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Cour suprême du Canada

Contrats—Contrat de construction d’une usine de pâte à papier—Certificat remis à l’entrepreneur attestant l’achèvement des travaux—La demande subséquente en dommages‑intérêts afférente au coût de la réparation des vices de construction est recevable.

Intérêt—Paiement d’une juste dette retenue indûment aux termes d’un contrat de travaux en régie—Les taux d’intérêt applicables égalent ceux demandés par la banque à l’entrepreneur.

Dans une action portant sur l’exécution par la compagnie intimée (Foundation) d’un contrat de travaux en régie, visant la construction d’une usine de pâte à papier, le juge de première instance a rendu jugement en faveur de Foundation au montant de $1,997,749.61 et il a accordé un privilège sur les biens de la première appelante (PAPCO). Il a accordé $200,000 sur demande reconventionnelle, à la seconde appelante (P & W Pulpmills), à déduire des $1,997,749.61. La Cour d’appel de la Saskatchewan a unanimement rejeté l’appel de l’appelante. Un pourvoi logé devant cette Cour a été rejeté sur les points soulevés pour le compte des appelantes.

Il restait à examiner deux points de l’appel incident de Foundation: 1. A-t-on accordé à bon droit des dommages-intérêts de $200,000 par suite de la demande reconventionnelle de P & W Pulpmills? 2. La Cour d’appel a-t-elle eu tort de ne pas accorder à Foundation l’intérêt correspondant à son taux d’emprunt plutôt que le 6 p. 100 alloué?

Sur ce dernier point, le juge de première instance a accordé un intérêt de 6 p. 100 sur la retenue de $796,117 et de 5 p. 100 sur le solde dû à Foundation à même le montant de $1,797,749.61, c.-à-d., sur $1,001,632.61. Ce jugement a été modifié par la Cour d’appel, qui a accordé un intérêt de 6 p. 100 sur le tout.

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Arrêt: L’appel incident est accueilli en ce qui concerne la demande d’intérêt et le jugement de la Cour d’appel est modifié en conséquence.

Un certificat rédigé sous forme de lettre constatant une convention conclue entre P & W Pulpmills et Foundation attestait que Foundation avait mené à bien les travaux dont elle était chargée aux termes du contrat qu’elle avait conclu avec P & W Pulpmills. Ce certificat n’empêchait pas P & W Pulpmills de prétendre que le coût des travaux était excessif et qu’elle avait subi un préjudice en devant payer des travaux qui n’avaient pas été effectués avec la diligence requise. Même si aucun moyen précis ne permettait de déterminer le montant des dommages-intérêts, l’estimation du juge de première instance était fondée sur une étude sérieuse et exhaustive de tous les éléments de preuve et la Cour d’appel a entièrement confirmé sa conclusion. Dans ces circonstances, cette Cour ne devrait pas la modifier.

Appliquant le principe énoncé dans Toronto Railway Co. v. City of Toronto, [1906] A.C. 117, aux faits particuliers de l’espèce, Foundation a établi que P & W Pulpmills avait indûment refusé de payer une dette légitime et que, dans les circonstances, il était juste et équitable que Foundation soit indemnisée par le versement d’un intérêt.

La prétention des appelantes selon laquelle les art. 3, 12 et 13 de la Loi sur l’intérêt interdisent l’allocation d’un intérêt supérieur à 5 p. 100 a été rejetée. En outre, la Cour ne partage pas l’opinion de la Cour d’appel selon laquelle lorsqu’un taux d’intérêt est prévu à l’égard des retenues régulières, lequel doit s’ajouter à celles-ci quand elles deviennent exigibles, il faille nécessairement appliquer ce taux dans le calcul de l’indemnité payable à Foundation en dédommagement du refus de verser les montants dus aux termes du contrat.

En refusant de lui rembourser les débours occasionnés par les travaux, P & W Pulpmills forçait en réalité Foundation à financer une partie de l’entreprise à ses propres frais. D’autre part, P & W Pulpmills a profité des fonds que Foundation aurait dû recevoir. On devrait donc lui accorder un taux d’intérêt équivalent à son propre taux d’emprunt.

En conséquence, les taux d’intérêt applicables doivent être ceux demandés par la banque à Foundation entre le 1er novembre 1968, date approximative à laquelle l’action a été instituée, et la date du jugement de cette Cour. Cet intérêt doit être versé pour cette période. L’article 52 de la Loi sur la Cour suprême habilite la Cour à rendre une décision en ce sens.

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Arrêts appliqués: Toronto Railway Co. v. City of Toronto, [1906] A.C. 117; The Custodian c. Blucher, [1927] R.C.S. 420; Arrêts mentionnés: Lumber Manufacturers’ Yards Ltd. v. Weisgerber, [1925] 1 W.W.R. 1026; Beaver Lumber Co. v. Currey, [1926] 3 W.W.R. 404; Gettle Bros. Construction Co. c. Alwinsal Potash of Canada Ltd. (1969), 5 D.L.R. (3d) 719, confirmé par [1971] R.C.S. 320.

APPEL incident d’un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan[1], rejetant un appel du jugement du juge MacDonald. (Appel rejeté à la clôture des plaidoiries sans motifs écrits). Appel incident accueilli en partie.

R.L. Barclay et M. Gerwing, pour les défenderesses, appelantes.

D.K. Laidlaw, c.r., E.A. Odiskaw et A. Lenczner, pour la demanderesse, intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE MARTLAND—Le 2 décembre 1965, Parsons & Whittemore Inc. (ci-après appelée «P & W Inc.») a conclu une convention avec Prince Albert Pulp Company Ltd. (ci-après appelée «PAPCO») en vertu de laquelle P & W Inc. acceptait de faire pour l’appelante PAPCO les travaux nécessaires, de fournir et d’installer le matériel et d’assurer les services techniques requis pour la construction d’une usine de pâte à papier près de Prince Albert (Saskatchewan), le tout moyennant la somme de $52,184,000. Ladite usine devait produire quotidiennement 650 tonnes courtes sèches de pâte au sulfate blanchie. PAPCO a été constituée expressément en vue de l’exploitation de pareille usine de pâte à papier: la province de la Saskatchewan en était propriétaire à raison de 30 pour cent, 70 pour cent appartenant à P & W Inc.

Le 4 décembre 1965, P & W Inc. a cédé la convention à Parsons & Whittemore Industries Inc. (ci-après appelée «P & W Industries»). Le 8 décembre 1965, P & W Industries a confié à l’appelante Parsons & Whittemore Pulpmills Inc. (ci-après appelée «P & W Pulpmills») en tant que sous-traitant la fourniture d’une partie de l’outil-

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lage et du matériel figurant dans la convention, de même que la construction de l’usine et de certaines installations conformément au devis descriptif établi par un ingénieur-conseil que devait engager Parsons & Whittemore Contractors Limited, le tout moyennant la somme de $42,684,000.

Le 3 juin 1966, P & W Pulpmills a passé un contrat avec l’intimée The Foundation Company of Canada, Limited (ci-après appelée «Foundation») en vue de la construction de l’usine. Ce travail devait se faire au prix coûtant majoré d’une rétribution fixe de $300,000 en devises canadiennes et les travaux devaient se terminer au plus tard 720 jours après le 3 juin 1966. Foundation s’est mise à la tâche en juin 1966.

L’article 5 du contrat prévoyait des paiements anticipés:

[TRADUCTION] 5.1 Dans un délai de trente (30) jours après la signature de cette convention, Pulpmills devra verser à l’entrepreneur un paiement anticipé de $300,000 en devises canadiennes. Si au cours d’un mois, la somme nécessaire aux travaux excède considérablement $300,000 en devises canadiennes, Pulpmills majorera les paiements anticipés d’un montant raisonnable; d’un autre côté, si on s’attend à ce que les dépenses soient inférieures à cette somme au cours d’un certain mois, les paiements anticipés seront maintenus à un niveau réduit.

A compter de mars 1968, alors que les travaux étaient presque achevés, P & W Pulpmills tardait à satisfaire aux demandes de fonds présentées par Foundation. Finalement, le 4 juillet 1968, Foundation avait exécuté la majeure partie des travaux et, en accord avec P & W Pulpmills, elle a transféré l’entreprise et quitté le chantier. P & W Pulpmills lui a remis un certificat final attestant de l’achèvement des travaux à sa satisfaction, conformément à la disposition suivante du contrat:

[TRADUCTION] ARTICLE XXXVI

Approbation

a) Après avoir été avisé que les travaux, ainsi que toutes les tâches supplémentaires requises, attendent inspection et approbation finales, l’ingénieur devra promptement faire cette inspection, et s’il estime les travaux accomplis en conformité du contrat et celui-ci exécuté pleinement, il devra sans retard délivrer un certificat final, sous son seing, attestant que les travaux

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stipulés au contrat sont achevés et qu’ils reçoivent son approbation conformément aux termes et conditions dudit contrat.

Le savant juge de première instance a conclu que Foundation avait consacré la somme de $18,475,000 aux travaux en question. Toutes les parties admettent que le montant versé en remboursement se chiffre à $16,656,500.

Conformément au Mechanics’ Lien Act de la Saskatchewan, R.S.S. 1965, c. 277, le 7 août 1968, Foundation a déposé au bureau d’enregistrement de la Division d’enregistrement de Prince Albert une revendication de privilège sur les biens ou les titres de PAPCO dans cinq parcelles de terrain, relativement aux travaux exécutés en vertu de la convention passée entre Foundation et P & W Pulpmills. Le 18 novembre 1968, Foundation a actionné PAPCO, P & W Pulpmills et Montreal Trust Company. L’action contre cette dernière compagnie a été rejetée en première instance; ce n’est donc plus l’objet du litige. La réclamation contre les deux autres défenderesses s’élevait à $2,350,000. En plus de réclamer la différence entre les montants susmentionnés de $18,475,000 et $16,656,000, Foundation demandait remboursement du solde débiteur de sa rémunération de $300,000, c’est-à-dire $80,000, ainsi que remboursement de divers autres débours. La réclamation susmentionnée comprenait une demande d’intérêt sur diverses sommes dues à Foundation en vertu du contrat. Subsidiairement, cet intérêt était réclamé à titre de dommages-intérêts.

PAPCO et P & W Pulpmills ont décliné toute responsabilité, alléguant que Foundation s’était rendue coupable de violations de fond et de rupture grave du contrat, ainsi que de faute lourde dans son exécution. Treize paragraphes de l’exposé de la défense énumèrent ces allégations. On les retrouve dans la demande reconventionnelle, qui réclame des dommages‑intérêts s’élevant à $14,489,754.55.

Le procès dura environ six semaines. Le savant juge de première instance, après un long et attentif examen de la preuve, a rendu jugement en faveur de Foundation au montant de $1,997,749.61 et il a accordé un privilège sur les biens de PAPCO décrits dans le document constatant le privilège de constructeur. Avant le procès, la demande recon-

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ventionnelle avait été réduite de quelque $7,000,000. A l’égard de la demande reconventionnelle de P & W Pulpmills, le savant juge de première instance a accordé $200,000 à déduire des $1,997,749.61 accordés à Foundation.

L’appel interjeté par l’appelante à la Cour d’appel de la Saskatchewan a été rejeté à l’unanimité. Lors du pourvoi devant cette Cour, on a déclaré, à la suite des allégations avancées pour le compte des appelantes, que la Cour ne modifierait pas les conclusions ni les décisions des deux cours d’instance inférieure sur les points soulevés au cours de la plaidoirie à l’appui du pourvoi. Celui-ci a été rejeté avec dépens.

Il reste à examiner deux points de l’appel incident de Foundation:

1. A-t-on accordé à bon droit des dommages-intérêts s’élevant à $200,000 par suite de la demande reconventionnelle de P & W Pulpmills?

2. La Cour d’appel a-t-elle eu tort de ne pas accorder à Foundation un intérêt correspondant à son taux d’emprunt plutôt que le 6 pour cent alloué?

Sur ce dernier point, le jugement de première instance a accordé un intérêt au taux de 6 pour cent sur la retenue de $796,117 et au taux de 5 pour cent sur le solde dû à Foundation à même le montant de $1,797,749.61, c’est-à-dire sur $1,001,632.61. Ce jugement a été modifié par la Cour d’appel, qui a accordé un intérêt de 6 pour cent sur le tout.

L’article 4.2 du contrat, qui traite du «Coût des travaux», prévoit l’intérêt auquel Foundation a droit sur le montant de la retenue. Le paragraphe L inclut dans le «Coût des travaux»:

[TRADUCTION] Un intérêt sur le montant de toutes les retenues courant à partir de la date où ces retenues atteignent la somme de $250,000 en devises canadiennes jusqu’à la date du paiement, calculé au taux annuel de six pour cent (6%);

Le contrat prévoyait la retenue de 5 pour cent des sommes versées selon l’avancement des travaux

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auxquelles Foundation avait droit périodiquement relativement au coût des travaux.

Je vais traiter tout d’abord du montant de $200,000 que le juge de première instance a accordé à P & W Pulpmills à l’égard de sa demande reconventionnelle.

L’avocat de Foundation prétend que:

1. Les appelantes ne pouvaient présenter cette demande vu la délivrance du certificat final conformément à l’art. XXXVI déjà cité.

2. P & W Pulpmills avait renoncé à réclamer des dommages-intérêts afférents au coût de la réparation des vices de construction.

3. La preuve ne justifiait pas l’attribution de dommages-intérêts s’élevant à $200,000 à l’égard de la demande reconventionnelle.

Le certificat était rédigé sous forme de lettre constatant une convention conclue entre P & W Pulpmills et Foundation, signée au nom de la première par son directeur en résidence, J.D. Rhodes. Voici les parties pertinentes de la lettre:

[TRADUCTION] Nous confirmons par les présentes nos récents entretiens par lesquels nous avons mutuellement convenu que les travaux de construction de l’usine de pâte à papier, que vous avez exécutés en tant qu’entrepreneur, étant presque terminés, il est à notre avantage d’en prendre la direction et de les achever en employant notre propre main-d’œuvre plutôt que de nous en tenir aux dispositions du contrat et de vous laisser finir le tout avec vos ouvriers.

C’est pourquoi nous désirons confirmer notre accord mutuel sur les points suivants:

1) A compter du 12 juillet 1968, nous nous chargeons de terminer tous les travaux en cours relativement à l’entreprise en question, et vous n’aurez désormais qu’à fournir les conseillers ou aides techniques dont nous aurons normalement besoin, à charge pour nous de les rémunérer au titre du coût des travaux.

2) Nous acceptons par les présentes les travaux, «tels quels», (je cite) (le 12 juillet 1968) et nous attestons par les présentes que vous avez terminé les travaux convenus en vertu du contrat de construction, que nous acceptons par les présentes conformément aux clauses et conditions de ce contrat.

3) Il est entendu et convenu que le certificat susmentionné d’achèvement des travaux, au bas duquel nous

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avons apposé notre signature, doit être considéré comme étant aussi valide et exécutoire que s’il avait été signé par l’ingénieur, conformément aux conditions portées à l’article XXXVI du contrat de construction.

Ce certificat fait foi que Foundation a exécuté et mené à bien les travaux dont elle était chargée aux termes du contrat qu’elle avait conclu avec P & W Pulpmills. A mon avis, il n’empêche pas P & W Pulpmills de prétendre que le coût des travaux était excessif et qu’elle a subi un préjudice en devant payer des travaux qui n’avaient pas été effectués avec la diligence requise.

En ce qui concerne le second point, P & W Pulpmills avait initialement réclamé dans sa demande reconventionnelle des dommages-intérêts s’élevant à $675,000 en raison des dépenses qu’elle avait engagées pour faire les travaux que Foundation aurait dû exécuter et pour réparer les vices de construction majeurs. P & W Pulpmills a renoncé à cette réclamation avant le procès. Cependant, la somme de $200,000 allouée relativement à la demande reconventionnelle ne portait pas sur les dépenses engagées par P & W Pulpmills pour rectifier les erreurs, mais constituait essentiellement une indemnisation pour les sommes supplémentaires déboursées par Foundation dans l’exécution de son contrat. P & W Pulpmills a été autorisée à déduire cette somme du montant total accordé à Foundation en vertu du contrat.

Quant au troisième point, Foundation prétend en ce qui concerne la liste établie par le juge de première instance donnant le détail des actes de négligence, que la preuve n’établit absolument pas l’existence de dommages s’élevant à $200,000.

Le savant juge de première instance dit:

[TRADUCTION] La demanderesse a été négligente et (ou) n’a pas exercé la diligence nécessaire dans les cas suivants:

1. En employant des ingénieurs incompétents qui ont mal fait les études d’emplacement et qui ont placé les pieux aux mauvais endroits.

2. En construisant mal le silo à copeaux de bois et d’autres parties de l’usine contrairement au plan.

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3. En employant à l’occasion des surveillants en surnombre et en étant à court de surveillants après janvier 1968.

4. En installant la balance.

5. En fabriquant certains tuyaux d’amiante.

6. En exécutant certains travaux de ciment.

Dans l’arrêt Toronto Hockey Club Ltd. c. Arena Gardens of Toronto, Ltd., [1926] 3 W.W.R. 26, le lord juge Warrington du Comité judiciaire du Conseil privé, déclare à la p. 29:

«Aucun moyen précis ne nous permet de déterminer le montant des dommages dans un cas comme celui-ci, il faut plus ou moins y parvenir au jugé.»

Je trouve ces paroles très pertinentes en l’espèce.

J’évalue à $200,000 les dommages causés à la défenderesse par la demanderesse.

La Cour d’appel a confirmé ses conclusions et sa décision.

Le savant juge de première instance a étudié avec soin les éléments de preuve relatifs à chaque manquement aux dispositions du contrat dont font état l’exposé de la défense et la demande reconventionnelle.

On a prétendu que Foundation avait confié des travaux à des directeurs, à des surveillants et à des chefs de chantier incompétents et sans expérience. Le savant juge a conclu qu’un ingénieur sur le terrain employé par Foundation était totalement incompétent et qu’un ingénieur chargé des travaux était incapable de faire les relevés nécessaires. Il y avait eu de nombreuses erreurs.

Il a conclu que, dans une certaine mesure, Foundation n’avait pas surveillé convenablement les travaux après novembre 1967.

On a allégué que Foundation avait confié à des équipes d’arpenteurs incompétentes la tâche d’implanter des éléments de façon permanente dans des structures de béton et dans l’emplacement des pieux, ce qui a entraîné des travaux supplémentaires et des retards. Cette allégation a été jugée fondée.

Foundation a cité un certain Roy Morton, que P & W Pulpmills avait employé comme directeur adjoint en résidence de juin 1966 à février 1968. Il a quitté P & W Pulpmills avant le procès. Son

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témoignage a porté sur l’exécution des travaux par Foundation. Lorsqu’il travaillait pour P & W Pulpmills, il avait rédigé un rapport daté du 25 janvier 1968. Voici ce qu’en a dit le juge de première instance:

[TRADUCTION] Ce rapport a été rédigé durant les travaux, lorsque les faits étaient encore présents à sa mémoire et il aide à évaluer les dommages causés par Foundation. Morton déclare dans son rapport:

«La liste suivante contient ce que je considère être les erreurs les plus coûteuses de Foundation. Elles sont entièrement imputables à des erreurs dans l’établissement du plan d’emplacement faites par des équipes d’arpenteurs médiocres et à un défaut de surveillance technique sur le terrain. On n’a pas évalué le coût de rectification de ces erreurs, et les chiffres que j’avance ne sont que pure conjecture.»

Morton énumère alors certaines erreurs et évalue le coût des réparations à $10,000. Il ajoute alors:

[TRADUCTION] Ce qui précède représente des erreurs évidentes dans l’établissement du plan d’emplacement. De plus, on a relevé nombre d’erreurs mineures, des boulons d’ancrage et des fondations mal placés qu’il faudra retirer et remplacer.

A mon avis, cependant, le total de tous les frais susmentionnés serait peu élevé si l’on pouvait les comparer aux dépenses supplémentaires entraînées par la mauvaise gestion au cours de la première année d’exploitation. Malheureusement, il est impossible d’en arriver à une évaluation, même approximative, de ces dépenses supplémentaires.

L’avocat de Foundation affirme qu’à part les montants estimatifs dont fait état le rapport de Morton, il n’existe aucun élément de preuve relatif au coût des violations du contrat constatées par le juge de première instance. C’est exact, mais ces violations comprennent d’autres postes que ceux portés au rapport de Morton, et le dernier paragraphe de ce rapport mentionne des débours imputables à une mauvaise gestion, qu’il ne pouvait évaluer. Le juge de première instance a reconnu qu’on ne pouvait recourir à une méthode précise pour fixer le montant des dommages-intérêts. Il en était réduit à une approximation.

A mon avis, cette estimation ne doit pas être modifiée au cours d’un pourvoi devant cette Cour. Elle a été établie par un juge qui a fait une étude

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sérieuse et exhaustive de tous les éléments de preuve et la Cour d’appel a entièrement confirmé sa conclusion. Dans ces circonstances, je ne crois pas que cette Cour devrait la modifier.

Le second point sur lequel porte l’appel incident est la question du taux d’intérêt accordé. Foundation soutient qu’au lieu de lui accorder un intérêt au taux de 6 pour cent, on devrait lui allouer un intérêt équivalent à celui qu’elle doit verser pour ses emprunts.

Pour appuyer le pouvoir qu’a la Cour de rendre une ordonnance portant versement d’intérêt, l’avocat de Foundation a renvoyé aux dispositions de l’art. 46 du Queens Bench Act, R.S.S. 1965, c. 73:

[TRADUCTION] Un intérêt sera payable dans tous les cas où l’autorise actuellement la loi ou dans tous les cas où un jury en accorde habituellement un.

Il cite l’affaire Toronto Railway Company v. Corporation of the City of Toronto[2], où le Conseil privé devait étudier l’application de l’art. 113 du Ontario Judicature Act, R.S.O. 1897, c. 51, qui est identique à celui des statuts de la Saskatchewan. Il conclut à la p. 121:

[TRADUCTION] Par conséquent, il semble que dans tous les cas où, selon la Cour, le paiement d’une juste dette a été indûment retenu, et qu’il semble juste et équitable qu’il y ait réparation sous forme d’intérêt, il incombe à la Cour d’en accorder pendant une période et à un taux qu’elle juge convenables.

Cette Cour a suivi cet arrêt dans The Custodian c. Blucher[3], à la p. 424.

De nombreux arrêts rendus en Saskatchewan reconnaissent le pouvoir de la Cour d’accorder un intérêt dans de pareilles circonstances: Lumber Manufacturers’ Yards Limited v. Weisgerber et al.[4]; Beaver Lumber Company, Limited v. Curry et al.[5], et Gettle Bros. Construction Co. Ltd. v. Alwinsal Potash of Canada Limited[6]. Un pourvoi devant cette Cour du dernier arrêt mentionné a été rejeté sans motifs écrits. En l’espèce, la Cour

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d’appel a naturellement reconnu le pouvoir d’accorder un intérêt.

Les appelantes soutiennent que les art. 3, 12 et 13 de la Loi sur l’intérêt, S.R.C. 1970, c. I-18 interdisent l’allocation d’un intérêt de plus de 5 pour cent. Ces articles prévoient ce qui suit:

3. Sauf à l’égard des obligations qui existaient immédiatement avant le 7 juillet 1900, chaque fois que de l’intérêt est exigible par convention entre les parties ou en vertu de la loi, et qu’il n’est pas fixé de taux en vertu de cette convention ni par la loi, le taux de l’intérêt est de cinq pour cent par an.

12. Les articles 13, 14 et 15 s’appliquent uniquement aux provinces du Manitoba, de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan et de l’Alberta et aux Territoires du Nord‑Ouest et au Territoire du Yukon.

13. Toute somme due en vertu d’un jugement porte intérêt au taux de cinq pour cent par année, jusqu’à ce qu’elle soit payée.

L’article 3 me paraît s’appliquer lorsque les parties à une convention ont convenu du versement d’un intérêt sans en fixer le taux, ou lorsque la loi porte qu’un intérêt sera versé sans préciser le taux. Dans l’arrêt Toronto Railway, on a statué qu’une cour peut accorder un intérêt lorsque le paiement d’une juste dette a été dûment retenu et qu’il est juste et équitable que le débiteur dédommage le créancier en lui versant un intérêt [TRADUCTION] «à un taux qu’elle (la Cour) juge convenable». Lorsque par jugement, une cour accorde un intérêt conformément à ce principe, le taux qu’elle impose se trouve fixé par la loi et c’est celle-ci qui le fixe. Dans ce cas, l’article en question ne s’applique pas.

L’article 13 de la Loi prévoit le taux d’intérêt exigible à l’égard d’une somme due en vertu d’un jugement dans les régions mentionnées à l’art. 12. Cela signifie que lorsque la Cour a décidé du montant payable en exécution de son jugement, ce montant porte désormais intérêt au taux prescrit. En l’espèce, nous avons à déterminer la somme qu’il convient d’accorder par jugement. L’arrêt Toronto Railway porte que, dans les circonstances définies dans cet arrêt, une cour peut, par jugement, ordonner au débiteur de dédommager le créancier pour avoir omis de lui payer une juste dette en lui versant un intérêt sur le montant de

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cette dette au taux que la Cour prescrit dans son jugement. Le montant fixé par jugement serait alors celui de la dette, auquel s’ajouterait l’intérêt accordé. C’est à ce stade seulement que l’art. 13 s’appliquerait.

J’estime que vu les circonstances en l’espèce, il faut appliquer le principe énoncé dans l’arrêt Toronto Railway. Le savant juge de première instance a conclu que Foundation avait dépensé $18,475,000 en vue des travaux et reçu $16,656,500 en remboursement. Elle a arrêté ses travaux le 4 juillet 1968, détentrice d’un certificat final d’achèvement. Elle n’a reçu aucun autre paiement par la suite. Au moment de la délivrance du certificat, il n’avait pas été question de demande reconventionnelle. Le montant de cette demande n’a pas été précisé avant le dépôt de l’exposé de la défense et de la demande reconventionnelle des appelantes, le 8 octobre 1970, près de deux ans après le dépôt de la déclaration.

La demande reconventionnelle, au moment où elle a été déposée, s’élevait à plus de $14,000,000. Au cours du premier interrogatoire préalable, en mai 1972, on a réduit cette somme d’environ $7,000,000. Le juge de première instance a conclu que les prétentions des appelantes depuis le début avaient été exagérées. En fin de compte, il n’a accordé qu’une compensation de $200,000.

Il ressort de tous ces faits, et du manque de preuves à l’appui de la demande reconventionnelle au cours du procès, que P & W Pulpmills cherchait à retenir le paiement d’une dette qui était régulièrement devenue exigible lorsque cette compagnie a délivré son certificat final d’achèvement des travaux. A la lumière de tous les faits en cause, il est juste et équitable qu’il y ait indemnisation sous forme d’intérêt.

La Cour d’appel a accordé à Foundation un intérêt annuel de 6 pour cent, à compter du 1er novembre 1968, sur la somme qui lui a été reconnue payable. La déclaration avait été signifiée le 18 novembre 1968 et on y réclamait un intérêt en guise de dommages-intérêts à partir du 31 octobre 1968.

Voici les motifs donnés par le juge d’appel Maguire et adoptés par les autres membres de la

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Cour militant en faveur de l’adoption du taux annuel de 6 pour cent:

[TRADUCTION] Je suis d’avis que le droit de l’intimée à un taux d’intérêt supérieur au cinq pour cent alloué par le juge de première instance et l’obligation dans laquelle se trouve l’appelante de le verser trouvent ailleurs leur origine.

Aux termes de l’art. 5.3 du contrat, l’appelante P & W Pulpmills est tenue, dans un délai spécifié, de verser à l’intimée quatre-vingt-quinze pour cent du montant de chaque facture mensuelle couvrant le «coût des travaux» certifié par l’ingénieur. L’article 4.2 relatif au coût des travaux comprend le paragraphe L qui dit:

«Un intérêt sur le montant de toutes les retenues courant à partir de la date où ces retenues atteignent la somme de $250,000 en devises canadiennes, jusqu’à la date du paiement, calculé au taux annuel de six pour cent (6%);»

Il n’est pas contesté qu’à compter de mars 1968 ou vers cette époque, l’appelante en cause n’a versé à l’intimée que la somme nécessaire pour lui permettre de payer ses employés. Le solde impayé de chaque facture a été retenu par l’appelante et constitue une «retenue» au sens que donne à ce mot le par. 4.2 L. Il s’ensuit que l’intimée est fondée à recevoir un intérêt annuel de six pour cent sur tous les montants payables en vertu du contrat.

J’estime en outre que les parties ayant spécifié par contrat un taux d’intérêt, c’est ce taux qui doit s’appliquer à tous les montants payables à l’intimée et retenus indûment.

Le jugement de première instance est modifié de façon à substituer un intérêt de six pour cent à l’intérêt de cinq pour cent accordé.

Respectueusement, je ne partage pas ce point de vue. Les retenues que l’art. 4.2 mentionne sont les cinq pour cent qui devaient être retenus à même chaque paiement fait au fur et à mesure de l’avancement des travaux. En fait, on n’a pas effectué ces retenues mais, comme le souligne le juge d’appel Maguire, à partir du mois de mars 1968 environ jusqu’à juillet, lorsque Foundation s’est retirée des travaux, P & W Pulpmills n’a avancé que l’argent nécessaire aux salaires. Le solde des montants exigibles mais impayés ne constitue pas une retenue au sens que le contrat accorde à ce mot. Je ne suis pas d’avis qu’un taux d’intérêt ayant été prévu à l’égard des retenues régulières de 5 pour cent, lequel allait s’ajouter à celles-ci quand elles

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seraient exigibles, il faille nécessairement appliquer ce taux dans le calcul de l’indemnité payable à Foundation en dédommagement du refus de verser les montants dus aux termes du contrat.

Il s’agissait d’un contrat de travaux en régie, la rémunération s’élevant à $300,000, dont $220,000 ont été versés. En refusant de lui rembourser les débours occasionnés par les travaux, P & W Pulpmills forçait en réalité Foundation à financer une partie de l’entreprise à ses propres frais. D’autre part, P & W Pulpmills a profité des fonds que Foundation aurait dû recevoir. Je suis d’accord avec l’avocat de cette compagnie quand il soutient qu’on devrait lui accorder un taux d’intérêt équivalent à son propre taux d’emprunt.

Sur consentement, on a déposé une pièce indiquant les taux d’intérêt que Foundation verse à la banque. Il s’agit d’une lettre adressée à M. Finlayson, de Foundation, par la Banque Canadienne Impériale de Commerce, énonçant les taux minima de prêt de la banque du 3 septembre 1968 au 1er novembre 1971 et précisant que les prêts consentis par cette dernière à Foundation portaient intérêt au taux minimum plus ¾ de 1 pour cent. Il y a lieu de croire que l’on pourrait obtenir ce même genre de renseignements pour la période postérieure à cette date. De fait, une annexe au factum de Foundation fait état des taux moyens jusqu’au 31 mars 1975.

En résumé, compte tenu des faits propres à l’espèce, Foundation a établi, selon moi, que P & W Pulpmills a indûment refusé de payer une dette légitime et, dans les circonstances, il est juste et équitable que la compagnie en défaut l’indemnise en lui versant un intérêt. J’estime que les taux d’intérêt applicables doivent être ceux demandés par la banque à Foundation entre le 1er novembre 1968 et la date du jugement de cette Cour. Cet intérêt doit être versé pour cette période. L’article 52 de la Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, c. S-19 et modifications, habilite la Cour à rendre une décision en ce sens. Cet article prévoit que:

Sauf ordonnance contraire de la Cour, un jugement de la Cour porte intérêt au taux et à compter de la date

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applicables au jugement rendu dans la même affaire par la cour de première instance, ou au taux et à compter de la date qui lui auraient été applicables s’il avait été accordé une somme d’argent.

Vu la décision susmentionnée, l’intérêt sur le jugement en l’espèce doit courir à compter de la date du jugement de cette Cour.

Je suis d’avis d’accueillir l’appel incident en ce qui concerne la demande d’intérêt et de modifier sur ce point le jugement de la Cour d’appel. Foundation a droit aux dépens de l’appel incident.

Appel incident accueilli en partie avec dépens.

Procureurs des défenderesses, appelantes: MacPherson, Leslie & Tyerman, Regina.

Procureurs de la demanderesse, intimée: Balfour, MacLeod, Moss, Laschuk, Kyle, Vancise & Cameron, Regina.

 



[1] (1974), 46 D.L.R. (3d) 244.

[2] [1906] A.C. 117.

[3] [1927] R.C.S. 420.

[4] [1925] 1 W.W.R. 1026.

[5] [1926] 3 W.W.R. 404.

[6] (1969), 5 D.L.R. (3d) 719.

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