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Supreme Court of Canada

Municipal corporation—Valuation roll—Land and buildings owned by same person—Erroneus description—Real owner as to buildings and previous owner as to land—Sale for taxes—Notice to previous owner not excluding buildings—Action in nullity—Limitation of action—Absolute nullity—Statements in deeds to be taken as proved, even against third party, until contrary evidence—Arts. 414, 415, 1210, 1222 C.C.—Arts. 699 C.C.P.—Arts. 16, 654, 673, 726, 729, 740, 747 M.C.

Title to mining property having been granted by the Crown in 1906 to one K., the latter appeared in the books of the appellant municipality as owner until 1926, when the property and the buildings erected thereon were sold for unpaid taxes which were alleged to be due by K. The respondent company bought the property in 1922. According to the books of the appellant municipality in 1926 and previously, the land and the buildings were not described on the valuation roll under consecutive numbers nor on the same pages of the book. Accounts for municipal and school taxes were sent and paid by the respondent company. It was not disputed that the taxes on the buildings were paid; but the municipality claimed taxes were due on

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the land. The appellant municipality, in the public notice of sale for unpaid taxes, described the whole lot as being (to be sold without indicating that the buildings were excluded. In 1928, title to the property was delivered to the purchaser at the tax sale by the appellant. The respondent company had no knowledge of the sale until 1929 when notified by the purchaser and then took an action to annul the sale.

Held that the tax sale was null and void ab initio, and that the title of the purchaser should be set aside.

Held, also, that, in a case of absolute nullity, the provisions of article 747 M.C. enacting limitation of the action in annulment of the sale do not apply.

Held, further that the declarations and statements contained in authentic deeds as well as in deeds under private seal are considered as proved until they are challenged and contrary evidence is adduced, and it is so, not only as between the parties to the deeds, but also against third parties.

Judgment of the Court of Kings Bench (Q.R. 52 K.B. 458) affirmed.

APPEAL from the decision of the Court of King’s Bench appeal side, province of Quebec[1], affirming the judgment of the Superior Court, d’Auteuil J. and maintaining the respondent company’s action to annul sale of mining property for unpaid taxes.

The material facts of the case and the questions at issue are fully stated in the above headnote and in the judgment now reported.

J. A. Prévost K.C. for the appellant.

Maurice Boisvert for the respondent.

The judgment of the court was delivered by

St-Germain, J. (ad hoc).—Il s’agit d’une action en déclaration de nullité de vente, pour taxes municipales, d’un immeuble situé dans la municipalité-appelante, et dont le mis-en-cause, Robutel Théberge, s’est porté adjudicataire, le 3 mars 1926, à une vente faite par la corporation du comté de Mégantic, sous l’autorité des dispositions des articles 726 et suivants du code municipal.

Cet immeuble désigné au cadastre comme étant la partie sud-est du lot n° 19 du 10e rang du canton de Coleraine, avait été originairement concédé, en 1906, par la couronne, comme concession minière, à Charles King, de Boston, et dame Marie-Louise King, veuve de feu Sir Adolphe Chapleau. Ces derniers apparaissaient encore, en 1926, aux:

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rôles d’évaluation et de perception de la municipalité-appelante, comme propriétaires du fonds dudit immeuble, les bâtisses sus-érigées étant inscrites sur lesdits rôles au nom de la compagnie-intimée, et c’est pour les taxes qui auraient été dues par lesdits King et Lady Chapleau, comme propriétaires dudit fonds de terre, que ledit immeuble a été vendu et adjugé audit mis-en-cause Théberge, en mars 1926.

Le 26 mars 1928, le retrait prévu par l’article 740 du code municipal n’ayant pas été exercé, un acte de vente dudit immeuble a été délivré audit mis-en-cause-adjudicataire par ladite corporation de comté, et c’est cette vente qui fait maintenant l’objet de la présente demande en nullité.

La demanderesse-intimée invoque, au soutien de son action, que ladite vente a été faite super non domino et non possidente; que lorsque cette vente a eu lieu, elle était déjà propriétaire dudit immeuble depuis plusieurs années, par bons titres, et que son droit de propriété avait été dénoncé au conseil municipal et au secrétaire-trésorier de la corporation-appelante, que frauduleusement et sans droit, le secrétaire-trésorier de la corporation-appelante avait omis de porter l’intimée au rôle d’évaluation, comme propriétaire dudit immeuble, quant au fonds, laissant sur ledit rôle, comme propriétaires dudit fonds, les propriétaires originaires, et n’inscrivant l’intimée sur ce rôle que comme propriétaire des bâtisses sus-érigées; qu’un état des taxes municipales et scolaires lui avait été transmis et qu’elle avait toujours acquitté les taxes qu’on lui avait demandées, mais que, frauduleusement et sans droit, la corporationappelante avait omis de dénoncer à la compagnie-intimée les taxes illégalement imposées sur ladite concession minière, indépendamment des bâtisses.

L’intimée ajoute que ce n’est qu’au cours de 1929 que ledit adjudicataire Robutel Théberge lui a dénoncé ses droits sur ledit lot; que jusqu’alors, elle avait toujours ignoré ladite vente municipale, et que c’est après avoir connu les prétentions dudit adjudicataire Théberge qu’elle a intenté la présente action en nullité de vente.

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La corporation-appelante soutient à l’encontre de cette action:

1. Que l’intimée n’a pas prouvé qu’elle était propriétaire dudit immeuble ainsi vendu pour taxes, et que, conséquemment, elle n’a démontré aucun intérêt à intenter son action;

2. Que l’es ventes pour taxes municipales faites sous l’autorité des articles 726 et suivants du code municipal ne sont pas dirigées contre les personnes, mais contre les immeubles et que, pour cette raison, ces ventes ne sauraient être assimilées aux ventes d’immeubles par le shérif qui doivent être faites sur la personne condamnée qui les possède, ou est réputée les posséder animo domini (art. 699 C.P.C.); que la vente pour taxes dont l’intimée demande la nullité a eu lieu légalement sur les propriétés inscrites au rôle d’évaluation, l’intimée n’ayant jamais dénoncé son droit de propriété;

3. Que l’action est prescrite, aux termes de l’article 747 du code municipal.

La Cour Supérieure a maintenu l’action de l’intimée et ce jugement a été confirmé par la Cour du Banc du Roi siégeant en appel, monsieur le juge Tellier dissident.

Première question: L’intimée a-t-elle prouvé qu’elle était propriétaire de l’immeuble en question, tant pour le fonds que pour les bâtisses, lorsque ladite vente pour taxes a eu lieu?

L’intimée a produit trois documents pour établir son droit de propriété:

Le premier est un acte de transport-cession, en date du 25 octobre 1919, fait sous son seing privé, en la cité de New-York, par un nommé Parker Sloane à la United States Ferro Alloys Corporation.

Il est déclaré, dans cet acte de transport-cession, que le cédant Parker Sloane transporte à ladite compagnie United States Ferro Alloys Corporation une somme de $8,633.75, cette somme étant une balance due et qui lui est payable en capital et intérêt, aux termes d’un acte de vente consenti le 24 juillet 1918 par Charles A. King et les exécuteurstestamentaires de Lady Chapleau à J.-Valère Bélanger, de ladite partie sud-est du lot n° 19 du 10e rang du canton de Coleraine, enregistré au bureau d’enregistrement du comté de Mégantic, le 30 juillet 1918, sous le n° 57886, et ledit acte ajoute:

as acquired by the said Charles A. King and Lady Chapleau under Grant of Mining Concession from the Department of Colonization, Mines and Fisheries of the Province of Quebec, of date the 8th August 1906, and registered in the Registry Office for the County of Megantic, at Inverness, on the 2nd November 1907, in Register B, Vol. 46, No. 43113.

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A cet acte de transport-cession comparaît ledit J.-Valère Bélanger lequel, après avoir pris connaissance dudit acte, déclare en être satisfait et s’engage à payer ladite somme de $8,633.75 à ladite compagnie-cessionnaire, United States Ferro Alloys Corporation.

Cet acte sous seing privé, fait à New-York, est signé par toutes les parties, il est authentiqué conformément à la loi, et le double produit au dossier porte le certificat du régistrateur du comté de Mégantic, comme ayant été dûment enregistré, le 3 novembre 1919, sous le n° 60271.

Le deuxième document produit par l’intimée, pour établir son droit de propriété, est un acte de vente passé devant le notaire Joseph Sirois, à Québec, le 30 mai 1922.

Par cet acte, la United States Ferro Alloys Corporation, à qui le nommé Parker Sloane avait consenti le transportcession ci-dessus relaté, vend à la compagnie-intimée ledit lot de terre connu comme étant la partie sud-est du lot n° 19 du 10e rang du canton de Coleraine,

as acquired (déclare encore ledit acte) by Charles A. King and Lady Chapleau from the Quebec Mines and Fisheries Department, on August the 8th 1906, with the buildings thereon erected, circumstances and dependencies, the mills, machinery, machines, apparatus, carriages, and all other effects moveable and accessories, placed upon and used for the mine, upon the said property and for the said mills, save and except a small house, stable and barn erected on said ground and the property of Oram Gagné * * *

Ledit acte ajoute:—

The properties, mills, machineries and rights sold * * * belong to the Vendor under and in virtue of a deed from the Sheriff for the District of Arthabaska, dated the seventeenth of December last (1921) and registered in the Registry Office for the County of Megantic (Inverness) on the 19th of the same month and year as No. 64274.

Cet acte a été dûment enregistré au long le 30 mai 1922, au bureau d’enregistrement à Inverness, sous le n° 64895, suivant certificat du registrateur inscrit à l’endos.

A cet acte est aussi annexé un extrait des minutes d’une assemblée du bureau de direction de la compagnie-venderesse, la United States Ferro Alloys Corporation aux fins de l’autoriser à faire ladite vente, et nous lisons, dans cet extrait des minutes, l’attendu suivant:

Whereas this Company has acquired from the Sheriff of the District of Arthabaska, by Deed of Sale dated the 17th December 1921, registered at Inverness, in the County of Megantic, on the 19th December 1921, under No. 64274, the real estate hitherto belonging to the J.-V. Bélanger Mining Company, Limited, known as the south-east portion of lot 19 of the 10th Range of the Township of Coleraine, containing, etc. * * *

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Le troisième document produit par la compagnie-intimée, comme preuve de son droit de propriété, est un autre acte de vente passé devant Mtre Sirois, notaire, en date du 31 janvier 1923, encore entre ladite United States Ferro Alloys Corporation et ladite compagnie-appelante, The Colonial Chrome Company Limited.

Par cet acte de vente, la United States Ferro Alloys Corporation vend de nouveau à la compagnie-intimée, non seulement tout ce qu’elle lui a déjà vendu par l’acte de vente précédent du 30 mai 1922, c’est-à-dire ladite concession minière, avec les bâtisses dessus érigées, mais elle lui transporte en même temps toutes les réclamations qu’elle possède contre J.-V. Bélanger Mining Co. Limited, en vertu de certains jugements énumérés audit acte.

Parmi ces jugements, il y en a un au montant de $50,859.36 en acompte duquel la venderesse déclare qu’un crédit de $16,705.05 doit être donné, ce dernier montant représentant le prix réalisé par la vente du shérif des propriétés de ladite compagnie J.-V. Bélanger Mining Co. Limited.

Cet acte de vente contient de plus la déclaration suivante:

The properties, mills, machineries and rights sold * * * belong to the Vendor under and in virtue of a deed from the Sheriff for the District of Arthabaska, dated the (seventeenth of December last (1921) and registered in the Registry Office for the County of Megantic (Inverness) on the nineteenth of the same month and year as number 64274.

According to a certificate given by the sheriff of the District of Arthabaska on the fifteenth of June nineteen hundred and twenty-two, registered in the Registry Office for the. Registration Division for the District of Megantic on the nineteenth of the same month and year as No. 20369, the purchase price mentioned in the deed of sale from the sheriff has been paid and satisfied in full, and the security bond of the United States Ferro Alloys Corporation for the said sum $19,000 was and is discharged.

Ce demier acte a été aussi enregistré au long au bureau d’enregistrement du comté de Mégantic, à Inverness, le 6 février 1923, sous le n° 66107, ainsi qu’il appert au certificat du régistrateur à l’endos de la copie dudit acte qui est au dossier.

Voilà les titres que la compagnie-intimée a produits comme preuve de son droit de propriété, aussi bien dudit lot de terre partie sud-est du n° 19 du 10e rang du canton de Coleraine, que des bâtisses érigées sur ledit lot.

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La corporation-appelante prétend que ces titres ne sont pas suffisants pour démontrer que l’intimée est propriétaire dudit immeuble, tant pour le fonds que pour les bâtisses. Elle soutient que les titres produits démontrent bien que la Colonial Chrome Company, Limited, a acheté le lot de terre en question, mais qu’ils ne démontrent pas que son vendeur en était propriétaire, en d’autres termes, que ces titres ne remontent pas aux lettres patentes.

Il est vrai, dit l’appelante dans son factum, que dans les ventes de la United States Ferro Alloys Corporation à la Colonial Chrome Company, Limited, la compagnie-venderesse déclare que son titre est une vente du shérif, mais, ajoute l’appelante, cette déclaration ne fait pas de preuve, car l’acte de vente du shérif n’est pas produit.

Sur ce point, monsieur le juge Tellier qui a été dissident en appel s’exprime comme suit:

La demanderesse est-elle propriétaire du terrain qui a fait l’objet de la vente qu’elle attaque?

Le titre qu’elle produit se rapporte bien à ce terrain. Il lui vient de la United States Ferro Alloys Corporation. Il est en date du 31 janvier 1923. Dans ce titre, la venderesse a déclaré avoir acquis du shérif du district d’Athabaska, le 17 décembre 1921, ledit terrain qu’elle vendait. Cette déclaration, qui, naturellement, ne fait pas preuve, est-elle vraie? Noua n’en savons rien, le contrat de vente du shérif n’étant pas produit.

La demanderesse a en outre mis au dossier un acte de cession et. transport (transfer and assignment), daté de New-York, le 25 octobre 1919, et attestant que, ce jour-là, M. Parker Sloane a cédé et transporté à M. J.-Valère Bélanger, pour bonne et valable considération, une somme de $8,633.75, étant la balance du prix de la vente du terrain en question, consentie le 24 juillet 1918, par M. Harry R. Fraser, procureur de M. Charles A. King, et par M. Albert J. Brown, pour les exécuteurs-testamentaires de feu Lady Chapleau. Cet acte de cession ou transport fait preuve, évidemment, de la vente de créance qui en fait l’objet, mais il ne prouve rien de plus.

Avant la vente municipale, dont la nullité est demandée, le terrain dont il s’agit figurait aux noms conjoints de M. C. A. King et de Lady Chapleau, sur le rôle d’évaluation de la défenderesse. C’est sur eux que ladite vente a été faite. La demanderesse prétend que ledit rôle d’évaluation, de même que le rôle de perception, auquel il servait de base, était erroné. Cela se peut; mais, encore faut-il qu’elle le démontre. Et, pour cela, elle a besoin de toute une chaîne de titres, remontant jusqu’à C. A. King et Lady Chapleau. En l’absence d’une chaîne ininterrompue de titres, je ne vois pas comment on pourrait la reconnaître comme propriétaire, au lieu et place de C. A. King et Lady Chapleau.

Avec beaucoup de déférence pour l’opinion exprimée par l’honorable juge, je suis d’avis que les actes produits au dossier par l’intimée sont suffisants pour établir la chaîne des titres, à partir de la concession faite par la Couronne à

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Charles A. King et Lady Chapleau, de ladite concession minière, jusqu’à l’acquisition d’icelle par la compagnieintimée de la United States Ferro Alloys Corporation.

La doctrine et la jurisprudence françaises, commentant les articles 1319 et 1320 du Code de Napoléon, auxquels correspondent les articles 1210 et 1222 du Code Civil de Québec, affirment que les déclarations et énunciations contenues dans les actes authentiques, aussi bien que dans les écritures privées, ont force probante jusqu’à preuve contraire, non seulement entre les parties mais aussi contre les tiers.

Or, comme dans la cause actuelle, la corporation-appelante n’a fait aucune preuve à l’encontre desdites déclarations et énonciations contenues dans ces actes, il en résulte que ces déclarations et énonciations font pleine foi.

Les articles 1210 et 1222 du Code Civil de Québec sont. dans les termes suivants:—

(1210) L’acte authentique fait preuve complète entre les parties, leurs héritiers et représentants légaux:

1. De l’obligation qui y est exprimée;

2. De tout ce qui y est exprimé en termes énonciatifs, pourvu quel’énonciation ait un rapport direct à telle obligation ou à l’objet qu’avaient en vue les parties en passant l’acte. L’énonciation étrangère à l’obligation ou à l’objet qu’avaient en vue les parties en passant l’acte ne peut servir que comme commencement de preuve.

(1222) Les écritures privées reconnues par celui à qui on les oppose, ou légalement tenues pour reconnues ou prouvées, font preuve entre ceux qui y sont parties, et entre leurs héritiers et représentants légaux, demême que des actes authentiques.

Les articles correspondants du Code Napoléon se lisent, comme suit:

(1319) L’acte authentique fait pleine foi de la convention qu’il renferme entre les parties contractantes et leurs héritiers ou ayants cause. * * *

(1320) L’acte, soit authentique, soit sous seing privé, fait preuve entre les parties, même de ce qui n’y est exprimé qu’en termes énonciatifs, pourvu que l’enonciation ait un rapport direct à la disposition. Les énonciations étrangères à la disposition ne peuvent servir que d’un commencement de preuve.

M. Mignault, dans son traité de Droit Civil Canadien, vol. 6, p. 21, commente ainsi l’article 1210 du Code Civil ci-dessus cité:

Cet article, s’inspirant des articles 1319 et 1320 du code Napoléon, a reproduit une inexactitude de rédaction que tous les commentateurs ont reprochée à ces articles. Comme eux, il confond la force probante avec la force obligatoire de l’acte. Il est bien entendu que les contrats authentiques ou sous seing privé, n’obligent que les parties, leurs héritiers ou.

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représentants légaux. Au contraire, leur force probante est indivisible et elle existe à l’egard de tout le monde.

Corrigeons donc la formule de l’article 1210 en disant que l’acte authentique fait preuve complète, à l’égard des tiers comme des parties, de l’obligation qui y est exprimée, et aussi de tout ce qui y est exprimé en termes énonciatifs, etc., en ce sens que l’existence de l’acte, de l’obligation, ou de l’énonciation, c’est-à-dire, suivant le mot de Dumoulin, rei gestœ, ne peut être contestée par les tiers sans recourir à l’inscripion de faux.

Mais cette force probante s’étend-elle de la même manière à tout ce que cet acte contient?

On distingue les mentions qu’on ne peut contester sans mettre en question la véracité de l’officier public et celles qu’on pourrait nier sans attaquer cette véracité. Dans le cas des premières on décide qu’on ne peut les contester sans recourir à l’inscription de faux. Les autres font foi jusqu’à preuve contraire, mais on peut les mettre en question sans inscription de faux. Ainsi un acte de vente constate que le prix a été payé devant le notaire; cette mention ne peut être niée que par l’inscription de faux. Mais il en serait autrement s’il était dit que le vendeur reconnaissait avoir reçu le prix antérieurement à l’acte; cette mention prouverait le fait de cette reconnaissance, mais on pourrait nier le fait du paiement sans mettre en question la véracité du notaire et partant l’inscription en faux ne serait pas nécessaire. * * *

Nous en arrivons maintenant à la distinction que l’article 1210 fait entre l’obligation et l’enonciation. Par l’obligation, on doit entendre les déclarations des parties, car l’acte peut bien ne renfermer aucune obligation, et par l’énonciation, les explications que contient l’acte. Il n’y a aucune difficulté quant aux déclarations des parties, ou, pour employer l’expression de Pothier (Obligations, n° 735), quant au dispositif de l’acteIl ne peut y avoir d’embarras qu’au sujet des énonciattions, car celles-là seules sont authentiques qui ont un rapport direct à l’obligation ou à l’objet qu’avaient en vue les parties en passant l’acte, les autres ne pouvant servir que comme commencement de preuve par écrit. A quel signe reconnaître une énonciation qui a un rapport direct à l’obligation ou à l’objet que les parties avaient en vue? Pothier nous indique le moyen de les distinguer en disant qu’une énonciation à laquelle la partie adverse aurait intérêt à s’opposer si elle n’était pas vraie, est une énonciation qui a un rapport direct à la disposition. Ainsi l’acte de reconnaissance d’une rente dit que tous les arrérages de cette rente ont été payés. Le créancier, partie à l’acte, aurait intérêt à s’opposer à cette énonciation et son silence est un aveu. Au contraire, dans le même acte le débiteur déclare qu’il tient l’héritage chargé de la rente de la succession de son frère; le créancier ni aucun antre des parties n’a d’intérêt à s’opposer à cette énonciation, partant elle est étrangère à la disposition et elle ne pourra valoir que comme commencement de preuve par écrit contre le débiteur.

MM. Planiol et Ripert, dans leur Traité Pratique de Droit Civil Français, dernière édition (1931), vol. VII, p. 771, s’expriment aussi comme suit:

1435. Règles communes à tous les actes. Allégations qui font preuve. D’après l’article 1320, “l’acte soit authentique soit sous seing privé fait foi entre les parties, même de ce qui n’y est exprimé qu’en termes énonciatifs pourvu que l’énonciation ait un rapport direct avec la disposition. Les énonciations étrangères à la disposition ne peuvent servir que de

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commencement de preuve.” Ainsi y a-t-il lieu de faire unie distinction essentielle, dans tout acte écrit, entre la disposition et les énonciations. Ces deux expressions supposent exactement comme celles de dispositif et de motifs dans les minutes des jugements. La disposition est la partie de l’acte qui en constitue l’objet même, celle où le débiteur reconnaît qu’il s’est engagé envers le créancier ou dans laquelle le créancier reconnaît que le débiteur l’a payé. C’est la raison d’être de l’acte. Les énonciations sont les allégations de l’acte qui n’ont pas essentiellement pour but d’engager ou de libérer les parties, les simples explications qui n’auraient pas suffi à elles seules à décider les parties à dresser l’acte. Dans l’intention des parties, elles ne sont pas relatées pour faire preuve de quoi que ce soit mais pour les raisons les plus diverses. Néanmoins les énonciations ayant un rapport direct avec la disposition ont la même valeur probante que la disposition; leur insertion dans l’acte a dû attirer l’attention des parties intéressées; si elles ont laissé passer cette énonciation sans protester c’est que le fait relaté est vrai. Les énonciations n’ayant pas de rapport direct avec la disposition ne peuvent au contraire servir que de commencement de preuve. Le fait énoncé n’est alors pas prouvé par l’acte; il est seulement vraisemblable, ce qui aura pour effet de rendre admissibles tous les compléments de preuve autorisés par la loi: témoins, présomptions, serment supplétif. Les juges du fait apprécient souverainement s’il y a ou non rapport direct entre l’énonciation incidente et le dispositif.

Nous pouvons aussi référé sur cette question à Laurent, vol. 19, nos 133 et suivants.

Toute la doctrine et la jurisprudence française, sur cette matière, est d’ailleurs exposée dans le Juris-Classeur Civil, sous les art. 1319 et 1320 du Code Napoléon.

Me basant sur ces autorités, il me semble qu’il ne peut y avoir aucun doute que l’énonciation qui est faite dans l’acte de transport consenti par Sloane à la United States Ferro Alloys Corporation, et suivant laquelle il est déclaré que le montant de $8,633.75 qui fait l’objet dudit transport est une balance due, aux termes d’un acte de vente consenti par Charles A. King et les exécuteurs-testamentaires de Lady Chapleau à J.-Valère Bélanger, de la concession minière en litige, est une énonciation qui a un rapport direct à l’objet en vue par les parties en passant cet acte. En effet, cette énonciation est pour ainsi dire nécessaire pour la validité dudit transport, puisqu’elle détermine la source de la créance qui fait l’objet de ce transport. Cette somme de $8,633.75, transportée par Sloane à la United States Ferro Alloys Corporation, ne peut être une somme indéterminée; il faut bien nécessairement que le cédant indique au cessionnaire le titre de la créance qu’il lui transporte, et partant, l’énonciation contenue dans ledit acte de transport qui réfère à ce titre de créance est une

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énonciation directe à l’obligation, pour ne pas dire que cette énonciation ne fait pas partie du dispositif même de l’acte.

Je suis donc d’opinion que l’acte de transport sous seing privé entre Parker Sloane et la United States Ferro Alloys Corporation, en date du 25 octobre 1919, ayant, aux termes de l’article 1222 du Code Civil, la même force probante qu’un acte authentique, établit, jusqu’à preuve contraire, vis-à-vis des tiers, comme entre les parties, que le 24 juillet 1918, Charles A. King et les exécuteurs-testamentaires de feu Lady Chapleau ont vendu à J.-Valère Bélanger le lot de terre connu comme étant la partie sud-est du lot n° 19 du 10e rang du canton de Coleraine, tel qu’acquis par lesdits Charles A. King et Lady Chapleau, du département de la Colonisation, des Mines et Pêcheries de la province de Québec, le 28 août 1906, et que cet acte de vente a été dûment enregistré au bureau d’enregistrement d’Inverness, comté de Mégantic, le 30 juillet 1918, sous le n° 57886.

Pour des motifs analogues, les deux actes de vente ci-dessus relatés, datés respectivement le 30 mai 1922 et le 31 janvier 1923, entre la United States Ferro Alloys Corporation et la Colonial Chrome Co., Limited, deux actes notariés et par conséquent authentiques (art. 1208 C.C.) font preuve, non seulement entre les parties, mais aussi vis-à-vis des tiers, jusqu’à preuve du contraire, non seulement du fait que la United States Ferro Alloys Corporation a bien vendu, aux termes de ces deux actes, à l’intimée, Colonial Chrome Co., Limited, le lot de terre ci-dessus décrit, avec toutes les bâtisses érigées sur icelui, mais aussi du fait, jusqu’à preuve contraire, que la United States Ferro Alloys Corporation est devenue propriétaire de ce qui fait l’objet desdites ventes, en vertu d’un titre du shérif du district d’Arthabaska, en date du 17 décembre 1921, et dûment enregistré au bureau d’enregistrement du comté de Mégantic, le 19 du même mois, sous le n° 64274; que suivant certificat du shérif, en date du 15 juin 1922 et dûment enregistré sous le n° 20369, le prix de vente mentionné audit acte du shérif a été dûment payé par la United States Ferro Alloys Corporation, et que cette vente du shérif a été faite sur J.-V. Bélanger Mining Co., Limited, à qui, suivant ledit acte du 31 janvier 1923, la United States Ferro Alloys Corporation donne crédit d’une somme de $16,705.05 réalisée, déclare ledit acte, dans la vente par le shérif des

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propriétés de ladite compagnie J-V. Bélanger Mining Co., Limited.

Lorsque dans ces deux actes de vente, la venderesse, United States Ferro Alloys Corporation, déclare à son acquéreur, l’intimée, qu’elle est propriétaire dudit lot de terre vendu pour l’avoir acquis du shérif, suivant acte en date du 17 décembre 1921, enregistré sous le n° 64274, elle fait là une déclaration qui a un rapport direct avec la disposition; d’ailleurs, la déclaration dans chacun de ces actes, que le titre du vendeur est un titre du shérif, et par conséquant un titre qui purge tous les droits réels, sauf quelques exceptions (art. 781 C.P.C.) a dû nécessairement attirer l’attention de l’acquéreur et si, nous rappelant la citation de Planiol et Ripert, l’acquéreur a laissé passer cette énonciation sans protester, c’est que le fait relaté est vrai.

D’ailleurs, ne doit-on pas supposer que le notaire instrumentant a dû nécessairement prendre connaissance du titre du shérif auquel il réfère dans son acte, puisqu’il indique même le numéro sous lequel ce titre a été enregistré au bureau d’enregistrement du comté de Mégantic?

Evidemment, rien n’empêchait la compagnie-appelante, à qui ces actes sont opposés, de faire une preuve à l’encontre des énonciations et déclarations qui y sont contenues, mais n’ayant pas jugé à propos de faire cette preuve, ces énonciations ou déclarations qui ne sont pas étrangères à l’obligation ou à l’objet qu’avaient en vue les parties en passant ces actes, mais, au contraire, qui ont un rapport direct à la disposition, ont force probante contre ladite appelante et établissent la chaîne des titres de la corporation-intimée, à partir de la concession ci-dessus mentionnée, faite en 1906, par la Couronne, à Charles A. King et Lady Chapleau, jusqu’à la vente consentie par la United States Ferro Alloys Corporation à la compagnie-intimée.

Il faut au moins décider que la compagnie-intimée a suffisamment établi, pour les fins de la présente cause, que, lors de la vente pour taxes de l’immeuble en question, elle était bien propriétaire dudit immeuble, aussi bien pour le fonds que pour les bâtisses.

Deuxième question:La vente pour taxes dont l’intimée a demandé à la cour de constater la nullité a-t-elle eu lieu légalement sur les propriétaires inscrits au rôle d’évaluation,

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l’intimée n’ayant jamais dénoncé son droit de propriété?

Les rôles d’évaluation de la municipalité-appelante, paroisse St-Joseph de Coleraine, ont été produits, à partir de 1914 à 1926, et sur ces rôles, Charles A. King et Lady Chapleau apparaissent sans interruption, depuis 1914 à 1926, comme propriétaires du lot de terre connu comme étant la partie sud-est du lot n° 19 du 10e rang du canton de Coleraine, lequel est évalué à la somme de $720.

Le rôle de perception de la municipalité, pour les années 1914 à 1926, a aussi été produit et sur ce rôle, Charles A. King et Lady Chapleau apparaissent encore comme propriétaires dudit lot de terre et une taxe immobilière de $12.60 pour les trois premières années, et de $10.80 pour chacune des années subséquentes, jusqu’en 1926, est portée audit rôle de perception.

D’après un extrait de ce rôle, les taxes immobilières dues à raison dudit lot, pour l’année 1918-1919 auraient été payées par un nommé J.-V. Bélanger dont le nom est mentionné dans les titres produits par l’intimée et auquel nous référons ci-dessus.

Un autre extrait du rôle d’évaluation de la municipalité appelante, pour les années 1920 à 1926, a aussi été produit et il fait voir qu’à partir de 1914 à 1917, il n’y a aucune évaluation de bâtisses, pour ledit lot de terre, mais qu’en 1920, J.-V. Bélanger Mining Co., Limited, apparaît comme propriétaire de certaines bâtisses érigées sur ledit lot: un moulin et accessoires évalués à $20,000, une maison de pension évaluée à $2,000, et une maison pour le gérant évaluée à $1,500.

En 1923, c’est la compagnie-intimée qui apparaît comme propriétaire de ces bâtisses.

En 1925, c’est d’abord la Quebec Chrome Corporation et ensuite encore l’intimée, Colonial Chrome Co., après correction, qui apparaît comme propriétaire de ces mêmes bâtisses, de même qu’en 1926.

Un extrait du rôle de perception correspondant pour lesdites années 1920 à 1926 a été aussi produit et il appert, par ce rôle, qu’à partir de 1914 à 1920, il n’y a aucune taxe d’imposée pour bâtisses, mais que pour l’année 1920-21, J.-V. Bélanger Mining Co., Limited, est portée audit rôle comme propriétaire dudit moulin et accessoires, comme

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aussi de la maison de pension et de la maison du gérant, mais que seules la maison de pension et la maison du gérant sont taxées, le moulin étant indiqué comme non-imposable.

Pour les années 1921-1922 et 1922-1923, J.-V. Bélanger Mining Co., Limited, apparaît encore comme propriétaire desdites bâtisses sur le rôle de perception, et il n’y a encore que la maison de pension et la maison du gérant qui soient taxées pour ces années.

Pour les années 1923-1924, 1924-1925 et 1925-1926, c’est l’intimée qui apparaît propriétaire desdites bâtisses au rôle de perception et, pour ces années, il n’y a encore que la maison de pension et la maison du gérant qui soient taxées, le moulin et ses accessoires qui sont évalués à $20,000 ne semblent pas avoir jamais été taxés.

Nous avons vu ci-dessus, par l’analyse des titres de propriété de l’intimée, que le 24 juillet 1918, Charles A. King et les exécuteurs-testamentaires de Lady Chapleau avaient vendu ledit lot de terre à J.-Valère Bélanger et que ladite vente avait été enregistrée au bureau d’enregistrement du comté de Mégantic, le 30 juillet 1918, sous le n° 57886.

Nous avons vu aussi que ce même lot de terre, avec les bâtisses dessus érigées, avait été vendu par le shérif sur J.-V. Bélanger Mining Co., Limited, le 17 décembre 1921, et que cette vente avait été enregistrée au bureau d’enregistrement du comté de Mégantic, le 19 du même mois.

Nous avons vu enfin que l’intimée avait acquis ledit immeuble, le 31 janvier 1923, de la United States Ferro Alloys Corporation, et que cette vente avait aussi été dûment enregistrée.

Or, comment se fait-il que malgré ces ventes successives, à partir de 1918, Charles A. King et Lady Chapleau soient restés inscrits comme propriétaires du fonds dudit immeuble au rôle d’évaluation, aussi bien qu’au rôle de perception, jusqu’en 1926?

Pour l’année 1918-1919 qui est l’année durant laquelle Bélanger a acheté le lot de terre en question de Charles A. King et Lady Chapleau, le rôle de perception mentionne que c’est Bélanger qui a payé les taxes imposées sur le fonds, et à partir de 1920, c’est J.-V. Bélanger Mining Co., Limited, qui apparaît comme propriétaire des bâtisses érigées sur ledit lot.

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En 1923, qui est précisément l’année où la compagnie intimée a acheté ledit immeuble, son nom apparaît, pour la première fois, comme propriétaire, mais des bâtisses seulement.

Il importe de faire remarquer, en plus, que sur ces différents rôles d’évaluation, pour chacune des années que nous avons mentionnées, le fonds et les bâtisses ne figurent pas sous le même numéro d’ordre (C.M. art. 654, par. 1).

Les bâtisses sont inscrites à un numéro d’ordre qui, suivant les années, varie du numéro 196 au numéro 231. Le fonds est inscrit à un numéro d’ordre qui, également suivant les années, varie du numéro 349 au numéro 446. En plus, dans les inscriptions relatives aux bâtisses, il n’y a aucune référence au numéro cadastral du fonds sur lequel ces bâtisses sont construites.

Or, le code municipal permet bien de désigner sur le rôle d’évaluation “toute partie d’immeuble de la municipalité, possédée ou occupée séparément” (art. 654, par. 2); mais il va de soi que pour désigner correctement et légalement au rôle un immeuble qui est possédé ou occupé séparément, il est nécessaire d’inscrire cet immeuble à un seul numéro d’ordre, d’indiquer son numéro cadastral, si le cadastre est en force; puis de mentionner les nom et prénoms de chaque propriétaire, locataire ou occupant de chaque partie de l’immeuble qui est possédé et occupé séparément, sans quoi le rôle d’évaluation ne se trouve pas à donner d’une façon complète, ni surtout compréhensible, les indications qui concernent la totalité de l’immeuble.

En portant au rôle séparément le fonds et les bâtisses dessus construites dans deux endroits distincts, ayant des numéros d’ordre différents et éloignés les uns des autres, et surtout sans référer à aucun numéro cadastral dans l’inscription relative aux bâtisses, la corporation appelante ne s’est pas conformée aux exigences du par. 2 de l’art. 654, et elle a fait des entrées irrégulières, qui ont donné lieu aux conséquences que nous allons maintenant examiner.

D’après l’art. 673 C.M.,

Après chaque mutation de propriétaire, d’occupant ou de locataire d’un terrain mentionné au rôle d’évaluation en vigueur, le conseil local, sur demande par écrit à cet effet, et sur preuve suffisante, doit biffer le nom de l’ancien propriétaire, occupant ou locataire et y inscrire celui du nouveau.

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Nous avons vu que, dans sa déclaration, la demanderesseintimée a affirmé qu’elle avait dénoncé son droit de propriété au conseil municipal, mais que ce dernier aurait illégalement omis de la porter au rôle d’évaluation comme propriétaire du fonds et qu’il aurait, sans aucun droit, laissé sur ledit rôle, comme propriétaire du fonds, les propriétaires originaires, en inscrivant l’intimée sur le rôle comme propriétaire des bâtisses sus-érigées.

Or, comme le juge de première instance, nous pensons, que l’examen du rôle fait présumer que cette affirmation de l’intimée est exacte. Pourquoi le rôle d’évaluation, à partir de 1920, mentionne-t-il d’abord J.-V. Bélanger Mining Co., Limited, et ensuite la compagnie-intimée, comme propriétaire des bâtisses seulement? L’explication suggérée par l’appelante dans son factum est que cette inscription a dû être faite d’après les renseignements fournis aux évaluateurs par des représentants de la compagnie qui se trouvaient sur les lieux lors de la confection du rôle.

Cette hypothèse n’est pas vraisemblable, car si l’appelante s’était renseignée auprès des représentants de la compagnie-intimée, ces derniers n’auraient pas pu lui dire que la Colonial Chrome Company était simplement propriétaire des bâtisses, car ils n’avaient aucun intérêt à ne pas dénoncer totalement le droit de propriété de l’intimée.

Il résulte plutôt des inscriptions faites au rôle que l’intimée a dénoncé son droit de propriété, conformément aux exigences du Code Municipal.

L’appelante ajoute, dans son factum, que l’on peut, dans certains cas, prétendre qu’une présomption existe que le propriétaire du fonds est le propriétaire des bâtisses, mais qu’il n’y a aucune présomption que le propriétaire des bâtisses soit aussi le propriétaire du fonds.

L’article 414 du Code Civil dit, en effet, que

La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous;

et l’art. 415 ajoute que:

Toutes constructions, plantations ou ouvrages sur un terrain ou dans l’intérieur, sont présumés faits par le propriétaire, à ses frais, et lui appartenir, si le contraire n’est prouvé.

mais c’est précisément à raison de cette présomption que l’appelante aurait dû indiquer pourquoi elle avait inscrit l’intimée au rôle d’évaluation, comme elle l’a fait, sans en même temps biffer les inscriptions antérieures, en laissant

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subsister les noms de Charles A. King et Lady Chapleau comme propriétaires du fonds.

Il me semble que, dans les circonstances, il appartenait à la corporation-appelante de se justifier d’avoir fait les entrées comme elle l’a fait; et, en l’absence d’explications suffisantes, on peut présumer que l’intimée a régulièrement dénoncé ses titres au conseil municipal, que, dans l’application régulière de l’art. 673 C.M., les noms des anciens propriétaires, Charles A. King et Lady Chapleau, auraient dû être biffés, et que l’inscription au nom de l’intimée avait pour but d’indiquer qu’elle était propriétaire de la totalité de l’immeuble, fonds et bâtisses. Il s’ensuivrait, ou bien que l’immeuble figurait au rôle pour le tout au nom de deux propriétaires différents, ou bien que l’inscription aux noms de Charles A. King et Lady Chapleau était une inscription factice, restée là par oubli ou par omission, qui n’aurait pas dû être là et qui ne pouvait servir de base à un rôle de perception, à une imposition de taxes et à une vente pour taxes municipales.

Il faut, en effet, bien considérer que l’inscription au nom de l’intimée, tout en étant irrégulière, parce qu’elle n’y référait pas au numéro cadastral et parce qu’elle ne figurait pas au rôle au numéro d’ordre qu’elle aurait dû avoir (ainsi que nous l’avons indiqué plus haut), était, en soi, suffisamment compréhensive pour faire croire qu’elle comportait la totalité de l’immeuble. Elle était faite de telle façon que, à l’examen du rôle, l’intimée pouvait raisonnablement croire qu’elle indiquait l’immeuble tout entier. Il est vrai que chaque bâtisse y est mentionnée nommément; mais cela s’expliquait par le fait que certaines bâtisses étaient non-imposables, une autre appartenait à un monsieur Gagné (qui était indiquée séparément); et il devenait donc nécessaire d’énumérer les bâtisses à raison desquelles l’intimée était appelée à payer taxes. Au surplus, l’énumération de toutes les constructions sur le terrain, imposables et non imposables, contribuait davantage à donner à cette inscription sur le rôle le caractère d’une entrée qui couvrait la totalité de l’immeuble.

Et cela répond à l’objection de l’appelante qu’il appartenait à la compagnie intimée de surveiller le rôle d’évaluation afin de constater si son nom était bien inscrit comme propriétaire. A la vue du rôle et de l’entrée qui la concernait,

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l’intimée était justifiable de croire que l’immeuble tout entier était porté à son nom et n’était pas appelée à aller vérifier si, dans un autre endroit du rôle et à un numéro d’ordre complètement différent, le conseil municipal n’avait pas, par hasard, laissé subsister l’ancienne entrée au nom des anciens propriétaires.

En plus, l’intimée recevait régulièrement, chaque année, ses comptes de taxes municipales et scolaires se rapportant à cet immeuble; et, chaque année, elle acquittait les taxes qui lui étaient réclamées. Comment pouvait-elle supposer que, dans l’esprit du conseil municipal, elle n’était portée au rôle que comme propriétaire des bâtisses, lorsque la vue du rôle lui-même devait raisonnablement lui faire croire le contraire?

L’appelante veut prétendre que les comptes qu’elle adressait à l’intimée ne comportaient que les taxes pour les bâtisses. Aucun compte antérieur à la vente pour taxes n’a été produit. Le seul qui ait été fourni en preuve est celui qui était contenu dans la lettre du 9 octobre 1926. Cette lettre est postérieure à la vente. Elle ne prouve rien à l’égard de cette dernière, ni quant aux faits qui affectent cette cause. En plus, le compte qui y est contenu est, pour le moins, aussi ambigu que le rôle lui-même; et, mis en regard de l’inscription au rôle, il n’était pas susceptible d’apporter à l’intimée une information différente de celle que le rôle lui donnait, et ne voulait pas dire nécessairement que les taxes réclamées se rapportaient uniquement aux bâtisses, à l’exclusion du fonds sur lequel elles étaient érigées. Comme nous l’avons dit, il appert au rôle de perception que remplacement du moulin proprement dit était déclaré non imposable. Il appert aussi qu’il y avait sur le lot n° 19 une maison appartenant à un M. Oram Gagné. Comment indiquer, dans les comptes adressés à l’intimée, que le moulin n’était pas taxé et que le compte n’incluait pas non plus les taxes pour la maison Oram Gagné, sinon en décrivant les divers emplacements taxés par la désignation des bâtisses sus érigées? L’intimée était donc parfaitement justifiable de croire que les comptes de taxes qu’elle recevait comprenaient, non seulement les taxes pour les. bâtisses, mais aussi pour le fonds sur lequel ces bâtisses étaient situées.

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En vue de tout ce qui précède, il ne nous paraît pas que l’intimée puisse être blâmée et puisse souffrir de ne pas s’être plainte du rôle d’évaluation tel qu’il était fait.

Il se peut cependant que la seule raison des irrégularités foncières que nous constatons au rôle n’eût pas été suffisante en soi pour faire mettre de côté la vente pour taxes et qu’elle eût plutôt donné un recours en dommages contre la corporation municipale appelante.

Nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire de nous prononcer sur ce point dans la cause actuelle, qui est avant tout une cause d’espèce; et nous préférons réserver notre opinion sur cette question, car nous croyons que la vente doit être mise de côté pour le motif qui a été retenu à la fois par la Cour Supérieure et par la majorité de la Cour du Banc du Roi et qu’il nous reste à exposer. Nous nous sommes expliqués longuement sur toutes ces questions concernant la confection du rôle, pour bien démontrer que, à notre avis, le conseil local de la corporation appelante doit être tenu pour avoir eu connaissance de tous les faits relatifs au titre de propriété de l’immeuble dont il s’agit.

Ce qui est décisif, c’est que le rôle d’évaluation faisait, au moins, voir que la totalité de l’immeuble qui a fait l’objet de la vente municipale pour taxes était possédée, à titre de propriétaires, à la fois par Charles A. King et Lady Chapleau d’une part, et par Colonial Chrome Co., Ltd., d’autre part.

En préparant, au mois de novembre, l’état mentionné à l’art. 726 du Code municipal, le secrétaire-trésorier de la corporation appelante devait indiquer

les noms et états de toutes personnes endettées envers la corporation pour taxes municipales, tels qu’indiqués au rôle d’évaluation, s’ils y sont entrés;

et, d’après l’art. 729, le secrétaire-trésorier de la corporation de comté devait préparer, conformément à cet état qui lui avait été transmis par le secrétaire-trésorier local, et devait publier, par avis suivant les formalités prévues au Code municipal, la liste des immeubles qui devaient être vendus à l’enchère publique pour les taxes auxquelles ils étaient affectés. Cette liste devait indiquer

la désignation de tous les immeubles situés dans la municipalité du comté et affectés au paiement de taxes municipales ou scolaires dues, avec les noms des propriétaires, tels qu’indiqués au rôle d’évaluation.

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L’avis de vente et de publication démontre que l’immeuble en litige a été annoncé en vente comme suit:

Municipalité
par de
of

Canton
Colerain

Propriétaires
Chas.A. King
Lady Chapleau

Rang
10

Lot
1/2 S.E. 19

Etendue
360

Taxes
$96.90

 

 

 

 

 

L’acte d’adjudication

cède, transporte et vend * * * ce certain lot de terre situé dans le canton de Coleraine dans le comté de Mégantic, connu et désigné comme la moitié sud-est du lot n° 19 du 10e rang du canton de Coleraine, contenant 360 acres, plus ou moins.

L’appelante a donc annoncé en vente, et a vendu, le lot tout entier, sans aucune indication à l’effet que les bâtisses dessus construites étaient exclues de la vente.

Or, d’après le sous-paragraphe 28 de l’art. 16 du Code Municipal,

le mot “lot” désigne tout terrain situé dans un rang * * * avec (les) bâtiments et autres améliorations.

Cet article est d’ailleurs conforme aux principes du Code Civil en vertu desquels

La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous et

Toutes contractions, plantations et ouvrages sur un terrain ou dans l’intérieur sont présumés faits par le propriétaire, à ses frais, et lui appartenir, si le contraire n’est prouvé

tel que le comportent les articles 414 et 415, auxquels nous avons déjà référé.

Il est clair, par conséquent, que, pour effectuer légalement une vente pour taxes de l’immeuble dont il s’agit, et pour désigner cet immeuble, depuis les procédures initiales de la vente jusqu’à l’adjudication, conformément aux exigences du Code Municipal, c’est-à-dire en le désignant “tel qu’indiqué au rôle d’évaluation”, il était essentiel, en l’espèce, de préciser que le fonds seul du lot devait faire l’objet de la vente et que les bâtisses en seraient exclues. C’était la seule façon de se conformer aux inscriptions du rôle d’évaluation, en les interprétant de la façon la plus favorable à la corporation appelante. En annonçant et en vendant le lot d’après la définition même qui en est donnée dans le Code municipal, on a annoncé et on a vendu également les bâtisses qui s’y trouvaient construites et qui, d’après le rôle, appartenaient à la compagnie intimée. On a donc annoncé et vendu comme un seul tout un immeuble qui comprenait des propriétés portées au rôle lui-même aux

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noms de personnes qui n’ont été mentionnées nulle part dans aucune des procédures ou des actes relatifs à cette vente; et, ce qui est plus grave, des propriétés appartenant à des personnes qui n’étaient pas “endettées envers la corporation pour taxes municipales” (C.M. arts. 726, par. 1, 727, 728 et 729), et alors que, au contraire, toutes les taxes avaient été payées. Nous sommes d’accord avec la Cour Supérieure et la majorité de la Cour du Banc du Roi pour dire qu’une pareille vente est nulle ab initio, d’une nullité radicale et absolue. Il y avait donc lieu, sur ce point, de maintenir l’action de l’intimée en déclaration de nullité.

Troisième question:L’action était-elle prescrite aux termes de Tart. 747 C.M.?

Cet article se lit comme suit:

L’action pour faire annuler une vente d’immeubles faite en vertu des dispositions du présent chapitre, ou le droit d’en invoquer l’illégalité, se prescrit par deux ans à compter de la date de l’adjudication.

Le Cour Supérieure, ainsi que la Cour du Banc du Roi, ont, toutes deux, répondu dans la négative; et nous sommes d’avis qu’elles ont eu raison.

L’article parle des actions “pour faire annuler une vente”, ou du “droit d’en invoquer l’illégalité”. Il ne s’agit pas ici d une simple illégalité, non plus que d’une action pour faire annuler la vente. Comme nous l’avons dit plus haut, nous sommes en présence d’une vente absolument nulle, et nulle ab initio, parce que, depuis le commencement jusqu’à la fin, les conditions ne se sont jamais rencontrées pour que l’immeuble tel qu’il a été vendu puisse faire l’objet d’une vente municipale pour taxes. L’appelante a vendu comme incorporée à un tout indivis une propriété qui appartenait à l’intimée, qui n’a pas été désignée telle qu’indiquée au rôle d’évaluation et qui ne devait aucune taxe. Cette vente n’était pas seulement annulable; elle était, légalement parlant, inexistante; et la Cour n’avait pas besoin de l’annuler; elle n’avait qu’à en constater la nullité, et à déclarer cette nullité.

En arrivant à cette conclusion, nous nous conformons à une ancienne jurisprudence de la province de Québec, qui ne semble pas avoir été désavouée jusqu’à présent.

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Dans une cause de Lovell v. Leavitt[2], la Cour du Banc du Roi, en 1893, interprétant cet article 747, s’exprime comme suit dans deux des considérants de son jugement:

Considérant que d’après l’art. 1591 C.C., les règles applicables aux ventes forcées, en vertu des dispositions du code municipal sont celles applicables généralement au contrat de vente, et qu’en vertu de l’art. 1487 CO., une vente faite super non domino et non possidente est absolument nulle;

Considérant qu’en conséquence la vente invoquée par l’intimé n’a pu lui conférer, non plus qu’à ses auteurs, aucun droit sur le terrain revendiqué, et que la prescription de l’art. 1015 du code municipal ne peut être invoquée pour couvrir ladite nullité;

Maintient l’appel * * *

Il n’est pas sans à propos de rapporter ici les remarques de monsieur le juge Blanchet dans cette cause:

Mais l’intimé invoque un autre moyen : Il prétend que la vente municipale est une vente publique, notifiée au régistrateur du comté, qui l’enregistre; que Davis et ses ayants cause n’ayant pas jugé à propos de retraire ou de racheter le lot en question dans le délai de deux ans fixé par l’article 1008, l’acte de vente qui en a été consenti par la corporation du comté de Compton lui a transféré, comme cessionnaire de l’adjudicataire, la propriété absolue de ce quart de lot, et que, d’après l’article 1015, l’action pour faire annuler une semblable vente ou le droit d’en invoquer l’illégalité se prescrivant par deux ans, à compter de la date de l’adjudication, l’appelant n’a plus le droit, ce délai expiré, de demander, ainsi qu’il le fait, la nullité de la vente en question.

Il s’agit, comme on le voit, de déterminer quel est l’effet ou l’étendue de cette disposition exorbitante du droit commun et qui, par conséquent, doit être interprétée strictement.

Les termes de cet article: l’action pour faire annuler la vente ou le droit d’en invoquer l’illégalité, sont-ils suffisamment clairs pour autoriser les tribunaux à déclarer qu’ils couvrent non seulement les irrégularités et les informalités qui peuvent se rencontrer dans les procédés des conseils relativement à ces ventes, mais même les nullités absolues résultant de l’omission des formalités requises lorsqu’il doit nécessairement en résulter de graves injustices.

Ne serait-ce pas faire dire à la loi, contrairement aux principes élémentaires de saine législation, qu’elle a voulu encourager par une protection spéciale, l’inobservation de ses dispositions? Une semblable interprétation ne nous paraît pas autorisée par le texte même de cet article. Elle serait contraire non seulement aux règles ordinaires du code civil et du code de procédure, mais à l’ensemble des dispositions du code municipal lui-même qui déclare, à l’art. 16, que des objections à la forme peuvent être admises, si une injustice réelle doit résulter de leur rejet, et que l’omission de formalités, mêmes impératives, donne lieu, dans le même cas, à la même exception qu’aurait celui qui invoquerait une nullité formellement prononcée par le code.

Dans le cas actuel, il s’agit d’une injustice qui, si elle était consacrée, permettrait à un débiteur récalcitrant ou malhonnête de payer ses dettes avec le bien d’autrui et un propriétaire se verrait ainsi dépouillé de ses droits en vertu de procédés sommaires non autorisés par la loi.

[Page 35]

En présence d’un texte qui est loin d’être explicite, nous préférons lui donner une interprétation restreinte et conforme à l’esprit général de notre droit sur des sujets analogues.

Nous n’avons guère d’hésitation à en arriver à cette conclusion, car les procédés du conseil de Clifton, quant à la confection des rôles de perception relativement aux taxes réclamées de Davis, sont tellement irréguliers qu’il est possible de prétendre qu’il n’ont jamais eu d’existence légale et l’adjudicataire du terrain réclamé qui n’a jamais tenté de se mettre en possession, ne paraît pas même avoir payé les taxes dues depuis la vente avant d’obtenir son titre définitif, ces taxes ayant toujours été payées depuis par l’appelant sans protêt de la part de la corporation de Clifton.

Nous sommes d’avis que l’appel doit, en conséquence, être maintenu et l’action de l’intimé renvoyée.

Deux autres jugements dans le même sens sont cités par l’intimée: Bartley v. Boon[3] et Coady v. Cité de Montréal[4].

Les deux premières décisions sont bien antérieures au nouveau code municipal qui est devenu en force en 1916. Il n’est pas à présumer que les commissaires qui ont été chargés de la rédaction de ce code ignoraient alors cette ancienne jurisprudence, et s’ils n’ont pas jugé à propos de changer le texte de l’art. 747 qui correspond à l’ancien art. 1015, c’est qu’ils en sont venus à la conclusion que l’interprétation jusqu’alors donnée par nos tribunaux était conforme à l’intention du législateur. A ce sujet, nous ne saurions mieux faire que de référer aux remarques de monsieur le juge Rinfret dans la cause de la Corporation du village de la Malbaie v. Bouliane[5].

Pour toutes ces raisons, je suis encore d’avis que ce troisième moyen invoqué par l’appelant n’est pas fondé.

Je renverrais donc l’appel avec dépens.

Appeal dismissed with costs.

Solicitor for the appellant: Louis Morin.

Solicitors for the respondent: Rémillard & Boisvert.



[1] [1932] Q.R. 52 K.B. 458.

[2] [1893] Q.R. 2 Q.B. 324

[3] [1874] 1 Q.L.R. 33.

[4] [1915] 22 R.L. n.S. 67.

[5] [1932] S.C.R. 389.

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