concernant les droits de tous les créanciers. Ils ne peuvent pas être utilisés pour permettre au syndic d’esquiver l’application d’une loi qui crée peut-être une contrainte, mais ne constitue pas une entrave à son travail.  Le juge doit donc conserver à l’esprit que seule une entrave réelle justifie de limiter la portée du recours ou de refuser la permission d’intenter celui-ci.  Sa tâche première consiste donc à s’interroger sur l’effet concret de la demande et non sur quelque effet diffus de celle-ci sur l’administration de la faillite. 

 


152                           Le taux des salaires versés aux employés est un exemple de contrainte liée à l’application de la convention collective qui ne constitue pas habituellement une entrave au travail du syndic. Lorsqu’un syndic retient les services d’employés, il n’a pas nécessairement le droit de réduire leur salaire. En conséquence, si un syndicat veut faire déclarer un syndic successeur du failli dans le seul but de maintenir le taux des salaires et que l’audience devant la cour de faillite ne permet pas de concilier les intérêts des parties, la permission devrait normalement être accordée.  Une ordonnance obligeant le contrôleur à payer les employés rappelés selon les termes prévus à la convention collective a été prononcée dans le contexte de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies . Une telle ordonnance n’entraîne généralement pas de conflit avec les devoirs d’un liquidateur ou d’un syndic : Syndicat national de l’amiante d’Asbestos inc. c. Mine Jeffrey inc., [2003] R.J.Q. 420 (C.A.).

 

153                           L’examen des conséquences d’une déclaration devant le juge de faillite est d’ailleurs de nature à sensibiliser les parties à leurs intérêts respectifs et à créer une atmosphère propice au respect des droits de tous. Le juge doit donc aborder la demande en ayant à l’esprit tous les intérêts en jeu et en acceptant que toute contrainte ne constitue pas nécessairement une entrave au travail du syndic. Une approche trop axée sur la flexibilité requise par le syndic dans sa gestion risquerait d’amener trop facilement à conclure à l’existence d’un conflit et serait peu respectueuse de l’art. 72  LFI .

 

154                           En résumé, le juge appelé à décider s’il y a lieu d’accorder la permission de poursuivre un syndic doit évaluer concrètement la portée du recours recherché, identifier les conflits potentiels et moduler l’autorisation de façon à éviter qu’une poursuite fondée sur le droit provincial n’ait pour effet d’entraver l’exécution des devoirs et responsabilités imposés au syndic par la LFI . La détermination de la portée du recours fait partie de l’évaluation de la cause d’action.  Comme le droit constitutionnel ne tolère pas les conflits de compétence, une poursuite entraînant un conflit constitutionnel n’a pas de fondement juridique. Le juge doit moduler la permission de poursuivre.  Si une telle modulation ne permet pas d’éviter le conflit, il doit alors refuser la permission demandée.

 

6.      Application à l’espèce

 


155                           Ma collègue la juge Abella conclut que la permission de poursuivre doit être accordée. J’estime pour ma part que le dossier doit être réévalué par la Cour supérieure. L’objectif poursuivi par le syndicat n’est pas précisé, sinon pour dire que la poursuite ne vise pas les dettes antérieures à la nomination.  Cette information ne permet pas d’éliminer tous les conflits de compétence potentiels et ne saurait nous autoriser à substituer notre appréciation à celle du juge de première instance.

 

156                           Pour apprécier la nature de l’analyse que le juge de faillite doit faire, il est utile d’exposer les faits de l’affaire.

 

157                           Le 18 janvier 2002, l’intimée Société de crédit commercial GMAC —  Canada (« GMAC »), principale créancière des intimées T.C.T. Logistics Inc. et T.C.T. Warehousing Logistics Inc. (« T.C.T. »), est informée que T.C.T. a gonflé artificiellement ses comptes à recevoir et a obtenu de GMAC des avances dépassant de 21 millions de dollars la valeur des garanties.  Le 24 janvier 2002, à la demande de GMAC, la Cour supérieure de l’Ontario nomme l’intimée KPMG Inc. à titre de séquestre intérimaire aux biens de T.C.T.  L’ordonnance de nomination prévoit qu’aucune procédure ne peut être intentée contre KPMG sans la permission de la Cour supérieure.  L’ordonnance précise aussi que KPMG ne sera pas considérée comme ayant succédé à T.C.T. à titre d’employeur. Le 25 février 2002, T.C.T. fait cession de ses biens.  KPMG est nommée syndic à la faillite. Au moment de la faillite, T.C.T. exploite au Canada et aux États-Unis une entreprise de courtage, logistique, transport et entreposage.  La vente de l’entreprise est considérée urgente (refus de GMAC d’avancer des fonds additionnels, camions dispersés à travers le Canada et les États-Unis, biens périssables en transit ou en entreposage, garde des biens à risque, etc.).

 


158                           T.C.T. emploie 1 357 employés à travers le Canada, y compris des employés syndiqués représentés par 13 syndicats différents. Deux cent vingt-cinq employés travaillent dans la division de l’entreposage qui comprend des entrepôts situés à Edmonton, Calgary et Toronto.  Les activités de ces entrepôts sont encadrées par des conventions collectives visant 78 employés, dont les 42 employés de l’entrepôt de Toronto, qui sont représentés par l’appelant, Syndicat des travailleurs de l’industrie

du bois et leurs alliés, section locale 700 (le « syndicat »). Le 12 avril 2002, KPMG conclut avec Spectrum Supply Chain Solutions Inc. (« Spectrum ») une entente suivant laquelle Spectrum achète certains actifs spécifiques des entrepôts de T.C.T. La lettre d’entente initialement signée par Spectrum et KPMG prévoit que Spectrum exploitera les entrepôts et maintiendra la plupart des emplois.  Toutefois, à la suite de l’examen des actifs, Spectrum estime que deux des entrepôts ne présentent aucun intérêt, dont celui de Toronto, qui est jugé délabré. L’entente finale prévoit que les employés sont licenciés et que Spectrum ne se porte pas cessionnaire du bail de l’entrepôt de Toronto.  Le 16 avril 2002, les employés de Toronto sont informés de l’entente avec Spectrum et du fait que, le 18 avril 2002, KPMG demandera à la Cour supérieure de l’approuver. L’entrepôt de Toronto est fermé le 23 mai 2002.

 

159                           Le 13 mai 2002, le syndicat présente à la CRTO deux requêtes dans lesquelles KPMG est désignée comme intimée. La première vise à faire déclarer Spectrum employeur succédant à T.C.T. et à KPMG suivant le par. 69(2) LRT. La deuxième est une plainte pour pratiques de travail déloyales. KPMG conteste les requêtes, plaidant que toute procédure est suspendue en vertu de l’ordonnance de nomination et de la LFI et que le syndicat n’a pas demandé la permission de la Cour supérieure comme l’exigent l’ordonnance de nomination et l’art. 215  LFI . Le 27 août 2002, la CRTO donne raison au syndic et suspend l’audition des requêtes.


 

160                           Devant la Cour supérieure, le débat ne concerne que KPMG.  La requête du syndicat visant à faire reconnaître Spectrum comme employeur succédant aux obligations de T.C.T. n’est aucunement en cause.

 

161                           Le juge Ground, de la Cour supérieure, livre clairement son opinion sur le fond du recours que le syndicat veut exercer ((2003), 42 C.B.R. (4th) 221).  Il conclut que le syndic n’a agi que comme liquidateur et que, en tant que tel, il ne doit pas être déclaré successeur du failli. Il ne s’interroge pas sur l’objectif concret recherché par le syndicat ou sur la possibilité de réduire la portée du recours qui pourrait être exercé devant la CRTO. De plus, il est impossible de déterminer s’il considère être en présence d’un cas de recours frivole ou n’ayant aucune chance de succès, ou s’il estime que la preuve ne soutient pas prima facie la cause d’action du syndicat.  Quoiqu’il en soit, le juge analyse le fond du dossier comme s’il en était lui-même saisi.

 


162                           Un constat s’impose.  Les conclusions sans réserve sollicitées par le syndicat sont susceptibles d’entraîner des conflits directs avec l’application de la LFI .  Ni les faits consignés au dossier ni les positions avancées par les parties ne permettent à la Cour de procéder à l’examen auquel la Cour supérieure doit se livrer. Le syndicat et GMAC ne s’entendent pas sur la portée de la déclaration attribuant la qualité d’employeur successeur recherchée en l’espèce par le syndicat. Le syndicat ne cherche pas à limiter dans le temps la déclaration attribuant au séquestre et au syndic la qualité d’employeur successeur. Il ne précise pas s’il sollicite une condamnation pécuniaire ou le réengagement de tous les syndiqués dans le contexte de la poursuite pour pratiques de travail déloyales. Le litige porte-t-il seulement sur les salaires ou aussi sur les déplacements de personnel et les licenciements? D’autres questions pourraient être soulevées par les parties, qui connaissent le dossier sous tous ses aspects. Non seulement y a-t-il lieu de vérifier la suffisance de la preuve, mais l’incertitude quant à la portée des recours et à l’objectif réel poursuivi par le syndicat empêche, péremptoirement selon moi, la Cour d’accorder au syndicat la permission qu’il demande et que le juge de la Cour supérieure a refusée.

 

7.      Conclusion

 

163                           Les analyses faites par la Cour d’appel et la Cour supérieure avaient pour effet d’éviter le conflit constitutionnel, mais pouvaient bloquer des recours légitimes. Même dans son rôle de liquidateur, le syndic est souvent tenu de se conformer à des obligations qui lui sont imposées par des lois provinciales.  Toutes les contraintes inhérentes à une poursuite en vue d’obtenir une déclaration attribuant la qualité de successeur à titre d’employeur ne sont pas susceptibles d’entraver l’administration de la faillite.  Les critères suggérés par la Cour supérieure et par la Cour d’appel sont en conséquence trop exigeants. 

 

164                           Je préconise plutôt d’incorporer à l’art. 215 un examen visant à prévenir les conflits constitutionnels.  Cette approche limiterait l’application de la doctrine de la prépondérance aux seuls cas où le recours que le tiers veut exercer entrave la mise en œuvre de la LFI .

 

165                           Par ailleurs, je crois que notre Cour ne devrait pas se substituer à la Cour supérieure dans l’évaluation de la cause d’action et de la suffisance de la preuve. L’évaluation requise par l’art. 215 amène le juge des faits à jouer un rôle actif.  C’est à lui qu’il revient d’évaluer le dossier. 


 

166                           La Cour d’appel a ordonné le renvoi du dossier à la Cour supérieure. Cette décision était judicieuse. Le renvoi du dossier s’impose donc non seulement pour l’évaluation du dossier sous l’angle constitutionnel, mais aussi pour l’examen du sérieux de la cause d’action et de la suffisance de la preuve. Cet exercice plus complet n’a pas été fait par la Cour supérieure. Le dispositif de la Cour d’appel devrait donc être confirmé.

 

167                           Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter les appels principal et incident.

 

Pourvoi accueilli avec dépens, la juge Deschamps est dissidente.  Pourvoi incident rejeté avec dépens.

 

Procureurs de l’appelant/intimé au pourvoi incident : Koskie Minsky, Toronto.

 

Procureurs de l’intimée/appelante au pourvoi incident : Ogilvy Renault, Toronto.

 

Procureurs de l’intimée KPMG Inc. : Goodmans, Toronto.

 



*  Le juge Major n’a pas pris part au jugement.

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