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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Aucoin, 2012 CSC 66, [2012] 3 R.C.S. 408

Date : 20121130

Dossier : 34349

 

Entre :

Brendan David Aucoin

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

- et -

Procureur général de l’Ontario

Intervenant

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : Les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein, Moldaver et Karakatsanis

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 53)

 

Motifs dissidents :

(par. 54 à 107)

Le juge Moldaver (avec l’accord des juges Deschamps, Abella, Rothstein et Karakatsanis)

 

Le juge LeBel (avec l’accord du juge Fish)

 

 

 


 


R. c. Aucoin, 2012 CSC 66, [2012] 3 R.C.S. 408

Brendan David Aucoin                                                                                   Appelant

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée

et

Procureur général de l’Ontario                                                                  Intervenant

Répertorié : R. c. Aucoin

2012 CSC 66

No du greffe : 34349.

2012 : 16 mai; 2012 : 30 novembre.

Présents : Les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein, Moldaver et Karakatsanis.

en appel de la cour d’appel de la nouvelle-écosse

                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Fouilles, perquisitions et saisies — Accusé intercepté pour une infraction mineure au code de la route — Fouille par palpation de l’accusé par le policier avant que l’accusé soit détenu dans la voiture de police — Drogue découverte dans les poches de l’accusé au cours de la fouille par palpation — La détention de l’accusé était‑elle légale? — La fouille par palpation était‑elle abusive? — L’admission de la drogue en preuve déconsidérerait‑elle l’administration de la justice? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 8 , 9 , 24(2) .

                    Tard le soir, un policier a intercepté A parce que la plaque d’immatriculation du véhicule qu’il conduisait correspondait à un autre véhicule.  A a échoué un test de détection routier et l’agent a décidé de faire remorquer le véhicule à la fourrière et de lui donner une contravention pour une infraction à la Motor Vehicle Act.  Craignant que A puisse se fondre dans la foule tout près, le policier a décidé de le confiner sur la banquette arrière de la voiture de police pendant qu’il remplissait la contravention.  Le policier a d’abord effectué une fouille par palpation après avoir demandé, et obtenu, la permission de A.  L’agent a senti la présence de quelque chose de mou dans la poche du pantalon de A et lorsqu’il lui a demandé ce que c’était, A a répondu que c’était de l’ecstasy.  A a été arrêté et fouillé davantage.  Le policier a trouvé dans ses poches de la cocaïne et des pilules.  La juge du procès a statué que la fouille ne dérogeait pas à l’art. 8  de la Charte  et que la drogue saisie était admissible en preuve.  A a été déclaré coupable de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic.  La Cour d’appel à la majorité a rejeté son appel.

                    Arrêt (les juges LeBel et Fish sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté.

                    Les juges Deschamps, Abella, Rothstein, Moldaver, et Karakatsanis : Une fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle‑même n’a rien d’abusif et si la fouille n’a pas été effectuée d’une manière abusive.  Puisque la fouille par palpation était préalable au confinement de A dans le véhicule de police, la question qui se pose est de savoir si la détention de A de cette manière était raisonnablement nécessaire compte tenu de l’ensemble des circonstances.  La question n’est pas de savoir si le policier avait le pouvoir de détenir l’appelant à l’arrière du véhicule de police, mais s’il était justifié d’exercer ce pouvoir comme il l’a fait dans les circonstances de l’espèce.  Ce qui pose problème en l’espèce est que la décision de l’agent de confiner A à l’arrière de la voiture de police pendant qu’il rédigeait la contravention pour les infractions routières a modifié la nature et la portée de la détention.  Ces facteurs ont modifié de façon assez radicale la nature et la portée de la détention de A, en particulier si l’on considère que les infractions motivant la détention consistaient en deux contraventions routières bénignes.  Il faut se demander si l’agent disposait d’autres moyens raisonnables pour empêcher que ne se matérialise sa crainte de voir A se fondre dans la foule.  Les mesures prises par l’agent, bien qu’il ait été de bonne foi, n’étaient pas raisonnablement nécessaires.  Parce que la détention de A à l’arrière de la voiture de police aurait été illégale, elle ne saurait fonder en droit une fouille par palpation sans mandat.

                    Néanmoins, la cocaïne trouvée sur A était admissible en preuve en vertu du par. 24(2)  de la Charte .  Des circonstances inhabituelles ont dicté la conduite du policier en l’espèce et il a agi de bonne foi.  Il s’est efforcé du début à la fin de respecter les droits de A.  Il n’était pas à la recherche d’éléments de preuve.  Il a procédé à la fouille pour des raisons de sécurité, la sienne propre et celle de A.  Ces facteurs atténuent la gravité de l’atteinte aux droits de A.  En outre, le droit régissant les pratiques policières en cas de détention est toujours en évolution.  Lorsque les policiers agissent de bonne foi, sans mépris flagrant ou méconnaissance des droits garantis par la Charte , comme en l’espèce, la gravité de la violation s’en trouve atténuée.

                    Les juges LeBel et Fish (dissidents) : Dans les circonstances, le policier ne disposait pas du pouvoir de détenir A dans la voiture de police.  La détention était illégale et, partant, elle était arbitraire.  Comme pour les autres pouvoirs de common law, le critère applicable consiste à déterminer si la détention était raisonnablement nécessaire suivant une considération objective de l’ensemble des circonstances.  Le tribunal doit prendre en compte l’importance du devoir du policier, la nature de la liberté entravée, ainsi que l’étendue de l’atteinte à cette dernière, et il doit tenter d’établir un juste équilibre entre les intérêts opposés en présence.  Il est nécessairement appelé à déterminer s’il existe un moyen moins attentatoire d’accomplir le devoir.  En l’espèce, des solutions moins attentatoires existaient.  Dans ces circonstances, il n’était pas raisonnablement nécessaire de détenir A à l’arrière de la voiture de police.

                    La fouille par palpation était accessoire à la détention et par conséquent, elle était aussi illégale et abusive.  Une fouille sans mandat est présumée abusive à moins que le ministère public ne démontre, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était autorisée par une loi elle‑même non abusive et qu’elle a été effectuée de manière non abusive.  Bien que la juge du procès ait retenu le fait que le policier cherchait des armes, elle ne s’est pas demandé si la fouille était fondée sur des motifs raisonnables ou si elle se limitait à la recherche d’armes.  Aucune preuve n’indique une crainte subjective raisonnable de l’agent à l’égard de sa sécurité ou de celle d’autrui. 

                    En l’espèce, les gestes en cause étaient graves.  Le policier a agi dans l’ignorance, ou dans le mépris délibéré, des normes bien établies régissant la conduite policière respectueuse de la Charte .  Il était raisonnable que A ait des attentes élevées en matière de vie privée relativement au contenu des poches de ses vêtements.  La fouille a eu une incidence importante sur son droit à la vie privée, et étant donné que la preuve n’aurait pu être découverte sans cette fouille illégale, cette dernière est considérablement attentatoire.  La détention était arbitraire et a donc brimé le droit de A à la liberté.  Il n’a pas été informé de son droit à un avocat et la fouille a donc brimé son droit de ne pas s’incriminer.  Même s’il ne fait aucun doute qu’en l’espèce, l’admission de la preuve servirait mieux la recherche de la vérité, tout bien pesé, l’admission de la preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

Jurisprudence

Citée par le juge Moldaver

                    Arrêt appliqué : R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353; arrêts mentionnés : R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59; R. c. Clayton, 2007 CSC 32, [2007] 2 R.C.S. 725; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34.

Citée par le juge LeBel (dissident)

                    R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59; R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353; R. c. Waterfield, [1963] 3 All E.R. 659; Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2; Cloutier c. Langlois, [1990] 1 R.C.S. 158; R. c. Kang‑Brown, 2008 CSC 18, [2008] 1 R.C.S. 456; R. c. Loewen, 2011 CSC 21, [2011] 2 R.C.S. 167; R. c. Clayton, 2007 CSC 32, [2007] 2 R.C.S. 725; R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615; R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494; R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés , art. 8 , 9 , 10 b ) , 24(2) .

Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46, art. 691(1) a).

Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, ch. 19, art. 5(2) .

Motor Vehicle Act, R.S.N.S. 1989, ch. 293, art. 100A(1).

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse (les juges Hamilton, Fichaud et Beveridge), 2011 NSCA 64, 306 N.S.R. (2d) 20, 968 A.P.R. 20, 86 C.R. (6th) 310, 239 C.R.R. (2d) 41, 273 C.C.C. (3d) 172, 15 M.V.R. (6th) 1, [2011] N.S.J. No. 380 (QL), 2011 CarswellNS 482, qui a confirmé la déclaration de culpabilité de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic prononcée contre l’accusé.  Pourvoi rejeté, les juges LeBel et Fish sont dissidents.

                    Brian Vardigans et Roger A. Burrill, pour l’appelant.

                    David W. Schermbrucker et James C. Martin, pour l’intimée.

                    Jennifer M. Woollcombe et Emile Carrington, pour l’intervenant.

                    Version française du jugement des juges Deschamps, Abella, Rothstein, Moldaver et Karakatsanis rendu par

                    Le juge Moldaver —

I.       Introduction

[1]                              Le pourvoi concerne le pouvoir d’un policier de détenir un automobiliste à l’arrière de sa voiture de police après l’avoir arrêté sur le bord de la route pour une infraction pénale.  L’appelant, Brendan David Aucoin, a été déclaré coupable de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic par suite d’une fouille par palpation effectuée sur sa personne pendant cette détention.  La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a rejeté son appel par décision majoritaire.  Il se pourvoit de plein droit devant notre Cour et nous demande d’annuler la déclaration de culpabilité et d’inscrire un verdict d’acquittement au motif que la fouille était inconstitutionnelle.

II.     Les faits

[2]                              Le 31 mai 2008 vers minuit, l’agent Burke, du service de police de Kentville (Nouvelle‑Écosse) a intercepté une automobile après avoir découvert que la plaque d’immatriculation qu’elle portait correspondait à un autre véhicule.  L’appelant était seul dans l’automobile qu’il conduisait.

[3]                              En parlant à l’appelant, l’agent Burke a remarqué que son haleine sentait l’alcool.  Comme l’appelant était un nouveau conducteur, il était visé par l’interdiction de conduire après toute consommation d’alcool, prévue au par. 100A(1) de la Motor Vehicle Act, R.S.N.S. 1989, ch. 293 (la « MVA »).  L’agent Burke lui a fait subir un test de détection routier qui a indiqué une alcoolémie de 20 mg d’alcool par 100 ml de sang.  Il a donc décidé de faire remorquer le véhicule à la fourrière et de donner à l’appelant une contravention pour avoir enfreint le par. 100A(1) de la MVA.

[4]                              Parce qu’il faisait nuit et que l’endroit était peu éclairé, l’agent Burke a décidé de s’installer sur le siège avant de la voiture de police pour dresser la contravention.  Comme beaucoup de gens déambulaient autour, l’agent a craint que l’appelant puisse s’en aller et disparaître s’il le laissait à l’extérieur de la voiture de police[1].  Il a donc décidé de le confiner à l’arrière de la voiture de police pendant qu’il remplissait la contravention.

[5]                              Avant de faire monter l’appelant à l’arrière du véhicule, l’agent Burke lui a demandé, et a obtenu, la permission de le fouiller par palpation pour des raisons de sécurité.

[6]                              En effectuant cette fouille, l’agent Burke a senti la présence d’un objet carré et dur dans la poche avant gauche du pantalon de l’appelant.  Il lui a demandé ce que c’était, et l’appelant a répondu qu’il s’agissait de son portefeuille, réponse que l’agent Burke a acceptée.  Puis l’agent a senti la présence de quelque chose de mou dans la poche avant droite et a reposé la même question; l’appelant a répondu que c’était de l’ecstasy.

[7]                              L’appelant a été arrêté sur‑le‑champ.  Une fouille de la poche avant droite du pantalon de ce dernier, accessoire à l’arrestation, a permis à l’agent de trouver huit sacs de cocaïne et deux sacs renfermant 100 pilules vertes.  Une analyse a révélé que ces pilules n’étaient pas de l’ecstasy et qu’elles ne renfermaient aucune autre substance interdite sous le régime de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, ch. 19 .

[8]                              Pendant que l’agent Burke procédait à la saisie de la drogue, deux autres agents sont arrivés sur les lieux, chacun dans leur voiture de police.  Aucune autre drogue n’a été trouvée dans le véhicule de l’appelant.  Son portefeuille a été fouillé, il contenait 250 $ : 12 coupures de 20 $ et une coupure de 10 $.  Également, 45 $ en argent comptant ont été trouvés.

[9]                              L’appelant a subi un procès pour possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic et possession d’une substance tenue pour de l’ecstasy en vue d’en faire le trafic.  Il a été déclaré coupable sur le premier chef d’accusation et acquitté sur le second.  Il a interjeté appel devant la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse, mais il a été débouté par jugement majoritaire (2011 NSCA 64, 306 N.S.R. (2d) 20).

[10]                          L’appelant se pourvoit à présent devant notre Cour à l’encontre de la déclaration de culpabilité relative à l’accusation de trafic de cocaïne.  Il soutient que l’agent Burke n’avait pas le droit de le fouiller par palpation dans les circonstances, que cette fouille était illégale et qu’elle a porté atteinte au droit à la protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives garanti par l’art. 8  de la Charte canadienne des droits et libertés .  Il plaide en outre qu’il s’agissait d’une violation grave de l’art. 8 et qu’il aurait fallu, aux termes du par. 24(2)  de la Charte , écarter de la preuve la cocaïne que cette fouille a permis de trouver.

[11]                          Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la fouille par palpation était abusive dans les circonstances et qu’elle a porté atteinte au droit que l’art. 8  de la Charte  garantit à l’appelant.  Cela dit, compte tenu des conclusions de fait tirées par la juge du procès, j’estime que la violation n’était pas grave au point de justifier d’écarter la cocaïne de la preuve.  Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi.

III.    Décision sur le voir‑dire au procès

[12]                          La juge C. MacDonald de la Cour provinciale de la Nouvelle‑Écosse a présidé le procès.  Au début de l’instruction, l’appelant a demandé que la cocaïne soit écartée de la preuve en application du par. 24(2)  de la Charte , soutenant que l’agent Burke, en effectuant sans autorisation légitime une fouille par palpation sur sa personne, avait porté atteinte à son droit garanti par l’art. 8.  La juge du procès a tenu un voir‑dire en vue de trancher cette question et, après audition des témoignages de l’agent Burke, d’autres policiers et de l’appelant, elle a conclu que la fouille en cause était raisonnable compte tenu des [traduction] « circonstances très inhabituelles en jeu » ce soir‑là (d.a., vol. I, p. 14).  Elle n’a donc pas retenu l’argument de l’appelant relatif à la violation de ses droits garantis par l’art. 8, et elle a rejeté sa requête.

[13]                          Pour parvenir aux conclusions de fait qu’elle a tirées lors du voir‑dire, la juge du procès a retenu le témoignage de l’agent Burke plutôt que celui de l’appelant.  Ces conclusions de fait ne sont pas contestées.  Le débat porte sur la question de savoir si elle a appliqué les bons principes juridiques pour déterminer que les droits garantis à l’appelant par l’art. 8 n’avaient pas été violés.

[14]                          Dans la décision rendue sur le voir‑dire, la juge du procès a exprimé des réserves au sujet du pouvoir des policiers de confiner un délinquant à l’arrière d’une voiture de police — et de procéder préalablement à une fouille par palpation pour des raisons de sécurité — dans le contexte d’une infraction routière courante.  Elle a déclaré ce qui suit :

                           [traduction] . . . je partage les préoccupations que [l’avocat de l’appelant] a formulées dans sa plaidoirie [. . .] Et il a évoqué [. . .] l’exemple d’automobilistes interceptés pour un motif relevant de la Motor Vehicle Act, disant craindre qu’on puisse les obliger à prendre place sur la banquette arrière d’une voiture de police et qu’auparavant, on leur fasse subir une fouille pour établir s’ils ont des armes en leur possession, alors qu’ils ont [. . .] omis de mettre leur clignotant ou autre chose du même genre. [. . .]  Je peux comprendre ces préoccupations.  [d.a., vol. I, p. 14]

[15]                          Consciente de cette problématique, la juge du procès était néanmoins d’avis que, dans les [traduction] « circonstances très inhabituelles en jeu » ce soir‑là, les mesures prises par l’agent Burke étaient raisonnables et n’avaient pas porté atteinte au droit de l’appelant garanti par l’art. 8.

[16]                          Premièrement, elle a indiqué que l’échange entre l’agent Burke et l’appelant s’est produit tard le soir, dans un endroit non éclairé, et que ce n’est que dans la voiture de police que l’agent pouvait voir ce qu’il faisait en rédigeant la contravention.

[17]                          Deuxièmement, l’appelant, un nouveau conducteur, recevait une contravention pour avoir conduit après avoir consommé de l’alcool et sa voiture allait être remorquée à la fourrière.  L’agent ne pouvait donc pas permettre à l’appelant de [traduction] « retourner dans son véhicule pour attendre de se faire remettre la contravention », ce qui aurait été « inapproprié » et « aurait peut‑être constitué la continuation de l’infraction prévue à l’art. 100 de la Motor Vehicle Act » (d.a., vol. I, p. 15).

[18]                          Troisièmement, le festival Apple Blossom, une célébration annuelle, battait son plein à Kentville, et beaucoup de gens se trouvaient aux alentours ce soir‑là.  L’agent Burke craignait alors que s’il laissait l’appelant à lui‑même sur la voie publique, il [traduction] « aurait tout simplement pu s’en aller avant que la contravention lui soit remise » (d.a., vol. I, p. 15).

[19]                          Selon la juge du procès, compte tenu de ces [traduction] « facteurs inhabituels » :

                            [traduction] . . . il était raisonnable que l’agent Burke demande à M. Aucoin de s’asseoir dans la voiture de police pendant qu’il dressait la contravention.  Il était également raisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances, qu’il procède à la très rapide fouille par palpation et qu’il ait avec M. Aucoin un bref échange avant de le faire monter à l’arrière du véhicule.  La sécurité de l’agent constitue une préoccupation légitime dans ces circonstances particulières.  [d.a., vol. I, p. 16]

[20]                          S’agissant de sa sécurité, l’agent Burke a indiqué dans son témoignage que lorsqu’il a fait subir l’alcootest à l’appelant, ce dernier était assis à l’arrière de la voiture de police, dont la portière était ouverte, et qu’il avait les jambes et les pieds à l’extérieur du véhicule.  L’agent a indiqué que dans cette situation, il n’y avait pas de problème pour sa propre sécurité parce qu’il faisait face à l’appelant et qu’il pouvait surveiller ses gestes.  Si l’appelant était assis à l’arrière alors que lui se trouvait à l’avant en train de rédiger une contravention, il en allait autrement.  Il aurait tourné le dos à l’appelant et se serait trouvé dans l’impossibilité de surveiller ses gestes.  Selon l’agent Burke, il s’agissait d’une situation [traduction] « posant un problème de sécurité pour l’agent », parce qu’il « ignor[ait] totalement ce que l’individu [pouvait] avoir en sa possession et avec quoi il pourrait se blesser lui‑même ou me blesser pendant que [j’avais] le dos tourné » (d.a., vol. II, p. 18).

[21]                          En dernier lieu, l’agent Burke a affirmé — et la juge a retenu son témoignage — qu’en effectuant la fouille par palpation, il n’était pas à la recherche d’éléments de preuve (d.a., vol. I, p. 9).  Il voulait simplement assurer sa sécurité et celle de l’appelant.

IV.    La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, 2011 NSCA 64, 306 N.S.R. (2d) 20

A.     L’opinion des juges majoritaires

[22]                          S’exprimant en son propre nom et en celui du juge Fichaud, la juge Hamilton a examiné le dossier et statué que les conclusions de fait de la juge du procès n’étaient pas entachées d’erreur et que la juge avait appliqué les bons principes juridiques à ces conclusions.  En définitive, elle n’a trouvé aucune raison justifiant d’intervenir dans la conclusion de la juge du procès selon laquelle la fouille par palpation était raisonnable dans les circonstances et ne portait pas atteinte au droit garanti à l’appelant par l’art. 8.

[23]                          Dans ses motifs, la juge Hamilton a relevé un commentaire troublant fait par l’agent Burke dans son témoignage et que la juge du procès n’avait pas mentionné expressément.  Dans son témoignage, l’agent Burke avait dit qu’il avait l’habitude d’installer les personnes impliquées dans des infractions [traduction] « liées à l’alcool » à l’arrière de la voiture de police, un procédé « pratique », selon lui.  Il pouvait surveiller la personne afin qu’elle « ne parte pas [ou] ne retourne pas dans son véhicule » (d.a., vol. II, p. 48).

[24]                          La juge du procès n’avait pas relevé le fait que l’agent Burke suivait sa pratique habituelle le soir en question, mais la juge Hamilton a indiqué que, s’il l’avait fait, la fouille par palpation aurait pu constituer une [traduction] « violation de l’art. 8  de la Charte  » (par. 28).  Dans ce cas précis, toutefois, il fallait évaluer les mesures prises par l’agent Burke « en fonction des circonstances particulières dans lesquelles il se trouvait, non dans le contexte d’autres situations factuelles pouvant se poser » (par. 28).

B.     La dissidence

[25]                          Le juge Beveridge, dissident, a estimé que l’agent Burke avait porté atteinte au droit garanti à l’appelant par l’art. 8.  Selon lui, la croyance subjective de l’agent Burke que l’appelant pourrait s’en aller n’avait aucun fondement objectif et rien ne permettait à l’agent de confiner l’appelant à l’arrière de la voiture de police.  Cette mesure équivalait à une arrestation de facto de l’appelant, ce que l’agent n’avait pas le pouvoir d’effectuer.  Rien n’autorisait non plus l’agent Burke à procéder à une fouille par palpation.  Il n’avait aucun motif de croire que l’appelant posait un risque pour la sécurité. 

[26]                          Bien que la violation de l’art. 8 constituait la seule question relative à la Charte  qui ait été débattue au procès, le juge Beveridge a estimé qu’il y avait également eu atteinte aux droits garantis à l’appelant par l’art. 9 (protection contre la détention arbitraire) et par l’al. 10b) (droit à l’assistance d’un avocat).  Concluant que les trois dispositions avaient été enfreintes, le juge a alors effectué l’analyse fondée sur le par. 24(2).

[27]                          Selon le juge Beveridge, la violation de l’art. 8 était grave, d’autant plus qu’elle s’accompagnait de la violation de l’art. 9 et de l’al. 10b).  À son avis, bien qu’elle n’ait pas été abusive, la conduite de l’agent Burke était délibérée et arbitraire, ce qui empêchait de considérer qu’il agissait de bonne foi.

[28]                          Pour ce qui est des droits de l’appelant garantis par la Charte , le juge Beveridge a conclu que l’atteinte au droit à la liberté et à la protection de la vie privée, bien qu’importante, n’était pas tout à fait inacceptable.  Soupesant ces facteurs par rapport à l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit instruite au fond, il a conclu que l’admission en preuve de la cocaïne aurait à long terme pour effet de déconsidérer l’administration de la justice.  Il aurait donc fallu, selon lui, écarter cet élément de preuve.

[29]                          En conséquence, le juge Beveridge aurait accueilli l’appel, annulé la déclaration de culpabilité et inscrit un verdict d’acquittement.

V.     Analyse

A.     L’article 8

[30]                          Dans l’arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, p. 278, les juges majoritaires de notre Cour ont statué qu’une « fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle‑même n’a rien d’abusif et si la fouille n’a pas été effectuée d’une manière abusive. »  En l’espèce, le ministère public veut justifier la fouille par palpation en la présentant comme un exercice accessoire à la décision de l’agent Burke de faire monter l’appelant à l’arrière de la voiture de police.  La question qui se pose alors, comme je l’expliquerai, est de savoir si la décision de confiner l’appelant dans la voiture de police, ce qui aurait fondamentalement modifié la nature de sa détention, était raisonnablement nécessaire compte tenu de l’ensemble des circonstances.

[31]                          Je tiens d’abord à préciser que la présente espèce ne concerne pas la détention aux fins d’enquête.  La juge du procès a employé cette expression et s’est reportée à notre arrêt R. c. Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59, pour ce qui est des pouvoirs limités de procéder à une fouille que la police peut exercer dans de telles circonstances.

[32]                          En l’espèce, dans la mesure où l’appelant a été détenu, ce n’était pas pour des fins d’enquête.  Il a d’abord été détenu parce que la plaque d’immatriculation de son automobile correspondait à un autre véhicule.  La détention s’est poursuivie lorsque l’agent a constaté que l’appelant avait consommé de l’alcool et enfreint ainsi la disposition de la MVA applicable aux nouveaux conducteurs.

[33]                          La détention de l’appelant pour de telles infractions était tout à fait licite — et ce dernier ne prétend pas le contraire.  Je le répète, toutefois, il ne s’agissait pas de détention aux fins d’enquête, au sens où cette expression est employée dans Mann.  L’appelant a été détenu parce que l’agent Burke croyait qu’il avait enfreint deux dispositions de la MVA.

[34]                          Ce qui pose problème en l’espèce est que la décision de l’agent Burke de confiner l’appelant à l’arrière de la voiture de police pendant qu’il rédigeait la contravention pour les infractions routières a modifié la nature et la portée de la détention et a nécessité, selon lui, qu’une fouille par palpation préalable soit effectuée.  Cette décision avait pour effet de restreindre davantage la liberté de l’appelant et ajoutait une atteinte à son droit à la protection de sa vie privée.  Ces facteurs ont, à mon avis, modifié de façon assez radicale la nature et la portée de la détention — en particulier si l’on considère que les infractions motivant la détention consistaient en deux contraventions routières relativement bénignes.

[35]                          Par souci de clarté, je précise que la question qu’il faut trancher en l’espèce n’est pas de savoir si l’agent Burke disposait du pouvoir de détenir l’appelant à l’arrière de sa voiture de police après l’avoir intercepté légalement pour manquement à une loi.  La question est plutôt de savoir si l’exercice d’un tel pouvoir se justifiait dans les circonstances.

[36]                          L’existence d’un pouvoir général de détention issu de la common law, lorsqu’il est raisonnablement nécessaire eu égard à l’ensemble des circonstances, a été établie dans l’arrêt R. c. Clayton, 2007 CSC 32, [2007] 2 R.C.S. 725.  Cette affaire a fait évoluer le débat, jusqu’alors axé sur l’existence ou l’inexistence d’un tel pouvoir, pour le faire porter sur la question de savoir si l’exercice d’un tel pouvoir est raisonnablement nécessaire dans les circonstances d’une espèce.  Comme la juge Abella, s’exprimant au nom de la majorité, l’y fait observer :

                           L’examen tiendra compte de la nature de la situation, y compris la gravité de l’infraction, des renseignements sur le suspect ou sur le crime dont disposaient les policiers et de la mesure dans laquelle la détention était une mesure raisonnablement adaptée à ces éléments, notamment en ce qui a trait à l’emplacement et au moment.  Il faut donc mettre en balance l’importance du risque pour la sécurité du public en général ou d’une personne en particulier avec le droit à la liberté des citoyens, pour déterminer si l’interception n’a porté atteinte à la liberté que dans la mesure raisonnablement nécessaire pour faire face au risque. [Je souligne; par. 31.]

[37]                          Cela m’amène au vice que je perçois dans l’analyse de la juge du procès en l’espèce.  Compte tenu de l’effet préjudiciable que la décision de confiner l’appelant à l’arrière de la voiture de police avait sur ses droits à la liberté et à la protection de sa vie privée, j’estime qu’il fallait, pour étayer sa conclusion selon laquelle les mesures prises par l’agent Burke étaient légitimes dans les circonstances, recourir à un critère plus exigeant que celui qu’a appliqué la juge du procès.

[38]                          L’agent Burke savait qu’avant de confiner l’appelant à l’arrière de la voiture de police, il allait effectuer une fouille par palpation pour assurer sa sécurité et celle de l’appelant.  Il voulait confiner l’appelant pour l’empêcher de s’en aller et se perdre dans la foule.  La juge du procès a accepté la preuve de l’agent sur ce point.  Il était tard le soir, il y avait beaucoup de monde dans la rue, et l’appelant ne pouvait plus regagner son véhicule. 

[39]                          J’accepte, comme la juge du procès, que l’agent Burke craignait que l’appelant lui fausse compagnie.  J’estime toutefois que dans le contexte de cette affaire, pour qu’il ait été justifié de confiner l’appelant sur la banquette arrière de la voiture de police — sachant que cela supposait également une fouille par palpation — il fallait qu’une telle forme de détention de l’appelant soit raisonnablement nécessaire[2].  Autrement dit, il faut se demander si l’agent Burke disposait de moyens raisonnables autres que la détention pour empêcher que ne se matérialise sa crainte de voir l’appelant se fondre dans la foule.  S’il existait d’autres moyens raisonnables de prévenir une fuite de l’appelant, on ne pourrait pas alors affirmer qu’il était raisonnablement nécessaire de le détenir dans la voiture de police, et cette détention aurait constitué une détention arbitraire au sens de l’art. 9  de la Charte  : Clayton, par. 20.

[40]                          Sans critiquer après coup la conduite des policiers et reconnaissant que ceux‑ci doivent souvent prendre des décisions instantanément dans des situations fluctuantes et potentiellement dangereuses, je suis toutefois d’avis que les mesures prises par l’agent Burke, bien qu’il ait été de bonne foi, n’étaient pas raisonnablement nécessaires.

[41]                          Je dois dire, en toute justice pour la juge du procès, que la question à trancher ne lui a pas été soumise en ces termes.  Je crois toutefois que si elle avait appliqué le bon critère, elle aurait conclu que l’élément de « nécessité » faisait défaut dans les circonstances.

[42]                          Bien que d’autres exemples puissent exister, je relève à cet égard que deux policiers sont arrivés sur les lieux pendant que l’agent Burke fouillait l’appelant.  J’en déduis que du renfort se trouvait à proximité, ce que l’agent aurait aisément pu vérifier.  S’il l’avait fait, il aurait pu attendre quelques minutes de plus pour remplir les formalités sans empiéter sur le droit de l’appelant de reprendre sa liberté aussitôt que possible.

[43]                          Or, je tiens à signaler qu’un autre fondement factuel aurait pu mener à une conclusion de nécessité raisonnable.  Et si telle conclusion s’imposait, je ne souscris pas à l’avis des juges minoritaires selon lequel « la balance ne penchera généralement pas en faveur » du confinement d’un détenu à l’arrière d’une voiture de police (par. 86).  Dans le contexte d’une simple infraction au code de la route, je reconnais qu’il sera rarement raisonnablement nécessaire de confiner un automobiliste à l’arrière d’un véhicule de police.  Mais lorsqu’existe une nécessité raisonnable, aucune autre mise en balance n’est exigée.

[44]                          Dans ce cas-ci, l’agent Burke a choisi de confiner l’appelant à l’arrière de la voiture de police et de le soumettre auparavant à une fouille par palpation.  N’eût été cette décision, il n’y aurait pas eu de fouille par palpation[3].  Parce que la détention de l’appelant à l’arrière de la voiture de police aurait constitué une détention illégale — puisque l’agent Burke disposait d’autres moyens raisonnables d’empêcher l’appelant de déguerpir — la détention ne saurait fonder en droit une fouille sans mandat : Collins, p. 278.  Par conséquent, la fouille par palpation était abusive au sens de l’art. 8 et constituait une atteinte au droit de l’appelant d’être protégé contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives garanti par la Charte .  Avec égards, la conclusion contraire de la juge du procès et des juges majoritaires de la Cour d’appel est erronée.

B.     Le paragraphe 24(2)

[45]                          Puisqu’il y a eu violation de l’art. 8, il faut procéder à l’analyse fondée sur le par. 24(2) afin de déterminer s’il y avait lieu d’admettre en preuve la cocaïne trouvée sur l’appelant.  Compte tenu des conclusions de fait de la juge du procès, qui ne sont pas contestées en appel, je suis d’avis que la cocaïne était admissible en preuve.  Fait important, la juge du procès a ajouté foi au témoignage de l’agent Burke, et ses conclusions écartent implicitement l’idée que ce dernier procédait simplement comme à l’habitude dans les cas d’infractions liées à l’alcool en confinant par commodité le délinquant à l’arrière de sa voiture de police. 

[46]                          Manifestement, l’agent Burke avait tort de croire qu’il pouvait installer l’appelant sur la banquette arrière de la voiture de police.  Or, ce faisant, il n’a pas fait preuve de mépris flagrant pour les droits de l’appelant garantis par la Charte .  Au contraire, la juge du procès a clairement conclu que l’agent Burke s’efforçait de respecter ces droits du début à la fin de son intervention.  Il n’a pas confiné l’appelant à l’arrière de la voiture de police pour lui administrer l’alcootest; il a plutôt laissé la portière ouverte et a permis à l’appelant de s’asseoir sur la banquette avec les jambes et les pieds hors du véhicule.  Il a demandé et obtenu l’autorisation de l’appelant avant de procéder à la fouille par palpation.  Bien que le consentement de l’appelant ne vaille pas renonciation, on n’a pas demandé à l’agent ce qu’il aurait fait en cas de refus.  Lorsque l’agent a palpé un objet dur dans la poche avant gauche de l’appelant, il a accepté la réponse de celui‑ci qu’il s’agissait de son portefeuille.  Il n’a pas glissé la main à l’intérieur pour s’en assurer.  Pour ce qui est de ce qu’il a palpé dans la poche droite, l’agent a témoigné qu’il aurait accepté la réponse de l’appelant si ce dernier lui avait dit que c’était des médicaments.

[47]                          Il importe de signaler que la juge du procès a tiré la conclusion de fait que l’agent Burke n’était pas à la recherche d’éléments de preuve lorsqu’il a effectué la fouille par palpation (d.a., vol. I, p. 9).  Autrement dit, en demandant à l’appelant de monter à l’arrière de la voiture de police, il n’employait pas une tactique pour obtenir des preuves incriminantes.  Au contraire, il a procédé à la fouille pour des raisons de sécurité, la sienne propre et celle de l’appelant.

[48]                          L’agent Burke ne suivait pas non plus sa pratique habituelle en matière d’infractions liées à l’alcool.  La juge du procès a évalué la conduite de l’agent en fonction des [traduction] « circonstances très inhabituelles en jeu » le soir en question (d.a., vol. I, p. 14‑15).  Si elle avait conclu autrement, la violation aurait été beaucoup plus grave et aurait bien pu justifier l’exclusion de la preuve en application du par. 24(2).

[49]                          En définitive, étant donné les conclusions de fait de la juge du procès, je suis convaincu que l’agent Burke a agi de bonne foi.  Il a commis l’erreur de ne pas considérer que la fouille par palpation ne serait raisonnable, dans les circonstances, que s’il pouvait démontrer qu’elle était raisonnablement nécessaire — au sens où il n’existait pas d’autre moyen raisonnable — pour confiner l’appelant à l’arrière de la voiture de police en raison de sa crainte que ce dernier puisse s’en aller.  Mais il n’avait nullement l’intention d’abuser de ses pouvoirs; il n’a pas non plus choisi de ne pas respecter les droits que la Charte  garantit à l’appelant.  Ces facteurs viennent atténuer la gravité de l’atteinte à ces droits.

[50]                          Qui plus est, comme le révèlent les décisions de la juge du procès et des juges majoritaires de la Cour d’appel, le droit régissant les pouvoirs de la police en cas de détention est toujours en évolution.  C’est pourquoi, lorsque les policiers agissent de bonne foi, sans mépris flagrant ou méconnaissance des droits garantis par la Charte  — comme en l’espèce — la gravité de la violation s’en trouve atténuée.  Voir R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34, par. 86.

[51]                          Pour ce qui est de l’effet que la fouille a eu sur le droit à la protection de la vie privée de l’appelant, j’accepte qu’il était important — mais pas davantage que l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit instruite au fond.

[52]                          Après avoir soupesé les trois facteurs énumérés dans l’arrêt R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, de notre Cour, je suis convaincu que la balance penche en faveur de l’admission en preuve de la cocaïne.

VI.    Conclusion

[53]                          La cocaïne trouvée sur l’appelant a été à bon droit admise en preuve.  En conséquence, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

                    Version française des motifs des juges LeBel et Fish rendus par

                    Le juge LeBel (dissident)

I.     Aperçu

[54]                          Le présent pourvoi appelle une fois de plus la Cour à analyser la nature et la portée des pouvoirs de la police.  L’appelant, M. Aucoin, a été détenu et fouillé à la suite de l’interception de son véhicule pour une infraction routière.  Comme le démontrent les présents motifs, le policier ne disposait pas du pouvoir de détention et de fouille dans les circonstances.  Il faut donc déterminer s’il y a lieu d’écarter les éléments de preuve obtenus par suite de l’atteinte grave aux droits constitutionnels de M. Aucoin découlant d’une infraction très courante.  Selon moi, la preuve doit être écartée.  Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi, d’écarter la preuve et d’inscrire un verdict d’acquittement.

II.    Les faits

[55]                          Le 31 mai 2008, l’agent Christopher Michael Burke patrouillait en compagnie du cadet Tyler Gerrard Lynk à Kentville (Nouvelle‑Écosse).  Vers minuit, ils ont intercepté une Chevrolet noire conduite par Brendan David Aucoin, âgé de 19 ans, après avoir constaté une irrégularité concernant la plaque d’immatriculation. 

[56]                          L’agent Burke s’est approché du véhicule et a demandé à voir le permis de conduire, le certificat d’immatriculation et la preuve d’assurance.  Suivant le témoignage de l’agent, comme M. Aucoin sentait l’alcool, il lui a demandé de se rendre à la voiture de police pour fournir un échantillon d’haleine.  M. Aucoin a subi l’épreuve de l’alcootest assis sur la banquette arrière de la voiture de police, les pieds hors du véhicule.  Le résultat du test a révélé une concentration de 20 mg d’alcool par 100 ml de sang — un rapport très en deçà de la limite permise par la loi, mais qui contrevenait néanmoins à la règle de sobriété absolue appliquée dans la province à l’égard des nouveaux conducteurs (Motor Vehicle Act, R.S.N.S. 1989, ch. 293, par. 100A(1)).

[57]                          Il faisait nuit, et l’agent Burke avait besoin de l’éclairage intérieur de la voiture de police pour dresser la contravention.  Il a donc décidé de confiner M. Aucoin à l’arrière du véhicule de patrouille pendant qu’il remplissait le constat à l’avant, mais auparavant, il a effectué une fouille par palpation pour vérifier si ce dernier possédait une arme.

[58]                          L’agent Burke a tâté un objet dur dans la poche avant gauche du pantalon de M. Aucoin et a demandé ce que c’était.  M. Aucoin a répondu qu’il s’agissait de son portefeuille.  En continuant la fouille, l’agent a tâté un objet mou dans l’autre poche avant et a répété sa question.  M. Aucoin a répondu que c’était de l’ecstasy.  L’agent a alors mis M. Aucoin en état d’arrestation et sorti de la poche du pantalon de ce dernier deux sachets contenant des comprimés et huit sachets contenant de la poudre blanche.

[59]                          Une analyse a révélé plus tard que la poudre blanche était de la cocaïne, et les comprimés, une substance non énumérée dans les annexes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, ch. 19 .  M. Aucoin a été accusé en vertu du par. 5(2) de cette loi d’un chef de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic et d’un chef de possession d’une substance tenue pour de l’ecstasy en vue d’en faire le trafic.

[60]                          Dans l’avis de contestation qu’il a déposé, M. Aucoin a prétendu que la fouille par palpation avait porté atteinte à son droit à la protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives garanti par l’art. 8  de la Charte canadienne des droits et libertés .  Il a demandé que les substances saisies lors de la fouille soient écartées en application du par. 24(2)  de la Charte .  Le 8 décembre 2009, la juge MacDonald de la Cour provinciale de la Nouvelle‑Écosse a statué que la fouille n’avait pas porté atteinte aux droits que la Charte  garantit à M. Aucoin.  Elle a admis la preuve au procès et, le 24 juin 2010, elle a déclaré M. Aucoin coupable sur le premier chef d’accusation — possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic — et l’a acquitté sur le second.  Le 11 août 2010, M. Aucoin a été condamné à deux ans d’emprisonnement.  Il a fait appel de la déclaration de culpabilité et de la peine.  Par décision majoritaire, la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a rejeté l’appel; le juge Beveridge était dissident (2011 NSCA 64, 306 N.S.R. (2d) 20).  M. Aucoin se pourvoit maintenant de plein droit devant notre Cour.

III.    Historique judiciaire

A.     Cour provinciale de la Nouvelle‑Écosse

[61]                          Avant le procès, la juge MacDonald a tenu un voir‑dire pour déterminer l’admissibilité des éléments de preuve saisis lors de la fouille par palpation.  Elle a d’abord passé en revue les principes juridiques applicables, indiquant qu’une fouille sans mandat est présumée abusive à moins que le ministère public puisse démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle est autorisée par une loi qui n’a elle‑même rien d’abusif et qu’elle a été effectuée de manière non abusive (R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265).  En l’espèce est en cause le pouvoir que la common law reconnaît à la police de procéder à une fouille accessoire à une détention légale.  Une fouille préventive par palpation est autorisée dans le contexte d’une détention légale si le policier a des motifs raisonnables de croire que sa sécurité ou celle d’autrui est menacée (R. c. Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59).

[62]                          La juge MacDonald était consciente du fait que M. Aucoin n’était pas détenu pour un acte criminel mais pour une infraction au code de la route de la province (d.a., vol. I, p. 13‑14).  En dépit de ses réserves quant au contexte de la détention et de la fouille, elle a conclu à l’existence de [traduction] « circonstances très inhabituelles en jeu » : il était tard, l’agent Burke avait besoin de l’éclairage de la voiture de police pour dresser la contravention, et M. Aucoin ne pouvait regagner son propre véhicule, qui allait être remorqué.  Il y avait foule durant le festival Apple Blossom Festival et le policier craignait que M. Aucoin puisse tout simplement partir et se fondre dans la foule (d.a., vol. I, p. 14‑15).

[63]                          Vu ces « circonstances inhabituelles », la juge MacDonald a conclu ainsi :

                    [traduction]  [I]l était raisonnable que l’agent Burke demande à M. Aucoin de s’asseoir dans la voiture de police pendant qu’il dressait la contravention.  Il était également raisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances, qu’il procède à une très rapide fouille par palpation et qu’il ait avec M. Aucoin un bref échange avant de le faire monter à l’arrière du véhicule.  La sécurité de l’agent constitue une préoccupation légitime dans ces circonstances particulières.  [d.a., vol. I, p. 16]

À son avis, les droits garantis par la Charte  à M. Aucoin n’avaient donc subi aucune atteinte, et par la suite, la preuve a été admise au procès.  M. Aucoin a été déclaré coupable de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic et condamné à deux ans d’emprisonnement.

B.     Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, 2011 NSCA 64, 306 N.S.R. (2d) 20

[64]                          M. Aucoin a interjeté appel de la déclaration de culpabilité et de la peine devant la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse, en invoquant les quatre moyens suivants : (1) la juge du procès avait conclu à tort que la fouille par palpation ne violait pas l’art. 8  de la Charte , (2) elle avait accordé à tort trop de poids au témoignage d’expert concluant que l’accusé possédait la drogue en vue d’en faire le trafic, (3) le verdict était déraisonnable et (4) la juge du procès n’avait pas tenu compte des principes de détermination de la peine et ne les avait pas appliqués correctement.

[65]                          Rédigeant en son nom et en celui du juge Fichaud, la juge Hamilton a statué, relativement à la question portant sur la Charte , que la juge du procès avait tenu compte des principes juridiques pertinents et les avait correctement appliqués aux faits de l’espèce.  Examinant les circonstances inhabituelles relevées par la juge du procès, elle a confirmé que la détention de M. Aucoin à l’arrière de la voiture de police était raisonnable et que, une fois prise cette décision, il était raisonnable de procéder à une fouille par palpation visant à révéler la présence d’armes (par. 26‑27).  Elle a donc rejeté ce moyen d’appel, ainsi que les trois autres, et a confirmé la déclaration de culpabilité et la peine d’emprisonnement de deux ans.

[66]                          Selon le juge Beveridge, dissident sur la question relative à la Charte , la juge du procès n’avait identifié aucun pouvoir légal autorisant la fouille de M. Aucoin :

                    [traduction]  La Cour suprême du Canada a clairement établi dans R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265 [. . .] et confirmé récemment dans R. c. Mann, qu’une fouille sans mandat est présumée abusive à moins qu’elle ne soit autorisée par la loi, que la loi elle-même n’ait rien d’abusif et que la fouille ait été effectuée de manière non abusive.  Bien que la juge du procès ait mentionné ces trois principes fondamentaux, elle n’a pas indiqué sur quel pouvoir s’appuyait sa conclusion que la fouille était conforme à l’art. 8  de la Charte .  Il ressort implicitement des motifs de la juge que l’appelant était à son avis détenu aux fins d’enquête et que, comme elle jugeait raisonnable la décision du policier de faire monter M. Aucoin à l’arrière du véhicule, la fouille préventive se justifiait.  Mes collègues de la majorité souscrivent à ce raisonnement.  En toute déférence, je ne puis faire de même.  [par. 71]

[67]                          Premièrement, le juge Beveridge a conclu qu’aucun pouvoir légal ne justifiait la détention.  Relativement à la conclusion de la juge du procès selon laquelle l’agent Burke pouvait raisonnablement demander à M. Aucoin de prendre place à l’arrière de la voiture de police, il a affirmé ce qui suit :

                           [traduction]  Sauf le respect que je dois à la juge du procès, le fait qu’il ne soit pas abusif de faire monter l’appelant à l’arrière de la voiture de police n’est pas le critère qui détermine le pouvoir du policier d’entraver la liberté d’une personne.  Il est évident que la police doit exercer de manière non abusive les pouvoirs dont elle dispose.  Or, la simple conclusion que la conduite policière est non abusive ne suffit pas, à mon avis.  [par. 65]

Un policier doit posséder des motifs raisonnables pour être habilité à détenir quelqu’un à l’arrière de la voiture de police.  L’agent Burke a mentionné la crainte subjective que M. Aucoin lui fausse compagnie avant qu’il puisse lui remettre la contravention; toutefois, le ministère public a concédé que cette crainte était dépourvue de fondement objectif (par. 67‑69).

[68]                          Deuxièmement, aucun pouvoir légal n’autorisait la fouille.  Un policier doit avoir des motifs raisonnables de croire que sa sécurité ou celle d’autrui est menacée pour effectuer une fouille préventive par palpation (Mann).  Non seulement l’agent Burke a‑t‑il arbitrairement créé le motif de sécurité, mais il n’a fourni aucun motif, raisonnable ou non, commandant cette fouille (par. 78‑79).  En outre, selon le juge Beveridge, la fouille a outrepassé ce qui était raisonnablement requis pour révéler la présence d’armes.  En effet, il est impossible pour l’agent de concevoir la présence d’un objet mou dissimulé dans une poche de vêtement comme une menace légitime à sa sécurité justifiant de s’enquérir de la nature de l’objet (par. 80).

[69]                          Le juge dissident a donc conclu que la juge du procès avait commis une erreur de droit en n’indiquant pas un pouvoir légal autorisant la fouille.  Il s’est ensuite penché sur la possibilité que l’admission de la preuve déconsidère l’administration de la justice, à la lumière des trois facteurs énumérés dans R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353.

[70]                          Premièrement, il a jugé grave la conduite de l’État : l’agent Burke avait, sans motif raisonnable, décidé arbitrairement de restreindre davantage la liberté de M. Aucoin, et sa décision de procéder à la fouille n’était fondée sur aucune inférence précise tirée de faits connus.  La fouille excédait ce qui était raisonnablement requis pour révéler la présence d’armes.  De plus, cette manière de procéder semblait constituer la méthode habituelle de l’agent Burke à l’égard des conducteurs détenus.  Ces faits militaient en faveur de l’exclusion de la preuve (par. 88-92).  Deuxièmement, la violation a eu une incidence importante sur les droits garantis par la Charte  à M. Aucoin : ce dernier pouvait prétendre à une attente élevée en matière de vie privée quant au contenu des poches de ses vêtements, et les éléments de preuve n’auraient pu être découverts sans la fouille non autorisée et les questions coercitives (par. 93‑94).  Troisièmement, sans ces éléments de preuve, le ministère public ne pouvait mener à bien la poursuite; leur exclusion serait donc fatale à la fonction de recherche de vérité du procès, ce qui militait en faveur de l’admission de la preuve (par. 95).

[71]                          Après avoir mis tous ces facteurs en balance, le juge Beveridge a conclu que l’admission en preuve de la cocaïne était susceptible, à long terme, de déconsidérer l’administration de la justice.  L’application du droit ne comportait aucune incertitude.  L’agent Burke a agi, sans motifs raisonnables, comme il en avait l’habitude (par. 98).  Le juge Beveridge aurait donc accueilli l’appel, écarté la preuve et ordonné l’acquittement.  Cette conclusion le dispensait d’examiner les autres moyens d’appel.

IV.    Les questions en litige

[72]                          M. Aucoin se pourvoit de plein droit devant notre Cour en application de l’al. 691(1) a) du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 .  L’appel porte uniquement sur la question de droit exposée dans la dissidence du juge Beveridge, soit la question de savoir si la fouille de M. Aucoin a violé son droit à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives reconnu par la Charte .  Notre Cour doit répondre aux questions suivantes :

(1)               La détention était-elle légale?

(2)               La fouille était-elle légale?

(3)               La preuve devrait-elle être écartée?

V.     Analyse

[73]                          La Cour est une fois de plus saisie d’un pourvoi relatif à la nature et à la portée des pouvoirs que la common law reconnaît aux policiers, mais cette fois dans le contexte d’un manquement à une loi.  Notre Cour a adopté le critère en deux étapes élaboré par la Cour d’appel anglaise dans R. c. Waterfield, [1963] 3 All E.R. 659, p. 660‑661, en vue de déterminer si une conduite policière donnée entravant la liberté d’une personne est autorisée par un pouvoir reconnu en common law.  

[74]                          Au premier volet, il faut établir si la conduite s’inscrit dans le cadre général d’un devoir incombant à la police aux termes d’un texte de loi ou de la common law.  Les devoirs que reconnaît la common law à la police incluent le maintien de la paix, la prévention du crime et la protection de la vie et des biens (Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2).

[75]                          Au second volet, il faut examiner si la conduite, même si elle s’inscrit dans le cadre général d’un devoir policier, a donné lieu à l’exercice injustifiable des pouvoirs afférents à ce devoir.  Pour être justifiée, « [l]’atteinte à la liberté doit être nécessaire à l’accomplissement du devoir particulier de la police et elle doit être raisonnable, compte tenu de la nature de la liberté entravée et de l’importance de l’objet public poursuivi par cette atteinte » (Dedman, p. 35).

[76]                          Notre Cour applique systématiquement le critère de l’arrêt Waterfield pour déterminer la portée des pouvoirs policiers reconnus par la common law.  Par exemple, dans Cloutier c. Langlois, [1990] 1 R.C.S. 158, la Cour conclut à l’existence en common law du pouvoir d’effectuer une fouille accessoire à une arrestation légale; dans Mann, elle reconnaît le pouvoir de common law de détention aux fins d’enquête et le pouvoir d’effectuer une fouille accessoire à une telle détention et, dans R. c. Kang‑Brown, 2008 CSC 18, [2008] 1 R.C.S. 456, les juges majoritaires reconnaissent le pouvoir de common law d’effectuer des fouilles ou perquisitions à l’aide de chiens renifleurs.

[77]                          Suivant les principes juridiques reconnus et précisés dans les arrêts mentionnés, un policier est autorisé, dans l’accomplissement de ses devoirs, à adopter la conduite qui est raisonnablement nécessaire compte tenu de l’ensemble des circonstances.  Le tribunal doit prendre en compte l’importance du devoir du policier, la nature de la liberté entravée, ainsi que l’étendue de l’atteinte à cette dernière, et il doit tenter d’établir un juste équilibre entre les intérêts opposés en présence.  Il est nécessairement appelé à déterminer s’il existe un moyen moins attentatoire d’accomplir le devoir.

[78]                          En l’espèce, la juge du procès ne s’est pas demandé si la détention et la fouille étaient raisonnablement nécessaires, mais tout simplement si elles étaient raisonnables (d.a., vol. I, p. 16).  Comme le juge Beveridge le souligne dans sa dissidence, le caractère raisonnable ou non d’une mesure ne constitue pas le critère qui gouverne l’exercice du pouvoir du policier d’entraver la liberté d’une personne (par. 65).  La juge du procès a donc commis une erreur de droit en n’appliquant pas la norme juridique permettant de reconnaître des pouvoirs policiers.  Il revient à notre Cour d’appliquer la norme juridique correcte aux conclusions de fait tirées par la juge du procès.

[79]                          Comme je l’expliquerai, il n’était pas raisonnablement nécessaire que l’agent Burke confine M. Aucoin à l’arrière de la voiture de police pour dresser la contravention.  Des solutions moins attentatoires existaient.  Qui plus est, même si la détention découlait de l’exercice légitime de pouvoirs policiers, la fouille par palpation préventive n’était pas raisonnablement nécessaire.  L’agent Burke n’avait pas de motifs raisonnables de croire que sa sécurité ou celle d’autrui était menacée.  En conséquence, les éléments de preuve découverts lors de la fouille ont été obtenus en violation des droits de M. Aucoin garantis par la Charte , et leur utilisation, dans les circonstances de l’espèce, est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.  Je serais donc d’avis d’écarter ces éléments de preuve et d’inscrire un verdict d’acquittement.

A.     La détention

[80]                          La détention de M. Aucoin a commencé lorsque l’agent Burke l’a intercepté pour vérifier une irrégularité au sujet de la plaque d’immatriculation de son véhicule.  Elle s’est poursuivie lorsque le policier, après avoir détecté une odeur d’alcool, a voulu établir s’il y avait eu infraction à la Motor Vehicle Act ou au Code criminel .  L’enquête a pris fin dès l’obtention des résultats de l’alcootest, mais la détention a continué le temps que l’agent Burke dresse la contravention.  Le litige porte sur ce dernier stade de la détention.  C’est à ce moment que le policier a décidé de confiner M. Aucoin à l’arrière de la voiture de police et d’effectuer, au préalable, une fouille par palpation.  L’illégalité de la détention emporte celle de la fouille par palpation accessoire à la détention (voir R. c. Loewen, 2011 CSC 21, [2011] 2 R.C.S. 167).

[81]                          Les juridictions inférieures semblent avoir tenu pour acquis qu’il y avait détention aux fins d’enquête dans les circonstances.  Je ne suis pas certain que ce soit la qualification la plus juste.  La détention aux fins d’enquête survient au cours d’une enquête sur un crime.  Ainsi, le critère en matière de détention aux fins d’enquête est axé sur le lien entre la personne qui sera détenue et une infraction criminelle récente ou en cours.  Il faut que le but de la détention consiste à vérifier si cette personne est impliquée dans l’activité criminelle visée par l’enquête (Mann, par. 34).

[82]                          En l’espèce, par contre, l’enquête sur l’infraction routière était close lorsque l’agent Burke a décidé de détenir M. Aucoin à l’arrière de la voiture de police.  Le devoir du policier consistait alors à remettre une contravention.  L’implication de M. Aucoin ne faisait aucun doute.  Par conséquent, la détention dans la présente affaire cadre mal avec la définition de la détention aux fins d’enquête.

[83]                          Quoi qu’il en soit, c’est le pouvoir de détention reconnu par la common law qui est en cause.  Comme pour les autres pouvoirs de common law, le critère applicable consiste à déterminer si la détention était raisonnablement nécessaire suivant une considération objective de l’ensemble des circonstances (Mann, par. 34).  Je suis d’avis qu’elle ne l’était pas.

[84]                          Au cours de l’interrogatoire principal lors du voir‑dire, l’agent Burke a répondu ce qui suit lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait décidé de faire monter M. Aucoin à l’arrière de la voiture de police :

                           [traduction]  Sa voiture allait être remorquée, il ne pouvait donc y retourner.  Et c’était le festival Apple Blossom.  Il y avait foule.  J’ai pensé que s’il restait au bord de la chaussée il pourrait s’éloigner.  Il pourrait s’éclipser pendant que je remplissais la contravention.  [d.a., vol. II, p. 18-19]

[85]                          Selon la juge du procès, le remorquage du véhicule de M. Aucoin et la crainte subjective de l’agent Burke que M. Aucoin puisse lui fausser compagnie conféraient à la décision de le détenir à l’arrière du véhicule un caractère non abusif.  Ce raisonnement est fautif à deux égards.  Premièrement, je le répète, la norme applicable pour établir l’existence d’un pouvoir policier reconnu par la common law n’est pas celle du caractère non abusif de la mesure prise par l’agent. La détention doit être raisonnablement nécessaire.  Deuxièmement, la crainte subjective de l’agent Burke de voir M. Aucoin s’éclipser ne reposait sur aucun motif raisonnable, de l’aveu même du ministère public.  Selon la preuve, M. Aucoin s’est montré coopératif pendant toute l’opération, il n’a rien dit ni fait qui puisse indiquer une intention de fuir.  En outre, un autre agent en uniforme pouvait le surveiller.  Le fait que le cadet Lynk effectuait son stage et ne portait pas d’arme ne l’empêchait nullement d’assurer la surveillance de M. Aucoin.  Une solution moins attentatoire aux droits de M. Aucoin existait donc : M. Aucoin aurait pu attendre sur le trottoir qu’on lui remette la contravention.  Dans ces circonstances, on ne saurait affirmer qu’il était raisonnablement nécessaire de le détenir à l’arrière de la voiture de police.

[86]                          En règle générale, confiner une personne à l’arrière d’une voiture de police le temps de dresser une contravention pour une infraction routière respectera rarement le juste équilibre entre l’intérêt public à ce que les lois soient appliquées et l’intérêt public à ce que l’État ne porte pas atteinte à la liberté individuelle.  Si l’existence de motifs raisonnables de croire à une fuite possible de M. Aucoin pouvait rendre sa détention nécessaire, le caractère généralement raisonnable de la décision de le détenir devait alors être évalué en fonction de l’ensemble des circonstances (Mann, par. 34), dont la nature et la portée de l’atteinte à la liberté et l’importance de l’objet public poursuivi (voir Dedman, p. 35‑36).  La gravité de l’infraction constitue certes un élément pertinent (voir R. c. Clayton, 2007 CSC 32, [2007] 2 R.C.S. 725, par. 31).  À mon avis cependant, lorsque l’intérêt public que poursuit l’atteinte consiste dans la mise à exécution d’une obligation réglementaire et cette atteinte se traduit par une prise en contrôle intégrale des mouvements d’une personne par la police, la balance ne penchera généralement pas en faveur de la reconnaissance de l’existence d’un pouvoir policier.

[87]                          Pour ces raisons, j’estime qu’il n’était pas raisonnablement nécessaire de détenir M. Aucoin à l’arrière de la voiture de police.  Aucun pouvoir n’autorisait cette détention.  Celle-ci était illégale et, partant, elle était arbitraire.

B.     La fouille

[88]                          La fouille préventive par palpation était accessoire à la détention.  Puisque j’estime que la détention était illégale, la fouille doit également être considérée comme illégale et, de ce fait, abusive.  Toutefois, la détention de M. Aucoin à l’arrière de la voiture de police eût‑elle été raisonnablement nécessaire, je conclurais quand même au caractère abusif de la fouille.

[89]                          Une fouille accessoire à une détention légale est une fouille sans mandat, et une telle fouille est présumée abusive à moins que le ministère public ne démontre, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était autorisée par une loi elle‑même non abusive et qu’elle a été effectuée de manière non abusive (Collins).  En outre, une telle fouille sera autorisée par la common law dans la mesure où elle respecte les limites établies par l’arrêt Mann.

[90]                          Dans l’arrêt Mann, notre Cour conclut à l’existence d’un pouvoir reconnu en common law de procéder à une fouille accessoire à une détention légale.  La décision portait précisément sur la fouille accessoire à la détention aux fins d’enquête, mais les principes qui y sont énoncés s’appliquent également à toute détention légale.  Le pouvoir en question est étroitement circonscrit :

                           Le devoir général des policiers de protéger la vie peut, dans certaines circonstances, faire naître le pouvoir de procéder à une fouille par palpation accessoire à une détention aux fins d’enquête.  Un tel pouvoir de fouille n’existe pas de manière autonome; le policier doit croire, pour des motifs raisonnables, que sa propre sécurité ou celle d’autrui est menacée.  [par. 40]

En outre, la fouille accessoire à une détention légale doit se limiter à ce qui est raisonnablement requis pour découvrir la présence d’armes (Mann, par. 41).

[91]                          La juge du procès a retenu le fait que l’agent Burke cherchait des armes et non des éléments de preuve (d.a., vol. I, p. 9), mais elle ne s’est pas demandé si la fouille était fondée sur des motifs raisonnables ou si elle se limitait à ce qui était raisonnablement requis pour découvrir des armes.

[92]                          Rappelons que la fouille sans mandat est présumée abusive.  Il incombe donc au ministère public d’établir en preuve la crainte subjective de l’agent à l’égard de sa sécurité ou de celle d’autrui et les motifs raisonnables fondant cette crainte (Collins).  Cette preuve brille par son absence en l’espèce. 

[93]                          Lors de l’interrogatoire principal, l’agent Burke a déclaré qu’il avait pour habitude de fouiller par palpation quiconque devait prendre place à l’arrière de la voiture de police (d.a., vol. II, p. 19).  Pour reprendre ses propos :

                    [traduction] . . . c’est une situation posant un problème de sécurité de l’agent parce que j’ignore totalement ce que l’individu peut avoir en sa possession et avec quoi il pourrait se blesser lui‑même ou me blesser pendant que j’ai le dos tourné et qu’il se trouve à l’arrière de la voiture de police.  [d.a., vol. II, p. 18]

Cette raison ne suffit tout simplement pas pour autoriser une fouille.  Le pouvoir de fouiller une personne ne peut être exercé automatiquement dès qu’il y a détention.  De vagues inquiétudes en matière de sécurité ne sauraient non plus le justifier.  Le policier « doit plutôt agir à partir d’inférences raisonnables et précises fondées sur les faits connus se rapportant à la situation » (Mann, par. 41).  Contre‑interrogé à ce sujet, l’agent Burke a admis qu’il n’avait aucun motif de soupçonner que M. Aucoin avait des armes en sa possession (d.a., vol. II, p. 39).  Cette admission dissipe toute possibilité qu’il ait eu des motifs raisonnables de procéder à la fouille.

[94]                          Devant nous, le ministère public a fait valoir qu’ [traduction] « en fait, l’absence de renseignements a fait naître chez l’agent la crainte que sa sécurité puisse être menacée » (transcription, p. 38).  Reconnaître que l’absence de renseignements puisse donner lieu à des motifs raisonnables reviendrait à conférer à la police un pouvoir général de fouille qui n’a encore jamais existé en droit.  Je me refuse, avec égards, à apporter un changement aussi fondamental à la common law.

[95]                          La fouille, qui déjà ne reposait pas sur des motifs raisonnables, a outrepassé ce qui était raisonnablement requis pour révéler la présence d’armes.  L’agent Burke a tâté un objet mou dans la poche avant droite du pantalon de M. Aucoin et a demandé de quoi il s’agissait.  Cette procédure constituait clairement une fouille (voir R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615).  Comme le juge Beveridge, je suis d’avis qu’il [traduction] « est impossible dans ces circonstances de concevoir que la présence d’un objet mou puisse susciter une crainte légitime pour sa sécurité justifiant de s’enquérir de la nature de l’objet » (par. 80).  Lors du contre‑interrogatoire, l’agent Burke n’a fait état d’aucune inférence, raisonnable ou non, qui aurait pu fonder la crainte d’une menace pour sa sécurité et justifier les questions posées.  Il a simplement dit : [traduction] « Je ne savais pas ce que c’était.  C’est pourquoi j’ai posé la question » (d.a., vol. II, p. 42).

[96]                          L’arrêt Mann lui‑même étaye aussi cette conclusion.  En effet, la Cour y accepte la constatation du juge du procès selon laquelle rien ne permettait à l’agent d’inférer de la présence d’un objet mou dans la poche du vêtement de M. Mann qu’il était raisonnable de ne pas s’en tenir à la simple fouille par palpation (par. 49).  Dans cette affaire, l’agent avait glissé sa main dans la poche du vêtement de l’appelant, tandis qu’en l’espèce, l’agent Burke a demandé à M. Aucoin ce qui se trouvait dans sa poche.  Comme on peut raisonnablement penser que M. Aucoin s’est senti obligé de répondre (voir Mellenthin), les deux situations demeurent essentiellement identiques.  Je ne puis non plus retenir l’argument selon lequel M. Aucoin aurait simplement pu mentir.  La common law ne saurait évoluer de façon à encourager les citoyens à tromper la police.

[97]                          La preuve ne révèle aucun motif raisonnable susceptible de faire croire à l’agent Burke que sa sécurité ou celle d’autrui était menacée.  En outre, la fouille a excédé ce qui était raisonnablement requis pour révéler la présence d’armes.  Par conséquent, le ministère public ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer que la fouille n’était pas abusive.  Les éléments de preuve saisis lors de la fouille ont donc été obtenus en violation du droit de M. Aucoin à la protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives garantie par la Charte .

[98]                          Je suis conscient que le procureur général de l’Ontario exhorte la Cour à statuer en l’espèce [traduction] « en prenant bien en compte que, jour après jour, les policiers sont appelés à exercer leurs importants devoirs dans des circonstances dynamiques, exigeantes et dangereuses » (mémoire, par. 1).  Or, il demeure que le ministère public n’a fait état d’aucun motif, raisonnable ou non, susceptible de justifier la fouille.  Certes, compte tenu de son expérience et de la dynamique de la situation, on doit reconnaître au policier une certaine latitude dans l’appréciation de l’ensemble des circonstances.  Cependant, le tribunal conserve le droit d’exiger que l’on présente un ensemble de preuves capable de confirmer l’existence d’un motif justifiant la reconnaissance du pouvoir de procéder à une fouille.

C.     Exclusion de la preuve

[99]                          Le tribunal doit écarter un élément de preuve obtenu en contravention de la Charte  si son admission est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.  Pour déterminer s’il y a lieu d’écarter un élément de preuve, le tribunal doit évaluer et mettre en balance l’effet que l’utilisation de l’élément de preuve aurait sur la confiance de la société envers le système de justice en tenant compte de (1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État, (2) l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte  et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond (Grant, par. 71).

[100]                      La première question à examiner est la gravité de la conduite attentatoire de l’État.  Plus cette conduite est grave « plus il est nécessaire que les tribunaux s’en dissocient en excluant les éléments de preuve ainsi acquis, afin de préserver la confiance du public envers le principe de la primauté du droit et de faire en sorte que l’État s’y conforme » (Grant, par. 72).  À mon avis, les gestes en cause étaient graves.  L’agent Burke savait — ou aurait dû savoir — qu’il lui fallait des motifs raisonnables pour effectuer une fouille par palpation.  Ainsi, il a agi dans l’ignorance — ou dans le mépris délibéré — des normes bien établies régissant la conduite policière respectueuse de la Charte , ce qui milite en faveur de l’exclusion (Grant, par. 74‑75; voir aussi R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494).

[101]                      Le témoignage de l’agent Burke, selon lequel il a pour habitude de confiner à l’arrière de la voiture de police les conducteurs détenus, après les avoir fouillés par palpation, ajoute à la gravité de la conduite (d.a., vol. II, p. 19 et 38) et témoigne de l’existence d’un contexte d’abus :

                    Il faut également garder à l’esprit que pour chaque violation de la Charte  qui aboutit devant les tribunaux, il en existe un grand nombre qui ne sont ni révélées ni corrigées parce qu’elles n’ont pas permis de recueillir d’éléments de preuve pouvant mener à des accusations.  Compte tenu de la nécessité que les tribunaux se distancient de tels comportements, la preuve que des actes portant atteinte à la Charte  s’inscrivent dans un contexte d’abus tend à fonder l’exclusion.  [Grant, par. 75]

[102]                      Je souscris donc à la conclusion du juge Beveridge que les actes attentatoires étaient graves et [traduction] « démontrent un manque de respect pour l’un des principes fondamentaux de notre droit — sous réserve d’une exception prévue par un texte de loi, la police ne peut porter atteinte à la liberté ou à la vie privée que pour des motifs raisonnables et probables » (par. 98).  Admettre la preuve équivaudrait à tolérer qu’un policier, en l’absence de tout motif, insiste pour confiner une personne à l’arrière d’une voiture de police et la fouiller, encore là sans motif.  La confiance du public envers la primauté du droit en serait considérablement ébranlée.

[103]                      La deuxième question a trait à l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte .  Une fouille abusive brime le droit d’un accusé à la protection de sa vie privée.  Il était raisonnable que M. Aucoin ait des attentes élevées en matière de vie privée relativement au contenu des poches de ses vêtements.  La fouille a donc eu une incidence importante sur son droit à la vie privée (Grant, par. 78; voir aussi R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215).  En outre, étant donné que la preuve n’aurait pu être découverte sans la fouille illégale, « il y a empiètement accru » sur l’attente raisonnable en matière de vie privée (Côté, par. 72; voir aussi Mellenthin).

[104]                      La conduite de l’État en l’espèce a eu une incidence sur d’autres droits garantis par la Charte  que le droit à la vie privée.  La détention était arbitraire et elle a brimé le droit de M. Aucoin à la liberté.  En outre, questionner ce dernier sur le contenu des poches de ses vêtements sans l’informer de son droit à un avocat, vu qu’il se croyait tenu de répondre, a empiété sur son droit de ne pas s’incriminer.  Ces questions ont donné à la fouille une portée excédant ce qui était raisonnablement requis pour révéler la présence d’armes.  Qui plus est, ce sont effectivement les réponses de M. Aucoin qui ont mené à la découverte de la cocaïne.  Par conséquent, la cocaïne peut être considérée comme un élément de preuve dérivée (Grant, par. 132).  À la lumière des multiples droits garantis par la Charte  en cause dans l’espèce et de l’attente élevée de M. Aucoin en matière de vie privée, la conduite attentatoire a eu une incidence importante.

[105]                      La troisième question « vise à déterminer si la fonction de recherche de la vérité que remplit le procès criminel est mieux servie par l’utilisation ou par l’exclusion d’éléments de preuve » (Grant, par. 79).  Il ne fait aucun doute qu’en l’espèce, l’admission de la preuve servirait mieux la recherche de la vérité.  La preuve est pertinente et elle est fiable.  En outre, son exclusion serait « fatale pour la poursuite » (Grant, par. 83).  Par conséquent, ce facteur ne milite pas en faveur de l’exclusion de la preuve.

[106]                      Cependant, l’examen de l’ensemble des circonstances m’amène à conclure que l’admission de la preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.  Ma conclusion tient principalement à la gravité de la conduite attentatoire.  Les règles de droit régissant les pouvoirs de la police en matière de fouille et de détention sont bien établies.  Pourtant, l’agent Burke a suivi sa pratique habituelle en matière d’infraction routière en l’absence de tout motif raisonnable d’agir ainsi.  Pour préserver la considération dont jouit le système de justice, la Cour doit se dissocier d’une telle conduite.

VI.    Décision

[107]                      Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’écarter la preuve et d’inscrire un verdict d’acquittement.

                    Pourvoi rejeté, les juges LeBel et Fish sont dissidents.

                    Procureur de l’appelant : Nova Scotia Legal Aid, Halifax.

                    Procureur de l’intimée : Service des poursuites pénales du Canada, Halifax.

                    Procureur de l’intervenant : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

 



[1] Un cadet accompagnait l’agent Burke ce soir-là, mais il s’agissait de son premier stage en milieu de travail, et il n’était pas armé. Selon l’agent Burke, le cadet aurait probablement été [traduction] « incapable de même faire fonctionner la radio » (d.a., vol. II, p. 46).

[2] En elle-même, la restriction accrue à la liberté de l’appelant qui découle de la décision de le faire monter à l’arrière de la voiture de police devait respecter la norme de la nécessité raisonnable.  Au vu du dossier, la fouille par palpation effectuée accessoirement, qui a porté atteinte au droit à la vie privée de l’appelant, constituait un facteur aggravant.

[3] À la lumière de ce fait, il n’est pas nécessaire que je me prononce, comme le demande l’intimée, sur la question de savoir si un agent de police dispose en tout temps du pouvoir d’effectuer une fouille par palpation avant de confiner légalement une personne détenue à l’arrière de la voiture de police, et ce, même si aucun élément ne révèle la possibilité d’une menace pour la sécurité de l’agent ou de la personne détenue (m.i., par. 20, 46 et 50-51).  Dans le même ordre d’idées, si la décision de l’agent de confiner l’appelant dans la voiture de police avait été légitime, je ne voudrais pas donner l’impression de souscrire à l’opinion des juges minoritaires selon que la police doit avoir « des motifs raisonnables » de croire que la sécurité de l’agent ou du détenu est menacée pour procéder à une fouille par palpation (par. 39).

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