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Cour suprême du Canada

Droit municipal—Règlements—Disposition de la Loi municipale sur les permis et la réglementation des garages publics autorisant l’adoption d’un règlement imposant des restrictions sur les lieux d’exploitation—Le pouvoir d’autoriser par permis ou de réglementer une entreprise ou commerce précis comprend-il les règlements relatifs a l’aménagement des lieux où le commerce ou l’entreprise est exploité?—The Municipal Act, R.S.O. 1970, chap. 284, art. 354(1), par. 131.

Le règlement municipal contesté par l’appelante prévoit l’érection d’une clôture ou la plantation d’une haie en bordure du terrain des garages publics sauf sur les côtés qui donnent sur une rue. Ce règlement a été édicté par la municipalité intimée en vertu d’une disposition de The Municipal Act qui permet l’adoption de règlement «pour autoriser par permis et réglementer les activités des propriétaires ou exploitants de garages publics¼». La question litigieuse est de savoir si une municipalité qui a le pouvoir d’adopter des règlements pour «autoriser par permis et réglementer» des entreprises et des commerces précis peut inclure dans ses règlements des dispositions concernant l’aménagement des lieux où l’entreprise ou le commerce est exploité.

La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la décision du juge de première instance qui a conclu que la restriction était de nature réglementaire et relevait du pouvoir dont jouit la municipalité d’autoriser par permis et de réglementer.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

La disposition contestée du règlement de l’intimée ne porte pas sur l’entreprise qui est autorisée et réglementée; elle n’a rien à voir avec la nature de l’entreprise ni avec aucun élément qui touche son exploitation. Au contraire, elle porte sur des considérations d’ordre esthétique pour la propriété sur laquelle l’entreprise est exploitée. Même si le fait d’exiger que les lieux utilisés comme garages publics soient clos ou entourés d’une haie d’une manière satisfaisante ne constitue pas une

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restriction de l’usage de la propriété, il ne s’ensuit pas que pareille exigence constitue une réglementation de l’entreprise autorisée.

Jurisprudence: arrêt suivi: Re Cities Service Oil Co. Ltd. and City of Kingston (1956), 5 D.L.R. (2d) 126.


POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1], qui a rejeté un appel du jugement du juge Maloney. Pourvoi accueilli.

John T. Morin et Gavin MacKenzie, pour l’appelante.

Gaston Carbonneau, pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE EN CHEF—Brièvement, la question litigieuse en l’espèce est de savoir si une municipalité qui a le pouvoir d’adopter des règlements [TRADUCTION] «pour autoriser par permis et réglementer» des entreprises et des commerces précis, tels les propriétaires ou exploitants de garages publics, peut inclure dans ces règlements des dispositions concernant l’aménagement des lieux où l’entreprise ou le commerce est exploité, par exemple en exigeant une clôture fermée ou une haie en bordure du terrain sauf sur les côtés qui donnent sur la rue.

La présente affaire découle d’une modification apportée au règlement de la municipalité intimée, édictée sous le régime du par. 354(1), al. 131 de The Municipal Act, R.S.O. 1970, chap. 284. Cette disposition se trouve dans la partie de The Municipal Act intitulée [TRADUCTION] «Commerces et entreprises» et établit que des règlements peuvent être adoptés [TRADUCTION] «pour autoriser par permis et réglementer les activités des propriétaires ou exploitants de garages publics, pour établir les droits à payer pour ces permis, pour les révoquer, pour frapper de pénalités les infractions à ce règlement et pour leur recouvrement». Voici le texte de la disposition contestée de ce règlement modifié:

[TRADUCTION] Tout requérant ou détenteur de permis doit:

¼

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ériger et entretenir une clôture fermée de six pieds de hauteur construite de matériaux et d’une façon approuvée par l’inspecteur, ou planter et entretenir une haie d’une hauteur minimale de quatre pieds et d’une hauteur maximale de six pieds, en bordure du terrain à l’exception de la ou des limites qui donnent sur une rue.

La question de la validité de cette modalité du règlement est venue à audience devant le juge Maloney qui a voulu établir une distinction avec le jugement du juge en chef McRuer de la Haute Cour dans Re Cities Service Oil Co. Ltd. and City of Kingston[2]. Il conclu comme suit:


[TRADUCTION] A mon avis, une exigence portant qu’un terrain occupé et utilisé comme garage public doit être clos d’une certaine façon, n’est pas un règlement qui restreint l’usage du terrain sur lequel l’entreprise est exploitée; il s’agit plutôt, essentiellement, d’une restriction de nature réglementaire qui relève du pouvoir dont jouit la municipalité d’autoriser par permis et de réglementer les activités des exploitants de garages publics.

La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé cette opinion dans de courts motifs oraux. Cette Cour a autorisé ce pourvoi étant donné qu’on l’a avisée que la question est d’une grande importance dans plusieurs municipalités de l’Ontario.

L’appelante fait valoir que la disposition contestée du règlement vise l’usage du terrain sur lequel l’entreprise autorisée est exploitée et que ce genre de disposition relève de l’art. 35 de The Planning Act, R.S.O. 1970, chap. 349. Les règlements adoptés en vertu de l’art. 35 doivent être approuvés par la Commission municipale de l’Ontario. On ajoute que d’autres dispositions de The Municipal Act, par ex. le par. 354(1), al. 19-24, autorisent l’adoption de règlements concernant les clôtures et que l’al. 35a de The Planning Act accorde également des pouvoirs exprès aux municipalités à cet égard. Toutefois elle s’est surtout appuyée sur le principe qui se dégagerait de l’affaire Cities Service Oil dont je vais examiner maintenant les principes.

Cette affaire portait sur l’exercice par une municipalité d’un pouvoir analogue à celui qu’a exercé l’intimée en l’espèce, savoir, un pouvoir d’adopter des règlements autorisant par permis, réglemen-

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tant et régissant les activités des propriétaires ou exploitants de stations-service. Le règlement contesté dans l’affaire Cities Service Oil prévoyait notamment à l’art. 3 une largeur minimale particulière le long de la rue (al. b)) et certaines distances minimales entre les îlots de pompes à essence et la rue ainsi que des distances minimales supérieures entre le bâtiment de la station-service et la rue (al. c)). Une demande de cassation de l’art. 3 du règlement (ainsi que de l’art. 4 qui y était intimement lié) est venue à audience devant le juge en chef McRuer de la Haute Cour qui a cassé ces dispositions. Il dit, dans ses motifs, à la p. 130.


[TRADUCTION] Bien que je ne sois pas appelé à établir jusqu’où un conseil municipal peut aller dans l’adoption de règlements sur la délivrance de permis qui peuvent restreindre dans une certaine mesure l’usage de la propriété, je suis convaincu que l’al. 3b) constitue une restriction de l’usage de la propriété qui ne peut être adoptée qu’en vertu de l’art. 390 de The Municipal Act. Il n’a évidemment rien à voir avec le propriétaire ou l’exploitant de la station-service. Il vise l’usage auquel le bien-fonds peut être affecté pour une station-service et il exige, comme condition préalable à l’obtention d’un permis, que le terrain sur lequel la station-service est située ait une largeur minimale de 150 pieds linéaires le long de la rue, à l’exception des terrains en coin où la largeur minimale le long de la rue est de 100 pieds. A mon avis, cela constitue une restriction sur l’usage du bien-fonds par opposition à une mesure qui réglemente ou régit les activités des propriétaires ou exploitants de stations-service. Confirmer ce règlement accorderait aux municipalités un pouvoir, sous le couvert d’autorisation par permis, d’adopter des règlements restrictifs qui pourraient avoir des répercussions très importantes. Il est bien possible qu’il soit peu souhaitable dans de nombreuses localités qu’une station-service soit située sur un terrain d’une largeur inférieure à 150 pieds ou d’une superficie inférieure à 10,000 pieds carrés; mais ce n’est pas une question qui, à mon avis, peut être réglementée en vertu des pouvoirs sur la délivrance de permis. C’est quelque chose que le conseil a le pouvoir de réglementer par l’exercice des pouvoirs que lui confère l’art. 390 avec l’approbation de la Commission municipale.

Puis, à la p. 131, il a parlé de:

[TRADUCTION] ¼la distinction entre un règlement qui prévoit l’autorisation par permis, la réglementation et la régie des propriétaires et exploitants de stations-service aux fins de régler la nature d’une entreprise et la façon

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dont elle est exploitée sur une propriété déterminée, et un règlement qui tend à restreindre l’usage auquel cette propriété est affectée et à limiter les dimensions de la propriété sur laquelle une entreprise particulière est exploitée. Il en résulte nécessairement qu’un règlement qui exige que des bâtiments soient à une certaine distance de la rue ne peut être adopté en vertu du pouvoir d’autoriser par permis que détient un conseil municipal. Cela étant, la totalité de l’art. 3 est à mon avis invalide.

A mon avis, le principe qui se dégage du jugement dans l’affaire Cities Service Oil, principe que j’accepte, s’applique en l’espèce. La disposition contestée du règlement de l’intimée ne porte pas sur l’entreprise qui est autorisée et réglementée; elle n’a rien à voir avec la nature de l’entreprise ni avec aucun élément qui touche son exploitation. Au contraire, elle porte sur des considérations d’ordre esthétique, sur l’apparence extérieure de la propriété sur laquelle l’entreprise est exploitée. Elle exige un aménagement attrayant pour le voisinage dans le sens qu’elle protège les propriétés avoisinantes ou les isole jusqu’à un certain point d’un garage public adjacent. Que la présence d’une clôture ou d’une haie soit souhaitable n’est pas la question qu’il faut trancher; il s’agit plutôt de savoir si le règlement relève du seul pouvoir en vertu duquel il est autorisé.


Le juge Maloney a cherché à établir une distinction avec Cities Service Oil, mais je ne peux accepter sa caractérisation de la disposition contestée. Même si le savant juge avait raison de dire qu’exiger que les lieux utilisés comme garages publics soient clos ou entourés d’une haie ne constitue pas une restriction de l’usage de la propriété, il n’en résulterait pas, à mon avis, que pareille exigence constitue une réglementation de l’entreprise autorisée. On n’a pas prétendu que cette disposition pouvait être validée, même si elle est invalide en elle-même, parce qu’elle est entourée d’autres modalités valides du règlement. L’avocat de l’intimée a paru adopter une position de cette nature en signalant d’autres dispositions qu’il prétend valides, dont une requiert l’éclairage des lieux si l’entreprise est exploitée après la tombée du jour. Je n’éprouve aucune difficulté à voir là une réglementation de l’entreprise, mais on ne peut qualifier de la même façon l’obligation d’ériger et

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d’entretenir une clôture ou une haie en bordure de la propriété sur les côtés qui ne donnent pas sur la rue.

L’avocat de l’appelante a signalé d’autres dispositions du règlement dont la validité, pretend‑il, est douteuse, mais elles ne sont pas en cause dans ce pourvoi et je m’abstiens de les examiner. Etant d’avis que la disposition contestée ne relève pas du pouvoir d’autoriser par permis et de réglementer que l’on a invoqué à son appui, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer les décisions des cours d’instance inférieure et d’ordonner que la disposition contestée soit rayée parce qu’elle est ultra vires. L’appelante à droit à ses dépens dans toutes les cours.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Campbell, Godfrey & Lewtas, Toronto.

Procureurs de l’intimée: Filion, DeGagné & Gascon, Vanier.

 

 



[1] (1979), 106 D.L.R. (3d) 706; (1979), 27 O.R. (2d) 415.

[2] (1956), 5 D.L.R. (2d) 126.

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