Supreme Court Judgments

Decision Information

Decision Content

Supreme Court of Canada

Husband and wife—Both shareholders of company—Deed signed by both as security for debts of company—Validity—Good faith of creditor— Burden of proof—Authorization of the wife—When new authorization necessary in case of an appeal—Arts. 176, 178, 181, 183, 306, 1301, 1120, 1177 C.C.—(Q.) 4 Ed. VII, c. 42, s. 1.

A married woman, when authorized generally to maintain or defend an action, can appear as respondent before an appellate court without having obtained a new authorization, when she is seeking the confirmation of a judgment rendered in her favour. (Q.R. 48 K.B. 572 aff.)

A deed of warranty signed by the husband and his wife separate as to property, both being shareholders of an incorporated company, in order to secure reimbursement of advances made or to be made by a bank to the company, the evidence disclosing no benefit derived by the wife from the transaction, is a deed where the wife joins her husband in an obligation which affects interests common to both. As such, it is illegal and void, so far as concerns the wife, as being in contravention of the provisions of article 1301 C.C.

The mere fact, however, that the obligation assumed by the wife with her husband is joint and several is not in itself sufficient to bring it within the article (art. 1301 C.C.).

Since the amendment to art. 1301 C.C., enacted by 4 Ed. VII, c. 42, s. 1 (1904), ignorance on the part of the obligee (créancier) that the money was borrowed for the husband’s purposes will protect the rights of the obligee, provided the money was handed over to the wife herself and the obligee had no reason whatever to suspect that it would be used in any way for the husband’s benefit; and if subsequently the wife invokes the nullity of her obligation, the burden is upon her to prove that the money was for the husband’s benefit to the knowledge of the obligee.

Per Anglin C.J.C.—Upon the evidence, the wife had no personal interest to serve in becoming the guarantor for the company and, when she signed such guarantee, she must have done so with the idea of helping her husband rather than of serving her own interests.—No opinion is expressed upon the validity of a guarantee given by a wife which, although it cannot be said to have been given “pour son mari” is given by her “avec son mari”.

Judgment of the Court of King’s Bench (Q.R. 49 K.B. 67) aff.

[Page 294]

APPEAL from the decision of the Court of King’s Bench, appeal side, province of Quebec[1], affirming the judgment of the Superior Court, Letellier J.[2] and dismissing the appellant’s action.

The appellant bank brought an action against the respondent Audet and other defendants for the recovery of the sum of $10,134.25, upon two private deeds whereby the respondent and the other defendants agreed jointly and severally to guarantee the reimbursement by a certain company of which they were shareholders, of all advances made to the company by the Banque Nationale up to $10,000. The action was taken by the appellant bank, which had succeeded to the rights of the Banque Nationale, the company being insolvent and owing to the bank more than the full amount of the guarantee.

Charles Frémont K.C. and A. Gérin-Lajoie K.C. for the appellant.

J. A. Prévost K.C. for the respondent.

The judgment of the Court (Anglin C.J.C. concurring in the conclusions reached by Rinfret J., but writing separately) was delivered by Rinfret J.

Anglin C.J.C.—I concur in the conclusions reached by my brother Rinfret.

It seems to me that if a general authorization such as we have here may be sufficient to entitle a married woman, not only to maintain or defend an action, but also to prosecute an appeal against an adverse judgment, a fortiori and at all events must this be so where, as in the present case, in the Court of King’s Bench and here, she is not appellant, but respondent.

On the merits I am entirely satisfied that this case falls within the mischief aimed at by art. 1301 C.C. It is clear that the wife had no personal interest to serve in becoming the guarantor for the company and that, when she signed such guarantee, she must have done so with the idea of helping her husband rather than of serving her own interests. That being so, it is correct to say of her guarantee that it was given “avec et pour son mari”.

[Page 295]

I desire to express no opinion upon the validity of a guarantee given by a wife which, although it cannot be said to have been given “pour son mari”. is given by her “avec son mari”. It may, in some future case, be clear that the circumstances entitle her to invoke the protection of art. 1301 C.C. against liability on such a guarantee.

Rinfret, J. (delivering the judgment of the court).— Il se soulève une question préliminaire sur l’appel. L’intimée est une femme mariée. Elle a été poursuivie par l’appelante en même temps que plusieurs autres défendeurs, parmi lesquels se trouvait son mari.

En Cour Supérieure, elle a produit une comparution distincte de celle de ce dernier, bien que par l’entremise des mêmes procureurs. La comparution de l’intimée se lit comme suit:

Nous comparaissons pour la défenderesse, Dame Albertine Audet, sous toutes réserves que de droit.

La comparution de son mari a été rédigée très probablement dans le but de satisfaire le principe posé par la Cour de Révision dans la cause de Ducasse v. Montgrain[3] que

l’assignation d’une femme mariée avec son mari rend ce dernier partie dans la cause; et s’il ne comparaît pas, il autorise tacitement son épouse à ester en justice.

Elle se lit comme suit:

Nous comparaissons pour le défendeur Edgar Lemieux personnellement, et non pas pour autoriser sa femme, sous toutes réserves que de droit.

Sur production de ces comparutions, la demanderesse présenta une motion priant le juge de donner à l’intimée l’autorisation à ester en jugementque lui refusait son mari.

La cour rendit le jugement suivant:

La cour, vu la motion faite de la part de la demanderesse à l’effet que la défenderesse, Dame Albertine Audet Lemieux, soit autorisée à ester et plaider en la présente cause à toutes fins que de droit, le tout avec dépens:

Parties ouïes sur la présente motion;

Accorde ladite motion, le tout tel que demandé.

L’intimée produisit alors son plaidoyer. Le procès suivit son cours et jugement intervint maintenant la contestation de l’intimée et rejetant l’action, quant à elle, avec dépens.

[Page 296]

Il n’y a aucune discussion sur la régularité des procédures devant la Cour Supérieure; mais, lorsque l’appelante porta sa cause en appel, elle omit de faire signifier l’inscription au mari et de faire renouveler préalablement l’autorisation judiciaire permettant à l’intimée d’ester devant la Cour du Banc du Roi.

L’intimée fit alors une motion concluant à ce que les procédures’ en appel fussent déclarées informes, illégales et nulles, et que les parties fussent mises hors de cour.

La Cour du Banc du Roi rejeta cette motion, monsieur le juge Dorion se déclarant dissident[4].

Puis, le jugement de la Cour Supérieure ayant été confirmé au mérite[5], l’appelante, en venant devant la Cour Suprême du Canada, procéda de la même façon qu’elle avait fait devant la Cour du Banc du Roi, sans signification au mari, et sans nouvelle demande d’autorisation à la femme.

L’intimée prétend donc que toute la procédure est entachée d’une irrégularité fatale, par suite du défaut d’autorisation, à la fois devant la Cour du Banc du Roi et devant cette cour; et, de ce chef, elle nous demande de rejeter l’appel.

Le moyen soulevé par l’intimée s’appuie sur les articles suivants du code civil de la province de Québec:

176. La femme ne peut ester en jugement sans l’autorisation ou l’assistance de son mari, quand même elle serait non commune ou marchande publique. Celle qui est séparée de biens ne le peut faire non plus si ce n’est dans les cas de simple administration.

178. Si le mari refuse d’autoriser sa femme à ester en jugement ou à passer un acte, le juge peut donner l’autorisation.

181. Toute autorisation générale, même stipulée par contrat de mariage, n’est valable que quant à l’administration des biens de la femme.

183. Le défaut d’autorisation du mari, dans le cas où elle est requise, comporte une nullité que rien ne peut couvrir et dont se peuvent prévaloir tous ceux qui y ont un intérêt né et actuel.

Les articles correspondants du Code Napoléon comportent à peu près le même texte, sauf que

la nullité fondée sur le défaut d’autorisation ne peut être opposée que par la femme, par le mari, ou par leurs héritiers.

Ici le moyen est soulevé par la femme. Par conséquent, nous ne voyons pas que, en l’espèce, on puisse tirer un argument de la différence entre les textes du code français

[Page 297]

et du code de Québec. Nous pouvons donc sans danger chercher la solution dans la doctrine et la jurisprudence des deux pays.

La question y est très controversée. C’est précisément ce que faisait observer monsieur le juge Dorion en enregistrant sa dissidence en Cour du Banc du Roi.

Naturellement, personne ne conteste le principe que la femme, même séparée de corps et de biens, ne peut ester en justice sans l’autorisation ou l’assistance de son mari, ou, en cas de refus du mari, sans l’autorisation d’un juge, ni que ce principe soit d’ordre public. La divergence d’opinions commence sur la question de savoir si l’appel constitue une nouvelle instance; et bon nombre d’auteurs enseignent que la femme mariée a besoin d’une nouvelle autorisation pour plaider en appel. La Cour de Cassation, en France, vient de réaffirmer dans un arrêt tout récent (Parisot et autres c. Société Le Nickel)[6] que le principe s’impose à tous les degrés de juridiction.

On admet cependant que l’autorisation de suivre l’instance en appel peut être donnée à la femme mariée en même temps que l’autorisation d’ester en jugementen première instance[7]. Une autorisation de ce genre n’est pas considérée comme étant contraire à la prescription de spécialité contenue dans l’article 181 du code civil (Boitard, Procédure civile, 15e éd., par Glasson, T. 2e, p. 60). Le mari ne pourrait autoriser généralement sa femme à s’engager dans tout procès où elle pourrait être partie; mais rien ne s’oppose à ce qu’il l’autorise, une fois pour toutes, à suivre un procès dans toutes ses phases.

Dans ces conditions, ainsi qu’on l’a fait remarquer (Laurent, Supplément aux principes de droit civil, t. 1er, 594, p. 391), la discussion se résout en une question d’interprétation de l’autorisation qui a été donnée. Il est évident que si, dans ses termes, elle est expressément limitée au recours en première instance, elle devra être restreinte à ce degré de juridiction. Si, au contraire, elle s’étend expressément à tous les degrés de juridiction, elle permet à la femme qui l’a obtenue d’ester en appel sans autorisation nouvelle.

[Page 298]

Il reste à décider comment il faut interpréter l’autorisation du mari (ou du juge) lorsque l’autorisation ne précise pas et est donnée en termes généraux. La doctrine et la jurisprudence se prononcent dans les deux sens.

La Cour de Cassation a jugé, en général, que l’autorisation accordée à une femme mariée à l’effet de former une demande en justice ne suffit pas pour l’habiliter à appeler du jugement qui a rejeté sa demande. Une nouvelle autorisation est nécessaire. (Consulter sur ce point Fuzier-Herman, Répertoire du droit français, vbo. Autorisation de femme mariée, nos 657, 658 et 659.)

D’autre part, la même cour a jugé que la femme autorisée par son mari à intenter une demande en justice n’a pas besoin d’une nouvelle autorisation pour défendre en appel le jugement prononcé en sa faveur (Bonnieu c. Dineux[8]; Pissard c. Maury)[9]. Même dans la cause de Sarlandie, c. Sarlandie (3)[10], l’autorisation donnée à la femme par le président du tribunal civil de procéder à sa demande en séparation de corps a été jugée suffisante pour habiliter la femme à plaider tant sur sa demande principale que sur la demande incidente qui s’y rattachait, et pour lui permettre d’ester en appel sur ces demandes sans recourir à une nouvelle autorisation.

Cependant, il semblerait que la cour ait voulu faire une distinction entre l’autorisation de plaider et celle de former une demande en justice. L’autorisation donnée à la femme généralement et lui permettant de se porter défenderesse ne pourrait être interprétée extensivement[11]. Dans la cause de Parisot c. Société Le Nickel[12], à laquelle nous avons déjà référé, le rapport ne fait pas voir si l’autorisation était spéciale ou générale. Le jugé semble indiquer qu’elle était spéciale. Il se lit:

Spécialement la femme autorisée à plaider en première instance a besoin d’une nouvelle autorisation pour suivre l’instance en appel.

Dans cet état de choses, la doctrine a évolué de la façon suivante:

Si la femme a perdu en première instance et veut elle-même interjeter appel, elle doit obtenir pour cela une nouvelle autorisation. Mais si la femme a gagné son procès

[Page 299]

en première instance et si elle est assignée en appel, elle peut, sans nouvelle autorisation, répondre à cette assignation en qualité d’intimée.

Il semble que cette distinction satisfasse la raison. Elle est admise expressément par le code civil dans le cas du tuteur qui veut appeler d’un jugement (art. 306 C.C.). Le mari ou le juge, pour accorder l’autorisation d’ester en jugement, s’est basé sur la justesse et la légalité apparentes des droits que la femme mariée entendait faire valoir, soit en demandant, soit en défendant. Il est raisonnable d’interpréter l’autorisation qu’ils ont donnée comme s’étendant à la juridiction d’appel dans des conditions identiques. (Voir Garsonnet, Traité de procédure, 3e éd., vol. 6, p. 37.) Si la situation que le mari ou le juge avait envisagée s’est maintenue, si les droits que la femme a obtenu l’autorisation de faire valoir ont été reconnus par le jugement de première instance, il est logique de considérer l’autorisation d’ester en jugement donnée à la femme sans restriction, et qui n’a pas été révoquée, comme persistant devant les tribunaux d’appel où elle se contente de défendre ses positions. Si, au contraire, le jugement a été prononcé contre les prétentions de la femme, les circonstances dans lesquelles l’autorisation a été donnée sont modifiées et l’on ne saurait présumer que le mari ou le juge a eu l’intention d’étendre son autorisation à un appel dans des conditions qui ont cessé d’être identiques. C’est la solution qui est proposée par Laurent (Supplément aux principes de droit civil, t. 1er, 594, p. 391) et à laquelle se rallient Colin et Capitant (Cours élémentaire de droit civil français, 5e éd., vol. 1er, p. 628) et Planiol et Ripert (Traité pratique de droit civil français, vol. 2, p. 372, 458).

Avec eux, nous trouvons que cette solution est très raisonnable et qu’il faut l’admettre lorsqu’il s’agit pour la femme mariée qui a gagné son procès de défendre devant la Cour du Banc du Roi le jugement qu’elle a obtenu en première instance.

Ici, l’intimée a été dûment autorisée en termes généraux à ester et plaider en la présente cause à toutes fins que de droit”. Les prétentions qu’elle a soumises au juge pour le justifier de lui accorder son autorisation ont prévalu dans le premier jugement. Devant la Cour du Banc du Roi et devant la Cour Suprême du Canada, la situation non

[Page 300]

seulement n’est pas changée, mais, la présomption étant en faveur du jugement, elle s’est même améliorée, le premier juge lui ayant donné raison. Le mari n’est pas intervenu pour l’empêcher de suivre l’instance en appel; le jugement qui l’a autorisée n’a pas été révoqué. Jusqu’à preuve du contraire, on doit supposer que l’autorisation avait pour but de l’habiliter à défendre ses droits jusqu’à ce qu’ils soient définitivement reconnus, c’est-à-dire devant toutes les juridictions, jusqu’à jugement final.

Il en eût été autrement si le premier jugement ou la Cour du Banc du Roi avait donné tort à l’intimée. Un jugement contraire à ses prétentions eût changé la situation. Il lui eût fallu une nouvelle autorisation pour interjeter appel.

Nous sommes donc d’accord avec la Cour du Banc du Roi qui a rejeté ce moyen préliminaire de l’intimée. Nous ajouterons d’ailleurs que, dans une question de cette espèce, où il ne s’agit pas d’un défaut absolu d’autorisation, mais de la forme que devait prendre l’autorisation pour habiliter la femme mariée à ester en appel, ce nest pas sans beaucoup d’hésitation que nous aurions pu être amenés à mettre de côté le jugement du plus haut tribunal de la province.

Passons maintenant à la discussion du mérite de cette cause.

L’appelante, qui était la demanderesse en Cour Supérieure, a demandé jugement contre l’intimée et plusieurs autres défendeurs conjointement et solidairement pour la somme de $10,134.25. Cette poursuite est basée sur deux actes sous seing privé, respectivement en date du 30 avril et du 13 novembre 1924, en vertu desquels les défendeurs se sont portés garants conjointement et solidairement jusqu’à concurrence de la somme de $10,000 en faveur de la Banque Nationale pour le parfait remboursement par la compagnie Pannonia Limitée, de Québec, de toutes sommes que la compagnie devait ou pourrait devoir dans la suite à ladite banque. La compagnie a fait faillite et s’est trouvée endettée envers la banque pour prêts, avances, escomptes et découverts, pour un montant excédant celui de la garantie; et la demanderesse appelante, qui est maintenant aux droits et obligations de la Banque Nationale, réclame donc de tous les garants le montant de la garantie en principal et intérêts.

[Page 301]

L’intimée a plaidé qu’elle a signé les actes pour se rendre au désir de son mari, sans rien connaître de leur contenu ou de leur objet, non plus que des affaires de la compagnie Pannonia; qu’elle est séparée de biens de son mari; et que ces

actes de garantie constituent des cautionnements dans lesquels la demanderesse s’oblige avec et pour son mari en contravention à l’article 1301 du code civil.

La Cour Supérieure a déclaré les actes de garantie nuls d’une nullité absolue quant à l’intimée, et a rejeté l’action de la banque contre cette dernière. Ce jugement a été unanimement confirmé en appel, pour les motifs qu’il s’agissait d’une obligation contractée par une femme mariée “avec” son mari; et, en outre, qu’en s’engageant en l’occurrence conjointement et solidairement avec lui, elle s’obligeait aussi pourlui.

L’appelante nous demande d’infirmer ces deux jugements en nous soumettant qu’il ne s’agit pas, au sens légal, d’une obligation contractée par une femme mariée avec ou pour son mari”, mais d’une garantie pour un tiers: la compagnie Pannonia. Elle ajoute que l’intimée était actionnaire de cette compagnie et qu’en devenant garante, l’intimée s’est obligée pour sa propre affaire.

L’article 1301 C.C. est sans doute l’un des plus connus du code civil; mais, pour l’intelligence de la discussion, il vaut mieux en citer le texte une fois de plus:

1301. La femme ne peut s’obliger avec ou pour son mari, qu’en qualité de commune; toute obligation qu’elle contracte ainsi en autre qualité est nulle et sans effet, sauf les droits des créanciers qui contractent de bonne foi.

Nous avons vu que l’intimée est séparée de biens. Elle rencontre donc une première condition de l’application de l’article; elle n’a pu s’obliger, et elle ne s’est pas obligée, en qualité de commune”.

A première vue, elle ne s’est pas non plus obligée pour son mari. Elle s’est portée garante pour la compagnie Pannonia. Ce point, cependant, n’est pas aussi clair que s’il s’agissait d’un tiers qui fût absolument indépendant du mari. Le mari était actionnaire dans la compagnie. La preuve n’établit pas si ses actions étaient payées entièrement ou si elles étaient encore sujettes à appel. Si le mari les avait complètement payées, il avait tout de même des intérêts dans la compagnie. La situation n’est pas strictement

[Page 302]

la même que s’il s’agissait du cas où la femme aurait garanti la dette d’un tiers, dans laquelle le mari n’aurait aucune espèce d’intérêt. Dans l’examen de ce litige, l’on ne saurait écarter cet aspect de la, question.

Nous ne croyons pas, cependant, que le seul fait que la femme s’est portée garante conjointement et solidairement avec son mari soit suffisant pour dire que, par là. elle s’est obligée pour lui. Il est vrai que, par suite de la solidarité. elle pourra être appelée à payer le plein montant de la dette; mais c’est là une conséquence de la nature de l’obligation qu’elle a personnellement contractée. Elle s’est portée garante solidairement. La loi veut que dans ce cas elle soit passible du paiement de toute la dette. En s’acquit-tant, elle ne paie pas pour un autre; elle satisfait pour elle-même l’obligation qu’elle a contractée. C’est seulement lorsque

l’affaire pour laquelle la dette a été contractée solidairement ne concerne que l’un des codébiteurs (que) celui-ci est tenu de toute la dette vis-à-vis des autres codébiteurs qui ne sont considérés par rapport à lui que comme ses cautions (art. 1120 C.C.).

Si l’intimée payait la dette de la compagnie Pannonia, elle ne paierait pas à titre de caution de ses autres codébiteurs solidaires, ni par conséquent de son mari. Elle n’est considérée la caution que de la compagnie Pannonia.

Les avocats de l’intimée nous ont fait remarquer que cette obligation l’exposait à rembourser à son mari une partie des frais qu’il aurait lui-même encourus dans des procédures instituées contre lui pour le recouvrement de la dette. En effet,

l’obligation contractée solidairement envers le créancier, se divise de plein droit entre les codébiteurs, qui n’en sont tenus entre eux que chacun pour sa part (art. 1177 C.C.).

Cela ne veut pas dire que, en tout état de cause, le codébiteur solidaire qui se laisse poursuivre aura contre les autres un recours pour ses frais. En général, ces frais auront été encourus par sa propre faute et il devra seul les supporter. En principe, ces frais ne sont que l’accessoire de la dette; ils ne peuvent en changer la nature; et cette considération ne saurait affecter la discussion.

H ne manque pas d’arrêts dans la jurisprudence de la province de Québec où la femme mariée a été condamnée, malgré que son obligation fût solidaire avec son mari. Nous pourrions citer mainte et mainte cause où elle a été

[Page 303]

tenue responsable pour avoir signé des billets provisoires avec lui. Il suffira de rappeler le jugement du Conseil Privé dans la cause de La Banque d’Hochelaga v. Jodoin[13]. En cette affaire, les exécuteurs testamentaires de madame Jodoin poursuivaient la Banque d’Hochelaga en revendication de certaines actions de compagnies transférées à la banque en garantie de billets promissoires

signed by the husband in his own name and also in her name as her “procureur” or attorney.

Madame Jodoin était donc obligée solidairement avec son mari. Elle fut condamnée sur le motif que

the whole affair was the wife’s affair * * * The wife certainly had the benefit of the advances.

On voit que le fait de solidarité n’a pas empêché sa condamnation; l’existence de la solidarité n’a pas été jugée suffisante pour entacher d’illégalité l’obligation qu’elle avait contractée.

Il est juste de faire remarquer que, dans cette cause, il s’agissait également d’une obligation contractée par une femme mariée “avec * * * son mari”. Elle fut quand même tenue responsable par le Conseil Privé. Cela nous amène à examiner l’autre motif donné par la Cour du Banc du Roi en la présente cause pour confirmer le jugement de première instance.

La question présente de sérieuses difficultés et elle n’est pas sans avoir donné lieu à beaucoup de commentaires. Depuis le jugement du Conseil Privé dans la cause de Trust & Loan Company of Canada v. Gauthier[14], l’on peut dire que la jurisprudence est fixée sur l’interprétation que l’on doit donner à l’article 1301 C.C. lorsque la femme s’est obligée pour son mari. Il ne reste plus, dans ce cas, qu’à préciser la portée de l’amendement de 1904 qui a ajouté à l’article tel qu’il se lisait alors les mots. sauf les droits des créanciers qui contractent de bonne foi”. (4 Ed. VII, c. 42, s. 1.) Mais il est loin d’en être ainsi lorsqu’il s’agit d’une femme qui s’oblige simplement avec * * * son mari”; et le jugement en l’espèce paraît bien être allé plus loin qu’on l’a jamais fait sur cette matière.

Il est nécessaire de se rappeler que les statuts antérieurs au code défendaient à la femme mariée de se porter caution

[Page 304]

pour les dettes, obligations ou engagements contractés par le mari avant le mariage ou pendant la durée du mariage (4 Vict. c. 30, art. 36);

et, plus tard,

pour les dettes, engagements ou obligations qui pourront avoir été contractés ou faits en aucun temps pendant la durée de tout tel mariage (Statuts Refondus du Bas-Canada, c. 37, art. 55).

Le 12 mars 1853, la Cour du Banc de la Reine, en appel, à Montréal, dans la cause de Jodoin v. Dufresne[15], décida que la femme ne pouvait s’obliger avec son mari autrement qu’en sa qualité de commune en biens et que, dans l’espèce, un cautionnement par une femme, conjointement avec son mari, pour un tiers, était nul d’après les dispositions de l’ordonnance 4 Vict., c. 30, à laquelle il vient d’être référé. Suivant le rapport, qui est très succinct, l’intimée soutenait

que toute obligation consentie par la femme avec son mari pour un tiers est plutôt pour sûreté de l’obligation du mari que de celle du tiers.

C’est en se basant sur ce jugement, auquel d’ailleurs ils réfèrent dans leur projet, que les codificateurs proposèrent la rédaction de l’article 1301 C.C. tel qu’il se lit dans le code. Dans leur cinquième rapport (p. 214) ils expliquent que

Cet article est substitué au 1431e du Code Napoléon, qui est supprimé entièrement, vu que la règle qu’il contient a été changée par notre législation. (S.R.B.C., c. 37, s. 55.) D’après cette loi, de date comparativement récente (4 V. c. 30), la femme ne peut s’obliger pour son mari, que comme commune; toute obligation qu’elle contracte autrement est nulle. L’article du code, conforme à l’ancienne jurisprudence française, reconnaît la validité d’une telle obligation en faveur des tiers; seulement la femme, dans ce cas, a son recours contre le mari ou ses héritiers pour le montant qu’elle est appelée, même en renonçant, à payer en vertu de tels actes. Notre article est différent; l’acte par lequel la femme s’oblige pour son mari, ne la lie nullement si elle renonce. Les engagements qu’elle contracte avec son mari ont été, dans notre article, assimilés à ceux qu’elle contracte directement pour lui, d’après une présomption admise par les tribunaux, qui ont justement donné cette extension à la loi.

Il est donc certain que les commissaires chargés de codifier le droit civil ont interprété l’arrêt de Jodoin v. Dufresne15 comme une décision à l’effet que l’obligation de la femme mariée contractée avec son mari créait la présomption que c’était une obligation pour son mari. Il est non moins certain, quel qu’ait été le véritable sens de cet arrêt, que ces mêmes commissaires ont proposé à la législature d’accepter cette présomption admise par les tribunaux” et d’assimiler (c’est là l’expression dont ils se servent)

[Page 305]

les engagements que la femme mariée contracte avec son mariaux engagements que la femme contracte i directement pour lui”.

C’est dans ces conditions que la législature a adopté l’article 1301 C.C. tel qu’il était soumis par les codificateurs ; et l’on peut en conclure qu’il a été inséré dans le code avec l’esprit dans lequel il a été proposé.

Il convient de noter que l’arrêt de Jodoin v. Dufresne[16] a fait l’objet d’observations intéressantes dans Hamel v. Panet. On trouve le rapport officiel de cette cause devant le Conseil Privé dans 2 App. C. 121. Mais le volume 3 des Quebec Law Reports contient également, à la page 173, un rapport détaillé de la même cause devant la Cour Supérieure, la Cour du Banc de la Reine et le Conseil Privé. L’on y voit que plusieurs des juges ont émis des doutes sur la solidité de la décision dans Jodoin v. Dufresne16.

Le juge-en-chef Meredith, en Cour Supérieure, s’exprime comme suit:

I am not inclined to think that the provision of the Registry Ordinance, which is an exceptional law, ought to be so extended as to deprive a married woman of her common law right, in good faith, and with the express consent of her husband, to become surety for a debt really due by a third party * * *

The Court of Appeals, however, it seems, has held such a suretyship to be null.

En Cour du Banc de la Reine, monsieur le juge McCord ajoutait:

That section prohibits a married woman from incurring any liability for debts or obligations entered into by her husband, but it does not prohibit her from becoming liable for debts due by third parties * * *

She had a perfect right, with the consent of her husband, to become liable alone for her son’s debts, and that right could not be impaired by the fact that her husband likewise became surety.

Enfin le Conseil Privé, parlant par la bouche de Lord Selborne, fait le commentaire suivant:

By the law of Lower Canada (it is not necessary to refer to the text), it is provided that a married woman shall not become surety for the debts of her husband; and it has been decided upon that law, in the case of Jodoin v. Dufresne (1)16, that all engagements, though with third parties and not creditors immediately of the husband, which the wife enters into concurrently with the husband, are to be treated constructively as his liabilities; that is to say, that the contract, whether it be of suretyship for somebody else or of any other kind, is to be treated as primarily his contract, and the wife as brought in by him. to secure the liability

[Page 306]

which he is going to contract. Their Lordships wish it to be distinctly understood that they express no opinion upon the question, whether that case of Jodoin v. Dufresne17 was well decided or not. It is not in their opinion now necessary to say a word which will detract from its authority, whatever that may be; but they also desire to say nothing which can be deemed to add to its authority.

(Dans le rapport officiel, ce passage se trouve aux pages 152 et 153.)

Mais, comme on le voit, les doutes ou les réserves exprimés dans les passages des jugements que nous venons de reproduire s’adressaient à la législation antérieure au code (4 V. c. 30 et S.R.B.C. c. 37). C’est cette législation que les tribunaux étaient chargés d’appliquer, tant dans la cause de Jodoin v. Dufresne[17] que dans la cause de Hamel v. Panet (2)[18]. L’on ne peut en tenir compte pour interpréter l’article 1301 du code civil, en présence de la déclaration des codificateurs que cet article est une modification, ou, si l’on veut, une “extension” à la loi antérieure, par laquelle ils adoptent la présomption admise dans la cause de Jodoin v. Dufresne17. Ils déclarent vouloir “assimiler” les engagements que la femme contracte avec son mari aux engagements qu’elle contracte directement pour lui. A partir de ce moment, il ne s’agit plus d’un simple jugement que l’on peut continuer de discuter et que les tribunaux supérieurs peuvent infirmer. Le principe posé dans ce jugement a été incorporé dans la loi et il ne reste plus qu’à l’appliquer.

Dans les circonstances, interpréter le mot avecdans l’article 1301 C.C. comme ayant le même sens que pourserait aller à l’encontre de la déclaration des codificateurs dans leur rapport et contreviendrait à la règle que le législateur n’est jamais présumé parler pour ne rien dire, d’où il faut conclure qu’en ajoutant le mot “avec” au mot pour”, ils ont voulu indiquer quelque chose de plus que pourle mari. C’est ce qui fait dire aux Lords du Conseil Privé (Trust & Loan Co. v. Gauthier[19]):

Their Lordships cannot accede to the argument that the language used and deliberately adopted in the code must be narrowed and held to have no greater effect than the previous law for which it has been subtituted.

Une discussion intéressante s’est élevée parmi les commentateurs de l’article 1301 C.C., ainsi que dans les arrêts

[Page 307]

des tribunaux, sur la question de savoir si les mots avec son mari” créaient une présomption juris et de jure ou seulement une présomption juris tantum. Nous mentionnons la chose pour indiquer qu’elle ne nous a pas échappé et, incidemment, pour déclarer que nous n’entendons pas trancher le débat dans le présent jugement, qui s’appuie sur d’autres considérations.

Il nous faut cependant écarter de ce débat l’argument tiré des nombreuses décisions où la femme mariée, nonobstant le fait qu’elle s’était obligée avec son mari, a été tenue responsable, lorsque l’obligation avait été contractée pour ses propres affaires ou, au moins, lorsqu’il a été démontré qu’elle en avait retiré le bénéfice. (N.B. La plus notoire est celle de La Banque d’Hochelaga v. Jodoin[20], déjà citée.) Tous ces jugements peuvent s’expliquer par le motif que ces cas ne tombent vraiment pas sous l’article 1301 du code civil. Cet article défend à la femme de “s’obliger”, et les codificateurs ne se sont pas expliqués sur le sens qu’ils donnaient à ce mot dans leur projet. Mais, d’autre part, il résulte du passage de leur rapport que nous avons reproduit plus haut qu’en employant le mot obliger”, ils n’ont pas entendu introduire à cet égard une innovation dans le code. Ils ont soin de déclarer que la seule extension à la loidans leur projet est l’addition du mot “avec” aux mots “pour son mari”. Or, il est conforme à l’histoire de cette législation, depuis le droit romain jusqu’aux statuts antérieurs au code, de comprendre, par l’expression “s’obliger” de l’article 1301 C.C., uniquement le cautionnement de la femme avec ou pour son mari.

Cette interprétation est maintenant fixée dans la jurisprudence (Lebel v. Bradin, Cour du Banc du Roi[21]; Laframboise v. Vallièr es[22]; Banque Canadienne v. Carette[23]. Voir 4 Ed. VII, c. 42, qui déclare que l’article 1301 C.C. ne s’est jamais appliqué aux achats, ventes ou échanges d’immeubles, ni aux baux emphythéotiques faits par la femme mariée). Il en résulte que l’obligation de la femme mariée pour ses propres affaires ou pour son propre compte, qu’elle soit ou non commune avec son mari, n’étant

[Page 308]

jamais, à proprement parler, un cautionnement de sa part, ne constitue pas un acte où elle s’obligeau sens de l’article 1301 C.C. et ne tombe pas sous le coup de cet article.

Le principe que l’engagement de la femme mariée n’est pas nul, bien qu’elle se soit obligée avec son mari, s’il apparaît qu’il a pour objet ses propres affaires, ou que la femme en a tiré profit, est de jurisprudence constante. Cependant, pour les raisons que nous venons d’en donner, ce principe ne saurait être considéré comme une exception à l’article 1301 C.C. introduite par les tribunaux. C’est plutôt, dans chacun de ces cas, une constatation que l’obligation n’est pas un cautionnement et que, ne l’étant pas, elle n’est pas couverte par l’article du code.

En plus, il est très important de se rappeler que l’article 1302 du code civil suppose le cas où le mari s’oblige pour les affaires propres de sa femme”, et fournit donc un exemple d’une obligation de la femme avec son mari, qui n’est pas entachée d’illégalité. Comme nous le fait observer monsieur le juge Monk dans Mailhot v. Brunelle[24]:

There is nothing in the law which prevents a wife from borrowing money. The mere circumstance of the husband being jointly and severally bound with the wife does not indicate that there is any illegality in the transaction. The wife cannot become security for her husband, except as “commune en biens”, but the husband may be jointly and severally bound with the wife where it is her debt.

Comme nous l’avons mentionné, cependant, il est arrivé rarement que nos tribunaux aient eu à appliquer l’article 1301 C.C. d’une façon aussi rigoureuse que dans le cas qui nous occupe. Nous avons repassé attentivement tous les arrêts sur lesquels le savant procureur de l’intimée a attiré notre attention, dans son factum et à l’argument, à l’appui de ses prétentions. Le motif de chacun de ces jugements est que l’emprunt a été fait pour les affaires du mari; l’argent prêté a servi pour le mari ou, au moins, il n’a pas été prouvé que la femme a eu le bénéfice de cet argent.

Pour ne citer que les deux arrêts sur lesquels peut-être le savant procureur a le plus insisté:

Dans la cause de Ledere v. Ouimet[25], l’obligation d’une femme mariée séparée de biens résultant de l’endossement

[Page 309]

“pour aval” d’un billet promissoire fait conjointement avec son mari fut déclarée nulle. Le jugement fait voir

que le billet en question représentait la valeur de marchandises vendues et livrées par les demandeurs au défendeur (i.e. le mari) Moïse-Arthur Ouimet seul.

Le billet avait donc été donné pour les affaires du mari. En plus, la femme avait endossé le billet, et le jugement déclare que sa signature considérée comme un endossement ordinaire

se trouve avoir cautionné l’obligation de son mari qui était l’endossement la précédant sur le billet; et que si, au contraire, cette signature ne doit être considérée que comme un aval, la défenderesse se trouve avoir contracté conjointement avec son mari une obligation qui ne concerne pas ses affaires à elle.

L’autre cause est celle de Gagnon v. Boivin[26]. L’action était en recouvrement du solde du prix de vente d’un fonds de commerce constaté par les billets à ordre de la femme et diverses factures. Le motif du jugement est que la preuve a établi que les billets ont été signés par l’intimée sans considération pour elle-même et uniquement pour le bénéfice de son mari. C’est le mari seul qui faisait affaires; c’est lui qui, en fait, était le véritable commerçant; et la vente, bien que, en apparence, faite au mari et à la femme, était en réalité à lui seul.

Le premier élément dans la présente cause est que l’intimée s’est portée caution avec son mari pour la dette d’un tiers en une autre qualité que celle de commune en biens. De ce chef, la cause paraît donc de prime abord être régie par le principe général posé dans l’article 1301 du code civil (Lebel v. Bradin[27]).

Toutefois, l’intimée était actionnaire de la compagnie à l’égard de laquelle elle a signé les actes de garantie. Les circonstances qui ont entouré sa souscription aux actions de la compagnie ont donné lieu à certains commentaires de la part du juge de première instance qui indiqueraient qu’elle ne s’est guère rendu compte de l’opération dans laquelle elle s’engageait lorsqu’elle a consenti à devenir actionnaire; mais elle n’a pas demandé d’être relevée de sa souscription, et d’ailleurs elle n’aurait pu l’obtenir dans un litige engagé uniquement avec la Banque Canadienne Nationale. Elle doit donc être tenue pour actionnaire; et

 [Page 310]

il faut partir de là pour envisager la situation: l’intimée s’est portée caution des dettes d’une compagnie dans laquelle elle était actionnaire.

D’autre part, la preuve ne laisse aucun doute sur le fait qu’elle n’a certainement tiré aucun profit de l’obligation qu’elle a contractée.

Mais le mari de l’intimée était lui aussi actionnaire de la compagnie pour laquelle elle s’est portée caution. C’était tout autant, et plus (si l’on tient compte du nombre des actions), son affaire à lui que son affaire à elle. Il s’ensuit que tout en s’obligeant pour sa propre affaire elle s’est en même temps obligée pour son mari. C’est là, suivant nous, l’un des cas où la fonction du mot avecdans l’article 1301 C.C. entre en jeu et où son addition au mot pourrend l’article sûrement applicable. La femme et le mari avaient des intérêts conjoints dans l’affaire cautionnée et l’obligation que la femme a assumée était donc à la fois avecet pourson mari.

La cause qui nous paraît se rapprocher davantage de l’espèce actuelle est celle de Chapdelaine v. Vallée[28]. L’action était portée conjointement contre deux défendeurs, mari et femme séparée de biens, sur un écrit sous seing privé en vertu duquel ils promettaient

conjointement et solidairement payer la somme de $182 pour trois voitures achetées dudit André Chapdelaine, pour notre usage commun.

La Cour de Révision du district de Montréal a déclaré nulle l’obligation comme étant en contravention à l’article 1301 du code civil.

La conséquence de cette décision est que l’obligation contractée par la femme avec son mari est sans effet lorsqu’elle n’est pas uniquement pour sa propre affaire mais l’est également pour le compte de son mari.

C’est d’ailleurs la conclusion qu’il est possible de tirer du jugement de cette cour dans la cause de Klock v. Chamberlin[29], où l’argent prêté sur vente à réméré avait été remis à la femme mariée; mais où il était démontré qu’une très grande partieavait servi à payer les dettes du mari. C’est sûrement ce que dit Lord Lindley, en rendant le jugement du Conseil Privé dans la cause de Trust & Loan Company v. Gauthier[30], lorsque, à la page 100, il s’exprime comme suit:

[Page 311]

Except in dealing with their common property, she is not to bind herself with him, i.e. she is not to join him in any obligation which affects him.

Et, plus loin, il se demande:

What then is meant by “for him”? Does it mean jointly with him, or as his surety and nothing more? or does it mean for him generally, i.e. in any way for his benefit?

Et il donne la réponse suivante (p. 101):

Their Lordships gather from the decisions referred to in the argument and in the published commentaries on the Code Civil that the words “for her husband” are now judicially held to mean generally in any way for his purposes as distinguished from those of his wife; and that ignorance on the part of her obligee (créancier) cannot avail him if it is proved that she in fact bound herself for her husband. These conclusions are in their Lordships’ opinion sound and in accordance with the language of art. 1301 and with its evident object.

Notre conclusion est que, dans cette cause-ci, la Cour Supérieure et la Cour du Banc du Roi ont eu raison de considérer les actes de garantie consentis par l’intimée comme entachés de la nullité édictée à l’article 1301 du code civil.

Il reste toutefois à discuter la prétention de l’appelante qu’elle était une créancière de bonne foi et que, comme telle, ses droits sont sauvegardés par l’article.

Dans la cause de Lederc v. Bédard[31], la Cour de Révision à Québec (Dorion J.) s’est demandé quelle était la portée de cet amendement. Elle fait remarquer avec justesse qu’il

ne peut pas être question de bonne foi lorsque le contrat prend la forme d’un cautionnement par la femme de l’obligation du mari. C’est là ce qui est expressément prohibé par la loi.

Lorsque l’obligation a été contractée avec le mari, l’amendement vient certainement confirmer le droit du créancier de prouver que la femme s’est obligée pour sa propre affaire. Mais ce droit avait déjà été reconnu au créancier par la jurisprudence.

Il reste le cas où la femme mariée s’oblige seule avec l’autorisation de son mari. Les tribunaux ont toujours annulé cette obligation lorsqu’il était démontré à leur satisfaction que, nonobstant ses termes apparents, l’obligation avait été assumée par la femme, suivant l’expression du Conseil Privé “in any way for her husband’s purposes”. Mais le jugement du Conseil Privé dans lequel cette expression se rencontre (Trust & Loan v. Gauthier)[32] ajoutait :

[Page 312]

Ignorance on the part of the lender that the money was borrowed for the husband’s purposes is of no avail, and the burden is on him to prove that it was not so borrowed.

Ledere v. Bédard[33] a donc décidé que l’amendement de la loi 4 E. VII c. 42, s. 1 fait naître la présomption que le prêt fait à la femme séparée seule, quoique autorisée de son mari, lui a profité à elle-même. Par suite, si elle invoque la nullité de son obligation pour violation de l’article 1301 C.C., c’est sur elle que tombe le fardeau de la preuve que le prêt a profité à son mari à la connaissance du prêteur.

A son tour, la Cour de Révision, à Montréal, dans la cause de Laberge v. Vezeau[34], considère que les éléments de la bonne foi, dont parle l’amendement, peuvent consister dans le paiement fait par le créancier directement à la femme elle-même et dans l’ignorance du prêteur que l’argent avancé par lui est pour l’avantage du mari. Dans ce cas, il y a présomption que le prêt fait à la femme seule, séparée de biens et autorisée par son mari, n’a profité qu’à elle-même; et la femme qui invoque la nullité de son obligation pour violation de l’article 1301 C.C. doit prouver que le prêt a profité à son mari à la connaissance du prêteur.

Le jugement de la Cour du Banc du Roi dans la cause de Lebel v. Bradin[35], dont nous avons déjà parlé, contient une étude très complète de toutes les questions qui se soulèvent en vertu de l’article 1301 C.C. et de l’amendement de 1904. Sa conclusion est que, sous l’effet de cet amendement, le créancier qui prête à la femme mariée séparée de biens seule, pour être réputé de bonne foi, doit verser le produit de l’emprunt à la femme elle-même, et il doit ignorer et n’avoir aucune raison de croire que cet argent pourra servir les intérêts du mari. Le créancier, dans ce cas, n’est pas responsable si subséquemment la femme remet les fonds empruntés à son mari; car depuis l’amendement il n’est plus tenu de surveiller l’emploi des deniers provenant du prêt qu’il lui a fait.

Il n’est pas nécessaire de dire que les définitions que nous venons de rapporter épuisent tous les cas où le créancier pourra, en vertu de l’amendement, établir une bonne

[Page 313]

foi suffisante pour sauvegarder ses droits à l’encontre de la nullité édictée par l’article 1301 C.C. Mais à la suite de ces définitions, l’on doit sûrement décider qu’il ne peut être question de bonne foi dans le cas d’une obligation contractée expressément par la femme séparée pour son mari. Dans le cas d’une obligation contractée par la femme mariée seule, soit expressément soit apparemment pour elle-même, les droits du créancier seront sauvegardés même si l’argent est subséquemment employé pour les fins du mari, lorsque les circonstances établiront les éléments de bonne foi indiqués par la Cour du Banc du Roi dans la cause de Lebel v. Bradin[36].

Dans le cas où la femme s’oblige avec son mari, l’amendement permet d’établir la bonne foi du créancier. Mais la loi présume contre lui; et c’est donc à lui qu’il incombe de la prouver.

Nous ne trouvons pas, en l’espèce, la rencontre des éléments nécessaires pour arriver à la conclusion que l’appelante peut invoquer le bénéfice de l’amendement. Dès l’époque où furent signés les deux actes de garantie, elle connaissait toutes les circonstances qui entraînent la nullité de ces actes: le fait que l’intimée était mariée à l’un des co-signataires et le fait que son mari était actionnaire dans la compagnie pour laquelle elle se portait caution. Par suite, il est impossible de dire que l’appelante a contracté de bonne foi. Il s’agit, bien entendu, de la bonne foi au sens légal et suivant le texte de l’article 1301 du code civil.

Nous concluons donc que l’appel doit être rejeté avec dépens.

Appeal dismissed with costs.

Solicitors for the appellant: Gérin-Lajoie & Beaupré.

Solicitors for the respondents: Prévost, Taschereau & Bresse.



[1] (1930) Q.R. 49 K.B. 67.

[2] (1930) Q.R. 49 K.B. 67, at 68.

[3] (1914) Q.R. 46 C.S. 511.

[4] (1929) Q.R. 48 K.B. 572.

[5] (1930) Q.R. 49 K.B. 67.

[6] S. 27. 1. 56.

[7] D.P. 58. 1. 104.

[8] D.P. 1873. 1. 438.

[9] D.P. 1879. 1. 158.

[10] S. 1885 1. 61.

[11] S. 78. 1. 341; S. 79. 1. 252.

[12] S. 27. 1. 56.

[13] [1895] A.C. 612.

[14] [1904] A.C. 94.

[15] (1853) 3 L.C.R. 189.

15 (1853) 3 L.C.R. 189.

[16] (1853) 3 L.C.R. 189.

16 (1853) 3 L.C.R. 189.

16 (1853) 3 L.C.R. 189.

17 (1853) 3 L.C.R. 189.

[17] (1853) 3 L.C.R. 189.

[18] (1876) 3 Q.L.R. 173.

17 (1853) 3 L.C.R. 189.

[19] (1904) A.C., at 101.

[20] [1895] A.C. 612.

[21] (1913) 19 R.L.N.S. 16.

[22] [1927] Can. S.C.R. 197.

[23] [1931] Can. S.C.R. 33

[24] (1870) 15 L.C.J. 197.

[25] (1890) 19 R.L. 78.

[26] (1927) Q.R. 44 K.B. 160.

[27] (1913) 19 R.L.n.s. 16 at 33.

[28] (1886) 16 R.L. 51.

[29] (1887) 15 Can. S.C.R. 325.

[30] [1904] A.C. 94.

[31] (1913) Q.R. 45 S.C. 129.

[32] [1904] A.C. 94.

[33] (1913) Q.R. 45 S.C. 129.

[34] (1911) Q.R. 40 S.C. 224.

[35] 19 R.L. n.s. 16.

[36] (1913) 19 R.L.n.s. 16.

 You are being directed to the most recent version of the statute which may not be the version considered at the time of the judgment.