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Cour suprême du Canada

Contrats—Formation—Acceptation—Transmission de l’acceptation—Contre-offre paraphée dans le délai prévu—Lettre d’acceptation datée, mise à la poste et reçue après l’expédition du délai—Lettre d’accompagnement de la contre-offre demandant de la retourner dès que possible—L’acceptation réelle créet-elle un contrat valide?

Ce pourvoi soulève la question de savoir si une promesse de vente exécutoire d’un terrain a été conclue par l’échange de lettres entre la demanderesse acquéreur (Kingsmont) et la défenderesse venderesse (Nu-Towne). Kingsmont a fait une contre-offre et a terminé la lettre d’accompagnement en proposant «de faire parapher ces modifications et [d’en] retourner un exemplaire dès que possible». Même si Nu-Towne a paraphé le document dans le délai prescrit, Kingsmont a estimé que l’acceptation était tardive parce que la lettre d’acceptation a été datée et mise à la poste après l’expiration du délai. Kingsmont a demandé que le dépôt lui soit retourné et a intenté l’action lorsque Nu-Towne a refusé de le faire.

Le juge de première instance a rejeté l’action, concluant qu’il existait un contrat valide. La Cour d’appel a cependant renversé cette décision et a décidé qu’il n’y avait pas eu acceptation dans le délai prescrit. La question soumise à la Cour porte sur l’effet, s’il en est, de la lettre d’accompagnement de la contre-offre sur les dispositions du projet de convention prévoyant le délai d’acceptation.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Les négociations entre les parties ont abouti à une entente précise et soigneusement rédigée sous la forme

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d’une convention. Après avoir reçu de Nu-Towne la lettre du 20 août 1976 et son contenu, Kingsmont était d’accord avec l’essentiel du projet et n’y a apporté que des modifications peu importantes avant de le retourner signé et paraphé. Les derniers mots de la lettre de Kingsmont demandant d’envoyer dès que possible un exemplaire paraphé confirment que Kingsmont a pris pour acquis que les modifications seraient acceptées et qu’il y aurait alors entente entre les parties. De même, les derniers mots de la lettre de Kingsmont indiquent que l’envoi sans retard du document paraphé serait accepté en exécution de toute disposition d’acceptation expresse prévue au projet de convention. Nu-Towne a accepté le projet de convention, l’a paraphé et l’a retourné.

Jurisprudence: Adams v. Lindsell (1818), l.B. & Ald. 681.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1], qui a accueilli un appel à l’encontre du jugement du juge Griffiths. Pourvoi accueilli.

Timothy E.G. Fellowes, c.r., pour l’appelante Nu-Towne Developments Incorporated.

Alan J. Lenczner, pour l’intimée Kingsmont Properties Limited.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE MCINTYRE—Ce pourvoi soulève la question de savoir si une promesse de vente exécutoire d’un certain bien-fonds a été conclue par l’échange de lettres entre la demanderesse Kingsmont Properties Limited (Kingsmont), l’acquéreur, et la défenderesse Nu-Towne Developments Incorporated (Nu-Towne), la venderesse. A l’origine, d’autres parties s’étaient jointes à l’instance, mais toutes ont été mises hors de cause ou ont accepté de régler leurs réclamations à l’amiable. Les seules parties qui restent à l’instance sont Kingsmont et Nu-Towne.

Les parties se sont entendues sur les faits que le juge de première instance a exposés dans les motifs de son jugement. On peut les résumer facilement. Depuis longtemps, Kingsmont, à titre d’acquéreur, et Nu-Towne, à titre de venderesse, négociaient

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l’achat et la vente de vingt-trois parcelles de terrain à bâtir. Au cours des négociations, la demanderesse Kingsmont a remis aux défendeurs un chèque au montant de $20,000 portant la date du 10 novembre 1975. Cette somme était remise à titre d’acompte advenant la conclusion d’une promesse de vente. Le 20 août 1976, les procureurs de Nu-Towne, la venderesse éventuelle, ont écrit en ces termes aux avocats de l’acquéreur Kingsmont:

[TRADUCTION] Mes clients m’informent que les parties concernées ont tenu des négociations privées et qu’elles sont parvenues à une entente modifiée.

Par conséquent, conformément aux instructions de mes clients, j’ai rédigé de nouveau le projet de convention, dont je vous transmets par la présente deux exemplaires aux fins de signature par l’acquéreur. Comme des modifications importantes y ont été apportées depuis le début des négociations, auriez-vous l’obligeance de faire parapher chaque page du projet et de l’annexe «A».


Le projet doit être signé au plus tard le 27 août 1976. Vous voudrez bien m’en faire parvenir un exemplaire dûment signé au moment opportun.

Le 20 août 1976, Nu-Towne a signé, en sa qualité de venderesse, le projet de convention accompagnant cette lettre. La lettre et le projet de convention équivalaient donc à une offre de Nu-Towne de vendre à Kingsmont. La clause 12 du projet de convention prévoyait que l’offre devait être acceptée au plus tard le 27 août 1976; sinon, elle serait nulle. La clause 2 prévoyait la retenue de l’acompte de $20,000 déjà mentionné tant que la convention ne serait pas signée et son retour à Kingsmont avec intérêt si elle n’était pas signée pour tout motif autre que le défaut de Kingsmont.

Dans une lettre en date du 27 août 1976, le procureur de Kingsmont a retourné les deux exemplaires du projet de convention qu’il avait reçus comme je l’ai déjà mentionné et que Kingsmont avait signés le même jour. La lettre dit:

[TRADUCTION] Nous incluons deux exemplaires de la promesse de vente signés par l’acquéreur. Veuillez remarquer les modifications apportées à la clause 4, portant au 30 septembre 1976 la date de signature du contrat de vente, et aux clauses 4b) et 12. Auriez-vous l’obligeance de faire parapher ces modifications et de nous retourner un exemplaire dès que possible.

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Plusieurs modifications avaient été apportées au projet de convention et avaient été paraphées par les deux représentants de Kingsmont autorisés à signer. Les conditions suivant lesquelles l’acompte était retenu n’ont pas été modifiées, mais la date d’acceptation à la clause 12 a été changée. La nouvelle clause 12 se lit:

[TRADUCTION] 12. La présente offre doit être acceptée au plus tard le 1er septembre 1976, sinon elle sera nulle; si elle est acceptée dans ce délai, elle constituera une promesse de vente exécutoire. Il est entendu qu’aucune déclaration, garantie, entente accessoire ou condition ne s’appliquent à la présente convention ou à l’immeuble si ce n’est celles qui y sont prévues par écrit.


Même si le document que les parties se sont échangées, de la façon que j’ai exposée, était rédigé sous forme de promesse de vente d’un bien-fonds, les clauses 12 et 19 mentionnent une offre qui exige une acceptation. C’est sur ce fondement que la question a été plaidée et tranchée en première instance et en Cour d’appel et plaidée devant cette Cour. J’aborde la question de la même façon. Le retour du projet de convention portant les modifications mentionnées ci-dessus constitue une contre-offre, puisque la convention n’a pas été réellement acceptée dans sa forme première; il s’agit d’une offre de contracter à de nouvelles conditions.

Le 1er septembre 1976, les représentants autorisés de Nu-Towne ont examiné et paraphé les diverses modifications, indiquant ainsi leur acceptation. Par lettre en date du 2 septembre 1976, un exemplaire signé de la convention a été expédié à la demanderesse Kingsmont. Il s’agit d’un envoi par courrier recommandé, posté à Chatham le 3 septembre 1976, qui est arrivé au bureau de poste de Toronto le 4 septembre 1976 et que l’avocat de Kingsmont a reçu le 7 septembre 1976. Dans une lettre en date du 8 septembre 1976, Kingsmont a demandé que le dépôt lui soit retourné puisque la contre‑offre n’avait pas été acceptée dans le délai prescrit. Sa demande a été refusée et elle a intenté une poursuite.

En première instance, l’action a été rejetée. Les parties ont accepté l’opinion du juge de première instance que, pour qu’une promesse de vente exécutoire puisse exister, il doit y avoir acceptation de

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l’offre et communication de cette acceptation à la personne qui a fait l’offre. Selon le juge, les avocats ont convenu que la conduite des parties en l’espèce a établi la poste comme mode convenu de communication de cette acceptation, et si on applique la règle d’acceptation par la poste énoncée dans l’arrêt Adams v. Lindsell[2], il y aurait acceptation à la date de mise à la poste de la lettre contenant la convention paraphée, c.-à-d. le 3 septembre 1976. On peut rappeler ici que selon cette règle l’acceptation serait tardive et sans effet. Cependant, le juge a conclu que l’offre a été acceptée lorsque les représentants de Nu-Towne ont paraphé les modifications le 1er septembre 1976. Dans sa lettre du 27 août 1976, la demanderesse Kingsmont avait établi ce mode d’acceptation et, en outre, elle avait établi le mode de communication, soit par courrier, et le délai pour communiquer l’acceptation en terminant par les mots suivants: [TRADUCTION] «Auriez-vous l’obligeance de faire parapher ces modifications et de nous retourner un exemplaire dès que possible.» Puisque la date d’acceptation était énoncée de façon précise, le juge a estimé que les derniers mots de la lettre ne pouvaient se rapporter qu’au délai prévu pour la communication de l’acceptation. Il était évident que Nu-Towne avait retourné le document le plus tôt possible et, par conséquent, qu’elle avait accepté la contre-offre et fait part de son acceptation de la façon et dans le délai prévus. Le juge a donc rejeté l’action de la demanderesse.

La Cour d’appel de l’Ontario (le juge en chef Howland et les juges Weatherston et Morden) a accueilli l’appel. Le juge Morden, à l’avis duquel le juge en chef Howland a souscrit, a estimé que les mots «doit être acceptée» à la clause 12 du projet de convention comprenaient l’acte qui consiste à communiquer l’acceptation, et qu’il ne convenait pas de donner à la dernière phrase de la lettre du 27 août 1976 une interprétation qui [TRADUCTION] «¼modifie de quelque façon, par contrat ou par fin de non-recevoir, les termes et la portée de la clause 12». Le juge Weatherston, dissident, a interprété la lettre du 27 août 1976 dans le sens que les modalités de l’accord devaient être accep-

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tées au plus tard le 1er septembre, mais que la communication de l’acceptation devait se faire dans un délai raisonnable.

Il est évident que les faits en l’espèce ne soulèvent aucune véritable question de droit. Le juge du procès et les trois juges de la Cour d’appel sont tous d’accord qu’en règle générale, l’acceptation d’une offre ou, en l’espèce, d’une contre-offre, n’est pas complète tant qu’il n’y a pas eu communication de l’acceptation. Le juge du procès et le juge Weatherston dans les motifs de sa dissidence en appel sont d’avis, dans l’interprétation qu’ils ont donnée de la lettre du 27 août 1976, que l’offre a été acceptée et qu’il y a eu communication de l’acceptation selon le mode prescrit et dans le délai prévu à cette fin. La majorité de la Cour d’appel a interprété la lettre de façon différente, estimant que les derniers mots de la lettre du 27 août 1976 n’ont pas eu pour effet de permettre la communication de l’acceptation de la contre-offre après le 1er septembre 1976. Il s’agit donc uniquement d’une question d’interprétation.


La Cour doit donc répondre à la question suivante: quel est l’effet, s’il en est, de la lettre du 27 août 1976 sur les dispositions prévues à la clause 12 du projet de convention? A mon avis, les autres cours ont énoncé correctement les principes de droit. En général, l’acte qui constitue l’acceptation d’une offre doit être communiqué à la personne qui fait l’offre, sans quoi il ne peut y avoir acceptation complète ni contrat exécutoire. Cette règle comporte des exceptions, mais aucune ne s’applique ici. Selon les faits en l’espèce, si, en recevant la lettre du 27 août 1976, les représentants de Nu-Towne n’avaient rien fait, ou s’ils n’avaient rien fait après avoir paraphé les modifications, il n’y aurait pas eu de contrat exécutoire. Dans ces circonstances, le silence ou l’inaction de Nu-Towne après réception de la lettre du 27 août 1976 ne pourrait être interprété comme une acceptation complète. Pour compléter l’acceptation, il fallait un acte de communication, et la nature et la validité de cet acte doivent être établies par rapport à la lettre du 27 août 1976 et à la clause 12 du projet de convention puisqu’il est loisible aux parties à la transaction de préciser le mode de communication et la date à laquelle elle doit être faite, et de modifier le mode

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de communication qu’elles choisissent. En l’espèce, je ne puis souscrire à l’interprétation que la Cour d’appel à la majorité a donnée à la lettre. Les négociations entre les parties ont abouti à une entente précise et soigneusement rédigée sous la forme d’une convention. Il ressort de ce qui a suivi la réception, par Kingsmont, de la lettre du 20 août 1976 et de son contenu, que les parties s’entendaient sur la plupart des points. Quand elle a reçu la lettre du 20 août, Kingsmont était d’accord avec l’essentiel du projet et n’y a apporté que quelques modifications peu importantes avant de le retourner, dûment signé, avec une demande de faire parapher les modifications. Il est évident que Kingsmont a pris pour acquis que les modifications seraient acceptées, et elles l’ont été, et qu’il y aurait alors entente entre les parties. Les derniers mots de la lettre, demandant d’envoyer dès que possible un exemplaire paraphé, confirment cette opinion et indiquent que l’envoi sans retard du document paraphé, ce qui a été fait, serait accepté en exécution de toute disposition d’acceptation expresse prévue à la clause 12 du projet de convention.

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir le jugement de première instance avec dépens en faveur de l’appelante.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureur de l’appelante Nu-Towne Developments Incorporated: Timothy E.G. Fellowes, Toronto.

Procureurs de l’intimée Kingsmont Properties Limited: McCarthy et McCarthy, Toronto.

 

 



[1] (1979), 25 O.R. (2d) 56; (1979), 100 D.L.R. (3d) 186.

[2] (1818), 1 B. & Ald. 681.

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