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Supreme Court of Canada

Alimony—Legacy—Declared by testator to be exempt from seizure—Automobile accident—Damages awarded for hospital and medical expenses, and for incapacity resulting from injury—Execution of judgment—Amount of legacy liable to seizure—Compensation is "alimony" within meaning of article 559 C.C.P.

In an action for damages resulting from an automobile accident, the respondent was awarded a sum of $6,976.85, for hospital and medical expenses, for disability and for loss of automobile. In execution of that judgment, less a sum of $200 being the value of the car, the respondent seized by way of garnishment, in the hands of the executors of the estate of the appellant's father, all sums bequeathed to the appellant under the will. The garnishees made a declaration that the appellant was entitled to one-third of the net revenue of the estate; but that the testator had expressly declared such legacy to be given as an alimentary pension and upon the" condition of it being exempt from seizure. The trial judge ordered the garnishees to be discharged from the seizure. The appellate court, reversing that judgment, held that the respondent's claim showed an alimentary characteristic and could be included within the meaning of the words "dettes alimentaires" and "aliments" contained in article 559 C.C.P.

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Held that the judgment appealed from (Q.R. [1943] K.B. 12) should be affirmed and the appeal to this Court be dismissed.

Per Hudson and Taschereau JJ.—Sums of money or pensions given or bequeathed as alimony, even though the donor or testator has expressly declared them to be exempt from seizure, may, however, be seized for debts similar to the one created by the judgment in this case. Such a claim presents, indeed, a real alimentary character: the indemnity granted to the respondent is precisely for hospital and medical expenses and for incapacity; and, moreover, the evidence established that the respondent had no other source of revenue. The word "alimony", in its juridical sense, means the things absolutely necessary for the maintenance of a person. The quasi-offence, from which the respondent has been an innocent victim, has deprived him of these essential things. It is in order to enable the respondent to pay medical expenses and to procure the necessities of life, that the judgment has granted him compensation. This constitutes alimony within the meaning of article 559 C.C.P., and, therefore, any exemption from seizure of sums of money or pensions given as alimentary provisions cannot be raised against the payment of such compensation.

Review of the decisions rendered by the courts of Quebec and in France, since 1881, and of the opinions expressed by French authors on the subject.

APPEAL from the judgment of the Court of King's Bench, appeal side, province of Quebec[1], reversing the judgment of the Superior Court, Gibsone J. and maintaining a seizure, by way of garnishment, taken in execution of a judgment rendered in favour of the respondent against the appellant.

Hector Lalonde for the appellant.

John Bumbray and Pascal Lachapelle for the respondents.

The Chief Justice.—I concur in dismissing the appeal with costs.

The judgment of Kerwin and Rand JJ. was delivered by

Kerwin J.—If it were not for the body of judicial opinion to the contrary, I would be disposed to allow the appeal and, in my opinion, my conclusion in that regard would be strengthened by the terms of the statutory amendment of 1928. However, in view of the decisions in the Quebec courts prior to that amendment, I think the

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matter has become too well settled to warrant any alteration in the law and I concur in the order dismissing the appeal with costs throughout.

The judgment of Hudson and Taschereau JJ. was delivered by

Taschereau J.—Le demandeur-intimé Miller, comme conséquence d'un accident d'automobile, a obtenu jugement en Cour Supérieure contre l'appelant pour la somme de $6,976.85. M. le juge Cousineau a réparti ainsi le montant des dommages:

Perte auto

$ 200 00

Frais d'hôpitaux

676 85

Incapacité totale permanente

600 00

Incapacité partielle permanente

5,500 00

Total

$6,976 85

Le défendeur n'a pas appelé de ce jugement, et le demandeur a alors fait émettre un bref de saisie-arrêt entre les mains des tiers-saisis. Ceux-ci ont déclaré que le défendeur comme héritier de son père retirait de cette succession une somme mensuelle de $175.00, et dans le testament qui a été produit au dossier on y lit la clause 11 qui décrète l'insaisissabilité de ce revenu:

Tous legs de quelque nature par moi ci-dessus faits à qui que ce soit, le sont à titre de pension alimentaire et seront en conséquence insaisissables sur aucun de mes légataires, devant de plus être incessibles.

Le défendeur a contesté cette saisie-arrêt et en a demandé main levée vu cette clause d'insaisissabilité. Le demandeur a répondu que sa créance, sauf le montant de $200.00 pour dommages à l'automobile, a un caractère alimentaire, et qu'en conséquence cette rente mensuelle est saisissable en satisfaction de sa créance. M. le juge Gibsone de la Cour Supérieure a accordé la main levée, mais la Cour du Banc du Roi, MM. les juges St-Germain et Walsh dissidents, a donné raison au demandeur-intimé et a déclaré valide la saisie-arrêt. C'est contre ce jugement de la Cour du Banc du Roi que se pourvoit l'appelant.

Il ne peut y avoir de doute que le testateur avait droit, en faisant ce leg à son fils, d'inclure dans son testament cette clause d'insaisissabilité et d'incessibilité. Dans

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ce cas, le revenu provenant de la succession ne peut être saisi par les créanciers pour une dette ordinaire. Mais, comme il arrive souvent, la loi a créé des exceptions. L'article 599 du Code de Procédure Civile, paragraphe 4, se lit ainsi:

Sont insaisissables * * *

4. Les provisions alimentaires adjugées par la justice, et les sommes et pensions données à titre d'aliments, encore que le donateur ou le testateur ne les ait pas expressément déclarées insaisissables. Elles peuvent cependant être saisies pour dettes alimentaires.

14. Sous-paragraphe 2. Nonobstant toutes stipulations contraires, les sommes et pensions mentionnées au paragraphe 4 peuvent cependant être saisies en exécution de tout jugement condamnant le donataire, le légataire ou le bénéficiaire à payer lui-même une pension alimentaire ou des aliments.

La question qui se pose est de savoir si la créance du demandeur basée sur le jugement condamnant le défendeur à réparer un tort civil comme résultat d'un quasi-délit, présente un caractère alimentaire, et peut être comprise dans les mots "dettes alimentaires" et "aliments" que l'on trouve aux paragraphes 4 et 14 de l'article 599 C.P.C.? Dans l'affirmative, la rente mensuelle de $175.00 est saisissablesinon, quelque favorable que soit la créance du demandeur, la rente ne peut être le sujet d'une saisie valide.

Dans la province de Québec, cette question a donné lieu à de nombreux litiges. Certains jugements ont maintenu que la dette, qui naît d'un quasi-délit ou d'un délit sous l'empire de l'article 1053 du Code Civil, présente en certains cas un caractère alimentaire, tandis que d'autres ont soutenu le contraire. Quelques arrêts sont à l'effet que, si la créance de la personne qui réclame sous l'article 1056 C.C. est alimentaire, il n'en est pas ainsi de celle créée en vertu de l'article 1053 C.C.

Lors de l'entrée en vigueur du Code de Procédure Civile, les dispositions concernant l'insaisissabilité étaient quelque peu différentes. L'article correspondant à l'article 599 C.P.C. était alors l'article 558 C.P.C. qui se lisait ainsi:

Sont aussi insaisissables * * *

2. Les provisions alimentaires adjugées par la justice.

3. Les sommes et objets donnés ou légués sous la condition d'insaisissabilité.

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4. Les sommes et pensions données à titre d'aliments, encore que le donateur ou testateur ne les ait pas expressément déclarées insaisissables.

Néanmoins les provisions alimentaires et choses données comme aliments peuvent être saisies et vendues pour dettes alimentaires.

Quelque temps plus tard, cet article fut amendé et lors de la révision du Code de Procédure Civile, les parties de l'article 599 C.P.C. qui nous intéressent se lisaient de la façon suivante:

Sont insaisissables * * *

4. Les provisions alimentaires adjugées par la justice, et les sommes et pensions données à titre d'aliments, encore que le donateur ou le testateur ne les ait pas expressément déclarées insaisissables. Elles peuvent cependant être saisies pour dettes alimentaires.

Et finalement, en 1928, le législateur a ajouté à cet article 599 C.P.C. le deuxième sous-paragraphe du paragraphe 14 que j'ai en l'occasion de citer déjà, et où il est dit que les sommes et pensions données à titre d'aliments peuvent être saisies en exécution de tout jugement condamnant le donateur, le légataire ou le bénéficiaire à payer lui-même une pension alimentaire ou des aliments.

Depuis la codification, je trouve en premier lieu, un jugement de M. le juge Papineau, dans une cause de Beauvais et al. vs. Leroux et la Cie des Moulins à Coton de V. Hudon[2], rendu en 1881, et où il a été décidé:

That a sum of money awarded by the Court as indemnity for personal injuries of a permanent nature partakes of the nature of an alimentary provision and is "insaisissable".

A la page 493, M. le juge Papineau dit:—

La Cour considère que la somme adjugée au défendeur Leroux, contre la Compagnie, lui a été adjugée à raison d'une infirmité corporelle, d'un caractère permanent, causée par l'imprudence d'un des employés de cette Compagnie, et qu'elle participe à la nature d'une provision alimentaire, exempte de la saisie en vertu de l'article 558 de notre Code de Procédure Civile.

Quelques années plus tard, en 1884, le même juge dans une cause de Maurice vs. Desrosiers et Lessard[3], décidait ce qui suit:

Une somme accordée comme réparation civile d'une injure personnelle, est de sa nature insaisissable.

Dans le même sens, nous trouvons une décision de M. le juge Pagnuelo rendue en 1890, Cressé vs. Young [4] :

Que les dommages accordés en réparation de blessures corporelles et pour soins médicaux, perte de temps, etc. ne sont, pas saisissables.

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M. le juge Taschereau, dans une cause de Cloutier vs. Compagnie des Chemins de Fer de Colonisation[5], décidait aussi que:

Les dommages réels accordés pour blessures sont de nature alimentaire et partant insaisissables et non compensables.

En 1903, M. le juge Loranger, dans la cause de Lafond vs. Marsan et al,[6]:—

Les dommages accordés pour la réparation de torts personnels, blessures corporelles et soins médicaux en résultant, sont de la nature d'une créance alimentaire et sont insaisissables.

La Cour du Banc du Roi de la province de Québec, dès 1909, dans une cause de James vs. Leroux [7] ;

Une somme d'argent accordée par un jugement de la Cour sur le verdict d'un jury comme dommages à un père pour la mort de son fils qui était son seul soutien est insaisissable.

La Cour de Revision en 1909, dans une cause de Laganière vs. Desjardins[8]:—

La somme que l'auteur responsable de la mort d'une personne est condamné à payer à ses père et mère en vertu de l'article 1056 est une provision alimentaire adjugée par la justice au sens du quatrième paragraphe de l'article 599 C.P.C. et par suite, elle est insaisissable.

Et plus récemment, dans la cause de Lamarre vs. Malo[9], la Cour du Banc du Roi décidait:

Where a woman carrying on business obtains a judgment for damages in consequence of an automobile accident and, as a result of her inability to look after her affairs, falls into bankruptcy, the trustee who took up the instance in a seizure by garnishment in the hands of an insurance company, is entitled to the items comprised in the judgment relating to the administration of the debtor's business; but the damages representing compensation for personal injuries, medical expenses and loss of future earning capacity must be assimilated to an alimentary provision and, as such, are exempt from seizure.

Et très récemment, M. le juge Philippe Demers de Montréal, dans une cause de Goodman vs. Becker[10], décidait:—

Les dommages-intérêts accordés pour perte de salaire, pour la partie insaisissable, et pour frais médicaux, sont de nature alimentaire. Ceux qui sont alloués pour souffrances ne le sont pas.

Et enfin, dans la présente cause[11], la Cour du Banc du Roi s'est prononcée dans le sens des décisions ci-dessus citées, et M. le juge Marchand dit dans ses notes:

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La nature alimentaire de l'indemnité accordée par jugement à la victime d'un quasi-délit pour compenser ce que la faute de l'auteur de ce quasi-délit lui fait perdre de ses moyens de pourvoir lui-même à sa subsistance ne semble plus faire de doute aujourd'hui. Ce caractère lui a été souvent reconnu par nos tribunaux.

M. le juge Francœur s'exprime ainsi:

Le jugement ne qualifie pas l'indemnité; il l'accorde telle que demandée, décrétant que du quasi-délit commis est née une créance de réparation, conséquence de l'invalidité partielle et permanente qui amoindrit les moyens de travail, unique ressource du demandeur pour obtenir sa subsistance, nourriture, logement, vêtements, frais de maladie, etc. En d'autres termes, l'indemnité est accordée pour compenser la perte de capacité et assurer l'obtention de toutes les choses indispensables à la vie. Elle constitue une créance alimentaire dont le tribunal a rendu le défendeur responsable.

Et enfin, M. le juge Prévost dit:

La conclusion s'impose donc que les revenus afférents à l'intimé de la succession de son père à titre d'aliments, peuvent être saisis pour assurer le paiement de la dette alimentaire qu'il doit à l'appelant.

Les principaux arrêts cités par l'appelant au soutien de la proposition contraire sont les causes de Archambault vs. Lalonde [12] et Desrosiers vs. Meilleur[13], mais, je ne crois pas que l'on doive attacher une grande autorité à ces deux décisions, car elles ne portent pas sur la question qui nous est soumise, et déclarent seulement que les dommages accordés pour libelle n'ont pas de caractère alimentaire et ne sont pas exempts de la saisie.

Dans la cause de Renaud vs. Malo[14], il a été décidé que le montant accordé comme résultat d'un quasi-délit était saisissable.

La Cour de Banc du Roi, avant de rendre l'arrêt cité plus haut dans la cause de Lamarre vs. Malo [15] et dans la cause actuelle, avait décidé, en 1895, dans Wilson vs. Brisebois[16], que la créance de celui qui réclame des aliments reconnue par un jugement, n'est pas une dette alimentaire au sens de l'article 558 du Code de Procédure Civile, et que partant, le créancier ne pouvait pas saisir, en exécution de son jugement, une pension léguée à son débiteur à titre d'aliments, et stipulée incessible et insaisissable.

Mais, c'est sur le précédent de Cochrane vs. McShane[17], que s'appuie surtout l'appellant. Dans cette cause,

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il a été décidé que, quand la victime exerce l'action qui lui compète exclusivement, le montant de l'indemnité n'est pas de la nature d'une provision alimentaire, et tombe dans son patrimoine; partant, cette somme peut être saisie par les créanciers de la victime, et il leur est loisible d'exercer leur droit, par voie de saisie-arrêt. M. le juge Hall, parlant pour la Cour, s'exprime de la façon suivante à la page 516:—

Very few legal propositions are more debatable or have been more ably debated than the question submitted to us by this appeal, viz, whether a judgment granting indemnity for personal injuries falls in the patrimony of the injured person and can be attached by his ordinary creditor.

A la page 518, il dit ceci:

If the judgment were in the nature of aliments, he would secure his exemption under the provisions of C.P. 599; but, as I have said above we cannot accept the contention that a judgment for a fixed sum of injury previously received is an alimentary allowance.

Ce jugement de la Cour de Banc du Roi a été commenté par M. le juge Hall dans la cause de Lamarre vs. Malo [18] et, parlant pour une Cour unanime, il fait la remarque suivante:

I venture to express the opinion that, in spite of the failure of the Court of Appeal in the McShane case [19] to distinguish between ordinary damages and compensation for medical expenses, the jurisprudence and authors justify the opinion that the items for hospital, doctors and nurses expenses were properly declared by the learned trial judge to be exempt from seizure.

In the present case, the particular item of damages is $4,500 for incapacity, that is, compensation for the plantiff's inability to earn a livelihood in the future.

This sum is clearly to be distinguished from the paltry item of $490 awarded Mr. McShane for injuries which apparently did not interfere with his business, and certainly not affect the salary on which he was dependent for his livelihood. There is, in my opinion, therefore, ample justification for declining to follow the McShane judgment, (2) because it is irrelevant to the circumstances in the present case.

En France, la question a également été débattue et les dispositions du Code de Procédure de France se trouvent à l'article 582:—

Les provisions alimentaires ne pourront être saisies que pour cause d'aliments.

Appelés à interpréter cet article, les tribunaux français, se basant sur la doctrine des auteurs, ont rendu plusieurs arrêts.

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La Cour d'Appel de Colmar [20] a jugé que la somme adjugée à un ouvrier à raison d'un accident dont il a été victime, alors que cet ouvrier n'a pas d'autres ressources pour vivre, avait un caractère alimentaire.

En 1870[21], il a été décidé que l'indemnité sous forme de pension viagère accordée à un ouvrier à raison d'un accident qui l'a mis dans l'impossibilité de travailler, avait un caractère alimentaire et qu'elle ne pouvait être saisie.

Le Tribunal Civil de Point-l'Evêque avait décidé dans une cause de Missonier vs. Boulanger[22], en 1893, que les dispositions du Code de Procédure Civile français qui énumère les sommes et pensions insaisissables ne sont pas limitatives, et qu'elles ne s'appliquent pas seulement aux sommes et pensions allouées pour aliments, par donation ou par testament, mais à toutes les sommes et pensions ayant un caractère alimentaire, et notamment à l'indemnité due par suite d'un accident qui a occasionné une incapacité partielle de travail. La Cour d'appel a adopté les motifs des premiers juges en 1893, et on trouvera ce rapport dans la Jurisprudence générale de Dalloz 1894, deuxième partie, p. 318. Et l’arrêtiste ajoute que la jurisprudence paraît aujourd'hui fixée en faveur de l'insaisissabilité totale ou partielle, suivant le cas, de toute créance qui présente un caractère alimentaire quelle que soit d'ailleurs son origine.

C'est aussi l'enseignement des auteurs en France, et Pigeau (Procédure Civile du Chatelet de Paris, vol. 1, 1787, p. 650), après avoir énuméré les objets et les sommes d'argent qui ne sont pas sujettes à la saisie, par la loi ou la jurisprudence, s'exprime de la façon suivante:

La réparation civile n'est pas non plus saisissable: elle est accordée pour réparer un tort fait par un crime à une personne ; elle ne remplirait pas le but de la loi si on pouvait en arrêter le paiement: cela a lieu contre tous créanciers du débiteur, et à plus forte raison, contre celui qui est condamné à cette réparation, lequel, s'il est d'un autre côté créancier de celui qui Ta obtenue, ne peut néanmoins former opposition en ses mains, ni compenser et refuser en aucune manière d'acquitter les condamnations, sauf à se pourvoir contre son débiteur: s'il en était autrement, un créancier de mauvaise humeur, qui ne pourrait se faire payer en argent, de son débiteur, se paierait en mauvais traitements, en se livrant envers lui à des excès, et offrant la compensation de ce qu'il serait condamné a payer, sur ce qu'il devrait pour cette réparation.

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Et Carré & Chauveau (Procédure Civile et Commerciale, tome 4, p. 666-667), sans se prononcer catégoriquement, exposent des théories fort utiles pour nous aider à solutionner le problème.

Demogue (vol. 4, Des obligations, n° 479), nous dit:—

Les biens qui sont insaisissables peuvent-ils par exception être saisis lorsque le créancier est devenu tel à la suite d'un acte illicite dont il a été victime?

La question ne comporte pas une réponse unique. Si la loi en créant l'insaisissabilité ou en permettant de l'établir a eu surtout en vue des nécessités d'ordre public qui seraient méconnues par la saisie, l'insaisissabilité subsiste. Si au contraire, elle a surtout en vue de permettre de protéger des intérêts privés, la saisie est licite.

Et il ajoute au n° 480:—

Si l'insaisissabilité résulte de la volonté de l'homme autorisée par la loi, comme au cas de biens déclarés insaisissables par le donateur ou le testateur, la saisie est possible pour une créance née de délit, même antérieure à la libéralité.

Et Mazeaud (Traité de la Responsabilité Civile, tome 3, p. 641), s'exprime ainsi:

Insaisissabilités d'intérêt privé: Les autres ne sont, au contraire, établies que pour protéger des intérêts privés. Dans le conflit qui s'élève alors entre ces intérêts privés garantis par l'insaisissabilité et les intérêts de la victime du délit, ces derniers paraissent plus digne encore de protection; ils vont l'emporter. Une telle insaisissabilité n'est opposable qu'à celui qui, malgré son existence, a consenti à devenir créancier. Ce n'est pas le cas du créancier délictuel. Cette insaisissabilité ne sera donc pas opposable à la victime d'un délit ou d'un quasi-délit quant au montant total de sa créance de réparation, qu'il s'agisse de restitution, de dommages-intérêts ou de dépens.

Et à la page 645, Mazeaud ajoute:

Concluons qu'en principe la victime qui a obtenu un jugement de condamnation ne peut l'exécuter sur les biens insaisissables du responsable. Néanmoins, lorsque l'insaisissabilité est seulement édictée dans un but d'intérêt privé, elle n'est pas opposable à la victime d'un délit ou quasi-délit.

Sourdat (Traité de la Responsabilité, vol. 1, 5ième édition, aux pages 195 à 207), traite de cette question. Parlant des biens dotaux de la femme qui sont inaliénables, il les croit tout de même saisissables en certains cas, et dit que le principe d'équité qui oblige chacun à réparer le dommage qu'il a causé par sa faute, est évidemment supérieur aux considérations d'intérêt général qui ont fait déclarer les biens de la femme inaliénables. A la page 196, voici comment il s'exprime:

La loi n'a posé la règle de l'inaliénabilité qu'au point de vue des obligations volontairement contractées. Elle a pu sans doute déclarer que

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ceux qui traiteraient avec une femme mariée sous le régime dotal ne pourraient faire exécuter sur les biens dotaux les engagements qu'elle aurait pris avec eux. Ils agissent alors à leurs risques et périls. Mais la personne lésée par un délit de la femme ne s'est pas volontairement exposée aux conséquences de ce délit, et sa créance doit nécessairement être préférée aux intérêts de la femme elle-même.

Et à la page 207, l'auteur poursuit:

Mais laisser ce dernier jouir en toute sécurité et sans réduction aucune de la somme qui lui est fournie à titre d'aliments, pourrait devenir un scandale d'impunité. Les pensions alimentaires sont parfois d'un chiffre élevé puisqu'elles doivent être allouées dans la proportion des besoins de celui qui les réclame et de la fortune de celui qui les doit. Or, il serait intolérable qu'un individu qui jouit quelquefois d'une pension de 4,000 ou 5,000 francs et même plus, à titre d'aliments, puisse la conserver entière sans être obligé d'en donner aucune part à ceux qu'il a lésés le plus gravement et peut-être réduits à la misère. Nous sommes conduits ici par la force des choses à étendre, même à ce cas, la disposition finale de l'article 582 du Code de Procédure, malgré les termes de son premier paragraphe qui paraissent limitatifs.

En France, Roger (Saisie-arrêt n° 353 et suivants) a souligné que la provision alimentaire ne peut être saisie que par les créanciers, et non par ceux à qui le créancier de la provision doit des aliments. Cependant, la grande majorité des auteurs ne partagent pas cette opinion et Carré & Chauveau, tome 4, question 1986), Boitard (tome 2, 837), Bioche (n° 69), Rodière (tome 2, p. 200), pensent, contrairement à l'opinion émise par Roger, que la provision alimentaire insaisissable peut cependant être saisie par ceux à qui le créancier de la provision doit des aliments.

Avant l'amendement de 1928, les pensions données à titre d'aliments ne pouvaient être saisies que pour dettes alimentaires, tel que le prévoyait l'article 599 C.P.C., paragraphe 4. L'opinion de Roger avait donc plus de valeur ici qu'elle n'en avait en France, où le Code Français permettait de saisir les pensions pour cause d'aliments.

On prétendait que seuls les créanciers qui avaient fourni des aliments, comme les produits comestibles, le vêtement, le logement, les choses essentielles à la vie, pouvaient saisir la pension autrement insaisissable. Et c'est ce qui justifie jusqu'à un certain point le jugement de la Cour du Banc de la Reine dans la cause de Wilson vs. Brisebois [23] et dont parle M. le juge St-Germain dans son jugement. Les notes de M. le juge Bossé (ne sont pas rapportées par l'arrêtiste, mais elles sont citées au long par M. le juge St-Germain) font voir que dans cette cause, la pension a

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été déclarée insaisissable parce que la créance n'était pas pour fourniture d'aliments, mais pour une pension alimentaire due par le bénéficiaire de la somme déclarée insaisissable. Voici ce que dit M. le juge Bossé:

Toute la question réside dans l'interprétation à donner à l'article 558 (maintenant 599) du Code de Procédure Civile, et de savoir si les mots dettes alimentaires veulent dire des dettes dues à ceux qui ont fourni les aliments, ou bien s'ils veuleut dire aussi les dettes dues par celui à qui une pension alimentaire est payable.

L'honorable juge en vient à la conclusion que ces mots signifient les dettes dues à ceux qui ont fourni les aliments, et signale la différence qui dans le temps existait avec l'article 382 du code français.

Mais comme je l'ai dit déjà, notre code a été amendé en 1928, et on a ajouté un sous-paragraphe au paragraphe 14, et maintenant les pensions peuvent être saisies quand le bénéficiaire de la pension doit lui-même une "pension alimentaire" ou "des aliments",

Lorsqu'en 1928 le législateur a ainsi incorporé ce texte nouveau (2ème paragraphe du paragraphe 14 à l'article 599 C.P.C.) il avait certes en vue de donner une signification plus étendue aux mots "dettes alimentaires" et voulait couvrir non seulement la créance du fournisseur d'aliments, mais aussi la pension alimentaire et tous les autres aliments que le bénéficiaire de la pension insaisissable pouvait devoir. Autrement il faudrait dire qu'il a légiféré inutilement et que l'amendement n'est qu'une répétition du paragraphe 4 de 599 C.P.C.

Il semble ressortir de toute cette jurisprudence, tant dans la province de Québec qu'en France et des opinions exprimées par les auteurs, ainsi que des textes, que les sommes données à titre d'aliments, même si elles sont déclarées insaisissables, peuvent cependant être saisies pour des dettes du caractère de celle créée par le jugement condamnant le défendeur à payer au demandeur la somme de $6,776.85. Car cette créance a en effet un véritable caractère alimentaire; l'indemnité accordée à l'intimé est précisément pour frais d'hôpitaux et pour incapacité de travailler, et la preuve révèle en outre qu'il n'a aucune source de revenus.

Le mot "aliments", dans son sens juridique, signifie les choses indispensables à la subsistance d'une personne.

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Le quasi-délit, dont l'intimé a été la victime involontaire, Ta privée de ces choses essentielles. C'est pour qu'elle paye ces frais médicaux, qu'elle se procure les nécessités de la vie, que le jugement lui accorde une compensation. Cela constitue, je crois, des aliments au sens de l'article 599 C.P.C., devant lesquels disparaît l'insaisissabilité des pensions données à titre d'aliments.

On a objecté, et dans plusieurs des arrêts cités par l'appelant on y trouve cette même objection, que le montant accordé comme conséquence d'un délit ou quasi-délit ne peut pas créer une créance alimentaire, car il n'est pas proportionné aux besoins de celui qui réclame et aux moyens de celui qui paye. Ceci est vrai pour la pension alimentaire, dont parle le Code Civil aux articles 165 et suivants, et ailleurs; mais le législateur fait une différence, entre pension alimentaire et aliments, et comme le dit M. le juge Marchand, dans son jugement:

Ce dernier mot d' "aliments", dans sa généralité, comprend toutes les autres expressions.

Mais les deux ne doivent pas être confondus.

La pension alimentaire est une obligation légale, fondée sur la famille, et les devoirs que se doivent les époux, les ascendants, et les descendants de se maintenir mutuellement. Le donataire a les mêmes devoirs, et son refus de fournir une pension, serait de l'ingratitude qui justifierait la révocation de la donation. L'obligation, qui est ainsi créée par la loi, de payer en certains cas une pension alimentaire est réciproque; elle a un caractère de variabilité qui souvent s'éteint pour renaître ensuite, et elle est proportionnée aussi aux moyens de celui qui doit cette pension et aux besoins de celui qui la réclame. Comme elle doit satisfaire des besoins successifs, elle est payée par versements, et c'est ce qui explique la série de prestations auxquelles elle donne lieu.

Mais en outre de la pension alimentaire que se doivent réciproquement certaines personnes, et qui est soumise à certaines règles, il existe des dettes et créances qui ont un caractère alimentaire, et qui se payent non pas par versements, mais qui s'éteignent par la prestation d'un montant global.

Ainsi, la créance d'un fournisseur des choses nécessaires à la vie, les frais d'hôpitaux, les frais de médecins, les produits

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comestibles, le vêtement, le logement, sont des créances alimentaires pour celui qui les réclame et des dettes alimentaires pour celui qui les doit. Et, ces dettes alimentaires et aliments dont parle l'article 599 C.P.C., paragraphes 4 et 14, n'ont pas les caractères de la pension alimentaire. Il n'existe pas de relation entre les moyens de celui qui les paye et les besoins de celui qui réclame, elles ne sont pas payées par prestations successives et ont pourtant, au sens de la loi et de la jurisprudence, un caractère alimentaire.

Et si, comme on ne peut en douter, le créancier d'une pension alimentaire peut en vertu de la loi, faire saisir des sommes déclarées insaisissables, pourquoi refuser le même droit à l'intimé qui réclame le salaire perdu, les soins d'hôpitaux comme résultat du quasi-délit dont il a été la victime? Le code place sur un pied d'égalité le créancier de "la pension alimentaire" et le créancier des "aliments", et dans les deux cas, les revenus insaisissables perdent le caractère que leur donne la loi.

Je suis donc d'opinion que le jugement de la Cour du Banc du Roi est bien fondé, et que le présent appel doit être rejeté avec dépens de toutes les cours.

Appeal dismissed with cost.

Solicitor for the appellant: Hector Lalonde.

Solicitors for the respondent: Bumbray and Carroll.



[1] Q.R. [1943] K.B. 12.

[2] (1881) 2 M.L.R. 491.

[3] (1884) 7 L.N. 361.

[4] (1890) 18 R.L. 186.

[5] (1900) 6 R. de J. 512.

[6] (1903) Q.R. 24 S.C. 22.

[7] (1900) 16 R. L.n.s. 20.

[8] (1909) Q.R. 37 S.C. 513.

[9] (1935) Q.R. 58 K.B. 559.

[10] (1936) Q.R. 74 S.C. 228.

[11] Q.R. [1943] K.B. 12.

[12] (1887) 3 M.L.R., K.B. 486,

[13] (1892) Q.R. 2 S.C. 411.

[14] (1900) 7 R. de J. 107.

[15] (1935) Q.R. 58 K.B. 559.

[16] (1898) Q.R. 4 Q.B. 238.

[17] (1904) Q.R. 13 K.B. 505.

[18] (1935) Q.R. 58 K.B. 559.

[19] (1904) Q.R. 13 K.B. 505.

[20] (1863) Journal de Palais, 576.

[21] (1870) Sirey 70, 2, 53.

[22] (1893) Dalloz 94, 2, 318.

[23] (1895) Q.R. 4 Q.B. 238.

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