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R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168

 

 

Tomas Yebes Appelant

 

c.

 

Sa Majesté La Reine Intimée

 

répertorié: r. c. yebes

 

No du greffe: 19236.

 

1986: 16 décembre; 1987: 17 septembre.

 

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Estey, McIntyre, Chouinard*, Lamer, Wilson et Le Dain.

 

*Le juge Chouinard n'a pas pris part au jugement.

 

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

 

Droit criminel ‑‑ Appel ‑‑ Verdict déraisonnable ‑‑ Critère ‑‑ Accusé déclaré coupable de meurtre d'après une preuve circonstancielle ‑‑ Interprétation et application de l'art. 613(1) a)(i) du Code criminel .

 

Droit criminel ‑‑ Preuve ‑‑ Suffisance ‑‑ Accusation de meurtre ‑‑ Preuve de mobile et d'occasion ‑‑ L'accusé a‑t‑il eu une occasion exclusive de commettre le crime?

 

Droit criminel ‑‑ Citation des témoins à comparaître ‑‑ Condamnation pour meurtre ‑‑ Le ministère public a‑t‑il omis de citer un témoin essentiel?


Droit criminel ‑‑ Pourvois à la Cour suprême du Canada ‑‑ Compétence ‑‑ Questions de droit ‑‑ Rejet par la Cour d'appel de l'appel de l'accusé fondé sur l'art. 613(1) a)(i) du Code criminel  ‑‑ L'article 613(1)a)(i) soulève‑t‑il une question de droit qui peut être examinée par la Cour suprême aux termes de l'art. 618 du Code criminel ?

 

L'appelant a été accusé de meurtre au premier degré relativement au décès de ses deux fils adoptifs. Par suite des difficultés de son épouse à s'adapter à la présence des deux garçons dans la famille, l'appelant a convenu de quitter la maison familiale avec eux. Toute la famille a continué à se rencontrer pendant la séparation, mais très peu de progrès ont été faits en vue d'une réunion. Son épouse croyait toujours ne pas pouvoir s'habituer à la présence des garçons dans la famille. Selon le témoignage de l'appelant, un soir, après un souper de famille, il a dit à son épouse qu'il ne pouvait plus subvenir aux besoins de deux foyers et qu'ils devaient se réinstaller ensemble. Elle s'est fâchée, mais finalement lui a donné l'impression qu'elle avait accepté. L'épouse et les deux filles sont parties vers 20 h. À ce moment‑là, les deux garçons étaient déjà au lit. L'appelant est monté se coucher vers 22 h et plus tard a été réveillé par une odeur de fumée. Il est descendu et a trouvé les deux garçons couchés sans vie sur un matelas en feu. Un agent de police est arrivé peu après l'appel vers une heure du matin et a remarqué que la porte avant n'était pas verrouillée, ce que l'appelant savait probablement puisqu'il n'a pas tenté d'ouvrir la porte à l'agent.

 

Au procès, un expert en matière d'incendie a déposé que l'incendie avait été allumé de manière délibérée et un pathologiste a témoigné que les deux garçons étaient morts avant le début de l'incendie, mais il n'a pu déterminer la cause exacte du décès. Il a évalué l'heure du décès entre 22 h et minuit trente. L'appelant a témoigné pour son propre compte et a présenté une preuve de moralité selon laquelle il était un père aimable et affectueux qui paraissait être véritablement intéressé au bien‑être des deux garçons. L'épouse de l'appelant n'a pas témoigné.

 


Déclaré coupable de meurtre au deuxième degré, l'appelant a interjeté appel à la Cour d'appel en se fondant sur le sous‑al. 613(1)a)(i) du Code criminel . Cet article permet à une cour d'appel d'admettre l'appel d'une déclaration de culpabilité "si elle est d'avis que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu'il est déraisonnable ou ne peut pas s'appuyer sur la preuve". La Cour d'appel à la majorité a rejeté l'appel. Le présent pourvoi a pour but de déterminer (1) si la Cour d'appel a omis d'appliquer le critère approprié relativement au sous‑al. 613(1)a)(i) du Code lorsque, comme en l'espèce, la preuve contre l'appelant est entièrement circonstancielle, et (2) si la Cour a commis une erreur en ne tenant pas compte de l'absence d'un témoin important, l'épouse de l'appelant, pour déterminer si le verdict est l'un de ceux qu'un jury qui a reçu des directives appropriées et qui agit d'une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre.

 

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

 

Aux termes du sous‑al. 613(1)a)(i) du Code, une cour d'appel est tenue de décider si le verdict du jury était déraisonnable. Bien que cela comporte un nouvel examen des faits, la cour doit également résoudre une question de droit en donnant un contenu juridique à la notion du caractère "déraisonnable". L'application de la disposition comporte donc toujours une question de droit et elle est révisable par cette Cour dans le cadre d'un pourvoi fondé sur l'art. 618 du Code criminel .

 

La fonction d'une cour d'appel, aux termes du sous‑al. 613(1)a)(i) du Code dépasse la simple conclusion qu'il y a des éléments de preuve à l'appui d'une déclaration de culpabilité. La cour doit déterminer d'après l'ensemble de la preuve "si le verdict est l'un de ceux qu'un jury qui a reçu les directives appropriées et qui agit d'une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre". Bien que la cour d'appel ne doive pas simplement substituer son opinion à celle du jury, afin d'appliquer le critère elle doit réexaminer l'effet de la preuve et aussi, dans une certaine mesure, la réévaluer. Ce processus est le même que l'affaire soit fondée sur une preuve circonstancielle ou une preuve directe. En appel, les juges de la majorité ont conclu qu'il y avait suffisamment de preuve pour justifier le verdict et ont rejeté toute déduction rationnelle offrant un autre choix que la conclusion de culpabilité. Par conséquent, il est évident que le droit a été bien interprété et bien appliqué.

 


Lorsque cette Cour examine un pourvoi ou la seule question soulevée porte sur l'application du sous‑al. 613(1)a)(i), elle doit se mettre à la place de la Cour d'appel et, en conformité des pouvoirs attribués dans le par. 623(1) du Code, examiner la question de nouveau et, s'il y a une erreur, rendre l'ordonnance que la Cour d'appel aurait dû rendre. Lorsqu'il est démontré qu'un crime a été commis et que les éléments de preuve incriminants retenus contre l'accusé ont principalement trait à l'occasion, la culpabilité de l'accusé n'est pas la seule déduction rationnelle qui peut en être tirée à moins que l'accusé n'ait eu une occasion exclusive de toute autre possibilité. Dans une affaire où la preuve de l'occasion est accompagnée d'autres éléments de preuve incriminants, une occasion qui n'exclut pas tout à fait une autre possibilité peut suffire. En l'espèce, un examen de la preuve indique qu'on a présenté des éléments de preuve qui permettaient à un jury qui a reçu les directives appropriées de tirer raisonnablement la conclusion que l'appelant avait un mobile pour tuer les garçons et qu'il a eu une occasion de le faire qui exclut toute autre possibilité. Il n'y a aucun élément de preuve de la présence de qui que ce soit d'autre, outre les deux garçons, dans la maison ce soir‑là.

 

Finalement, l'argument de l'appelant selon lequel le ministère public n'a pas cité un témoin, son épouse, essentiel pour la narration de l'histoire doit également échouer. Bien que le ministère public ne puisse pas être tenu de citer un témoin donné, l'omission de le faire peut créer une faille dans sa preuve, ce qui fera en sorte que le ministère public ne se sera pas déchargé de son fardeau de la preuve et permettra à l'accusé de demander un acquittement. Toutefois, en l'espèce l'argument selon lequel l'épouse de l'appelant avait quelque chose à dire pour compléter la narration des événements ne repose sur rien d'autre que la spéculation et il n'y a aucun élément de preuve qui indique qu'elle était présente ou savait ce qui s'était produit.

 

Jurisprudence

 

Arrêts appliqués: Corbett c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 275; Mahoney c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 834; arrêts mentionnés: Lemay v. The King, [1952] 1 R.C.S. 232; R. v. Ferianz (1962), 37 C.R. 37; R. v. MacFarlane (1981), 61 C.C.C. (2d) 458; R. v. Monteleone (1982), 67 C.C.C. (2d) 489; R. v. Stevens (1984), 11 C.C.C. (3d) 518; Imrich c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 622.

 


Lois et règlements cités

 

Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 613(1)a)(i), 618 [mod. 1974‑75‑76, chap. 105, art. 18], 623(1).

 

 

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique rendu le 5 février 1985 qui a rejeté l'appel de l'accusé contre sa déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré. Pourvoi rejeté.

 

Thomas R. Braidwood, c.r., pour l'appelant.

 

John E. Hall, c.r., pour l'intimée.

 

Version française du jugement de la Cour rendu par

 

1                             Le juge McIntyre‑‑L'appelant a été déclaré coupable devant un juge et un jury du meurtre de ses deux enfants adoptifs. Il a formé un pourvoi devant cette Cour pour le motif que le verdict devrait être annulé aux termes du sous‑al. 613(1)a)(i) du Code criminel  qui permet à une cour d'appel d'admettre l'appel d'une déclaration de culpabilité "si elle est d'avis que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu'il est déraisonnable ou ne peut pas s'appuyer sur la preuve". La question posée à cette Cour porte donc sur l'interprétation et l'application appropriées du sous‑al. 613(1)a)(i) du Code.

 


2                             L'appelant, Tomas Yebes, un coiffeur, et son épouse, Elvira, vivaient dans la municipalité de Surrey près de Vancouver avec leurs deux filles, l'une née en 1971 et l'autre en 1973. Depuis un certain temps, M. et Mme Yebes se préoccupaient du triste sort des jeunes enfants dans les pays plus pauvres et, en 1977, ils ont entrepris de longues procédures pour adopter deux enfants chiliens. En 1979, deux garçons ont été amenés au Canada pour vivre avec la famille Yebes en vue de leur adoption officielle. Gabriel, un des garçons, était né en septembre 1974 et l'autre, Yerko (Tommy), en septembre 1975. Les garçons ne se sont apparemment pas intégrés aussi facilement que l'on espérait dans leur nouveau foyer. Madame Yebes s'est plainte des difficultés qu'elle éprouvait avec les garçons parce que ceux‑ci n'acceptaient pas les règles qu'elle avait établies pour la famille et ne s'y conformaient pas. Monsieur Yebes a pensé que son épouse était trop stricte avec les garçons. Ces différends ont fini par dégénérer en un véritable conflit familial et, en juillet 1981, M. et Mme Yebes ont demandé l'aide d'un psychiatre. Toutefois, cette aide professionnelle ne leur a pas permis de résoudre leurs problèmes. En septembre 1981, au moment où les garçons ont été adoptés officiellement, Mme Yebes était rendue au point où elle ne pouvait désormais plus tolérer leur présence dans sa maison et le couple a convenu de se séparer pendant une période de trois à six mois. Madame Yebes est demeurée dans la maison familiale avec les deux filles et M. Yebes a déménagé avec les deux garçons dans une maison en rangée située dans un projet domiciliaire à une courte distance de la maison familiale. Monsieur Yebes a assumé la responsabilité de l'entretien des garçons, du loyer de la maison en rangée, de l'hypothèque de la maison familiale et des factures des services publics. De plus, il s'est occupé des garçons, en préparant leurs repas, en veillant à ce qu'ils fréquentent l'école et il s'est occupé de les faire garder pendant son travail. Madame Yebes a puisé dans ses économies pour subvenir à ses besoins et à ceux des deux filles.

 

3                             Toute la famille a continué à se voir pendant la séparation. Il y a eu des dîners de famille et des visites, mais très peu de progrès ont été faits en vue d'une réunion complète et la situation inquiétait et préoccupait à la fois M. et Mme Yebes. Il semble qu'ils voulaient tous deux mettre fin à la séparation, mais Mme Yebes redoutait la présence des garçons. Elle ne croyait pas pouvoir s'habituer à leur présence dans la famille et a exprimé le désir qu'ils soient remis en adoption. Le 28 janvier 1982, M. Yebes s'est renseigné au sujet de la remise en adoption et, après avoir appris qu'il y aurait des délais et des problèmes, il a demandé à un travailleur familial de lui donner une lettre indiquant que les garçons ne pouvaient être remis en adoption. Ceci, a‑t‑il expliqué, convaincrait peut‑être Mme Yebes d'accepter les garçons et de faire en sorte que la famille soit réunie. Cela faisait bientôt six mois qu'ils étaient séparés et M. Yebes a admis qu'il devait bientôt se réinstaller avec son épouse parce que le bail de sa maison en rangée expirait à la fin de février.

 


4                             Voilà la situation au 23 février 1982. Selon la preuve, M. Yebes et son épouse avaient organisé un souper pour toute la famille ce soir‑là, à la maison en rangée. Monsieur Yebes est allé chercher les garçons à la garderie vers 18 h et les a ramenés à la maison en rangée. Madame Yebes et les deux filles sont arrivées vers 18 h 10. La famille a soupé vers 18 h 30 et ensuite Yebes et son épouse sont allés dans la chambre à coucher et ont parlé pendant une demi‑heure de leur situation familiale. Au procès, Yebes a décrit dans son témoignage la conversation qu'il a eue avec son épouse de la manière suivante:

 

[TRADUCTION]  J'ai dit à mon épouse que nous devions nous réinstaller ensemble. Je lui ai dit que pour des raisons financières nous ne pouvions demeurer séparés. Je ne pouvais plus subvenir aux besoins de deux foyers pendant longtemps. Je lui ai dit qu'il n'y avait pas d'autres solutions. Nous devions nous réinstaller ensemble et elle s'est mise à pleurer puis s'est fâchée, mais s'est calmée et m'a donné l'impression qu'elle avait accepté ce que je lui avais dit. Ensuite, nous sommes redescendus.

 

5                             Madame Yebes a quitté la maison en rangée entre 20 h et 20 h 05 pour assister à une rencontre de chefs de familles monoparentales quelque part à Surrey. Elle a emmené les deux filles avec elle et il n'y a aucun élément de preuve de sa présence dans la maison en rangée après son départ jusqu'au moment où elle est revenue à la demande de Yebes après l'arrivée de la police et la découverte des corps des deux garçons.

 


6                             Selon le témoignage de Yebes, les garçons étaient déjà au lit lorsque son épouse et ses deux filles ont quitté la maison en rangée vers 20 h. Tommy, le cadet, dormait à l'étage dans la chambre voisine de celle de Yebes et Gabriel dormait au rez‑de‑chaussée sur un matelas dans une petite pièce de rangement. Auparavant, les garçons dormaient dans des lits superposés à l'étage mais, selon Yebes, il a jugé qu'il était nécessaire de les séparer parce qu'ils se gardaient éveillés l'un l'autre. Yebes a dit qu'il est allé se coucher vers 22 h dans la chambre principale à l'étage. Il a mis un casque d'écoute muni d'un long fil qui allait au rez‑de‑chaussée jusqu'à l'appareil stéréo pour écouter de la musique au lit. Il est descendu vers 22 h 45 pour changer le ruban magnétique. Il est revenu à sa chambre et après un certain temps s'est endormi pour se réveiller plus tard en entendant un bruit. Pensant qu'il s'agissait d'un des garçons qui allait à la salle de bains ou l'un des voisins dans un appartement mitoyen, il s'est rendormi. éveillé une deuxième fois par une odeur de fumée, il est descendu pensant qu'il s'agissait de sa pipe et a constaté que la pièce était remplie de fumée. Il est allé vers la pièce de rangement où Gabriel dormait et a pu ouvrir la porte. À l'intérieur, il a vu les deux garçons couchés sur le matelas en feu. Ils étaient sous les draps et semblaient ne pas avoir tenté de s'échapper. Il a essayé de tirer un des garçons à l'extérieur mais, rendu dans le salon, il a remarqué que le corps du garçon était raide et sans vie. Il a alors appelé la police.

 

7                             Le sergent Shaw de la G.R.C. a reçu l'appel vers une heure du matin le 24 février. Il est arrivé quelques minutes plus tard. À son arrivée, Yebes était à une fenêtre à l'étage et criait [TRADUCTION]  "C'est ici, c'est ici". L'agent est entré par la porte avant qui était fermée mais non verrouillée, ce que Yebes savait probablement, puisqu'il n'a pas tenté d'ouvrir la porte à l'agent. L'agent de police a immédiatement monté l'escalier qui menait à l'étage et au salon qui était rempli de fumée. Il a tout de suite remarqué que l'un des garçons était à l'extérieur de la pièce de rangement. De toute évidence, le garçon était mort. Il a regardé à l'intérieur de la pièce de rangement et a vu que le deuxième garçon mort, lui aussi, était couché à plat ventre sur le matelas. Le matelas était toujours en feu avec des flammes visibles. Pendant que l'agent faisait ces constatations, Yebes parlait avec son épouse au téléphone. Shaw l'a entendu lui dire, [TRADUCTION]  "Ils sont morts, ils sont morts".

 

8                             Un autre policier, l'agent Harrington, est arrivé avec les pompiers qui ont éteint le matelas en feu. Harrington a remarqué que M. Yebes semblait perdu et indifférent. Madame Yebes est arrivée et a parlé à M. Yebes pendant environ dix minutes. Après cette conversation, Harrington a escorté M. Yebes jusqu'à une voiture de police pour qu'il fasse une déclaration. Après avoir fait sa déclaration, Yebes a fait remarquer qu'il s'était brûlé aux mains et aux pieds en tentant de secourir les garçons et Harrington l'a emmené à l'hôpital pour qu'il soit soigné.

 


9                             Au cours de l'enquête, les policiers ont découvert une tache de sang séchée imprégnant sur les draps du lit où Tommy dormait à l'étage. Par la suite, des examens ont indiqué que le sang correspondait à la formule sanguine de Tommy. Ils ont également découvert une tache humide dans le lit. Le sergent Shaw a cru qu'il s'agissait d'urine, mais cela n'a jamais été confirmé parce que le laboratoire de la police n'était pas équipé pour faire un examen d'urine. Les policiers ont trouvé un briquet au butane au rez‑de‑chaussée dans la pièce de rangement. Le briquet était ouvert dans une position qui permettait au gaz butane de s'échapper. Le briquet a fait des étincelles lorsqu'on l'a essayé, mais il n'a pas produit de flamme. On l'a ensuite rempli de butane à l'aide d'un contenant placé sur la cheminée et on l'a essayé à nouveau. Il s'est allumé immédiatement et a produit une flamme de six pouces. Lorsqu'on a montré le briquet à M. Yebes, il a reconnu que c'était le sien, mais a déclaré qu'[TRADUCTION]  "il ne fonctionnait pas depuis longtemps". Au procès, il a expliqué qu'il avait dit cela parce que le briquet avait une fuite et normalement se vidait une demi‑heure après le plein de butane.

 

10                           Au procès, un expert en matière d'incendie, M. Hardman, a été cité comme témoin au sujet de la cause de l'incendie. Il a conclu que l'incendie avait été allumé de manière délibérée. Il a déposé que la brûlure sur le matelas indiquait que le feu n'avait pas débuté à un seul endroit pour se répandre. Il avait plutôt été mis à trois endroits distincts. La forme de la brûlure indiquait en outre que le feu avait été allumé au moyen d'un catalyseur liquide inflammable, comme de l'essence, du diluant pour peinture ou de l'alcool, bien qu'on n'ait trouvé aucun contenant sur les lieux ou alentour. Monsieur Hardman était convaincu que l'incendie n'avait pas pu être causé uniquement par le briquet au butane. Il a également conclu qu'il n'y avait aucun élément de preuve que l'incendie soit dû à une explosion ou à une inflammation subite.

 


11                           D'autres témoignages d'experts ont clairement établi que les deux garçons étaient morts avant le début de l'incendie. On a effectué des tests d'incendie dans la pièce de rangement en brûlant un matelas dans des conditions contrôlées. Ces tests ont révélé que l'incendie du 23 février aurait produit une grande quantité de monoxyde de carbone, de cyanure d'hydrogène et de suie quelques minutes après avoir été allumé. Un toxicologue a examiné les échantillons de sang prélevés sur les garçons et n'a trouvé que de très petites traces, qui n'excédaient pas les niveaux normaux, de monoxyde de carbone dans l'hémoglobine et aucune trace de cyanure d'hydrogène. Il a également examiné le sang pour découvrir la présence d'une grande gamme de poisons et de drogues et n'en a trouvé aucun. Le 24 février 1982, on a effectué une autopsie sur les corps des deux garçons. Le pathologiste, le Dr Cave, a examiné la bouche, la gorge et les poumons des enfants et n'a trouvé aucune trace de particules ou de taches de carbone. De plus, il n'a trouvé aucune indication de calcination des corps, ce qui se produit lorsque la mort est causée par un feu à inflammation subite. En se fondant sur ses constatations et celles du toxicologue, le Dr Cave a conclu que les garçons devaient être morts avant le début de l'incendie. Bien que le Dr Cave ait pu exclure le feu comme cause du décès, il n'a pu en déterminer la cause exacte en raison de l'état des corps. Aucun élément de preuve ne laissait penser que les garçons étaient morts de cause naturelle et les circonstances elles‑mêmes semblaient écarter cette possibilité. Toutefois, le Dr Cave a été en mesure de déclarer que l'état des corps était compatible avec un décès par asphyxie. Le docteur Cave a tenté d'évaluer l'heure du décès par l'examen du contenu de l'estomac. Il a dit qu'il s'agissait d'une méthode imprécise pour déterminer le moment du décès mais, en se fondant sur ses constatations, il a estimé qu'il était peu probable que les garçons aient été en vie quatre à six heures après leur dernier repas. La preuve a démontré que leur dernier repas avait été pris vers 18 h 30 ce qui place le moment du décès au plus tard à minuit trente et peut‑être avant 22 h 30.

 

12                           Lorsque les policiers ont appris que les garçons n'étaient pas décédés des suites de l'incendie, ils ont immédiatement interrogé M. et Mme Yebes. Le bouleversement de M. Yebes au début de l'interrogatoire s'est encore aggravé lorsqu'il a décrit sa découverte des corps. Lorsque l'agent de police, le sergent Tilley, lui a dit que les éléments de preuve indiquaient que les garçons n'étaient pas décédés à cause de l'incendie, M. Yebes s'est complètement effondré.

 


13                           Au procès, on a également présenté des éléments de preuve relatifs à un événement qui s'est produit le 7 février 1982, environ deux semaines avant le décès des garçons. Monsieur Yebes a appelé la police cette nuit‑là pour se plaindre qu'un feu avait été allumé dans la chambre des garçons voisine de la sienne. Lorsqu'un agent de police est arrivé, il a trouvé une chandelle sur un plateau dans la chambre et des indications montrant il y avait eu un feu. Les garçons ont expliqué que le feu avait été allumé par un "monstre" qui se trouvait dans la chambre. L'agent a examiné les lieux et n'a trouvé aucune indication d'effraction par les portes ou les fenêtres. Il a également examiné la clôture à l'extérieur qui aurait pu avoir été utilisée par un intrus pour avoir accès à la fenêtre de la chambre, mais la nouvelle couche de gel sur la clôture était intacte. Il a conclu que les garçons avaient joué avec le feu et avaient raconté l'histoire du monstre pour éviter d'être réprimandés.

 

14                           Un autre élément de preuve mérite d'être souligné. Au procès, on a demandé à M. Yebes s'il avait verrouillé la porte avant le soir du décès des garçons. Monsieur Yebes a répondu que, bien qu'il ne pût précisément se souvenir d'avoir verrouillé la porte ce soir‑là, il verrouillait la porte chaque soir et, par conséquent, il croyait qu'il avait dû la verrouiller cette nuit‑là également. On lui a alors demandé s'il avait ouvert la porte à un moment donné cette nuit‑là et il a répondu par la négative. D'après cet élément de preuve, on aurait pu s'attendre à ce que la porte ait été verrouillée lorsque le sergent Shaw est arrivé cette nuit‑là et, ce qui est plus important, on aurait pu s'attendre à ce que Yebes croie que la porte était verrouillée. Toutefois, lorsque Shaw est arrivé, la porte n'était pas verrouillée et Yebes paraissait le savoir puisqu'il n'est pas descendu pour faire entrer le policier. Plutôt, il a simplement crié de l'étage à l'agent, [TRADUCTION]  "C'est ici, c'est ici".

 

15                           Yebes a été accusé en vertu de deux chefs d'accusation de meurtre au premier degré par suite du décès des deux garçons. Il a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré relativement à chaque chef devant le juge Wallace siégeant avec un jury. Il a témoigné pour son propre compte et a présenté une preuve de moralité selon laquelle il était un père attentionné et affectueux qui paraissait être véritablement intéressé au bien‑être des deux garçons. La preuve a également révélé les efforts que Yebes et son épouse ont déployés pour adopter les garçons et s'occuper d'eux. Madame Yebes n'a pas témoigné au procès.

 


16                           L'appel à la Cour d'appel de la Colombie‑ Britannique, composée des juges Craig, Macdonald et Hutcheon, a été rejeté, le juge Hutcheon étant dissident. Le seul moyen d'appel invoqué en Cour d'appel portait que le verdict aurait dû être rejeté pour le motif qu'il était déraisonnable ou qu'il ne pouvait s'appuyer sur la preuve, aux termes du sous‑al. 613(1)a)(i) du Code criminel . Le juge Craig a suivi l'arrêt Corbett c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 275, et a dit que le critère qui découle du sous‑al. 613(1)a)(i) est de savoir "si le verdict est l'un de ceux qu'un jury qui a reçu les directives appropriées et qui agit d'une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre". Il a conclu que le verdict était raisonnable en déclarant:

 

[TRADUCTION]  Bien que je croie que le jury aurait pu raisonnablement conclure que Yebes avait un mobile pour causer la mort des deux garçons en l'espèce, je crois également que le jury pouvait raisonnablement conclure que, peu importe le mobile, l'occasion que Yebes a eue de commettre le crime excluait toute autre possibilité. Le mobile est sans importance si l'on démontre que l'occasion de commettre le crime exclut toute autre possibilité: Imrich v. The Queen (1977) 75 D.L.R. (3d) 243.

 

Il a en outre rejeté l'argument de l'avocat de l'appelant selon lequel le ministère public ne pouvait se fonder sur l'argument de l'occasion exclusive de toute autre possibilité parce qu'il n'avait pas cité Mme Yebes. Suivant l'arrêt Lemay v. The King, [1952] 1 R.C.S. 232, a dit:

 

[TRADUCTION]  ... l'avocat de la poursuite est complètement libre de décider quels témoins il doit citer et la Cour ne doit pas entraver l'exercice de ce pourvoi discrétionnaire «...à moins qu'on puisse démontrer que le poursuivant a agi ainsi pour des motifs détournés» (le juge Kerwin à la p. 240), ou «...dans la mesure où il l'exerce de manière équitable...» (le juge Davey dans R. v. Haase (1965), 45 C.R. 113 à la p. 119). L'avocat de la défense n'a pas laisser entendre au procès ou en appel que, en ne citant pas Mme Yebes comme témoin, le substitut «...influencé par des motifs détournés ...» a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière non équitable.

 

17                           Le juge Macdonald a convenu que l'arrêt Corbett, précité, était l'arrêt applicable en l'espèce bien qu'il ait exprimé des doutes au sujet des différences apparentes dans les formulations du critère relatif au sous‑al. 613(1)a)(i) qui se trouvent dans la décision du juge Pigeon. Il a dit que:

 

[TRADUCTION]  En ce qui a trait au présent appel, je conviens avec le juge Craig que douze jurés raisonnables, agissant d'une manière judiciaire, auraient pu trouver l'appelant coupable du meurtre des garçons. Je désirerais ajouter une seule observation à l'égard de l'élément de l'occasion. La déclaration suivante tirée du mémoire de l'intimé, à laquelle j'ai ajouté les mots qui sont soulignés, est valide:

 


"La réalité en l'espèce est que seul l'accusé était présent dans cette maison avec les deux enfants. On ne peut avec réalisme suggérer qu'une personne a pu entrer par effraction ou simplement entrer dans la maison, commettre le meurtre des enfants, les placer sur un matelas et allumer l'incendie. Rien dans la preuve ne laisse entendre qu'un tel événement ou série d'événements se soient produits ni même qu'ils aient pu se produire sans que l'accusé n'ait eu connaissance du bruit produit par ces actes."

 

18                           Le juge Hutcheon, dissident, a également admis que l'arrêt Corbett s'appliquait mais, comme le juge Macdonald, il a conclu que la déclaration du juge Pigeon sur le droit était quelque peu imprécise. Dans l'arrêt Corbett, le juge Pigeon a dit à la p. 279 que le critère du sous‑al. 613(1)a)(i) du Code criminel  est de savoir si "le verdict est tel qu'aucun jury composé de douze hommes raisonnables jugeant de façon judiciaire n'aurait pu aboutir au verdict rendu". Plus loin, à la p. 282, il a dit que le critère est de savoir "si le verdict est l'un de ceux qu'un jury qui a reçu les directives appropriées et qui agit d'une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre." Le juge Hutcheon a pensé que le terme "possibly" dans la version anglaise du premier énoncé n'était pas approprié et il a adopté le deuxième énoncé du juge Pigeon comme étant un énoncé plus fidèle du droit. Appliquant ce critère, il a conclu que le verdict du jury était déraisonnable. Il a exprimé l'avis que la preuve du mobile n'était pas importante et qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour justifier de conclure que Yebes a eu une occasion de commettre le crime exclusive de toute autre possibilité. Finalement, il a dit que [TRADUCTION] "l'effet cumulatif des faits sur lesquels sont fondés le mobile et l'occasion de commettre le crime n'appuie pas" la proposition que la culpabilité de Yebes constituait la seule déduction rationnelle qui pouvait se dégager de la preuve.

 

19                           Devant cette Cour, l'appelant a soulevé trois moyens, mais ils peuvent être plus commodément exprimés en deux propositions. D'abord, la Cour d'appel n'a pas appliqué le bon critère relativement au sous‑al. 613(1)a)(i) du Code lorsque, comme en l'espèce, la preuve contre l'appelant est entièrement circonstancielle. Ensuite, la Cour a commis une erreur en ne tenant pas compte de l'absence d'un témoin important (Mme Yebes) pour déterminer si le verdict est l'un de ceux qu'un jury qui a reçu les directives appropriées et qui agit d'une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre. L'exposé du juge du procès au jury n'a pas été contesté.

 


20                           En règle générale, le verdict prononcé au procès sera maintenu lorsqu'on aura présenté au jury des éléments de preuve qui démontrent tous les éléments de l'infraction et lorsque le juge du procès aura donné des directives appropriées au jury sur toutes les questions de droit qui sont soulevées dans l'affaire et aura fait les renvois à la preuve qui sont nécessaires pour faciliter l'application du droit aux faits. Toutefois, le sous‑al. 613(1)a)(i) du Code criminel  prévoit un moyen additionnel pour contester le verdict prononcé au procès. Une cour d'appel peut accueillir l'appel d'une déclaration de culpabilité si elle est d'avis que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu'il est déraisonnable ou ne peut pas s'appuyer sur la preuve. On peut croire que ce sous‑alinéa dans un sens strict ne soulève pas une question de droit qui accorderait un droit d'appel devant cette Cour aux termes de l'al. 618(1)a) du Code. De fait, le ministère public intimé a soutenu dans son mémoire que les trois juges de la Cour d'appel étaient d'accord sur tous les points de droit. Toutefois, il n'a pas insisté sur cet argument à l'audition du pourvoi et, à mon avis, il ne peut être soutenu. Il est souvent difficile d'établir clairement une distinction entre une question de droit et une question de fait. Bien que le droit puisse être énoncé de manière isolée par rapport aux faits, les principes abstraits de droit qui ne sont pas reliés aux faits sont vagues et flous. Même lorsque deux juges exposent des principes de droit en utilisant exactement les mêmes termes, chacun peut en réalité avoir une interprétation différente du droit et des exigences relatives à son application. Par conséquent, la question de savoir si un appel soulève une question de droit ne peut être tranchée qu'après un examen des principes de droit et l'application du droit aux faits par les cours d'instance inférieure. Aux termes du sous‑al. 613(1)a)(i) du Code, la Cour d'appel est tenue de décider si le verdict du jury est déraisonnable. Bien que cela comporte un nouvel examen des faits, la cour doit également résoudre une question de droit en donnant un contenu juridique à la notion du caractère "déraisonnable". C'est ce qu'a conclu récemment cette Cour dans l'affaire Mahoney c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 834, dans lequel on lui demandait de trancher la question de savoir si une question de droit était soulevée par la disposition du sous‑al. 613(1)b)(iii) qui permet à la Cour de rejeter un appel nonobstant une erreur de droit commise au procès, à la condition "qu'aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne [se soit] produit". Parlant au nom du juge en chef Laskin, des juges Ritchie et Estey et en mon nom personnel, j'ai dit, aux pp. 852 et 853:

 


La jurisprudence citée indique clairement, à mon avis, que cette Cour considère depuis longtemps que l'application de la disposition comporte une question de droit et elle a entendu des pourvois où on alléguait qu'une erreur avait été commise en l'appliquant. On a démontré que la disposition ne peut être appliquée que par suite d'une décision en droit selon laquelle des erreurs ont été commises au procès mais qu'"aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s'est produit", et alors seulement selon un critère juridique strict. La détermination de ce qui constitue un tort important ou une erreur judiciaire grave doit comporter l'interprétation de ces termes en fonction du contexte dans lequel ils sont employés dans le Code et une telle interprétation du Code est considérée depuis longtemps comme une question de droit. La décision de la Cour comporte une analyse des droits dont l'accusé jouit en vertu de la loi et une appréciation de l'effet des erreurs commises au procès. Dès qu'un appelant établit en cour d'appel que des erreurs de droit ont été commises à son procès, il a droit à ce que son appel soit accueilli et il a aussi droit à un nouveau procès ou à un acquittement, selon les circonstances, à moins que la disposition ne soit appliquée pour annuler ces droits. La cour d'appel doit examiner les erreurs en fonction de l'ensemble du procès. Même si cela comporte un nouvel examen de la preuve, il est évident que cet examen va bien au delà de la détermination de questions de fait. La Cour d'appel doit concrétiser la notion d'"erreur judiciaire" et cela comporte une décision sur un point de droit. Pour tous ces motifs, je suis d'avis que l'application de la disposition comporte toujours une question de droit et qu'elle est révisable en cette Cour dans le cadre d'un pourvoi fondé sur l'art. 618 du Code criminel . [Je souligne.]

 

Le juge Lamer, parlant au nom du juge Dickson (maintenant Juge en chef) et en son nom propre a dit aux pp. 857 et 858:

 

J'estime que, par ses arrêts, cette Cour a fait de l'application du sous‑al. 613(1)b)(iii) une question de droit. En effet, il ressort de l'article pris isolément que la décision de la Cour d'appel est une question mixte de droit et de fait. Mais cette Cour a posé comme condition préalable à l'application de la disposition du sous‑al. 613(1)b)(iii) par les cours d'appel que celles‑ci concluent d'abord qu'un jury ayant reçu des directives appropriées n'aurait pu raisonnablement prononcer l'acquittement. (Voir, notamment, le juge Spence dans l'arrêt Colpitts c. La Reine, [1965] R.C.S. 739.) À mon avis, une telle conclusion est tout autant une décision sur une question de droit que celle à laquelle en vient le juge du procès avant d'ordonner un verdict d'acquittement lorsqu'il conclut que [TRADUCTION]  "à cause de la nature douteuse de la preuve", aucun jury ne pourrait raisonnablement prononcer un verdict de culpabilité. (R. c. Comba, [1938] R.C.S. 396.)

 

Bien que les motifs de la majorité dans l'arrêt Mahoney aient été fondés sur le sous‑al. 613(1)b)(iii), je suis d'avis qu'ils s'appliquent également au sous‑al. 613(1)a)(i) et, suivant ces motifs, j'estime donc que le sous‑al. 613(1)a)(i) soulève une question de droit qui peut être révisée par cette Cour aux termes de l'art. 618 du Code criminel .

 


21                           L'arrêt Corbett c. La Reine, précité, fait autorité sur la question de l'applicabilité du sous‑al. 613(1)a)(i) du Code criminel . Dans cet arrêt, Corbett a été déclaré coupable de meurtre. Le témoin principal était l'épouse de la victime. Elle avait été blessée par le meurtrier immédiatement après que son mari se soit fait abattre, mais trois jours plus tard elle était en mesure d'identifier Corbett comme le meurtrier. Toutefois, il y avait quelques divergences entre sa déposition et le témoignage des autres témoins. Appel a été interjeté à la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique sur le fondement que les divergences dans la preuve rendaient le verdict "déraisonnable" aux fins du sous‑al. 613(1)a)(i). L'appel a été rejeté avec une dissidence concernant l'application du sous‑al. 613(1)a)(i) du Code. En cette Cour, le juge Pigeon parlant au nom de la majorité formée également des juges Abbott, Martland, Judson et Dickson, les juges Spence et Laskin étant dissidents, a dit que la dissidence en Cour d'appel n'était pas une dissidence sur une question de droit mais uniquement sur l'application du droit. Cela a soulevé la même question que celle à laquelle j'ai déjà fait allusion. En répondant à un argument de l'appelant selon lequel les juges de la majorité de la Cour d'appel dans leur interprétation du sous‑al. 613(1)a)(i) ont commis une erreur en se demandant simplement s'il y avait des éléments de preuve plutôt que de tirer leur propre conclusion sur la force probante des éléments de preuve, il a dit, aux pp. 278 et 279:

 

Naturellement, si les juges de la majorité avaient jugé que leur rôle était seulement de déterminer s'il y avait preuve à l'appui du verdict, il y aurait là erreur donnant lieu à cassation. Le code prévoit expressément que l'appel peut être admis, non seulement lorsque le verdict est rendu sans aucune preuve mais également lorsqu'il est déraisonnable. En d'autres termes, la Cour d'appel doit s'assurer non seulement qu'il existe une preuve exigeant que l'affaire soit soumise au jury, mais également que le poids de cette preuve n'est pas si faible qu'un verdict de culpabilité soit déraisonnable. Cela ne veut pas dire que la Cour d'appel doit substituer son opinion à celle du jury. Le texte de loi dit bien "déraisonnable", et non pas "injustifié". Ce sont les membres du jury qui jugent les faits et leur conclusion ne doit pas être écartée simplement parce que les juges de la cour d'appel ne pensent pas qu'ils auraient eux‑mêmes abouti à la même conclusion s'ils avaient siégé comme membres du jury. La conclusion du jury ne peut être rejetée que si la Cour d'appel arrive à la conclusion que le verdict est tel qu'aucun jury composé de douze hommes raisonnables jugeant de façon judiciaire n'aurait pu aboutir au verdict rendu. [Je souligne.]

 

Plus loin, à la p. 280, il a dit:

 

À mon avis, rien ne permet de déduire que le savant juge a considéré seulement la question de savoir s'il y avait une preuve à l'appui du verdict. S'il n'y avait eu aucune preuve, le devoir du savant juge de première instance aurait été de ne pas soumettre au jury l'examen de l'affaire. Ce n'est pas la question qui a été examinée. Le point traité reposait sur la prémisse que l'affaire avait été à bon droit soumise au jury. Ce qu'on s'est demandé, en fait, c'est si le jury pouvait raisonnablement répondre "coupable", et, à mon avis, c'était le critère voulu en Cour d'appel.


Et pour arriver à sa conclusion, il a dit à la p. 282:

 

Je ne pense pas que ce que je viens de citer signifie que le rôle de la Cour d'appel soit de statuer selon ce que ses membres pensent qu'ils auraient décidé s'ils avaient siégé en tant que jury, de telle sorte que, s'ils ne sont pas convaincus qu'ils auraient rendu le même verdict, ils doivent le trouver déraisonnable. Si c'est ce qu'a voulu dire le savant juge, alors je dois être en désaccord avec lui car ce n'est pas le critère voulu. Comme on l'a déjà signalé, la question est de savoir si le verdict est déraisonnable, non s'il est injustifié. Le rôle de la Cour n'est pas de se substituer au jury mais de décider si le verdict est l'un de ceux qu'un jury qui a reçu les directives appropriées et qui agit d'une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre. [Je souligne.]

 

22                           Ces passages, particulièrement les parties soulignées, ont amené une certaine incertitude concernant la norme de révision qui doit être utilisée en vertu de l'art. 613  du Code criminel . Comme je l'ai indiqué précédemment, les juges de la Cour d'appel ont été gênés par les différences apparentes dans ces passages et ont tenté de les résoudre. Le juge Hutcheon, dissident, a conclu que le terme "possibly" utilisé en anglais dans le premier passage, n'était pas approprié et que le dernier des passages cités énonçait le droit d'une manière plus fidèle. Par ailleurs, le juge Macdonald, après avoir cité le premier des passages mentionnés ci‑dessus, a dit en laissant entendre qu'il se résignait:

 

[TRADUCTION]  Ainsi, il s'agit de la formulation définitive de l'exigence du sous‑alinéa. Je crois que, comme juge de cette Cour, je dois simplement m'efforcer de l'appliquer, en laissant à la Cour suprême le soin de l'élucider.

 


23                           Je m'empresse de l'élucider. Je conviens avec le juge Hutcheon que le terme "possibly" dans la version anglaise n'est pas approprié dans ce contexte. À mon avis, l'adoption littérale de la proposition que la Cour d'appel ne peut que se demander si le jury aurait peut‑être pu rendre le verdict contesté aurait pour effet de rendre presque impossible la révision en appel aux termes du paragraphe. L'expression "aurait pu raisonnablement rendre" doit constituer le critère et d'après l'interprétation de l'ensemble du jugement du juge Pigeon, je suis d'avis que c'est ce qui était visé. Le concept du caractère raisonnable est clairement exprimé dans l'article qui mentionne un verdict déraisonnable. Par conséquent, il doit y avoir révision judiciaire chaque fois que le jury dépasse une norme raisonnable. À mon avis, donc, l'arrêt Corbett constitue l'arrêt applicable et le critère est celui de savoir "si le verdict est l'un de ceux qu'un jury qui a reçu les directives appropriées et qui agit d'une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre".

 

24                           Bien qu'il ne conteste pas l'autorité de l'arrêt Corbett, l'appelant soutient qu'il a été mal appliqué en l'espèce dans une affaire qui dépend entièrement d'une preuve circonstancielle. Il soutient que, avant qu'un jury puisse déclarer un accusé coupable en vertu d'une preuve purement circonstancielle, il doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que les circonstances établies dans la preuve n'entraînent aucune autre conclusion rationnelle que celle que l'accusé est coupable. Le critère est quelquefois énoncé d'une manière un peu différente mais il a le même effet: les circonstances doivent appuyer la culpabilité et rejeter l'innocence. L'appelant soutient que les juges de la Cour d'appel à la majorité ont commis une erreur en n'appliquant pas ce critère.

 

25                           À mon avis, les juges de la Cour d'appel à la majorité ont bien appliqué les principes appropriés en ce qui a trait au traitement de la preuve circonstancielle. La fonction de la Cour d'appel, aux termes du sous‑al. 613(1)a)(i) du Code criminel , dépasse la simple conclusion qu'il y a des éléments de preuve à l'appui d'une déclaration de culpabilité. La Cour doit déterminer d'après l'ensemble de la preuve si le verdict est l'un de ceux qu'un jury qui a reçu les directives appropriées et qui agit d'une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre. Bien que la Cour d'appel ne doive pas simplement substituer son opinion à celle du jury, afin d'appliquer le critère elle doit réexaminer l'effet de la preuve et aussi dans une certaine mesure la réévaluer. Ce processus sera le même que l'affaire soit fondée sur une preuve circonstancielle ou une preuve directe. En Cour d'appel, les juges de la majorité ont clairement conclu qu'il y avait suffisamment d'éléments de preuve pour justifier le verdict et les juges Macdonald et Craig ont tous deux rejeté toute déduction rationnelle offrant un autre choix que la conclusion de culpabilité. Par conséquent, il est évident que le droit a été bien interprété et bien appliqué.

 


26                           Lorsque cette Cour examine un pourvoi où la seule question soulevée est celle de l'application du sous‑al. 613(1)a)(i) du Code, elle doit se mettre à la place de la Cour d'appel et, en conformité des pouvoirs attribués dans le par. 623(1) du Code, examiner la question de nouveau et, s'il y a une erreur, rendre l'ordonnance que la Cour d'appel aurait dû rendre. Dans la poursuite de cet objectif, je peux dire qu'on avait présenté des éléments de preuve au jury qui lui permettait raisonnablement de conclure que les deux garçons étaient décédés avant qu'on ait mis le feu au matelas et qu'ils ne sont pas décédés de causes naturelles. On a présenté des éléments de preuve en vertu desquels le jury pouvait raisonnablement conclure que le feu mis au matelas n'était pas accidentel mais avait été allumé par la main de l'homme avec l'aide d'un catalyseur. Il y avait des éléments de preuve qui permettaient au jury de conclure raisonnablement que l'appelant Yebes avait un mobile pour tuer les garçons et qu'il a eu l'occasion de le faire. S'il n'y avait eu aucun autre élément de preuve à l'appui des arguments du ministère public, il n'y aurait aucun doute que l'appelant aurait le droit d'être acquitté, car la seule preuve d'un mobile ne serait pas suffisante pour fonder une déclaration de culpabilité et ajouter l'occasion au mobile, en l'absence de tout autre élément de preuve, ne donnera pas plus de poids aux arguments s'il n'y a pas preuve d'une occasion exclusive de toute autre possibilité. C'est ce qu'a conclu le juge McLennan dans l'arrêt R. v. Ferianz (1962), 37 C.R. 37 (C.A. Ont.) Les deux accusés dans cette affaire étaient copropriétaires d'un immeuble et il avait été clairement établi qu'un incendie avait été délibérément allumé dans l'immeuble. Le seul élément de preuve retenu contre l'accusé était une preuve de mobile et d'occasion. Le juge McLennan, au nom de la cour, composée également du juge en chef Porter de l'Ontario et du juge Kelly, a dit à la p. 39:

 

[TRADUCTION]  Le seul élément de preuve contre les accusés en vertu du premier chef de complot en vue de commettre un crime d'incendie était le mobile et l'occasion. Le mobile avancé était le produit de l'assurance et l'occasion avancée était que l'un ou l'autre des accusés ou les deux seraient revenus de Windsor vers Kingsville et auraient mis le feu ou auraient engagé quelqu'un pour le faire. Il n'y avait aucun élément de preuve à cet effet et il n'y avait aucun élément de preuve de rapports entre l'un ou l'autre accusé et une personne inconnue qui aurait pu allumer l'incendie. Au moins une autre personne avait un mobile au moins aussi fort que celui de l'accusé.

 

Bien que le mobile puisse être un élément important joint à d'autres faits probants et significatifs pour établir la culpabilité, le mobile en soi, pris de façon isolée, n'équivaut à rien ou à presque rien pour prouver que l'accusé a commis le crime dont il est accusé en vertu du premier chef d'accusation: Best on Evidence, 12th ed. 3845.

 


La preuve de l'occasion, à moins qu'elle ne soit une occasion exclusive de toute autre possibilité, est à peu près sur le même pied que la preuve du mobile. La simple occasion n'est pas acceptée à titre de corroboration lorsque la corroboration est nécessaire ou souhaitable: Burbury v. Jackson, [1917] 1 K.B. 16, 25 Cox C.C. 555 à la p. 558, Forsythe v. The King, [1943] R.C.S. 98, 79 C.C.C. 129, [1943] 2 D.L.R. 737, 5 Abr. Con. (2nd) 361. Les accusés ou une personne engagée par l'un d'eux ne sont pas les seules personnes qui ont eu l'occasion de commettre le crime. Logiquement, quiconque se trouvait dans l'immeuble vers minuit avait l'occasion de le commettre.

 

À notre avis, même si on considère l'effet cumulatif de l'occasion de commettre le crime et du mobile en l'espèce, cela n'est pas suffisant pour justifier une déclaration de culpabilité en vertu du chef d'accusation de complot en vue de commettre le crime d'incendie.

 

Le même principe a été énoncé plus récemment dans l'arrêt R. v. MacFarlane (1981), 61 C.C.C. (2d) 458 (C.A. Ont.), où le juge Martin au nom de la Cour, composée également des juges Weather‑ ston et Morden, a dit à la p. 460:

 

[TRADUCTION]  En l'absence de toute autre circonstance reliant l'appelant au fait d'avoir mis le feu, il incombait au ministère public, pour appuyer la déclaration de culpabilité, de démontrer que l'occasion qu'il a eue d'allumer un incendie exclut toute autre possibilité. Il y avait des éléments de preuve dont le jury pouvait conclure que l'appelant a eu une occasion de mettre le feu qui excluait toute autre possibilité, mais les éléments de preuve n'étaient pas assez probants pour imposer cette conclusion. Le juge du procès a dit au jury que la preuve à charge contre l'appelant était fondée sur l'occasion et le mobile et à notre avis cette directive peut avoir incité le jury à conclure que ces circonstances étaient suffisantes en l'absence d'une directive claire quant à la nécessité de démontrer l'occasion exclusive de toute autre possibilité pour justifier une déclaration de culpabilité.

 

Dans ces circonstances, il était nécessaire de donner une directive prudente selon laquelle, à moins qu'il n'arrive à la conclusion que l'appelant a eu une occasion de mettre le feu qui exclut toute autre possibilité, le jury ne pouvait prononcer une déclaration de culpabilité. À notre avis, l'omission du juge du procès dans les circonstances de l'espèce de donner des directives claires au jury sur cette question, équivaut à des directives erronées. Bien qu'il y eût sans doute certains éléments de preuve relatifs au mobile, ils étaient d'un poids négligeable étant donné que, d'après les faits révélés au dossier, il n'y avait aucun élément de preuve clair que l'appelant allait tirer un avantage pécuniaire de l'incendie. Le juge du procès aurait dû l'établir clairement à l'intention du jury.

 


On peut alors conclure que, lorsqu'il est démontré qu'un crime a été commis et que les éléments de preuve incriminants retenus contre l'accusé ont principalement trait à l'occasion, la culpabilité de l'accusé n'est pas la seule déduction rationnelle qui peut en être tirée à moins que l'accusé ait eu une occasion exclusive de toute autre possibilité de le commettre. Toutefois, dans une affaire où la preuve de l'occasion est accompagnée d'autres éléments de preuve incriminants, une occasion qui n'exclut pas tout à fait toute autre possibilité peut suffire. C'est l'opinion exprimée par le juge Lacourcière dans l'arrêt R. v. Monteleone (1982), 67 C.C.C. (2d) 489 (C.A. Ont.), à la p. 493, où il a dit:

 

[TRADUCTION]  Il n'est pas obligatoire que la poursuite démontre que l'intimé a eu, dans une affaire où d'autres circonstances incriminantes sont démontrées, une occasion qui exclut toute autre possibilité.

 

Cette opinion est également appuyée par d'autres observations du juge Martin dans l'arrêt R. v. Stevens (1984), 11 C.C.C. (3d) 518 aux pp. 534 et suiv., et voir également Imrich c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 622, le juge Ritchie à la p. 627.

 


27                           Étant donné qu'aucun élément de preuve en l'espèce ne relie directement Yebes au décès des enfants, la question qui se pose maintenant est la suivante: Pendant la période pertinente, l'appelant a‑t‑il eu une occasion de commettre le crime de meurtre qui exclut toute autre possibilité? Il est établi de manière incontestable dans la preuve que, après le souper auquel assistaient Mme Yebes et ses filles avec Yebes et les garçons dans la maison en rangée, celles‑ci sont parties entre 20 h et 20 h 05 ce soir‑là, laissant Yebes et les deux garçons seuls dans la maison. Il n'y a absolument aucun élément de preuve que Mme Yebes et ses filles ou toute autre personne étaient présentes dans la maison jusqu'à l'arrivée du sergent Shaw vers une heure du matin. La preuve médicale a démontré que les garçons ont été tués avant le début de l'incendie par une intervention humaine et que leur décès ne s'est pas produit après minuit trente, mais peut‑être avant 22 h 30. L'état de l'incendie dans le matelas et l'état des corps à l'arrivée des policiers à une heure du matin indiquent qu'ils sont décédés plus près de 22 h 30 que de minuit trente. Ce soir‑là, la porte principale de la maison en rangée a été fermée mais n'a pas été verrouillée. Yebes a déposé qu'habituellement il verrouillait cette porte avant d'aller se coucher. Il n'a pu se rappeler s'il l'avait verrouillée ce soir‑là, mais a présumé qu'il l'avait fait. Il ne se souvient pas d'avoir ouvert la porte à un moment donné ce soir‑là. Yebes a témoigné qu'il n'avait pas donné de clé de la maison en rangée à son épouse mais que cette clé se trouvait sur le porte‑clés avec ses clés de voiture et que, à l'occasion, Mme Yebes conduisait la voiture et avait eu accès à la clé. Aucun élément de preuve n'indique où se trouvait la clé la nuit en question mais il y a des éléments de preuve selon lesquels Yebes savait que la porte n'était pas verrouillée. Lorsque le policier est arrivé, Yebes l'a appelé de la fenêtre de l'étage, en criant [TRADUCTION]  "C'est ici, c'est ici". L'agent de police est entré par la porte non verrouillée. Yebes n'a fait aucun geste pour aller lui ouvrir la porte. Il n'y a aucun élément de preuve de la présence d'autres personnes, outre les deux garçons, dans la maison en rangée ce soir‑là. Seule la porte avant non verrouillée peut soulever une question en ce qui a trait à l'occasion exclusive de toute autre possibilité. Je suis d'avis qu'on a présenté des éléments de preuve qui permettaient à un jury qui a reçu les directives appropriées de tirer raisonnablement la conclusion que Yebes a eu une occasion de tuer les garçons qui exclut toute autre possibilité. Je fais mienne l'observation du juge Macdonald citée précédemment selon laquelle la réalité est que seul Yebes a eu l'occasion de même que le mobile de commettre les crimes qui lui sont reprochés. À mon avis, le premier moyen d'appel doit par conséquent échouer.

 

28                           L'autre moyen portant que le ministère public n'a pas cité un témoin essentiel pour la narration de l'histoire, soit Mme Yebes, doit également échouer à mon avis. Le ministère public a le pouvoir discrétionnaire de choisir les témoins qui seront cités lorsqu'il présentera sa preuve à la cour. On ne doit pas intervenir à cet égard à moins que le ministère public ne l'ait exercé pour une raison détournée ou inappropriée: voir Lemay v. The King, précité. En l'espèce aucun motif inapproprié n'est allégué. Bien que le ministère public ne puisse pas être tenu de citer un témoin donné, l'omission de le faire peut créer une faille dans sa preuve, ce qui fera en sorte qu'il ne se sera pas déchargé de son fardeau de la preuve et permettra à l'accusé de demander un acquittement. C'est en ce sens que l'on peut s'attendre que le ministère public cite tous les témoins essentiels à la narration des événements sur lesquels sa preuve est fondée. L'appelant soutient en l'espèce que l'omission de citer Mme Yebes à titre de témoin à charge constitue justement une telle faille de la part du ministère public et permettait d'arriver à une autre conclusion rationnelle que celle de la culpabilité de Yebes. On a soutenu pour le compte de Yebes devant cette Cour que Mme Yebes avait un plus grand mobile que lui pour commettre le crime et avait également eu l'occasion de le faire. Elle aurait dû être citée pour compléter comme il se doit la narration des événements.


29                           Il me semble que cet argument est fondé sur de la pure spéculation. Il dit que Mme Yebes aurait dû être citée pour compléter la narration des événements qui se sont produits dans la maison en rangée ce soir‑là alors qu'absolument aucun élément de preuve n'indique qu'elle était présente ou savait ce qui s'était produit. L'hypothèse selon laquelle Mme Yebes avait quelque chose à dire pour compléter la narration des événements n'est pas fondée sur la preuve et ne repose sur rien d'autre que la spéculation.

 

30                           Qu'est‑ce que Mme Yebes aurait pu ajouter à la narration des événements? Toute l'histoire tragique de ces enfants et de la famille a été présentée à la cour par d'autres témoins. Les faits qui ont abouti au souper du 23 février ont tous été présentés à la cour, ainsi que les préoccupations et les attitudes de Mme Yebes qui ont été clairement exprimées par Yebes et les autres témoins, y compris des médecins et des travailleurs sociaux. Sa seule contribution à la narration des événements se rapporterait à ce qui s'est produit après son départ de la maison vers 20 h et il n'y a aucun élément de preuve, et rien ne laisse entendre, qu'elle était présente au moment des décès et qu'elle en aurait été au courant. En fin de compte, tout ce qu'elle aurait pu ajouter aurait été la simple affirmation qu'elle n'avait pas tué les garçons.

 

31                           Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis que la majorité en Cour d'appel n'a pas commis d'erreur dans son application du sous‑al. 613(1)a)(i) du Code criminel . Elle a correctement appliqué le critère énoncé dans l'arrêt Corbett et je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

 

Pourvoi rejeté.

 

Procureurs de l'appelant: Braidwood, Nuttall, MacKenzie, Brewer, Greyell & Company, Vancouver.

 

Procureurs de l'intimée: DuMoulin Black, Vancouver.

 

 

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