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Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689

 

Patrick Francis Ward                       Appelant

 

c.

 

Le procureur général du Canada             Intimé

 

et

 

Le Haut commissariat des Nations Unies

pour les réfugiés, la Commission de

l'immigration et du statut de réfugié et

le Conseil canadien pour les réfugiés      Intervenants

 

Répertorié:  Canada (Procureur général) c. Ward

 

No du greffe:  21937.

 

1992:  25 mars; 1993:  30 juin.

 

Présents:  Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Stevenson* et Iacobucci.

 

en appel de la cour d'appel fédérale

 

        Immigration ‑‑ Statut de réfugié ‑‑ «Groupe social» ‑‑ Opinions politiques ‑‑ La crainte justifiée d'être persécuté est nécessaire pour établir la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention ‑‑ Le demandeur du statut de réfugié est un ancien membre d'une organisation terroriste irlandaise qui a été condamné à mort par l'organisation pour avoir aidé des otages à s'enfuir ‑‑ Le demandeur est un citoyen d'Irlande et du Royaume‑Uni ‑‑ La complicité de l'État est‑elle nécessaire pour qu'il y ait persécution? ‑‑ L'organisation terroriste est‑elle un «groupe social»? ‑‑ Le fait d'être en dissentiment avec une organisation politico‑militaire constitue‑t‑il un motif de persécution en raison d'opinions politiques? ‑‑ L'article 15 de la Charte s'applique‑t‑il à la définition de réfugié au sens de la Convention? ‑‑ Fardeau d'établir l'absence de protection de la part  de chaque pays dont le demandeur a la nationalité ‑‑ Charte canadienne des droits et libertés, art. 15  ‑‑ Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976‑77, ch. 52, art. 2(1), 4(2.1), 19(1)c), d), e), f), g), (2), 46.04(1)c).

 

        L'appelant résidait en Irlande du Nord.  Motivé par le besoin qu'il ressentait de «prendre position» afin de protéger sa famille, surtout contre l'IRA, il a volontairement adhéré à l'INLA, un groupe terroriste paramilitaire voué à l'union politique de l'Ulster et de la République d'Irlande.  L'appelant, qui était chargé de garder des otages innocents, leur a permis de s'évader lorsqu'il a appris qu'ils devaient être exécutés.  Il a agi ainsi pour des motifs de conscience.

 

        La police a fini par laisser savoir à un membre de l'INLA qu'un des leurs avait aidé les otages à s'enfuir.  L'INLA, qui soupçonnait l'appelant, l'a détenu et torturé, pour ensuite le condamner à mort après l'avoir fait passer en conseil de guerre devant un tribunal bidon.  Après avoir échappé à l'INLA, l'appelant a demandé la protection de la police et a été accusé d'avoir participé à la prise d'otage.  Suite à une man{oe}uvre préventive, l'INLA a pris en otages la femme et les enfants de l'appelant afin de l'empêcher de fournir des éléments de preuve à la police au sujet des membres et des activités de l'INLA.

 

        L'appelant a plaidé coupable à l'accusation de séquestration et a été condamné à trois ans d'emprisonnement.  Il n'a pas témoigné contre l'INLA et n'a jamais non plus reconnu publiquement avoir libéré les otages.  Peu de temps avant l'expiration de sa peine d'emprisonnement, l'appelant a demandé à l'aumônier de la prison de l'aider à assurer sa protection contre les membres de l'INLA.  L'aumônier, avec l'aide de la police, a procuré à l'appelant un passeport de la République d'Irlande ainsi que des billets d'avion pour le Canada.

 

        L'appelant est arrivé à Toronto en décembre 1985 et a demandé l'autorisation de séjourner au Canada à titre de visiteur.  Il a fait l'objet d'une enquête en mai 1986 et il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention en invoquant la crainte qu'il avait d'être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social (l'INLA).  Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration a décidé que l'appelant n'était pas un réfugié au sens de la Convention et ce dernier a donc déposé une demande de réexamen de sa revendication auprès de la Commission d'appel de l'immigration.  La Commission a accueilli la demande de réexamen et a conclu que l'appelant était un réfugié au sens de la Convention.  La Cour d'appel fédérale a accueilli la demande que le procureur général du Canada avait faite, en vertu de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, en vue d'obtenir l'annulation de la décision et a renvoyé l'affaire à la Commission pour réexamen.

 

        Les questions dont est saisie notre Cour sont les suivantes:  (1) la question de savoir si la complicité de l'État est nécessaire pour justifier une revendication du statut de réfugié et la nature de l'«absence de volonté» ou de l'«incapacité» d'un demandeur de réclamer la protection de son État d'origine, (2) le sens de l'expression «groupe social», (3) la nature de la persécution en raison d'opinions politiques et la question de savoir si le fait d'avoir abandonné les rangs d'une organisation politico‑militaire, pour des motifs de conscience, peut justifier une revendication pour ce motif, (4) la question de savoir si l'art. 15  de la Charte  est applicable, et (5) dans les cas de nationalité multiple, la question de savoir si le demandeur doit établir l'absence de protection de la part de tous les États dont il a la nationalité.

 

        Arrêt:  Le pourvoi est accueilli.

 

        Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu'un État doit fournir à son ressortissant.  Il ne devait s'appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement.  La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s'adresser à leur État d'origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d'autres États ne soit engagée.

 

        La «persécution» comprend les cas où l'État n'est pas strictement complice de la persécution, mais est simplement incapable de protéger ses citoyens.  La dichotomie «ne peut» et «ne veut» s'est quelque peu estompée.  Pour déterminer si un demandeur est visé par la définition de «réfugié au sens de la Convention», il faut mettre l'accent sur la question de savoir si celui-ci «craint avec raison» d'être persécuté, ce qu'il doit d'abord établir, et tout ce qui vient après doit être «du fait de cette crainte».  Il existe deux catégories qui exigent que le demandeur se trouve, du fait de cette crainte, hors de l'État dont il a la nationalité.  Le demandeur qui fait partie de la première catégorie doit être incapable de se réclamer de la protection de cet État.  Au départ, cette catégorie ne visait que les apatrides, mais elle peut maintenant viser les personnes qui se voient refuser un passeport ou d'autres protections par l'État dont elles ont la nationalité.  Le demandeur qui fait partie de la deuxième catégorie doit, du fait de cette crainte, ne pas vouloir se réclamer de la protection de son État.  Toutefois, ni l'une ni l'autre catégorie de la définition de «réfugié au sens de la Convention» n'exige que l'État ait participé à la persécution.

 

        Le critère applicable pour déterminer si un État est incapable de protéger un ressortissant comporte deux volets:  (1) le demandeur doit éprouver une crainte subjective d'être persécuté, et (2) cette crainte doit être objectivement justifiée.  Le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État à moins qu'il ne soit objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine.  S'il a été établi que le demandeur éprouve une crainte, la Commission a le droit de présumer que la persécution sera probable, et la crainte justifiée, en l'absence de protection de l'État.  La présomption touche le c{oe}ur de la question, qui est de savoir s'il existe une probabilité de persécution.  La persécution doit être réelle ‑‑ la présomption ne peut pas reposer sur des événements fictifs ‑‑ mais le bien‑fondé des craintes peut être établi à l'aide de cette présomption.

 

        En l'espèce, la présomption avait une certaine importance pour la Commission.  Cette dernière a conclu que l'appelant était un témoin crédible et a donc accepté que sa crainte d'être persécuté était légitime.  Étant donné que l'incapacité de l'Irlande de protéger l'appelant a été établie au moyen de la preuve que les agents de l'État avaient reconnu leur inefficacité, la Commission a donc pu présumer que les craintes de l'appelant étaient justifiées.

 

        Le demandeur doit confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer sa protection, en l'absence d'un aveu en ce sens par l'État dont il est le ressortissant.  Sauf dans le cas d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.  Bien que cette présomption accroisse l'obligation qui incombe au demandeur, elle ne rend pas illusoire la fourniture par le Canada d'un havre pour les réfugiés.  Elle renforce la raison d'être de la protection internationale à titre de mesure auxiliaire qui entre en jeu si le demandeur ne dispose d'aucune solution de rechange.

 

        Pour dégager le contenu de l'expression «groupe social», il y a lieu de tenir compte des thèmes sous‑jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l'initiative internationale de protection des réfugiés.  Une bonne règle pratique pour déterminer le sens de l'expression «groupe social» prévoit que ce motif de persécution comporte trois catégories:  (1) les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable, (2) les groupes dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association, et (3) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.

 

        Des exclusions fondées sur la criminalité ont, dans la Loi sur l'immigration, été rédigées avec soin de telle façon que les demandeurs qui peuvent constituer une menace pour le gouvernement canadien ou pour la vie ou les biens des résidents du Canada ne soient pas admis.  Ces dispositions donnent expressément au ministre de l'Emploi et de l'Immigration suffisamment de latitude pour réexaminer l'opportunité d'accorder l'autorisation de séjour au demandeur qui a un casier judiciaire, lorsque le Ministre est convaincu que celui‑ci s'est réhabilité.  Cela démontre que le Parlement a choisi de ne pas considérer les antécédents criminels d'une personne comme une fin de non‑recevoir à l'obtention du statut de réfugié.  Par conséquent, il n'est pas nécessaire d'interpréter de façon restrictive la portée de l'expression «groupe social» pour composer avec des questions de moralité et de criminalité.  Il est préférable d'éviter pareille exclusion générale compte tenu de l'existence d'un mécanisme explicite et exhaustif d'évaluation de ces demandeurs potentiellement non admissibles.

 

        L'appelant n'est pas visé par la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» en ce qui concerne sa crainte d'être persécuté par l'INLA s'il retourne en Irlande du Nord.  Les membres de l'INLA ne forment pas un «groupe social».  L'appartenance au groupe n'est pas définie par une caractéristique innée et ne constitue pas un fait historique immuable.  On ne saurait dire que son but de réaliser des objectifs politiques précis par n'importe quel moyen, y compris la violence, est essentiel à la dignité humaine de ses membres au point d'en faire un «groupe social».  En tout état de cause, la crainte de l'appelant n'était pas fondée sur son appartenance au groupe en question.  Il se sentait plutôt menacé à cause de ce qu'il a fait à titre individuel.  Son appartenance à l'INLA l'a placé dans la situation à l'origine de la crainte qu'il éprouve, mais la crainte elle‑même était fondée sur son action, et non sur son affiliation.

 

        Un demandeur n'est pas tenu d'identifier les motifs de persécution.  Il incombe à l'examinateur de déterminer si les conditions de la définition figurant dans la Convention sont remplies;  habituellement, il y a plus d'un motif applicable.

 

        Généralement, une opinion politique peut être interprétée comme toute opinion sur une question dans laquelle l'appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé.  Il n'est pas nécessaire que les opinions politiques en question aient été carrément exprimées.  Souvent, le demandeur n'a même pas la possibilité d'exprimer ses convictions; souvent, elles lui sont imputées en raison de ses actes.  Les opinions politiques imputées au demandeur et pour lesquelles celui‑ci craint d'être persécuté n'ont pas à être nécessairement conformes à ses convictions profondes.  Les circonstances devraient être examinées du point de vue du persécuteur, puisque c'est ce qui est déterminant lorsqu'il s'agit d'inciter à la persécution.  Des considérations similaires s'appliquent aux autres motifs de persécution.

 

        La crainte qu'a l'appelant d'être assassiné par l'INLA s'il retourne en Irlande du Nord découle au départ de ce que le groupe a menacé d'exécuter l'arrêt de mort prononcé par sa cour martiale.  L'appelant était ainsi puni pour avoir aidé à s'évader les otages qu'il gardait.  Cet acte permet d'imputer une opinion politique au sujet des limites qu'il convient de fixer à l'égard des moyens employés pour réaliser des changements politiques.  Pour l'appelant, qui croit que tuer des innocents pour réaliser des changements politiques est inacceptable, libérer les otages était la seule solution qui s'accordait avec sa conscience.  La persécution que l'appelant craint découle de ses opinions politiques que reflète l'acte qu'il a accompli.

 

        Étant donné que les aspects pertinents du jugement majoritaire ont été jugés erronés pour d'autres raisons, il est inutile de recourir à l'art. 15  de la Charte  relativement au «groupe social» et à la complicité de l'État.

 

        L'appelant a concédé qu'il bénéficiait d'une double nationalité:  irlandaise et britannique.  Le fardeau de la preuve, qui comprend la preuve que le demandeur craint avec raison d'être persécuté dans tous les pays dont il est ressortissant, incombe à l'appelant et non au Ministre.

 

        La Commission doit se demander si le demandeur ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de chaque pays dont il a la nationalité.  Toute protection de l'État d'origine est la seule solution qui s'offre à un demandeur lorsqu'il est possible de l'obtenir, étant donné que la protection internationale des réfugiés est destinée à servir de mesure «auxiliaire» qui n'entre en jeu qu'en l'absence d'appui national.  L'incapacité d'un État dont il a la nationalité d'assurer sa protection peut être établie lorsque le demandeur s'est vraiment adressé à cet État et s'est vu refuser toute protection.  Lorsque, comme dans le cas de l'appelant, le demandeur ne s'est pas vraiment adressé au second État, il y a lieu de présumer que cet État est capable de protéger ses ressortissants.  Une prémisse qui sous‑tend cette présomption est que la citoyenneté comporte certaines conséquences fondamentales comme le droit d'obtenir, en tout temps, l'autorisation de séjour dans le pays.  Le refus d'admettre sur le territoire national peut équivaloir à un refus de protection.  En l'espèce, on a fait la preuve, quoique non au moyen d'une opinion d'expert, qu'une loi britannique permet au gouvernement britannique d'interdire à un ressortissant d'être ou d'entrer en Grande‑Bretagne, s'il est mêlé à des actes de terrorisme relativement à l'Irlande du Nord.  L'applicabilité de la présomption et sa réfutation sont des questions qui dépendent des circonstances particulières de l'espèce et doivent être tranchées par la Commission.

 

Jurisprudence

 

        Arrêts examinés:  Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1984), 55 N.R. 129; Surujpal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1985), 60 N.R. 73; Zalzali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 605; McMullen c. Immigration and Naturalization Service, 658 F.2d 1312 (1981); Cheung c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 309 (Q.L.), appel no A‑785‑91; Mayers c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 97 D.L.R. (4th) 729; Matter of Acosta, décision provisoire 2986, 1985 WL 56042 (B.I.A.); arrêts mentionnés:  Artiga Turcios c. I.N.S., 829 F.2d 720 (1987); Arteaga c. I.N.S., 836 F.2d 1227 (1988); Estrada‑Posadas c. I.N.S., 924 F.2d 916 (1991); Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171; Astudillo c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1979), 31 N.R. 121; Arrechea Gonzalez c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1991), C.A.F. A‑899‑90; Ahmed c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1990), C.A.F. A‑215‑90; Lai c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), Imm. L.R. 245; Osorio Cruz c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1988), I.A.B.D. M88‑20043X; Nalliah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1987), I.A.B.D. M84‑1642; Escoto c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1987), I.A.B.D. T87‑9024X; Incirciyan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1987), I.A.B.D. M87‑1541X/M87‑1248; Balareso c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1985), I.A.B.D.  M83‑1542; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; I.N.S. c. Elias‑Zacarias, 112 S.Ct. 812 (1992).

 

Lois et règlements cités

 

British Nationality Act 1981, 1981 (R.‑U.), ch. 61.

 

Charte canadienne des droits et libertés , art. 15 .

 

Loi d'interprétation , L.R.C. (1985), ch. I‑21 , art. 33(2) .

 

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 10, art. 28.

 

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, art. 2(1) [mod. par L.C. 1988, ch. 35, art. 1 (L.R.C. (1985), ch. 28 (4e suppl.), art. 1(2), 34)], 19.

 

Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976‑77, ch. 52, art. 2(1) [mod. par L.C. 1988, ch. 35, art. 1], 4(2.1) [aj. par Loi corrective de 1981, S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 47, art. 3], 19(1)c), d), e), f), g), (2) [mod. par S.C. ibid., art. 23, 53], 46.04(1)c) [aj. par L.C. 1988, ch. 35, art. 14].

 

 

Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act 1984, 1984 (R.‑U.), ch. 8, remplacée plus tard par la Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act 1989, 1989 (R.‑U.), ch. 4, art. 4, 5.

Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78‑172, art. 19(4)j).

 

Doctrine citée

 

Compton, Daniel.  «Asylum for Persecuted Social Groups:  A Closed Door Left Slightly Ajar ‑‑ Sanchez‑Trujillo v. INS, 801 F.2d 1571 (9th Cir. 1986)» (1987), 62 Wash. L. Rev. 913.

 

Convention relative au statut des réfugiés (Genève, 28 juillet 1951), R.T. Can. 1969, no 6.

 

Forghel, Isi. «Legal Status of the Boat‑People», 48 Nordisk Tidsskrift for International Relations 217.

 

Goodwin‑Gill, Guy S.  The Refugee in International Law.  Oxford:  Clarendon Press, 1983.

 

Grahl‑Madsen, Atle.  The Status of Refugees in International Law. (n.p.) Netherlands:  A. W. Sijthoff‑Leyden, 1966.

 

Graves, Maureen.  «From Definition to Exploration:  Social Groups and Political Asylum Eligibility» (1989), 26 San Diego L. Rev. 739.

 

Gross, Douglas.  «The Right of Asylum Under United States Law» (1980), 80 Colum. L. Rev. 1125.

 

Hathaway, James C.  The Law of Refugee Status.  Toronto:  Butterworths, 1991.

 

Helton, Arthur C.  «Persecution on Account of Membership in a Social Group As a Basis for Refugee Status» (1983), 15 Colum. Hum. Rts. L. Rev. 39.

 

Hyndman, Patricia.  «The 1951 Convention Definition of Refugee:  An Appraisal with Particular Reference to the Case of Sri Lankan Tamil Applicants» (1987), 9 Hum. Rts. Q. 49.

 

Nations Unies.  Assemblée générale.  Conférence de plénipotentiaires sur le statut des réfugiés et des apatrides.  Compte rendu analytique de la troisième séance tenue au Palais des Nations, à Genève, le mardi 3 juillet 1951.   M. Petren (délégué de la Suède).  Doc. des Nations Unies A/CONF.2/SR.3.

 

Nations Unies.  Conseil économique et social.  Comité spécial de l'apatridie et des problèmes connexes.  États-Unis d'Amérique: Mémorandum sur l'article relatif à la définition du terme "réfugié".  Doc. des Nations Unies E/AC.32/L.4.

 

Nations Unies.  Conseil économique et social.  Comité spécial de l'apatridie et des problèmes connexes.  Première session.  Compte rendu analytique de la cinquième séance, Lake Success, New York, le 18 janvier 1950.  M. Henkin (délégué des États-Unis).  Doc. des Nations Unies E/AC.32/SR.5.

 

Nations Unies.  Conseil économique et social.  Comité spécial de l'apatridie et des problèmes connexes.  Rapport du Comité spécial de l'apatridie et des problèmes connexes.  Lake Success, New York, du 16 janvier au 16 février 1950.  Doc. des Nations Unies E/1618.

 

Nations Unies.  Conseil économique et social.  Comité spécial de l'apatridie et des problèmes connexes.  Royaume-Uni.  Texte remanié proposé pour l'article premier.  Doc. des Nations Unies  E/AC.32/L.2/Rev. 1.

 

Nations Unies.  Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.  Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié.  Genève: 1988.

 

Plender, Richard.  «Admission of Refugees:  Draft Convention on Territorial Asylum» (1977-78), 15 San Diego L. Rev. 45.

 

Takkenberg, Alex and Christopher C. Tahbaz.  The Collected Travaux Préparatoires of the 1951 Geneva Convention relating to the Status of Refugees.  Vol. 1,  Early History and the Ad Hoc Committee on Statelessness and Related Problems 16 January ‑ 16 February 1950 Lake Success, New York and Vol. 3, The Conference of Plenipotentiaries on the Status of Refugees and Stateless Persons 2 ‑ 25 July 1951 Geneva, Switserland (sic).  Amsterdam:  Dutch Refugee Council, under the auspices of the European Legal Network on Asylum, 1990.

 

van der Veen, Job.  «Does Persecution by Fellow‑Citizens in Certain Regions of a State Fall Within the Definition of "Persecution" in the Convention Relating to the Status of Refugees of 1951?   Some Comments Based on Dutch Judicial Decisions» (1980), 11 Netherlands Y.B.  Intl. L. 167.162.

 

        POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1990] 2 C.F. 667, 67 D.L.R. (4th) 1, 10 Imm. L.R. (2d) 189, 108 N.R. 60, qui a accueilli une demande de révision et d'annulation d'un jugement de la Commission d'appel de l'immigration (1988), 9 Imm. L.R. (2d) 48, qui avait conclu que l'appelant était un réfugié au sens de la Convention.  Pourvoi accueilli.

 

        Peter A. Rekai, M. Christina F. Kurata, LeVern L. Robertson et Constance Nakatsu, pour l'appelant.

 

        Roslyn J. Levine et Nanette Rosen, pour l'intimé.

 

        Ronald B. Shacter et Phyllis Gordon, pour l'intervenant le Conseil canadien pour les réfugiés.

 

        Brian A. Crane, c.r., et Gerald Stobo, pour l'intervenante la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

 

        Argumentation écrite seulement de l'intervenant le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

 

//Le juge La Forest//

 

           Version française du jugement de la Cour rendu par

 

        Le juge La Forest ‑‑ Cette affaire soulève, pour la première fois devant cette Cour, plusieurs questions fondamentales concernant la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» figurant au par. 2(1) de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976‑77, ch. 52, qui est ainsi rédigé:

 

        2. (1) . . .

 

«réfugié au sens de la Convention» désigne toute personne qui,craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques

 

a)  se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou

 

b)  qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner;

 

La définition énoncée dans la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, a été quelque peu révisée par L.C. 1988, ch. 35, art. 1 (L.R.C. (1985), ch. 28 (4e suppl.), par. 1(2)):

 

        2. (1) . . .

 

«réfugié au sens de la Convention» Toute personne:

 

a)  qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

 

(i)  soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii)  soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

 

b)  n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2);

 

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle‑ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

 

Les questions soulevées concernent la mesure dans laquelle la crainte justifiée du demandeur d'être persécuté doit émaner de l'État d'où celui‑ci s'enfuit, ainsi que sur l'étendue des motifs énumérés de persécution, en particulier l'«appartenance à un groupe social» et les «opinions politiques».

 

Les faits

 

        L'appelant, Patrick Francis Ward, est né en Irlande du Nord en 1955.  En 1983, il a adhéré à la Irish National Liberation Army (INLA) à titre de volontaire.  Ward a décrit l'INLA comme une organisation paramilitaire impitoyable plus violente que l'Armée républicaine irlandaise (IRA), dotée d'une hiérarchie de type militaire et astreinte à une discipline sévère.  Avant d'adhérer à l'organisation à titre de volontaire, Ward avait de vagues liens avec l'INLA en ce qu'il appuyait sa cause.  En fait, il avait été reconnu coupable de possession d'armes à feu et de complot visant à transporter illégalement des objets en Irlande du Nord ainsi que de participation à des actes de terrorisme.  Il a témoigné qu'avec l'agitation constante en Irlande du Nord, les gens étaient forcés de «prendre position» pour protéger leurs êtres chers et que son adhésion à l'INLA découlait en partie du désir de se protéger et de protéger sa famille, surtout contre l'IRA.

 

        La première tâche de Ward, en sa qualité de membre de l'INLA, fut d'aider à garder deux des otages de l'organisation dans une maison de ferme, en République d'Irlande.  Un jour après qu'il eut assumé ses fonctions de garde, l'INLA a ordonné l'exécution des otages.  Ward ne voulait pas participer à l'exécution de ces otages innocents; il a éprouvé ce qu'il a appelé un [traduction] «problème de conscience».  Il a donc décidé de libérer les otages et a réussi à le faire sans dévoiler son jeu à l'INLA.

 

        Un peu plus tard, la police a laissé savoir à un membre de l'INLA qu'un des leurs avait aidé les otages à s'enfuir.  L'INLA soupçonnait Ward, qui a été détenu et torturé.  Bien qu'il n'ait jamais reconnu avoir joué un rôle dans l'évasion, Ward a passé en conseil de guerre devant un tribunal bidon et a été condamné à mort.  Toutefois, il a réussi à s'évader et a demandé la protection de la police.  La police l'a, de son côté, accusé d'avoir participé à la prise d'otage, en se fondant sur le fait qu'on avait prélevé ses empreintes digitales à la ferme où les otages avaient été détenus.

 

        Ward a fait part à la police de son inquiétude au sujet de sa femme et de ses enfants.  La police a vérifié ce qu'il advenait d'eux, mais a découvert que l'INLA, suite à une man{oe}uvre préventive, les avait pris en otages dans le but d'empêcher le demandeur de «moucharder», c'est‑à‑dire de fournir des éléments de preuve à la police au sujet des membres et des activités de l'INLA.

 

        Ward a plaidé coupable à l'accusation de séquestration et a été condamné à trois ans d'emprisonnement.  Il n'a pas «mouchardé» et n'a jamais non plus reconnu publiquement avoir libéré les otages.  Peu de temps avant l'expiration de sa peine d'emprisonnement, Ward a demandé à l'aumônier de la prison de l'aider à assurer sa protection contre les membres de l'INLA.  L'aumônier, avec l'aide de la police, a procuré à Ward un passeport de la République d'Irlande ainsi que des billets d'avion pour le Canada.  Celui-ci est arrivé à Toronto en décembre 1985 et a demandé l'autorisation de séjourner au Canada à titre de visiteur.  Il a fait l'objet d'une enquête en mai 1986 et il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.  Sa revendication était fondée sur la crainte qu'il avait d'être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social, c.-à-d. l'INLA.  Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration a décidé que Ward n'était pas un réfugié au sens de la Convention et ce dernier a donc déposé une demande de réexamen de sa revendication auprès de la Commission d'appel de l'immigration.  La Commission a accueilli la demande de réexamen et a conclu que Ward était un réfugié au sens de la Convention.

 

        L'intimé le procureur général du Canada s'est fondé sur l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e suppl.), c. 10, pour demander la révision et l'annulation de la décision de la Commission.  Cette demande a été accueillie par la Cour d'appel fédérale qui a annulé la décision et renvoyé l'affaire à la Commission pour réexamen.

 

Jugements

 

Commission d'appel de l'immigration (1988), 9 Imm. L.R. (2d) 48 (K. J. Arkin au nom de la Commission)

 

        Selon la Commission, il y avait deux questions à trancher en ce qui concerne la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention»:  la définition vise‑t‑elle le demandeur qui ne peut pas être protégé adéquatement par le pays dont il a la nationalité?  Et la définition exige‑t‑elle la complicité de l'État dans la persécution du demandeur?  Sur ce dernier point, la Commission a conclu que la jurisprudence n'était pas concluante, mais elle a statué que la définition ne vise pas nécessairement la complicité de l'État dans la persécution d'un demandeur et, à la p. 59, qu'«il suffit que l'État ne puisse pas offrir une protection efficace.»

 

        Quant à la première question, la Commission a conclu, à la p. 59, que l'exigence que le demandeur ne puisse pas ou ne veuille pas se réclamer de la protection de son État d'origine et l'incapacité de cet État d'offrir une protection efficace étaient «inextricablement reliées».  En outre, la Commission fait, à la p. 59, le raisonnement suivant au sujet du lien entre la persécution et la protection:

 

        La crainte d'être persécuté et l'absence de protection sont également des éléments interreliés.  Les personnes persécutées ne bénéficient manifestement pas de la protection de leur pays d'origine, et la preuve de l'absence de protection peut créer une présomption quant à la probabilité de la persécution et au caractère bien fondé de la crainte.

 

Cela étant, la Commission conclut ceci, à la p. 60:

 

        Compte tenu du caractère fondamental du critère imposé par la définition de réfugié au sens de la Convention, c'est‑à‑dire si oui ou non le demandeur craint avec raison d'être persécuté pour l'un des motifs qui y sont mentionnés, il est raisonnable, voire nécessaire, d'examiner la capacité de l'État d'assurer une protection adéquate au demandeur:  si l'État est incapable de le protéger, le demandeur aura de bonnes raisons de craindre d'être persécuté.  La raison pour laquelle l'État ne peut assurer une protection adéquate contre la persécution ne semble pas pertinente.  Dans tous les cas de ce genre, la question est donc de savoir si oui ou non il existe une protection «adéquate». [En italique dans l'original.]

 

Quant à la question clé de la capacité de l'État de protéger Ward, la Commission conclut, à la p. 54, que ce dernier était un «témoin tout à fait digne de foi».  Elle a reconnu que la vie de Ward serait en danger s'il était obligé de retourner en Irlande du Nord puisque l'INLA l'avait condamné à mort et qu'il constituait une menace pour la sécurité de cette organisation.  La police irlandaise avait offert de protéger Ward, mais cette protection ne serait pas efficace.

 

        La Commission s'est penchée sur la question de la nationalité de Ward, qui était directement pertinente étant donné la condition, énoncée dans la définition de la Loi, que le demandeur du statut de réfugié ne puisse ou ne veuille se réclamer de la protection «du pays dont [il] a la nationalité».  Sur ce point, la Commission conclut ceci, à la p. 54:

 

La preuve a clairement établi que le demandeur est un citoyen d'Irlande, à la fois de l'Irlande du Nord et de la République d'Irlande.  Toutefois, aucune preuve n'a été produite devant la Commission pour établir que le demandeur est également un citoyen du Royaume‑Uni.  En réponse aux questions qui lui ont été posées en contre‑interrogatoire, le demandeur a témoigné qu'à titre de citoyen de l'Irlande du Nord, il a le droit de vivre en Grande‑Bretagne à moins d'être exclu en vertu de la Protection of Terrorism Act du Royaume‑Uni, selon laquelle toute personne ayant des liens avec des organisations terroristes peut se voir refuser l'entrée sur le continent britannique.  L'intimé a mis en doute le caractère raisonnable de la crainte qu'éprouvait le demandeur face à la INLA s'il devait retourner en Grande‑Bretagne, mais il n'a pas établi le droit du demandeur de vivre en Grande‑Bretagne, ni son droit à la citoyenneté au Royaume‑Uni.  Par conséquent, la Commission conclut que le pays d'origine du demandeur est l'Irlande du Nord et la République d'Irlande.

 

Toutefois, dans une note en bas de la p. 55, la Commission a fait remarquer ceci:

 

        Si la Commission était arrivée à la conclusion que le demandeur était également un ressortissant du Royaume‑Uni, elle aurait jugé que sa vie serait menacée par la INLA s'il était renvoyé au Royaume‑Uni.

 

La Commission a conclu, en définitive, que Ward était un réfugié au sens de la Convention.

 

Cour d'appel fédérale, [1990] 2 C.F. 667

 

        Lors de l'appel devant la Cour d'appel fédérale, le procureur général a avancé trois arguments fondamentaux:  la Commission a omis de se demander si l'INLA était un «groupe social» au sens du par. 2(1) de la Loi, la Commission a commis une erreur en concluant que la complicité de l'État dans la «persécution» n'était pas nécessaire, et elle a commis une erreur en concluant que les seuls pays dont Ward avait la nationalité étaient l'Irlande du Nord et la République d'Irlande.  Le juge Urie, s'exprimant en son propre nom et en celui du juge Marceau, a conclu que la Commission avait commis une erreur sur les premier et troisième points.  Le juge MacGuigan a statué que la Commission n'avait commis une erreur que sur le troisième point.

 

        Quant à la première question, le juge Urie a estimé qu'il ne peut y avoir persécution pour cause d'appartenance à un groupe social que si on considère que les activités du groupe constituent un danger possible pour le gouvernement.  Il affirme, à la p. 677:

 

Les activités de la INLA sont clairement contraires aux intérêts du gouvernement de l'Irlande du Nord et du Royaume‑Uni.  Mais la simple appartenance à un groupe ne justifie pas, en elle‑même, la revendication du statut de réfugié.  À plus forte raison, l'appartenance ne justifie pas la revendication du statut de réfugié fondée sur la crainte découlant d'actes commis par un membre du groupe qui sont contraires aux intérêts du groupe, les intérêts de ce dernier étant eux‑mêmes contraires au salut public.  [Souligné dans l'original.]

 

En d'autres termes, si la crainte du demandeur procède du groupe lui‑même et non de l'État, elle ne peut servir de fondement à une allégation de persécution.  Le juge Urie n'était pas persuadé que Ward, qui craignait d'être persécuté par l'organisation dont il était membre, avait droit à la protection accordée aux  véritables réfugiés qui remplissent toutes les conditions de la définition de réfugié au sens de la Convention.  Ward n'était pas visé par la définition du seul fait qu'il avait agi d'une façon contraire aux intérêts de l'INLA alors qu'il en était membre.  Le juge Urie fait remarquer, à la p. 678, que «[s]'il fallait adopter un tel point de vue, quiconque est en désaccord sur quelque sujet pourrait être considéré comme membre d'un groupe social», ce qu'il considérait comme absurde.  Il a rejeté l'argument selon lequel tout groupe se livrant à des activités politiques serait visé par l'expression «groupe social».  Un tel point de vue, a‑t‑il fait remarquer, aurait pour effet de rendre redondante l'expression «opinions politiques» figurant dans la définition de «réfugié au sens de la Convention».

 

        Dans ses motifs de dissidence, le juge MacGuigan a émis l'avis qu'on ne pouvait pas prétendre sérieusement que l'INLA n'est pas vraiment un groupe social, puisque ses membres «sont unis par des objectifs communs dans une association stable» (p. 689).  Il n'était pas d'accord pour dire qu'il faut présumer que l'expression «groupe social» exclut les terroristes.  Toutefois, même en concédant cela, il a fait remarquer que Ward avait quitté le groupe en raison de ses activités terroristes et que le groupe social ici en cause comprenait des membres et d'anciens membres de l'INLA.  À son avis, la vocation terroriste générale du groupe ne signifiait pas que Ward, en tant qu'individu, était incapable de le quitter.  Selon le juge MacGuigan, le «véritable fondement» de la crainte qu'avait Ward d'être persécuté était son appartenance à l'organisation, plutôt que sa mauvaise conduite à titre de membre, étant donné qu'en le condamnant à mort, l'INLA voulait, du moins en partie, l'empêcher de divulguer à l'avenir des renseignements sur les activités du groupe.  Le juge a en outre fait remarquer qu'une décision que Ward était un réfugié au sens de la Convention ne l'autoriserait pas automatiquement à rester au Canada, puisqu'il serait encore assujetti aux exceptions de l'art. 19 de la Loi, relatives aux condamnations antérieures ou aux actes d'espionnage ou de subversion.

 

        Quant à la deuxième question, soit la nécessité de la complicité de l'État dans la persécution, le juge Urie semble avoir décidé que cette complicité de l'État est une condition préalable de la «persécution» visée par la Loi.  Pour appuyer cela, il a examiné les exigences de la définition que le demandeur ne puisse pas ou ne veuille pas solliciter l'aide de son État d'origine.  Le juge Urie a conclu que le fait que le demandeur «ne peut» se réclamer de la protection de l'État dont il a la nationalité veut dire, à la p. 680, «littéralement . . . qu'il ne peut pas, en raison de son incapacité matérielle à le faire, même rechercher la protection de son État.  Cela implique des circonstances qui échappent à sa volonté et n'est pas une notion applicable à l'espèce».  En ce qui concerne le volet «absence de volonté» du critère, le juge Urie a fait observer ce qui suit, à la p. 680:

 

Si le demandeur de statut «ne veut» pas se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, il en ressort implicitement que sa répugnance tient à son sentiment que l'État et ses représentants sont incapables de le protéger contre ceux par qui il craint d'être persécuté.  Cette répugnance peut provenir du fait que l'État et ses représentants sont les propres responsables de la persécution redoutée, qu'ils assistent ses auteurs de façon concrète ou qu'ils se contentent de ne pas faire de cas des actes redoutés par le demandeur de statut.  Bien que ces exemples ne soient pas exhaustifs, ils démontrent clairement que si la répugnance du demandeur de statut à se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité doit justifier sa revendication du statut de réfugié, il doit établir que l'État ne peut le protéger contre la persécution qu'il redoute en raison, dans les présentes circonstances, de son ancienne appartenance à la INLA, c'est‑à‑dire qu'il doit établir que ce qu'il craint est bien la persécution au sens où la loi et la jurisprudence entendent ce terme.  Sur ce fondement, la participation de l'État est une condition préalable lorsque le demandeur de statut ne veut pas se réclamer de la protection du pays visé.  [Souligné dans l'original.]

 

Le juge Urie a conclu que la Commission avait confondu la détermination de l'existence de persécution et la protection inefficace.  Il a également rejeté la conclusion de la Commission selon laquelle la preuve de l'absence de protection peut créer une présomption quant à la probabilité de la persécution et au bien‑fondé de la crainte.

 

        Le juge MacGuigan a rejeté la prétention que la Commission avait commis une erreur dans sa définition de la persécution.  À son avis, le texte de l'al. 2(1)a) de la Loi n'implique pas nécessairement la complicité de l'État.  Tout en convenant que, selon toute probabilité, l'expression «ne peut» signifie littéralement «est incapable», il ne voyait aucun motif de ne donner qu'un seul sens à l'expression «ne veut».  Voici ce qu'il affirme, aux pp. 697 et 698:

 

        Bref, j'estime que compte tenu (1) du libellé de la loi, (2) de l'absence de décisions canadiennes décisives faisant jurisprudence, et (3) du poids des sources doctrinales internationales, l'interprétation donnée par la Commission à la définition de la loi est celle qui est préférable.  Sans aucun doute cette interprétation rendra‑t‑elle admissibles à entrer au Canada les demandeurs de statut venant de pays déchirés par les conflits, dont les problèmes procèdent non pas de leur gouvernement nominal, mais de diverses factions ennemies, mais je ne puis croire que cela soit contraire aux «obligations légales du Canada sur le plan international et . . . [à] sa traditionnelle attitude humanitaire à l'égard des personnes déplacées ou persécutées».

 

À son avis, la persécution n'a donc pas à émaner de l'État.

 

        Comme nous l'avons vu, le troisième argument du procureur général était que la Commission avait commis une erreur en statuant qu'on n'avait produit aucune preuve établissant que Ward était un citoyen du Royaume‑Uni, ainsi que de l'Irlande du Nord et de la République d'Irlande.  Ward a répondu que, même si l'Irlande du Nord faisait partie du Royaume‑Uni, il ne jouissait pas du droit absolu de vivre n'importe où au Royaume‑Uni en raison de la Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act 1984, 1984 (R.-U.), ch. 8, en vertu de laquelle il pouvait être frappé d'interdiction de séjour à cause de ses activités terroristes.  Sur ce point, le juge Urie cite, à la p. 685, le deuxième alinéa de l'art. 1(A)(2) de la Convention, qui, bien que «nous ne soyons pas liés par [cet alinéa] . . . parce qu'il n'a pas été incorporé au droit canadien, . . . est convaincant parce qu'il donne une interprétation logique de la définition de réfugié».  Le juge Urie statue, à la p. 683, que «si l'on conclut qu'il a la nationalité de plus d'un pays, le demandeur de statut est tenu d'établir qu'il ne veut se réclamer de la protection d'aucun des pays dont il a la nationalité avant de pouvoir être considéré comme un réfugié au sens de la Convention» (souligné dans l'original).  À cet égard, il fait remarquer, à la p. 685:

 

. . . j'estime que le demandeur de statut doit établir qu'il ne veut ou ne peut se réclamer d'aucun des pays dont il a la nationalité.  C'est la nationalité du demandeur de statut qui est de prime importance.  Son droit de vivre dans le pays dont il a la nationalité devient pertinent seulement quand il s'agit pour lui de s'acquitter de l'obligation qui lui est faite de prouver qu'il ne peut pas se réclamer du pays dont il a établi avoir la nationalité.  [Souligné dans l'original.]

 

Non seulement la Commission n'a‑t‑elle pas traité de la question, a‑t‑il affirmé, à la p. 685, mais encore «elle a aggravé son erreur en croyant qu'il appartenait à la Couronne d'établir «le droit du demandeur de vivre en Grande‑Bretagne, [ou] son droit à la citoyenneté au Royaume‑Uni»».  Le juge Urie a souligné que le par. 8(1) de la Loi stipule qu'il appartient à la personne désireuse d'entrer au Canada de prouver qu'elle a le droit d'y entrer.  Sur ce point, le juge MacGuigan souscrivait largement à l'avis de la majorité.  Les trois juges estimaient tous que la question de savoir si Ward pouvait se réclamer de la protection du Royaume‑Uni devait être renvoyée à la Commission pour que celle‑ci y réponde.

 

Questions en litige

 

        Je me propose d'aborder les questions soulevées par les parties dans l'ordre suivant:

 

        A.  Persécution et complicité de l'État

 

a)  La complicité de l'État, que ce soit par le biais de la persécution directe, de la collusion avec les agents persécuteurs, ou de l'ignorance volontaire des actions des agents persécuteurs, constitue‑t‑elle un élément nécessaire pour établir que le demandeur du statut de réfugié «ne veut» pas se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité?

 

b)  Doit‑on considérer que le demandeur «ne peut» se réclamer de la protection de l'État que s'il est matériellement incapable de solliciter cette protection?

 

        B.  Appartenance à un groupe social

 

a)  Quel est le sens de l'expression «groupe social» utilisée dans la définition du réfugié au sens de la Convention, figurant au par. 2(1) de la Loi sur l'immigration de 1976?

 

b)  Y a‑t‑il un motif d'exclure certains types de groupes sociaux en raison de leurs objectifs ou des méthodes illicites employées par leurs membres?

 

        C.  Opinions politiques

 

La défection ou le fait d'être en dissentiment avec une organisation politico‑militaire, pour des motifs de conscience, peuvent‑ils justifier une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, lorsque le demandeur craint avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques?

 

        D.  Article 15  de la Charte canadienne des droits et libertés 

 

L'interprétation de l'expression «réfugié au sens de la Convention» donnée par la Cour d'appel fédérale à la majorité est‑elle compatible avec l'art. 15  de la Charte ?

 

        E.  Double nationalité

 

Si la preuve établit que le demandeur du statut de réfugié possède la nationalité de plus d'un pays, celui‑ci doit‑il établir qu'il ne veut ou ne peut se réclamer de la protection de chaque pays dont il a la nationalité, conformément à la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention»?

 

Analyse

 

        Il est utile d'examiner, au départ, la raison d'être du régime international de protection des réfugiés, car cela influe sur l'interprétation des divers termes à l'étude.  Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu'on s'attend à ce que l'État fournisse à ses ressortissants.  Il ne devait s'appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement.  La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s'adresser à leur État d'origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d'autres États ne soit engagée.  C'est pourquoi James Hathaway qualifie le régime des réfugiés de [traduction] «protection auxiliaire ou supplétive» fournie uniquement en l'absence de protection nationale; voir The Law of Refugee Status (1991), à la p. 135.  Cela étant, j'examinerai maintenant les éléments particuliers de la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» que nous avons à interpréter.

 

A.  Persécution et complicité de l'État

 

        La persécution alléguée par l'appelant émane d'un acteur non étatique, l'INLA; le gouvernement de l'Irlande n'est aucunement en cause.  En l'espèce, il s'agit donc de savoir si la participation de l'État est une condition préalable pour «être persécuté» au sens de la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» figurant dans la Loi.  Les questions précises sont formulées différemment par les parties, mais elles peuvent être résumées de la façon suivante.  Premièrement, la persécution doit‑elle émaner de l'État?  Deuxièmement, importe‑t‑il que la demande soit fondée sur le volet «ne peut» ou sur le volet «ne veut» de la définition?  À mon avis, il faut répondre à ces deux questions par la négative.  La troisième question concerne le critère applicable pour établir que le demandeur «crai[nt] avec raison d'être persécuté[. . .]» au sens la Loi.

 

        Tout en soutenant que la complicité de l'État est une condition préalable de la persécution, l'intimé le procureur général a concédé que l'incapacité de l'État de protéger ses citoyens contre la persécution est une complicité suffisante pour satisfaire aux exigences de la définition de la Convention.  Il a également concédé que le gouvernement de l'Irlande était incapable de protéger l'appelant.  Cela étant, l'intimé a limité son argumentation au fait que l'appelant n'avait pas établi devant le tribunal que le Royaume‑Uni était également incapable de le protéger.  Quant à la deuxième question, il a maintenu que, lorsqu'un demandeur affirme qu'il «ne veut» pas solliciter la protection de son État d'origine, il doit également établir que c'est à cause de la complicité de l'État (ce qui, concède‑t‑on, peut comprendre l'incapacité de l'État d'assurer la protection).  L'intimé a également soutenu que la complicité de l'État n'est pas une condition préalable lorsque le réfugié affirme qu'il «ne peut» solliciter la protection de son État d'origine.  L'appelant a affirmé que la définition de la persécution doit être «neutre» et ne comporter aucune exigence de complicité de l'État.  Il a reconnu, en outre, qu'il existe une distinction entre «ne peut» et «ne veut», mais que l'absence de volonté du demandeur peut se rapporter à la persécution au sens neutre.  L'absence de volonté du demandeur, conjuguée à l'incapacité de son État d'origine de le protéger contre la persécution, justifie une revendication du statut de réfugié.

 

        Il ressort de l'examen des arguments invoqués par l'appelant et par l'intimé que leurs positions respectives sont en réalité presque identiques et qu'elles ne diffèrent qu'en ce qui concerne le moment où l'incapacité de l'État d'assurer la protection devient un élément nécessaire de la définition.  Le point sur lequel les parties divergent vraiment concerne l'absence de volonté de l'appelant de retourner en Grande-Bretagne ou en Irlande, une question que nous examinerons séparément plus loin.

 

        L'intervenant le Conseil pour les réfugiés convient que la définition de la Convention exige qu'un demandeur démontre que son État d'origine est incapable de le protéger contre les actes non gouvernementaux de persécution.  Il soutient que cela est inhérent à la définition et ne découle pas de l'existence de l'expression «ne veut».  Il affirme que les expressions «ne peut» et «ne veut» visent uniquement la situation du demandeur du statut de réfugié hors du pays, par rapport aux représentants consulaires de son pays d'origine.

 

        Le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés est intervenu pour soutenir que la distinction entre les expressions «ne peut» et «ne veut» n'est pas pertinente dans ce pourvoi, que la définition n'exige pas la complicité de l'État et qu'il convient de se concentrer sur la question de savoir si le demandeur «ne peut» ou «ne veut», à cause de l'incapacité de l'État de le protéger, solliciter la protection des autorités de son État d'origine.  Le Haut commissariat approuve également la position de la Commission, selon laquelle l'absence de protection peut créer un fondement de preuve suffisant pour une présomption de crainte justifiée de la part du demandeur.  De son côté, la Commission est intervenue pour affirmer que la complicité de l'État n'est pas nécessaire, et a plutôt maintenu que l'interprétation de l'expression «réfugié au sens de la Convention» devrait être suffisamment souple pour lui permettre de trancher chaque affaire sur une base individuelle, compte tenu des diverses circonstances qui, dans le monde contemporain, donnent lieu aux mouvements de réfugiés.

 

        En somme, les parties, y compris l'intimé, semblent conclure à l'unanimité que le tribunal d'instance inférieure a commis une erreur en laissant entendre que la crainte du demandeur doit émaner de l'État.  De même, on s'entend essentiellement pour dire que l'incapacité de l'État d'assurer la protection fait partie intégrante de la notion de réfugié au sens de la Convention, bien qu'il y ait une divergence d'opinions entre les parties quant au moment, dans l'analyse, où cet élément est incorporé dans la définition.  Je conclus que le consensus auquel les parties sont arrivées est essentiellement juste.  Comme on pourra le constater, la Cour d'appel fédérale à la majorité semblerait la seule à avoir ces opinions sur la complicité de l'État.  La cour à la majorité a trop mis l'accent sur la distinction entre «ne veut» et «ne peut» en l'espèce.

 

        Il peut être utile de commencer par revenir au texte en question:

 

        2. (1) . . .

 

«réfugié au sens de la Convention» désigne toute personne qui,craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques

 

a)  se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou

 

b)  qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner . . .

 

La disposition semble mettre l'accent sur la question de savoir si le demandeur «craint avec raison» d'être persécuté.  C'est le premier point que le demandeur doit établir.  Tout ce qui vient après doit être «du fait de cette crainte».  Le demandeur qui fait partie de la première catégorie doit, du fait de cette crainte, se trouver hors du pays dont il a la nationalité et doit être incapable de se réclamer de la protection de ce pays.  Le demandeur qui fait partie de la deuxième catégorie doit être à la fois hors du pays dont il a la nationalité et ne pas vouloir se réclamer de la protection de ce pays, du fait de cette crainte.  Par conséquent, quelle que soit la catégorie dont le demandeur fait partie, il s'agit d'établir s'il craint «avec raison» d'être persécuté.  C'est à ce stade que l'incapacité de l'État d'assurer la protection devrait être prise en considération.  Le critère est en partie objectif; si un État est capable de protéger le demandeur, alors, objectivement, ce dernier ne craint pas avec raison d'être persécuté.  À part cela, je ne vois rien dans le texte qui exige que l'État soit le complice, ou l'auteur, de la persécution en question.

 

Complicité de l'État

 

        Ma conclusion que la complicité de l'État dans la persécution n'est pas une condition préalable de la validité d'une revendication du statut de réfugié est renforcée par l'examen de l'historique de la disposition, de la jurisprudence dominante, ainsi que la doctrine.  Sur le premier point, les parties soutiennent que rien dans l'historique de la rédaction de la disposition, à savoir les Travaux préparatoires, ne laisse entendre que la persécution doit être reliée à une action de l'État.  L'avant-projet proposé par le délégué des États‑Unis mentionne uniquement que la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» ne fait pas état des "personnes qui quittent ou ont quitté le pays dont elles ont la nationalité ou dans lequel elles avaient leur résidence habituelle, pour des raisons d'intérêt purement personnel"; voir le doc. des Nations Unies E/AC.32/L.4 (18 janvier 1950), paragraphe B, à la p. 3.  L'avant-projet révisé qui a été proposé par le Royaume‑Uni ne restreignait aucunement la portée du mot «persécution», même s'il faisait mention des autorités étatiques en exigeant que le demandeur «ne veu[ille] pas retourner [dans ce pays] pour des raisons valables et suffisantes, ou bien [ne soit] pas autorisé[. . .] à y rentrer par les autorités de ce pays»; voir le doc. des Nations Unies E/AC.32/L.2/Rev. 1 (19 janvier 1950).  L'omission de la mention de l'action de l'État ne nous apprend toutefois pas grand‑chose.  La question n'a apparemment jamais été débattue et le texte ne montre pas qu'il doit y avoir un lien avec l'action de l'État.

 

        L'historique de la rédaction de la Convention ne permet peut‑être pas vraiment de justifier l'exclusion de la complicité de l'État de l'interprétation de l'expression «réfugié au sens de la Convention», mais d'autres sources étayent cette exclusion d'une façon plus convaincante.  Sur ce point, on cite souvent le paragraphe 65 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du HCNUR («Guide du HCNUR»).  Bien qu'il ne lie pas officiellement les États signataires, ce guide a été approuvé par les États membres du comité exécutif du HCNUR, dont le Canada, et les tribunaux des États signataires se sont fondés sur lui.  Le paragraphe 65 du Guide du HCNUR est ainsi rédigé:

 

65.  On entend normalement par persécution une action qui est le fait des autorités d'un pays.  Cette action peut également être le fait de groupes de la population qui ne se conforment pas aux normes établies par les lois du pays.  À titre d'exemple, on peut citer l'intolérance religieuse, allant jusqu'à la persécution, dans un pays par ailleurs laïc mais où d'importantes fractions de la population ne respectent pas les convictions religieuses d'autrui.  Lorsque des actes ayant un caractère discriminatoire grave ou très offensant sont commis par le peuple, ils peuvent être considérés comme des persécutions s'ils sont sciemment tolérés par les autorités ou si les autorités refusent ou sont incapables d'offrir une protection efficace.  [Je souligne.]

 

La position qui ressort du Guide du HCNUR est donc que les actes des particuliers constituent de la «persécution» lorsqu'ils viennent s'ajouter à l'incapacité de l'État d'assurer la protection.

 

        Le fait que la complicité de l'État n'est pas nécessaire a également été approuvé par les auteurs de doctrine; voir Job van der Veen, «Does Persecution by Fellow‑Citizens in Certain Regions of a State Fall Within the Definition of `Persecution' in the Convention Relating to the Status of Refugees of 1951? Some Comments Based on Dutch Judicial Decisions» (1980), 11 Netherlands Y.B. Intl. L. 167, à la p. 172; J. Hathaway, op. cit., à la p. 127; Guy S. Goodwin‑Gill, The Refugee in International Law (1983), à la p. 42; Patricia Hyndman, «The 1951 Convention Definition of Refugee:  An Appraisal with Particular Reference to the Case of Sri Lankan Tamil Applicants» (1987), 9 Hum. Rts. Q. 49, à la p. 67; Douglas Gross, «The Right of Asylum Under United States Law» (1980), 80 Colum. L. Rev. 1125, à la p. 1139; Atle Grahl‑Madsen, The Status of Refugees in International Law (1966), à la p. 191.

 

        Il ressort de la jurisprudence canadienne que l'on s'accorde de plus en plus pour dire que la complicité de l'État n'est pas nécessaire.  Il y a lieu de noter deux arrêts récents de la Cour d'appel fédérale.  En premier lieu, dans Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1984), 55 N.R. 129, la cour semble laisser entendre que l'incapacité de l'État d'assurer la protection est un aspect de la complicité de l'État.  L'affaire mettait en cause un demandeur du statut de réfugié du Sri Lanka qui était persécuté par d'autres citoyens à cause de ses convictions religieuses.  La police était largement indifférente à cette persécution.  Le juge Heald a conclu, au nom de la majorité, que la persécution n'a pas à être le fait d'agents de l'État.  Quant à l'«absence de volonté», il a conclu que l'indifférence de la police justifiait la réticence du demandeur à solliciter sa protection.  Le juge Stone, qui a souscrit à cet avis, déclare, à la p. 135:

 

De toute évidence, une personne ne peut être considérée comme un «réfugié au sens de la Convention» seulement parce qu'elle a subi des mauvais traitements de la part de ses concitoyens dans son pays.  Selon moi, il faut, pour satisfaire à la définition, que la persécution dont on se plaint ait été commise ou tolérée par l'État lui‑même, et qu'elle se traduise par des actes commis par l'État contre un particulier ou par la tolérance dont l'État fait preuve sciemment à l'égard de la conduite de certains de ses citoyens, ou par son refus de protéger un particulier contre cette conduite, ou son incapacité à le faire.

 

Si je comprends bien, le juge Stone soutient qu'il doit y avoir complicité de l'État, mais ce concept est largement défini de façon à inclure l'incapacité de l'État de protéger le citoyen contre la persécution privée.

 

        Les faits de la seconde affaire, Surujpal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1985), 60 N.R. 73, sont quelque peu similaires.  Dans cette affaire, les demandeurs alléguaient avoir été persécutés par des agents non étatiques parce qu'ils étaient membres de l'opposition.  Ils ont sollicité l'aide de la police qui a refusé.  Dans un jugement oral, le juge MacGuigan a mis l'accent sur la «complicité de la police» dans la persécution.  En l'espèce, la cour à la majorité s'est servi de cette expression pour prouver que le critère approprié est la participation de l'État à la persécution.  Toutefois, le juge MacGuigan a fait remarquer que dans l'arrêt Surujpal, il avait fait cette affirmation dans le contexte des faits dont il était saisi, et il semble laisser entendre qu'il ne tentait pas d'élucider un critère, mais qu'il décrivait simplement la conduite adoptée dans cette affaire.  Selon lui, la «complicité de l'État» semble également être suffisamment large pour englober l'incapacité de l'État d'assurer la protection.

 

        Ce point de vue est confirmé par l'arrêt récent de la Cour d'appel fédérale, Zalzali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 605, où le juge Décary fonde ses motifs sur l'incapacité de l'État d'assurer la protection.  Ce faisant, le juge Décary a endossé le point de vue énoncé au paragraphe 65 du Guide du HCNUR.  J'examinerai cette décision plus à fond ci‑dessous.

 

        La jurisprudence des États‑Unis, qui sont également partie à la Convention, étaye également l'interprétation selon laquelle l'expression «craignant avec raison d'être persécutée» vise les actions de persécuteurs non gouvernementaux lorsque l'État ne peut pas ou ne veut pas protéger le demandeur contre ces actions.  Dans McMullen c. Immigration and Naturalization Service, 658 F.2d 1312 (9th Cir. 1981), à la p. 1315, la Cour d'appel a interprété l'expression [traduction] «probabilité de persécution» lorsqu'il s'est agi de déterminer si un déserteur de l'IRA provisoire était passible d'expulsion.  La cour a conclu que le concept comprenait la [traduction] «[p]ersécution par le gouvernement ou par un groupe que le gouvernement est incapable de contrôler.»  Ce principe a été réitéré dans Artiga Turcios c. I.N.S., 829 F.2d 720 (9th Cir. 1987), à la p. 723, Arteaga c. I.N.S., 836 F.2d 1227 (9th Cir. 1988), à la p. 1231, et Estrada‑Posadas c. I.N.S., 924 F.2d 916 (9th Cir. 1991), à la p. 919.

 

        La communauté internationale était destinée à servir de tribune de second ressort pour le persécuté, de «substitut» auquel celui‑ci pourrait s'adresser à défaut de protection locale.  Le droit international relatif aux réfugiés ne repose pas simplement sur la nécessité d'abriter ceux qui sont persécutés par l'État, mais, d'une façon plus générale, sur celle de donner asile à ceux auxquels l'État d'origine ne peut pas fournir ou ne fournit pas de protection contre la persécution.  Il va sans dire que le premier objectif est compris dans le dernier, mais c'est le dernier objectif plus général que les rédacteurs de la Convention avaient à l'esprit.  L'incapacité de l'État de protéger l'individu contre la persécution fondée sur l'un des motifs énumérés constitue une absence de protection locale.

 

        Par conséquent, je conclus que la persécution au sens de la Convention comprend les cas où l'État n'est pas strictement complice de la persécution, mais est simplement incapable de protéger ses citoyens.

 

Les expressions «ne peut» et «ne veut»

 

        J'examinerai maintenant la deuxième question.  Je serais d'accord avec la Cour d'appel fédérale pour dire que les expressions «ne peut» et «ne veut» ont des sens différents qui sont, de prime abord, passablement évidents.  On peut dire que, par «ne peut», on entend matériellement ou littéralement incapable, et que «ne veut» signifie simplement que, pour une raison quelconque, la protection de l'État n'est pas recherchée, même s'il n'est pas impossible de l'obtenir.  À première vue, cette distinction semblerait claire, mais comme nous le verrons, elle s'est quelque peu estompée.

 

        Les Travaux préparatoires montrent jusqu'à un certain point comment s'est établie la distinction entre les deux concepts.  Le rapport du Premier comité spécial de l'apatridie et des problèmes connexes, 17 février 1950 (doc. des Nations Unies E/1618), contenait un avant‑projet de Convention qui comprenait une définition du mot «réfugié» conceptuellement similaire à la définition actuelle.  Toutefois, la version préliminaire établissait un lien entre l'expression «ne veut» et les demandeurs qui avaient le droit de solliciter la protection de leur État, alors que l'expression «ne peut» visait les apatrides.  Le comité a fait remarquer ceci (à la p. 12 du rapport):

 

        Le Comité a décidé que dans cet alinéa . . . et, par conséquent, dans tout le texte de la Convention, les mots «qui ne peut» se rapportent d'abord aux réfugiés apatrides, mais visent également les réfugiés qui ont une nationalité et auxquels leur gouvernement refuse un passeport ou toute autre protection.  Les mots «qui ne veut» se rapportent aux réfugiés qui refusent d'accepter la protection du gouvernement du pays dont ils ont la nationalité.

 

Cette remarque a généralement été interprétée comme créant une distinction entre les réfugiés ayant une nationalité et les apatrides; voir Goodwin‑Gill, op. cit., à la p. 25, n. 23.  Cependant, lorsque la définition a été remplacée par la définition actuelle, l'expression «ne peut» a été employée à l'égard tant des ressortissants que des apatrides.  La Commission soutient que cela montre que l'expression «ne peut» peut s'appliquer aux personnes qui ont une nationalité et que la distinction entre les expressions «ne peut» et «ne veut» s'est estompée.  En fait, cet argument est étayé par ce qu'on affirme aux paragraphes 98 à 100 du Guide du HCNUR:

 

98.  Lorsqu'il ne peut se réclamer de cette protection, cela tient à des circonstances indépendantes de sa volonté.  Il peut y avoir, par exemple, un état de guerre, une guerre civile ou d'autres troubles graves qui empêchent le pays dont l'intéressé a la nationalité de lui accorder sa protection ou qui rendent cette protection inefficace.  La protection du pays dont l'intéressé a la nationalité peut également lui avoir été refusée.  Ce refus de protection peut confirmer ou accroître la crainte qu'a l'intéressé d'être persécuté et peut même constituer en soi un élément de persécution.

 

99.  Ce qu'il faut entendre par refus de protection doit être déterminé selon les circonstances de l'affaire.  S'il apparaît que l'intéressé s'est vu refuser le bénéfice de certains droits ou prestations (par exemple la délivrance d'un passeport national ou la prorogation de ce passeport ou l'admission sur le territoire national) qui sont normalement accordés à ses compatriotes, cela peut constituer un refus de protection au sens de la définition.

 

100.  Les mots «ne veut» s'appliquent au réfugié qui refuse d'accepter la protection du gouvernement du pays dont il a la nationalité.  Ils sont explicités par les mots «du fait de cette crainte».  Lorsqu'une personne accepte de se réclamer de la protection de son pays, cette acceptation est normalement incompatible avec le fait de se trouver hors de son pays par crainte d'être persécuté.  Chaque fois qu'il est admis à bénéficier de la protection du pays dont il a la nationalité, et qu'il n'a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l'intéressé n'a pas besoin de la protection internationale et n'est pas un réfugié. [En italique dans l'original.]

 

Cela semblerait être une interprétation tout à fait raisonnable de la définition actuelle.  En ce qui concerne l'expression «ne peut», il semblerait que l'impossibilité matérielle ou littérale soit une façon de déclencher l'application de la définition, mais que ce ne soit pas la seule façon de le faire.  Ainsi, la protection inefficace de l'État est visée par les volets «ne peut» et «ne veut» de la définition et je n'ai plus qu'à conclure que l'appelant ici en cause aurait pu faire sa revendication sous un volet ou l'autre.  Cela étant, les distinctions qui ont été faites devant la Cour d'appel fédérale n'avaient pas vraiment beaucoup d'importance aux fins de la présente affaire.

 

        Bien qu'ils soient demeurés quelque peu ambigus sur ce point, les juges formant la majorité de la Cour d'appel fédérale ont paru laisser entendre que l'expression «ne peut» ne requiert pas la complicité de l'État, tandis que l'expression «ne veut» la requiert.  À mon avis, cette dichotomie n'est pas étayée par le texte de la disposition ou par les ouvrages et arrêts pertinents.  Comme le juge MacGuigan l'a fait remarquer en dissidence, la distinction élude la véritable question de savoir ce que signifie la complicité de l'État.  Comme nous l'avons vu, toutes les parties conviennent au moins que la complicité de l'État englobe l'incapacité d'assurer la protection.  Donc, même si la dichotomie mentionnée par la Cour d'appel était soutenable, cela n'empêcherait pas l'appelant de revendiquer le statut de réfugié.

 

        Dans Zalzali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), précité, la Cour d'appel a de nouveau examiné la dichotomie.  Cette affaire concernait un ressortissant libanais qui disait craindre d'être persécuté par l'une des diverses milices opposées de ce pays.  Les persécuteurs n'étaient donc pas des agents de l'État.  Néanmoins, la Cour d'appel a décidé que l'appelant  était visé par la définition du mot «réfugié».  La cour y a retenu la dichotomie «ne peut» et «ne veut», utilisée dans le jugement qu'elle a prononcé en l'espèce, et a conclu que la complicité de l'État n'était une condition préalable de la persécution qu'en vertu de la dernière expression.  La cour a en outre conclu que le demandeur «ne pouvait pas» solliciter la protection du gouvernement libanais, étant donné que ce dernier avait presque littéralement cessé d'exister pendant la guerre civile au Liban.

 

        Le juge Décary a conclu, au nom de la cour, à la p. 611, qu'il peut y avoir persécution au sens de la Loi en l'absence de toute forme de culpabilité, de complicité ou de participation de l'État.  Ses conclusions sont en bonne partie formulées dans le contexte du volet «ne peut» de la définition, eu égard au jugement qu'il a prononcé en l'espèce.  Toutefois, dans ses motifs, le juge laisse entendre qu'il serait disposé à appliquer la même analyse au volet «ne veut» de la disposition.  Il fait remarquer que les motifs prononcés par la Cour d'appel en l'espèce devraient être appliqués «avec infiniment de prudence» et il énonce initialement ses conclusions concernant la complicité de l'État sans faire mention de la dichotomie «ne veut» et «ne peut».  En fait, une grande partie de son raisonnement n'est pas fondée sur cette dichotomie.

 

        Le juge Décary s'inspire de diverses sources pour conclure que la persécution peut être le fait de compatriotes lorsque le gouvernement est incapable de protéger la victime contre les actes de ces derniers.  Le raisonnement suivi dans ces arrêts me persuade que la Loi n'exige pas la complicité de l'État.

 

         Le Conseil pour les réfugiés et la Commission ont soutenu, d'une façon convaincante à mon avis, qu'il est tout simplement inutile de donner un éclat judiciaire aux expressions «ne veut» et «ne peut».  Comme le Conseil l'a soutenu, il existe une distinction claire entre le fait que l'État ne peut pas protéger ses citoyens pendant qu'ils se trouvent sur son territoire (ce qui est examiné dans l'analyse sur la «crainte d'être persécuté») et le fait que la personne en cause «ne peut» se réclamer de cette protection, ce qui visent les relations hors du pays entre cette personne et l'État.

 

        La complicité de l'État dans la persécution n'est pas pertinente, peu importe que le demandeur «ne veuille» ou «ne puisse» se réclamer de la protection d'un pays dont il a la nationalité.  La distinction entre ces deux volets de la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» réside dans la partie qui écarte le recours à la protection de l'État:  dans le cas de «ne peut», la protection est refusée au demandeur, tandis que si ce dernier «ne veut» pas, il choisit de ne pas s'adresser à l'État en raison de la crainte qu'il éprouve pour un motif énuméré.  Dans un cas comme dans l'autre, la participation de l'État à la persécution n'est pas une considération nécessaire.  Ce facteur est plutôt pertinent pour déterminer s'il existe une crainte de persécution.

 

Critère applicable pour déterminer l'existence d'une crainte de persécution

 

        En Cour d'appel fédérale, le juge Urie semble s'être opposé d'une façon toute particulière aux liens établis par la Commission entre les diverses notions inhérentes à la définition.  Plus précisément, la Commission a relié l'absence de volonté du demandeur à l'incapacité de l'État d'assurer sa protection, et a rattaché la première notion au bien‑fondé de la crainte de persécution.  Ce sont, semble‑t‑il, des propositions auxquelles on ne peut trouver à redire.  Selon le juge Urie, le problème découlait de la conclusion de la Commission selon laquelle l'absence de protection de l'État crée une présomption de persécution et de bien‑fondé des craintes du demandeur.  Bien qu'elle ne l'ait pas citée, la Commission a repris presque textuellement la formulation de cette présomption qui figure dans Goodwin‑Gill, op. cit., à la p. 38.

 

        Le juge Urie semble avoir conclu que la Commission avait commis une erreur en établissant pour ainsi dire un lien algébrique entre les diverses propositions avancées et en se lançant ainsi dans un raisonnement tautologique.  À son avis, la Commission a établi un lien de causalité entre l'absence de volonté du demandeur et la persécution, en reliant les deux notions à la question de savoir si la crainte de celui‑ci était justifiée.  Toutefois, à la p. 610 de l'arrêt Zalzali, précité, le juge Décary a fait les remarques suivantes au sujet des préoccupations de son collègue:

 

Le juge Urie, J.C.A. a affirmé, dans Ward, à la page 680, qu'il faut éviter de confondre «la détermination de la persécution et la protection inefficace» et qu'«il faut traiter de ces deux concepts et y satisfaire de façon indépendante», mais si je comprends bien sa conclusion, telle qu'elle apparaît à la page 681, il voulait éviter dans les faits que l'un (la protection inefficace) ne servit de présomption en faveur de l'autre (la persécution).  Je ne pense pas qu'il ait voulu affirmer que ces deux concepts ne pouvaient être interreliés aux fins d'interpréter, en droit, la définition de réfugié.  Il faut, à mon avis, pour bien définir ce qu'est un réfugié, examiner le libellé dans son ensemble et interpréter le tout à la lumière de chacune de ses composantes.

 

En ce qui concerne à la fois le juge Décary et le juge Urie, il n'est pas clair, selon moi, que la Commission ait voulu établir un lien algébrique, du moins au sens causal où l'entend le juge Urie.

 

        Il est clair que l'analyse est axée sur l'incapacité de l'État d'assurer la protection:  c'est un élément crucial lorsqu'il s'agit de déterminer si la crainte du demandeur est justifiée, de sorte qu'il a objectivement raison de ne pas vouloir solliciter la protection de l'État dont il a la nationalité.  L'affirmation de Goodwin‑Gill, qui est apparemment à l'origine de la proposition de la Commission, se lit ainsi, à la p. 38:

 

        [traduction]  La crainte d'être persécuté et l'absence de protection sont elles‑mêmes des éléments intimement liés.  Les persécutés ne bénéficient manifestement pas de la protection de leur pays d'origine, alors que la preuve de l'absence de protection, que ce soit au niveau interne ou externe, peut créer une présomption quant à la probabilité de la persécution et au bien‑fondé de la crainte.  [Je souligne.]

 

Ayant établi que le demandeur éprouve une crainte, la Commission a, selon moi, le droit de présumer que la persécution sera probable, et la crainte justifiée, en l'absence de protection de l'État.  La présomption touche le c{oe}ur de la question, qui est de savoir s'il existe une probabilité de persécution.  Cependant, je ne vois rien de mal dans cela si la Commission est convaincue qu'il existe une crainte légitime et s'il est établi que l'État est incapable d'apaiser cette crainte au moyen d'une protection efficace.  De là à formuler la présomption, il n'y a qu'un pas.  Une fois établie l'existence d'une crainte et de l'incapacité de l'État de l'apaiser, il n'est pas exagéré de présumer que la crainte est justifiée.  Bien sûr, la persécution doit être réelle ‑‑ la présomption ne peut pas reposer sur des événements fictifs ‑‑ mais le bien‑fondé des craintes peut être établi à l'aide de cette présomption.

 

        En l'espèce, la présomption avait apparemment une certaine importance pour la Commission.  Cette dernière a conclu que l'appelant était un témoin crédible, acceptant ainsi que sa crainte d'être persécuté était légitime.  Étant donné que l'incapacité de l'Irlande de protéger l'appelant a été établie au moyen de la preuve que les agents de l'État avaient reconnu leur inefficacité, la Commission a donc pu présumer que les craintes du demandeur étaient justifiées.  À mon avis, ce point de vue est juste et suffisant pour conclure à l'existence d'une crainte de persécution en l'espèce.

 

        D'une façon plus générale, que doit faire exactement le demandeur pour établir qu'il craint d'être persécuté?  Comme j'y faisais allusion plus haut, le critère comporte deux volets:  (1) le demandeur doit éprouver une crainte subjective d'être persécuté, et (2) cette crainte doit être objectivement justifiée.  Ce critère a été formulé et appliqué par le juge Heald dans l'arrêt Rajudeen, précité, à la p. 134:

 

L'élément subjectif se rapporte à l'existence de la crainte de persécution dans l'esprit du réfugié.  L'élément objectif requiert l'appréciation objective de la crainte du réfugié pour déterminer si elle est fondée.

 

Voir également Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171 (C.A.F.), à la p. 173.  En l'espèce, la seule véritable question litigieuse concerne le critère objectif.  La Commission a conclu ici que le témoignage de Ward était digne de foi, établissant ainsi l'existence de l'élément subjectif.  Il s'agit de savoir si la crainte est objectivement justifiable.

 

        Le demandeur doit‑il d'abord solliciter la protection de l'État, lorsque sa revendication est fondée sur le volet «ne veut» dans le cas où l'État est incapable de le protéger?  La Commission d'appel de l'immigration a conclu qu'en l'absence de preuve de complicité de l'État, la simple apparence d'inefficacité de l'État ne suffit pas à justifier une revendication.  Comme le professeur Hathaway, op. cit., l'affirme, à la p. 130:

 

        [traduction]  De toute évidence, on ne saurait dire que l'État ne fournit pas de protection si le gouvernement n'a pas eu l'occasion de réparer une forme de préjudice dans des circonstances où la protection aurait pu raisonnablement être assurée:

 

Un réfugié peut prouver une crainte bien fondée d'être persécuté lorsque les autorités officielles ne le persécutent pas, mais qu'elle refusent ou sont incapables de lui offrir une protection adéquate contre ses persécuteurs [. . .] toutefois, il doit démontrer qu'il a demandé leur protection une fois convaincu, comme c'est le cas en l'espèce, que les autorités officielles ‑‑ lorsqu'elles étaient accessibles ‑‑ n'avaient rien à voir ‑‑ de façon directe ou indirecte, officielle ou non officielle ‑‑ dans la persécution dont il faisait l'objet.  (José Maria da Silva Moreira, décision T86‑10370 de la Commission d'appel de l'immigration, 8 avril 1987, aux pp. 4 et 5, V. Fatsis.)

 

Ce n'est pas vrai dans tous les cas.  La plupart des États seraient prêts à tenter d'assurer la protection, alors qu'une évaluation objective a établi qu'ils ne peuvent pas le faire efficacement.  En outre, le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d'un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l'encontre de l'objet de la protection internationale.

 

        Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit:  l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [traduction] «aurait pu raisonnablement être assurée».  En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.

 

        Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection.  D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward.  Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection.  Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée.  En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens.  La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté.  En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.

 

        L'arrêt Satiacum de la Cour d'appel fédérale peut mieux s'expliquer comme illustrant un tel cas de présomption de la capacité de l'État d'assurer une protection et du caractère objectivement déraisonnable de l'omission du demandeur de se réclamer de cette protection.  Dans cette affaire, un chef autochtone américain qui avait été reconnu coupable relativement à des accusations criminelles fédérales s'était enfui au Canada avant le prononcé de la sentence.  Arrêté au Canada un an plus tard, il a revendiqué le statut de réfugié.  Il a allégué que la persécution qu'il avait crainte mettrait sa vie en danger s'il était incarcéré dans un établissement fédéral.  La Cour d'appel fédérale a conclu que la crainte de Satiacum ne satisfaisait pas à l'élément objectif du critère de la crainte de persécution, car il faut présumer que le système judiciaire américain est en mesure de traiter un citoyen d'une manière équitable.  La cour affirme ceci, à la p. 176:

 

En l'absence d'une preuve de circonstances exceptionnelles faite par le revendicateur, il me semble que lors de l'audition d'une revendication du statut de réfugié, comme dans une requête en extradition, les tribunaux canadiens doivent tenir pour acquis qu'il existe un processus judiciaire équitable et impartial dans le pays étranger.  Dans le cas d'un État non démocratique, il peut être facile de faire la preuve contraire, mais en ce qui a trait à un État démocratique comme les États‑Unis, il se peut qu'il faille aller jusqu'à démontrer, par exemple, que le processus de sélection du jury est gravement atteint dans la région en question ou que l'indépendance ou le sens de l'équité des juges est en cause.

 

Bien que cette présomption accroisse l'obligation qui incombe au demandeur, elle ne rend pas illusoire la fourniture par le Canada d'un havre pour les réfugiés.  La présomption sert à renforcer la raison d'être de la protection internationale à titre de mesure auxiliaire qui entre en jeu si le demandeur ne dispose d'aucune solution de rechange.  Les revendications du statut de réfugié n'ont jamais été destinées à permettre à un demandeur de solliciter une meilleure protection que celle dont il bénéficie déjà.

 

        Bref, je conclus que la complicité de l'État n'est pas un élément nécessaire de la persécution, que ce soit sous le volet «ne veut» ou sous le volet «ne peut» de la définition.  Une crainte subjective de persécution conjuguée à l'incapacité de l'État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée.  Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténué par l'exigence d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer la protection.  Je reconnais que ces conclusions élargissent l'éventail des revendications du statut de réfugié auxquelles il sera peut‑être fait droit au delà de celles qui comportent la crainte d'être persécuté par le gouvernement nominal du demandeur.  Dans la mesure où cette persécution vise le demandeur pour l'un des motifs énumérés, je ne crois pas que l'identité de l'auteur redouté de la persécution a pour effet de soustraire ces cas aux obligations internationales du Canada dans ce domaine.  Sur ce, je passe maintenant à l'examen des motifs énumérés.

 

B.  Appartenance à un groupe social

 

        Le paragraphe 2(1) de la Loi limite à cinq possibilités les motifs pour lesquels un réfugié au sens de la Convention peut craindre avec raison d'être persécuté:  la race, la religion, la nationalité, l'appartenance à un groupe social ou les opinions politiques.  L'appelant justifie sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention en affirmant qu'il craint avec raison d'être persécuté par l'INLA s'il retourne en Irlande du Nord, du fait de son appartenance à un groupe social, c.‑à‑d. l'INLA.  Par conséquent, il s'agit d'abord de déterminer la portée de l'expression «groupe social» et de décider si ce motif énuméré de persécution vise les membres de l'INLA.

 

        En l'espèce, ce n'est qu'en Cour d'appel fédérale qu'on a tenté de définir l'étendue de la catégorie «groupe social».  La Commission d'appel de l'immigration n'a pas abordé la question, car elle semblait présumer que l'INLA constituait en fait un groupe social.  La Cour d'appel à la majorité adopte, à la p. 674, une définition très stricte, excluant «les groupes qui cherchent par des actes de terrorisme à promouvoir leur fin, en l'espèce le renversement de l'autorité dûment constituée».  Par ailleurs, à la p. 689, le juge MacGuigan délimite assez librement l'étendue de cette catégorie, en y incluant «des objectifs communs dans une association stable».  À mon avis, la portée qu'il convient de donner à l'expression «groupe social« se situe entre ces deux extrêmes, mais exclurait néanmoins l'appartenance de Ward à l'INLA.

 

        La jurisprudence canadienne dans laquelle l'expression «groupe social» est interprétée était, jusqu'à tout récemment, fort peu abondante; les affaires dans lesquelles cette notion intervenait étaient habituellement traitées en fonction de leurs propres faits, et n'étaient pas orientées vers une interprétation plus générale de la catégorie; voir Astudillo c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1979), 31 N.R. 121 (C.A.F.), Arrachea Gonzalez c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1991), C.A.F. A‑899‑90, Ahmed c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1990), C.A.F. A‑215‑90, Lai c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. 245, Osorio Cruz c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1988), I.A.B.D. M88‑20043X, Nalliah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1987), I.A.B.D. M84‑1642, Escoto c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1988), I.A.B.D. T87‑9024X, Incirciyan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1987), I.A.B.D. M87‑1541X/M87‑1248 et Balareso c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1985), I.A.B.D. M83‑1542.  Récemment, la Cour d'appel fédérale a commencé à formuler un critère qui se veut un moyen terme entre les deux positions avancées par les juges formant la majorité et ceux formant la minorité en Cour d'appel en l'espèce; voir Cheung c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 309 (Q.L.), appel no A‑785‑91 (C.A.F.) et Mayers c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 97 D.L.R. (4th) 729.  J'examinerai de façon assez détaillée ces deux décisions plus loin.  Les sources internationales et étrangères ont également une importance considérable lorsqu'il s'agit d'étudier le sens de l'expression «groupe  social» et, en particulier, d'évaluer le critère récemment proposé par la Cour d'appel fédérale.  L'examen de la doctrine et de la jurisprudence canadiennes et étrangères révèle que trois solutions sont prônées:

 

(1)  une définition très générale, semblable à celle que le juge MacGuigan a adoptée, selon laquelle la catégorie sert de filet de sécurité destiné à parer à toute lacune possible dans les quatre autres catégories;

 

(2)  une définition plus étroite dont la portée est limitée par quelque mécanisme restrictif approprié, reconnaissant que cette catégorie n'est pas destinée à englober tous les groupes; et

 

(3)  une définition encore plus étroite, semblable à celle formulée par la Cour d'appel fédérale à la majorité, qui répond aux inquiétudes exprimées au sujet de la moralité et de la criminalité en excluant les terroristes, les criminels et autres individus de même acabit.

 

Je vais examiner à tour de rôle chacune de ces définitions proposées.

 

Le «groupe social» en tant que filet de sécurité

 

        La définition générale de l'expression «groupe social», comprenant essentiellement toute alliance d'individus ayant un objectif commun, est le plus vigoureusement préconisée par Arthur C. Helton, directeur du Political Asylum Project du Lawyers Committee for International Human Rights.  Dans son article intitulé «Persecution on Account of Membership in a Social Group As a Basis for Refugee Status» (1983), 15 Colum. Hum. Rts. L. Rev. 39, à la p. 45, Helton exprime ainsi son point de vue au sujet de l'étendue de cette catégorie:

 

[traduction]  L'intention des rédacteurs de la Convention sur les réfugiés n'était pas de remédier à la persécution antérieure de groupes sociaux, mais plutôt de protéger les particuliers contre toute injustice future.  La catégorie du «groupe social» était destinée à être une catégorie fourre‑tout pouvant comprendre tous les motifs et genres de persécution qu'un despote imaginatif pourrait inventer.

 

Isi Foighel qualifie de [traduction] «filet de sécurité» cette catégorie.  [traduction] «[C]ette catégorie», dit‑il, «devait comprendre également la race et l'ethnie et devait en outre s'appliquer d'une façon exhaustive aux catégories de personnes qui, une fois considérées comme des réfugiés au sens international, avaient une revendication légitime bien qu'elles ne fussent pas clairement comprises dans les catégories expressément mentionnées».  Voir Isi Foighel, «The Legal Status of the Boat‑People», 48 Nordisk Tidsskrift for International Relations 217, aux pp. 222 et 223.  Selon cette interprétation, une association de gens est essentiellement un «groupe social» du seul fait de leur victimisation commune en tant qu'objets de persécution.

 

        Cette interprétation large a été préconisée par plusieurs autres auteurs en la matière.  Dans The Refugee in International Law, op. cit., à la p. 30, Guy Goodwin‑Gill dit que [traduction] «le fait d'avoir des intérêts,  des valeurs ou des antécédents communs ‑‑ des questions de choix combinées à d'autres questions sur lesquelles les membres du groupe n'ont aucun contrôle» est essentiel à la définition.  Goodwin‑Gill va jusqu'à énumérer comme caractéristiques unificatrices pertinentes, outre l'origine ethnique, culturelle et linguistique, l'instruction et les antécédents familiaux, les facteurs de l'activité économique, des valeurs partagées, de la façon de voir les choses et des aspirations.  Dans «Asylum for Persecuted Social Groups:  A Closed Door Left Slightly Ajar ‑‑ Sanchez‑Trujillo v. INS, 801 F.2d 1571 (9th Cir. 1986)» (1987), 62 Wash. L. Rev. 913, à la p. 923, Daniel Compton délimite la portée générale de l'expression «groupe social» comme [traduction] «un groupement reconnu dans une société, un groupe qui partage une certaine expérience commune».  Il est vrai que ces auteurs semblent parfois nuancer quelque peu leur interprétation en parlant de groupes [traduction] «légitimes» ou de persécution [traduction] «odieuse».  Cependant, il reste qu'ils disent essentiellement que, dans la mesure où l'ensemble des individus ont certains points en commun, qu'il s'agisse de l'origine, du mode de vie ou du statut, on satisfait à l'exigence que la crainte d'être persécuté soit fondée sur l'appartenance à un groupe social.

 

        Les défenseurs de cette interprétation large se fondent sur l'origine de la catégorie du «groupe social».  Cette interprétation a été proposée à la dernière minute par le délégué suédois qui voulait élargir la définition de l'expression «réfugié» figurant dans la Convention (A/CONF.2/SR.3, à la p. 14):

 

[traduction]  M. PETREN (Suède) . . .

 

        En premier lieu, l'expérience a montré que certains réfugiés avaient été persécutés parce qu'ils faisaient partie de groupes sociaux particuliers.  L'avant-projet de Convention ne prévoyait pas pareils cas et une disposition devrait donc être incluse à cet égard.

 

Les défenseurs de l'interprétation libérale justifient leur position en se fondant sur cette analyse limitée de l'historique de l'ajout.  Ainsi, Grahl‑Madsen, op. cit., à la p. 219, justifie la définition large qu'il donne en se fondant, par exemple, sur l'intention des rédacteurs.  Il affirme ceci:

 

[traduction]  La raison pour laquelle l'expression «appartenance à un groupe social» a été ajoutée après coup par la Conférence des plénipotentiaires (sic).  De nombreux cas englobés par cette expression sont également visés par les expressions examinées ci‑dessus, mais la notion de «groupe social» a une application plus large que les notions combinées de groupes raciaux, ethniques et religieux et, afin de combler une lacune possible, la Conférence croyait que l'on ferait aussi bien de mentionner expressément ce motif de persécution.

 

D'autres font remarquer la même chose; voir Maureen Graves, «From Definition to Exploration:  Social Groups and Political Asylum Eligibility» (1989), 26 San Diego L. Rev. 739, aux pp. 747 à 749; Compton, loc. cit., aux pp. 925 et 926.

 

        À mon avis, ceux qui prônent la définition générale exagèrent les répercussions de l'intention des rédacteurs.  Au départ, cette catégorie a été ajoutée pour élargir l'éventail des cas visés par la définition du terme «réfugié» qu'on y trouve, et ce, en réponse à la guerre froide afin d'assurer un havre aux capitalistes qui fuyaient la persécution à laquelle ils faisaient face dans les régimes du bloc de l'Est, après la Deuxième guerre mondiale.  Daniel Compton, loc. cit., fait l'observation historique suivante, aux pp. 925 et 926:

 

[traduction]  Les cas les plus connus de persécution du fait de l'appartenance à un groupe social au [moment où la Convention a été rédigée] se sont produits en Europe de l'Est après l'avènement des régimes communistes.  Dans des affaires subséquentes devant des tribunaux européens de nations qui étaient parties à la Convention, on a reconnu, par exemple, la «catégorie des capitalistes» ainsi que les «hommes d'affaires indépendants» et leurs familles en tant que groupes sociaux réguliers, lorsqu'il s'agissait d'accorder le statut de réfugié à des personnes qui fuyaient l'Europe de l'Est.  Des exemples de ce genre sont probablement ce à quoi songeaient les Suédois.

 

Voir également R. Plender, "Admission of Refugees: Draft Convention on Territorial Asylum" (1977-78), 15 San Diego L. Rev. 45, à la p. 52, et Grahl‑Madsen, op. cit., aux pp. 219 et 220, pour un examen de la jurisprudence étrangère relative à ces affaires de guerre froide.  Dans les «affaires de guerre froide», les capitalistes étaient persécutés non pas à cause de leurs activités contemporaines, mais à cause de la situation antérieure que leur imputaient les leaders communistes.  Compte tenu de cette origine historique, la définition de l'expression «groupe social» doit tout au moins viser ces genres de situations.  Toutefois, la portée de l'expression «groupe social» n'était pas destinée à être limitée à cette situation historique précise et personne n'a jamais soutenu cela.  La portée de cette partie de la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» doit être évaluée en fonction des principes fondamentaux qui sous‑tendent le traité.

 

        Comme nous l'avons déjà expliqué, le droit international relatif aux réfugiés était destiné à servir de «substitut» à la protection nationale si celle‑ci n'était pas fournie.  C'est pourquoi le rôle international était assujetti à des limitations intrinsèques.  Ces mécanismes restrictifs montrent que la communauté internationale n'avait pas l'intention d'offrir un refuge à toutes les personnes qui souffrent.  Par exemple,  la «persécution» nécessaire pour justifier la protection internationale entraîne l'exclusion de suppliques comme celles des migrants économiques, c'est‑à‑dire des personnes à la recherche de meilleures conditions de vie, ou des victimes de catastrophes naturelles, même si l'État d'origine ne peut pas les aider, quoique les personnes dans ces deux cas puissent sembler mériter l'asile international.

 

        De même, les rédacteurs de la Convention ont limité les motifs énumérés de crainte justifiée de persécution à la race, à la religion, à la nationalité, à l'appartenance à un groupe social ou aux opinions politiques.  Même si les délégués ont inclus la catégorie du groupe social afin de combler toute lacune possible laissée par les quatre autres groupes, cela n'amène pas nécessairement à conclure que toute association ayant certains points en commun est incluse.  Si c'était le cas, il aurait été inutile d'énumérer ces motifs; la définition du mot «réfugié» aurait pu être limitée sans plus aux personnes qui craignent avec raison d'être persécutées.  Les rédacteurs ont décidé d'énumérer ces motifs afin de fixer une autre limite intrinsèque aux obligations des États signataires.  Il s'agit donc de déterminer la ligne de démarcation de cette limite.

 

        Le Guide du HCNUR ne semble pas aborder expressément cette question.  Les paragraphes 77 à 79 portent sur le sens de l'expression «appartenance à un certain groupe social»:

 

77.  Par «un certain groupe social», on entend normalement des personnes appartenant à un groupe ayant la même origine et le même mode de vie ou le même statut social.  La crainte d'être persécuté du fait de cette appartenance se confondra souvent en partie avec une crainte d'être persécuté pour d'autres motifs, tels que la race, la religion ou la nationalité.

 

78.  L'appartenance à un certain groupe social peut être à l'origine de persécutions parce que les prises de position politique, les antécédents ou l'activité économique de ses membres, voire l'existence même du groupe social en tant que tel, sont considérés comme un obstacle à la mise en {oe}uvre des politiques gouvernementales.

 

79.  Normalement, la simple appartenance à un certain groupe social ne suffira pas à établir le bien‑fondé d'une demande de reconnaissance du statut de réfugié.  Il peut cependant y avoir des circonstances particulières où cette simple appartenance suffit pour craindre des persécutions.

 

Le langage utilisé est suffisamment général pour être interprété, sous un certain angle, comme étant conforme à l'interprétation large que nous venons d'examiner.  Toutefois, la chose est loin d'être certaine.  À mon avis, le Guide peut tout aussi bien être interprété plus strictement.  Compte tenu du contexte et de l'objet du traité, cela me semble être la meilleure solution.

 

Le «groupe social» limité par des notions antidiscriminatoires

 

        La Convention repose sur l'engagement qu'a pris la communauté internationale de garantir, sans distinction, les droits fondamentaux de la personne.  C'est ce qu'indique le préambule du traité:

 

        Considérant que la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l'homme approuvée le 10 décembre 1948 par l'Assemblée générale ont affirmé ce principe que les êtres humains, sans distinction, doivent jouir des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

 

Ce thème donne un aperçu des limites des objectifs que les délégués cherchaient à atteindre et dont ils avaient convenu.  Il énonce, d'une façon générale, l'intention des rédacteurs et fixe de ce fait une limite inhérente aux cas visés par la Convention.  Hathaway, op. cit., à la p. 108, explique ainsi l'incidence de ce ton général du traité sur le droit relatif aux réfugiés:

 

        [traduction]  Toutefois, le point de vue dominant est que le droit relatif aux réfugiés devrait s'appliquer aux actions qui nient dune manière fondamentale la dignité humaine, et que la négation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne est la norme appropriée.

 

Ce thème fixe les limites de bien des éléments de la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention».  Par exemple, on a donné le sens suivant au mot «persécution» qui n'est pas défini dans la Convention:  [traduction] «violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne démontrant l'absence de protection de l'État»; voir Hathaway, op. cit., aux pp. 104 et 105.  Goodwin‑Gill, op. cit., fait lui aussi remarquer, à la p. 38, que [traduction] «l'analyse exhaustive exige que la notion générale [de persécution] soit liée à l'évolution constatée dans le domaine général des droits de la personne».  C'est ce que la Cour d'appel fédérale a récemment reconnu dans l'affaire Cheung.

 

        De même, l'énumération des motifs précis sur lesquels la crainte de persécution peut être fondée pour donner lieu à la protection internationale est semblable à la méthode adoptée en droit international relatif à la discrimination.  Ainsi, à la p. 39, Goodwin‑Gill, op. cit., fait observer:

 

[traduction]  En mentionnant la race, la religion, la nationalité, l'appartenance à un groupe social ou les opinions politiques, on indique brièvement les caractéristiques des personnes et groupes considérés comme méritant une protection spéciale.  Ces mêmes facteurs étaient présents dans l'établissement du principe fondamental de la non‑discrimination en droit international général, et ont contribué à la formulation d'autres droits fondamentaux de la personne.

 

Il est donc opportun de s'inspirer des notions de discrimination pour dégager le contenu de l'expression «groupe social».  Hathaway, op. cit., aux pp. 135 et 136, explique que l'influence antidiscriminatoire dans le droit relatif aux réfugiés est justifiée, compte tenu des personnes qu'on cherche ainsi à protéger:

 

        [traduction]  Les anciennes conventions sur les réfugiés ne mentionnaient pas cette notion de privation ou de ventilation des droits fondamentaux d'appartenance, car les réfugiés étaient simplement définis par des catégories nationales, politiques et religieuses précises, comme les Russes anticommunistes, les Arméniens turcs, les Juifs de l'Allemagne, et ainsi de suite.  Toutefois, le critère unificateur de fait était la marginalisation partagée des groupes dans leurs États d'origine, avec l'incapacité qui en découlait de revendiquer chez eux leurs droits fondamentaux de la personne.  Ces anciens réfugiés n'étaient pas simplement des personnes qui souffraient, mais étaient aussi des personnes dont la position était fondamentalement en désaccord avec l'organisation du pouvoir dans leur État d'origine.  C'était le manque d'intérêt réel dans le gouvernement de leur propre société qui les distinguait des autres et qui légitimisait leur désir de chercher une protection à l'étranger.

 

La façon de distinguer les groupes aux fins du droit relatif à la discrimination peut donc à bon droit s'appliquer à ce domaine du droit relatif aux réfugiés.

 

        Cette préoccupation internationale au sujet de la discrimination et des droits de la personne semble être à l'origine de la tendance qui s'est récemment manifestée dans la jurisprudence de la Cour d'appel fédérale.  Dans Mayers c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), précité, la cour a examiné la décision du tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement.  Aux termes de cette décision, on a conclu que certains éléments de preuve permettaient à la section du statut de réfugié de conclure que la requérante était une réfugiée au sens de la Convention parce qu'elle craignait d'être persécutée du fait de son appartenance au groupe social des «Trinidadiennes victimes de violence conjugale».  Bien que cela ne fût pas strictement nécessaire à l'examen, le juge Mahoney s'est demandé si ce groupe pouvait être visé par la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention».  Ce faisant, il formule, à la p. 737, le critère suivant proposé par l'avocat de la requérante:

 

. . . un groupe social désigne (1) un groupe naturel ou non de personnes (2) qui partagent des antécédents, des habitudes, un statut social, des vues politiques, une instruction, des valeurs, des aspirations, une histoire, des activités ou des intérêts économiques similaires, souvent des intérêts contraires à ceux du gouvernement au pouvoir et (3) qui partagent des caractéristiques, une conscience et une solidarité inaltérables, innées et fondamentales ou (4) qui partagent un statut temporaire mais volontaire, afin que leur association soit si essentielle à leur dignité humaine qu'elles ne devraient pas être obligées de la modifier.

 

        Dans Cheung c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, précité, la cour a eu à examiner plus directement la question du critère applicable au «groupe social» pour déterminer si les Chinoises qui ont plus d'un enfant et qui font face à la stérilisation forcée constituent un pareil groupe.  Aux fins de cette évaluation, le juge Linden a adopté le critère proposé dans Mayers c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), précité.  En appliquant le critère aux faits dont il était saisi, le juge Linden a déclaré ceci:

 

Il est clair que les femmes en Chine qui ont un enfant et qui font face à la stérilisation forcée satisfont suffisamment aux critères ci‑dessus pour être considérées comme formant un groupe social.  Elles forment un groupe partageant le même statut social et ont un intérêt similaire que ne partage pas leur gouvernement.  Elles ont en commun certaines caractéristiques fondamentales.  Toutes celles qui entrent dans ce groupe poursuivent ou ont en commun une fin si essentielle à leur dignité humaine qu'elles ne devraient pas être obligées de la modifier pour le motif que l'ingérence dans la liberté de procréation d'une femme est un droit fondamental «qui se situe en haut de notre échelle de valeurs» (E. Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388).

 

Ainsi, l'enquête était axée sur le droit fondamental à la procréation.

 

        Cette façon de délimiter la portée de l'expression «groupe social» est expliquée plus à fond dans la jurisprudence quasi judiciaire américaine.  Dans Matter of Acosta, décision provisoire 2986, 1985 WL 56042 (B.I.A.), banque de données FIM-BIA, le Board of Immigration Appeals américain était saisi d'une demande d'asile d'un citoyen du Salvador.  Le demandeur avait fondé sa crainte de persécution sur son appartenance à une coopérative de chauffeurs de taxis.  Selon lui, les membres de la coopérative avaient été la cible de guérilleros antigouvernementaux pour avoir refusé d'obtempérer aux demandes d'arrêts de travail que ceux‑ci leur avaient faites.  En concluant que la coopérative ne constituait pas un «groupe social», le Board a défini ce terme d'une façon qui reflète l'analyse classique de la discrimination.  Il déclare, aux pp. 37 à 39:

 

        [traduction]  Nous concluons que la théorie bien établie de l'ejusdem generis, qui signifie littéralement «du même genre», est fort utile pour interpréter l'expression «appartenance à un groupe social».  Selon cette théorie, les termes généraux employés dans une énumération avec des termes précis devraient être interprétés d'une façon compatible avec ces derniers.  Voir, par exemple, Cleveland c. United States, 329 U.S. 14 (1946); 2A C. Sands, op. cit., s 47.17.  Les autres motifs de persécution énumérés dans la Loi et le Protocole en rapport avec l'expression «appartenance à un groupe social» sont la persécution fondée sur la «race», la «religion», la «nationalité» et les «opinions politiques».  Chacun de ces motifs décrit la persécution à l'égard d'une caractéristique immuable:  une caractéristique qu'une personne n'est pas en mesure de changer ou qui est si essentielle à l'identité ou à la conscience individuelle qu'elle ne devrait pas avoir à changer.  Voir A. Grahl‑Madsen, op. cit., à la p. 217; G. Goodwin‑Gill, op. cit., à la p. 31.  Ainsi, les quatre autres motifs de persécution énumérés dans la Loi et dans le Protocole limitent l'attribution du statut de réfugié aux personnes qui ne peuvent, par leurs propres actions, éviter la persécution, ou qui ne devraient pas, en toute conscience, être obligées de le faire.

 

        En appliquant la théorie de l'ejusdem generis, nous interprétons l'expression «persécutée du fait de son appartenance à un groupe social» comme désignant la persécution dont est victime l'individu qui est membre d'un groupe de personnes ayant toutes une caractéristique commune immuable.  La caractéristique partagée pourrait être innée, comme le sexe, la couleur, ou les liens de parenté ou, dans certains cas, il pourrait s'agir d'une expérience commune antérieure comme le fait d'avoir été chef militaire ou propriétaire foncier.  Le genre particulier de caractéristique de groupe qui sera admissible selon cette interprétation devra être déterminé en fonction de chaque cas.  Toutefois, quelle que soit la caractéristique commune qui définit le groupe, il doit s'agir d'une caractéristique que les membres du groupe ne peuvent changer ou ne devraient pas être requis de changer, parce qu'elle est essentielle à leur identité ou à leur conscience individuelle.  C'est uniquement dans ce cas que le simple fait d'appartenir au groupe devient quelque chose de comparable aux quatre autres motifs de persécution prévus par la Loi, soit une chose que la personne en cause n'est pas en mesure de changer ou qui est si essentielle à son identité ou à sa conscience qu'elle ne devrait pas avoir à la changer.  En interprétant ainsi l'expression «persécutée du fait de son appartenance à un groupe social», nous préservons la notion selon laquelle le refuge est limité aux personnes qui ne peuvent, par leurs propres actions, éviter la persécution, ou qui ne devraient pas, en toute conscience, être obligées de le faire.

 

Cette définition exclut les [traduction] «groupes définis par une caractéristique changeable ou dont il est possible de se dissocier, dans la mesure où aucun de ces choix n'exige la renonciation aux droits fondamentaux de la personne»; voir Hathaway, op. cit., à la p. 161.

 

        Au Canada, le droit en matière de discrimination énoncé à l'art. 15  de la Charte  et la jurisprudence y relative, bien qu'ils ne soient complètement au point, mentionnent des critères fort similaires.  Dans l'arrêt charnière en matière d'égalité Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, il a été jugé que l'absence de citoyenneté était un motif analogue de discrimination parce qu'elle comportait les mêmes caractéristiques générales que les motifs énumérés à l'art. 15  de la Charte .  Dans cette affaire, j'ai énoncé ces caractéristiques communes comme suit, à la p. 195:

 

La citoyenneté est une caractéristique qui, normalement, ne relève pas du contrôle de l'individu et, dans ce sens, elle est immuable.  La citoyenneté est, temporairement du moins, une caractéristique personnelle qu'on ne peut modifier par un acte volontaire et qu'on ne peut, dans certains cas, modifier qu'à un prix inacceptable.

 

La méthode des «motifs analogues« utilisée pour aborder l'art. 15  de la Charte  est semblable à celle que la Cour d'appel fédérale, dans les arrêts qu'elle a rendus récemment, et l'Immigration Board of Appeals américain ont employée pour définir l'expression «groupe social», lorsqu'il s'est agi de dégager le point que les motifs énumérés ont en commun et d'extrapoler à partir de ce point commun.

 

        Ces types de critères nous semblent appropriés.  L'obligation qui incombe au Canada de donner asile aux personnes qui fuient leur pays d'origine n'est pas illimitée.  Les gouvernements étrangers devraient avoir une certaine liberté d'action en définissant ce qui constitue un comportement antisocial de la part de leurs ressortissants.  Le Canada ne devrait pas outrepasser son rôle sur le plan international en engageant sa responsabilité dès qu'un groupe est visé.  Il existe sûrement des groupes auxquels l'affiliation de la personne en cause n'est pas à ce point importante pour elle qu'il conviendrait davantage qu'elle s'en dissocie pour que la responsabilité du Canada soit engagée.  La façon la plus simple de faire la distinction consiste peut‑être à mettre en opposition ce à quoi une personne s'oppose et ce qu'elle fait, à un moment donné.  Par exemple, on pourrait examiner les faits en cause dans Matter of Acosta, où le demandeur était visé parce qu'il était membre d'une coopérative de chauffeurs de taxis.  À supposer qu'aucune question d'opinion politique ou de droit de gagner sa vie ne soit en cause, le demandeur a été visé en raison de ce qu'il faisait et non de ce qu'il était, et ce, d'une façon immuable ou fondamentale.

 

        Le sens donné à l'expression «groupe social» dans la Loi devrait tenir compte des thèmes sous‑jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l'initiative internationale de protection des réfugiés.  Les critères proposés dans Mayers, Cheung et Matter of Acosta, précités, permettent d'établir une bonne règle pratique en vue d'atteindre ce résultat.  Trois catégories possibles sont identifiées:

 

(1)  les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;

 

(2)  les groupes dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et

 

(3) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.

 

La première catégorie comprendrait les personnes qui craignent d'être persécutées pour des motifs comme le sexe, les antécédents linguistiques et l'orientation sexuelle, alors que la deuxième comprendrait, par exemple, les défenseurs des droits de la personne.  La troisième catégorie est incluse davantage à cause d'intentions historiques, quoiqu'elle se rattache également aux influences antidiscriminatoires, en ce sens que le passé d'une personne constitue une partie immuable de sa vie.

 

Le «groupe social»:  exclusion des criminels et des terroristes

 

        La Cour d'appel fédérale à la majorité a statué que des terroristes, comme les membres de l'INLA, ne devraient pas bénéficier de la protection internationale des réfugiés.  Le juge Urie s'exprime ainsi, aux pp. 674 et 675:

 

L'avocate du requérant a souligné que l'alinéa 3g) de la Loi reconnaît la nécessité pour le Canada «de remplir, envers les réfugiés, les obligations légales du Canada sur le plan international et de maintenir sa traditionnelle attitude humanitaire à l'égard des personnes déplacées ou persécutées».  Pour qu'il y ait conformité avec l'objectif humanitaire de la Loi, les groupes qui cherchent par des actes de terrorisme à promouvoir leur fin, en l'espèce le renversement de l'autorité dûment constituée, devraient être exclus des groupes sociaux qui répondent à la définition de réfugié au sens de la Convention.  Agir autrement, a soutenu l'avocate du requérant, ce serait faire du Canada un havre pour ceux qui ont admis avoir commis des actes de terrorisme, y avoir participé ou apporté leur sympathie dans d'autres pays, qu'ils désavouent ou non leur appui aux terroristes.

 

Pour assurer de cette manière l'exclusion de ces demandeurs indésirables, le juge Urie limite la portée de l'expression «groupe social».  Toutefois, l'examen de la Loi dans son ensemble révèle que les questions qu'il a formulées sont prévues et réglées ailleurs dans la Loi.  À mon avis, pareille restriction de la portée de l'expression «groupe social» est donc inutile et rend redondantes les dispositions expresses d'exclusion.

 

        L'article 19 de la Loi énumère les catégories de demandeurs considérés comme non admissibles.  Plusieurs de ces catégories ont trait à des questions de criminalité, de violence et de renversement de gouvernement.  La partie pertinente du par. 19(1) se lit ainsi:

 

        19.  (1)  Ne sont pas admissibles

 

                         . . .

 

c)  les personnes qui ont été déclarées coupables d'une infraction qui constitue, qu'elle ait été commise au Canada ou à l'étranger, une infraction qui peut être punissable, en vertu d'une loi du Parlement, d'une peine maximale d'au moins dix ans d'emprisonnement, à l'exception de celles qui établissent à la satisfaction du gouverneur en conseil qu'elles se sont réhabilitées et que cinq ans au moins se sont écoulés depuis l'expiration de leur peine;

 

d)  les personnes au sujet desquelles il existe de bonnes raisons de croire qu'elles:

 

(i)  commettront une ou plusieurs infractions punissables par voie de mise en accusation en vertu d'une loi du Parlement, ou

 

(ii)  se livreront à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert pour commettre une infraction qui peut être punissable par voie de mise en accusation en vertu d'une loi du Parlement;

 

e)  les personnes qui se sont livrées à des actes d'espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques au sens où cette expression s'entend au Canada, ou au sujet desquelles il y a de bonnes raisons de croire qu'elles se livreront à de tels actes, à l'exception de celles qui, s'y étant livrées, ont établi à la satisfaction du Ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national;

 

f)  les personnes au sujet desquelles il existe de bonnes raisons de croire que, pendant leur séjour au Canada, elles travailleront ou inciteront au renversement d'un gouvernement par la force;

 

g)  les personnes au sujet desquelles il existe de bonnes raisons de croire qu'elles commettront des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada, ou qu'elles appartiennent à une association susceptible de commettre de tels actes ou qu'elles sont susceptibles de prendre part aux activités illégales d'une telle association;

 

Aux termes du par. 19(2), ne sont pas admissibles les personnes qui ont été déclarées coupables d'une infraction qui, si elle avait été commise au Canada, pourrait être punissable par voie de mise en accusation ou sur déclaration sommaire de culpabilité, à moins qu'elles n'établissent qu'elles se sont réhabilitées et que certains délais précis se sont écoulés.

 

        Le demandeur du statut de réfugié au Canada qui a établi qu'il est visé par la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» doit en outre surmonter l'obstacle de l'art. 19 pour que l'autorisation de séjour lui soit accordée.  Ces exclusions fondées sur la criminalité ont été rédigées avec soin de telle façon que les demandeurs qui peuvent constituer une menace pour le gouvernement canadien ou pour la vie ou les biens des résidents du Canada ne soient pas admis.  Toutefois, les dispositions donnent expressément au ministre de l'Emploi et de l'Immigration suffisamment de latitude pour réexaminer l'opportunité d'accorder l'autorisation de séjour au demandeur qui a un casier judiciaire, lorsque le Ministre est convaincu que celui‑ci s'est réhabilité.  De cette façon, le Parlement a choisi de ne pas considérer les antécédents criminels d'une personne comme une fin de non-recevoir à l'obtention du statut de réfugié.  Si la portée de l'expression «groupe social» était interprétée de façon à exclure les criminels et les terroristes, comme la Cour d'appel à la majorité l'a fait, cette décision législative ne serait pas prise en considération.  Je crois qu'il est préférable d'éviter pareille exclusion générale compte tenu de l'existence d'un mécanisme explicite et exhaustif d'évaluation de ces demandeurs potentiellement non admissibles.

 

        Dans la version modifiée de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, le Parlement a répondu davantage au souci d'interdire de séjour les demandeurs criminels et dangereux, en excluant de la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» figurant à l'art. 2 de la Loi toute personne à laquelle la Convention ne s'applique pas conformément à la section E ou F de l'article premier, dont le texte est reproduit à l'annexe de la Loi (L.R.C. (1985), ch. 28 (4e suppl.), art. 34).  La disposition de l'article premier de la Convention, qui nous intéresse aux fins de la présente analyse, est la section F dont voici le texte:

 

        F.  Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:

 

a)  Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 

b)  Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

 

c)  Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

 

        La formulation de cette exclusion pour la «perpétration» d'un crime peut être mise en contraste avec l'art. 19 de la Loi, qui parle de «déclarations de culpabilité» relatives à des crimes.  Hathaway, op. cit., à la p. 221, interprète cette exclusion comme visant [traduction] «les personnes qui sont passibles de peines, dans un autre État, pour avoir commis un véritable crime grave, et qui cherchent à se soustraire à leur responsabilité criminelle légitime en revendiquant le statut de réfugié».  En d'autres termes, Hathaway semblerait limiter l'application de l'al. b) aux personnes accusées qui cherchent à échapper à des poursuites.  La question de l'interprétation de cette modification n'a pas été débattue devant nous.  Toutefois, je remarque que l'interprétation du professeur Hathaway semble être compatible avec le point de vue exprimé dans les Travaux préparatoires, au sujet du besoin de conformité entre la Convention et le droit en matière d'extradition; voir la déclaration du délégué Henkin des États‑Unis, doc. des Nations Unies E/AC.32/SR.5 (30 janvier 1950), à la p. 5.  À ce sujet, Ward ne serait toujours pas exclu pour ce motif, puisqu'il a déjà été déclaré coupable des crimes qu'il a commis et qu'il a déjà purgé sa peine.  Toutefois, cet ajout à la Loi répond, d'une façon plus générale, aux questions soulevées par la Cour d'appel à la majorité et affaiblit l'argument selon lequel il faut composer avec les questions de moralité et de criminalité en restreignant la définition de l'expression «groupe social».

 

        Ward est‑il membre d'un groupe social?

 

        Si j'applique à la présente affaire l'interprétation à trois volets de l'expression «groupe social» qui a été adoptée plus haut, Ward n'est pas visé par la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» et ne peut donc pas être admis au Canada pour le motif qu'il craint d'être persécuté par l'INLA s'il retourne en Irlande du Nord.

 

        Premièrement, nous devons définir l'association en cause.  La Cour d'appel a dit que Ward était affilié à la fois aux «membre[s] de la INLA» (le juge Urie, à la p. 677) et aux «membres et anciens membres de la INLA» (le juge MacGuigan, à la p. 691).  Ward allègue qu'il craint d'être persécuté, s'il retourne en Irlande du Nord, parce que l'INLA exercerait des représailles contre lui pour se venger du fait qu'il a libéré les otages.  Cet acte a été commis par Ward en sa qualité de membre de l'INLA.  Ward a également témoigné qu'il redoutait d'être persécuté par l'INLA en raison de la crainte de cette dernière qu'il [traduction] «moucharde».  Cette crainte de Ward existe, peu importe qu'il ait renoncé ou non à être membre de l'INLA, puisque la possibilité de révéler les secrets de l'organisation existe dans le cas d'un ancien ou d'un nouveau membre.  Par conséquent, le fait que Ward s'est subséquemment dissocié de ce groupe n'a aucunement influé sur sa crainte.  Je ne crois donc pas qu'il soit juste de dire que la crainte de Ward était fondée sur son statut d'ancien membre de l'INLA.  Le fait que Ward ne serait peut‑être plus membre est simplement le résultat de la crainte d'être persécuté, et non son fondement.

 

        Les membres de l'INLA ne forment pas un «groupe social».  Pour récapituler, le critère énoncé ci‑dessus comprend:

 

(1)  les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;

 

(2)  les groupes dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et

 

(3)  les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.

 

De toute évidence, les membres de l'INLA ne possèdent pas une caractéristique innée ou immuable.  Le troisième volet de la définition ne s'applique pas à Ward, puisque le groupe existe actuellement et que l'appartenance au groupe n'est pas immuable en raison de son statut de fait historique.  (Il semble que ce volet de la définition n'entre en ligne de compte que si l'identité du persécuteur ne coïncide pas avec celle du groupe social, comme c'est ici le cas.  Pour que ce volet s'applique, le groupe social ne devrait plus être actif; si le groupe s'est dissous, il ne peut s'adonner à la persécution.)  Quant au deuxième volet, l'INLA est une association volontaire vouée à la réalisation d'objectifs politiques précis par n'importe quel moyen, y compris la violence, mais je ne crois pas qu'on puisse dire que cet objectif est essentiel à la dignité humaine de ses membres au point d'en faire un «groupe social».  La lutte pour l'indépendance vis‑à‑vis du Royaume-Uni et l'unification avec la République d'Irlande peuvent constituer des fins politiques fort sérieuses pour les membres de l'INLA, mais les forcer à renoncer aux moyens violents qu'ils emploient pour exprimer et atteindre ces objectifs n'équivaut pas à une abdication de leur dignité humaine.

 

        En outre, je n'accepte pas que la crainte de Ward soit fondée sur son appartenance au groupe en question.  À mon avis, Ward faisait plutôt l'objet d'un type de persécution fort individualisée et il ne craint pas la persécution à cause des caractéristiques de son groupe.  Ward se sent menacé à cause de ce qu'il a fait à titre individuel, et non expressément à cause de son association.  Son appartenance à l'INLA l'a placé dans la situation à l'origine de la crainte qu'il éprouve, mais la crainte elle‑même était fondée sur son action, et non sur son affiliation.

 

C.  Opinions politiques

 

        Les opinions politiques n'ont été invoquées comme motif de crainte d'être persécuté ni devant la Commission ni devant la Cour d'appel.  Ce motif a été invoqué pour la première fois devant cette Cour par l'intervenant le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés qui, dans son mémoire, a exprimé l'avis que la Cour d'appel avait [traduction] «commis une erreur en considérant que la crainte du demandeur d'être persécuté était fondée sur son appartenance à une organisation».  Le motif additionnel a finalement été accepté par l'appelant pendant les plaidoiries.  Je remarque que le Guide du HCNUR, à la p. 17, paragraphe 66, précise qu'il n'incombe pas au demandeur d'identifier les motifs de persécution.  Il incombe à l'examinateur de déterminer si les conditions de la définition figurant dans la Convention sont remplies;  habituellement, il y a plus d'un motif (idem, paragraphe 67).  Même si le motif des opinions politiques a été invoqué vers la toute fin des procédures, la Cour a décidé de l'examiner parce que cette affaire porte sur les droits de la personne et que la question est décisive en l'espèce.

 

        L'opinion politique comme motif de craindre avec raison d'être persécuté a été définie tout simplement comme étant liée à la persécution de personnes du fait qu'[traduction] «on prétend ou on sait qu'elles ont des opinions contraires aux politiques du gouvernement ou du parti au pouvoir ou qu'elles critiquent ces politiques»; voir Grahl‑Madsen, op. cit., à la p. 220.  La persécution découle de la volonté de mettre fin à toute dissidence que les persécuteurs considèrent comme une menace.  La définition de Grahl‑Madsen tient pour acquis que le persécuteur que fuit le demandeur est toujours le gouvernement ou le parti au pouvoir, ou du moins une partie dont les intérêts sont semblables à ceux du gouvernement.  Toutefois, comme je l'ai fait remarquer ci‑dessus, la protection internationale des réfugiés s'étend aux cas dans lesquels l'État n'est pas complice de la persécution, mais où il est incapable de protéger le demandeur.  En pareil cas, il est possible que le demandeur soit considéré comme une menace par un groupe qui n'est pas allié au gouvernement, et qui y est peut‑être même opposé, à cause de ce qui est ou semble être son point de vue politique.  L'interprétation plus générale des opinions politiques proposée par Goodwin‑Gill, op. cit., à la p. 31, à savoir [traduction] «toute opinion sur une question dans laquelle l'appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé», traduit une diligence plus grande lorsqu'il s'agit d'englober les cas de ce genre.

 

        Il faut apporter deux précisions à la définition de cette catégorie.  En premier lieu, il n'est pas nécessaire que les opinions politiques en question aient été carrément exprimées.  Dans bien des cas, le demandeur n'a même pas la possibilité d'exprimer ses convictions qui peuvent toutefois ressortir de ses actes.  En pareil cas, on dit que les opinions politiques pour lesquelles le demandeur craint avec raison d'être persécuté sont imputées à ce dernier.  Il se peut qu'étant donné qu'il ne s'exprime pas verbalement, le demandeur ait plus de difficulté à établir le rapport existant entre cette opinion et la crainte d'être persécuté, mais cela ne l'empêche pas d'être protégé.

 

        En second lieu, les opinions politiques imputées au demandeur et pour lesquelles celui‑ci craint d'être persécuté n'ont pas à être nécessairement conformes à ses convictions profondes.  Les circonstances devraient être examinées du point de vue du persécuteur, puisque c'est ce qui est déterminant lorsqu'il s'agit d'inciter à la persécution.  Les opinions politiques qui sont à l'origine de la persécution n'ont donc pas à être nécessairement attribuées avec raison au demandeur.  Des considérations similaires sembleraient s'appliquer aux autres motifs de persécution.

 

        La crainte qu'a Ward d'être assassiné par l'INLA s'il retourne en Irlande du Nord découle au départ de ce que le groupe a menacé d'exécuter l'arrêt de mort prononcé par sa cour martiale.  Ward était ainsi puni pour avoir aidé à s'évader les otages qu'il gardait.  Cet acte permet d'imputer une opinion politique au sujet des limites qu'il convient de fixer à l'égard des moyens employés pour réaliser des changements politiques.  Ward avait plusieurs raisons d'exécuter l'ordre d'assassiner les otages alors qu'il n'avait qu'une seule raison de faire ce qu'il a finalement fait, à savoir agir conformément à ses convictions.  Ward a reconnu qu'il risquait d'être puni sévèrement par l'INLA s'il était pris, comme le montre son témoignage devant la Commission d'appel de l'immigration:

 

[traduction]

 

Q.  Quel genre de discipline?

 

R.  La discipline veut qu'une fois membre, vous l'êtes pour la vie.  Et si quelqu'un s'écarte de ces lignes de démarcation, la seule solution est de l'assassiner, de s'en débarrasser.

 

Q.  Ainsi donc, qu'arrive‑t‑il au membre qui rompt les rangs?

 

R.  Il est descendu . . .

 

Néanmoins, Ward croyait que ce serait aller trop loin que d'exécuter l'ordre d'assassiner les otages de l'INLA.  Il a expliqué comme suit les raisons pour lesquelles il avait libéré les otages:

 

[traduction]

 

Q.  Ainsi l'ordre [de tuer les otages] a été alors donné, et qu'est‑il arrivé ensuite?

 

R.  Eh bien, je me suis trouvé dans un dilemme.

 

Q.  Oui?

 

R.  Tant sur le plan de la conscience que sur celui de la morale, vous songez à toutes ces choses dans une situation comme celle‑là.  Franchement, je ne voulais absolument pas m'en mêler à ce stade.

 

Q.  Avez‑vous fait part de ce désir ou de ce sentiment à quelqu'un?

 

R.  À quelqu'un qui était impliqué.  Je ne pouvais le faire.  Mais les règles sont les règles, si vous faites connaître votre opinion aux mauvaises personnes ou avec trop de véhémence, vous allez vous retrouver dans les rangs des victimes.

 

Q.  Qu'est‑il arrivé ensuite?

 

R.  Eh bien, j'ai longuement réfléchi.  J'ai songé aux conséquences de diverses actions.  Il se passait des choses dans ma tête et j'ai finalement conclu que je ne pouvais pas m'en mêler.

 

                         . . .

 

Q.  L'ordre a été donné par le conseil de l'Armée.  Et vous saviez qu'il vous incombait de protéger ces gens, de sorte que cet ordre, je suppose, puisse être exécuté.  Est‑ce exact?

 

R.  Oui.

 

Q.  Et cela vous posait un problème.  Vous vous êtes rendu compte que vous ne pouviez pas exécuter ces gens?

 

R.  Il s'agissait de personnes innocentes . . . Je n'aurais pas pu vivre en paix si j'avais permis que cela se produise.  J'ai décidé dans mon for intérieur d'essayer de le libérer.

 

Pour Ward, qui croit que tuer des innocents pour réaliser des changements politiques est inacceptable, libérer les otages était la seule solution qui s'accordait avec sa conscience.  Le fait qu'il ait ou qu'il n'ait pas renoncé à appuyer les objectifs plus généraux de l'INLA ne change rien à cela.  Par ailleurs, cet acte faisait de Ward un traître politique aux yeux d'une organisation militante paramilitaire comme l'INLA, qui appuie le recours à des tactiques terroristes pour réaliser ses fins.  L'acte n'était pas simplement un incident isolé dénué de répercussions plus profondes.  Aux yeux de Ward et de l'INLA, l'acte avait une importance politique.  La persécution que Ward craint découle de ses opinions politiques que reflète l'acte qu'il a accompli.

 

        L'opportunité d'appliquer ce motif aux faits de l'espèce est confirmée lorsqu'on met cette affaire en contraste avec un arrêt récent de la Cour suprême des États‑Unis portant sur un point similaire.  Dans I.N.S. c. Elias‑Zacarias, 112 S.Ct. 812 (1992), un demandeur guatémaltèque avait demandé l'asile parce qu'il craignait d'être persécuté par les guérilleros antigouvernementaux à la suite de son refus de joindre leurs rangs.  Le juge Scalia, qui s'est exprimé au nom de la majorité, n'était pas convaincu que le motif du demandeur, ou celui que les guérilleros lui attribuaient, avait un fondement politique.  Il déclare ceci, aux pp. 815 et 816:

 

        [traduction]  Même une personne qui appuie un mouvement de guérilla pourrait refuser d'être recrutée pour diverses raisons ‑‑ la peur de se battre, le désir de demeurer avec sa famille et ses amis, le désir de mieux gagner sa vie dans la vie civile, pour n'en mentionner que quelques‑unes.  En l'espèce, non seulement le dossier ne faisait pas état d'un motif politique de la part d'Elias‑Zacarias, mais encore il indiquait plutôt le contraire.  Elias‑Zacarias a témoigné qu'il refusait de se joindre aux guérilleros parce qu'il craignait que le gouvernement n'exerce des représailles contre sa famille et lui‑même s'il le faisait.  Il n'y a pas non plus d'indication (à supposer, aux fins de la discussion, que cela suffise) que les guérilleros croyaient à tort que le refus d'Elias‑Zacarias avait un fondement politique. [En italique dans l'original.]

 

Par contre, l'acte accompli, en l'espèce, par Ward était incompatible avec tout autre motif possible.  Ward était déjà membre de l'INLA; il pouvait apaiser ses craintes de représailles simplement  en exécutant l'ordre.  Le fondement de la décision de Ward était clair, tant à ses yeux qu'aux yeux de l'INLA.

 

        Qualifier Ward de «réfugié au sens de la Convention», parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques, répond aux préoccupations exprimées par le juge Urie de la Cour d'appel, qui fait remarquer, à la p. 678, qu'il serait absurde d'admettre Ward au Canada du fait qu'il a agi d'une façon contraire aux intérêts de l'INLA, parce que «[s]'il fallait adopter un tel point de vue, quiconque est en désaccord sur quelque sujet pourrait être considéré comme membre d'un groupe social».  Accorder à Ward l'autorisation de séjour en se fondant sur le fait qu'il craint d'être persécuté à cause de ses opinions politiques met l'accent où il le faut dans cette enquête.  Le fait pour une personne d'être en dissentiment avec une organisation ne lui permettra pas toujours de chercher asile au Canada; le désaccord doit être fondé sur une conviction politique.  Cette façon d'aborder le cas de Ward empêcherait un ancien membre de la mafia, par exemple, de l'invoquer comme précédent.

 

Article 15  de la Charte 

 

        L'intervenant le Conseil canadien pour les réfugiés a avancé l'argument selon lequel le jugement majoritaire de la Cour d'appel fédérale impose deux conditions qui ont des répercussions discriminatoires sur des groupes historiquement défavorisés, comme les femmes et les enfants, en leur compliquant la tâche lorsqu'il s'agit d'obtenir le statut de réfugié au Canada.  Ces deux conditions sont les suivantes: en premier lieu, pour pouvoir qualifier un groupe de groupe social, ses activités doivent être considérées comme constituant un danger possible pour l'État et, en second lieu, il doit y avoir complicité de l'État.  Essentiellement, cet argument peut revenir à prétendre que les répercussions seront différentes puisque la persécution des femmes et des enfants est moins susceptible de satisfaire à ces critères.  Je ne trouve pas cet argument convaincant, mais je n'ai pas à l'examiner davantage étant donné que j'ai conclu que ces deux aspects du jugement majoritaire sont erronés pour d'autres raisons.  Il est donc inutile de recourir à l'art. 15  de la Charte .

 

La double nationalité

 

        Du fait qu'il est résident de l'Irlande du Nord qui est un pays du Royaume-Uni, Ward possède réellement la citoyenneté britannique; voir la British Nationality Act 1981, 1981 (R.-U.), ch. 61.  Le 1er janvier 1983, la citoyenneté britannique a automatiquement été acquise par tous les citoyens du Royaume‑Uni et des colonies qui avaient le droit de résider au Royaume‑Uni à cette date conformément à la British Nationality Act 1981.  Pendant les plaidoiries, l'avocat de Ward a effectivement reconnu l'erreur de la Commission à cet égard et a concédé que Ward bénéficiait d'une double nationalité.  Il est donc inutile d'examiner le fardeau de la preuve, mais il est juste de dire que je souscris à l'avis de la Cour d'appel voulant que la Commission ait commis une erreur en imposant le fardeau de la preuve au Ministre.  Ce fardeau comprend la preuve que le demandeur craint avec raison d'être persécuté dans tous les pays dont il est ressortissant.

 

        En examinant la revendication d'un réfugié qui bénéficie de la nationalité de plus d'un pays, la Commission doit se demander si le demandeur ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de chaque pays dont il a la nationalité.  Le paragraphe 2 de l'art. 1(A)(2) de la Convention de 1951 n'a jamais été incorporé dans la Loi sur l'immigration et il n'a donc pas strictement force exécutoire; cependant, il donne un sens approprié à l'expression «réfugié au sens de la Convention» sur ce point.  Ce paragraphe de la Convention se lit ainsi:

 

Article premier

 

 

. . .

 

A. . . .

 

(2) . . .

 

        Dans le cas d'une personne qui a plus d'une nationalité, l'expression «du pays dont elle a la nationalité» vise chacun des pays dont cette personne a la nationalité.  Ne sera pas considérée comme privée de la protection du pays dont elle a la nationalité, toute personne qui, sans raison valable fondée sur une crainte justifiée, ne s'est pas réclamée de la protection de l'un des pays dont elle a la nationalité.

 

Comme je l'ai déjà dit, la protection internationale des réfugiés est destinée à servir de mesure «auxiliaire» qui n'entre en jeu qu'en l'absence d'appui national.  Lorsqu'il est possible de l'obtenir, la protection de l'État d'origine est la seule solution qui s'offre à un demandeur.  Le fait que cette disposition de la Convention n'a pas expressément été incorporée dans la Loi ne l'empêche pas d'être pertinente.  L'évaluation du statut de réfugié au sens de la Convention la plus compatible avec cette idée exige l'examen de la possibilité pour le demandeur d'obtenir une protection dans tous les pays dont il a la citoyenneté.

 

        Cette conclusion est étayée par les règles générales d'interprétation des lois.  Le paragraphe 33(2)  de la Loi d'interprétation , L.R.C. (1985), ch. I‑21 , prévoit que le singulier s'applique à la pluralité.  On devrait donc interpréter la mention «du pays dont elle a la nationalité» figurant dans la définition de «réfugié au sens de la Convention», au par. 2(1) de la Loi sur l'immigration, comme signifiant aussi «des pays dont elle a la nationalité».

 

        L'appelant soutient que la présence de l'al. 46.04(1)c) de la Loi (résultant des modifications apportées par L.C. 1988, ch. 35, art. 14, et entrées en vigueur le 1er janvier 1989) est incompatible avec l'exigence de démontrer l'absence de protection dans tous les pays dont le demandeur a la citoyenneté.  Selon l'al. 46.04(1)c), ne peut réclamer le droit d'établissement au Canada la personne qui a démontré qu'elle est un réfugié au sens de la Convention, si «elle a la nationalité ou la citoyenneté d'un autre pays que celui qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée».  L'appelant soutient essentiellement que si la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» figurant dans la Loi devait comprendre l'incapacité ou l'absence de volonté du demandeur de se réclamer de la protection de chaque pays dont il a la nationalité, l'al. 46.04(1)c) serait redondant.

 

        Cet argument ne me convainc pas.  Le droit de réclamer le statut de résident permanent n'est que l'une de plusieurs conséquences de la qualification d'un demandeur comme étant un réfugié au sens de la Convention.  Le réfugié au sens de la Convention bénéficie également du droit de demeurer au Canada (par. 4(2.1)), du droit de ne pas être renvoyé dans le pays où il craint avec raison d'être persécuté (par. 53(1)) et du droit de travailler pendant qu'il est au Canada (par. 19(4)j) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78‑172).  Aucune de ces dispositions n'exige de garantir que le demandeur a épuisé les possibilités de protection dans chaque pays dont il a la nationalité.  L'évaluation que l'on fait de la crainte du demandeur dans chaque pays dont il a la citoyenneté, au stade de la détermination du statut de «réfugié au sens de la Convention» et avant de lui conférer ces droits, est conforme aux principes qui sous‑tendent la protection internationale des réfugiés.  Autrement, le demandeur bénéficierait de droits conférés par un État étranger alors que l'État d'origine peut encore le protéger.  La mention d'autres pays dont il a la nationalité, figurant à l'al. 46.04(1)c), est probablement destinée à vérifier une seconde fois si le réfugié n'a pas accès à la protection nationale, en cas de changements de circonstances ou de nouvelles révélations, avant que le statut important de résident permanent ne soit accordé.

 

        Comme je l'ai déjà laissé entendre, et comme l'a concédé l'avocat de l'appelant, la Commission a jugé à tort qu'elle ne pouvait pas conclure à la double citoyenneté en raison de l'insuffisance de la preuve sur ce point.  La Commission fait cependant remarquer, à la p. 55, que si elle

 

. . . était arrivée à la conclusion que le demandeur était également un ressortissant du Royaume‑Uni, elle aurait jugé que sa vie serait menacée par la INLA s'il était renvoyé au Royaume‑Uni.

 

Toutefois, cette conclusion est insuffisante aux fins de la décision que doit rendre la Commission.  Elle ne porte pas sur la véritable question litigieuse.  Personne ne conteste que la vie de Ward sera en danger s'il retourne en Irlande ou en Grande‑Bretagne; il s'agit plutôt de savoir si Ward peut être protégé contre ce danger.  La Commission n'a jamais tiré de conclusion de fait au sujet de la véritable question litigieuse ‑‑ la capacité des Britanniques de protéger Ward.

 

        Comme je l'ai déjà expliqué, le bien‑fondé de la crainte que le demandeur a d'être persécuté peut reposer sur la notion d'«incapacité d'assurer la protection», évaluée à l'égard de chacun des pays dont il a la nationalité.  Étant donné que la Commission a omis de tirer une conclusion sur ce point, en ce qui concerne la Grande-Bretagne, sa conclusion finale quant à la crainte de persécution était également erronée.  La validité de la revendication de Ward dépend d'une telle conclusion.  Cette affaire doit donc être renvoyée à la Commission (maintenant Commission de l'immigration et du statut de réfugié) pour qu'elle détermine si Ward peut bénéficier d'une protection en Grande‑Bretagne.

 

        De toute évidence, l'incapacité d'un second État dont il a la nationalité d'assurer sa protection peut être établie lorsque le demandeur s'est vraiment adressé à cet État et s'est vu refuser toute protection.  Lorsque, comme dans le cas de Ward, le demandeur ne s'est pas vraiment adressé au second État, les principes exposés ci‑dessus au sujet de l'État d'origine devraient s'appliquer.  En d'autres termes, il y a lieu de présumer que la Grande‑Bretagne est capable de protéger ses ressortissants.

 

        Toutefois, une prémisse qui sous‑tend cette présomption est que la citoyenneté comporte certaines conséquences fondamentales.  L'une de celles‑ci, comme le fait remarquer le juge MacGuigan, à la p. 699, est le droit d'obtenir, en tout temps, l'autorisation de séjour dans le pays.  L'appelant a présenté la preuve, quoique non au moyen d'une opinion d'expert, de l'existence de la Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act 1984.  La version actuelle de cette Loi (Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act 1989, 1989 (R.‑U.), ch. 4), qui a remplacé la Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act 1984, semble permettre au gouvernement britannique d'interdire à un ressortissant d'être ou d'entrer en Grande‑Bretagne, s'il est [traduction] «mêlé à la perpétration ou à la préparation d'actes de terrorisme, ou s'il a incité à accomplir de tels actes» relativement aux affaires de l'Irlande du Nord; voir les art. 4 et 5 de la Loi.  Pareille preuve pourrait permettre de réfuter la présomption en démontrant l'absence de protection de la part de la Grande‑Bretagne.  Le refus d'admettre sur le territoire national est mentionné au paragraphe 99 du Guide du HCNUR comme exemple possible de ce qui pourrait équivaloir à un refus de protection.  L'applicabilité de la présomption et sa réfutation sont des questions qui dépendent des circonstances particulières de l'espèce et qui doivent être tranchées par la Commission.

 

Conclusion

 

        Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler l'ordonnance de la Cour d'appel fédérale et de renvoyer l'affaire à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'elle effectue une évaluation, conforme aux présents motifs, de la revendication de l'appelant, en ce qui concerne le second État dont il a la citoyenneté, à savoir la Grande‑Bretagne.

 

        Pourvoi accueilli.

 

        Procureurs de l'appelant:  Rekai & Johnson, Toronto.

 

        Procureur de l'intimé: Le sous‑procureur général du Canada, Toronto.

 

        Procureur de l'intervenant le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés:  Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Ottawa.

 

        Procureur de l'intervenante la Commission de l'immigration et du statut de réfugié:  Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Ottawa.

 

        Procureur de l'intervenant le Conseil canadien pour les réfugiés:  Parkdale Community Legal Services Inc., Toronto.



     *  Le juge Stevenson n'a pas pris part au jugement.

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