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Supreme Court of Canada

Charron-Picard v. Tardif, [1961] S.C.R. 269

Date: 1960-12-19

Dame Ernestine Charron-Picard (Defendant) Appellant;

and

J. Omer Tardif (Plaintiff) Respondent.

Debtor and creditor—Sale of debt—Effect of admission by purchaser that no payment made—Debtor becoming heir of vendor—Succession duties not paid—Whether mutual extinguishment of debts—Non adimpleti contractus—Civil Code, art. 1188.

Where the purchaser of a debt admits in evidence that he did not pay the price for it, that evidence must prevail over the evidence of the contract itself in which the vendor acknowledged having received payment

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without there being any necessity to proceed by way of improbation. The contract of sale is not thereby rendered null, but the consequence of the admission is that the purchaser remains debtor for the price.

When two debts are equally liquidated and have each for object a sum of money, compensation will not take place if one of the creditors is an heir and 'has not produced the certificate of payment or of non-exigibility of the succession duties pertaining to the debt. Until that certificate is produced, the debt is not demandable. The doctrine of non adimpleti contractus has no application in such a case.

APPEAL and CROSS-APPEAL from a judgment of the Court of Queen's Bench, Appeal Side, Province of Quebec1, reversing a judgment of Drouin J. Appeal and cross-appeal dismissed.

F. J. McNally, for the defendant, appellant.

G. Monette, Q.C., M. Cinq-Mars, Q.C., and R. Barakett, for the plaintiff, respondent.

The judgment of the Court was delivered by

Taschereau J.:—Les faits de cette cause présentent peu de difficultés.

La défenderesse-appelante, Ernestine Charron-Picard, était l'épouse de Charles Eugène Charron maintenant décédé. Ils étaient mariés sous le régime de la communauté légale, et le 14 février 1952, ils ont obtenu une séparation judiciaire en vertu d'un jugement rendu par l'honorable Juge Choquette. Cette séparation de corps a naturellement entraîné la séparation de biens. Le 26 mai de la même année, comme conséquence d'ententes intervenues, les biens de la communauté ont été partagés, et un immeuble qui a été évalué à la somme de $18,000 a été attribué à Dame Ernestine Charron-Picard.

Cette dernière a cependant contracté l'obligation de payer à son époux une somme de $15,000, avec intérêt au taux de cinq pour cent (5%), par versements mensuels et consécutifs de $186.58 chacun. Et pour garantir le paiement de cette somme, l'appelante a hypothéqué le lot n° 174, du bloc 41, canton de Rouyn. Il a été aussi stipulé à l'acte de partage que si la débitrice faisait défaut d'exécuter l'un des versements dans les soixante jours de son échéance, la somme de $15,000 deviendrait immédiatement exigible.

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Quelque temps plus tard, soit le 10 mars 1954, par acte devant le Notaire Morissette, Charron cédait sa créance contre son épouse à J. Orner Tardif, le demandeur-intimé dans la présente cause, pour une considération qui est ainsi exprimée dans l'acte:

Le présent transport a été consenti pour le prix de $111,946.61 que le cédant reconnaît avoir reçu du cessionnaire dont quittance.

Seize jours après ce transport, soit le 26 mars 1954, Charron décédait à Rouyn, laissant un testament antérieur à la date de la séparation judiciaire, dans lequel il instituait sa femme légataire universelle. Madame Charron a cessé d'effectuer ses versements le 1er mars 1954. Le 3 juin de la même année, le cessionnaire Tardif a institué contre l'appelante la présente action dans laquelle il réclame la somme de $11,946.61, plus $179.19 d'intérêt, formant un total de $12,125.80. Il demande en outre que la défenderesse soit condamnée à délaisser l'immeuble dans les quinze jours de la signification du jugement à intervenir, pour que ledit immeuble soit vendu en justice, et qu'à même le prix le demandeur soit payé, par préférence de sa créance, en principal, intérêts et frais.

La défenderesse-appelante a prétendu que le transport fait par son mari Charron à Tardif était nul, parce qu'à la date où il a été exécuté, Charron n'avait pas la plénitude de ses facultés mentales, qu'il était incapable de donner un consentement valide, qu'à tout événement ce contrat est fictif, qu'il n'est qu'une donation «mortis causa», et qu'il y a absence de considération valable. Le juge au procès, après avoir rejeté la prétention de la défenderesse-appelante concernant la capacité mentale du cédant, et après avoir écarté le motif qu'il s'agissait d'une donation à cause de mort, n'a retenu pour justifier son jugement que la légalité de la considération. Il est arrivé à la conclusion que le contrat était fait sans considération, parce que le prix du transport, quoiqu'il fût stipulé qu'il a été payé, ne l'a pas été en réalité.

La Cour du banc de la reine2 a unanimement maintenu l'appel de Tardif, a décidé qu'il y avait bien un contrat de vente entre les parties, et que le défaut du paiement du prix ne faisait pas disparaître la, considération qui était stipulée au contrat.

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Devant cette Cour, les deux parties ont appelé. Madame Charron prétend toujours qu'il y a absence de considération, qu'on ne peut en conséquence donner effet à ce contrat, tandis que Tardif demande qu'il soit décidé qu'il ne s'agit pas d'une vente, mais bien d'une donation inter vivos; cette donation, prétend-on, était la récompense de services rendus pendant trente ans. Cette divergence d'opinion est facile à comprendre. Si ce transport constitue véritablement une vente par Charron à Tardif, et si ce dernier n'a pas payé le prix stipulé, comme c'est le cas, il s'ensuit que Charron, s'il eut vécu, aurait eu le droit de le réclamer. Comme il est décédé, sa veuve, légataire universelle, est titulaire de cette créance contre Tardif, et peut offrir en compensation le montant qu'elle devait à son mari, garanti par hypothèque, et dont Tardif est le cessionnaire. Si, d'un autre côté, il s'agit d'une donation inter vivos, faite par Charron à Tardif, aucune question de compensation ne se présente, et Tardif peut réclamer de madame Charron en vertu du transport en date du 10 mars 1954. C'est la seule question qui se présente devant cette Cour, les autres moyens ayant été abandonnés.

La Cour du banc de la reine en est arrivée à la conclusion que ce transport par Charron à Tardif constituait une vente, et je" crois qu'elle a bien jugé. Les prétentions de Tardif à l'effet qu'il s'agissait d'une donation inter vivos sont complètement contredites par son témoignage. Examiné au préalable, il s'exprime ainsi:

Il a commencé à me dire: «Je vais vous vendre mon affaire.» Je savais de quelle affaire il parlait, c'était le règlement avec sa femme, sa part de distribution avec sa femme. Il me disait ça souvent: «Je vais sous vendre ça mon affaire», et l'affaire s'est passée de même. A la fin de février ou au commencement de mars il est devenu plus insistant et une bonne journée il m'a dit: «L'achetez-vous ou si vous l'achetez pas? Si vous l'achetez pas, je vais la vendre à un autre.» J'ai dit: On va appeler le notaire, et on a pris le rendez-vous.

C'est comme conséquence de cette conversation que la cession a été faite. Ce témoignage de Tardif est conforme à l'écrit qu'il a signé; il a juré devant le tribunal qu'il s'agissait d'une vente, et il a signé un document qui constate qu'il y avait une vente où il était partie comme acheteur. L'écrit dit qu'il a payé, mais il jure qu'il n'a rien donné. Évidemment, son aveu vaut contre cet écrit, et toute la jurisprudence est à l'effet que dans un cas comme

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celui-là, l'aveu est suprême, et qu'il n'est pas nécessaire de recourir à l'inscription en faux pour contredire les termes d'un écrit valablement fait. Le notaire a fidèlement rapporté porté dans son acte ce que les parties lui ont représenté, et l'inscription en faux ne peut être admise lorsque la partie" reconnaît que l'officier public a exactement relaté les faits accomplis devant lui, sauf à prouver par toutes espèces de moyens qu'ils ont été simulés par les parties. (Garsonnet, vol. 2, 705, p. 503.) Il est de principe que lorsque l'on attaque seulement la sincérité des déclarations faites des parties devant le notaire, tout en reconnaissant que cet officier a bien constaté ce qu'il a vu et entendu, il n'est pas nécessaire de prendre la voie de l'inscription en faux, car la véracité de l'officier public n'est point mise en question. (1, Boitard, 425.)

Dans une cause de Doyon v. Doyon3, il a été décidé qu'aucune Inscription en faux n'est nécessaire pour permettre la preuve que de l'argent dont on a accusé réception dans l'acte n'a jamais été payé. Cette jurisprudence n'a jamais été changée, et c'est celle-là qui doit prévaloir.

Il résulte donc qu'il s'agit d'une venté de Charron à Tardif, dont le prix n'a pas été payé. La prétention que durant les trente ans qu'ils se sont connus, Tardif lui aurait prêté de l'argent, qu'il l'aurait visité de temps à autre, ne me paraît pas justifiée. La preuve révèle que durant cette longue période, Charron aurait emprunté de Tardif deux fois la somme de $50, qui d'ailleurs ont été remboursés, et que ce dernier est allé lui donner des conseils à l'Hôtel Union où il demeurait, après la séparation matrimoniale. Ces faits ne peuvent justifier une considération comme paiement de la cession de cette créance. D'ailleurs, le témoignage de Tardif détruit toutes ces suggestions, car Charron était prêt à vendre à un autre, envers qui il n'était pas obligé par aucune dette de reconnaissance, si Tardif n'achetait pas.

Il résulte qu'il s'agit bien d'une vente dont Tardif est le cessionnaire, par conséquent créancier de madame Charron, et qu'il a le droit de réclamer le paiement. La considération est le prix mentionné à l'acte, et si Tardif ne l'a pas payé, son défaut ne fait pas disparaître la considération du contrat. Tardif est le débiteur du montant vis-à-vis madame

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Charron, qui est légataire universelle de son époux décédé.

Evidemment, la compensation n'a pas été plaidée, car la défenderesse niait la créance de Tardif, et on ne l'a même pas invoquée comme moyen subsidiaire de défense. On en a cependant parlé à l'argument, mais comme la Cour du banc de la reine, je crois que ce moyen ne peut être invoqué.

Madame Charron, héritière de son mari, ne pouvait sûrement pas poursuivre Tardif pour réclamer le montant, n'ayant pas payé les droits successoraux, ou n'ayant pas obtenu de certificat qu'il n'y en avait pas d'exigibles. Elle a évidemment été saisie de la créance de son mari contre Tardif. Elle en est aujourd'hui la titulaire; elle en est aussi la propriétaire, mais elle ne peut exercer les droits que lui confère cette propriété tant que les droits successoraux ne sont pas payés. Jean v. Gagnon4, Ne pouvant pas poursuivre parce que l'exercice de ses droits de propriété est suspendu, elle ne peut davantage offrir en compensation le montant de la créance qui lui vient de la succession de son mari. La créance de Tardif contre madame Charron, comme celle de madame Charron contre Tardif, sont toutes deux liquides, mais seule celle de Tardif est exigible. Code Civil 1188.

Dans le factum de l'appelante madame Charron, il semble y avoir confusion entre une action où l'on demande de se faire déclarer uniquement héritier, et une action où l'on réclame une créance faisant partie du patrimoine du défunt. Dans le premier cas, on ne demande que d'être reconnu propriétaire d'un bien, tandis que dans le second on exerce un droit conféré par la propriété, ce qui ne peut être fait tant que les impôts successoraux ne sont pas payés.

L'appelante madame Charron a également prétendu devant cette Cour que Tardif, s'il s'agit d'une vente de créance, ne pouvait légalement réclamer le montant de $12,125.80, sans offrir à madame Charron le montant dont il est son débiteur, ou le consigner au Bureau du Trésor provincial. On veut évidemment appliquer la doctrine de Non Adimpleti Contractus qui veut que dans un contrat synallagmatique, la partie poursuivie en paiement peut, si de son côté le demandeur n'a pas encore payé, refuser de s'exécuter. Il est certain que chaque contractant est autorisé à considérer ce qu'il doit comme garantie de ce qui lui est

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dû, et tant que l'autre partie refuse d'exécuter son obligation, l'autre partie peut agir de même. Lebel v. Commissaires d'Écoles de Montmorency 5.

Mais, tel n'est pas le cas qui se présente ici. Il n'est pas question d'un unique contrat bilatéral, en vertu duquel les parties ont contracté des obligations réciproques, que l'on veut faire annuler ou auxquelles on veut faire donner effect. Dans un cas comme celui-là, évidemment, chacune des parties ne pourrait exiger la prestation qui lui est due que si elle offre elle-même d'exécuter son obligation.

Je suis d'opinion que cette doctrine de "Non Adimpleti Contractus" ne peut trouver son application. Tardif poursuit en sa qualité de cessionnaire d'une créance qu'il a achetée, dont il n'a pas payé le prix mais dont il est quand même propriétaire. En sa qualité d'héritière de son mari, madame Charron pourrait répondre qu'il y avait compensation parce qu'elle est héritière de la créance de son mari contre Tardif, mais malheureusement, elle ne peut le faire parce que la loi le lui interdit tant que les droits successoraux n'ont pas été payés.

L'appel de Charron v. Tardif doit être rejeté de même que l'appel de Tardif v. Charron, mais étant donné que les succès des parties devant cette Cour sont divisés, et vu les circonstances spéciales de cette cause, il n'y aura pas d'Ordonnance quant aux frais sur les deux appels. Tous les droits que peut avoir l'appelante madame Charron de réclamer de Tardif le montant de la créance qu'elle a contre lui comme héritière de son mari, lui sont évidemment réservés.

Appeal and cross-appeal dismissed without costs.

Attorneys for the defendant, appellant: Garmaise & McNally, Rouyn-Noranda.

Attorneys for the plaintiff, respondent: Cinq-Mars, Grimard & Ryan, Rouyn-Noranda.



1 [1958] Que. Q.B. 857.

2 [1958] Que. Q.B. 857.

3 (1871) Que. R.J.R. (Mathieu): 526; 565.

4 [1944] S.C.R. 175, 3 D.L.R. 277.

5 [1955] S.C.R. 298 at 305.

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