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Garcia Transport Ltée c. Cie Royal Trust, [1992] 2 R.C.S. 499

 

Compagnie Royal Trust

 

et

 

Banque fédérale de développement                                                 Appelantes

 

c.

 

Garcia Transport Ltée                                                                       Intimée

 

et

 

Le régistrateur de la division

de Laprairie et le shérif

du district de Montréal                                                                      Mis en cause

 

Répertorié:  Garcia Transport Ltée c. Cie Royal Trust

 

No du greffe:  21935.

 

1992:  25 février; 1992:  25 juin.

 

Présents:  Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier et Stevenson*.

 

en appel de la cour d'appel du québec

 

                   Obligations ‑‑ Extinction des obligations ‑‑ Libération de certains débiteurs ‑‑ Ordre public ‑‑ Renonciation ‑‑ Renonciation du débiteur aux droits que lui confèrent les art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. avant la vente en justice ‑‑ Les articles 1202a et suiv. C.c.B.‑C. sont‑ils d'ordre public? ‑‑ Dans l'affirmative, la renonciation du débiteur est‑elle valide? ‑‑ Code civil du Bas‑Canada, art. 1202a à 1202l.

 

                   Obligations ‑‑ Extinction des obligations ‑‑ Libération de certains débiteurs ‑‑ Exigences ‑‑ Articles 1202a et suiv. C.c.B.‑C. ‑‑ Adjudication au créancier lors de deux ventes en justice distinctes des lots hypothéqués par le débiteur ‑‑ Un délai de trois mois sépare les ventes en justice ‑‑ Première vente suffisante pour acquitter la dette du débiteur envers le créancier ‑‑ Demande de libération du débiteur présentée après la seconde vente ‑‑ Le débiteur a‑t‑il le droit d'obtenir sa libération après la première vente en justice? ‑‑ La deuxième vente en justice peut‑elle être annulée? ‑‑ Code civil du Bas‑Canada, art. 1202a à 1202l.

 

                   Procédure civile ‑‑ Vente en justice ‑‑ Annulation du décret ‑‑ Exigences ‑‑ Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C‑25, art. 698, 699, 700.

 

                   Jugements et ordonnances ‑‑ Chose jugée ‑‑ Moyens préliminaires ‑‑ Requête en irrecevabilité ‑‑ La Cour supérieure fait droit en partie à la requête préliminaire du créancier et ordonne la radiation des conclusions de l'action du débiteur relatives à l'annulation de la vente en justice ‑‑ Décision non portée en appel dans le délai prescrit ‑‑ La décision a‑t‑elle acquis l'autorité de la chose jugée? ‑‑ Code civil du Bas‑Canada, art. 1241.

 

                   La Compagnie Trust Royal agissait en qualité de fiduciaire pour la Banque fédérale de développement pour l'octroi d'un prêt de 250 000 $ à l'intimée.  Le prêt était garanti par une hypothèque sur trois lots.  Après que l'intimée eut fait défaut d'honorer ses paiements, les appelantes ont pris action pour réclamer le solde du prêt, ont obtenu jugement et ont saisi les lots hypothéqués.  Les parties ont alors conclu une entente:  l'intimée renonçait à son droit d'obtenir sa libération en vertu des art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C., peu importe le prix qui serait obtenu pour les lots à la vente en justice ou leur valeur réelle; en contrepartie, les appelantes acceptaient de procéder à une deuxième vente au cours de laquelle le troisième lot serait mis aux enchères seulement si le produit de la vente des deux lots non construits s'avérait insuffisant pour satisfaire au jugement qu'elles avaient obtenu contre l'intimée.  Lors de la première vente, les appelantes ont acquis les deux premiers lots et trois mois plus tard, lors de la seconde vente, elles ont été déclarées adjudicataires du troisième lot.  Après la seconde vente, l'intimée a poursuivi les appelantes, alléguant qu'elle avait le droit d'obtenir sa libération en vertu de l'art. 1202b C.c.B.‑C. pour le motif que les immeubles vendus lors de la première vente en justice avaient une valeur supérieure à sa dette envers les appelantes.  L'intimée a également demandé l'annulation de la deuxième vente.

 

                   Par requête préliminaire, les appelantes ont soutenu qu'il ne pouvait y avoir annulation d'un décret qu'en vertu des art. 698 et 699 C.p.c. et que l'intimée n'avait pas allégué de faits pouvant donner ouverture à l'annulation du second décret conformément à ces dispositions.  La Cour supérieure a fait droit en partie à la requête des appelantes, ordonnant la radiation des conclusions de l'action de l'intimée relatives à l'annulation du second décret.  L'intimée n'en a pas appelé de cette décision et il a été procédé à l'instruction de l'affaire, au cours de laquelle la cour a rejeté la demande de libération de l'intimée pour le motif que la valeur réelle des biens vendus lors de la première vente était insuffisante pour satisfaire à la créance des appelantes.

 

                   La Cour d'appel à la majorité a accueilli l'appel de l'intimée. La majorité a conclu que la Cour supérieure avait sous‑estimé la valeur des deux premiers lots dont le montant était suffisant pour couvrir la dette de l'intimée.  En ce qui concerne la renonciation de l'intimée à sa libération, la majorité a estimé qu'on ne peut renoncer aux droits que confère une loi d'ordre public avant qu'ils ne soient nés et elle a conclu que la renonciation était nulle puisque le débiteur l'avait signée avant que le droit de demander sa libération ne se soit concrétisé et qu'il lui était maintenant loisible de demander l'annulation du second décret.

 

                   Le présent pourvoi vise à déterminer si l'intimée a droit à une libération après la première vente en justice et si la seconde vente devrait être annulée.

 

                   Arrêt:  Le pourvoi est accueilli.

 

                   Les articles 1202a et suiv. C.c.B.‑C. constituent des dispositions d'ordre public économique de protection.  Ces dispositions, qui prévoient la libération du débiteur par suite de la vente en justice et l'adjudication au créancier de l'immeuble donné en garantie de la dette, visent non seulement à protéger un groupe limité de personnes, mais aussi à promouvoir le bien‑être économique de la société en général.  Si elles étaient purement facultatives, ces dispositions ne permettraient pas de réaliser l'objet de la loi:  la renonciation à leur bénéfice deviendrait rapidement une clause type dans tous les contrats de prêt au Québec.  L'absence de stipulation expresse du législateur ne saurait empêcher les tribunaux de conclure qu'il s'agit de dispositions édictées à des fins d'ordre public.

 

                   La partie en faveur de laquelle la loi d'ordre public a été édictée peut renoncer à son bénéfice puisque sa violation n'est sanctionnée que par une nullité relative.  Toutefois, la renonciation n'est valide que si elle intervient après que ladite partie a acquis le droit qui découle de cette loi.  C'est alors seulement que la partie la plus faible peut faire un choix éclairé entre la protection que la loi lui accorde et les avantages qu'elle compte obtenir de son cocontractant en échange de la renonciation à cette protection. En l'espèce, l'intimée a renoncé à la protection des art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. après avoir fait défaut et après que jugement fut rendu sur le reliquat de sa dette.  Elle n'avait pas encore à ce moment acquis le droit de demander sa libération puisque ce n'est qu'après la vente en justice que prend naissance ce droit.  La renonciation qu'a signée l'intimée, avant la vente, était donc prématurée et, vu le caractère d'ordre public des dispositions concernant la libération, de nul effet.  Étant donné que les appelantes n'avaient pas contesté la conclusion de la Cour d'appel que la valeur des immeubles adjugés lors de la première vente en justice était suffisante pour qu'il soit satisfait au jugement dans sa totalité, l'intimée pouvait alors invoquer la valeur de l'immeuble vendu pour demander sa libération.

 

                   Bien que les art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. soient des dispositions "remédiatrices" auxquelles il convient de donner une interprétation large, le droit à la libération n'a rien d'absolu.  Le débiteur doit l'exercer, et ce, en temps utile et en suivant la procédure prescrite.  Compte tenu de l'art. 1202i, un débiteur qui a hypothéqué plus d'un terrain pour garantir un seul prêt doit entreprendre des démarches en vue d'obtenir sa libération après une première vente en justice, afin d'empêcher le créancier d'exercer ses droits sur les autres garanties consenties pour la même dette, même si la valeur d'un immeuble vendu lors d'une première vente en justice est suffisante pour couvrir le solde de la dette due au créancier.  Le débiteur doit agir avec diligence.  S'il reste inactif alors que sont prises d'autres procédures juridiques, les tribunaux ne remédieront pas à son inaction.  De plus, il ressort clairement de l'art. 1202k qu'une fois le jugement pleinement exécuté, comme il l'a été en l'espèce par la deuxième vente en justice, le débiteur ne peut, bien qu'il puisse encore obtenir sa libération (à condition que la valeur de l'immeuble soit suffisante pour couvrir la créance), réclamer la somme qui a pu constituer une aubaine pour le créancier et à laquelle il aurait pu avoir droit par ailleurs.  En l'espèce, l'intimée doit être déboutée de sa demande de libération suite à la première vente en justice.  Elle aurait pu empêcher la deuxième vente en justice, ou à tout le moins la retarder, simplement en suivant la procédure établie à l'art. 1202j C.c.B.‑C.  N'ayant pas demandé sa libération avant que n'ait lieu la deuxième vente, l'intimée était irrecevable tant à demander sa libération qu'à obtenir un remboursement des appelantes.  Son défaut d'observer les exigences procédurales pour faire valoir ses droits est fatal.

 

                   L'intimée est également irrecevable à demander l'annulation du second décret.  Étant donné le rôle que le décret joue dans l'exécution des jugements et les droits qu'il confère, ainsi que la nécessité de garantir la stabilité et la fiabilité des titres, le décret a généralement un caractère définitif et exécutoire.  Ce n'est qu'exceptionnellement qu'il pourra être annulé et seulement pour les quelques motifs énumérés aux art. 698 et 699 C.p.c.  La demande d'annulation de décret doit être formée dans le court délai prévu à l'art. 700 C.p.c.  Ce délai est de rigueur.  Les requérants qui auraient pu s'opposer à la saisie et à la vente, mais ne l'ont pas fait, ne réussissent généralement pas à faire annuler le décret parce que leur défaut d'agir plus tôt signifie qu'ils ont consenti à l'irrégularité qu'ils auraient pu invoquer par la suite.  En l'espèce, il n'y a aucun motif d'attaquer la validité du jugement obtenu à l'origine par les appelantes ou la deuxième vente en justice. L'intimée n'a jamais nié devoir la somme réclamée par les appelantes après qu'elle eut fait défaut d'effectuer ses paiements et elle n'a entrepris aucune procédure en vue d'être libérée de sa dette envers les appelantes avant que n'intervienne la deuxième vente en justice.  Les appelantes ont saisi les immeubles comme elles en avaient le droit et la deuxième vente en justice s'est déroulée en toute légalité.  Bien que l'intimée ait pu agir dans le délai prescrit par l'art. 700 C.p.c. lorsqu'elle a intenté son action, elle n'a allégué aucun des moyens prévus au Code de procédure civile à l'appui de sa demande d'annulation du second décret.  En accueillant la requête préliminaire des appelantes, la Cour supérieure a estimé qu'aucune preuve de fraude ou d'inobservance des conditions et formalités essentielles n'avait été établie en ce qui concerne le second décret.  En conséquence, la demande de l'intimée visant à faire annuler le second décret doit être rejetée.  Elle ne satisfaisait pas aux dispositions strictes du Code de procédure civile.

 

                   Quoi qu'il en soit, étant donné que la décision de la Cour supérieure d'accueillir la requête préliminaire des appelantes en radiation de la partie de l'action de l'intimée visant l'annulation du second décret constituait un jugement définitif sur ce point et qu'elle n'a pas fait l'objet d'un appel dans le délai prescrit, soit indépendamment, soit dans le cadre de l'appel de la décision au fond, ce jugement constituait chose jugée.  Par conséquent, l'intimée ne pouvait alors soulever à nouveau la question et demander, comme elle l'a fait en appel, l'annulation du second décret, même si elle avait possiblement le droit d'obtenir gain de cause.

 

Jurisprudence

 

                   Arrêts mentionnésPlacements Racine Inc. c. Trust général du Canada, [1989] R.J.Q. 2287; Pauzé c. Gauvin, [1954] R.C.S. 15; Landry c. Cunial, [1977] C.A. 501; Pouliot c. Cie Trust Royal, [1980] C.A. 157; Belgo‑Fisher (Canada) Inc. c. Lindsay, [1988] R.J.Q. 1223; Stern c. G.S.A. Management Inc., C.A. Montréal, no 500‑09‑000485‑813, le 19 décembre 1983; In re Réserves du Nord (1973) Ltée:  Biega c. Druker, [1982] C.A. 181; Girard c. Groupe Desjardins assurances générales, [1989] R.R.A. 153; Pomerleau c. 2319‑8419 Québec Inc., [1989] R.J.Q. 137; Gélinas c. Caisse populaire de St‑Sévère, [1990] R.R.A. 566; Letellier c. Century 21 Citadelle Ltée, [1990] R.D.I. 42; Bérard c. Barrette (1874), 5 R.L. 703; Lymburner c. Courtois (1922), 34 B.R. 341; Patton c. Morin (1865), 16 L.C.R. 267; Perrault c. Mousseau (1896), 6 B.R. 474; Dyer c. Bradbury‑Parry, [1976] C.A. 106; Boileau c. Procureur général du Québec, [1957] R.C.S. 463; Ville d'Anjou c. C.A.C. Realty Ltd., [1978] 1 R.C.S. 819, conf. [1974] C.A. 197, conf. [1972] C.S. 808; St‑Gelais c. Banque de Montréal, [1968] R.C.S. 183, conf. [1966] B.R. 365; Gobeil c. Cie H. Fortier, [1982] 1 R.C.S. 988; Canada Investment and Agency Co. c. McGregor (1892), 1 B.R. 197, conf. (1892), 21 R.C.S. 499; Genier c. Kerr (1893), 3 C.S. 409; Veilleux c. B. Trudel et Cie (1933), 55 B.R. 481; Leclerc c. Phillips (1894), 4 B.R. 288; Roy c. Lavallée, [1960] B.R. 438; Office du crédit agricole du Québec c. Gauvin, [1977] C.S. 589, conf. C.A. Québec, no 200‑09‑000306‑77, le 12 août 1977; Fort Garry Trust Co. c. Roberts Sprinkler Ltd., [1981] C.S. 905; Janelle c. Champagne, [1981] C.S. 898; Caisse populaire de St‑Eustache c. Entreprises Blainville Ltée, [1989] R.D.I. 355; Dufresne c. Dixon (1889), 16 R.C.S. 596; Vézina c. Lafortune (1917), 56 R.C.S. 246; Peiffer c. Lafrance, [1987] R.J.Q. 2616; Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374; Davis c. Royal Trust Co., [1932] R.C.S. 203; Dominion Textile Co. c. Skaife, [1926] R.C.S. 310; Ville de St. Jean c. Molleur (1908), 40 R.C.S. 139; Fraternité des Policiers de la Communauté urbaine de Montréal c. Ville de Montréal, [1980] 1 R.C.S. 740; Brandt Plumbing Co. c. Nozetz, [1984] R.D.J. 219; Laforge c. White, [1990] R.J.Q. 2124; Placements Monga Inc. c. Lalonde, [1986] R.L. 264; Interprovincial Building Credits Ltd. c. Pelletier, [1970] C.S. 94; Lafaille c. Banque nationale du Canada, [1987] R.J.Q. 1509; Labine c. Viau, [1942] B.R. 406; Ocean Accident & Guarantee Corp. c. Air Canada, [1975] R.P. 193; Venne c. Québec (Commission de protection du territoire agricole), [1989] 1 R.C.S. 880; Mongrain c. Auger, [1967] B.R. 332; Brousseau c. Hamel, [1968] B.R. 129; Martel c. Martel, [1967] B.R. 805.

 

Lois et règlements cités

 

Code civil du Bas‑Canada, art. 13, 1040a à 1040e, 1202a à 1202l, 1241.

 

Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 [pas encore en vigueur], art. 1417 à 1421, 1695 à 1698.

 

Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C‑25, art. 599, 695, 696, 698, 699, 700.

 

Loi concernant la libération de certains débiteurs, S.Q. 1938, ch. 90.

 

Loi modifiant le Code civil, S.Q. 1947, ch. 71.

 

Doctrine citée

 

Azard, Pierre. "Le contrat d'adhésion" (1960), 20 R. du B. 337.

 

Baudouin, Jean‑Louis.  Les obligations, 3e éd.  Cowansville, Qué.:  Éditions Yvon Blais Inc., 1989.

 

Carbonnier, Jean. Droit civil, t. 4, Les obligations, 15e éd. Paris: P.U.F., 1991.

 

Ciotola, Pierre.  "Aperçu des conditions illicites et immorales" (1970), 72 R. du N. 315 et 407.

 

Coipel, Michel.  "La liberté contractuelle et la conciliation optimale du juste et de l'utile" (1990), 24 R.J.T. 485.

 

Côté, Pierre‑André.  Interprétation des lois, 2e éd. Cowansville, Qué.:  Éditions Yvon Blais Inc., 1990.

 

Couturier, Gérard.  "L'ordre public de protection, heurs et malheurs d'une vieille notion neuve". Dans Études offertes à Jacques Flour.  Paris: Répertoire du notariat defrénois, 1979, 95.

 

Crépeau, Paul‑André.  "Contrat d'adhésion et contrat type".  Dans Adrian Popovici, dir., Problèmes de droit contemporain (Mélanges Louis Baudouin).  Montréal:  Presses de l'Université de Montréal, 1974, 67.

 

Ducharme, Léo.  Précis de la preuve, 3e éd.  Montréal:  Wilson & Lafleur, 1986.

 

Farjat, Gérard.  L'ordre public économique.  Paris:  L.G.D.J., 1963.

 

Ghestin, Jacques.  Le contrat dans le nouveau droit québécois et en droit français:  principes directeurs, consentement, cause et objet.  Montréal:  Institut de droit comparé, 1982.

 

Ghestin, Jacques. Traité de droit civil, t. 2, Les obligations -- Le contrat: formation, 2e éd. Paris: L.G.D.J., 1988.

 

Josserand, Louis.  "Aperçu général des tendances actuelles de la théorie des contrats" (1937), 36 Rev. trim. dr. civ. 1.

 

Jukier, Rosalie.  "Banque Nationale du Canada v. Houle (S.C.C.):  Implications of an Expanded Doctrine of Abuse of Rights in Civilian Contract Law" (1992), 37 R.D. McGill 221.

 

Juris‑classeur civil, Art. 6, fasc. 1 et 2, par Maurice Gégout.

 

LeBel, Louis.  "L'appel des jugements interlocutoires en procédure civile québécoise" (1986), 17 R.G.D. 391.

 

Marler, William deMontmollin.  The Law of Real Property.  Toronto: Burroughs & Co., 1932.

 

Perrault, Antonio.  "Ordre public et bonnes moeurs" (1949), 9 R. du B. 1.

 

Pineau, Jean et Danielle Burman.  Théorie des obligations, 2e éd. Montréal:  Thémis, 1988.

 

Popovici, Adrian.  "Les contrats d'adhésion:  un problème dépassé".  Dans Adrian Popovici, dir., Problèmes de droit contemporain (Mélanges Louis Baudouin).  Montréal:  Presses de l'Université de Montréal, 1974, 161.

 

Québec.  Office de révision du Code civil.  Rapport sur le Code civil du Québec:  Projet de Code civil, vol. I. Québec:  Éditeur officiel, 1978.

 

Ripert, Georges.  "L'ordre public et la liberté contractuelle".  Dans Mélanges François Gény.  Paris, 1936.

 

Royer, Jean‑Claude.  La preuve civile.  Cowansville, Qué.:  Éditions Yvon Blais Inc., 1987.

 

Tancelin, Maurice.  Des obligations: contrat et responsabilité, 4e éd. Montréal:  Wilson & Lafleur, 1988.

 

Traité de droit civil du Québec, t. 8 bis, par Léon Faribault.  Montréal:  Wilson & Lafleur, 1959.

 

Trudel, Gérard.  "Des frontières de la liberté contractuelle".  Dans Adrian Popovici, dir., Problèmes de droit contemporain (Mélanges Louis Baudouin).  Montréal: Presses de l'Université de Montréal, 1974, 217.

 

                   POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1990] R.J.Q. 925, [1990] R.D.I. 285, qui a infirmé une décision de la Cour supérieure. Pourvoi accueilli.

 

                   Gabriel Kordovi et Pierre de Granpré, c.r., pour les appelantes.

 

                   Benoit Rivet, pour l'intimée.

 

//Le juge L'Heureux-Dubé//

 

                   Le jugement de la Cour a été rendu par

 

                   Le juge L'Heureux‑Dubé ‑‑ Ce pourvoi porte sur l'application des dispositions du Code civil du Bas‑Canada prévoyant la libération du débiteur par suite de la vente en justice et de l'adjudication au créancier de l'immeuble donné en garantie de la dette (art. 1202a à 1202l C.c.B.‑C. (ci‑après "art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C.")).

 

                   Il s'agit, plus précisément, de savoir si l'intimée pouvait, compte tenu des faits de l'espèce, se prévaloir de ces dispositions.  Pour répondre à cette question, il nous faudra examiner la nature des dispositions des art. 1202a et suiv. C.c.B.-C. ainsi que les règles de procédure qui y sont relatives.

 

Dispositions pertinentes

 

                   Certaines dispositions de la section VIII, chapitre 8 du Code civil du Bas‑Canada, intitulée "De la libération de certains débiteurs" sont pertinentes et se lisent ainsi:

 

                   1202a.  Dans la présente section,

 

                   a) "créance" comprend le principal, les intérêts, les frais de justice taxés contre le débiteur et ceux qui ont été faits dans l'intérêt commun;

 

                   b)  "immeuble" comprend un ou des immeubles;

 

                   c)  "valeur", appliqué à un immeuble ou à un bien quelconque, s'entend de sa valeur équitable de rendement, de placement ou de commerce en temps d'activité économique normale, sans égard à sa dépréciation passagère par suite d'une crise économique régionale ou générale.

 

 

                   1202b.  Lorsqu'un immeuble a été vendu en justice et adjugé au créancier d'une dette garantie par privilège ou hypothèque sur cet immeuble, le débiteur a le droit d'obtenir sa libération envers ce créancier, à l'égard de cette dette ou, selon le cas, de tout reliquat de cette dette et de tout jugement s'y rapportant, dans les cas suivants:

 

                   a)  Lorsque l'immeuble, lors de l'adjudication, avait une valeur au moins égale au montant global de la créance de l'adjudicataire et de toute autre créance hypothécaire ou privilégiée affectant l'immeuble et ayant priorité de rang sur celle de l'adjudicataire;

 

                   b)  Lorsque l'adjudicataire a revendu l'immeuble, ou partie de l'immeuble, pour un prix au moins égal au montant global de sa créance, des dépenses faites par l'adjudicataire pour l'entretien et l'amélioration de l'immeuble, avec intérêt au taux de cinq pour cent l'an sur ces dépenses, et de toute autre créance hypothécaire ou privilégiée affectant l'immeuble et ayant priorité de rang sur celle de l'adjudicataire;

 

                   c)  Lorsque, par suite de transactions ou d'opérations quelconques dont cet immeuble a été l'objet, l'adjudicataire a reçu ou réalisé, en argent ou en biens, une valeur au moins égale au montant global de sa créance, de toute autre créance hypothécaire ou privilégiée affectant l'immeuble et ayant priorité de rang sur celle de l'adjudicataire et des dépenses d'entretien et d'amélioration dudit immeuble ou de tout autre immeuble reçu en échange.  [Je souligne.]

 

                   1202d.  Dans la détermination du montant de la créance, les intérêts sont calculés à un taux de cinq pour cent par année, à moins que la convention ne stipule un taux inférieur et les sommes exigibles à titre de pénalités pour inexécution de quelque obligation du débiteur sont ajoutées aux intérêts.

 

                   Toutefois, lorsque le montant global des intérêts et des pénalités excède le montant que peut produire un taux d'intérêt de cinq pour cent par année sur le principal et les frais, il est réduit en conséquence.

 

                   1202e.  Lorsque la créance est plus élevée que la valeur de l'immeuble lors de l'adjudication, ou que son prix de revente, ou que la valeur reçue ou réalisée à la suite de transactions ou d'opérations dont l'immeuble a été l'objet, le débiteur peut néanmoins obtenir sa libération en payant au créancier le montant requis pour parfaire.

 

                   1202i.  La libération du débiteur principal entraîne la libération de ses cautions et garants.

 

                   Lorsqu'un débiteur a, en vertu de la présente section, droit d'obtenir sa libération à l'égard d'une dette ou d'un reliquat de dette, toute personne qui s'est portée caution ou garant du paiement de cette dette ou de ce reliquat a droit d'obtenir sa propre libération et peut exercer son recours à cette fin, indépendamment du débiteur principal, en suivant la procédure ci‑dessus prescrite.

 

                   1202j.  Le débiteur peut, aussi longtemps que son recours en libération n'est pas prescrit, faire valoir en défense à une action, en opposition à une saisie‑exécution ou en contestation d'une saisie‑arrêt, selon le cas, les moyens qu'il peut invoquer à l'appui d'une demande de libération, et, sur conclusions à cette fin dans ladite défense, opposition ou contestation, le tribunal peut accorder la libération.

 

                   1202k.  La libération du débiteur n'a pas pour effet d'imposer au créancier l'obligation de remettre les sommes qu'il a légalement perçues sur son jugement avant cette libération.

 

                   1202l.  La demande en libération doit, sous peine de déchéance, être introduite:

 

                   a)  Dans les cas du paragraphe a de l'article 1202b, dans les deux ans à compter de l'adjudication;

 

                   b)  Dans les cas des paragraphes b et c dudit article, dans les deux ans à compter du jour où le droit à la libération a pris naissance, mais avant l'expiration des cinq années qui suivent l'adjudication.

 

Les dispositions suivantes du Code de procédure civile du Québec, L.R.Q., ch. C-25 ("C.p.c."), tirées des sections "Des oppositions à la saisie‑exécution" et "De l'annulation du décret", sont également pertinentes:

 

599.  La signification de l'opposition opère sursis de l'exécution; et l'officier saisissant doit la rapporter sans délai au protonotaire qui a décerné le bref, avec le bref lui‑même et les autres procédures relatives à l'exécution.

 

                   Cependant, lorsque l'opposition ne tend qu'à faire réduire le montant réclamé ou à faire distraire une partie des biens saisis, à moins qu'un juge ne lui ait ordonné de surseoir, l'officier saisissant doit poursuivre l'exécution en vertu d'une copie, préparée par lui, du bref et du procès‑verbal de saisie, soit pour satisfaire à la partie non contestée de la réclamation, soit pour réaliser les biens qui ne font pas l'objet de l'opposition.  [Je souligne.]

 

698.  Le décret peut être annulé à la poursuite de toute personne intéressée:

 

                   1.  Si, à la connaissance de l'adjudicataire, il y a eu dol pour écarter des enchères;

 

                   2.  Si les conditions et formalités prescrites pour la vente n'ont pas été observées; le saisissant ne peut toutefois se prévaloir d'une irrégularité qui soit imputable à lui‑même ou à son procureur.

 

699.  Le décret peut, en outre, être annulé à la demande de l'adjudicataire:

 

                   1.  S'il est exposé à l'éviction en raison de quelque droit réel non purgé par la vente;

 

                   2.  Si l'immeuble est tellement différent de la description qui en est donnée dans le procès‑verbal de saisie qu'il est à présumer que l'adjudicataire n'eût pas acheté s'il en eût connu la véritable description.

 

700.  La demande en annulation du décret, incident de l'exécution, doit être formée par requête signifiée à toutes les parties intéressées dans les quatre‑vingt‑dix jours de l'adjudicationCe délai est de rigueur; néanmoins, le tribunal peut, pourvu qu'il ne se soit pas écoulé plus de six mois depuis l'adjudication, relever des conséquences de son retard la partie qui démontre qu'elle a été, en fait, dans l'impossibilité d'agir plus tôt.  [Je souligne.]

 

Les faits

 

                   L'intimée, Garcia Transport Ltée ("Garcia") est une compagnie de transport et d'entreposage.  Elle exploitait son entreprise dans un immeuble construit sur l'un des trois lots qu'elle avait acquis de la municipalité de Brossard.  Les deux autres lots étaient demeurés vacants.

 

                   En 1975, l'appelante, la Compagnie Trust Royal, agissait en qualité de fiduciaire pour la Banque fédérale de développement (ci‑après désignée, ainsi que la Compagnie Trust Royal, "la Banque") pour l'octroi d'un prêt de 250 000 $ à Garcia.  Le prêt était garanti par une hypothèque sur les trois lots appartenant à Garcia.

 

                   En 1983, après que Garcia eut fait défaut d'honorer ses paiements, la Banque a pris action pour réclamer le solde du prêt et, en janvier 1984, obtenait jugement pour la somme de 151 238,97 $ avec intérêts au taux de 21,75 % à compter du 24 juillet 1983, et les dépens.  Elle a alors saisi les trois lots, sur lesquels Garcia avait consenti une hypothèque en garantie de la dette, dans l'intention de les faire vendre ensemble par le shérif.  Préalablement à la vente toutefois, les parties ont conclu, apparemment à l'instigation de Garcia, une entente (ci‑après "la renonciation") ainsi libellée:

 

CONVENTION

 

D'UNE PART                                                                   GARCIA TRANSPORT LTÉE

D'AUTRE PART                                                             COMPAGNIE TRUST ROYAL

                                                                                                                                      ET

                                                                                                BANQUE FÉDÉRALE DE

                                                                                                         DÉVELOPPEMENT

 

                   ATTENDU que la COMPAGNIE TRUST ROYAL en qualité de fiduciaire pour la BANQUE FÉDÉRALE DE DÉVELOPPEMENT a obtenu un jugement condamnant GARCIA TRANSPORT LTÉE à payer la somme de $151,238.97 avec intérêts au taux de 21 3/4% l'an à compter du 24 juillet 1983 et les dépens;

 

                   ATTENDU que ledit jugement a aussi déclaré hypothéqués les immeubles communément désignés comme étant les lots 244‑1, 245‑1 et 43‑1, au cadastre officiel de la Paroisse de Laprairie de la Magdeleine, avec immeuble dessus construit;

 

                   ATTENDU que GARCIA TRANSPORT LTÉE demande à la COMPAGNIE TRUST ROYAL et à la BANQUE FÉDÉRALE DE DÉVELOPPEMENT de commencer par vendre les deux lots vacants et non construits, soit 244‑41 (sic), et 245‑1, quitte à ce que le lot 43‑1 avec l'immeuble construit dessus ainsi que tous les immeubles par destination soient vendus ultérieurement au cas où le prix d'adjudication des deux terrains ne serait pas suffisant à couvrir la créance;

 

EN CONSÉQUENCE, LES PARTIES CONVIENNENT:

 

                   1.  GARCIA TRANSPORT LTÉE déclare que quel que soit le prix d'adjudication, même si la COMPAGNIE TRUST ROYAL  ou la BANQUE FÉDÉRALE DE DÉVELOPPEMENT sont déclarées adjudicatrices pour la mise à prix qui est le quart de l'évaluation municipale; le prix d'adjudication sera considéré comme étant la valeur marchande de l'immeuble par toutes les parties concernées;

 

                   2.  GARCIA TRANSPORT LTÉE renonce à tout recours selon les articles 1202 et ss. du Code Civil et déclare et s'engage en conséquence à ne pas demander d'être libérée du solde de la créance due à la COMPAGNIE TRUST ROYAL ou à la BANQUE FÉDÉRALE DE DÉVELOPPEMENT au cas où ces dernières seraient déclarées adjudicatrices pour n'importe quel prix et même si par la suite la COMPAGNIE TRUST ROYAL ou la BANQUE FÉDÉRALE DE DÉVELOPPEMENT revendent lesdits immeubles pour un prix supérieur au prix d'adjudication pour lequel elles les auront acquis lors de la vente par shérif;

 

                   3.  GARCIA TRANSPORT LTÉE reconnaît que tout de suite après la vente par shérif des deux lots portant les numéros 244‑41 (sic) et 245‑1, si le prix d'adjudication est inférieur à la créance de la COMPAGNIE TRUST ROYAL ou de la BANQUE FÉDÉRALE DE DÉVELOPPEMENT et quel que soit le solde dû après défalcation du prix d'adjudication, la COMPAGNIE TRUST ROYAL ou la BANQUE FÉDÉRALE DE DÉVELOPPEMENT seront en droit de donner de nouvelles instructions au shérif pour la vente de l'immeuble 43‑1 avec la bâtisse dessus construite ainsi qu'avec tous les équipements énumérés au jugement et déclarés immeubles par nature ou par destination selon le cas;

 

                          Le 10 mai 1984

                          GARCIA TRANSPORT LTÉE

 

                   En résumé, Garcia renonçait à son droit d'obtenir sa libération en vertu des art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C., peu importe le prix qui serait obtenu pour les lots à la vente en justice ou leur valeur réelle.  En contrepartie, la Banque acceptait de procéder à la vente en deux étapes en commençant par la vente des deux lots non construits.  Si, au terme de la première étape, le produit de la vente s'avérait insuffisant pour satisfaire au jugement prononcé contre Garcia, la Banque procéderait alors à une deuxième vente au cours de laquelle le troisième lot serait mis aux enchères.

 

                   Lors de la première vente, qui eut lieu en septembre 1984, la Banque a acquis les deux premiers lots au prix de 25 000 $.  Lors de la seconde vente, tenue en décembre 1984, elle a été déclarée adjudicataire du troisième lot au prix de 133 055,40 $.

 

                   En février 1985, soit après la seconde vente, Garcia a poursuivi la Banque devant la Cour supérieure du Québec, alléguant qu'elle avait le droit d'obtenir sa libération en vertu de l'art. 1202b C.c.B.‑C. au motif que les immeubles vendus lors de la première vente en justice avaient une valeur supérieure à sa dette envers la Banque.  Garcia a également demandé l'annulation de la deuxième vente et le sursis des procédures.

 

Les jugements

 

Cour supérieure (le juge Denis Lévesque)

 

                   Par requête préliminaire, la Banque a soutenu qu'il ne pouvait y avoir annulation d'un décret qu'en vertu des art. 698 et 699 C.p.c. et que Garcia n'avait pas allégué de faits pouvant donner ouverture à l'annulation du second décret en vertu de ces dispositions.  Dans une décision rendue en mai 1985 (corrigée le 9 juillet 1985), le juge de première instance a fait droit en partie à la requête préliminaire, ordonnant la radiation des conclusions relatives à l'annulation du second décret et au sursis des procédures.  Garcia n'en a pas appelé de cette décision et il a été procédé à l'instruction de l'affaire.

 

                   En février 1986, la Cour supérieure a rejeté la demande de libération de Garcia au motif que la valeur réelle des biens vendus lors de la première vente n'était que de 156 100 $, soit une somme insuffisante pour satisfaire à la créance de la Banque, laquelle s'élevait, avec intérêts, à 174 400 $.  Étant donné que la Banque avait admis qu'il y avait eu extinction de la dette de Garcia par suite du second décret, le juge ne s'est pas prononcé sur la légalité de la renonciation par Garcia aux droits que lui conféraient les art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C.

 

Cour d'appel, [1990] R.J.Q. 925 (les juges Monet, Jacques et Vallerand)

 

                   Pour les motifs prononcés par le juge Jacques, la Cour à la majorité a accueilli l'appel, le juge Vallerand étant dissident sur les questions de la renonciation et de la chose jugée.

 

                   Après avoir examiné les faits, le juge Jacques a conclu que le juge de première instance avait sous‑estimé la valeur des deux lots vendus lors de la première vente par shérif.  Selon ses calculs, les deux lots valaient en fait 206 100 $, somme suffisante pour couvrir la dette de Garcia envers la Banque.

 

                   En ce qui concerne l'argument de la Banque suivant lequel Garcia ne pouvait, vu sa renonciation, demander sa libération, le juge Jacques a déterminé que les art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. étaient d'ordre public.  Estimant qu'on ne peut renoncer aux droits que confère une loi d'ordre public avant qu'ils ne soient nés, il a conclu que la renonciation était nulle puisque Garcia l'avait signée avant que le droit de demander sa libération ne se soit concrétisé.  À son avis, Garcia n'a acquis ce droit qu'après la première vente.  En conséquence, le juge Jacques a accueilli l'appel, ajoutant qu'il était maintenant loisible à Garcia de demander l'annulation du second décret.

 

                   Concédant, sans pour autant le décider, que les art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. sont d'ordre public économique, de sorte que toute renonciation à ces dispositions pourrait être invalidée, le juge Vallerand a exprimé sa dissidence sur deux points.  En premier lieu, Garcia n'avait pas renoncé prématurément à ses droits puisque, à son avis, la loi ne visait qu'à protéger la partie la plus faible au moment de la signature du contrat originel de prêt, et non une fois survenu le défaut du débiteur (à la p. 931):

 

                   En l'espèce, l'appelante n'a pas, au contrat originel de prêt, au moment donc où elle était en position de "faiblesse" et "prête à signer (. . .) n'importe quoi (. . .)", renoncé à la protection des articles 1202a et sqq.  C'est à cette époque et à cette seule époque qu'il lui était interdit de le faire; si tant est bien sûr que ça lui eût été interdit, ce sur quoi je réserve toujours mon avis.

 

                   Il s'est dit au surplus d'avis qu'en signant la renonciation, Garcia avait obtenu une concession de la Banque (la vente en justice en deux temps), et que les tribunaux ne devraient pas intervenir dans une entente librement conclue entre les parties simplement parce que le prix obtenu pour les biens lors de la première vente pouvait avoir été insuffisant pour acquitter la dette de Garcia envers la Banque (à la p. 931):

 

                   La renonciation contractuelle qui nous intéresse et qui n'est donc pas couchée au contrat originel de prêt est intervenue pour l'unique avantage de la partie "faible", l'emprunteur en demeure.  En effet, la créancière eût pu faire vendre tous ensemble les deux immeubles affectés indivisément à la garantie de sa créance; la débitrice n'aurait pu s'en plaindre.  La créancière a voulu dans un premier temps vendre les seuls terrains non construits dans l'espoir que cela suffirait à payer la dette et libérerait ainsi les terrains bâtis.  Simple complaisance donc.  Mais, et on le comprend, la créancière complaisante a voulu se protéger pour le cas où les espoirs de la débitrice seraient déçus, et elle a donc exigé en contrepartie une renonciation à la protection de l'article 1202j.  Cette renonciation serait, je l'ai dit, valide même si, par hypothèse, la loi interdisait qu'on la consente au moment du contrat de prêt; elle l'est a fortiori alors que seule la politique judiciaire pourrait intervenir:  la volonté du législateur d'interdire pareille complaisance de  la part du créancier ne me paraît guère évidente; tout au contraire.

 

                   À son avis, enfin, la décision du juge de première instance sur la requête préliminaire de la Banque n'ayant pas été portée en appel, elle avait acquis l'autorité de la chose jugée, d'où l'impossibilité pour une instance d'appel d'intervenir.

 

Analyse

 

                   J'aborderai les questions en litige dans l'ordre suivant:

 

1.  Le régime des art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C.;

2.  L'ordre public;

3.  La renonciation;

4.  Les exigences procédurales:

a)  l'annulation du second décret;

b)  la libération.

 

Le régime des art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C.

 

                   Les articles 1202a et suiv. C.c.B.‑C. ont été édictés à l'origine par une loi de 1938 intitulée Loi concernant la libération de certains débiteurs, S.Q. 1938, ch. 90, et ont constitué en 1947, par suite de l'adoption de la Loi modifiant le Code civil, S.Q. 1947, ch. 71, la section VIII du chapitre huitième du Code civil du Bas‑Canada.  Dans le Traité de droit civil du Québec (1959), t. 8 bis, Léon Faribault décrit ainsi la situation que la loi visait à corriger (à la p. 639):

 

                   En ajoutant au code cette section en 1947 [. . .] le législateur a voulu mettre fin à un abus, qui menaçait, en s'étendant, de devenir une véritable calamité.  Il arrivait fréquemment qu'un créancier hypothécaire, après avoir reçu paiement, par versements, d'une grande partie de sa créance, refusait à son débiteur tout délai supplémentaire, alors qu'il ne restait dû qu'un reliquat de peu d'importance.  Il obtenait jugement contre lui pour le montant de ce reliquat, et faisait saisir et annoncer en vente l'immeuble qui lui était hypothéqué.

 

                   Lors de la vente, il achetait l'immeuble à vil prix, généralement pour une somme inférieure à ce qui lui était dû, et toujours pour beaucoup moins que sa valeur réelle.  Comme il conservait son jugement contre son débiteur pour la partie d'icelui qui n'avait pas été acquittée par le prix d'adjudication, il exerçait son recours sur les autres biens de son débiteur.

 

                   Souvent, il réussissait à revendre l'immeuble à un prix beaucoup plus élevé que celui de son adjudication, et réalisait ainsi un profit appréciable aux dépens de son débiteur.

 

                   Cette manière d'agir avait pour conséquence de faire percevoir au créancier un taux d'intérêt parfois fabuleux aux dépens de son débiteur, qui, néanmoins, devait lui payer en plus, avec intérêt, la balance de sa créance.

 

                   C'est à cet état de chose que le législateur a voulu remédier en édictant la présente section.

 

                   Dans l'arrêt Labine c. Viau, [1942] B.R. 406, l'une des premières décisions portant sur ces dispositions, le juge Bertrand, siégeant à titre de juge ad hoc, a formulé les observations suivantes, à la p. 408:

 

                   L'esprit de cette législation, qui remonte à 1938, tient à la préoccupation, dont ses termes portent des traces perceptibles, d'empêcher le créancier d'une hypothèque, quand l'immeuble passe par un décret du shérif, de s'en porter acquéreur pour une fraction parfois infime de sa dette, et de rester quand même créancier pour toute la différence non satisfaite ou éteinte par la collocation du créancier de l'obligation sur le produit, tout en devenant propriétaire d'un immeuble dont la valeur couvre d'emblée le chiffre total de la redevance.  La loi nouvelle a pour but d'éviter cette sorte d'enrichissement sans cause, à apparence légale.

 

(Voir aussi M. Tancelin, Des obligations: contrat et responsabilité (4éd. 1988), à la p. 494, par. 835 et 836.)

 

                   Comme nous l'avons vu, le but de ces dispositions remédiatrices était de permettre la libération du débiteur après la vente en justice d'un bien immeuble, non plus à partir du prix d'adjudication, comme auparavant, mais à partir de la valeur réelle du bien, indépendamment de son prix de vente.  Faribault, op. cit., explique ainsi, aux pp. 639 et 640, les modalités d'application de ces dispositions:

 

                   Aujourd'hui, ce n'est pas le prix d'adjudication de l'immeuble qui sert à acquitter tout ou partie de la créance, mais c'est la valeur réelle de cet immeuble au moment de l'adjudication qui doit être appliquée en réduction de la dette.

 

                   Le législateur a également prévu le cas où le créancier adjudicataire réaliserait un profit en revendant ou en échangeant l'immeuble, et, pour y remédier, décrété que si dans cette transaction, le créancier reçoit un montant suffisant pour acquitter sa créance en capital, intérêt et frais, le débiteur est libéré comme s'il l'avait payée avec ses propres deniers.

 

                   La Cour d'Appel du Québec a adopté cette même façon de voir dans l'arrêt Placements Racine Inc. c. Trust général du Canada, [1989] R.J.Q. 2287, à la p. 2291:

 

                   Le législateur, en adoptant ces dispositions, a voulu que le créancier hypothécaire ne se retrouve pas, à cause du jeu du taux d'intérêt, avec l'immeuble en plus d'une somme d'argent qui peut représenter beaucoup plus que le montant initial de la créance et avec, au surplus, la possibilité de réclamer un solde.

 

                   Il a donc, pour les seules fins de ce genre de situation, établi des règles particulières et créé, par le fait même de la loi, une sorte de fiction.  Au moment de la demande de libération que fait le débiteur qui est d'avis que l'immeuble ainsi acquis vaut autant ou plus que le montant total de la créance, se met en branle un mécanisme d'évaluation pour la créance et pour l'immeuble qui a ses particularités et ne s'applique à aucun autre cas.

 

                   La valeur d'un immeuble donné est définie à l'al. c. de l'art. 1202a C.c.B.-C. comme étant "sa valeur équitable de rendement, de placement ou de commerce en temps d'activité économique normale, sans égard à sa dépréciation passagère par suite d'une crise économique régionale ou générale".  Subsidiairement, lorsque le créancier a revendu l'immeuble, ou en a disposé pour une somme supérieure au prix de l'adjudication, la valeur de l'immeuble sera ce prix, moins les dépenses d'entretien et d'amélioration dudit immeuble (al. b. et c. de l'art. 1202b).

 

                   Vu la nature remédiatrice des art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C., les tribunaux en ont généralement donné une interprétation large.  Pour reprendre les termes du juge Chouinard de la Cour d'appel dans l'arrêt Placements Racine, précité, à la p. 2289:

 

                   Le législateur a créé un mécanisme correcteur qui me semble devoir être interprété de façon à lui donner plein effet et non pas de façon restrictive.

 

C'est dans ce contexte qu'il nous faut trancher le présent pourvoi.

 

                   Il est manifeste que les dispositions remédiatrices en question étaient applicables à Garcia.  Afin de garantir sa dette, celle‑ci avait hypothéqué ses biens immeubles, que la Banque a saisis et fait vendre par le shérif en exécution du jugement rendu en sa faveur.  La Banque a reconnu depuis que, de fait, le produit de la vente des trois immeubles libérait totalement Garcia de sa dette envers elle et lui a, en conséquence, accordé sa libération après la deuxième vente.  Garcia demande néanmoins maintenant à la Cour de déclarer qu'elle avait droit à une libération complète après la première vente par shérif, d'annuler en conséquence le second décret et d'ordonner que lui soit rendu le lot bâti.

 

                   Dans son inscription en appel, Garcia a demandé à la Cour d'appel de déclarer que les biens vendus lors de la première vente par shérif le 12 septembre 1984 avaient une valeur égale ou supérieure à la dette de Garcia envers la Banque, d'ordonner sa libération suite à cette première vente et il conclut ainsi:

 

ANNULER à toutes fins que de droit la vente en justice intervenue le 7 décembre 1984 et le décret relatif à ladite vente dans la cause précitée;

 

ORDONNER au Régistrateur mis en cause d'effectuer les entrées et inscriptions nécessaires aux fins des présentes;

 

RÉSERVER à votre requérante tous ses droits et recours aussi bien contre l'intimée es‑qualité de fiduciaire que contre la mise en cause Banque Fédérale de Développement. . .

 

                   Toutefois, dans le mémoire qu'elle a présenté à cette même cour, Garcia a légèrement modifié ses conclusions concernant le second décret.  En plus de demander sa libération suite à la première vente, ou, subsidiairement, sur paiement de la différence entre la valeur des immeubles vendus lors de cette vente et le montant de sa dette envers la Banque, Garcia a demandé à la cour de:

 

                   Réserver à l'appelante tous ses droits et recours contre les intimées résultant de la seconde vente judiciaire du 7 décembre 1984, alors qu'elle a été déclarée adjudicatrice de l'immeuble décrit comme suit:

 

[désignation de l'immeuble adjugé lors de la deuxième vente]

 

laquelle a été effectuée alors que l'appelante était libérée et ne devait à toutes fins que de droit rien aux intimées.

 

                   Trois questions se posent relativement au droit qu'invoque Garcia.  En premier lieu, la valeur des immeubles adjugés lors de la première vente par shérif était‑elle suffisante pour qu'il soit satisfait au jugement dans sa totalité?  Le juge de première instance a rejeté la requête en libération de Garcia parce que, d'après ses calculs, la valeur des immeubles adjugés lors de la première vente par shérif était insuffisante pour désintéresser la Banque de sa créance.  La Cour d'appel a infirmé ce jugement, estimant que le juge de première instance avait commis une erreur d'évaluation en déduisant la somme de 50 000 $ de la valeur du terrain (aux pp. 927 et 928):

 

                   Garcia prétend que le montant de 50 000 $ fait double emploi avec le prix de 0,20 $ du pied carré pour les marécages et terrains mous et que, en conséquence, il ne devrait pas être déduit de la valeur totale.

 

                   Ceci est exact.  Les coûts unitaires tiennent compte des désavantages du terrain et reflètent, en regard des prix du terrain immédiatement bâtissable, ce qu'il en coûtera pour amener ce terrain au même niveau d'exploitation que le reste.  De plus, le premier juge a retenu comme contrainte le fait que du remplissage était nécessaire sur certaines parties du terrain.  Or, la preuve dit le contraire.  Les entrepreneurs payent pour déverser du matériel de remplissage à cet endroit.

 

                   En conséquence, il n'y a pas lieu de déduire la somme de 50 000 $.  La valeur du terrain qui a fait l'objet de la première vente était donc suffisante pour libérer Garcia.

 

                   La Banque ne s'étant pas pourvue contre cette conclusion de la Cour d'appel, et la question n'ayant été ni soulevée ni débattue devant nous, il nous faut présumer que Garcia avait le droit de demander sa libération par suite de la première vente par shérif.

 

                   Cependant, et c'est là la deuxième question, Garcia pouvait‑elle demander sa libération compte tenu de l'entente par laquelle non seulement elle renonçait à ce droit, mais reconnaissait à l'avance que la valeur des biens devant être vendus serait le prix de l'adjudication?  Bien que le juge de première instance n'ait pas examiné cette question, vu sa réponse négative à la première question, les juges formant la majorité de la Cour d'appel sont arrivés à la conclusion qu'une telle renonciation était nulle dans les circonstances et que Garcia pouvait donc faire valoir sa demande.

 

                   Si l'on excepte pour le moment la troisième question, c.-à-d. celle de la chose jugée sur laquelle je reviendrai, la question qui se pose en l'espèce est de savoir si les art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. sont d'ordre public et si, dans l'affirmative, on peut y renoncer.

 

L'ordre public   

 

                   Les législateurs reconnaissent de plus en plus que la liberté contractuelle complète, fondée sur la notion d'égalité des parties, peut, dans certains cas, être une cause d'injustice.  On assiste par ailleurs à la prolifération des contrats d'adhésion, dont les termes ne sont habituellement pas négociables.  Jacques Ghestin a résumé ainsi la situation dans son étude comparative des droits québécois et français, Le contrat dans le nouveau droit québécois et en droit français (1982), à la p. 7:

 

                   Bien sûr, il continue d'exister des contrats de type classique, des contrats semblables à ceux qui existaient en 1804.  Mais la plupart des contrats sont aujourd'hui d'un type nouveau que l'on peut caractériser en insistant d'abord sur les aspects actuels de l'inégalité des parties contractantes et ensuite sur la standardisation des contrats.

 

                   L'inégalité des contractants signifie que certaines parties ne sont pas en mesure de négocier des conditions favorables et se voient parfois forcées d'accepter les conditions que dicte la contrepartie forte, s'exposant ainsi, en cas de défaut, à des pénalités d'une sévérité excessive.  Pour reprendre les mots du professeur P.‑A. Crépeau dans son article "Contrat d'adhésion et contrat type", dans Mélanges Louis Baudouin (1974), 67, à la p. 71:

 

                   Le phénomène de la standardisation des relations contractuelles, manifestation caractéristique de la société de consommation, s'il peut, au témoignage de plusieurs rapporteurs, comporter de nombreux avantages, non seulement à l'égard du producteur ou de l'entrepreneur, mais également à l'égard du consommateur, est néanmoins susceptible et de fait a souvent été l'occasion d'un abus de la part du contractant fort qui, profitant de l'état de supériorité économique ou sociale où il se trouve, impose à la partie faible un régime draconien, parfois même un véritable asservissement.

 

                   Cette érosion des contrats individualisés et de l'égalité des parties contractantes, et les effets qui en résultent, ont retenu l'attention des auteurs, tant au Québec qu'en France.  Outre Ghestin et Crépeau, voir P. Azard, "Le contrat d'adhésion" (1960), 20 R. du B. 337, G. Trudel, "Des frontières de la liberté contractuelle", et A. Popovici, "Les contrats d'adhésion: un problème dépassé?", tous deux dans Mélanges Louis Baudouin, op. cit., 217 et 161 respectivement, et plus récemment, le commentaire de R. Jukier intitulé "Banque Nationale du Canada v. Houle (S.C.C.):  Implications of an Expanded Doctrine of Abuse of Rights in Civilian Contract Law" (1992), 37 R.D. McGill 221, aux pp. 240 et 241, ainsi qu'une autre étude de M. Coipel, "La liberté contractuelle et la conciliation optimale du juste et de l'utile" (1990), 24 R.J.T. 485.  Parmi les arrêts qui ont mentionné le phénomène, on peut citer Ocean Accident & Guarantee Corp. c. Air Canada, [1975] R.P. 193 (C.A.), et Venne c. Québec (Commission de protection du territoire agricole), [1989] 1 R.C.S. 880.  En France, ce phénomène a été commenté par L. Josserand dans "Aperçu général des tendances actuelles de la théorie des contrats" (1937), 36 Rev. trim. dr. civ. 1, aux pp. 3 à 5 et 8 à 12; G. Farjat, L'ordre public économique (1963) à la p. 118; G. Couturier, "L'ordre public de protection, heurs et malheurs d'une vieille notion neuve", dans Études offertes à Jacques Flour (1979), 95, ainsi que par M. Gégout, "Ordre public et bonnes moeurs", in Juris‑classeur civil, Art. 6, fasc. 1, aux pp. 3 et 4.

 

                   En réponse à cette évolution, les législateurs ont édicté des lois visant à restaurer l'égalité entre les parties contractantes et en particulier à protéger les contractants faibles.  Contrairement à la plupart des dispositions originelles du Code civil du Bas‑Canada, qui ne s'appliquaient qu'à titre supplétif et au bénéfice desquelles les parties pouvaient renoncer, ces lois sont impératives, de sorte qu'elles s'appliquent à tous les contrats, même s'il y a incompatibilité.  Pierre Ciotola écrit ceci dans "Aperçu des conditions illicites et immorales" (1970), 72 R. du N. 315, 407, aux pp. 418 et 419:

 

                   Les législations récentes révèlent le souci du législateur de veiller à la sauvegarde des droits du débiteur.  Le débiteur, en raison de circonstances difficiles mais passagères, ne se trouve pas complètement démuni face à l'avidité de son créancier. [. . .] Face à des stipulations conventionnelles exorbitantes et devenues de véritables clauses de style dans les contrats de sûretés, le législateur intervient, soit en prohibant ces dispositions exorbitantes, soit en réglementant leur modalité d'exercice, dans un désir de protection du débiteur.  L'autonomie consacrée en matière conventionnelle cède face aux nécessités de mesures sociales et économiques.  [Je souligne.]

 

                   En France comme au Québec, la doctrine a récemment classé ce type de lois dans la catégorie des lois dites d'ordre public économique de protection.  En France, Jean Carbonnier, Droit civil, t. 4, Les obligations (15e éd. 1991), no 70, à la p. 141, fait d'abord la distinction entre l'ordre public politique et l'ordre public économique, le premier étant la notion classique de l'ordre public et le second, d'origine plus récente, pouvant se subdiviser en ordre public économique de protection et ordre public économique de direction;  voir aussi J. Ghestin, Traité de droit civil, t. 2, Les obligations -- Le contrat: formation (2e éd. 1988), aux pp. 106 à 108 et 114 à 116.  Au Québec, la distinction entre l'ordre public politique et l'ordre public économique a été adoptée par les professeurs Jean-Louis Baudouin, Les obligations (3e éd. 1989), nos 83 à 88, aux pp. 80 et suiv., Jean Pineau et Danielle Burman, Théorie des obligations (2e éd. 1988), no 120, aux pp. 172 à 175.

 

                   Dans son livre Interprétation des lois (2e éd. 1990), Pierre‑André Côté, pour sa part, établit une distinction entre les lois d'ordre public traditionnelles et ces lois de type nouveau (aux pp. 231 et 232):

 

                   Parmi les lois ou les dispositions d'ordre public, on peut distinguer celles qui sont adoptées exclusivement dans l'intérêt général de la société:  il est évident qu'un particulier ne peut renoncer à l'application de telles lois puisqu'elles n'ont pas été édictées en sa faveur.

 

                   D'autres lois peuvent, à première vue, paraître avoir été édictées exclusivement à l'avantage de certains membres de la société.  C'est le cas des diverses lois dites de protection, qui veulent assurer la protection des intérêts de membres de la société jugés, pour une raison ou pour une autre, particulièrement vulnérables.  Des lois de ce genre, bien qu'on puisse croire qu'elles sont édictées dans le seul intérêt de ceux qu'elles entendent protéger, ont néanmoins souvent été considérées comme partiellement édictées dans l'intérêt public et, à ce titre, non susceptibles de renonciation.

 

Si la protection du consommateur est peut‑être le meilleur exemple de cette catégorie de lois, elle comprend également les lois établissant des exigences en matière de permis et de qualifications professionnelles, les lois concernant les relations et les normes de travail ainsi que les lois touchant le logement.

 

                   Notre Cour reconnaît depuis longtemps que les lois édictées pour la protection d'un groupe particulier peuvent être d'intérêt public, même en l'absence de stipulation expresse.  Ainsi, dans l'arrêt Pauzé c. Gauvin, [1954] R.C.S. 15, notre Cour a jugé que la Loi des architectes, S.R.Q. 1941, ch. 272, était une loi de cette nature car, bien qu'elle ait été édictée principalement pour le bénéfice des architectes, elle servait également à protéger le public en général contre les constructeurs incompétents ou malhonnêtes.  Le juge Taschereau s'est exprimé ainsi à la p. 19:

 

On a évidemment avec raison voulu procurer des hommes de l'art réellement compétents au public, qui à juste titre requiert que les édifices soient convenablement construits.

 

De même, la Cour d'appel du Québec a jugé de façon constante que les lois établissant des normes professionnelles sont d'ordre public bien qu'en un sens elles protègent un groupe restreint au sein de la société; voir Landry c. Cunial, [1977] C.A. 501, Pouliot c. Cie Trust Royal, [1980] C.A. 157, Belgo‑Fisher (Canada) Inc. c. Lindsay, [1988] R.J.Q. 1223, Stern c. G.S.A. Management Inc., C.A. Montréal, no 500‑09‑000485‑813, le 19 décembre 1983, In re Réserves du Nord (1973) Ltée:  Biega c. Druker, [1982] C.A. 181.

 

                   Le critère qui distingue les lois d'ordre public des autres types de lois réside dans l'intérêt public, plutôt que simplement privé, dont se soucie le législateur, comme on l'a reconnu dans Mongrain c. Auger, [1967] B.R. 332, Brousseau c. Hamel, [1968] B.R. 129, et Martel c. Martel, [1967] B.R. 805.  Cette distinction a été retenue dans le Rapport sur le Code civil du Québec: Projet de Code civil (1978), vol. I, livre cinquième, art. 48 et 49, ainsi que dans le Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (pas encore en vigueur), art. 1417 à 1421, notamment les art. 1417 et 1419 qui se lisent ainsi:

 

                   1417.  La nullité d'un contrat est absolue lorsque la condition de formation qu'elle sanctionne s'impose pour la protection de l'intérêt général.

 

                   1419.  La nullité d'un contrat est relative lorsque la condition de formation qu'elle sanctionne s'impose pour la protection d'intérêts particuliers; il en est ainsi lorsque le consentement des parties ou de l'une d'elles est vicié.

 

                   L'absence de stipulation expresse n'étant pas déterminante, il n'est pas toujours facile de décider quelles sont les lois qui relèvent de l'ordre public économique de protection.  Les tribunaux ne sont pas même tenus de s'appuyer sur une disposition législative particulière pour conclure qu'il y a eu contravention à l'ordre public, comme le fait remarquer Baudouin, op. cit., à la p. 81:

 

                   La plupart du temps, c'est le législateur qui intervient directement pour dire ce qui est d'ordre public.  Parfois on trouve dans le texte législatif ou réglementaire même la mention expresse que la disposition prévue par lui est d'ordre public; parfois il indique qu'il ne souffrira aucune dérogation contractuelle à la règle, à peine de nullité.  Parfois le législateur, au contraire, indique clairement qu'il laisse aux parties elles‑mêmes le soin de régler la question et que la règle qu'il édicte ne s'appliquera qu'à titre supplétif [. . .] .  Dans d'autres espèces enfin, la formulation utilisée ne laisse pas directement soupçonner le caractère véritablement impératif de la loi.  Les tribunaux ont alors la tâche de rechercher l'intention législative et de décider s'il convient de donner aux textes un caractère d'ordre public, c'est‑à‑dire de déterminer s'il s'agit d'une disposition impérative ou seulement supplétive de volonté.  [Je souligne.]

 

                   De même, les observations suivantes de Gégout, loc. cit., s'appliquent tant au Québec qu'en France (à la p. 4):

 

                   Mais, si la loi est muette sur son caractère d'ordre public, cela ne veut pas dire qu'elle ne le comporte pas.  Elle peut le faire, indépendamment des formules employées, en raison de son importance dans l'organisation sociale ou dans une branche de l'activité juridique.  Il n'y a pas seulement des lois d'ordre public, mais, comme le dit l'article 6, des lois "qui intéressent" l'ordre public et qui créent une sorte d'ordre public virtuel.  C'est au juge qu'il appartient alors, en s'appuyant sur un texte, de fixer les limites de cet ordre public.  [Je souligne.]

 

Voir également A. Perrault, "Ordre public et bonnes moeurs" (1949), 9 R. du B. 1, à la p. 4, ainsi que Pineau et Burman, op. cit., à la p. 175.

 

                   Pour revenir à notre affaire, les art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. sont rédigés en termes facultatifs et on pourrait soutenir qu'ils ne protègent qu'un groupe très limité dans des circonstances très particulières.  À mon avis, toutefois, c'est à juste titre que la Cour d'appel a conclu que ces dispositions ont été édictées dans l'intérêt public et qu'elles sont, par conséquent, impératives.

 

                   En premier lieu, on peut présumer qu'en édictant cette loi, le législateur voulait non seulement protéger un groupe limité de personnes mais aussi promouvoir le bien‑être économique de la société en général.  Les pratiques abusives de certains créanciers, auxquelles les art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. visaient à mettre fin, ne nuisaient pas uniquement à leurs débiteurs infortunés, mais aussi, par ricochet, à l'ordre économique du Québec dans son ensemble.  Pour reprendre le commentaire de Faribault, op. cit., à la p. 639:

 

                   En ajoutant au code cette section en 1947, par la loi II George VI, chapitre 71, le législateur a voulu mettre fin à un abus, qui menaçait, en s'étendant, de devenir une véritable calamité.  [Je souligne.]

 

Ou, comme le souligne Tancelin, op. cit., à la p. 494, par. 835:

 

Cette législation [les art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C.]  s'inscrit dans la ligne des mesures curatives nécessitées par l'absence de limite raisonnable à la liberté contractuelle dans l'article 1012 C.c. notamment, qui permet de stipuler des clauses léonines et usuraires dans les contrats de financement, comme la clause de dation en paiement.

 

                   De plus, les dispositions des art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. sont conformes à d'autres lois d'ordre public édictées ces dernières années pour la protection des débiteurs.  Ainsi, les art. 1040a et suiv. C.c.B.‑C. prévoient que les créanciers ne peuvent, sans avis, saisir les biens immeubles affectés à la garantie d'une dette, et que les tribunaux peuvent intervenir pour réduire le montant d'une dette lorsqu'elle est excessive et l'opération, "abusive et exorbitante".  Bien que, comme l'a souligné le juge Vallerand de la Cour d'appel, l'art. 1040e C.c.B.‑C. stipule expressément que ses dispositions sont d'ordre public, le silence du législateur à cet égard aux art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. ne saurait empêcher les tribunaux de conclure qu'il s'agit de dispositions édictées à des fins d'ordre public.

 

                   Mais plus important encore, si l'on veut qu'elles aient quelque effet, les dispositions des art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. doivent nécessairement être impératives.  La réalité des relations entre créancier et débiteur est en effet telle que les conditions d'un prêt sont souvent standardisées et dictées par le prêteur, devenant ainsi des contrats d'adhésion véritables.  Comme le fait remarquer le juge Jacques de la Cour d'appel, si ces dispositions étaient purement facultatives, la renonciation à leur bénéfice deviendrait rapidement une clause type dans tous les contrats de prêt au Québec (à la p. 928):

 

                   Les articles 1202a et sqq. du Code civil, intitulés "De la libération de certains débiteurs", ont été adoptés pour la seule protection des débiteurs.

 

                   À sa face même, la section VIII (art. 1202a à 1202l) du code n'est ni interprétative de contrats ni simplement supplétive de la volonté des contractants.  Elle est impérative en ce qu'elle crée un régime de libération d'un débiteur. Elle serait lettre morte si ce régime était facultatif.  Elle n'atteindrait pas alors son but.  Elle fait échec à la volonté des parties contractantes, même si cela n'est pas dit en toutes lettres.  Cela découle du texte et de la nature du droit qu'elle crée.

 

                   La section VIII constitue donc un ensemble de dispositions législatives d'ordre public économique de protection des débiteurs hypothécaires.  [Je souligne.]

 

C'est aussi mon avis.  La présente instance illustre bien les abus auxquels le législateur cherchait à remédier ainsi que la nécessité de conférer aux dispositions édictées un caractère impératif.  La Banque a certes admis que Garcia avait été libérée de sa dette envers elle à la suite de la deuxième vente par shérif.  Mais si Garcia ne l'avait pas été, et si les art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. n'étaient pas d'ordre public, la Banque n'aurait, même aujourd'hui, aucune obligation de la libérer.  Elle pourrait continuer à exécuter son jugement contre Garcia pour le reliquat de la dette, même si les immeubles lui appartenant valent beaucoup plus que le montant de ce jugement, intérêts compris.  De toute évidence, les dispositions seraient ainsi rendues totalement inefficaces, contrairement à l'esprit de la loi et à l'intention manifeste du législateur.

 

                   Pour ces motifs, je suis d'avis que la Cour d'appel a eu raison de conclure que les art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. constituent des dispositions d'ordre public économique de protection.  Or, quelles conséquences cette conclusion entraîne‑t‑elle?

 

La renonciation

 

                   La première et la plus importante conséquence est qu'on ne peut, en principe, renoncer au bénéfice d'une loi d'ordre public.  L'article 13 C.c.B.‑C. est très explicite à cet égard:

 

                   13.  On ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public ou les bonnes moeurs.

 

                   Bien qu'il s'agisse là de la conséquence fondamentale, la doctrine et, plus récemment, les tribunaux ont estimé que les ententes dérogeant à des lois de protection ne donnent ouverture qu'à une nullité relative.  Baudouin, op. cit., écrit (à la p. 85):

 

                   Dans la doctrine et la jurisprudence classiques, la sanction qui s'impose à la violation de l'ordre public dans un acte juridique est la nullité absolue.  Toutefois, le droit sur ce plan a évolué.  Lorsque la règle touche l'ordre public de protection, il est logique, pour précisément assurer la réussite du but poursuivi, que seul celui que la règle a pour but de protéger puisse invoquer la nullité.  [Je souligne.]

 

Ghestin explique dans Le contrat dans le nouveau droit québécois et en droit français, op. cit., aux pp. 41 et 42:

 

                   Il est clair que si la règle ne vise qu'à protéger une seule des deux parties, c'est seulement cette partie‑là qui sera autorisée à agir en nullité.  Ceci est propre aux règles d'ordre public de protection.

 

D'autres auteurs français partagent cette opinion, dont G. Ripert, "L'ordre public et la liberté contractuelle", dans Mélanges François Gény (1936), à la p. 352, Couturier, loc. cit., à la p. 101, et Gégout, loc. cit., fasc. 2, à la p. 6.  Les tribunaux québécois ont reconnu cette exception dans Belgo‑Fisher (Canada) Inc. c. Lindsay, précité, Girard c. Groupe Desjardins assurances générales, [1989] R.R.A. 153 (C.A.), Pomerleau c. 2319‑8419 Québec Inc., [1989] R.J.Q. 137 (C.S.), Gélinas c. Caisse populaire de St‑Sévère, [1990] R.R.A. 566 (C.S.), Letellier c. Century 21 Citadelle Ltée, [1990] R.D.I. 42 (C.S.).

 

                   La partie que la loi vise à protéger peut donc renoncer à son bénéfice et je suis d'accord avec le juge Vallerand de la Cour d'appel lorsqu'il écrit à la p. 931:

 

Ces dispositions sont indiscutablement une entrave à la liberté de contracter.  On ne doit donc en étendre le champ d'application qu'à ce qui est nécessaire pour rejoindre les fins de la loi, pour assurer la protection du faible lorsque précisément il est en position de faiblesse. Aller plus loin, c'est risquer d'empêcher que le débiteur trouve son profit à une dérogation qui, ponctuellement, paraîtrait devoir l'avantager.

 

                   La question qui se pose en l'espèce n'est pas tant de savoir si l'on peut renoncer à ces dispositions, mais plutôt à quel moment une telle renonciation est permise en conformité avec le but poursuivi par la loi.  Selon le juge Vallerand, la renonciation pourrait être invalide si elle était faite au moment de la signature du contrat originel de prêt, mais valide si elle intervient subséquemment au profit d'une des parties ou des deux, par suite d'une entente librement négociée.  La majorité a cependant préféré s'en tenir à une conception plus restrictive.

 

                   La règle générale veut que la renonciation ne soit valide que si elle intervient après que la partie, en faveur de laquelle la loi a été édictée, a acquis le droit qui découle de cette loi.  C'est alors, et alors seulement, que la partie la plus faible, tel le débiteur en l'espèce, peut faire un choix éclairé entre la protection que la loi lui accorde et les avantages qu'elle compte obtenir de son cocontractant en échange de la renonciation à cette protection, comme l'explique Gégout, loc. cit., fasc. 2, à la p. 10:

 

. . . l'apparition de plus en plus fréquente de règles de protection dans l'ordre public économique a multiplié les cas où les parties peuvent renoncer à un ordre public édicté dans leur seul intérêt.  Mais il faut s'entendre sur la portée de cette affirmation:  l'ordre public protecteur intervient pour assurer l'entière liberté du contractant le plus faible contre le contractant le plus fort; il manquerait complètement son but si la personne protégée pouvait y renoncer au moment où elle contracte. [. . .] Il faut qu'en toute connaissance de cause, au moment où la protection doit produire ses effets, l'intéressé ne risque plus de subir les pressions de son adversaire.

 

                   C'est pourquoi la renonciation à une protection légale d'ordre public ne peut se concevoir que pour des droits acquis.  La loi n'impose pas de droits aux individus, mais leur permet de les acquérir; elle n'interdit que la renonciation à un droit qui n'est pas encore né; la seule condition de validité de la renonciation à ces droits est l'accomplissement de leurs conditions d'acquisition.  [Je souligne.]

 

                   Couturier, loc. cit., souligne lui aussi la nécessité d'assurer la protection constante du contractant placé dans une situation d'infériorité, et ce, jusqu'à ce que le droit lui soit acquis (à la p. 106):

 

Mais les règles ressortissant à l'ordre public de protection ne sont pas seulement impératives, elles visent à protéger un contractant placé dans une situation d'infériorité; comme il s'agit de le prémunir contre les faiblesses prévisibles de son propre consentement, on ne saurait lui permettre d'abdiquer la protection légale:  ce serait ruiner cette protection même.  Tant que subsiste la situation d'infériorité qui explique et justifie l'intervention du législateur, la renonciation au bénéfice de la loi, lors même qu'elle porterait sur des droits acquis, paraît porter atteinte aux exigences de l'ordre public de protection.  [Je souligne.]

 

Ou, comme le fait observer Ghestin dans Le contrat dans le nouveau droit québécois et en droit français, op. cit., à la p. 42:

 

                   Enfin, il est logique d'autoriser la personne qui était protégée, lorsqu'il s'agit d'ordre public de protection, à renoncer à cette protection, à la condition d'ailleurs qu'elle le fasse lorsque celle‑ci n'est plus nécessaire.  [Je souligne.]

 

                   Pour conclure sur ce point, disons qu'il est possible de renoncer à une disposition d'ordre public économique de protection puisque sa violation n'est sanctionnée que par une nullité relative.  En raison de la nature même de la protection accordée, toutefois, cette renonciation n'est valide que si elle est consentie après l'acquisition du droit et non avant.  À mon avis, le juge Jacques de la Cour d'appel a correctement exposé l'état du droit lorsqu'il a écrit à la p. 929:

 

                   Il est maintenant acquis que la partie qui bénéficie de la protection d'une loi d'ordre public économique de protection peut y renoncer. Cependant, cette renonciation ne peut être anticipée. Elle ne peut avoir lieu que lorsque le droit que cette loi accorde est né et peut être exercé en toute connaissance de cause, tout comme, par analogie, un acte de ratification d'une obligation annulable doit exprimer, entre autres, l'intention de couvrir la cause de l'annulation (art. 1214 C.C.)  [Je souligne.]

 

                   En l'espèce, bien que Garcia ait renoncé à la protection des art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. après avoir fait défaut et après jugement rendu sur le reliquat de sa dette, elle n'avait pas encore à ce moment acquis le droit de demander sa libération.   En effet, les dispositions en cause dans la présente affaire ne sont pas destinées purement et simplement à protéger un débiteur mais visent précisément à protéger le débiteur dont le bien immeuble est vendu par le shérif (ventes notoires pour le bas prix de leurs enchères) en exécution d'un jugement.  Ce n'est qu'après la vente que prend naissance le droit de demander la libération, le débiteur pouvant alors invoquer la valeur de l'immeuble vendu.  Si la protection des débiteurs en pareilles circonstances s'explique par la position de faiblesse dans laquelle ils se trouvent, cela est vrai non seulement au moment de la signature du prêt, mais à fortiori au moment de la vente.  La renonciation qu'a signée Garcia, avant la vente, était donc prématurée et, vu le caractère d'ordre public des dispositions concernant la libération, de nul effet.

 

                   De plus, s'il est vrai que Garcia a obtenu une concession de la Banque en contrepartie de sa renonciation, savoir la vente par shérif en deux étapes, il n'était sûrement pas dans son intérêt d'accepter que le prix d'adjudication de l'immeuble lors de la première vente soit considéré comme sa valeur réelle, ni de renoncer à son droit de demander sa libération par la suite.  Bien que la Banque ait été libre de faire cette concession, et de fait la possibilité de scinder la vente a été en tout temps un sujet valide de négociation entre les parties, la renonciation obtenue en retour n'était en rien essentielle à l'entente.  La Banque aurait pu se borner à accepter ou à rejeter la demande de Garcia de procéder en deux étapes.

 

                   Je suis consciente, toutefois, que si Garcia n'avait pas signé la renonciation, la Banque aurait fort bien pu ne pas accéder à sa demande, de sorte que Garcia n'aurait pu bénéficier de la possibilité que le prix d'adjudication de ses immeubles non bâtis (vendus lors de la première vente) satisfasse au jugement de la Banque.  Dans certains cas, comme celui‑ci, une loi d'ordre public peut s'avérer une arme à deux tranchants parce que l'invalidité d'une renonciation à ses dispositions par la partie qu'elle voulait avantager peut priver cette partie de la possibilité de négocier aussi librement qu'elle le voudrait dans le but de minimiser sa perte.  C'est, bien évidemment, au législateur qu'il appartient d'adopter les lois qui servent le mieux les objectifs qu'il s'est fixés pour promouvoir l'intérêt public.

 

                   De fait, le projet de Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (adopté et sanctionné le 18 décembre 1991, devant entrer en vigueur, suivant ses dispositions finales, "à la date qui sera fixée par le gouvernement, conformément à ce qui sera prévu dans la loi relative à l'application de la réforme du Code civil"), comporte une section VI intitulée "De la libération du débiteur", dont la formulation est différente et considérablement plus brève que les dispositions actuelles et qui prévoit, notamment, la libération automatique du débiteur placé dans la situation de Garcia.  En voici le libellé:

 

                   1695.  Lorsqu'un créancier prioritaire ou hypothécaire acquiert le bien sur lequel porte sa créance, à la suite d'une vente en justice, d'une vente faite par le créancier ou d'une vente sous contrôle de justice, le débiteur est libéré de sa dette envers ce créancier, jusqu'à concurrence de la valeur marchande du bien au moment de l'acquisition, déduction faite de toute autre créance ayant priorité de rang sur celle de l'acquéreur. [Je souligne.]

 

                   Le débiteur est également libéré lorsque, dans les trois années qui suivent la vente, ce créancier reçoit, en revendant le bien ou une partie de celui‑ci, ou en faisant sur le bien d'autres opérations, une valeur au moins égale au montant de sa créance, en capital, intérêts et frais, au montant des impenses qu'il a faites sur le bien, portant intérêt, et au montant des autres créances prioritaires ou hypothécaires qui prennent rang avant la sienne.

 

                   1696.  Le créancier est présumé avoir acquis le bien s'il est vendu à une personne avec qui il est de connivence ou qui lui est liée, notamment, un parent ou allié jusqu'au deuxième degré, une personne vivant sous son toit, ou encore un associé ou une personne morale dont il est un administrateur ou qu'il contrôle.

 

                   1697.  Le débiteur libéré a le droit d'obtenir quittance du créancier.

 

                   Si ce dernier refuse, le débiteur peut s'adresser au tribunal pour faire constater sa libération.  Le jugement qui la constate vaut quittance à l'égard du créancier.

 

                   1698.  La libération du débiteur principal entraîne la libération de ses cautions et de ses autres garants, qui peuvent exercer les mêmes droits que le débiteur principal, même indépendamment de lui.

 

                   Disparaît également l'actuel art. 1202k C.c.B.‑C., qui empêche le débiteur de forcer le créancier à lui remettre les sommes légalement perçues avant la libération.  Si ces dispositions avaient été en vigueur au moment où a eu lieu la première vente, plusieurs des embûches procédurales auxquelles Garcia s'est heurtée auraient pu être levées.  Cependant, il n'y a rien dans cette nouvelle section qui se rapporte aux ventes par étapes de plusieurs immeubles affectés à la garantie d'une créance, sujet qui est au c{oe}ur de la présente instance et qui relève du législateur, et non des tribunaux.

 

                   Ayant conclu que la renonciation prématurée de Garcia aux droits que lui confèrent les art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. est nulle et que la valeur des immeubles vendus lors de la première vente par shérif couvrait la créance de la Banque, la question que l'on doit ensuite se poser est de savoir si Garcia peut obtenir les réparations qu'elle demande maintenant, savoir sa libération rétroactive au jour qui a suivi le premier décret et l'annulation du second décret.  Il s'agit, naturellement, de deux recours distincts qui, bien qu'interreliés ici en raison de la vente en deux étapes, obéissent à des règles différentes.  J'analyserai donc séparément les exigences procédurales propres à chacun de ces recours.

 

Exigences procédurales

 

                   1.  L'annulation du second décret

 

                   Rappelons que la Banque a contré cette conclusion de la demande de Garcia concernant l'annulation du second décret par une requête préliminaire que le juge de première instance a accueillie en ces termes:

 

                   CONSIDÉRANT que les paragraphes 6 à 12 inclusivement de la requête de la requérante et que les articles 13 et 14 de cette même requérante (sic) qui se lisent comme ci‑après, même s'ils sont réputés vrais pour les fins des présentes ne donnent lieu ni à dol ni à l'inobservance des formalités nécessaires à la vente. . .;

 

                   CONSIDÉRANT que ces allégués sont insuffisants pour justifier les motifs prévus aux articles 698 et 699 du Code de procédure civile;

 

                                                                   . . .

 

                   EN CONSÉQUENCE LE TRIBUNAL ACCUEILLE en partie la requête pour rejet (non‑recevabilité) de l'intimée COMPAGNIE TRUST ROYAL et de la mise en cause BANQUE FÉDÉRALE DE DÉVELOPPEMENT;

 

                   REJETTE les deux conclusions suivantes de la requête en libération d'une débitrice datée du 22 février 1985 présentée par GARCIA TRANSPORT LTÉE et qui se lisent comme suit:

 

1."ANNULER à toutes fins que de droit la vente en justice intervenue le 7 décembre 1984 et le décret relatif à ladite vente dans la cause précitée";

 

2."ORDONNER au Shérif mis en cause de surseoir à toute autre procédure relativement à la vente intervenue le 7 décembre 1984" . . .

 

                   Bien que Garcia n'ait pas interjeté appel de cette décision, il semble qu'elle ait maintenu sa demande originelle devant la Cour d'appel.

 

                   Tenant pour acquis pour le moment que ce jugement ne constituait pas chose jugée sur cet aspect de la demande ‑- question sur laquelle je reviendrai plus loin -‑ et qu'il pouvait donc encore fait l'objet d'un appel en même temps que le jugement final, je suis d'avis que le juge de première instance a eu raison d'accueillir la requête en irrecevabilité et de radier ces conclusions pour les motifs qu'il a exprimés.

 

                   Au point de départ, il faut reconnaître que les art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. ne prévoient pas explicitement qu'une vente par shérif puisse être scindée.  La loi semble plutôt présumer qu'il n'y aura qu'une seule vente des biens hypothéqués, qu'il s'agisse d'un ou de plusieurs immeubles.  Et de fait, c'est normalement le cas.  Cela ne signifie pas pour autant qu'il soit interdit de scinder une vente ou que, si l'on procède ainsi, le débiteur perde son droit à la libération dans l'hypothèse où la valeur des biens vendus lors de la première vente suffirait à couvrir la créance.  La demande de libération, toutefois, doit être faite suivant la procédure établie à cette fin.  Or, l'annulation du second décret n'est pas, et à juste titre, l'une de ces procédures.

 

                   En droit civil québécois, les titres conférés par décret jouissent d'une autorité considérable et ce n'est qu'avec réserve que les tribunaux consentent à y toucher.  Ces titres obéissent à des règles strictes et leur annulation est subordonnée à l'observance de formalités rigoureuses (art. 698, 699 et 700 C.p.c.).  On a fait remarquer que le droit québécois est, à cet égard, plus strict que le droit français:  Bérard c. Barrette (1874), 5 R.L. 703 (C.S.), et Lymburner c. Courtois (1922), 34 B.R. 341.

 

                   D'abord, l'adjudication d'un immeuble lors d'une vente en justice est considérée comme une vente véritable, malgré l'absence de consentement de la part du propriétaire, comme l'explique Marler dans son traité bien connu The Law of Real Property (1932), à la p. 309, par. 658:

 

                   [traductionEffet de l'adjudication:  ‑‑ L'adjudication, dit Pothier, "contient une véritable vente que la justice, pour le saisi et malgré lui, fait à l'adjudicataire de l'héritage saisi".

 

                   Elle confère à l'adjudicataire, sous réserve du paiement du prix, la propriété de l'immeuble vendu, sujet aux droits énumérés dans les annonces et à ceux qui ne sont pas purgés par la vente.  Sur paiement du prix, l'adjudicataire devient propriétaire à compter de la date de l'adjudication . . .  [Je souligne.]

 

                   De plus, les tribunaux du Québec ont depuis longtemps et de façon constante jugé que la contestation d'un décret équivalait à la contestation d'un titre conféré non pas par une personne, mais par l'ensemble du système judiciaire.  L'un des premiers arrêts à avoir fait ressortir ce point est l'affaire Patton c. Morin (1865), 16 L.C.R. 267 (B.R.), où le juge Mondelet a écrit, à la p. 272:

 

                   Considérant que le demandeur devait se porter opposant à la saisie et vente du dit immeuble, mais qu'au contraire, il a laissé vendre et adjuger le dit immeuble en justice sans formuler sa plainte et s'opposer à la dite saisie et vente:

 

                   Considérant que lors de la saisie et vente du dit immeuble par le dit shérif, le dit Simon Octeau était considéré comme propriétaire, et qu'en autant la saisie faite sur lui était valable, et que l'adjudication faite sous de telles circonstances doit même purger les droits du propriétaire, s'il ne s'y est pas opposé:

 

                   Considérant que la vente judiciaire, accompagnée des formalités légales, doit être respectée, et ne peut être révoquée en doute sans porter atteinte à l'efficacité d'un titre accordé par la main de la justice . . .  [Je souligne.]

 

                   Ce thème a été repris dans l'affaire Perrault c. Mousseau (1896), 6 B.R. 474, où le juge Hall a écrit, à la p. 480:

 

[traductionÉvidemment, une demande en nullité de décret doit être examinée avec soin.  Elle attaque en effet l'une des tâches les plus importantes d'une cour d'archives, ‑‑ l'exécution du jugement qu'elle a rendu, et met en cause non seulement la régularité de cette procédure, mais elle met également en péril les droits de tiers innocents, comme en l'espèce, qui ont acheté des biens vendus en justice conformément à la solennité et aux formalités prescrites par la loi.  [Je souligne.]

 

                   Le juge Montgomery a, quant à lui, simplement fait observer dans l'arrêt Dyer c. Bradbury‑Parry, [1976] C.A. 106:  [traduction] "Le décret a généralement un caractère définitif et exécutoire" (p. 107).

 

                   Étant donné le rôle qu'il joue dans l'exécution des jugements et les droits qu'il confère, ainsi que la nécessité de garantir la stabilité et la fiabilité des titres, le décret ne peut être contesté facilement.  Le juge Taschereau note ainsi dans l'arrêt Boileau c. Procureur général du Québec, [1957] R.C.S. 463, à la p. 470:

 

                   Le titre consenti par le shérif est évidemment un titre auquel on ne doit toucher qu'avec une extrême prudence

 

                   Plus récemment, dans l'arrêt Ville d'Anjou c. C.A.C. Realty Ltd., [1978] 1 R.C.S. 819, conf. [1974] C.A. 197, conf. [1972] C.S. 808, notre Cour a rejeté un pourvoi contre un jugement du juge Turgeon de la Cour d'appel, lequel écrivait à la p. 199:

 

                   La vente par le shérif est une procédure qui confère à l'acheteur des droits plus absolus que ne le fait une vente volontaire.  Elle est précédée de formalités rigoureuses qui ont pour but de protéger le saisi et l'adjudicataire. Rappelons qu'en vertu de l'article 577 C.P. l'adjudication sur exécution transfère la propriété des biens à l'adjudicataire à compter de sa date et que ce principe est d'intérêt public.  [Je souligne.]

 

                   Au nom de la majorité, le juge Pigeon a d'abord fait observer que l'importance attachée à la validité des décrets est illustrée par les dispositions édictées au Québec en vue de restreindre les moyens de contestation.  En rejetant la requête en annulation du décret, il a conclu (à la p. 828):

 

                   Il est évidemment bien regrettable que l'appelante perde le montant des taxes qui lui étaient dues lors de la vente et, dans le cas présent, il serait sûrement plus juste que l'acquéreur de l'immeuble ne s'en trouve pas affranchi par suite de l'omission des fonctionnaires municipaux de faire une procédure appropriée en temps utile.  S'il était possible d'en venir à ce résultat sans porter atteinte au principe de l'intangibilité des ventes en justice, je serais d'accord pour le faire.  [Je souligne.]

 

Pour d'autres arrêts récents où notre Cour a appliqué cette conception restrictive à des requêtes en annulation de décret, voir St-Gelais c. Banque de Montréal, [1968] R.C.S. 183, conf. [1966] B.R. 365, et Gobeil c. Cie H. Fortier, [1982] 1 R.C.S. 988.

 

                   On justifie souvent cette conception restrictive en disant que le décret confère plus de droits à l'acquéreur qu'une vente ordinaire parce qu'il purge l'immeuble de tous les droits réels à l'exception de ceux expressément énumérés aux art. 695 et 696 C.p.c.  Dans l'arrêt Canada Investment and Agency Co. c. McGregor (1892), 1 B.R. 197, conf. par (1892), 21 R.C.S. 499, le juge Bossé a conclu ainsi au nom de la Cour d'appel, à la p. 205:

 

                   Considérant que cette vente a été précédée et est revêtue de toutes les formalités voulues pour les ventes judiciaires, qu'elle a de plus été faite sur Craig, alors en possession publique et paisible, et propriétaire apparent du dit lot en vertu de titres authentiques enregistrés, réguliers à leur face;

 

                   Considérant que le demandeur, majeur à la date de cette vente, n'y a pas formé d'opposition;

 

                   Considérant que la vente judiciaire, faite dans ces circonstances, forme un titre parfait, et qu'il n'y a pas lieu de remonter au‑delà, et de s'enquérir des moyens de nullité invoqués par le demandeur à l'encontre de la vente du même lot faite par sa tutrice le 15 octobre 1866, non plus que d'adjuger sur les autres défenses produites . . .  [Je souligne.]

 

En confirmant cet arrêt, le juge Fournier a ajouté en notre Cour, à la p. 512:

 

                   D'après la loi et les décisions dans la province de Québec la vente judiciaire accompagnée des formalités légales donne un titre complet et absolu à l'adjudicataire de la propriété vendue et purge tous les droits dont la propriété peut être grevée, à l'exception de l'hypothèque résultant de la commutation des rentes seigneuriales, de l'emphytéose, des substitutions non ouvertes et du douaire coutumier non ouvert.  Par l'art. 711 C.P.C. le décret purge tous autres droits.

 

                   Comme il a été déjà dit plus haut, le testament de McGregor ne contenant pas de substitution, la vente judiciaire a eu son plein et entier effet et a purgé les droits du propriétaire faute d'avoir fait opposition à la vente en temps opportun.  [Je souligne.]

 

                   Enfin, vu les formalités strictes devant précéder la vente en justice et la facilité relative avec laquelle les parties intéressées, et tout particulièrement le propriétaire du bien, peuvent faire opposition à la saisie et à la vente avant que celle‑ci n'ait lieu, la requête en nullité de la vente sera examinée minutieusement et ne sera accordée que dans des cas  exceptionnels.  Les requérants qui auraient pu s'opposer à la saisie et à la vente, mais ne l'ont pas fait, ne réussissent généralement pas à faire annuler le décret parce que leur défaut d'agir plus tôt signifie qu'ils ont consenti à l'irrégularité qu'ils auraient pu invoquer par la suite, suivant les motifs du juge Taschereau dans l'arrêt de notre Cour Canada Investment, précité, aux pp. 515 et 516:

 

[traduction]  [L]e demandeur, majeur à la date de la vente par shérif au défendeur, bien que je ne vois pas quelle différence cela puisse faire, devait alors former opposition et faire valoir son droit, si tant est qu'il en eut; [. . .] son défaut l'empêche aujourd'hui d'attaquer la validité du titre du défendeur, cette vente ayant été accompagnée de toutes les formalités prescrites par la loi, et Craig sur qui elle a été faite étant alors en possession à titre de propriétaire dudit lot en vertu de titres authentiques dûment enregistrés. . .

 

. . . À supposer donc qu'il ait eu des droits sur cet immeuble, l'appelant les a perdus par suite du décret. Vigilantibus non dormientibus subvenit lex.  [Je souligne.]

 

                   L'exigence en vertu de laquelle la partie qui s'oppose à la vente doit agir avant que celle‑ci n'ait lieu est bien établie au Québec comme en font foi ces commentaires formulés dans l'affaire Genier c. Kerr (1893), 3 C.S. 409 (à la p. 411):

 

. . . l'informalité dont il [le demandeur] se plaint apparaissait à la face du procès‑verbal de saisie et des annonces dont il a reçu copie: pourquoi le demandeur ne s'est‑il pas opposé à la vente en temps convenable?  Son silence est un acquiescement. Il n'y avait là qu'une nullité relative qu'il pouvait couvrir de son consentement, et c'est ce qu'il a fait.  [Je souligne.]

 

                   De même, dans l'arrêt Veilleux c. B. Trudel et Cie (1933), 55 B.R. 481, le juge en chef Tellier du Québec a écrit, aux pp. 484 et 485:

 

                   Sans doute, la demanderesse aurait eu le droit d'en empêcher la vente, en produisant à cette fin une opposition afin de distraire [. . .] Mais, ici, la demanderesse n'a rien fait pour s'opposer à la vente. Le pasteurisateur a donc été vendu comme immeuble, ce qui, aux yeux du shérif, comme de toute personne étrangère au contrat de bail‑vente, était parfaitement régulier [. . .] Le tiers que la saisie peut affecter n'a qu'à faire valoir ses droits, par opposition à la saisie. S'il ne le fait pas avant la vente, il n'a ensuite de recours que sur le produit de la vente.  Le décret purge tous les droits réels non compris dans les conditions de vente, excepté ceux énumérés à l'article 781 du Code de procédure.  [Je souligne.]

 

Pour d'autres jugements confirmant qu'un décret ne sera pas annulé à la demande de celui qui a fait défaut de s'opposer à la vente avant qu'elle n'ait lieu, voir Leclerc c. Phillips (1894), 4 B.R. 288, Roy c. Lavallée, [1960] B.R. 438, en particulier aux pp. 442 et 443, et Office du crédit agricole du Québec c. Gauvin, [1977] C.S. 589, conf. par  C.A. Québec, no 200‑09‑000306‑77, le 12 août 1977.

 

                   Par conséquent, si l'annulation d'une vente en justice demeure possible, ce n'est qu'exceptionnellement qu'elle sera permise et seulement pour les quelques motifs énumérés.  Ces exceptions se trouvent aux art. 698 et 699 C.p.c.  L'article 699 ne s'applique qu'à l'adjudicataire et n'est donc pas pertinent ici.  L'article 698 permet à "toute personne intéressée", dont le débiteur de l'immeuble saisi, de demander l'annulation du décret pour cause de dol ou d'inobservance des conditions et formalités prescrites pour la vente.  Toutefois, une irrégularité ne donnera généralement pas ouverture à l'annulation du décret à moins que le requérant ne démontre qu'il a subi un préjudice:  Fort Garry Trust Co. c. Roberts Sprinkler Ltd., [1981] C.S. 905.

 

                   De plus, l'art. 698 C.p.c. ne peut être invoqué qu'à l'intérieur d'un court laps de temps après la vente.  Ce délai est de rigueur, de sorte que la vente ne peut être attaquée que dans les 90 jours, ou, exceptionnellement, dans les six mois si le requérant démontre qu'il a été dans l'impossibilité d'agir plus tôt.  Pour reprendre les propos du juge Nichols dans l'affaire Janelle c. Champagne, [1981] C.S. 898, aux pp. 903 et 904:

 

Le délai de rigueur vise d'une part à rendre le titre de l'adjudicataire inattaquable.  [Je souligne.]

 

                   Le juge Durand a conclu ainsi dans l'affaire Caisse populaire de St‑Eustache c. Entreprises Blainville Ltée, [1989] R.D.I. 355, à la p. 357:

 

                   Par contre, toute demande d'annulation de décret, que ce soit par une personne intéressée ou par l'adjudicataire lui‑même, doit être faite dans les délais prévus à l'article 700 C.P.

 

                                                                   . . .

 

                   Or, cette requête a été signifiée [. . .] bien après le délai prévu à cet article et, comme nous l'avons vu plus haut, la requérante reconnaît qu'elle n'a pas été dans l'impossibilité d'agir plus tôt.

 

                   Puisque ce délai est de rigueur, son expiration couvre quelque nullité qui aurait pu entacher le décret, nullité relative, évidemment, puisque si elle était absolue, le législateur n'aurait pas établi un délai pendant lequel on doit la soulever.

 

                   Cette règle souffre peu d'exceptions.  Une vente fondée sur une saisie ou un jugement nuls peut être annulée: voir Dufresne c. Dixon (1889), 16 R.C.S. 596, Vézina c. Lafortune (1917), 56 R.C.S. 246, et Peiffer c. Lafrance, [1987] R.J.Q. 2616 (C.S.).  De même, une vente faite super non domino, c'est‑à‑dire d'un immeuble n'appartenant pas au débiteur mais à un tiers, peut être annulée.  Une saisie et une vente fondées sur une nullité  absolue donnant lieu à une nullité, non pas relative, mais absolue de la vente, le bref délai de prescription fixé par l'art. 700 C.p.c. ne s'applique pas; voir Peiffer, à la p. 2617.

 

                   En résumé, donc, une fois qu'elle a eu lieu, la vente par shérif ne peut être annulée qu'exceptionnellement et pour des motifs très limités.

 

                   Appliquant ces règles aux faits de l'espèce, j'arrive à la conclusion, toujours en présumant qu'il n'y a pas chose jugée, que Garcia ne pouvait obtenir l'annulation du second décret puisque sa demande ne satisfaisait pas aux dispositions strictes de l'art. 698.

 

                   En premier lieu, soulignons qu'il n'y a rien au dossier ou plus précisément dans les plaidoiries écrites qui tende à conclure à la nullité du jugement condamnant Garcia à payer le solde de sa dette envers la Banque.  Garcia n'a pas contesté les procédures ni formé appel du jugement.  En fait, elle n'a jamais nié devoir la somme réclamée par la Banque après qu'elle eut fait défaut d'effectuer ses paiements.  Au contraire, l'entente que Garcia a conclue avec la Banque confirme l'existence de la dette et ne fait que prévoir son remboursement selon des modalités qui pouvaient, à l'époque, lui sembler avantageuses.  Dans les circonstances, il n'y a aucun motif d'attaquer la validité du jugement obtenu à l'origine par la Banque.

 

                   En second lieu, ayant obtenu jugement, la Banque a pris les mesures légales voulues en vue d'en obtenir l'exécution.  Elle a saisi les immeubles comme elle en avait le droit.  Quoiqu'elle eût pu s'en remettre à la renonciation signée par Garcia, renonciation déclarée nulle parce que contraire aux dispositions d'ordre public des art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C., la Banque n'a été informée d'aucune demande de Garcia et cette dernière n'a entrepris aucune procédure en vue d'être libérée de sa dette envers la Banque avant que n'intervienne la seconde vente par shérif.  Par conséquent, cette deuxième vente s'est déroulée en toute légalité et Garcia n'avait aucun moyen à faire valoir à l'encontre de sa validité.

 

                   Enfin, bien que Garcia ait pu agir à l'intérieur du délai de 90 jours prescrit par l'art. 700 C.p.c. lorsqu'elle a intenté son action en février 1985, elle n'a allégué aucun des moyens prévus au Code de procédure civile à l'appui de sa demande d'annulation du second décret.  En accueillant la requête en irrecevabilité de la Banque, le juge de première instance a estimé qu'aucune preuve de fraude ou d'inobservance des conditions et formalités essentielles n'avait été établie en ce qui concerne le second décret.  En conséquence, Garcia était irrecevable à en demander l'annulation.  La Cour d'appel n'a pas statué sur ce point bien que, à ce qu'on nous a dit, l'argument ait été soulevé devant elle.

 

                   En conclusion, la demande de Garcia visant à faire annuler le second décret doit être rejetée vu qu'elle est sans fondement.

 

                   Strictement parlant, cette conclusion me dispense de la nécessité d'aborder la question de la chose jugée.  Toutefois, puisqu'il s'est agi d'un des motifs de dissidence en Cour d'appel, j'ajouterai les commentaires suivants.

 

                   Le principe de la chose jugée trouve son expression, en droit québécois, à l'art. 1241 C.c.B.‑C.:

 

                   1241.  L'autorité de la chose jugée (res judicata) est une présomption juris et de jure; elle n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement, et lorsque la demande est fondée sur la même cause, est entre les mêmes parties agissant dans les mêmes qualités, et pour la même chose que dans l'instance jugée.

 

                   Pour un examen approfondi de l'application de cette disposition par notre Cour, voir Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374, aux pp. 401 à 427.

 

                   La question ici concerne la décision du juge de première instance d'accueillir la requête de la Banque en radiation de la partie de l'action de Garcia visant l'annulation du second décret.  S'agissait‑il d'un jugement définitif?  Dans l'affirmative, le défaut de Garcia d'en interjeter appel signifie‑t‑il que la décision sur ce point est devenue chose jugée?

 

                   Dans son Précis de la preuve (3e éd. 1986),  L. Ducharme expose, aux pp. 109 et 110, la règle à suivre quant à la distinction théorique entre jugements définitifs et jugements interlocutoires:

 

                   Les jugements définitifs sont ceux qui mettent fin à la contestation, sinon d'une manière irrévocable, du moins dans des conditions telles que le juge n'ait plus à revenir sur le point litigieux.

 

                   En principe, les jugements interlocutoires n'ont pas l'autorité de la chose jugée.  Ainsi l'interlocutoire qui rejette un moyen préliminaire en irrecevabilité ou qui autorise l'émission d'un bref d'évocation ne jouit pas de l'autorité de la chose jugée. [. . .]  C'est dire que, dans tous ces cas, la partie défaillante pourra faire un nouvelle demande en remédiant au défaut qui a entraîné le rejet de sa première demande.  [Je souligne.]

 

                   J.‑C. Royer, pour sa part, dans La preuve civile (1987), traite spécifiquement de la question des requêtes en irrecevabilité (à la p. 284):

 

Requête en irrecevabilité ‑ Un jugement est définitif s'il rejette une action à la suite d'une requête en irrecevabilité.  D'autre part, le jugement qui rejette une action pour des raisons techniques n'a pas force de chose jugée.  Le demandeur peut intenter une nouvelle poursuite après avoir accompli les formalités prescrites.

 

                   L. LeBel, dans son article "L'appel des jugements interlocutoires en procédure civile québécoise" (1986), 17 R.G.D. 391, partage cette opinion, à la p. 400:

 

                   Il faudra aussi se garder de qualifier d'interlocutoire le jugement qui disposerait totalement d'une demande à l'occasion d'un incident en accueillant par exemple une exception d'irrecevabilité.  Certains plaideurs se méprennent et assimilent ce jugement à un jugement interlocutoire parce que la cour statue lors de la présentation de moyens préliminaires.  On oublie que ce jugement se rattache au fondement même du droit invoqué au soutien de la demande.  La jurisprudence apprécie de la même façon l'effet de certains moyens, particulièrement l'irrecevabilité et le déclinatoire de compétence ratione materiaeL'exception d'irrecevabilité, comme autrefois l'inscription en droit, entraîne l'extinction du droit et provoque techniquement un jugement définitif lorsque le tribunal accueille le moyen avant même que la preuve n'ait été présentée.  Comme dans le cas de la péremption d'instance ou du déclinatoire de compétence ratione materiae, lorsqu'on ne peut renvoyer à aucun tribunal compétent, le jugement éteint l'instance principale.  Il faut que cette dernière subsiste pour que le jugement demeure interlocutoire. [Je souligne.]

 

                   Il est également de jurisprudence constante que le jugement rendu sur requête entraînant la radiation d'allégations ou, en l'occurrence, de conclusions à l'égard desquelles aucun autre élément de preuve ne pourra être présenté à l'instruction, constitue une catégorie particulière de jugement définitif dont il y a appel immédiatement.  Dans l'arrêt Davis c. Royal Trust Co., [1932] R.C.S. 203, le juge Rinfret a dit (à la p. 209):

 

                   [traduction]  Les jugements qui accueillent, en tout ou en partie, des inscriptions en droit, ne sont pas de la même nature.  Si c'est une inscription totale et elle est accueillie, l'action est rejetée et la question ne se pose plus.  Dans tous les autres cas, les allégations radiées à la suite d'une inscription en droit disparaissent du dossier et aucune preuve y afférente ne peut être présentée au procès.  Le juge de première instance n'a donc plus aucun pouvoir et toute tentative de sa part visant à remédier à la situation serait sans effet et inopérante.  On voit donc que les jugements sur des inscriptions en droit qui radient une partie des allégations forment une catégorie à part et doivent être considérés comme des jugements définitifs.  [Je souligne.]

 

Le juge Rinfret s'est appuyé sur deux arrêts antérieurs de notre Cour, Dominion Textile Co. c. Skaife, [1926] R.C.S. 310, et Ville de St. Jean c. Molleur (1908), 40 R.C.S. 139.  Plus récemment, cette règle a été énoncée dans l'arrêt Fraternité des Policiers de la Communauté urbaine de Montréal c. Ville de Montréal, [1980] 1 R.C.S. 740, et reprise dans l'affaire Brandt Plumbing Co. c. Nozetz, [1984] R.D.J. 219 (C.A.).

 

                   Cette doctrine ainsi que la jurisprudence m'amènent à conclure que les jugements faisant droit à des requêtes en irrecevabilité et radiant des conclusions sont des jugements définitifs dont appel doit être formé dans les délais prescrits si l'on veut empêcher qu'ils ne deviennent chose jugée sur ce point du litige.

 

                   Il existe toutefois des précédents à l'appui de l'argument voulant que certains de ces jugements "définitifs", que la jurisprudence limite aux décisions accueillant une objection à la preuve, puissent, dans certaines circonstances, faire l'objet d'un appel dans le cadre de l'appel du jugement au fond.  Pour un très bon aperçu historique de cette évolution, voir l'affaire Laforge c. White, [1990] R.J.Q. 2124 (C.A.).  Le juge Rousseau‑Houle apporte toutefois, dans cette affaire, les nuances suivantes (à la p. 2127):

 

                   Dans le cas de jugements interlocutoires accueillant une opposition à la preuve, notre Cour soulignait toutefois, dans Brûlé c. C.S.R. de Chambly, [[1984] R.D.J. 478], que le fait de ne pas avoir exercé le droit d'appel immédiatement après la décision ne faisait pas présumer une renonciation à ce droit d'appel et que, même si l'enquête était close, la requête pour permission de faire appel pouvait être accueillie car elle avait été présentée dans les 30 jours du jugement.  Dans Droit de la famille -‑ 229 [[1985] C.A. 487], les juges LeBel et Turgeon, tout en rejetant des appels interlocutoires rendus en cours d'instruction d'un divorce, avaient néanmoins considéré ces appels comme recevables, puisque la Cour d'appel semble maintenant reconnaître que, en vertu de l'article 29 C.P., l'appel immédiat de l'interlocutoire rendu en cours d'instruction est possible en certains cas sans devenir obligatoire pour autant.

 

                   La solution d'un appel immédiat lors d'un jugement interlocutoire maintenant une objection à la preuve accroît les risques d'une reprise du procès uniquement pour obtenir un complément de preuve.  Cet inconvénient ne doit pas priver une partie de la possibilité d'en appeler de ce jugement lorsque, tout au moins, comme en l'espèce, le délai pour obtenir la permission de le porter en appel n'était pas expiré lorsque le jugement final a été rendu et que ce jugement final remet en question le mérite du jugement interlocutoire auquel il demeure juridiquement lié. [Je souligne.]

 

                   Le droit d'en appeler d'un jugement définitif, bien qu'"interlocutoire", dans le cadre de l'appel du jugement au fond est donc restreint aux cas où le jugement au fond a été rendu avant l'expiration du délai dans lequel la décision interlocutoire pouvait faire l'objet d'un appel.  Il faut également que le jugement au fond remette en question le bien‑fondé de ce jugement "interlocutoire".  Or, à supposer même qu'il n'existe pas de distinction entre les jugements radiant des conclusions et ceux accueillant simplement des objections à la preuve et que, en l'espèce, le jugement rendu sur la requête soit "juridiquement lié" au jugement sur le fond, l'appel de Garcia à l'encontre de la requête en irrecevabilité aurait été prescrit puisque la décision sur la requête a été rendue le 27 mai 1985 (corrigée le 9 juillet), que le jugement au fond a été rendu le 10 février 1986 et que l'appel a été formé le 10 mars 1986.

 

                   En résumé, donc, étant donné que la décision du juge de première instance d'accueillir la requête préliminaire de la Banque constituait un jugement définitif sur ce point et qu'elle n'a pas fait l'objet d'un appel dans le délai prescrit, soit indépendamment, soit dans le cadre de l'appel de la décision au fond, ce jugement constituait chose jugée comme l'a conclu à juste titre le juge Vallerand, dissident en Cour d'appel.  Garcia ne pouvait alors soulever à nouveau la question et demander, comme elle l'a fait en appel, l'annulation du second décret, même si elle avait possiblement le droit d'obtenir gain de cause, droit que, de toute façon, suivant ma conclusion antérieure, elle n'avait pas.

 

                   Quoi qu'il en soit, Garcia a également demandé sa libération rétroactivement au premier décret, question que je vais maintenant examiner.

 

                   2.  La libération

 

                   Bien que les tribunaux aient donné aux dispositions remédiatrices des art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. une interprétation large, permettant au débiteur d'obtenir sa libération moyennant certaines conditions, ils ont aussi reconnu que ces dispositions ne s'appliquent que dans des circonstances particulières, soigneusement décrites et circonscrites par le texte même des dispositions.  De plus, la loi ne prévoit pas la libération automatique, laissant plutôt au débiteur le soin de la demander (art. 1202h et 1202i).  Si le débiteur ne demande pas sa libération dans le délai prescrit à l'art. 1202l, son droit s'éteint.  De même, si le débiteur, bien qu'agissant dans les délais, ne suit pas la procédure prescrite, la protection à laquelle ces dispositions lui auraient par ailleurs donné droit risque d'être tronquée.

 

                   Ainsi, dans l'arrêt Lafaille c. Banque nationale du Canada, [1987] R.J.Q. 1509, le créancier avait acheté  un immeuble affecté d'une hypothèque en sa faveur lors d'une vente par shérif.  Après que la banque eut revendu l'immeuble à perte, les débiteurs ont demandé une déclaration en vertu de l'art. 1202e C.c.B.‑C.  Ils ont fait valoir que leur dette devait être réduite du montant payé par la banque, plutôt que du prix inférieur de la revente.  Le juge Nichols de la Cour d'appel a rejeté l'argument en ces termes, à la p. 1517:

 

                   S'il fallait interpréter ces articles dans le sens que proposent les appelants, c'est‑à‑dire dans le sens que le débiteur hypothécaire a l'entière liberté d'introduire sa demande de libération au moment qu'il juge opportun tout en conservant le choix des remèdes, ce serait à mon sens donner à ces mesures un effet curatif plus étendu que celui qui a véritablement été envisagé.  Ce serait une interprétation susceptible de causer au créancier de bonne foi un préjudice encore plus considérable.

 

                   Ce serait en quelque sorte mettre le créancier à la merci du débiteur comme je le disais précédemment.  [Je souligne.]

 

L'application de ces principes l'a amené à conclure ainsi, à la p. 1514:

 

                   Rien ne s'oppose à ce que les appelants fassent leur demande de libération dans le cadre d'une défense à l'action du créancier mais on ne peut ignorer le fait qu'ils aient attendu la revente de l'immeuble avant de formuler cette demande de libération.  Comme question de fait la revente eut lieu le 16 avril 1981, un mois avant leur plaidoyer.  Espéraient‑ils que la banque puisse revendre l'immeuble à un prix suffisant pour les libérer entièrement?  Je l'ignore.  Mais s'ils avaient voulu jouir du privilège reconnu au paragraphe a) de l'article 1202b, ils auraient dû introduire leur demande de libération avant que l'immeuble ne soit revendu.  Ayant laissé passer cet événement, il leur faut maintenant vivre avec cette réalité.  [Je souligne.]

 

                   L'arrêt Placements Monga Inc. c. Lalonde, [1986] R.L. 264 (C.A.), illustre également le fait qu'il appartient au débiteur d'agir avec diligence s'il veut bénéficier de la pleine protection des art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C.  La compagnie appelante et l'intimé Lalonde s'étaient portés cofidéjusseurs d'un prêt.  Après le défaut de l'emprunteur, un immeuble sur lequel la compagnie avait consenti une hypothèque en garantie de la dette a été vendu au prêteur, lors d'une vente par shérif, pour un montant nettement inférieur à sa véritable valeur.  La compagnie a pris action contre Lalonde en vertu de l'art. 1955 C.c.B.‑C., qui porte que les cautions sont responsables de leur part de la dette que leurs cofidéjusseurs ont acquittée.  La Cour d'appel a confirmé le jugement de la Cour supérieure selon lequel la compagnie n'avait droit qu'à la part de Lalonde dans le prix payé par le prêteur lors de la vente par shérif, et non à une proportion de la valeur véritable de l'immeuble.  Le juge Bisson a écrit aux pp. 275 et 276:

 

                   L'appelante reproche au juge d'avoir indiqué qu'avant de pouvoir exercer un recours contre ses cofidéjusseurs, l'appelante aurait nécessairement dû se prévaloir des dispositions du Code civil concernant "la libération de certains débiteurs".

 

                   Si l'appelante avait obtenu sa libération, les cofidéjusseurs auraient été libérés et il aurait alors pu y avoir recours de l'appelante contre ces derniers.

 

                   Les articles 1202a et ss. ont été édictés pour contrer l'effet lésionnaire causé par la vente en justice d'immeubles pour un prix inférieur à leur valeur marchande.

 

                   Mais encore aurait‑il fallu que l'appelante s'adresse à la Cour supérieure en vertu de l'article 1202h.

 

                   Comme elle ne l'avait pas fait au moment du jugement entrepris, c'est à juste titre que le juge l'a noté.  [Je souligne.]

 

Voir aussi Interprovincial Building Credits Ltd. c. Pelletier, [1970] C.S. 94.

 

                   Par conséquent, bien que les art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. soient des dispositions remédiatrices auxquelles il convient de donner une interprétation large, le droit à la libération n'a rien d'absolu.  Le débiteur doit l'exercer, et ce, en temps utile et en suivant la procédure prescrite.

 

 

                   Comme je l'ai mentionné auparavant, aucune des dispositions des art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. ne traite explicitement de la question de la libération en cas de vente en justice de plus d'un immeuble.  Cependant, le législateur a manifestement prévu le cas où des créances seraient garanties par plus d'un titre ou d'un immeuble.  Ainsi, le premier paragraphe de l'art. 1202i C.c.B.-C. porte que "[l]a libération du débiteur principal entraîne la libération de ses cautions et garants."  Faribault, op. cit., a souligné que l'art. 1202i s'appliquerait également lorsque le débiteur a donné plus d'un bien en garantie d'un prêt (aux pp. 651 et 652):

 

                   La libération du débiteur entraîne évidemment l'extinction de sa dette, et, selon le droit commun, cette extinction fait également disparaître la responsabilité des cautions et des garants, l'accessoire ne pouvant survivre au principal.

 

                   Le présent article ne concerne aucunement les privilèges ou les hypothèques qui ont été purgés par le décret. Il n'a d'application que si le débiteur a fourni d'autres garanties à son créancier, tels que un cautionnement fourni par un tiers, ou une hypothèque additionnelle consentie sur un autre immeuble que celui qui a été vendu. Toutes ces garanties disparaissent avec la libération du débiteur.  [Je souligne.]

 

                   Toutefois, comme il ressort clairement des termes mêmes de l'art. 1202i, les garanties additionnelles que le débiteur a fournies à son créancier ne disparaissent pas avant que le débiteur ne demande et n'obtienne effectivement sa libération devant les tribunaux.  Le second paragraphe de l'article est rédigé en termes plus facultatifs qu'impératifs:

 

                   Lorsqu'un débiteur a, en vertu de la présente section, droit d'obtenir sa libération à l'égard d'une dette ou d'un reliquat de dette, toute personne qui s'est portée caution ou garant du paiement de cette dette ou de ce reliquat a droit d'obtenir sa propre libération et peut exercer son recours à cette fin, indépendamment du débiteur principal, en suivant la procédure ci‑dessus prescrite.  [Je souligne.]

 

                   Aux termes de cette disposition, les cautions et les garants n'acquièrent eux‑mêmes que le droit de demander la libération, droit qu'ils doivent exercer concrètement suivant la procédure établie dans les dispositions précédentes de la section.  Il s'ensuit qu'un débiteur qui a hypothéqué plus d'un terrain pour garantir un seul prêt doit également entreprendre des démarches en vue d'obtenir sa libération après une première vente en justice, afin d'empêcher le créancier d'exercer ses droits sur les autres garanties consenties pour la même dette.  Même si la valeur d'un immeuble vendu lors d'une première vente par shérif est suffisante pour couvrir le solde de la dette due au créancier, rien n'empêche celui‑ci de forcer la vente des autres biens grevés par le débiteur.  La loi ne prévoit pas une libération automatique en cas de vente de biens suffisants pour acquitter la créance.  Elle prescrit plutôt la procédure que le débiteur doit suivre à l'intérieur d'un certain délai pour en faire la demande.

 

                   Cette procédure par laquelle le débiteur peut empêcher la tenue d'une deuxième vente, s'il a droit d'obtenir sa libération après la première, est établie à l'art. 1202j, que je reproduis ici pour plus de commodité:

 

                   1202j.  Le débiteur peut, aussi longtemps que son recours en libération n'est pas prescrit, faire valoir en défense à une action, en opposition à une saisie‑exécution ou en contestation d'une saisie‑arrêt, selon le cas, les moyens qu'il peut invoquer à l'appui d'une demande de libération, et, sur conclusions à cette fin dans ladite défense, opposition ou contestation, le tribunal peut accorder la libération.  [Je souligne.]

 

                   Faribault, op. cit., formule le commentaire suivant (aux pp. 652 et 653):

 

                   Le législateur permet au débiteur, par le présent article, de faire valoir ses moyens au soutien de sa libération, non seulement par une requête introductive d'instance, mais aussi dans un plaidoyer à une action du créancier pour réclamer le reliquat de la créance, et même au moyen d'une opposition à une saisie exécution ou d'une contestation d'une saisie arrêt.

 

                   Il est clair que Garcia aurait pu empêcher la deuxième vente par shérif, ou à tout le moins la retarder, simplement en suivant la procédure établie à l'art. 1202j C.c.B.-C. avant qu'elle n'ait lieu.  Comme la Banque l'a souligné, l'opposition de Garcia à la saisie-exécution aurait immédiatement eu pour effet, suivant l'art. 599 C.p.c. dont le texte est reproduit au début des présents motifs, de suspendre la vente de son immeuble en attendant qu'une décision soit prise sur son droit d'obtenir la libération après la première vente.  Il aurait pu alors y avoir présentation d'éléments de preuve quant à la valeur des immeubles vendus lors de la première vente en vue d'établir si elle était suffisante pour acquitter la créance de la Banque.

 

                   Le respect des délais impartis est, toutefois, une condition essentielle.  Comme le juge Nichols de la Cour d'appel l'a fait observer dans l'arrêt Lafaille, précité, le débiteur doit agir avec diligence s'il veut se prévaloir des droits conférés par les art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C.  S'il reste inactif alors que sont prises d'autres procédures juridiques, telles la revente de l'immeuble ou une deuxième vente judiciaire, les tribunaux ne remédieront pas à son inaction.  Pour reprendre la formulation du juge Nichols:  "Ayant laissé passer cet événement, il leur faut maintenant vivre avec cette réalité."

 

                   L'article 1202k C.c.B.‑C. vient étayer cette conclusion:

 

                   1202k.  La libération du débiteur n'a pas pour effet d'imposer au créancier l'obligation de remettre les sommes qu'il a légalement perçues sur son jugement avant cette libération.

 

Il en ressort clairement qu'une fois le jugement pleinement exécuté, comme il l'a été en l'espèce par la deuxième vente en justice, le débiteur ne peut, bien qu'il puisse encore obtenir sa libération (à condition que la valeur de l'immeuble soit suffisante pour couvrir la créance), réclamer la somme qui a pu constituer une aubaine pour le créancier et à laquelle il aurait pu avoir droit par ailleurs.  Bien que le législateur ait prévu la possibilité qu'une vente par shérif entraîne la libération du débiteur à l'égard de plus d'une sûreté, comme le dit l'art. 1202i C.c.B.‑C., il a du même coup restreint ce droit de telle sorte que le débiteur qui n'exerce pas son droit avec diligence le fait à ses risques et périls.

 

                   Cette conclusion est conforme non seulement au bon sens, mais aussi au respect dont jouissent en droit québécois les titres conférés par décrets et, comme je l'ai indiqué auparavant, à l'interprétation restrictive adoptée en ce qui concerne l'annulation des décrets lorsque le requérant n'a pas fait opposition avant la vente.  Elle est également conforme au désir d'éviter tout préjudice au créancier qui a agi légalement et n'a pas été informé en temps opportun de l'intention de son débiteur.

 

                   Ayant fait défaut de demander sa libération avant que n'ait lieu la deuxième vente par shérif, ce qu'il aurait pu faire en suivant la procédure exposée précédemment, Garcia était irrecevable tant à demander sa libération et à obtenir un remboursement de la Banque qu'à rechercher l'annulation du second décret.  Bien que cela puisse sembler draconien de prime abord, plusieurs considérations d'intérêt public liées à la portée des décrets sur les titres ont pu guider le législateur dans son choix des recours.  Quoiqu'il puisse être opportun de scinder la vente si cela est avantageux pour le débiteur et non préjudiciable pour le créancier, c'est, comme je l'ai dit auparavant, au législateur et non aux tribunaux qu'il appartient d'édicter des lois à cet égard.

 

Conclusion

 

                   En conclusion, bien que Garcia eût pu se prévaloir des dispositions remédiatrices des art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C. afin d'obtenir sa libération après le premier décret, elle ne pouvait le faire qu'en suivant la procédure appropriée dans les délais prescrits avant que n'intervienne le second décret.  Quoique sa renonciation aux bénéfices de la loi soit nulle parce que prématurée et contraire aux dispositions d'ordre public économique de protection des art. 1202a et suiv. C.c.B.‑C., son défaut d'observer les exigences procédurales pour faire valoir ses droits est fatal, et elle doit être déboutée de sa demande.

 

                   De plus, en ce qui concerne sa demande d'annulation du second décret, en raison de son défaut d'en appeler, dans le délai prescrit, du jugement rendu par le juge de première instance sur la requête en radiation de la Banque, il y avait chose jugée sur ce point et Garcia était irrecevable à soulever à nouveau la question en appel.  Quoi qu'il en soit, Garcia n'a ni allégué de motifs donnant ouverture à l'annulation du second décret ni présenté quelque élément de preuve d'illégalité ou d'irrégularité à cet égard.  Elle doit donc également être déboutée de sa demande d'annulation du second décret.

 

                   Vu les circonstances, et en particulier le fait qu'il avait été satisfait au jugement de la Banque par suite du premier décret, je suis d'avis de ne pas adjuger de dépens.

 

                   En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel et de rejeter l'action de l'intimée, le tout sans frais dans toutes les cours.

 

                   Pourvoi accueilli.

 

                   Procureurs des appelantes:  de Granpré, Godin, Montréal.

 

                   Procureurs de l'intimée:  Paquette, Perreault, Trudeau & Associés, Montréal.

 



     * Le juge Stevenson n'a pas pris part au jugement.

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