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Supreme Court of Canada

Will—Action in contestation—Probate—Validity—Omus probandi—Res judicata—Object and effect of probate—Arts. 857 and 858 C.C.

The judgment ordering the probate of a holograph will does not constitute res judicata. As a result of such probate, the will takes effect "until it is set aside upon contestation". Art. 857 C.C.

In an action where a holograph will duly probated is contested, the burden of proof still continues to impose upon the beneficiary the obligation to establish the genuineness of the writing or of the signature of the testator.

The probate thus has not the effect of shifting such burden to the party repudiating the will, the latter not having the incumbent duty of proving that the writing or the signature were forged.

There is a very wide difference between the "probate" under the English Law and the "verification" under the civil law of Quebec.

Dugas v. Amiot ([1929] S.C.R. 600) approved.

Billette v. Vallée not applicable to this case. That decision was rendered upon an exceptional case and was essentially an "arrêt d'espèce".

APPEAL from the judgment of the Court of King's Bench, appeal side, province of Quebec[1], reversing the judgment of the Superior Court, Duranleau J. and dismising the appellants' action.

The material facts of the case and the questions at issue are stated in the judgment now reported.

Aimé Geoffrion K.C. and Jacques Cartier K.C. for the appellants.

Stanislas Poulin K.C. and Maurice Demers K.C. for the respondent.

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The judgment of the Court was delivered by

The Chief Justice.Il s'agit du prétendu testament de feu Charles Latour, en son vivant cultivateur, de la paroisse de St-Jean l'Evangéliste, dans le district d'Iberville.

Les appelants, Roseanne et Alphonse Latour, sont les deux seuls enfants de M. Latour et ses seuls héritiers légaux.

Le 24 novembre 1937, l'intimée, qui n'est aucunement parente ou alliée de feu M. Latour, a fait vérifier un document qu'elle soutient être un testament fait suivant la forme dérivée de la loi anglaise, et qui se lit comme suit:

St-Jean, 12 oct. 1937

Moi, Charles Latour, je donne à ma garde-malade Lilianne Grenier le montant que j'ai à la Banque Canadienne Nationale pour la récompenser des services rendus à ma femme et à moi-même.

Je fais ma marque X devant témoins aujourd'hui 12 octobre à 5 hrs de l'après-midi.

Témoins: Antonio Lachance

J. Albert Payant.

Les appelants ont allégué que l'un des témoins, Antonio Lachance, est l'ami de l'intimée et qu'à la date du testament il logeait sous le même toit qu'elle et qu'il y loge encore; que douze heures environ après la prétendue confection du document précité, soit le 13 octobre 1937, vers 6.15 hrs du matin, Charles Latour est décédé d'une angine de poitrine. Il avait alors à la Banque Canadienne Nationale, en dépôt à son compte et à son nom, la somme de $11,929.50.

Les appelants ont prétendu que ce document était faux et frauduleux, et que jamais Charles Latour, qui d'ailleurs pouvait et savait signer et signait tous les actes et papiers se rapportant à ses affaires, n'avait apposé sa marque sur le prétendu testament, et que ni directement ni indirectement il en était l'auteur.

Ils soutiennent en plus que ce document, même s'il est authentique, ne pourrait constituer qu'une donation qui serait elle-même illégale et nulle, parce qu'elle n'a pas été rédigée en forme notariale.

Ils allèguent en plus que leur père, qui ne savait ni lire ni écrire, avait toujours déclaré que les biens qu'il possédait étaient pour ses enfants; que le témoin Payant

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était un inconnu pour M. Latour; que ce dernier n'avait aucune estime pour l'intimée, ainsi qu'il l'avait déclaré à plusieurs reprises avant sa mort.

L'intimée a été entièrement payée des services qu'elle a donnés à l'épouse de ML Latour, décédée plusieurs mois avant son mari, et la valeur de ceux qu'elle a donnés à Latour lui-même peut tout au plus s'élever à la somme de $25.00, vu qu'elle ne l'a assisté que pendant cinq jours seulement.

L'intimée a plaidé à cette action en niant généralement les allégations de la déclaration, en alléguant la vérification du testament après comparution des appelants pour s'y opposer et après enquête faite. Elle ignorait lors de la confection du testament soit que Latour avait un dépôt à la Banque Canadienne Nationale, soit le montant de ce dépôt. Elle admet que Latour, lorsqu'il était en santé, signait généralement son nom bien que avec beaucoup de difficulté; mais elle affirme que, au moment du testament, il était au lit et bien malade de corps et, très probablement, incapable de signer son nom. Qu'il fût ou non capable de le faire, elle affirme que le testament est valide du moment qu'il porte sa marque, et elle demande acte de l'admission contenue dans la déclaration que Latour ne savait ni lire ni écrire.

L'intimée ajoute que, lors du testament, Latour bien que très sérieusement malade de corps était parfaitement sain d'esprit et absolument capable de disposer de ses biens. Il se rendait parfaitement compte de l'acte qu'il faisait délibérément, sans qu'il lui eut été suggéré par qui que ce soit.

D'ailleurs, le montant en dépôt à la Banque Canadienne Nationale ne constituait qu'une faible partie de la fortune de Latour, et les appelants reçoivent par succession un bien plus fort montant.

L'intimée prétend que Latour avait beaucoup d'estime pour elle, qu'il avait confiance en elle comme il le lui a dit à elle-même et à plusieurs autres personnes; et que les appelants eux-mêmes avaient beaucoup d'estime pour elle et de confiance en elle, ainsi qu'ils l'ont répété à plusieurs reprises lors du décès de Latour. Ils le lui avaient même prouvé en lui confiant des documents qu'ils considéraient

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comme très importants, jusqu'à ce qu'ils aient eu connaissance du testament attaqué; alors, ils ont complètement changé d'idée.

Le défunt, dit l'intimée, appréciait beaucoup cette dernière parce qu'il recevait et avait reçu d'elle des soins et des attentions qu'il ne recevait pas de ses enfants, lesquels n'ont jamais vécu avec leur père depuis leur naissance, n'ont jamais été en très bons termes avec lui, au point que ce dernier n'avait pas assisté au mariage de sa fille. En plus, l'épouse de son fils avait poursuivi Latour pour pension alimentaire parce que son mari ne la faisait pas vivre.

D'ailleurs, continue toujours l'intimée dans sa plaidoirie écrite, le testament a été vérifié; il est ainsi devenu authentique malgré l'opposition des appelants qui ont comparu lors de la vérification, et il ne peut plus maintenant être attaqué autrement que par voie directe en faux. De plus, les procédures des appelants ne sont pas signées par eux; aucune procuration spéciale de leur part n'est alléguée ni produite; en sorte que ces procédures sont nulles en la forme qu'ils ont donnée à leur action, laquelle, prétend-t-elle, n'est pas le remède approprié pour attaquer le jugement de vérification qui a maintenant l'autorité de la chose jugée, et le faire mettre de côté.

En réponse, les appelants ont dit que, en tenant compte des droits successoraux, des legs particuliers dont était chargé leur père de par la succession de sa seconde femme et des dettes légitimes de sa propre succession, la somme léguée à l'intimée représentait, particulièrement pour un homme économe et extrêmement prudent en affaires comme l'était Latour, un montant considérable et à peu près le seul actif liquide de sa succession.

Quant à l'appelante, Roseanne Latour, elle était dans les meilleurs termes avec son père, lui rendait tous les services qu'elle pouvait, le visitait très souvent et jouissait de toute son affection. Il est vrai qu'il s'était opposé à son mariage, parce qu'il ne connaissait pas son futur mari, mais depuis très longtemps il avait complètement changé de manière de voir et d'agir à ce sujet.

Quant à l'appelant, Alphonse Latour, il s'est marié en 1918 à son retour du front et jusqu'au début de la crise financière, il avait pu subvenir aux besoins de sa famille;

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mais il a ensuite manqué d'ouvrage et c'est alors que sa femme a cru devoir réclamer une pension de son beau-père. Alphonse Latour n'a jamais rien réclamé pour lui-même.

Le juge de première instance (Duranleau J.) a été d'avis que les appelants avait fait la preuve de circonstances qui rendent absolument invraisemblable la confection du document par Latour lui-même.

Il a tenu pour établis les faits suivants:le document est écrit sur du papier que l'intimée avait en sa possession, avec la plume de cette dernière et entièrement de la main de cette dernière, sauf la prétendue marque du testateur et la signature des deux témoins. Le document en question n'a pas été trouvé dans les papiers du testateur après sa mort, mais il était resté en la possession de l'intimée depuis le moment de sa confection.

Le savant juge n'a pu trouver aucun motif de la part du testateur pour faire un legs de cette nature à l'intimée.

L'appelante était en bons termes avec son père; et s'il est vrai que l'appelant ne visitait pas souvent son père, c'est qu'il résidait à Montréal avec sa femme.

Garde Grenier, l'intimée, n'avait aucun lien de parenté avec le défunt et il ne lui devait rien.

Elle avait été employée par lui durant quelques semaines comme garde-malade auprès de son épouse, à deux reprises, mais ses services avaient été bien payés.

Monsieur Latour était mécontent du traitement donné à sa femme par l'intimée dans les derniers jours de sa maladie. Après la mort de sa femme, il avait même dit à qui a voulu l'entendre, qu'elle était morte après un sommeil de 72 heures, causé par une dose trop forte de remèdes que lui avait administrée l'intimée. Il entretenait donc des sentiments peu sympathiques à l'égard de cette dernière au moment où il eut une attaque d'angine de poitrine, le 8 octobre 1937.

C'est son médecin qui lui dit qu'il avait besoin des soins d'une garde-malade et qu'il allait lui envoyer Garde Grenier.

Monsieur Latour a tenu le lit du 8 au 13 octobre, prenant du mieux de jour en jour. Le 12 octobre, le jour de la prétendue confection du testament, il se sentait

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tellement bien qu'il a dit à plusieurs personnes qu'il allait se lever le lendemain. Mais le lendemain matin, il eut une autre attaque d'angine qui a causé sa mort.

L'honorable juge a considéré comme un indice très sérieux, si non certain, que le document n'émane pas du défunt, le fait "dans les circonstances bien établies dans cette cause", de l'absence de la signature du défunt sur le document.

Il a constaté que M. Latour était un homme prudent en affaires, qu'il signait facilement son nom, bien qu'il ne sût ni lire ni écrire, comme d'ailleurs il était facile de s'en rendre compte par la signature qui apparaît sur les chèques dont une liasse a été produite, et sur les autres documents versés au dossier. Or, le 12 octobre, à l'heure où ce document est censé avoir été reconnu par lui, il était parfaitement en état de signer son nom et répétait à ceux qui le visitaient qu'il ne s'était jamais senti mieux et qu'il allait se lever le lendemain.

Il a trouvé incroyable qu'un homme de son expérience ait signé de sa marque l'acte le plus solennel de sa vie lorsque, trois jours auparavant, alors qu'il était moins bien, il avait dit à l'un de ses débiteurs venu lui faire le paiement de ses intérêts: "Fais ton reçu, et je vais te le signer". De même qu'il ne croit pas qu'il aurait dit à Garde Grenier, comme elle l'affirme dans sa déposition, après qu'elle eût écrit le document: "Maintenant je vais faire ma marque devant deux témoins."

Toujours à ce sujet, le savant juge fait remarquer que personne n'a vu, à la maison du défunt, les témoins en présence desquels Latour aurait fait sa marque, pas même Colette Gélineau, la servante de la maison.

Lachance était l'ami et le compagnon de l'intimée, et il vivait sous le même toit qu'elle comme pensionnaire de la famille Grenier. Payant était peu connu. Ces deux témoins sont censés être venus à la résidence de M. Latour vers 5 hrs de l'après-midi le jour en question, et y être demeurés environ 10 minutes.

Colette Gélineau, à l'emploi de monsieur Latour depuis quinze mois comme servante, désintéressée et digne de foi aux yeux du juge de première instance, possédant la confiance de son patron, affirme positivement qu'à cinq

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heures, Latour, la garde-malade et elle-même étaient seuls dans la maison. Elle était bien sortie pour aller traire deux vaches à quelque cent pieds de la maison, à heures, mais elle est rentrée à 4.45 heures; et elle a pu fixer cette heure-là parce que lorsqu'elle revint de traire les vaches, monsieur Latour lui demanda quelle heure il était et elle constata alors qu'il était 4.45 heures.

En outre, il est bien établi que trois autres personnes sont venues entre 5 et 6 heures, les unes par affaires et les autres pour rendre visite. Aucune d'elle n'a vu les deux témoins en question.

Comme explication de cette coïncidence étrange, l'intimée a soutenu qu'au moment où ces deux témoins sont arrivés à la maison, Colette Gélineau était allée traire les vaches. Elle admet que Mlle Gélineau n'a été absente qu'un quart d'heure. Le savant juge trouve qu'il était physiquement impossible que la présence des témoins dans la maison n'ait duré que dix minutes, et qu'il est difficile de concevoir que l'on a pu procéder à la confection du testament dans un aussi court espace de temps.

Il ajoute qu'en tenant compte des distances à parcourir, il n'est pas croyable que le témoin Lachance ait pu, en si peu de temps, se rendre à pied à sa maison de pension, alors qu'il est admis qu'à quatre heures p.m. il était à la manufacture où il travaillait; mais arrivé à sa maison de pension chez madame Grenier, il aurait alors appris que l'intimée le faisait demander avec un autre témoin, chez M. Latour; il se serait mis à chercher un témoin, il aurait atteint Payant par téléphone, un journalier qui était censé être au travail, il l'aurait fait venir chez-lui à pieds; et ensuite, tous deux se seraient rendus toujours à pieds chez M. Latour.

Ce dernier demeurait dans les limites de la ville de St-Jean, mais sur une ferme complètement en dehors du centre de la ville.

Le juge de première instance fait ensuite remarquer que, au soir du 12 octobre, c'est-à-dire à peine une couple d'heures après celle où le testament est censé avoir été fait, Lachance, qui allait tous les soirs chez M. Latour pour y porter le journal, et y rencontrer son amie, l'intimée, à son arrivée aurait demaindé au malade comment il avait

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passé la journée. Cette question paraît invraisemblable si l'on pense que Lachance était venu à cinq heures de l'après-midi, pour agir comme témoin au testament.

Le savant juge ne croit pas la conversation rapportée par l'intimée comme ayant eu lieu entre elle et le malade pour ramener à lui consentir son testament.

Sur ce point, il déclare qu'il suffit de lire les témoignages qu'elle a rendus, tant sur la requête pour vérification qu'au cours de l'enquête, pour s'en rendre compte.

Il ne croit pas non plus que M. Latour, parlant du document contesté qu'il venait de faire, aurait dit à l'intimée: "Vous n'en parlerez qu'après mes funérailles". Ce langage, dit-il, dans la bouche d'un homme qui croyait ne jamais s'être mieux porté, est invraisemblable.

Il ne croit pas la conversation qui aurait été tenue en présence des deux témoins lors de la confection du testament; je veux dire qu'il ne croit pas qu'une telle conversation ait eu lieu.

Il souligne l'affirmation du témoin Payant qu'avant de faire sa croix, Latour aurait lu le document, alors qu'il est établi que Latour ne savait ni lire ni écrire, et que par ailleurs l'intimée n'aurait pas suggéré à Latour de signer son nom sur un document de cette importance, quand elle savait qu'il était en état de le faire.

Le savant juge a reçu de la preuve l'impression que, depuis assez longtemps, l'intimée convoitait les biens de Latour, en tout ou en partie.

Elle avait même, après la mort de madame Latour au printemps de 1937, suggéré à Latour qu'elle pourrait épouser son ami Lachance, et elle lui avait proposé alors d'aller vivre, elle et son mari, avec Latour, ce que ce dernier aurait refusé.

Il constate encore un autre incident pour lequel il trouve qu'il n'y a pas eu d'explication satisfaisante. Au moment de la mort de M. Latour, une somme de $195.00 était cachée dans la chambre du défunt, à un endroit connu seulement de Colette Gélineau et de l'intimée. Immédiatement après la mort de M. Latour, l'intimée dit à l'appelante:

Faites-vous donc remettre par la servante les $195.00 qui étaient déposées dans l'armoire de la chambre de M. Latour.

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Sur cette demande, Colette Gélineau se rendit à l'endroit précité pour constater, à sa grande surprise, la disparition de la somme en question.

Il souligne aussi la disparition, de la chambre du défunt, du livret de banque qui constatait le dépôt que l'intimée prétend lui avoir été légué.

Enfin, il trouve bien étranges les propos tenus par l'intimée après la mort de M. Latour et avant ses funérailles, au sujet des troubles qu'elle pourrait faire à la succession, si elle avait des témoins.

Et puis, après avoir fait mention des contradictions importantes entre le témoignage de l'intimée et celui des témoins au testament sur ce qui s'est passé et dit lors de la confection du document, et que pour un homme qui ne savait pas lire, il est assez extraordinaire que Latour ait pu trouver, sans être aidé, l'endroit précis dans le corps même du testament, et non pas au bas du document comme il est d'habitude, pour y faire sa croix ou sa marque, en définitive, le savant juge de première instance arrive à la conclusion suivante:

Le tribunal, après avoir vu, interrogé et entendu les témoins, avoir pesé et considéré toutes les circonstances de cette affaire, ne peut pas ajouter foi aux affirmations de la défenderesse et de ses deux témoins, le poids de ces circonstances et des présomptions qui en résultent écrase et détruit ces dites affirmations.

C'est dans ces conditions que le savant juge a maintenu l'action des appelants, qu'il a déclaré le prétendu testament du 12 octobre 1937, faux, frauduleux et illégal, qu'il l'a annullé tant comme donation que comme testament suivant la forme dérivée de la loi d'Angleterre, et qu'il a également déclarée nulle sa vérification, avec dépens contre l'intimée.

Sur un autre point, le savant juge a été d'avis qu'il n'y avait aucune disposition testamentaire dans le document en question, et que, même s'il émanait de feu Charles Latour, il constitue uniquement une donation de biens présents et que, dès lors, il contenait une illégalité fatale, à savoir qu'il n'avait pas été reçu par un notaire et qu'il ne portait pas minutes. (Article 776 C.C.)

L'appel de ce jugement à la Cour du Banc du Roi a été maintenu. Cette Cour a été d'avis que le document constituait un testament et que la preuve n'était pas suffisante

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pour "prendre la responsabilité de déclarer par le jugement" que ces trois personnes (c'est-à-dire l'intimée et les deux témoins au testament) ont commis les actes criminels qu'on leur reproche. Cette Cour a émis l'opinion que les appelants n'avaient pas fait une preuve suffisante pour lui permettre d'annuller la vérification du testament faite par la Cour Supérieure, et elle a en conséquence débouté les appelants de leur action avec dépens.

En vertu de l'article 857 du code civil, le testament fait suivant la forme dérivée de la loi d'Angleterre est présenté pour vérification au tribunal ayant juridiction supérieure de première instance, dans le district où le défunt avait son domicile. Le tribunal, le juge ou le protonotaire reçoit les déclarations par écrit et sous serment de témoins compétents à rendre témoignage, lesquelles demeurent annexées à l'original du testament, ainsi que le jugement. Il peut ensuite être délivré aux intéressés des copies certifiées du testament, de la preuve et du jugement, lesquelles sont authentiques et font donner effet au testament, "jusqu'à ce qu'il soit infirmé sur contestation."

Et, d'après l'article 858 C.C.,

il n'est pas nécessaire que l'héritier du défunt soit appelé à la vérification ainsi faite d'un testament, à moins qu'il n'en soit ainsi ordonné dans des cas particuliers. L'autorité qui procède à cette vérification prend connaissance de tout ce qui concerne le testament. La vérification ainsi faite d'un testament n'en empêche pas la contestation par ceux qui y ont intérêt.

Dans la cause de Dugas v. Amiot[2] il a été jugé par cette Cour que le jugement ordonnant la vérification d'un testament olographe (qui est la même que celle qui est requise pour un testament fait suivant la forme dérivée de la loi d'Angleterre) ne constitue pas chose jugée. Le principal objet de la vérification est de conférer de la publicité à ce genre de testament, et son effet pratique est de permettre aux parties intéressées d'en obtenir des copies certifiées qui sont authentiques. Par suite de la verification, le testament obtient son effet "jusqu'à ce qu'il soit infirmé sur contestation". (Article 857 C.C.) Et sur une action en contestation d'un testament qui a été vérifié, le fardeau de la preuve continue d'imposer au bénéficiaire l'obligation d'établir l'authenticité de l'écriture ou de la signature du testateur. La vérification n'a pas pour effet

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de transférer ce fardeau sur les épaules de celui qui répudie le testament. Ce n'est pas à lui qu'il incombe de prouver que l'écriture ou la signature ont été falsifiées. Dans cette cause-là, le codicille, qui avait été vérifié, était contesté par les intéressés qui niaient qu'il fut écrit et signé par la testatrice. La Cour Supérieure avait rejeté cette contestation, mais la Cour du Banc du Roi l'avait accueillie, quoique seulement à une majorité de 3 juges contre 2. Notre jugement se rapporta d'abord aux décisions du Conseil Privé re Migneault vs. Malo[3], et de la Cour Suprême du Canada re Wynne v. Wynne[4], à l'effet que l'article 858 du Code Civil conserve son effet même à l'égard de celui qui s'était opposé à la vérification. Ainsi que le fait remarquer Mignault dans son "Droit Civil Canadien", (volume 4, p. 314):—

L'on peut dire que la juridiction en matière de vérification est plutôt gracieuse ou non contentieuse que judiciaire.

Il y a une très grande différence entre le "probate" de la loi anglaise et la vérification suivant le système de la province de Québec.

En soi, disions-nous re Dugas v. Amiot[5]

d'après le texte du code, le testament vérifié ne change pas de caractère. La vérification n'en fait pas un acte authentique; les copies seules le sont. * * * l'effet du testament vérifié subsiste "jusqu'à ce qu'il soit infirmé". Mais en dehors de la publicité, qui est évidente, et du pouvoir d'en donner des copies qui y est exprimé, le code n'indique aucun effet qui résulterait de la vérification. * * *

Il semblerait extraordinaire que la vérification, à laquelle il n'est pas nécessaire d'appeler les intéressés, pût modifier la position et les droits de ces derniers. Avant la vérification, celui qui voudrait opposer un testament olographe aux héritiers du défunt aurait le fardeau de la preuve. Par le seul fait d'une vérification à laquelle l'héritier n'aurait pris aucune part, qui aurait même pu avoir lieu hors de sa connaissance, c'est sur lui maintenant que ce fardeau reposerait, et il serait ainsi privé de ses avantages antérieurs. De prime abord, cela paraît injuste. On incline à croire que le sens des articles 857 et 858 du code civil est plutôt à l'effet que, advenant la contestation, les parties seront placées dans la même position que s'il n'y avait pas eu de vérification. Il y a déjà en ce sens, dans la jurisprudence de la province de Québec, l'opinion clairement exprimée par Sir Melbourne Tait, dans St. George Society v. Nichols[6].

Nous ne discuterons pas l'arrêt re Doucet v. Macnider[7] où d'ailleurs il s'agit d'incapacité mentale, comme exprimant

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une opinion différente. Mais au rapport des Commissaires (5ième rapport, page 518), ils parlent de cette section comme traitant

de la vérification préliminaire qui se fait devant le juge d'un testament qui ne s'est pas fait dans la forme authentique.

Ils ajoutent:

qu'il y a intérêt à ce que sa validité subisse tout de suite une première épreuve.

Sans doute, il ne faut pas faire d'analogie avec le systè-français qui est différent, mais la formule de la doctrine française est commode pour exprimer notre pensée:

En principe, en ce qui regarde la force probante, le testament, même après sa vérification:, n'est toujours qu'un acte sous seing privé.

(2 Baudry-Lacantinerie, 3ième éd., des Donations, vol. II, no. 1981 et suiv.; 13 Laurent, no. 239 et suiv.; 10 Aubry et Rau, 5ième éd., parag. 669; Demolombe, no. 143 et suiv.)

Dans la cause de Dugas v. Amiot[8], la vérification du prétendu testament avait été obtenue au moyen d'un affidavit qui fut plus tard reconnu faux, et il suivait que, pour ce seul motif, cette vérification devait être mise de côté. Puis, la vérification étant écartée, il était sûr qu'à l'égard du codicille les parties se trouvaient au même état qu'elles étaient auparavant.

Mais tout ce que nous avons dit dans cette cause, au sujet de l'effet de la vérification du testament, est basé sur des principes généraux qui s'appliquent dans la cause actuelle.

Au contraire, l'arrêt de cette Cour re Billette v. Vallée[9] ne saurait nous aider à la solution du présent litige. Dans cette espèce, la conclusion de la Cour fut simplement que le demandeur n'avait pas fait une preuve suffisante pour permettre de changer l'état de choses qu'il avait laissé subsister pendant 24 ans. Le testament en question avait été vérifié en 1903; lé légataire universel, en vertu de ce testament, était en possession depuis lors, et l'action en annulation ne fut signifiée que le 21 septembre 1927. Toutes ces circonstances n'étaient certes pas favorables au succès du demandeur. C'était évidemment un cas exceptionnel et essentiellement un arrêt d'espèce.

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En envisageant le présent litige, Ton ne saurait oublier que l'intimée n'a aucun lien de parenté ou d'alliance avec le testateur, et que, sans le supposé testament, elle n'aurait jamais pu prétendre à la moindre part de la succession du de cujus. Il est bien naturel que, dans ces circonstances, il incombe à l'intimée de prouver que le document qu'elle invoque était bien le testament de feu Charles Latour, vu qu'il aurait pour effet de frustrer les deux seuls enfants de ce dernier, qui sont ses seuls héritiers légaux.

Le jugement de première instance est bien catégorique. Nous avons rapporté plus haut les paroles de l'honorable juge qui a vu, interrogé et entendu les témoins. Il déclare:

qu'il ne peut pas ajouter foi aux affirmations de la défendresse et de ses deux témoins.

Et il poursuit:

Le poids des circonstances, et des présomptions qui en résultent, écrase et détruit ces dites affirmations.

Le savant juge arrive à cette conclusion en se basant sur la crédibilité des témoins qui ont paru devant lui.

Dans ces conditions, la règle est qu'un tribunal d'appel ne devrait substituer ses impressions à l'égard des témoins à celles d'un juge de première instance qu'en exerçant la plus grande circonspection et pour des raisons bien précises et spéciales.

Ainsi que le dit Lord Wrenbury re Wood vs. Haines[10]:

It must be an extraordinary case in which the Appellate Court can accept the responsibility of differing as to the credibility of witnesses from the trial judge who saw and watched them, whereas the Appellate Judge has had no such advantage.

Voir également ce que disait Lord Sankey (page 250) et Lord Wright, (pages 265 et 266) re Powell vs. Streatham Manor Nursing Home[11].

En tout respect, nous ne croyons pas qu'il existait ici des circonstances extraordinaires et spéciales pouvant justifier la Cour du Banc du Roi en Appel de mettre de côté la décision du savant juge de la Cour Supérieure, sur les faits et sur la preuve; et, suivant nous, cette décision n'aurait pas dû être infirmée.

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Nous sommes d'avis que l'intimée n'a pas réussi à prouver que le document qu'elle invoque a réellement été signé de sa marque par M. Latour ou qu'il constitue le testament de ce dernier. Il n'est pas nécessaire, pour maintenir l'action des appelants, d'en dire davantage.

L'appel doit être maintenu et le jugement de la Cour Supérieure doit être rétabli avec dépens dans toutes les cours.

Appeal allowed with costs.

Solicitor for the appellants: Jacques Cartier

Solicitors for the respondent: Stanislas Poulin and Maurice Demers



[1] Q.R. [1945] K.B. 225.

[2] [1929] S.C.R. 600.

[3] [1872] L.R. 4 P.C. 123.

[4] [1921] 62 Can. S.C.R. 74

[5] [1929] S.C.R. 600, at 611.

[6] [1894] Q.R. 5 S.C. 273, at 291.

[7] [1905] Q.R. 14 K.B. 232.

[8] [1929] S.C.R. 600.

[9] [1931] S.C.R. 314.

[10] P.C. [1917] 38 O.L.R. 593.

[11] [1935] A.C. 243.

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