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Supreme Court of Canada

Transfer of shares—Certificate remaining with transfer or—Consideration— Services rendered—Donation—Remuneratory donation—Amount transferred exceeding value of services—Nullity—Arts. 754, 776, 804, 806 808 C.C.

The respondent is a broker dealing in bonds and industrial securities and for some years had business transactions with one P.D. by way of exchanging, selling or buying bonds for him. Some time before his death, P.D. signed a blank form generally known as a “Power of Attorney for transfer of bonds”, thus transferring to the respondent 180 shares of a certain industrial company valued at $18,000; and, on the same date, the respondent “accepted the * * * shares (therein) mentioned and so transferred.” P.D. retained possession of the certificate of shares until his death. The respondent then claimed, by an action in revendication, from the appellants, the testamentary executors

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of the estate of P.D., the ownership and possession of the certificate. In his pleadings as well as in his testimony at the trial, the respondent alleged that he had attended to the business of P.D. for many years and had never been paid for his services; that in acknowledgment and in payment of the services thus rendered, P.D. made several wills in which he favoured the respondent but which were revoked owing to the influence of M., one of the appellants; that, in lieu of the legacies, P.D. had transferred the above shares to respondent, the whole transaction to be kept secret in order to avoid any intervention from M.; and that it was for that reason that P.D. did not hand over to the respondent the certificate of shares to be registered.

Held that the transfer of shares to the respondent fell within the category of remuneratory donations (donations rémunératoires), i.e., donations having for their object the compensation for services rendered by the donee to the donor. As the amount of the transfer to the respondent exceeded the value of the services rendered by him to P.D., the transfer was subject to the same formalities as those prescribed in the case of a gift inter vivos, which are of public order and prescribed by the code under pain of nullity. These formalities not having been fulfilled by the respondent, the gift must be declared null, reserving to the respondent any right he may have to make a claim for the value of his services.

APPEAL from the decision of the Court of King’s Bench, appeal side, province of Quebec, reversing the judgment of the Superior Court, Trahan J., and maintaining the respondent’s action in revendication.

The material facts of the case and the questions at issue are fully stated in the above head-note and in the judgment now reported.

Eug. Lafleur K.C. and P. St-Germain K.C., for the appellants.

Rod. Monty K.C., for the respondent.

The judgment of the court was delivered by

Rinfret J.Le demandeur-intimé revendique à titre de propriétaire un certificat portant le numéro Al12 pour cent quatre-vingts actions privilégiées du capital de la Compagnie de Ciment Nationale. Leur valeur nominale est de $100 chacune; et la preuve est à l’effet que, lors de l’institution de l’action, leur valeur totale était de $18,000.

La revendication de l’intimé s’appuie sur le document sous seing privé que voici:

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Procuration pour transfert d’obligations

Je soussigné Pierre Dionne, d’Iberville, déclare avoir cédé contre valeur, et je transfère par les présentes à Hortensius Béique, de Chambly Bassin, les actions privilégiées suivantes de La National Ciment Compagnie, 180 actions privilégiées de $100 n08 Al12, au montant global de dix-huit mille dollars et enregistrées en mon nom dans les livres de la Compagnie de Ciment Nationale, et je, par les présentes, constitue et nomme irrévocablement comme mon procureur le fiduciaire de la Compagnie de Ciment Nationale, lequel j’autorise à faire et signer pour moi et en mon nom tous les actes nécessaires pour effectuer le transfert desdites actions privilégiées et au besoin se substituer une ou plusieurs personnes, avec les mêmes pouvoirs. Je ratifie et confirme d’avance tout ce que mondit procureur ou son délégué feront légalement en vertu des présentes.

En foi de quoi, j’ai signé à Iberville ce vingt-septième jour d’août 1925.

Pierre Dionne.

Le 27 août 1925.

Témoin:J’accepte les actions privilégiées ci-dessus mentionnées et leur transfert.

Hortensius Béique.

En apparence, ce document implique une vente ou au moins une dation en paiement par Dionne à Béique. C’est ainsi que l’a vu la Cour du Banc du Roi; et, comme conséquence, elle a été amenée à décider que la revendication du certificat d’actions était justifiée.

Mais la Cour Supérieure avait envisagé la cause d’une façon différente. Béique est un courtier en obligations; et, à l’époque, il était l’agent d’une maison de finance qui faisait le commerce des actions et des obligations par ventes ou par échanges. Le juge de première instance a été d’avis que l’écrit dont il s’agit eût pu être traité comme une constitution de pouvoirs par Dionne en faveur de Béique pour lui permettre d’échanger les 180 actions privilégiées de la Compagnie de Ciment Nationale contre d’autres effets de corporations municipales ou de finance, de commerce ou d’industrie. Mais, d’après lui, la preuve démontrait que l’on était en présence d’une donation. Il l’a déclarée nulle parce qu’elle manquait des formalités essentielles.

C’est, suivant nous, dans ce dernier aspect de la cause qu’il nous faut chercher la solution qui nous est demandée. Nous n’avons pas à nous inquiéter de savoir ce qui serait arrivé si l’intimé s’en était tenu exclusivement au document que M. Dionne lui avait remis. Il ne s’en est pas tenu à cela, et il a lui-même placé le litige sur un autre terrain. Il a cru devoir déclarer la “valeur” qu’il avait donnée pour

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les actions privilégiées que M. Dionne lui a “transférées.” Voici comment il s’en est expliqué d’abord dans sa réponse écrite:

3. Pendant plusieurs années il a vu aux affaires dudit feu Pierre Dionne, s’en est occupé régulièrement et n’a jamais été payé de ses services, a fait des transactions pour lui sans n’avoir jamais reçu de commissions, alors qu’il aurait eu le droit de s’en faire payer par lui, le consultant continuellement; en un mot, il était son homme de confiance;

4. En reconnaissance et en paiement des services rendus et de ce qu’il lui devait pour les causes et raisons mentionnées dans l’allégué ci-dessus, ledit feu Pierre Dionne a fait plusieurs testaments dans lesquels il a avantagé le demandeur, mais il les révoquait parce que, disait-il, le défendeur Messier, aussitôt qu’il apprenait qu’il avait fait des testaments, avait assez d’influence auprès de lui pour les lui faire révoquer; à la fin, fatigué de voir que ledit défendeur Messier avait connaissance de ses testaments et les lui faisait révoquer, ledit feu Pierre Dionne, au lieu d’avantager le demandeur dans son dernier testament, lui transporta les actions mentionnées dans * * * la déclaration en disant au demandeur qu’il n’y aurait que lui qui connaîtrait le transfert desdites actions qu’il lui faisait, et que, si d’autres en avaient connaissance, c’est que le demandeur en aura parlé, car personne autre que lui ne serait au courant de ce transfert avant sa mort; c’est pourquoi ledit feu Pierre Dionne n’a pas remis au demandeur ledit certificat A 112 pour lesdites actions, afin que le demandeur ne puisse en opérer l’enregistrement, tel enregistrement devant avoir pour effet de faire connaître ledit transfert audit défendeur Messier;

5. Ledit transfert a été donné en reconnaissance et en paiement des services rendus par le demandeur audit feu Pierre Dionne.

Puis, en réponse spéciale à l’objection des appelants que le prétendu transfert invoqué par l’intimé était absolument informe et insuffisant à sa face pour constituer une donation valable: qu’en outre il n’avait pas été enregistré au désir de la loi, ce qui rendait absolument nulle une donation mobilière de ce genre, l’intimé a admis que le transfert n’avait pas été enregistré, en ajoutant cependant qu’il n’avait pas besoin de l’être.

Au procès, voici comment Béique a relaté les circonstances qui avaient accompagné la remise du transfert par M. Dionne:

Voici, Monsieur Dionne m’avait dit qu’il me paierait tout mon travail que je faisais pour lui d’un seul montant, comme je viens de le dire, d’un seul coup, alors un jour il me dit qu’il m’avait placé sur son testament, alors quand j’ai vu que M. Dionne était disposé à me payer le travail que je ferais pour lui, j’ai laissé faire dans ce sens là, et un jour en 1925 Monsieur Dionne s’est plaint à moi qu’il ne pouvait plus faire de testament en ma faveur, ou qui m’avantagerait, sans qu’un nommé “Messier le sache et vienne chez lui l’influencer pour me faire sortir de son testament, par des menaces, etc., il me dit je ne peux plus dormir c’est toujours à recommencer à tous les soirs, ça fait 7 à 10 fois que je change, il le sait, en parlant de Messier, il le sait toujours, et c’est toujours

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à recommencer, là il me dit: “Je vais régler mes affaires avec vous, je vais vous enlever de sur mon testament, et je vais vous faire un transfert d’un montant pour régler ma dette envers vous,” alors il m’a demandé là de lui préparer un document dans ce sens là, j’ai pris un blanc de papier pour préparer cela à sa demande, ça demandait peut-être quelqu’un de plus que moi en loi pour faire cela, mais enfin, en regardant mes papiers j’ai vu une formule de transfert que j’avais dans ma poche, et après lui avoir lu cette formule j’ai demandé à M. Dionne si c’était bien cela qu’il voulait faire transporter, il m’a dit c’est bien cela, je lui ai dit je vais me servir de ce blanc de transfert qui est déjà imprimé afin que vous puissiez relire votre volonté plus facilement, alors j’ai rempli le document, le blanc de transfert, et là Monsieur Dionne m’a dit: “De cette manière là il n’y aura que vous et moi qui allons le savoir. Comme cela je serai tranquille,” il m’a dit “je vais signer ce transfert, et vous allez le garder, c’est votre paiement, dormez tranquille, vous serez payé, c’est votre paiement.”

Il ressort donc de la réponse écrite et du témoignage de M. Béique que ce dernier n’était pas très sûr de recevoir une rémunération pour les services qu’il prétendait rendre à Dionne. Il est possible que, pour une raison ou pour une autre, Dionne ait éprouvé de la reconnaissance pour Béique que, dans quelques-uns de ses testaments successifs, il appelait son “aide et bienfaiteur”. Il apprit à Béique qu’il l’avait “avantagé” dans son testament. C’est là que Béique vit, comme il le dit lui-même, “que M. Dionne était disposé à (lui) payer (son) travail”. Mais il n’y avait jamais eu entre eux de convention de paiement.

Le 27 août 1925, il lui aurait dit:

Je vais régler mes affaires avec vous. Je vais vous enlever de sur mon testament et je vais vous faire un transfert d’un montant pour régler ma dette envers vous.

Cette déclaration que Béique met dans la bouche de M. Dionne ne cadre pas avec les faits, car, à cette date, Béique avait cessé de figurer comme légataire sur les testaments de M. Dionne depuis le 26 décembre 1924. Ce jour-là, M. Dionne fit un testament où Arsène Messier, l’un des appelants, est institué légataire universel, les deux appelants, sont nommés exécuteurs testamentaires, et l’intimé ne figure en aucune façon même à titre de légataire particulier.

Il ressort encore de la réponse écrite et du témoignage de Béique que le document qu’il invoque maintenant comme transfert des actions de la Compagnie de Ciment Nationale lui aurait été donné en reconnaissance de certains services et fut substitué aux libéralités testamentaires dont Dionne avait jugé à propos de le gratifier. Enfin, le transfert des actions devait rester secret jusqu’à la mort de Dionne.

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Il est très certain que jusque-là Béique n’avait jamais discuté avec Dionne la question de savoir s’il serait rémunéré pour ses services. Aucun compte ne fut jamais présenté. Aucun montant ne fut jamais mentionné. S’il fallait s’en rapporter aux nombreux testaments, l’on voit que Dionne lui-même n’avait aucune idée arrêtée sur le montant qu’il entendait donner à l’intimé. Le 3 septembre 1924, Béique avait un legs de $5,000 et il devenait légataire résiduaire et exécuteur testamentaire. Le 6 septembre 1924, il n’était plus rien et il n’avait aucun legs. Le 9 septembre 1924, il obtenait un legs particulier de $10,000 et il était nommé légataire résiduaire et exécuteur testamentaire conjointement avec Arsène Messier. Le 10 octobre 1924, son legs particulier était réduit à $5,000 et il cessait d’être légataire résiduaire. Le 31 octobre, il réapparaissait comme légataire résiduaire de la moitié des biens de Dionne conjointement avec ses héritiers légaux; et il redevenait co-exécuteur testamentaire avec Arsène Messier. Le 12 décembre 1924, il n’était plus légataire résiduaire que pour un quart; et, enfin, le 26 décembre 1924 il disparaissait complètement du testament comme exécuteur testamentaire, comme légataire universel et comme légataire particulier. Il n’y eut plus d’autres testaments jusqu’au 27 août 1925, date du transfert que Béique invoque maintenant.

De toutes ces circonstances volontairement expliquées par l’intimé lui-même, il résulte que la disposition dont il a été l’objet de la part de Dionne rentre dans la catégorie des donations rémunératoires.

Laurent (vol. 12, 333) les définit ainsi:

333. Les donations rémunératoires sont celles qui ont pour objet de récompenser les services rendus par le donataire au donateur.

Ces donations peuvent se diviser en trois classes:

1. Celles où les services ne sont pas appréciables en argent. Dans ce cas, la disposition est une véritable libéralité et elle est soumise aux règles ordinaires des donations;

2. Celles où la donation n’excède pas la valeur des services. C’est un contrat onéreux qui peut être valablement fait sans observer les formalités des donations;

3. Celles où la donation excède les services. Elle n’a pas pour but seulement de payer le donataire, mais aussi de

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“témoigner par une libéralité la reconnaissance que le disposant ressent à raison de ces services”. Elles sont soumises aux formalités prescrites pour les donations entrevifs. (Fuzier-Herman, Répertoire du Droit français, nos 3448 et suiv.).

Il s’ensuit que, dans chaque cas de donation rémunératoire, il y a lieu d’établir la proportion entre les services rendus et la gratification dont le donataire est l’objet. Sans doute on sera moins exigeant quant à la preuve de ces services et à l’appréciation de leur valeur. Il ne s’agira pas de requérir entre eux et la rémunération une équivalence exacte et précise. Mais, d’autre part, l’on ne saurait dire qu’il appartient exclusivement au donateur de fixer souverainement cette valeur au montant qu’il entend accorder au donataire, que sa décision est définitive et défend de chercher la véritable nature et le vrai caractère de la disposition.

Autrement (comme le dit Pothier (Bugnet, 3e éd. vol. 8, p. 380), il aurait été au pouvoir du notaire et des contractants d’éluder, quand ils voudraient, la disposition de l’ordonnance (N.B. Il parle ici de l’ordonnance de 1731, art. 20, qui porte que “même les donations rémunératoires doivent être insinuées; l’art. 806 C.C. est au même effet) en insérant dans l’acte une énonciation de services qui, par la suite, serait devenue de style, et aurait rendu la loi sans effet.”

Sans doute, le donateur est libre de donner la somme qu’il veut; mais si elle est hors de proportion avec les services rendus, il ne fait plus un paiement, il fait une libéralité, et nous sommes alors en présence d’un acte de donation. Il ne peut déguiser sa libéralité sous la couleur d’un acte à titre onéreux et la soustraire par là aux prescriptions imperatives du Code.

Il ne faut pas oublier, en effet, que sous le Code civil (art. 754) “on ne peut disposer de ses biens à titre gratuit que par donation faite entrevifs ou par testament”; et les dispositions du code qui imposent aux donations une forme spéciale sont d’ordre public et s’appliquent à peine de nullité (Art. 776 C.C.).

La Cour du Banc du Roi, dans la cause de O’Meara v. Bennett[1], signale l’attitude des tribunaux de la province de Québec qui, d’une manière générale,

si elle ne le déclare pas formellement, semble du moins indiquer que les donations devraient suivre les règles générales d’un acte notarié et d’un

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enregistrement et que l’exception du second paragraphe de l’article 776, qui rend possible une dangereuse clandestinité, devrait être bien strictement interprétée.

Monsieur le juge Pelletier, qui fait cette remarque, ajoute:

L’esprit de notre loi, c’est que l’on doit disposer de ses biens par testament ou bien les laisser à ses héritiers légitimes en ne faisant pas de testament; et que, si on veut faire une donation entrevifs, on lui donnera l’authenticité et la publicité qui sont une protection nécessaire.

Et M. le juge Carroll, commentant l’article 808 du Code civil, dit:

Cet article contient une disposition de droit nouveau qui n’existe pas, ni dans l’ancien droit français, ni au Code Napoléon. Cet article décrète que les donations d’effets mobiliers sont exemptées de l’enregistrement, lorsqu’il y a tradition réelle et possession publique par le donataire.

En droit français, l’on n’exige, pour la validité de ces donations, que la tradition réelle seulement, tandis que notre droit a ajouté à cette condition de validité la possession publique par le donataire.

* * * * *

Je ne crois pas avoir besoin de définir ce que l’on doit entendre par possession publique; qu’il suffise de dire que la donation d’effets mobiliers pour être valable ne doit pas être clandestine et connue seulement du donateur et du donataire, comme dans ce cas-ci.

C’est à dessein que nous avons reproduit les passages qui précèdent pour démontrer jusqu’à quel point (sauf la question du don manuel qui ne se présente pas ici, puisqu’il n’y a pas eu tradition du certificat des actions) O’Meara v. Bennett[2], présente de l’analogie avec la cause qui nous occupe. Il n’est pas sans intérêt d’ajouter que cet arrêt fut approuvé par le Conseil Privé[3].

Le principe général de cette décision avait d’ailleurs été posé par le Comité judiciaire dès 1874 dans l’arrêt de Richer v. Voyer[4].

La différence entre les diverses classes de donations rémunératoires avait déjà été signalée par Pothier. Au volume 8 de l’édition Bugnet, n° 87, après avoir dit:

Il y avait peu lieu de douter que les donations rémunératoires, qui contiennent une énumération vague de services incertains, dussent être sujettes à l’insinuation * * *.

Il ajoute:

88. Il y aurait plus de difficulté à l’égard des donations qui seraient faites par récompense de services certains, et désignés par l’acte de donations. Néanmoins celles-ci sont aussi sujettes à l’insinuation, si les services, en récompense desquels la donation a été faite, quoique constants, sont des services qui ne sont pas appréciables à prix d’argent, et pour

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lesquels le donataire n’aurait aucune action contre le donateur pour en être récompensé; car, quoiqu’une donation faite pour récompense de tels services, ne soit pas si parfaite que la donation simple, néanmoins c’est toujours vraiment une donation, puisque le donateur donne, sans qu’il soit besoin de donner. C’est ici, liberalitas nullo jure cogente facta.

Que si les services, en récompense desquels la donation a été faite, étaient constants et appréciables à prix d’argent, mais que le prix desdits services fût inférieur en valeur à la chose donnée, ce serait encore une donation, qui, faute d’insinuation, serait nulle, sauf au donataire d’exercer ses actions pour se faire payer du juste prix des services rendus par lui.

En l’espèce, il s’agit donc de décider, à la lumière des principes qui précèdent, si le transfert que Dionne a fait à Béique était un contrat à titre onéreux ou une libéralité en tout ou en partie. Cette décision ne peut dépendre évidemmentet c’est Pothier qui nous le rappelait plus hautdu nom dont les parties ont qualifié leur contrat, mais de la réalité du contrat qu’ils ont vraiment fait.

C’est là (nous dit Laurent (vol. 12, 336), une question de faits que les tribunaux décideront d’après les circonstances de la cause. Dans l’application, le juge est nécessairement influencé par les faits; les services sont-ils réels et méritent-ils une récompense, le juge cherchera à maintenir l’acte, alors même qu’il renfermerait un élément de libéralité; les services ne sont-ils pas établis, ou paraissent-ils suspects, le juge s’armera de la sévérité de la loi pour annuler la donation rémunératoire comme viciée en la forme.

C’est un principe reconnu par la Cour de cassation que le caractère rémunératoire d’une donation est laissé essentiellement à l’appréciation des juges du fonds (Schauer v. Fortmann)[5].

La Cour Supérieure a jugé qu’il ressortait

des circonstances révélées par la preuve que le demandeur est venu en possession de l’écrit sous seing privé (qui fait la base de son action) sans avoir fourni au dit Pierre Dionne bonne et valable considération.

Béique a entrepris de détailler les services qu’il prétend avoir rendus à Dionne. Il s’est surtout tenu dans les généralités. La description qu’il en a donnée fait plutôt penser à “l’énonciation vague de services incertains” dont parle Pothier. Les seules précisions qu’il ait fournies se rapportent à des transactions par lesquelles il a vendu à Dionne ou échangé pour lui des actions de compagnies industrielles ou des obligations de corporations municipales. Il agissait alors comme l’agent de la maison de finance qu’il représentait et il fut payé par cette maison; ou il agissait comme courtier pour son compte personnel, et il a perçu les commissions que les courtiers reçoivent d’ordinaire en pareils

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cas. Dans ces derniers cas, il a même remis à Dionne la moitié de sa commission. A cet égard, on peut dire qu’il devait être très content d’avoir la clientèle de Dionne et que cela fut très avantageux pour lui.

En outre, Béique s’est occupé d’un procès intenté par Pierre Dionne pour faire annuler un acte de donation. Il paraît avoir fait certaines tentatives, qui ont d’ailleurs échoué, pour effectuer le règlement de ce procès. Ce sont là tous les services dont Béique parle dans son témoignage. Ce sont les seuls, en tout cas, dont il y ait au dossier la moindre preuve susceptible d’être appréciée par une cour de justice. Ils sont hors de toute proportion avec le montant des actions qui ont été données. Béique estime que ces actions représentent une somme de $18,000. Il y a donc eu libéralité et donation et nous croyons que le juge du procès a fait une juste appréciation des faits sous ce rapport. A tout événement, la preuve qu’il avait devant lui était certainement de tel ordre qu’il ne conviendrait pas à un tribunal d’appel d’en faire une interprétation différente.

Ce n’est pas d’ailleurs ce que la Cour du Banc du Roi a fait. Elle a pris la position qu’il ne lui appartenait pas de s’enquérir de la valeur des prétendus services rendus par Béique, et que c’était exclusivement l’affaire de Dionne. Cela était vrai du moment que Dionne voulait faire une libéralité; mais, dans ce cas, il était obligé d’adopter la forme exigée par la loi.

Nous partageons donc l’avis de la Cour Supérieure sur cette question. D’accord avec la doctrine, nous prenons le point de vue le plus favorable à l’intimé. Pour les besoins de la cause, nous supposerons qu’il ait rendu quelques services. Le juge du procès a jugé que le transfert était sans considération aucune. Sans peut-être aller aussi loin, nous ne trouvons rien au dossier qui nous permette d’éviter la conclusion que ce transfert excède énormément les services auxquels Béique a référé dans son témoignage. Dans ces circonstances, l’opinion la plus accréditée et que nous adoptons, c’est que le contrat est indivisible et constitue une donation pour le tout. Il est soumis tout entier aux formalités des donations (Laurent, tome 12, 337). Le contrat que l’intimé invoque n’est donc pas en la forme voulue (Art. 776 C.C.). De plus, il n’a pas été enregistré

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au bureau du domicile du donateur, à l’époque de la donation (Art. 804 C.C.). Il était nécessaire qu’il le fût; et les appelants avaient intérêt à invoquer ce défaut (Art. 806 C.C.).

Nous sommes d’avis de faire droit à l’appel et de rétablir le jugement de la Cour Supérieure avec dépens dans toutes les cours.

Mais, pour le cas où il y aurait une part de rémunération réelle dans la donation que nous déclarons nulle, nous croyons devoir suivre la marche indiquée par Pothier dans le passage que nous avons cité plus haut (vol. 8, 88). Nous allons réserver à l’intimé la faculté “d’exercer ses actions pour se faire payer du juste prix des services” qu’il a pu rendre, s’il y a lieu.

Appeal allowed with costs.

Solicitors for the appellants: St. Germain, Guérin & Raymond.

Solicitors for the respondent: Monty, Duranleau, Angers & Monty.



[1] dans chaque cas

[2] Q.R. 28 K.B. 332.

[3] (1922) 1 A.C. 90.

[4] (1874) 5 R.L. 591; L.R. 5 P.C. 461.

[5] (1860) s. 62.1.599.

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