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Supreme Court of Canada

Contract—Building—Contractor—Price to be on basis of costs plus—Work by estimate and contract—Lease and hire of work—Price fixed in advance—Whether specifications necessarily required—Subsidence—Defect of soil—Responsibility of contractor—Presumption of fault—Conditions upon which contractor can be relieved from liability—Articles 1666, 1683, 1688 C.C.

Where the construction of a warehouse has been entrusted to a contractor to be carried out in accordance with plans prepared by himself based upon information obtained from the proprietor as to its requirements for a price to be determined on a basis of costs plus ten per cent and such work was carried out by the contractor under his own superintendence throughout, the evidence showing that the latter had the right to choose the men to be employed, to fix their salaries, to manage them, and to dismiss them, such enterprise constitutes work by estimate and contract as contemplated by article 1683 C.C. and not a lease and hire of work as mentioned in article 1666 C.C.

Also, it is not necessary, in virtue of the provisions of article 1683 C.C., that the contract price should be fixed in advance, and the absence of a fixed price is not a reason why a contract may not constitute a contract by enterprise.

Moreover, specifications attached to the plans are not necessarily required in order to constitute a contract by enterprise: such a contract may be complete and valid without them.

In an action for damages brought by the proprietor against the contractor, under the provisions of article 1688 C.C., on the ground that the building, sometime after its construction, had subsided to a considerable extent,

Held that, by the terms of articles 1683 and 1688 C.C., the builder or contractor is responsible for the consequences of a defect in construction or a defect of the soil; and a presumption of fault is created against him. The proprietor of the building is not obliged to prove the fault of the builder or contractor in the case of a contract by enterprise, and the latter can only be relieved from his liability by proving that the damage was attributable either to an act of God, to a fortuitous event, to a fault of the proprietor or to an act of a third person.

Judgment of the Court of King's Bench (Q.R. 69 K.B. 281) affirmed and varied.

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APPEAL and CROSS-APPEAL from the judgment of the Court of King's Bench, appeal side, province of Quebec[1], affirming, though reducing the amount of damages awarded to the respondent, the judgment of the trial judge, Demers Joseph J., and maintaining the respondent's action for damages resulting from the subsidence of a building constructed by the appellant company.

The material facts of the case and the questions at issue are stated in the above head-note and in the judgment now reported.

L.E. Beaulieu K.C. and Lucien Labelle K.C. for the appellant.

Jean Létourneau for the respondent.

The judgment of the Court was delivered by

Taschereau J.—Au cours de l'année 1927, la National Grocers Ltd., par l'intermédiaire de son gérant, Robert M. Elliott, a soumis à l'appelante des plans préparés par les architectes Angus & Angus pour la construction d'un entrepôt à Noranda, P.Q. Dans le mois d'août de la même année, la compagnie appelante soumissionna pour cette construction, mais pour une raison ou pour une autre, les parties n'ont pas donné suite à leurs négociations et l'immeuble n'a pas été construit.

En juillet 1928, l'intimée a été incorporée par lettres patentes émises par le Lieutenant-Gouverneur de la province de Québec, et M. Elliott qui n'était plus à l'emploi de la National Grocers Ltd. devint le gérant de la nouvelle compagnie. Il entra alors de nouveau en négociations avec l'appelante afin de faire construire, pour la nouvelle compagnie, un entrepôt à peu près semblable à celui que désirait avoir son premier employeur. Les anciens plans de Angus & Angus furent consultés; on fit certains changements, et des plans nouveaux furent préparés par l'appélante, après que M. Elliott lui eût dit verbalement ce qu'il désirait avoir. L'appelante a accepté de construire l'immeuble en question, et dans le cours du mois de juillet 1928, elle écrivit une lettre à l'intimée pour confirmer les ententes verbales et pour lui dire les conditions du contrat intervenu. La lettre se lit de la façon suivante:—

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Hill-Clark-Francis, Limited

Noranda, Que.

July 14th, 1928.

R. M. Elliott, Esq.,

c/o Northland Grocers,

Noranda, Que.

Dear Sir:—

This will confirm our verbal offer for construction of your Warehouse Building at Noranda on cost plus basis, remuneration to be 10% on cost. Our estimated cost of $12,300.00 to be the outside cost on building as shown on our plan of June 30th, 1928. In accordance with your instructions we are altering the size of this to 50 x 70 and estimate that the addition will bring the cost to about $14,000.00 plus the added cost for extra radiation and electric light. The vault door is included in our estimate, for which we have allowed $130.00 in place. We have not included the elevator in our estimate as we understand you now propose using the electric one.

In reference to excavation. We are presuming that we will strike clay or other solid earth for footings at a depth as shown on our plan. Should the black muck extend to a greater depth than this it will be necessary to excavate to solid footing and backfill with stone or other material to bring basement floor and footings to a level where they may be drained to the sewers. This is absolutely necessary in order to ensure a dry cellar. Should we have to go to any great depth in order to get solid earth for footings the backfilling with earth and rock would increase our cost to an extent where we would have to ask for extra money.

We trust that the above meets with your approval and would appreciate a written confirmation of your verbal orders, to go ahead with construction along these lines.

Payments to be made monthly up to 85% of value of material delivered on job, plus labour charges incurred. Balance of 15% will be a holdback until completion of contract.

Yours truly,

Hill-Clark-Francis, Limited,

Per: W. J. Barager.

Durant la construction, commencée quelques jours avant la réception de cette lettre, les travaux étaient dirigés par un nommé Barager, gérant de l'appelante à Noranda, et M. R. M. Elliott, gérant de l'intimée, représentait les intérêts de celle-ci, lorsqu'il se trouvait sur les lieux.

L'intimée a occupé l'entrepôt au cours de l'année 1928, quoiqu'il ne fût pas complètement terminé, et cette occupation a duré jusqu'au début de l'année 1931. Le 20 octobre 1932, elle a loué l'immeuble à la Cie Gamble-Robinson Ltd. pour une période d'une année et deux mois, et elle a consenti à son locataire une option d'acheter durant l'existence du bail pour la somme de $20,000.00.

L'intimée allègue dans son action qu'au printemps de 1929 elle remarqua une fissure dans le mur à l'ouest de l'immeuble, et elle prétend également que durant l'été de

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1929 elle constata une différence dans le niveau du plancher. Cette différence de niveau alla en s'accentuant jusqu'en 1931, date où l'intimée quitta les lieux pour continuer son commerce ailleurs. Depuis ce temps, jusqu'au jour où Gamble-Robinson prit possession des lieux loués, l'immeuble ne fût pas occupé et les dégradations allèrent en s'accentuant, tellement que durant l'occupation des locataires la différence de niveau a atteint dix-neuf pouces au printemps de 1933, et vingt-trois pouces au mois de novembre de la même année. La ligne perpendiculaire s'éloignait de quatorze pouces de l'immeuble au niveau du sol. Croyant au début qu'il ne s'agissait que d'un tassement normal, l'intimée réalisa bientôt que la perte de l'immeuble devenait imminente, et écrivit à l'appelante le 6 novembre 1933 pour la mettre en demeure, mais celle-ci refusa de reconnaître sa responsabilité. L'intimée fit alors faire des réparations par un nommé Munro, évaluées à $4,877.68, et par son action elle réclame cette somme, plus $7,000.00 de dommages pour dépréciation à l'immeuble. L'intimée attribua la ruine partielle de l'entrepôt à des vices du sol et à des vices de construction. La Cour Supérieure a accordé la somme réclamée, soit $11,877.68, mais la Cour du Banc du Roi a réduit ce montant à $4,877.68. Les deux parties en appellent devant cette Cour, l'appelante pour faire rejeter l'action totalement, et l'intimée se portant contre-appelante veut faire rétablir le jugement de la Cour Supérieure.

L'intimée prétend fonder son recours sur les articles 1683 et 1688 du Code Civil. Ces articles se lisent de la façon suivante:

1683. Lorsque quelqu'un entreprend la construction d'une bâtisse ou autre ouvrage par devis et marché, il peut être convenu ou qu'il fournira son travail et son industrie seulement, ou qu'il fournira aussi les matériaux.

1688. Si l'édifice périt en tout ou en partie dans les (cinq) ans, par le vice de la construction ou même par le vice du sol, l'architecte qui surveille l'ouvrage et l'entrepreneur sont responsables de la perte conjointement et solidairement.

La prétention de l'appelante est qu'il ne s'agit pas d'un contrat d'ouvrage par devis et marchés, mais bien d'un simple louage de services vu que l'intimée avait conservé la direction des travaux. Elle allègue en outre que les dommages à l'immeuble doivent être attribués aux conditions et à la nature du sol qui, à cet endroit, est exceptionnelle et telle, qu'il est impossible de prévoir les dommages

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qui peuvent être occasionnés aux immeubles nouveaux; que l'intimée connaissait la nature du sol; qu'elle a accepté le risque d'une construction à cet endroit; que le sol a été l'objet de perturbations souterraines dues aux opérations minières de la Noranda, alors qu'une quantité considérable d'eau a été tirée du sous-sol et s'est écoulée dans les galeries de cette compagnie minière, faisant ainsi s'effondrer le sol. Elle allègue aussi que ce dommage à l'immeuble est dû à la conduite de l'intimée elle-même qui a surchargé son immeuble, ne l'a pas chauffé durant une saison d'hiver et que la structure elle-même de l'immeuble a été affaiblie par des changements ordonnés par M. Elliott lui-même. Enfin, l'action serait prescrite par cinq ans à cause des dispositions de l'article 2259 du Code Civil.

Afin de bien déterminer la nature de la responsabilité dans la présente cause, il importe de se demander en premier lieu s'il s'agit d'un louage d'ouvrage tel que le prétend l'appelante, ou s'il ne s'agit pas plutôt d'un contrat d'ouvrage par devis et marchés, dont l'essence est l'entreprise, entraînant l'application des articles 1683 et 1688. La preuve révèle, et c'est ainsi également que l'ont interprétée la Cour Supérieure et la Cour du Banc du Roi, que c'est bien l'appelante qui avait la direction des travaux exécutés suivant des plans acceptés au préalable. L'appelante engageait ses propres hommes, exerçait sur eux un contrôle absolu sans intervention de l'intimée. Elle fournissait la main-d'œuvre, la machinerie, et devait exécuter tous les travaux suivant les plans préparés au préalable, ou subséquemment modifiés et acceptés de part et d'autre. Il est vrai que l'intimée a suggéré des changements, mais ceci ne peut avoir aucun effet sur le caractère du contrat d'entreprise. Des modifications dans les plans ne changent pas la nature du contrat intervenu. Le contrôle de l'exécution des travaux était sous la juridiction exclusive de l'appelante, et sa prétention à l'effet que Elliott en avait gardé le contrôle, n'est pas fondée. Au contraire, il est prouvé que Elliott ne se rendait sur les lieux qu'accidentellement, et n'intervenait que pour demander des changements que désiraient avoir ses principaux.

La distinction entre le contrat de louage de services et le contrat d'ouvrage par devis et marchés a souvent été faite par les auteurs et par nos tribunaux. Signalons en premier lieu Frémy-LignevilleLégislation des Bâtiments—tome 1:—

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Les devis et marchés en matière de construction sont, dans un sens général, les conventions qui interviennent entre le propriétaire qui veut faire construire et les contracteurs, pour régler d'avance et avec précision le mode suivant lequel la construction voulue sera exécutée et payée.

Baudry-Lacantinerie, 3ème édition, vol. 22, 3865:—

Le critérium sert à distinguer le louage de gens de travail du louage d'entrepreneurs d'ouvrages. Dans le premier, comme le supposent la définition du code et les textes, le maître a la direction du travail; le domestique, l'ouvrier ou l'employé a engagé son activité et se trouve vis-à-vis du maître dans un lien de subordination. Dans le second, au contraire, le maître a simplement commandé un travail déterminé que l'entrepreneur fait sans aucune direction et qu'il remet une fois terminé.

Cette Cour, dans une cause de Québec Asbestos Corporation vs. Gédéon Couture[2], a donné sur cette question des précisions claires. Parlant au nom de la Cour, M. le juge Rinfret s'est exprimé de la façon suivante:

Or, nous sommes d'avis que c'est bien là la nature juridique du contrat qu'il avait fait avec la compagnie. On y trouve les principaux caractères distinctifs du contrat d'entreprise: le mode adopté pour sa rémunération; le droit de choisir les hommes qu'il employait, de fixer leur salaire, de les diriger et de les renvoyer; la responsabilité en dommages comme conséquence de son défaut d'alimenter l'usine; surtout l'absence d'un lien de subordination entre Couture et la compagnie et son indépendance dans la méthode de travail.

Le contrat de louage d'ouvrage se distingue du contrat d'entreprise surtout par le caractère de subordination qu'il attribue à l'employé. Même payés à la tâche, les ouvriers peuvent être "des locateurs de services, s'ils sont subordonnés à un patron; mais au contraire les ouvriers sont des entrepreneurs, s'ils ne sont pas soumis à cette subordination."

C'est bien le cas qui se présente dans la cause actuelle. L'appelante avait le droit de choisir les hommes qu'elle employait, de fixer leur salaire, de les diriger et de les renvoyer. C'est elle qui aurait été responsable en dommages vis-à-vis ses employés ou pour l'acte de l'un de ses employés, et il n'y avait aucun lien de subordination entre l'appelante et l'intimée, et il existait une indépendance complète dans la méthode de travail. Il est bon de noter de plus, qu'en vertu des dispositions de l'article 1683 du Code Civil, il n'est pas nécessaire que le prix soit fixé d'avance, et cette absence de prix fixe n'empêche pas le contrat d'être un contrat d'entreprise. Il ne faut pas confondre les dispositions de cet article de notre Code avec les dispositions du Code Napoléon où un prix doit nécessairement être fixé d'avance, tel que le veut l'article 1792 C.N. qui se lit de la façon suivante:

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Si l'édifice construit à prix fait périt en tout ou en partie par le vice de la construction, même par le vice du sol, les architectes et entrepreneurs en sont responsables pendant dix ans.

C'est d'ailleurs l'enseignement de M. Mignault, Vol. 7, page 400:—

Généralement, le marché fixe d'avance la somme précise que le maître devra payer, et alors ont dit que l'ouvrage est entreprise à prix fait, ou à forfait. Cependant, cette détermination du prix n'est pas de l'essence du louage d'ouvrage par devis et marchés, car il peut être stipulé que le propriétaire paiera le prix des matériaux et de la main-d'œuvre avec une bonification de tant pour cent qui constitue le bénéfice de l'entrepreneur.

L'appelante a soumis également qu'il ne pouvait pas s'agir d'un contrat d'entreprise, entraînant la responsabilité prévue à l'article 1688 C.C., parce qu'il n'y avait pas de spécifications attachées aux plans. Très souvent, évidemment, ces spécifications qui complètent les plans existent, surtout lorsqu'ils ont été préparés par un architecte ; elles servent à détailler ces mêmes plans, et à indiquer, d'une façon plus claire, quelle sera la nature et le genre du travail à accomplir. Mais, elles ne sont pas toujours nécessaires, et un contrat d'entreprise peut être complet sans qu'elles se rencontrent, surtout comme dans le cas actuel où l'entrepreneur connaissait le travail à accomplir, et où des plans suffisamment précis n'avaient pas besoin de détails supplémentaires. C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle en vient l'honorable Juge Bond qui, en Cour du Banc du Roi, a rendu le jugement unanime de la Cour.

La prétention de l'appelante, qu'il s'agit d'un contrat de louage de services, ne peut donc pas être acceptée, et il faut en venir à la conclusion que le présent litige doit être jugé à la lumière des articles 1683. et 1688 C.C. Il n'y a pas de doute que l'édifice a péri en partie dans les cinq ans de la fin des travaux. Ceux-ci ont été terminés vers la fin de 1928. Les dommages se sont manifestés en 1929, 1930, 1931, 1932, 1933, etc. Le constructeur est responsable des vices de construction et des vices du sol, et il existe contre lui une présomption de faute qui a fait l'objet de commentaires nombreux devant les tribunaux canadiens et du Conseil Privé. Sans qu'il soit nécessaire de faire l'historique de toute la jurisprudence sur ce point, rappelons cette très ancienne cause de Brown et Laurie, jugée par la

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Cour Supérieure de Montréal en 1851 (1). Dans cette cause, jugée cependant avant l'entrée en vigueur du Code Civil et avant par conséquent l'existence de l'article 1688, il a été décidé que le constructeur est responsable des vices du sol, malgré que les excavations aient été faites suivant les plans et devis et sous la direction d'un architecte employé par le propriétaire. La Cour du Banc de la Reine a confirmé cette décision[3], et M. le Juge Panet s'exprime, à la page 68, de façon suivante:

Pour ma part j'irais même plus loin que l'honorable président de la Cour; son opinion est basée sur le fait que la perte était prouvée être la conséquence du vice du sol; suivant moi cette preuve n'était pas nécessaire, et le constructeur est responsable de tous les vices qui peuvent se rencontrer, et qu'il ne prouve pas provenir de force majeure ou du fait même du propriétaire. Ici l'entrepreneur n'a pas pris les précautions nécessaires, et il est conséquemment responsable.

Dans la cause de Wardle vs. Bethune, jugée par le Conseil Privé en 1872 (3), il a été décidé qu'un contracteur est responsable de l'enfoncement d'un immeuble construit par lui-même.

Malgré que l'immeuble qui faisait l'objet du litige dans Wardle vs. Bethune[4] avait été construit en 1862, avant l'existence du Code Civil, on a déclaré que l'article 1688 C.C. n'introduisait pas du droit nouveau dans la province de Québec, mais était déclamatoire du droit existant et le Conseil Privé a dit:

When there has been a breach of warranty of the stability of the building, the onus is on the builder to show that he is exempted from liability, by some exception in his favour. It is of primary importance that he should make sure of the sufficiency of the foundation on which he proceeds to build, for, without a sufficient foundation, the warranty could not be kept. It is an inseparable incident, an essential part of the warranty; the warranty of stability of the edifice, includes by necessary implication, the warranty of sufficiency of foundation; and such is the law as explained in Brown vs. Laurie[5]. The architect and builder are therefore bound to provide whatever is essential to the stability warranted.

The exemption from responsibility, on the part of the builder, for the breach of warranty, must be made out (if at all) by legaal implication. There is not in the Code any express exception in favour of the builder; and there is none in his contract.

Nous désirons référer également à la cause de Protestant Board School Commissioners of the City of Montreal vs. Quintan[6], et Canadian Electric Light Company vs. Pringle[7], où M. le juge Carroll s'exprime ainsi:

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Les auteurs français discutent beaucoup sur la preuve que l'architecte et l'ingénieur civil doivent produire pour se libérer. Les uns disent que l'onus probandi leur incombe, les autres disent que c'est au propriétaire à prouver la faute, d'après les règles du droit commun. Il me semble plus rationnel que l'architecte et l'ingénieur soient obligés de prouver absence de faute de leur part. Ce sont des hommes de l'art; ils sont plus à même que le propriétaire de connaître les défectuosités de l'édifice qu'ils construisent, ils sont en meilleure posture pour prouver que leur plan et leur travail sont parfaits. Comment un propriétaire, ignorant des connaissances techniques nécessaires, peut-il faire la preuve de la faute d'un ingénieur civil ou d'un architecte? D'ailleurs, cette question me semble réglée définitivement pour nous, par le jugement du Conseil Privé dans la cause de Wardle v. Bethune (3) où il a été déclaré que le fardeau de la preuve incombait au constructeur et conséquemment à l'architecte. Je réfère les parties à cette cause.

Le même principe a également été reconnu de nouveau par cette Cour dans Canadian Consolidated Rubber Co. v. Pringle & Son Ltd. and The Foundation Company Ltd.[8].

Il n'y a donc pas de doute que le propriétaire de l'immeuble n'a pas besoin de prouver la faute du constructeur lorsqu'il s'agit d'un contrat d'entreprise, mais qu'il appartient à celui-ci de se libérer de sa responsabilité en prouvant que le dommage est attribuable soit, à la force majeure, à un cas fortuit, à la faute du propriétaire, ou à l'acte d'un tiers.

L'appelante n'a pas réussi à établir l'existence de l'une ou de plusieurs de ces exceptions qui, seules, pourraient la soustraire à l'application rigoureuse de l'article 1688 C.C.

Il ne peut être question de force majeure. Il n'y a pas eu davantage de cas fortuit, dont l'occurrence imprévue aurait pu justifier l'appelante. Celle-ci connaissait bien en effet la nature du sol, et si l'on relit le dernier paragraphe de la lettre de juillet 1928, on voit facilement qu'elle réalisait pleinement le genre de travail qu'il y avait à accomplir, et les difficultés probables qu'elle aurait à rencontrer. Voici ce qu'elle écrivait à l'intimée:

In reference to excavation. We are presuming that we will strike clay or other solid earth for footings at a depth as shown on our plan. Should the black muck extend to a greater depth than this it will be necessary to excavate to solid footing and backfill with stone or other material to bring basement floor and footings to a level where they may be drained to the sewers. This is absolutely necessary in order to ensure a dry cellar. Should we have to go to any great depth in order to get solid earth for footings the backfilling with earth and rock would increase our cost to an extent where we would have to ask for extra money.

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L'intimée était prête à payer ce qu'on lui demandait pour que son immeuble reposât sur des bases solides, et ne s'enfonçât pas après quelques années dans un sol vaseux.

Il n'est pas établi non plus que le propriétaire fût en faute. L'allégation que l'immeuble aurait été surchargé, ou n'aurait pas été chauffé durant un hiver, ne me paraît pas justifiée. Il n'est certes pas établi qu'il y ait eu de surcharge suffisante pour affecter le sol, et la preuve ne révèle nullement que l'absence de chaleur durant un certain temps ait causé des dommages si considérables, et surtout de la nature de ceux qui ont été constatés. L'intimée, enfin, n'a pas perdu son droit de réclamer parce qu'elle aurait demandé des modifications et des additions à l'immeuble. Si l'appelante, comme tel est le cas, a accepté de les exécuter, elle doit répondre des vices de construction et des faiblesses du sol.

Quant à cette autre prétention de l'intimée que le sol se serait enfoncé comme conséquence des opérations minières de la Noranda Mines, dont les fouilles souterraines auraient provoqué l'écoulement d'une grande quantité d'eau affaiblissant ainsi le sol où reposait l'immeuble, je crois qu'elle n'est pas suffisamment établie pour nous justifier de conclure que les dommages ont été causés par la faute de cette compagnie. La preuve apportée, malgré qu'à l'audience elle m'ait impressionné, n'a pas, je pense, la force probante nécessaire pour placer l'appelante dans le cadre étroit de la dernière exception que j'ai signalée tout à l'heure, et qui ferait disparaître la responsabilité de l'appelante, soit l'acte d'un tiers. Il importait à l'appelante d'établir ce moyen ; elle avait incontestablement le fardeau de cette preuve, et les témoins qu'elle a fait entendre, comme d'ailleurs les conjectures de ses experts, sont contredits par la preuve de l'intimée. C'est à cette conclusion qu'en est arrivé le juge de première instance et je ne pense pas qu'il s'agisse de l'un de ces cas exceptionnels où cette Cour peut intervenir pour changer les conclusions de faits du juge qui a vu et entendu les témoins.

Un mot de la question de prescription invoquée dans les plaidoiries comme dernier moyen de défense. Avec raison, le procureur de l'appelante y a renoncé lors de l'audience, car, il semble clair qu'au moment où l'action a été instituée, l'article 2259 C.C. ne pouvait trouver son application. Je crois donc, pour ces raisons, que le jugement de la Cour

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du Banc du Roi est bien fondé, et que l'appel principal doit être rejeté avec dépens.

Il reste la question du contre-appel. Le juge de première instance, comme nous l'avons vu, a non seulement accordé $4,877.68 pour réparations à l'immeuble, mais aussi la somme de $7,000.00 de dommages, que dans son jugement la Cour du Banc du Roi a retranchée. La preuve a révélé que l'intimée et contre-appelante avait loué pour une période d'une année et deux mois l'immeuble en question à la Cie Gamble-Robinson et que pour la durée du bail, elle lui avait également accordé le privilège d'acheter au prix de $20,000.00. Subséquemment, la Cie Gamble-Robinson a refusé de payer cette somme de $20,000.00 mais s'est déclarée disposée à faire l'acquisition de cet immeuble pour la somme de $13,000.00, c'est-à-dire $7,000.00 de moins que le montant mentionné à la promesse de vente. Le juge de première instance a accepté ce chiffre comme représentant la dépréciation de l'immeuble, mais la Cour du Banc du Roi en est venue à la conclusion que cette preuve n'était pas suffisante. Cette méthode, en effet, d'établir le dommage souffert par l'intimée n'est pas satisfaisante. Le prix de $20,000.00 ne représentait pas, au moment où l'option a été consentie, la valeur réelle de cet immeuble; et le montant de $13,000.00 n'est pas lui non plus une preuve de sa valeur au moment de la vente. Il est certain que l'immeuble a subi des dommages considérables, mais, avec respect, je suis d'opinion que la base adoptée par le juge de première instance était erronée. Il y a cependant, dans la déclaration et dans la preuve, des éléments suffisants pour déterminer des dommages sur une base différente. L'intimée et contre-appelante allègue dans son action que les réparations affectuées, et pour lesquelles elle a payé la somme de $4,877.68, n'étaient pas complètes. Ce montant déboursé n'a servi qu'à réparer les fondations, mais l'immeuble lui-même a subi des dommages, et il aurait fallu une somme additionnelle de $3,000.00 pour réparer la structure et d'autres parties de l'entrepôt. Sur ce point, M. le juge Bond en vient à la conclusion que la structure elle-même a été endommagée, et dans son jugement il s'exprime de la façon suivante:

No further proof was adduced to support the alleged estimate by the purchaser of the sum of $3,000 to make repairs to the superstructure. While there seems reason to think that the superstructure was damaged,

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I have been unable to find in the record any evidence which would enable me to place any value on such damage, except upon a purely arbitrary basis, which would not be justified.

Je partage son opinion quand il affirme qu'il y a eu des dommages. Cependant, en ce qui concerne la valeur de ces dommages, étant donné la preuve non contredite qui a été apporté, je ne puis avec respect concourir dans ses vues. Ce montant de $3,000.00 n'est certainement pas exagéré et je crois qu'il aurait dû être accordé. Le contre-appel devrait donc être maintenu jusqu'à concurrence d'une somme de $3,000.00 avec intérêts depuis la signification de l'action et les dépens.

Appeal dismissed and cross-appeal maintained, with costs.

Solicitor for the appellant: Lucien Labette.

Solicitors for the respondent: Vallée, Fortier, Létourneau and MacNaughton.



[1] (1940) Q.R. 69 K.B. 281.

[2] [1929] S.C.R. 166.

[3] (1854) 5 L.C.R. 65.

[4] (1872) 16 L.C.J. 85.

[5] (1851) 1 L.C.R. 343.

[6] (1920) Q.R. 30 K.B. 514.

[7] (1919) Q.R. 29 K.B. 26, at 32.

[8] [1930] S.C.R. 477.

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