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Cour suprême du Canada

Droit criminel—Entrave à agent de la paix—Cycliste vu en train de commettre une infraction aux règles de la circulation—Demande d’identité adressée par un constable dans l’intention de lui donner une contravention—Refus du cycliste de donner son identité—Motor-vehicle Act, R.S.B.C. 1960, chap. 253, art. 2, 58, 63, 127 et 128, modifié par 1975 (B.C.), chap. 46, art. 121 et 173(1)—Police Act, 1974 (B.C.), chap. 64, art. 17(1), 22 et 30—Summary Convictions Act, R.S.B.C. 1960, chap. 373, art. 101—Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, par. 450(2).

A un carrefour, l’accusé a brûlé un feu rouge alors qu’il roulait à bicyclette dans la ville de Victoria. Un agent de la paix de la police municipale de Victoria en service Ta vu commettre l’infraction, l’a arrêté et, dans l’intention de lui donner une contravention, lui a demandé son identité. L’accusé a refusé de donner ses nom et adresse. Il fut en conséquence accusé d’avoir illégalement et volontairement entravé un agent de la paix dans l’exécution de son devoir, contrairement à l’art. 118 du Code criminel. Au procès, le juge a indiqué au jury qu’il n’y avait aucune preuve d’entrave à agent de police et le jury a en conséquence rendu un verdict d’acquittement. Sur appel du ministère public, ce verdict a été infirmé et un nouveau procès ordonné. De là le pourvoi devant cette Cour.

Arrêt (les juges Dickson et Estey étant dissidents): le pourvoi doit être rejeté.

La Cour: L’appelant n’a pas violé l’art. 58 de la Motor-vehicle Act de la Colombie‑Britannique en refusant de donner ses nom et adresse au constable. La Cour a rejeté l’argument selon lequel bien qu’une bicyclette ne soit ni un “véhicule à moteur” ni un “véhicule” au sens des définitions de l’art. 2, l’art. 58 de la Loi s’applique en raison d’autres articles.

Les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon et Beetz: Une bicyclette est un “cycle” au sens de la définition de l’art. 121 de la Motor-vehicle Act, R.S.B.C. 1960, chap. 253, modifié par 1975 (B.C.), chap. 46, et, aux termes des dispositions du par. 173(1), l’appelant était assujetti

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aux mêmes obligations que le conducteur d’un véhicule. En ce qui concerne les signaux de circulation, le conducteur d’un véhicule doit obéir aux dispositions des art. 127 et 128 de la Motor-vehicle Act. Ainsi, les art. 127 et 128 interdisaient à l’appelant de traverser le carrefour au feu rouge.

Comme il est du devoir d’une municipalité, en vertu du par. 17(1) de la Police Act, 1974 (B.C.), chap. 64, d’assurer les services de police “aux fins de la bonne application des règlements municipaux, du droit criminel et des lois provinciales, et, de façon générale, du maintien de l’ordre public dans la municipalité”, le constable s’acquittait de ses devoirs en cette occasion, conformément à l’art. 30 de ladite Loi.

Les actes de l’appelant n’entrent dans aucune des quatre catégories établies à l’art. 63 de la Motor-vehicle Act de sorte que cet article n’autorisait pas le constable à arrêter l’appelant sans mandat. Les dispositions du Code criminel relatives aux déclarations sommaires de culpabilité s’appliquent en Colombie-Britannique en vertu de l’art. 101 de la Summary Convictions Act, R.S.B.C. 1960, chap. 373. Lesdites dispositions du Code criminel pertinentes en l’espèce se trouvent au par. 450(2) du Code criminel.

Aux termes de ces dispositions, le constable ne pouvait arrêter l’appelant pour l’infraction punissable sur déclaration sommaire, savoir être passé au feu rouge, que si c’était nécessaire pour établir son identité. Ainsi, le constable s’acquittait de son devoir de faire respecter la loi provinciale, dans le cas de cette infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité, en demandant à l’appelant d’établir son identité pour être en mesure de faire une dénonciation ou, comme le permet la Summary Convictions Act, d’adopter la formule plus moderne qui consiste à dresser une contravention.

En conséquence, l’agent avait l’obligation d’essayer d’identifier le contrevenant et, en refusant de donner son identité, ce dernier a entravé un policier dans l’exécution de son devoir.

Il n’est nullement question en l’espèce de la Déclaration des droits ni de liberté individuelle en général. Il n’y a pas la moindre atteinte à la liberté d’un citoyen qu’un constable voit commettre une infraction lorsque ce dernier lui demande simplement ses nom et adresse sans essayer d’obtenir un aveu de faute ou une déclaration quelconque.

Jurisprudence: distinction faite avec l’arrêt Rice v. Connolly, [1966] 2 All E.R. 649.

Les juges Dickson et Estey (dissidents): Toute obligation de donner son identité doit être fondée sur la

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common law ou sur une loi, abstraction faite de toute obligation incombant à la police. Nul n’est coupable de l’infraction d’entrave à agent de police simplement parce qu’il ne fait rien, à moins qu’il n’existe une obligation légale d’agir. Le défaut d’agir d’une certaine manière n’engage la responsabilité pénale que lorsqu’il existe une obligation d’agir en common law ou aux termes de la Loi.

La loi ne contient aucune disposition obligeant un cycliste surpris à passer au feu rouge à révéler ses nom et adresse. Toutefois, comme l’a jugé la majorité, le constable aurait pu arrêter l’accusé pour l’infraction commise, savoir être passé au feu rouge, si c’était nécessaire pour établir son identité. Mais l’accusé n’est pas de ce fait coupable d’une autre infraction nettement plus grave, en l’occurrence d’entrave à un agent de police dans l’exercice de ses fonctions, parce qu’il a refusé de révéler ses nom et adresse.

Il n’existe pas en common law d’obligation de donner son identité à la police et le refus de le faire ne peut constituer une entrave à la police. Nul ne peut “entraver” quiconque en refusant de répondre à une question, à moins d’avoir l’obligation juridique de ce faire. Est rejeté l’argument selon lequel puisque les agents de police ont le devoir de faire enquête sur les crimes et de faire appliquer les lois provinciales, toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction a l’obligation “implicite” ou “réciproque” de donner ses nom et adresse et tout refus de le faire est un obstacle suffisamment sérieux pour constituer l’infraction d’entrave à un agent de police dans l’exécution de son devoir. Ce n’est que lorsque le policier peut légalement exiger qu’une personne donne son identité que cette personne a une obligation correspondante de s’exécuter.

Jurisprudence: Regina v. Patrick (1960), 32 C.R. 338; Hatton v. Treeby, [1897] 2 Q.B. 452; Rice v. Connolly, précité; Ingleton v. Dibble, [1972] 1 All E.R. 275; Regina v. Carroll (1959), 31 C.R. 315; Regina v. Bonnycastle, [1969] 4 C.C.C. 198; Elder v. Evans, [1951] N.Z.L.R. 801.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], accueillant un appel interjeté par le ministère public contre l’acquittement de l’accusé sur une accusation d’entrave à agent de police contrairement à l’art. 118 du Code criminel. Pourvoi rejeté, les juges Dickson et Estey étant dissidents.

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B.A. Crane, c.r., pour l’appelant.

R.M. Lang, pour l’intimée.

Le jugement des juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon et Beetz a été rendu par

LE JUGE SPENCE—Ce pourvoi attaque un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique prononcé le 7 juin 1977.

L’appelant a été acquitté après son procès, devant M. le juge Millward et un jury, de l’accusation:

[TRADUCTION] D’avoir, en la ville de Victoria, comté de Victoria, province de la Colombie-Britannique, le 19 avril 1976, illégalement et volontairement entravé un agent de la paix, savoir le constable Sutherland, dans l’exécution de son devoir, contrairement au Code criminel du Canada.

L’appelant a été acquitté suite au verdict imposé par le juge du procès à la clôture de la preuve de la poursuite. Les faits sont exposés dans l’aveu suivant fait par l’avocat de Moore:

[TRADUCTION] Votre Seigneurie, je veux admettre certains faits pour accélérer les choses. Tout d’abord, j’ai mandat d’admettre que le 19 avril 1976 (ou vers cette date), à 9 h 10 (ou vers cette heure), l’accusé, Richard Harvey Moore, roulait vers le sud le long de la rue Government près de Pandora et a traversé ce carrefour alors que le feu de circulation n’était pas encore passé au vert; en fait, le feu était rouge lorsqu’il a traversé le carrefour sur sa bicyclette à dix vitesses. Voilà les faits que j’admets.

Le juge Carrothers de la Cour d’appel se réfère à ces faits dans ses motifs de jugement en ces termes:

[TRADUCTION] Le constable Sutherland, un agent de la paix de la police municipale de Victoria, portant l’uniforme et conduisant une motocyclette, a vu Moore commettre cette infraction et s’est mis en devoir de dresser une contravention. Le constable et Moore avançaient côte à côte sur leur cycle respectif, quoique Moore ait cherché un certain nombre de fois à s’écarter en montant sur le trottoir. Le constable lui a demandé à plusieurs reprises «de se ranger et de s’arrêter». Moore lui a répondu par des propos obscènes et lui a demandé de le laisser tranquille parce qu’il était pressé. Je n’attache aucune importance à la grossièreté des réponses aux ordres du policier, car ce genre d’obscénités est si souvent et si facilement utilisé par manque d’imagination,

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qu’il a perdu toute valeur réelle. Toutefois, il est certain que les réponses de Moore constituent un refus catégorique de s’arrêter comme le lui demandait le policier.

Comme je l’ai déjà dit, c’est à la suite de cet incident que Moore a été accusé par acte d’accusation, non pas d’avoir grillé un feu rouge, mais d’avoir entravé un agent de la paix dans l’exécution de ses fonctions. Le ministère public fait valoir que c’est en refusant de donner son identité à la demande du constable que l’appelant a commis l’infraction imputée d’entrave à agent.

Les articles pertinents des lois provinciales que je dois examiner sont les suivants. Tout d’abord, la Motor-vehicle Act, R.S.B.C. 1960, chap. 253 dont l’art. 2 définit ainsi «véhicule à moteur» et «véhicule»:

[TRADUCTION] «véhicule à moteur» signifie tout véhicule qui ne circule pas sur des rails et qui est conçu pour être automobile ou pour être mû par énergie électrique obtenue de câbles aériens à trolley;

«véhicule» désigne tout appareil dans lequel, sur lequel ou au moyen duquel une personne ou des biens sont ou peuvent être transportés ou tirés sur une route, hormis les appareils conçus pour être mus par la force humaine ou utilisés exclusivement sur des rails fixes.

L’article 58 de ladite Motor-vehicle Act prévoit:

[TRADUCTION] 58. Est coupable d’une infraction quiconque conduit un véhicule à moteur sur une route ou en a la charge et refuse ou néglige

a) d’arrêter son véhicule à moteur au signal ou à la demande d’un policier ou d’un constable qui est en uniforme ou porte bien en évidence son insigne de policier; ou

b) de donner ses nom et adresse exacts et ceux du propriétaire du véhicule à moteur à la demande d’un agent de la paix ou d’un constable.

Il est manifeste qu’une bicyclette n’est ni un «véhicule à moteur» ni un «véhicule» aux termes des dispositions de la définition susmentionnée. Une bicyclette n’est certainement pas automobile et donc ne peut être un «véhicule à moteur». C’est un appareil destiné à être mû par la force humaine et, donc, il ne peut aucunement être un «véhicule».

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On a longuement plaidé devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique et devant cette Cour que, bien qu’une bicyclette ne soit ni un «véhicule à moteur» ni un «véhicule», l’art. 58 de la Motor-vehicle Act s’applique en raison d’autres articles que je vais examiner plus loin. Tout comme les cours d’instance inférieure, je ne puis accepter cet argument et je conclus, avec égards, que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a eu raison de juger que l’appelant n’a pas violé l’art. 58 de la Motor-vehicle Act en refusant de donner son nom au constable.

Je passe maintenant à la question de savoir si l’appelant a commis une infraction en traversant le carrefour des rues Government et Pandora au feu rouge. L’article 121 de la Motor-vehicle Act, modifié par les Statuts de la Colombie-Britannique, 1975 (B.C.), chap. 46, dispose:

[TRADUCTION] «cycle» signifie tout appareil muni de roues qui est mû par la force humaine et à l’aide duquel une personne peut se déplacer;

et le par. 173(1) de la Motor-vehicle Act dispose:

[TRADUCTION] En plus des obligations imposées par cet article, quiconque conduit un cycle sur une route à les mêmes droits et obligations que le conducteur d’un véhicule.

L’appelant Moore circulait à bicyclette. Une bicyclette est un appareil muni de roues, en l’occurrence deux, mû par la force humaine et sur lequel une personne peut se déplacer, comme le faisait Moore. Il s’agit donc d’un «cycle» au sens de la définition et, aux termes des dispositions du par. 173(1), Moore était assujetti aux mêmes obligations que le conducteur d’un véhicule. En ce qui concerne les signaux de circulation, le conducteur d’un véhicule doit obéir aux dispositions des art. 127 et 128 de la Motor-vehicle Act, qui prévoient notamment:

[TRADUCTION] 127. Sauf instructions contraires d’un agent de la paix, tout conducteur d’un véhicule et tout piéton doit obéir aux signaux de circulation.

128. (6) Lorsqu’un signal de circulation à un carrefour est un feu qui est au rouge

a) le conducteur d’un véhicule qui approche du carrefour, face au feu rouge, doit arrêter son véhicule avant le passage pour piétons qui se trouve de son côté du

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carrefour ou, à défaut de pareil passage, avant de s’engager dans le carrefour et, sous réserve des dispositions de l’alinéa b), il ne doit pas s’y engager avant que le signal de circulation lui donne le droit de passage;

Ainsi les dispositions de la Motor-vehicle Act interdisaient à l’appelant Moore de s’engager dans le carrefour au feu rouge.

Le constable James Lawrence Sutherland était un agent de la paix de la Police municipale de Victoria. Le paragraphe 17(1) et les art. 22 et 30 de la Police Act, 1974 (B.C.), chap. 64, prévoient:

[TRADUCTION] 17. (1) Sous réserve du paragraphe (3), toute municipalité comptant une population de plus de cinq mille habitants doit, conformément à cette loi et à ses règlements d’application, assurer des services de police aux fins de la bonne application des règlements municipaux, du droit criminel et des lois provinciales, et, de façon générale, du maintien de l’ordre public dans la municipalité.

22. (1) Une commission peut établir une force de police municipale comprenant un chef constable et tous autres constables et employés qu’elle juge nécessaires pour assurer des services de police dans la municipalité.

(2) Sous la direction de la commission, les devoirs et obligations d’une force de police municipale sont

a) d’assurer, dans la municipalité, l’application des règlements municipaux, du droit criminel et des lois provinciales; et

b) de façon générale, de maintenir l’ordre public dans la municipalité.

30. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et du paragraphe 24(2), un constable municipal et un constable municipal spécial assument, sous la direction de la commission et dans la municipalité où celle-ci est compétente, les pouvoirs, obligations, privilèges et responsabilités assumés en common law ou en vertu d’une loi par un constable ou un agent de la paix.

Comme il est du devoir d’une municipalité d’assurer des services de police «aux fins de la bonne application des règlements municipaux, du droit criminel et des lois provinciales, et, de façon générale, du maintien de l’ordre public dans la munici-

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palité», le constable s’acquittait de ces devoirs en cette occasion, conformément à l’art. 30 de ladite loi.

L’article 63 de la Motor-vehicle Act prévoit:

[TRADUCTION] 63. Un agent ou constable de la Gendarmerie royale du Canada ou de la police municipale peut arrêter sans mandat

a) une personne qui conduit un véhicule à moteur sans la plaque d’immatriculation délivrée par le Surintendant en vertu de cette loi et que l’agent ou le constable trouve en train d’agir en contravention d’une disposition de cette loi ou des règlements;

b) une personne que l’agent ou le constable trouve en train d’agir en contravention de l’article 138;

c) une personne dont le permis est suspendu ou annulé ou dont le droit à l’obtention d’un permis est suspendu en vertu des dispositions de cette loi, et que l’agent ou le constable trouve en train de conduire un véhicule à moteur sur une route;

d) une personne qui conduit un véhicule à moteur qui n’est pas assuré conformément à cette Loi ou qui ne détient pas une carte d’assurance‑responsabilité valide et en vigueur ou une carte de solvabilité,

et peut détenir la personne arrêtée jusqu’à ce qu’elle puisse être conduite devant un juge pour être traitée selon la loi.

Les actes de Moore n’entrent dans aucune de ces quatre catégories de sorte que l’art. 63 de la Motor-vehicle Act n’autorisait pas le constable Sutherland à l’arrêter sans mandat. Les dispositions du Code criminel relatives aux déclarations sommaires de culpabilité s’appliquent en Colombie-Britannique en vertu de l’art. 101 de la Summary Convictions Act, R.S.B.C. 1960, chap. 373, qui prévoit:

[TRADUCTION] 101. Lorsque dans une procédure, affaire ou chose à laquelle s’applique cette Loi, il n’existe aucune disposition expresse ou seulement une disposition partielle, les dispositions du Code criminel relatives aux infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité s’appliquent mutatis mutandis comme si lesdites dispositions avaient été édictées dans cette loi et en faisaient partie.

Les dispositions du Code criminel relatives aux déclarations sommaires de culpabilité pertinentes en l’espèce sont au par. 450(2) du Code criminel:

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450. (2) Un agent de la paix ne doit arrêter une personne sans mandat

a) pour un acte criminel mentionné à l’article 483,

b) pour une infraction pour laquelle la personne peut être poursuivie par voie de mise en accusation ou punie sur déclaration sommaire de culpabilité, ou

c) pour une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité, dans aucun cas où

d) il a des motifs raisonnables et probables de croire que l’intérêt public, compte tenu de toutes les circonstances y compris la nécessité

(i) d’identifier la personne,

(ii) de recueillir ou conserver une preuve de l’infraction ou une preuve y relative, ou

(iii) d’empêcher que l’infraction se poursuive ou se répète, ou qu’une autre infraction soit commise,

peut être sauvegardé sans arrêter la personne sans mandat, et où

e) il n’a aucun motif raisonnable de croire que, s’il n’arrête pas la personne sans mandat, celle-ci ometttra d’être présente au tribunal pour être traitée selon la loi.

Aux termes de ces dispositions, le constable Sutherland ne pouvait arrêter Moore pour l’infraction punissable sur déclaration sommaire, savoir être passé au feu rouge, que si c’était nécessaire pour établir son identité. Ainsi, le constable s’acquittait de son devoir de faire respecter la loi provinciale, dans le cas de cette infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité, en demandant à Moore d’établir son identité pour être en mesure de faire une dénonciation ou, comme le permet la Summary Convictions Act de la Colombie‑Britannique, d’adopter la formule plus moderne qui consiste à dresser une contravention.

Je suis d’avis que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a eu raison de conclure qu’en refusant d’obtempérer à la demande du constable, Moore a entravé ledit constable dans l’exercice de ses fonctions. Comme les membres de la Cour d’appel, je limite mon examen de cette affaire à ces faits précis, savoir, qu’un constable en service a vu l’appelant commettre une infraction à la Loi et ne pouvait l’arrêter pour cette infraction sans avoir d’abord essayé de l’identifier afin de l’accuser pour

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déclaration sommaire de culpabilité.

Avec égards, je partage également l’avis des savants juges de la Cour d’appel que cette conclusion ne contredit aucunement l’arrêt Rice v. Connolly[2] de la Cour du Banc de la Reine. Dans cette affaire, les policiers avaient vu l’appelant agir de façon suspecte. Ils l’interrogèrent, mais ce dernier refusa de dire ou il allait ou d’où il venait. Il refusa de donner ses nom et adresse complets, tout en leur donnant un nom et un nom de rue qui n’étaient pas faux. Il refusa de suivre les policiers au kiosque de police aux fins d’identification et leur répondit [TRADUCTION] «si vous voulez me prendre, il faudra m’arrêter». La Cour d’appel l’a acquitté de l’accusation d’entrave à agent de police. Il est de première importance de souligner que, dans cette affaire-là, l’appelant n’avait commis aucune infraction en présence ou à la vue d’un policier. Ses actes avaient simplement parus suspects aux constables. La situation est, à mon avis, très différente lorsque le constable voit effectivement la personne commettre une infraction.

Aussi, pour les raisons susmentionnées, je suis d’avis que l’agent avait l’obligation d’essayer d’identifier le contrevenant et qu’en refusant de donner son identité, ce dernier a entravé un policier dans l’exécution de ses fonctions.

J’ajoute qu’en parvenant à cette conclusion, je n’ai pas oublié les dispositions de la Déclaration des droits ni la question de la liberté individuelle en général, mais je suis d’avis qu’il n’y a pas la moindre atteinte à la liberté d’un citoyen qu’un constable voit commettre une infraction lorsque ce dernier lui demande simplement ses nom et adresse sans essayer d’obtenir un aveu de faute ou une déclaration quelconque. Par ailleurs, le refus de donner son identité dans de telles circonstances crée un inconvénient majeur et une entrave à la police dans l’exercice de ses devoirs légitimes. Donc, même si l’on cherche à peser les intérêts en jeu, il ne saurait faire de doute que la conclusion à

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laquelle j’arrive, est manifestement celle qui favorise l’intérêt public.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Le jugement des juges Dickson et Estey a été rendu par

LE JUGE DICKSON (dissident)—Une infraction mineure aux règles de la circulation, commise à Victoria (C.-B.), est à l’origine de ce pourvoi. Toutefois la question soulevée est d’importance, car elle porte sur le pouvoir de la police d’interroger et le droit des citoyens de garder le silence. Ce droit a toujours été considéré comme un droit absolu et solidement ancré dans deux principes fondamentaux de common law: la présomption d’innocence et le droit de refuser de faire des réponses incriminantes pour soi. Il arrive que la loi impose explicitement à une personne l’obligation de donner son identité à la police dans certaines circonstances, mais on demande en l’espèce à la Cour d’imposer une telle obligation en l’absence de tout fondement législatif. En termes plus directs, il nous faut décider si une personne qui commet une infraction mineure aux règles de la circulation s’expose à l’accusation criminelle d’«entrave à agent» et à une peine maximale de deux ans de prison, si elle refuse de donner ses nom et adresse à un agent de police.

L’appelant a traversé sur sa bicyclette un carrefour au feu rouge. Un policier à motocyclette l’a vu commettre l’infraction, l’a arrêté et, dans l’intention de lui donner une contravention, lui a demandé son identité. L’appelant a refusé de donner ses nom et adresse. Il fut en conséquence accusé d’avoir illégalement et volontairement entravé un agent de la paix dans l’exercice de ses fonctions. Il nous faut donc déterminer si le refus de l’accusé de donner son identité quand le constable le lui a demandé constitue une preuve à soumettre au jury de l’infraction d’avoir volontairement entravé un agent de la paix dans l’exécution de son devoir contrairement à l’art. 118 du Code criminel.

Le principe général

Toute obligation de donner son identité doit être fondée sur la common law ou sur une loi, abstrac-

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tion faite de toute obligation incombant à la police. Nul n’est coupable de l’infraction d’entrave à agent de police simplement parce qu’il ne fait rien, à moins qu’il n’existe une obligation légale d’agir. Le défaut d’agir d’une certaine manière n’engage la responsabilité pénale que lorsqu’il existe une obligation d’agir en common law ou aux termes de la loi: 11 Hals. (4e éd.) p. 15. Ce principe a été énoncé par le juge Schroeder dans l’arrêt Regina v. Patrick[3], à la p. 343:

[TRADUCTION] L’avocat de l’appelant prétend que pour justifier une accusation d’entrave à agent de la paix dans l’exécution de son devoir, le ministère public doit prouver soit un acte positif d’obstruction soit un refus d’exécuter un acte quelconque imposé par une loi… Comme il n’a pas été prouvé que l’appelant avait une obligation quelconque de communiquer à l’agent de la paix les renseignements demandés aux termes des dispositions du par. 221(2) du Code criminel, ou du par. 110(1) de The Highway Traffic Act, le ministère public n’a pas démontré que l’appelant avait commis une infraction. Cela suffit pour trancher l’appel.

La question en cause est traitée en détail par M. Glanville Williams, dans un article intitulé «Demanding Name and Address» publié à (1950), 66 Law Quarterly Review, à la p. 465. Voici comment le principe général de common law y est formulé:

[TRADUCTION] …nul n’a le pouvoir, pas même un agent de police, d’exiger qu’une personne lui donne ses nom et adresse parce qu’elle a commis une infraction ou a engagé sa responsabilité civile.

M. Williams cite l’arrêt Hatton v. Treeby[4] pour illustrer ce principe. En voici le sommaire:

[TRADUCTION] Un constable qui voit une personne allant à bicyclette la nuit, sans lumière adéquate, en contravention des dispositions de l’art. 85 de The Local Government Act, n’a pas le pouvoir de l’arrêter afin de s’informer de ses nom et adresse.

Dans cette affaire, le constable avait demandé au cycliste de s’arrêter pour s’informer de ses nom et adresse. Comme le cycliste ne s’arrêtait pas, le constable a saisi le guidon de la bicyclette et le

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cycliste est tombé. Il a donc assigné le constable pour voies de fait. Les juges ont conclu que le constable ne connaissait pas les nom et adresse du cycliste et ne pouvait les obtenir qu’en le stoppant et que, ce faisant, il n’avait pas recouru à plus de force que nécessaire. Ils étaient d’avis que, puisque le cycliste commettait au vu et au su du constable une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité, ce dernier était fondé à le stopper comme il l’a fait pour mettre fin à l’infraction et s’informer de ses nom et adresse. Ils ont donc rejeté la plainte, sous réserve d’une question sur dossier soumise à la Cour. La Cour d’appel a jugé que le constable n’avait pas le pouvoir en common law de stopper le cycliste et que la seule question était alors de savoir si la Loi lui conférait ce pouvoir. La Cour a jugé qu’aucune loi ne l’autorisait à agir comme il l’avait fait. Le constable a donc été déclaré coupable de voies de fait.

Absence d’obligation légale

Je ne vois dans la Motor-vehicle Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1960, chap. 253, aucune disposition obligeant un cycliste qui passe au feu rouge à donner son identité. L’article 58 de la Loi impose spécifiquement à quiconque conduit un «véhicule à moteur» l’obligation de donner ses nom et adresse exacts lorsqu’un agent de la paix les lui demande. Ce fait même semble indiquer qu’il n’existe aucun pouvoir de ce genre en l’absence de dispositions législatives. L’article 58 ne s’applique ni aux conducteurs de «véhicules» (terme défini à l’art. 2) ni aux cyclistes, et aucune autre disposition de la Motor-vehicle Act, ni de toute autre loi pertinente, n’impose cette obligation à un cycliste surpris à commettre une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité aux termes de la Motor-vehicle Act.

J’ai eu l’avantage de lire les motifs du juge Spence et je suis tout à fait d’accord, pour les motifs exprimés par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique et par lui-même, que l’accusé n’a pas enfreint l’art. 58 de la Motor-vehicle Act en refusant de donner ses nom et adresse au constable.

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Au procès, le ministère public a prétendu que l’obligation de l’accusé de répondre aux questions de l’agent est comprise dans les dispositions de la Motor-vehicle Act. L’argument a été réitéré sans succès en Cour d’appel et devant cette Cour. La loi n’oblige tout bonnement pas un cycliste qui commet une infraction aux règles de la circulation à révéler ses nom et adresse.

Pouvoir d’arrestation

Toutefois l’application de la loi n’en est pas pour autant paralysée. On ne peut échapper à l’application de la loi provinciale en refusant de donner son identité puisque, dans ces circonstances, la police dispose clairement du pouvoir d’arrestation pour l’infraction initiale, afin d’établir l’identité de l’accusé ou d’assurer sa comparution devant les tribunaux. Il est incontestable que la Motor-vehicle Act interdisait à l’accusé de passer au feu rouge, infraction que l’accusé a avoué avoir commise. Le constable Sutherland s’est acquitté de ses devoirs aux termes de la Police Act, 1974 (B.C.), chap. 64, lorsqu’il a stoppé l’accusé et lui a demandé ses nom et adresse. Le constable Sutherland ne pouvait l’arrêter en vertu de l’art. 63 de la Motor-vehicle Act sans mandat, mais disposait de pouvoirs supplémentaires conférés par le par. 450(2) du Code criminel. Ces dispositions du Code sont rendues applicables par l’art. 101 de la Summary Convictions Act, R.S.B.C. 1960, chap. 373. Un résultat des plus importants en découle, comme le conclut le juge Spence: le constable Sutherland aurait pu arrêter l’accusé pour l’infraction commise, savoir être passé au feu rouge, si c’était nécessaire pour établir son identité. Avec égards, je ne puis convenir toutefois que l’accusé est de ce fait coupable d’une autre infraction nettement plus grave, en l’occurrence d’entrave à agent de police dans l’exercice de ses fonctions, parce qu’il a refusé de révéler ses nom et adresse.

Absence d’obligation en common law

Il n’existe pas en common law d’obligation de donner son identité à la police. Comme l’affirme lord Parker dans l’arrêt Rice v. Connolly[5], à la p. 652:

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[TRADUCTION] Il me semble tout à fait évident que même si tout citoyen a l’obligation morale ou, si vous préférez, l’obligation sociale d’aider la police, il n’existe aucune obligation juridique de le faire; en fait la common law repose fondamentalement sur le droit de quiconque de refuser de répondre aux questions posées par une personne investie d’une autorité, de refuser d’accompagner à un endroit donné des personnes investies d’une autorité, à moins bien sûr d’être arrêté.

Cet arrêt appuie l’argument que le refus de donner son identité à la police ne peut constituer une entrave à la police. La cour a fait la distinction entre refuser de répondre, ce qui est un droit, et raconter une histoire «à dormir debout» à la police, ce qui peut constituer une entrave. Elle ne fait aucune autre distinction. Lord Parker dit à la p. 652:

[TRADUCTION] A mon sens, il y a une différence fondamentale entre raconter délibérément une histoire mensongère, ce qu’en aucun cas le citoyen n’a le droit de faire, et le silence ou le refus de répondre, ce qui est son droit absolu.

L’arrêt Ingleton v. Dibble[6], fait une différence entre le refus d’agir, d’une part, et l’acte positif, de l’autre. Le juge Bridge (aux motifs duquel le juge en chef, lord Widgery, et le juge Ashworth ont souscrit) dit à la p. 279:

[TRADUCTION] Si, comme dans l’affaire Rice v. Connolly, l’entrave alléguée consiste dans le refus du défendeur de faire ce que l’agent de police lui demande de faire—donner des renseignements ou aider l’agent de police par exemple—on voit immédiatement le bien-fondé du principe appliqué dans cet arrêt, selon lequel le refus d’agir ne peut constituer une entrave délibérée au sens de l’art. 51 à moins que la loi n’impose à l’intéressé l’obligation de faire, dans les circonstances, ce que l’agent de police demande.

La situation juridique en Angleterre et au pays de Galles est décrite en ces termes dans l’ouvrage de Leigh, Police Powers in England and Wales (1975), à la p. 195:

[TRADUCTION] Et, en général, la règle demeure que tout citoyen a le droit de ne pas prêter toute l’assistance voulue, dans la mesure où il ne fait pas obstruction à la justice en donnant sciemment de faux renseignements à la police.

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Les faits de l’affaire ontarienne Regina v. Carroll[7] sont résumés ainsi dans le sommaire: l’accusé était inculpé d’avoir illégalement et volontairement entravé un agent de police dans l’exécution de ses fonctions, contrairement au par. 110a) du Code criminel, 1953-1954 (Can.), chap. 51. L’accusé, accompagné de trois autres personnes, marchait le long d’une route très tôt le matin. Le constable les entendit siffler et crier et leur conseilla de se taire et de rentrer chez eux. Trois d’entre eux suivirent son conseil, mais l’accusé continua. Le constable lui demanda de fournir une pièce d’identité, mais l’accusé refusa et suivit son chemin. Le constable le rattrapa et lui demanda à nouveau de donner son identité. Il s’ensuivit une dispute et une bagarre, et l’accusé fut arrêté. Il fut accusé d’entrave à agent de police et déclaré coupable. Il fit appel. La déclaration de culpabilité fut annulée au motif que, dans les circonstances, l’accusé n’avait aucune obligation de donner son identité comme on le lui demandait.

Le ministère public a admis devant cette Cour qu’il n’existe aucune obligation de ce genre en common law. D’où vient donc cette obligation? Où trouve-t-on l’obligation juridique de répondre? Nul ne peut «entraver» quiconque en refusant de répondre à une question, à moins d’avoir l’obligation juridique de ce faire.

Une obligation «implicite» ou «réciproque»?

On a soutenu avec force devant cette Cour que, puisque les agents de police ont le devoir de faire enquête sur les crimes et de faire appliquer les lois provinciales, toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction a l’obligation «implicite» ou «réciproque» de donner ses nom et adresse et que tout refus de le faire est un obstacle suffisamment sérieux pour constituer l’infraction d’entrave à agent de police dans l’exécution de son devoir.

Forcément le ministère public a dû se raccrocher à l’argument que, face à l’obligation de l’agent de police de s’informer avant d’exercer son pouvoir d’arrestation aux termes de l’art. 450 du Code, le contrevenant présumé a l’obligation réciproque de répondre. Cette obligation présumée, si je com-

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prends bien l’argumentation, se limiterait à la communication des nom et adresse, lorsque le contrevenant est surpris à commettre une infraction et avant son arrestation.

La notion de «pris sur le fait» ou «vu en train de commettre une infraction» n’est pas inconnue. Le concept a parfois servi à donner un pouvoir d’arrestation quand l’infraction est commise en présence de celui qui procède à l’arrestation. Mais même dans ce cas, l’application du concept ne va sans poser de problèmes. Voici ce qu’en dit un article intitulé «Arrest: a General View», [1966] Crim. L.R. 639, à la p. 645:

[TRADUCTION] Cette formule amène des difficultés de deux ordres: tout d’abord, il n’y a pas d’uniformité dans la façon dont les tribunaux abordent l’interprétation de l’article, car certains jugent que l’arrestation se justifie s’il y a un soupçon raisonnable qu’une infraction a été commise quand d’autres décident qu’il faut en fait que la personne arrêtée soit coupable. En second lieu elle limite ce pouvoir d’une manière qui peut priver l’agent de police du pouvoir d’arrestation dans bien des situations où il serait nécessaire d’arrêter quelqu’un, sans aucune raison apparente. Ainsi une personne qui, après avoir causé un accident par sa conduite dangereuse, refuse de s’arrêter, ne peut être arrêtée si l’agent de police n’a pas été réellement témoin de l’accident. Il semble tout aussi absurde qu’une personne qui a lancé une brique dans une vitrine puisse être arrêtée si l’agent de police l’a vue le faire, mais ne puisse l’être si l’agent de police est à l’autre coin de rue et ayant entendu un bruit de vitre brisée, voit le contrevenant, peut-être le seul coupable possible, ou si une autre personne, qui a été témoin de l’infraction, appelle la police.

Bien qu’on ait appliqué aux arrestations la notion de «vu en train de commettre une infraction», son application à l’obligation de révéler son identité est une curieuse innovation. Elle va à l’encontre de toute la jurisprudence. Le droit de garder le silence, formulé dans l’arrêt Rice v. Connolly, n’admet pas ce genre d’érosion. Rien dans la terminologie ni dans les faits de cette affaire ne permet de dire que le principe général cesse de s’appliquer dans le cas où l’agent de police est témoin de l’infraction.

Une obligation limitée de répondre, dans le seul cas où le policier est témoin oculaire, introduit dans le droit criminel, qui devrait reposer sur des

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principes «généraux, simples et intelligibles», une restriction qui n’est valable ni en théorie ni en pratique.

Le fait qu’un agent de police a le devoir d’identifier une personne soupçonnée d’une infraction ou surprise à la commettre n’a rien à voir avec la question de savoir si la personne a l’obligation de donner son identité quand on le lui demande. Chacun de ces devoirs est entièrement indépendant de l’autre. Ce n’est que lorsque le policier peut légalement exiger qu’une personne donne son identité que cette personne a l’obligation correspondante de s’exécuter. Comme le dit le juge d’appel McFarlane dans l’arrêt R. v. Bonnycastle[8], à la p. 201, il ne faut pas confondre le devoir de l’agent de la paix de prendre des renseignements et le droit d’une personne de refuser de répondre à des questions dans des circonstances où elle n’est pas juridiquement tenue d’y répondre.

La Législature a délibérément imposé aux conducteurs de véhicules à moteur (peut-être en raison de leur aspect plus dangereux) l’obligation de donner leur identité, mais a décidé de ne pas l’imposer aux conducteurs d’autres véhicules, notamment les bicyclettes. Il faut en conclure que la Législature a voulu dispenser les cyclistes de cette obligation. Les obliger à donner leurs noms et adresses reviendrait à modifier la Motor-vehicle Act. Il semble également que le Parlement, par le par. 450(2) et le sous-al. 452(1)f)(i) du Code criminel, relatifs à l’arrestation et à la détention aux fins d’identification, ait voulu écarter toute obligation de donner son identité en dehors de celle prévue par la Loi, dont la violation expose le contrevenant à l’accusation d’«entrave à agent». Dans la législation anglaise, on trouve des exemples de cas d’obligation légale de révéler son identité à la police; ces dispositions seraient inutiles s’il existait une obligation générale: voir par exemple Protection of Birds Act, 1954, 2 & 3 Eliz. 2, chap. 30, art. 12(1)a); Dangerous Drugs Act, 1965, 13 & 14 Eliz. 2, chap. 15, art. 15; Representation of the People Act, 1949, 12 & 13 Geo. 6, chap. 68, art. 84(3); Road Traffic Act, 1960, 8 & 9 Eliz. 2, chap. 16, art. 228; Prevention of Crime Act, 1953, 1 & 2 Eliz. 2, chap. 14, art. 1(3).

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Le droit criminel n’est pas l’endroit où introduire des devoirs implicites, inconnus de la loi et de la common law, dont la violation peut entraîner l’arrestation et l’emprisonnement du contrevenant.

L’argument du «devoir réciproque» avancé par le ministère public en l’espèce est examiné dans l’article susmentionné de M. Glanville Williams. Ce dernier règle cette question par le raisonnement suivant, à la p. 473, que je souhaite adopter:

[TRADUCTION] On peut se demander si le pouvoir de la police de demander les nom et adresse est en fait généralisé par les lois qui créent l’infraction d’entrave à agent dans l’exécution de son devoir—le refus d’obtempérer en constituant une. A première vue, il semble que les arguments abondent en faveur de cette thèse. Bien qu’il ne soit pas du devoir de la police de poursuivre tous les crimes, on peut dire qu’il est de son devoir d’enquêter sur les crimes en vue de poursuites judiciaires. Les tribunaux ont statué que toute obstruction à la recherche des preuves d’une infraction par la police constitue une entrave. En outre, il a été jugé que l’entrave peut consister en un défaut d’agir, quand il y a refus de se conformer aux ordres légalement donnés par la police. Malgré cette jurisprudence, on soutient que le refus du contrevenant de donner ses nom et adresse ne constitue pas une entrave pour au moins deux raisons. Tout d’abord, si un tel refus constituait une entrave, toutes les dispositions législatives faisant une infraction du refus de donner ses nom et adresse dans des cas particuliers seraient inutiles. Quand, par exemple, le Parlement a adopté la Public Order Act en 1936, il devait penser que la police n’avait pas le pouvoir général d’exiger la communication des nom et adresse. Deuxièmement, un des principes fondamentaux du droit anglais est qu’un accusé ne peut être interrogé ou, tout au moins, être forcé à répondre à des questions sous peine de sanctions légales en cas de refus; ce principe est absolu et ne souffre aucune exception même lorsqu’il s’agit d’un ordre de donner les nom et adresse, à moins d’une exception créée par des dispositions législatives expresses. L’assertion selon laquelle la police a le devoir de rassembler les éléments de preuve et qu’en conséquence le refus d’un contrevenant de donner ses nom et adresse constitue une entrave, est bien trop générale, car selon ce principe, il faudrait dire également que le refus du criminel de faire des aveux constitue une entrave.

L’opinion exprimée par M. Williams a été adoptée en Nouvelle-Zélande dans l’arrêt Elder v. Evans[9].

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Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de rétablir le jugement de première instance.

Pourvoi rejeté, les juges DICKSON et ESTEY étant dissidents.

Procureurs de l’appelant: Gowling & Henderson, Ottawa.

Procureur de l’intimée: Le procureur-général de la Colombie-Britannique.

 



[1] [1977] 5 W.W.R. 241.

[2] [1966] 2 All E.R. 649.

[3] (1960), 32 C.R. 338 (Ont. C.A.).

[4] [1897] 2 Q.B. 452.

[5] [1966] 2 All E.R. 649 (Q.B.D.)

[6] [1972] 1 All E.R. 275 (Q.B.D.)

[7] (1959), 31 C.R. 315 (Ont. C.A.).

[8] [1969] 4 C.C.C. 198 (B.C.C.A.).

[9] [1951] N.Z.L.R. 801 (N.Z.S.C.).

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