Supreme Court Judgments

Decision Information

Decision Content

Supreme Court of Canada

Marriage contract—Mutual donation—Usufruct—To take effect at death of one consort—Stipulation in favour of heirs “du côté estoc et ligne—Substitution—Right of “taking back” (droit de retour)—Biens propres de succession”Changes effected by the civil code in the law of ab-intestate successions—Arts. 599, 779 C.C.

A clause in a marriage contract provided for mutual and reciprocal donation between husband and wife of all the property belonging to the consort first dying to be enjoyed by the survivor in usufruct “pour après son extinction retourner les dits biens aux héritiers des dits futurs époux du côté estoc et ligne d’où ils procèderont.”

Held that this (Clause did not stipulate a right of “taking back” (droit de retour) within the meaning of art. 779 C.C. (or under the law preceding the civil code) in favour of the heirs at law of the line of the deceased consort.

Held, also, that a substitution, either vulgar or fiduciary, had not been created by the terms of the clause.

Held, further, that the last part of the clause constituted, under the law preceding the civil code, a stipulation of “biens propres de succession,” but that as to the succession of the last surviving son of the consorts, who died subsequently to the civil code, the new law of succession applied.

Judgment of the Court of King’s Bench, (Q.R. 39 K.B. 56) aff.

APPEAL from the decision of the Court of King’s Bench, appeal side, province of Quebec[1], reversing the judgment of the Superior Court at Montreal, and dismissing the appellant’s action en pétition d’hérédité.

On the 20th of February, 1859, one Raphael Dufort entered into a marriage contract with one Elmire Deslauriers, in which separation as to property was stipulated and a sum of $2,000 was settled by way of dowry upon the future wife, and the following clause appears: “En considération du dit futur mariage les futurs époux se sont fait et

[Page 102]

se font par ces présentes, l’un à l’autre et au survivant d’eux, ce acceptant, donation viagère, mutuelle, égale et réciproque de tous les dits biens meubles et immeubles généralement quelconques qui se trouveront appartenir au premier mourant d’eux au jour de son décès, de quelque nature et en quelques lieux et endroits qu’ils soient et en quoi qu’ils puissent monter et consister, pour en jouir par le dit survivant en usufruit seulement pendant sa vie à sa caution juratoire en faisant bon et loyal inventaire, tant que le dit survivant ne convolera pas en secondes noces; auquel cas de secondes noces, le dit usufruit sera éteint; pour après son extinction, retourner les dits biens aux héritiers des dits future époux du côté estoc et ligne d’où ils procèderont; cette donation vaudra qu’il y ait enfant ou enfants nés alors ou à naître du dit futur mariage, car ainsi, etc.” On the 23rd of February, 1859, the marriage took place. On the 16th of November, 1859, a son was born of the marriage, was baptised and given the name of his father, Raphael. On the 19th of February, 1863, another son was born, was baptised and received the name of Pierre Etienne. Pierre Etienne died on the 28th of September, 1864. His brother, Raphael, died on the 31st of December, 1878. Their father had died on the 30th of May, 1863. It would therefore appear that, after 1878, of the immediate family, there survived only the widow, the donee under the marriage contract. She died on the 17th of October, 1918, without having contracted a second marriage. On the 9th of July, 1912, she made her last will and testament, modified by a first and second codicil, dated respectively the 25th of January, 1914, and the 18th of December, 1914. The only relevant part of her testamentary disposition is the admitted fact that by the will she left to the female respondent, her niece, all the property of which she died possessed. The female respondent accepted the succession of her aunt and entered upon the possession of the property to her bequeathed. It is common ground that among the property taken possession of by respondent was the property owned by her deceased uncle, the husband of the testatrix, on the date of his death, and covered by the clause of the marriage contract. There were living at the date of the death of the

[Page 103]

testatrix some fifty-one nephews and nieces, among whom was the respondent. The appellant, a nephew of the deceased Raphael Dufort, brought the present action, in which he alleges the marriage contract, the marriage, the birth and death of the two sons, the death of the widow, the will made by the widow and the taking possession of the estate by respondent; and further alleges that Dame Elmire Deslauriers, by the terms of her marriage contract, was bound to preserve all the property, the usufruct of which only was given to her by her deceased husband, for that at the extinction or termination of the usufruct, the same should be handed over to the heirs at law “du côté estoc et ligne” of her late husband. The appellant further alleges that the usufruct of the properties found in the estate of Raphael Dufort. having terminated by the death of Madame Dufort, on the 11th of October, 1918, and inasmuch as the children born of the marriage were then dead, without issue, the property existing at the date of the death of Raphael Dufort, and still existing at the date of the death of Madame Dufort, returned to and became the property of the heirs at law of the “côté estoc et ligne” of the husband, the whole in accordance with the terms of the marriage contract. And the prayer of the action is that the appellant be declared to be the owner of an undivided 1/51 part of the estate of the late Raphael Dufort, and a partition of the said property be made and the respondent be ordered to render an account of the fruits and revenues of the said property during the period which she illegally held possession of it. The respondent pleads, practically admitting all the facts alleged, that the clause in the marriage contract relied upon by the appellant did not create a substitution; that the clause is null and of no effect; that Madame Dufort inherited from her children the property in question, that she became and was at the date of the making of her last will and testament, and at the date of her death, the absolute owner of the property, and that she possessed the power of disposing of the same by her will; and that the respondent in virtue of the will became vested with the absolute ownership of all the property.

Eug. Lafleur K.C. for the appellant.

Chs. Laurendeau K.C. for the respondent.

[Page 104]

The judgment of the court was delivered by

Mignault J.—L’appelant, neveu de feu Raphaël Bourget dit Dufort (que je vais appeler Raphaël Dufort), se pourvoit contre l’intimée par voie d’action en pétition d’hérédité et met en cause les autres neveux et nièces de Raphaël Dufort, lesquels, dit-il, sont, avec lui-même et l’intimée, ses plus proches héritiers. Sa part dans cette succession serait d’un cinquante-unième, et il demande le partage des biens qui en dépendent. La Cour Supérieure (DeLormier J.) a accordé ses conclusions, mais ce jugement a été infirmé par la Cour du Banc du Roi. De là l’appel.

Commençons par un rapide exposé des faits saillants de la cause.

Le 23 février 1859, Raphaël Dufort et Elmire Legault dit Deslauriers contractèrent mariage à Montréal, après avoir fait, le 20 février, un contrat de mariage devant L. S. Martin, notaire. Ce contrat stipulait séparation de biens, douaire préfix en la somme de $2,000, affectant un immeuble de l’époux situé au faubourg Saint-Antoine, à Montréal, et il contenait, en outre, la convention suivante qui a donné lieu au procès:

En considération du dit futur mariage les futurs époux se sont fait et se font par ces présentes, Fun à l’autre et au survivant d’eux, ce acceptant, donation viagère, mutuelle, égale et réciproque de tous les dits biens meubles et immeubles généralement quelconques qui se trouveront appartenir au premier mourant d’eux au jour de son décès de quelque nature et en quelques lieux et endroits qu’ils soient et en quoi qu’ils puissent monter et consister, pour en jouir par le dit survivant en usufruit seulement pendant sa vie à sa caution juratoire en faisant bon et loyal inventaire, tant que le dit survivant ne convolera pas en secondes noces; auquel cas de secondes noces, le dit usufruit sera éteint; pour après son extinction, retourner les dits biens aux héritiers des dits futurs époux du côté estoc et ligne d’où ils procèderont;

Cette donation vaudra qu’il y ait enfant ou enfants nés alors ou à naître du fit futur mariage, car ainsi, &c.

Raphaël Dufort décéda à Montréal le 20 mai 1863, laissant son épouse et deux enfants issus de son mariage avec cette dernière, savoir Denis-Raphaël, né le 15 novembre 1859, et Pierre-Etienne, né le 19 février 1863. Ces deux enfants sont décédés en minorité, le second le 28 septembre 1864, et l’aîné le 28 décembre 1878. Madame Dufort ne convola pas en secondes noces, et mourut à Montréal, le 11 octobre 1918, instituant l’intimée comme sa légataire universelle.

[Page 105]

Outre ce qui précède, l’appelant allègue que la veuve de Raphaël Dufort vendit sans droit pour $15,000 deux terres dont elle n’avait que l’usufruit. Il ne conclut cependant pas à l’annulation de la vente, probablement parce qu’on lui aurait opposé la prescription, mais il veut partager dans le prix. Quant aux autres biens laissés par Raphaël Dufort, l’appelant en demande le partage entre lui, l’intimée et les mis-en-cause suivant leurs droits respectifs.

Le code civil est entré en vigueur le 1er août 1866 et rappelant base ses prétentions sur le droit antérieur au code. Il faut cependant observer que le code ne contient pas véritablement un droit nouveau. Règle générale, ses dispositions sont déclaratoires du droit existant lors de la codification, sauf lorsqu’il innove expressément à ce droit. La matière des successions ab intestat est l’une de celles où il y a eu telle innovation, et c’est sous l’empire de l’ancien droit (je vais ainsi désginer le droit antérieur au code) que se sont ouvertes les successions de Raphaël Dufort et de son second fils, décédé en 1864. La succession ab intestat de son fils aîné, au contraire, s’est ouverte après la mise en vigueur du code civil, ce qui entraînera à son égard l’application des nouvelles règles adoptées par le code. Je reviendrai sur ce point.

Envisageant maintenant la clause que j’ai rapportée plus haut, il est évident qu’elle renferme une donation à cause de mort ou institution contractuelle, car elle ne porte que sur les biens qui se trouveront appartenir au premier mourant des époux au jour de son décès. Avant comme depuis le code les donations à cause de mort ont toujours été permises dans les contrats de mariage. Les parties envisagent cette clause, soit comme stipulant un droit de retour, soit comme créant une substitution fidéicommissaire, soit enfin comme ne conférant au survivant des époux qu’un simple droit d’usufruit, sans disposition quant à la nue propriété. Dans sa déclaration, l’appelant en parle comme d’une substitution, le jugement de la Cour Supérieure y voit un droit de retour, et la troisième solution est celle que l’intimée préconise et que la Cour du Banc du Roi a acceptée. Il reste toutefois une quatrième alternative, dont il n’a pas été question dans les jugements, de savoir si la partie finale de la clause n’a pas plutôt pour objet de créer des propres

[Page 106]

de succession. Je me propose d’examiner ces alternatives, ce qui entraînera la discussion de règles de droit abrogées par le code. Il est clair, en effet, qu’il faut entendre la clause dans le sens que lui donnait le droit coutumier français, car de même que les actes s’interprètent suivant la loi du lieu où ils sont passés (art. 8, C.C.), de même faut-il consulter la loi en vigueur lors de la passation d’un acte pour en déterminer la portée juridique.

Les parties nous ont cité quatre causes où il a été question d’une clause plus ou moins analogue: Barras v. Lagueux[2], Andrews J.; Théoret v. Chaurette, Cour de Revision[3]; H oude v. Marchand, Cour du Banc du Roi[4]; Tassé v. Goyer, Cour de Revision[5].

Dans la première espèce, le contrat de mariage antérieur au code ne stipulait pas le retour en faveur des héritiers de l’époux donateur, mais disait simplement que les biens retourneraient du côté de celui dont ils procédaient, et le juge Andrews a décidé qu’il n’y avait pas et ne pouvait y avoir de substitution. Dans les trois autres causes, les contrats de mariage étaient subséquents au code, et on avait stipulé que les biens retourneraient aux héritiers de l’époux donateur; la Cour du Banc du Roi, dans la cause de Houde v. Marchand[6], a décidé qu’il y avait substitution, mais la Cour de Revision s’est prononcée en sens contraire dans les deux causes jugées par elle. J’ai lu ces jugements bien attentivement, mais il me semble qu’il faut remonter plus loin pour trouver la solution du problème qui nous occupe.

Comme je l’ai dit, la Cour Supérieure a exprimé l’opinion qu’il y avait ici un droit de retour en faveur de ceux qui, à l’extinction de l’usufruit de Mme Dufort, se trouvaient les plus proches héritiers de feu Raphaël Dufort. La Cour du Banc du Roi, au contraire, a décidé que Mme Dufort n’avait qu’une droit d’usufruit que le contrat de mariage n’avait pas disposé de la nue propriété des biens grevés de l’usufruit, que cette nue propriété était dévolue aux deux enfants de Raphaël Dufort au décès de ce dernier, et que Mme Dufort l’avait recueillie comme héritière de ses enfants.

[Page 107]

Aucun des juges n’a vu dans la clause du contrat de mariage une substitution fidéicommissaire. Il est clair, en effet, qu’il ne peut être question de substitution si Mme Dufort n’avait qu’un droit d’usufruit, car en supposant même qu’il y aurait eu disposition de la nue propriété en faveur des héritiers de Raphaël Dufort par voie de retour conventionnel, nous n’aurions pas ici les deux donations portant sur la même chose qui sont de l’essence de la substitution.

Je suis également d’avis que la donation faite au survivant des époux ne porte que sur l’usufruit des biens et que partant il n’y a pas de substitution. Cette donation est dite être une donation viagère”, c’est-à-dire une donation pour la vie du donataire, et même celui-ci perd ses droits s’il convole en secondes noces. Du reste, il en jouit en usufruit seulement”, ce qui exclut l’idée d’une donation en pleine propriété à défaut de quoi il ne peut y avoir de substitution avec la charge de rendre qu’elle comporte.

Nous en venons maintenant à la partie finale de la clause,

pour après son extinction (de l’usufruit) retourner les dits biens aux héritiers des futurs époux du côté estoc et ligne d’où ils.

C’est là que la Cour Supérieure a trouvé qu’il y avait stipulation d’un droit de retour conformément à l’article 779 du code civil.

L’étude de cette question de droit de retour doit être combinée avec celle de la quatrième alternative que j’ai signalée plus haut, savoir si la partie finale de la clause du contrat de mariage ne doit pas être interprétée comme stipulant que les biens provenant de chacun des épouxcar il y est question des biens des deux épouxseront propres dans la succession de l’époux dont ils proviennent, et, dans l’espèce, dans la succession de Raphaël Dufort, le premier mourant. Dans l’ancien droit, la convention créant des propres de succession, appelés propres conventionnels”, et qui ne pouvait se faire que par contrat de mariage, avait un effet considérable dans les successions ab intestat.

Parlons d’abord du droit de retour. L’article 779 du code civilqui n’est pas indiqué comme étant de droit nouveau

[Page 108]

paraît admettre que ce droit soit stipulé en faveur du donateur ou des tiers. Cet article s’exprime comme suit:

779. Le donateur peut stipuler le droit de retour des choses données, soit pour le cas de prédécès du donataire seul, soit pour le cas du prédécès du donataire et de ses descendants.

La condition résolutoire peut dans tous les cas être stipulée soit au profit du donateur lui-même soit au profit des tiers.

L’exercice du droit de retour ou autre droit résolutoire a lieu en matière de donation de la même manière et avec les mêmes effets que l’exercice du droit de réméré dans le cas de vente.

Le droit de retour est plus étendu dans la province de Québec qu’en France où, par crainte des substitutions, les auteurs du Code Napoléon Font restreint au seul donateur (art. 951, C.N.). Le deuxième alinéa de notre article permet de stipuler le droit de retour au profit du donateur ou des tiers, mais la formule qu’il emploie semble envisager là condition résolutoire en général, dont le droit de retour, qui est certainement une condition résolutoire, n’est qu’une espèce. Cette généralité des termes de l’article 779 C.C. a attiré l’attention des Lords du Conseil Privé dans la cause de Herse v. Dufaux[7]. Je ne me propose pas de la discuter ici, car il est certain que le droit de retour peut être stipulé soit en faveur du donateur, soit au profit des tiers, y compris les héritiers du donateur envisagés séparément de celui-ci, et alors, puisqu’il est subordonné au prédécès du donataire, ou du donataire et de ses descendants, il opère comme condition résolutoire et anéantit, lorsqu’il s’accomplit, la donation elle-même. Mais ce qu’il convient de noter, c’est que lorsque le droit de retour est stipulé au profit d’autres personnes que le donateur, il rentre plutôt dans la catégorie des substitutions (Demolombe, t. 18, nos 110 et 111; Aubry & Rau, 5e éd., t. 11, p. 296) car, ainsi que le dit Troplong (Donations, t 3, 1267), le droit de retour fait remonter la chose vers sa source, c’est-à-dire au donateur, tandis que la substitution l’en éloigne. Or, ici, il n’y a certainement pas substitution, pas plus qu’il n’y a une condition résolutoire dont l’effet serait d’anéantir la donation. Il n’y a pas même une donation en pleine propriété au survivant, mais seulement un droit de jouissance, et il n’y a rien qui puisse faire retour du donataire aux héritiers

[Page 109]

du donateur. De quelque manière que j’envisage la clause, je ne puis y voir un droit de retour.

Reste l’hypothèse que la partie finale de la clause du contrat de mariage ne serait que la stipulation que les biens en question seront des propres de succession. La stipulation de propre, que Guyot, dans son Répertoire de Jurisprudence (vo. Réalisation, tome 14, pp. 456 et suiv.), appelait la clause de réalisation, était bien connue dans l’ancien droit où elle a donné lieu à de nombreuses controverses. Elle pouvait avoir pour but de modifier la communauté de biens entre époux, et sous cette modalité elle existe encore dans le droit actuel, ou bien de rendre des biens propres de succession, et dans ce cas elle ne se faisait que par contrat de mariage. On l’exprimait généralement en disant que certains biens, par exemple des meubles, seraient propres à l’un des époux, où lui sortiraient nature d’héritage, et son extension variait suivant qu’elle était stipulée en faveur de l’époux et des siens, par quoi on entendait les enfants, ou des siens et de ceux de son côté et ligne, et alors elle comprenait les enfants ou descendants et les collatéraux. (Voy., pour l’interprétation de ces expressions, Guyot, vo. Biens, tome 2, p. 348, 2e colonne; Pothier, Traité des Propres, n° 130, tome 8 de l’édition Bugnet.) Quand la clause de propre était stipulée au profit des siens et de ceux de son côté et ligne, le Répertoire de Guyot, l’article est de Merlin, l’appelait “la réalisation ou stipulation de propre au traisième degré: vo. Réalisation, parag. III, tome 14, p. 462.

Dire que les biens donnés à l’époux ou par lui retourneraient à ceux de son côté et ligne, c’était, dans l’ancien droit, stipuler que ces biens seraient propres de succession. On les appelait des propres fictifs pour les distinguer des propres réels. Guyot, vo. Réalisation, tome 14, p. 467, 1ère colonne, au bas de la page, cite un arrêt où il s’agissait de la clause suivante d’un contrat de mariage:

que le survivant (des époux) aurait l’usufruit des biens-fonds du prédécédé, et qu’en cas de non enfants, les biens retourneraient au côté et ligne dont ils seraient procédés.

Personne ne s’est avisé de croire que ce n’était pas là une clause de propre.

Du reste, l’article 94 de la Coutume de Paris se servait de la même expression retournerpour indiquer des propres

[Page 110]

de succession. Parlant des rentes constituées appartenant à des mineurs, et qui avaient été rachetées pendant leur minorité, cet article s’exprimait ainsi:

les deniers de rachat ou le remploi d’iceux en autres rentes ou héritages sont censés de même nature et qualité d’immeubles qu’étaient les rentes ainsi rachetées pour retourner aux parents du côte et ligne dont les rentes étaient procédées.

Et Pothier, ouvrage cité, n° 119, commentant ces mots pour retourner, etc.”, disait:

Elle (la coutume) fait assez connaitre par ces termes que ce qu’elle s’est proposé par cette disposition, est que le bien d’une ligne du mineur ne passe point à une autre ligne, et que le bien de chaque famille lui soit conservé.

C’était bien là, dans l’ancien droit, l’effet de la dévolution, par voie de succession ab intestat, de biens qui étaient propres de succession. Ils retournaient aux successibles du côté dont ils étaient procédés par application de la règle paterna paternis, materna maternis. Dans le contrat de mariage qui nous occupe, les parties n’ont pu envisager que la création de propres de succession, car elles excluaient la communauté de biens entre elles.

Je suis donc d’opinion que la clause dont il s’agit ici est une stipulation de propre. Une telle stipulation au profit des héritiers du côté et ligne de l’un des époux ne constituait pas une substitution en faveur de ceux-ci (Thevenot d’Essaule, éd. Mathieu, n° 239, p. 89). Et nous avons vu que ce n’est pas un droit de retour dans le sens envisagé par l’art. 779, C.C.

J’ai à peine besoin de dire que ces stipulations de propre avaient une portée considérable dans l’ancien droit, mais seulement, comme je l’ai déjà fait remarquer, dans les sue-cessions ab intestat. On pouvait aliéner les biens stipulés propres, ou en disposer par testament, même en faveur d’un parent d’une autre ligne, car la clause était de droit très étroit (Pothier, ouvrage cité, n° 133; voyez spécialement ce qu’il dit au bas de la page 575).

L’importance de la clause de propre quant aux successions ab intestat provenait du fait que l’ancien droit, dans ces successions, considérait la nature d’un bien pour en régler la succession, par application de la règle paterna paternis, materna maternis. Ainsi, comme deux des successions ab intestat dont il s’agit en cette cause se sont ouvertes avant le code civil, celle de Raphaël Dufort lui-même et

[Page 111]

celle du plus jeune de ses fils, Pierre-Etienne, on peut dire qu’on aurait tenu compte de cette clause de propre pour régler la dévolution des biens qui en dépendaient. Mais il faut observer qu’au décès de Raphaël Dufort, ses deux fils, qui étaient ses plus proches héritiers, et qui étaient de sa ligne, ont exclu l’appelant et tous les collatéraux de la ligne paternelle (Guyot, verbis Paterna Paternis, parag. III, première classe, questions 3 et 4, pp. 633 et suiv. du tome 12). La dévolution s’est opérée instantanément suivant la règle:le mort saisit le vif son hoir plus proche et habile à succéder(art. 318 de la Coutume de Paris.)

De même, quand Pierre-Etienne Dufort est décédé en 1864, sa succession ab intestat s’est ouverte sous l’ancien droit, et on peut conclure que les propres dont il s’agit sont dévolus à son frère, Denis-Raphaël, qui était un successible de la ligne paternelle, à l’exclusion de rappelant et de tous les collatéraux de cette ligne. (Voy. les autorités citées à l’alinéa précédent).

Vient ensuite le code civil qui a radicalement modifié l’ancienne loi des successions. La vieille distinction des propres et des acquets est abolie en matière de succession ab intestat, et nous trouvons, au Titre des Successions, l’importante disposition suivante qui est de droit nouveau, et je pourrais probablement dire d’ordre public:

599. La loi ne considère ni l’origine, ni la nature des biens pour en régler la succession. Tous ensemble ils ne forment qu’une seule et unique hérédité qui se transmet et se partage d’après les mêmes règles, ou suivant qu’en a ordonné le propriétaire.

Les mots ou suivant qu’en a ordonné le propriétairese réfèrent évidemment à une disposition testamentaire. On ne peut considérer comme une telle disposition, malgré qu’il s’agisse d’une institution contractuelle, la partie finale de la clause du contrat de mariage, car jamais, dans l’ancien droit, on n’a regardé les mots

pour retourner les dits biens aux héritiers des futurs époux du côté estoc et ligne d’où ils.

comme étant une disposition ou une substitution en faveur de ces héritiers (Voy. les autoritées citées plus haut, et spécialement Thevenot d’Essaule).

Je puis ajouter que si, dans l’ancien droit, le conjoint survivant ne succédait pas à ses enfants morts en minorité quant aux biens stipulés propres fictifs pour le conjoint

[Page 112]

prédécédé et ceux de son côté et ligne, c’est qu’il était de la ligne opposée. La fiction, à son égard, produisait tout son effet.

Il n’est pas nécessaire de se demander pourquoi depuis le code civil on trouve dans les contrats de mariage des clauses comme celle qui nous occupe. Cela s’explique par l’habitude des notaires de se servir de vieilles formules, bien que leur utilité pratique ait pris fin. Du reste, nous interprétons ici un contrat antérieur au code.

Donc, lorsque Denis Raphaël Dufort est décédé en minorité le 28 décembre 1878, sa succession ab intestat s’est transmise conformément aux nouvelles règles contenues dans le code. Partant, comme il ne laissait ni frères, ni sœurs, ni neveux, ni nièces, sa succession, comprenant la nue propriété des biens en question, est dévolue pour le tout à sa mère, Mme Dufort (art. 626 et 631, C.C., également de droit nouveau, tels qu’ils se lisaient avant l’amendement de 1915, 5 Geo. V, c. 74).

Il s’ensuit que, devenue propriétaire de ces biens comme héritière de son fils Denis-Raphaël, Mme Dufort pouvait en disposer par son testament en faveur de l’intimée. L’appelant n’a jamais eu la qualité d’héritier dans aucune de ces successions.

Je suis donc d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

Appeal dismissed with costs.

Solicitor for the appellant: J. A. Molleur.

Solicitors for the respondent: Laurendeau et Laurendeau.



[1] (1925) Q.R. 39 K.B. 56.

[2] (1886) 9 L.N. 259.

[3] (1896) 3 R. de J. 182.

[4] (1912) Q.R. 21 K.B. 184.

[5] (1913) Q.R. 47 S.C. 424.

[6] Q.R. 21 K.B. 184.

[7] (1872) 4 P.C. App. 468, at p. 491.

 You are being directed to the most recent version of the statute which may not be the version considered at the time of the judgment.