Jugements de la Cour suprême

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Derrickson c. Derrickson, [1986] 1 R.C.S. 285

 

Rose Derrickson  Appelante;

 

et

 

William Joseph Derrickson                                                               Intimé;

 

et

 

Le procureur général du Canada, le procureur général de la Colombie‑Britannique et le procureur général de l'Ontario     Intervenants.

 

No du greffe: 18712.

 

1985: 6, 7 novembre; 1986: 27 mars.

 

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard, Lamer, Le Dain et La Forest.

 

 

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

 

                   Droit constitutionnel ‑‑ Indiens et terres réservées aux Indiens ‑‑ Législation provinciale concernant le partage des biens familiaux inapplicable aux terres réservées aux Indiens ‑‑ Compétence fédérale exclusive sur le droit de propriété ou de possession des terres d'une réserve indienne ‑‑ Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(24)  ‑‑ Family Relations Act, R.S.B.C. 1979, chap. 121, art. 43 à 55 ‑‑ Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I‑6, art. 18, 20, 24.


 

                   Indiens ‑‑ Terres réservées ‑‑ Partage des biens matrimoniaux à la suite d'un divorce ‑‑ Conflit entre la loi fédérale sur les Indiens et la législation provinciale portant sur le partage des biens familiaux ‑‑ Législation provinciale inapplicable aux terres réservées aux Indiens ‑‑ Family Relations Act, R.S.B.C. 1979, chap. 121, art. 43 à 55 ‑‑ Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I‑6, art. 88.

 

                   Droit de la famille ‑‑ Partage des biens matrimoniaux à la suite d'un divorce ‑‑ Demande en vertu de la législation provinciale en vue d'obtenir un jugement déclaratoire relatif aux droits sur des terres indiennes ‑‑ Législation provinciale inapplicable aux terres réservées aux Indiens ‑‑ Indemnisation en lieu et place du partage des biens ‑‑ Family Relations Act, R.S.B.C. 1979, chap. 121, art. 43 à 55 ‑‑ Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I‑6, art. 18, 20, 24, 88.

 

                   Les parties, mari et femme, sont membres d'une bande indienne de la Colombie‑Britannique. L'appelante a présenté une requête en divorce et demandé, sur le fondement de la partie 3 de la Family Relations Act, une moitié des biens relativement auxquels son mari détient des certificats de possession délivrés en vertu de l'art. 20 de la Loi sur les Indiens, ou une indemnisation en lieu et place du partage. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rejeté la demande. En appel, la Cour d'appel a conclu que l'appelante ne pouvait prétendre à un droit sur des terres réservées aux Indiens, mais a ordonné une indemnisation afin d'équilibrer le partage des biens familiaux entre les conjoints. Le pourvoi vise à déterminer si les dispositions de la Family Relations Act de la Colombie‑Britannique qui portent sur le partage des biens familiaux sont applicables aux terres d'une réserve que possède un Indien.

 

                   Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

 

                   Les dispositions de la Family Relations Act relatives au droit de propriété et de possession d'un immeuble, quoique valides dans le cas des autres immeubles, ne peuvent s'appliquer aux terres d'une réserve indienne. Lorsque la loi provinciale, compte tenu de la généralité de ses termes, s'étend hors du domaine où la législature peut exercer sa compétence à une matière de compétence fédérale exclusive, elle doit, pour demeurer constitutionnelle, être atténuée et recevoir le sens restreint qui la confine au champ de compétence provinciale. Le droit de posséder des terres sur une réserve indienne est de l'essence même de la compétence législative fédérale exclusive conférée par le par. 91(24)  de la Loi constitutionnelle de 1867 . Il s'ensuit que la législation provinciale ne peut s'appliquer au droit de posséder des terres d'une réserve indienne.

 

                   En outre, même si on présume que l'art. 88 de la Loi sur les Indiens s'applique aux terres réservées aux Indiens, les dispositions contestées de la Family Relations Act ne peuvent être incorporées par renvoi dans la Loi sur les Indiens puisqu'elles sont exclues par application de la prépondérance fédérale prévue par cet article. Des dispositions comme celles de l'art. 52 de la Family Relations Act, relatives à des ordonnances portant sur le droit de propriété, le droit de possession, le transfert du titre de propriété, le partage ou la vente de biens, la division d'une copropriété avec gain de survie, entrent en conflit véritable avec les dispositions de la Loi sur les Indiens.

 

                   Lorsqu'un partage égal n'est pas possible, comme en l'espèce, parce que certains biens ne peuvent être partagés, le tribunal peut, en vertu de l'al. 52(2)c) de la Family Relations Act, octroyer une indemnité afin d'équilibrer le partage des biens familiaux entre les conjoints. Il n'y a pas d'incompatibilité entre une telle disposition, prévoyant une indemnisation entre conjoints, et la Loi sur les Indiens.

 

Jurisprudence

 

                   Arrêts mentionnés: Dick c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 309; Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161; Cardinal c. Procureur général de l'Alberta, [1974] R.C.S. 695; Surrey (Corpn.) v. Peace Arch Enterprises Ltd. (1970), 74 W.W.R. 380.

 

Lois et règlements cités

 

Family Relations Act, R.S.B.C. 1979, chap. 121, art. 43, 45, 48 à 55.

 

Loi constitutionnelle de 1867 , art. 91(24) .

 

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I‑6, art. 18, 20, 24, 25, 28, 29, 37, 42 à 50, 53, 81, 88, 89.

 

 

Doctrine citée

 

Hogg, P. W. Constitutional Law of Canada, 2nd ed., Toronto, Carswells, 1985.

 

Lysyk, K. M. "Constitutional Developments Relating to Indians and Indian Lands: an Overview," [1978] L.S.U.C. Special Lectures 201.

 

 

                   POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1984), 9 D.L.R. (4th) 204, 38 R.F.L. (2d) 1, 51 B.C.L.R. 42, [1984] 2 W.W.R. 754, [1984] 3 C.N.L.R. 58, qui a rejeté la demande de l'appelante visant le partage des biens familiaux en conformité avec les dispositions de la Family Relations Act de la Colombie‑Britannique. Pourvoi rejeté.

 

                   Richard R. Sugden et A. Roos, pour l'appelante.

 

                   Gary S. Snarch et G. Kopelow, pour l'intimé.

 

                   Howard R. Eddy, pour l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

 

                   J. T. S. McCabe, c.r., pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.

 

                   W. B. Scarth, c.r., et T. B. Marsh, pour l'intervenant le procureur général du Canada.

 

                   Version française du jugement de la Cour rendu par

 

1.                Le Juge Chouinard‑‑La question constitutionnelle que pose le pourvoi est ainsi rédigée:

 

Les dispositions de la partie 3 de la Family Relations Act, R.S.B.C. 1979, chap. 121, relatives au partage des biens familiaux, sont‑elles constitutionnellement applicables aux terres d'une réserve appartenant à un Indien vu la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I‑6?

 

2.                Les faits qui entourent cette affaire ont été résumés par le juge Hinkson qui a rédigé l'arrêt unanime de la Cour d'appel de la Colombie‑ Britannique, [1984] 2 W.W.R. 754, à la p. 755:

 

                   [TRADUCTION]  L'épouse appelante et le mari intimé sont membres de la bande indienne Westbank. Chacun est titulaire de certificats de possession qui leur ont été délivrés en conformité des dispositions de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I‑6.

 

                   L'épouse a déposé une requête en divorce, concluant en outre au partage des biens familiaux, conformément aux dispositions de la Family Relations Act, R.S.B.C. 1979, chap. 121.

 

                   Au procès, le juge de première instance s'est demandé, avec les avocats, si les dispositions de la Family Relations Act s'appliquaient aux biens‑fonds alloués aux conjoints par la bande indienne Westbank, pour lesquels ils détenaient des certificats de possession délivrés en vertu de l'art. 20 de la Loi sur les Indiens.

 

                   L'épouse conclut à un jugement déclaratoire, conformément à la partie 3 de la Family Relations Act, disant qu'elle a droit à la moitié indivise des biens pour lesquels son mari détient des certificats de possession. Le mari conteste cette demande, disant que si les terrains en cause sont des biens familiaux, au sens de la Family Relations Act, cette loi ne s'applique pas à ces biens‑fonds parce que ce sont des terres indiennes.

 

3.                Il faut ajouter que l'ordonnance à laquelle conclut l'appelante est conditionnelle, c.‑à‑d. sous réserve d'approbation ministérielle. Il faut aussi mentionner que l'ordonnance d'indemnisation rendue par la Cour d'appel [TRADUCTION]  "afin d'équilibrer le partage", en lieu et place d'une ordonnance de partage des biens, est aussi en cause.

 

4.                Les articles pertinents de la partie 3 de la Family Relations Act, intitulée [TRADUCTION]  "Biens matrimoniaux", qui doivent être reproduits ici, sont les art. 43, 51 et les par. 52(1) et (2):

 

5.                L'article 43 porte en en‑tête: [TRADUCTION]  "Du droit aux biens familiaux en cas de rupture du mariage". Le voici:

 

                   [TRADUCTION]  43. (1) Sous réserve de la présente partie, chaque conjoint a droit à une part de chaque bien familial, à compter du 31 mars 1979, dès lors que leur mariage fait l'objet

 

a) d'un accord de séparation;

 

b) d'un jugement déclaratoire en vertu de l'art.     44;

 

c) d'une ordonnance de dissolution du mariage ou     de séparation de corps; ou

 

d) d'une ordonnance le déclarant nul et non avenu.

 

                   (2) La part prévue au paragraphe (1) est une moitié indivise du bien familial en tant que bien commun.

 

                   (3) La part visée au paragraphe (1) est attribuée sous réserve:

 

a) d'une ordonnance en vertu de la présente partie; ou

 

b) d'une convention matrimoniale ou d'un accord de séparation.

 

                   (4) Le présent article s'applique, que le mariage ait été conclu avant ou après son entrée en vigueur.

 

6.                L'article 51 porte:

 

                   [TRADUCTION]  51. Si le partage des biens entre les conjoints conformément à l'article 43 ou leur contrat de mariage, selon le cas, était injuste compte tenu

 

a) de la durée du mariage,

 

b) du temps pendant lequel les conjoints ont vécu séparés,

 

c) de la date d'acquisition ou d'aliénation du bien,

 

d) de la mesure dans laquelle le bien a été acquis par le conjoint par voie d'héritage ou de donation,

 

e) des besoins de chaque conjoint pour parvenir à l'indépendance économique et à l'autosuffisance ou pour les conserver, ou

 

f) de toute autre circonstance entourant  l'acquisition, la conservation, l'entretien, l'amélioration ou l'emploi du bien ou la capacité ou les responsabilités du conjoint,

 

la Cour suprême, sur demande, peut ordonner le partage du bien visé par l'article 43 ou le contrat de mariage, selon le cas, en les parts qu'elle fixe. En sus ou subsidiairement, la Cour a la faculté d'ordonner que tout autre bien non visé par l'article 43 ou le contrat de mariage, selon le cas, appartenant à l'un des conjoints, soit cédé à l'autre.

 

7.                L'article 52, qui porte en en‑tête: [TRADUCTION] "Décision sur le droit de propriété, la possession ou le partage", est ainsi conçu:

 

                   [TRADUCTION]  52. (1) Dans une instance engagée en vertu de la présente partie ou sur demande, la Cour suprême peut décider de toute question de droit de propriété, de droit de possession ou de partage d'un bien en vertu de la présente partie, y compris la cession du bien en vertu de l'article 51, et elle peut rendre les ordonnances qui sont nécessaires, raisonnables ou accessoires à la décision pour lui donner effet.

 

                   (2) Dans une ordonnance rendue en vertu du présent article, la Cour peut notamment, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1):

 

a) attribuer un droit de propriété ou un droit de possession sur un bien;

 

b) ordonner qu'en cas de partage le titre de propriété d'un bien désigné, octroyé à un conjoint, lui soit transféré, cédé, ou soit placé en fiducie à son bénéfice, soit absolument, soit sa vie durant, soit pour un     certain nombre d'années;

 

c) ordonner à l'un des conjoints d'indemniser l'autre en cas d'aliénation de biens ou afin d'équilibrer le partage;

 

d) ordonner le partage ou la vente de biens et le paiement, à même le produit de la vente, à l'un ou aux deux conjoints, dans les proportions ou montants qu'elle spécifie;

 

e) ordonner que les biens formant la part, en tout ou en partie, de l'un ou l'autre ou des deux conjoints soient transportés ou cédés aux enfants ou placés en fiducie à leur profit;

 

f) ordonner au conjoint de fournir une sûreté garantissant l'exécution des obligations que lui impose une ordonnance rendue en vertu du  présent article, y compris une charge sur un bien; ou

 

g) lorsqu'un bien appartient aux conjoints en copropriété avec gain de survie, partager cette copropriété.

 

8.                L'article 20 de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I‑6, traite de la possession et de l'occupation des terres situées sur une réserve et des certificats de possession et d'occupation:

 

                   20. (1) Un Indien n'est légalement en possession d'une terre dans une réserve que si, avec l'approbation du Ministre, possession de la terre lui a été accordée par le conseil de la bande.

 

                   (2) Le Ministre peut délivrer à un Indien légalement en possession d'une terre dans une réserve un certificat, appelé certificat de possession, attestant son droit de posséder la terre y décrite.

 

                   (3) Aux fins de la présente loi, toute personne qui, le 4 septembre 1951, détenait un billet de location valide et subsistant, délivré sous le régime de la loi intitulée: Acte relatif aux Sauvages, 1880, ou de toute loi sur le même sujet, est réputée légalement en possession de la terre visée par le billet de location et est censée détenir un certificat de possession à cet égard.

 

                   (4) Lorsque le conseil de la bande a attribué à un Indien la possession d'une terre dans une réserve, le Ministre peut, à sa discrétion, différer son approbation et autoriser l'Indien à occuper la terre temporairement, de même que prescrire les conditions, concernant l'usage et l'établissement, que doit remplir l'Indien avant que le Ministre approuve l'attribution.

 

                   (5) Lorsque le Ministre diffère son approbation conformément au paragraphe (4), il doit délivrer un certificat d'occupation à l'Indien, et le certificat autorise l'Indien, ou ceux qui réclament possession par legs ou par transmission sous forme d'héritage, à occuper la terre concernant laquelle il est délivré, pendant une période de deux ans, à compter de sa date.

 

9.                L'article 24 de la même loi traite des transferts de possession par un Indien à la bande ou à un autre membre de la bande:

 

                   24. Un Indien qui est légalement en possession d'une terre dans une réserve peut transférer à la bande, ou à un autre membre de celle‑ci, le droit à la possession de la terre, mais aucun transfert ou accord en vue du transfert du droit à la possession de terres dans une réserve n'est valable tant qu'il n'est pas approuvé par le Ministre.

 

Le jugement de la Cour suprême

 

10.              Le juge de première instance a jugé que la Family Relations Act était une loi d'application générale dans la province. Il a constaté que ses dispositions n'étaient pas compatibles avec celles de la Loi sur les Indiens. Appliquant la doctrine de la prépondérance, il a conclu qu'il n'avait pas le pouvoir de rendre une ordonnance en vertu de la partie 3 de la Family Relations Act au sujet des terres des parties situées sur la réserve indienne Westbank.

 

11.              Le juge de première instance a en outre conclu que, puisqu'il ne pouvait y avoir partage des terres d'une réserve en vertu de l'art. 43, on ne pouvait déterminer ce qui "serait injuste" au sens de l'art. 51 et qu'en conséquence il ne pouvait ordonner une indemnisation en vertu de l'al. 52(2)c) au lieu d'un partage des terres de la réserve "afin d'équilibrer le partage".

 

L'arrêt de la Cour d'appel

 

12.              La Cour d'appel est d'avis qu'un jugement en faveur de l'appelante mettrait nécessairement en jeu la possession d'une terre indienne. Se fondant sur son propre arrêt Surrey (Corpn.) v. Peace Arch Enterprises Ltd. (1970), 74 W.W.R. 380, et sur les commentaires qu'a faits notre Cour dans son arrêt Cardinal c. Procureur général de l'Alberta, [1974] R.C.S. 695, la Cour d'appel conclut qu'un tel jugement était impossible.

 

13.              Se tournant vers l'art. 88 de la Loi sur les Indiens, la Cour d'appel conclut qu'il ne peut y avoir incorporation par renvoi parce que l'art. 88 est inapplicable aux terres indiennes, celui‑ci ne mentionnant que les Indiens, non les terres réservées pour les Indiens.

 

14.              Sur la question de la prépondérance, la Cour d'appel constate qu'il y a conflit entre la Loi sur les Indiens et la Family Relations Act et qu'en conséquence cette dernière ne peut s'appliquer aux terres des réserves indiennes.

 

15.              La Cour d'appel est d'avis qu'il peut y avoir indemnisation afin d'équilibrer le partage en vertu de l'al. 52(2)c) et elle renvoie l'affaire au juge de première instance pour qu'il complète le partage des biens familiaux sur cette base.

 

Les intervenants

 

16.              En cette Cour, le procureur général de la Colombie‑Britannique et le procureur général de l'Ontario sont intervenus en faveur de l'appelante, le procureur général du Canada, en faveur de l'intimé.

 

Les questions en litige

 

17.              En l'espèce, il est constant que la Family Relations Act est une loi provinciale valide d'application générale. Pour le reste, les arguments avancés devant nous ont été nombreux et variés, et parfois divergents même quand ils proposaient les mêmes conclusions.

 

18.              Avec égards cependant, le pourvoi peut, à mon avis, être résolu par l'examen des trois questions suivantes:

 

1.  Les dispositions de la Family Relations Act sont‑elles applicables ex proprio vigore aux terres réservées aux Indiens?

 

2.  La Family Relations Act est‑elle incorporée par renvoi dans la Loi sur les Indiens par l'application de son art. 88?

 

19.              Cette question, à son tour peut être subdivisée en deux:

 

a)                L'article 88 de la Loi sur les Indiens s'applique‑t‑il aux terres réservées aux Indiens?

 

b)                Dans l'affirmative, les dispositions de la Family Relations Act relèvent‑elles d'une des exceptions de l'art. 88?

 

3.  Peut‑on rendre une ordonnance d'indemnisation, conformément à l'al. 52(2)c) de la Family Relations Act, dans le cas des terres d'une réserve, au lieu d'une ordonnance de partage de biens?

 

1.                Les dispositions de la Family Relations Act sont‑elles applicables ex proprio vigore aux terres réservées aux Indiens?

 

20.              Le paragraphe 91(24)  de la Loi constitutionnelle de 1867  confère compétence législative exclusive au Parlement du Canada dans "toutes les matières" ressortissant au sujet: "Les Indiens et les terres réservées aux Indiens".

 

21.              Le titre de propriété des terres des réserves appartient à Sa Majesté, fédérale ou provinciale. Tant qu'elles le demeurent, les terres des réserves sont administrées par le gouvernement fédéral et le Parlement a compétence législative exclusive à leur égard. La Loi sur les Indiens, adoptée en vertu de cette compétence, porte, au par. 18(1):

 

                   18. (1) Sauf les dispositions de la présente loi, Sa Majesté détient des réserves à l'usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté; et, sauf la présente loi et les stipulations de tout traité ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si tout objet, pour lequel des terres dans une réserve sont ou doivent être utilisées, se trouve à l'usage et au profit de la bande.

 

22.              Ce paragraphe a pour objet de faire en sorte que les terres réservées aux Indiens soient utilisées à l'usage et au profit de la bande indienne et continuent de l'être.

 

23.              En vertu de l'art. 20 déjà cité, la possession des terres d'une réserve est attribuée aux divers membres de la bande, individuellement, par le conseil de la bande, avec l'approbation du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui délivre un certificat de possession.

 

24.              En vertu de l'art. 24 précité, un membre d'une bande indienne peut transférer son droit de possession uniquement à la bande ou à un autre membre de celle‑ci, mais aucun transfert de ce genre n'a d'effet tant qu'il n'est pas approuvé par le Ministre.

 

25.              J'en viens maintenant aux dispositions de la Family Relations Act.

 

26.              L'article 43 dit que chaque conjoint a droit à une moitié indivise de chaque bien familial lorsque se produisent certains événements, en l'espèce, une ordonnance de dissolution du mariage.

 

27.              L'article 45 définit ce qu'est un bien familial utilisé à des fins familiales.

 

28.              Les articles 48 et 49 traitent de l'effet qu'ont les contrats de mariage et conventions de séparation sur les biens familiaux et prévoient le dépôt, au bureau d'enregistrement, d'une notification énonçant les dispositions des contrats de mariage ou conventions de séparation se rapportant au terrain en cause.

 

29.              L'article 50 prévoit des voies d'exécution pour l'exercice d'un droit de l'un des conjoints relativement à un bien matrimonial.

 

30.              L'article 51 porte sur la modification judiciaire du partage des biens matrimoniaux lorsque leur partage en vertu de l'art. 43 ou du contrat de mariage serait injuste.

 

31.              L'article 52, reproduit auparavant, régit les décisions sur la propriété, la possession ou le partage des biens matrimoniaux.

 

32.              L'article 53 autorise le tribunal à ordonner des mesures provisoires concernant les biens matrimoniaux.

 

33.              L'appelante soutient que le caractère véritable de la Family Relations Act est le partage des biens matrimoniaux, non l'usage que l'on fait des terres indiennes. Elle soutient aussi que cette loi ne s'ingère nullement dans une compétence fédérale exclusive sur l'usage des terres indiennes. L'appuient à cet égard le procureur général de la Colombie‑Britannique et le procureur général de l'Ontario.

 

34.              Avec égards, je ne saurais souscrire à cette dernière proposition lorsqu'il s'agit de terres indiennes.

 

35.              Les diverses ordonnances que l'on peut rendre sur le fondement du par. 52(2) portent notamment sur le droit de propriété, le droit de possession, la cession du titre de propriété, le partage ou la vente d'un bien, le partage d'une copropriété avec gain de survie.

 

36.              K. M. Lysyk, dans son article "Constitutional Developments Relating to Indians and Indian Lands: an Overview", dans [1978] L.S.U.C. Special Lectures 201, écrit, à la p. 227, note 49:

 

[TRADUCTION]  Quant à savoir ce qu'embrasse le "droit foncier" provincial entendu en ce sens, le juge en chef Laskin fait observer dans l'arrêt Morgan c. Procureur général de l'Île‑du‑Prince‑édouard, [1976] 2 R.C.S. 349, à la p. 357: "La compétence d'une législature provinciale pour réglementer le droit de posséder des terres dans la province, de les céder et d'en user (soit qu'elles appartiennent à des particuliers ou à Sa Majesté du chef de la province) n'est pas contestée." Par analogie, probablement, les matières de compétence fédérale exclusive couvrant les terres des réserves indiennes comprennent la réglementation concernant le genre de tenure foncière, l'aliénation de droits réels grevant les terres des réserves et l'emploi que l'on peut faire de ces terres (c.‑à‑d., la réglementation de zonage).

 

37.              Je ne puis qu'être d'accord avec ce qu'écrit le procureur général du Canada dans son mémoire:

 

                   [TRADUCTION]  Essentiellement, la partie 3 de la Family Relations Act constitue une réglementation qui établit qui peut être propriétaire ou possesseur d'un terrain ou d'autre bien. Son caractère véritable et sa nature sont de réglementer le droit à la propriété réelle du bien, à ses fruits et celui de l'aliéner.

 

38.              Je suis également d'accord avec l'argument du procureur général du Canada que voici:

 

[TRADUCTION]  Pour paraphraser le raisonnement du tribunal d'instance inférieure: celui qui est déclaré avoir droit à une part d'un certificat de possession, délivré conformément à l'art. 20 de la Loi sur les Indiens, a le droit de posséder les terres auxquelles le certificat s'applique et donc le droit d'utiliser ces terres.

 

39.              Le procureur général de la Colombie‑Britannique a fait valoir d'autre part que ce que la Loi sur les Indiens tente de protéger, c'est le droit de la bande, le droit collectif sur les terres, non le droit individuel. Une ordonnance en vertu de la Family Relations Act ne toucherait que ce dernier.

 

40.              À mon avis, cette proposition est erronée. Pour reprendre les termes de l'intimé:

 

[TRADUCTION]  Le droit d'une bande indienne aux terres de sa réserve n'est pas limité à un droit de retour; il comprend le droit de s'assurer que l'utilisation actuelle des terres se fait au profit de la bande. L'article 20 de la Loi sur les Indiens confère au conseil de la bande le pouvoir d'attribuer la possession des terres des réserves aux individus membres de la bande. L'article 60 porte que la bande peut se voir attribuer des pouvoirs supplémentaires de gestion des terres des réserves. En réattribuant la possession d'une terre de la réserve, la partie 3 de la Family Relations Act aurait une répercussion importante sur la capacité de la bande et de la Couronne fédérale de s'assurer que les terres de la réserve sont utilisées pour le profit de la bande.

 

41.              Le droit de posséder des terres sur une réserve indienne relève manifestement de l'essence même de la compétence législative fédérale exclusive que confère le par. 91(24)  de la Loi constitutionnelle de 1867 . Il s'ensuit que la loi provinciale ne peut s'appliquer au droit de possession sur les terres des réserves indiennes.

 

42.              Lorsqu'une loi provinciale, par ailleurs valide, compte tenu de la généralité de ses termes, s'étend hors du domaine où la législature peut exercer sa compétence provinciale, à une matière de compétence fédérale exclusive, elle doit, pour demeurer constitutionnelle, être atténuée et recevoir le sens restreint qui la confine au champ de compétence provinciale.

 

43.              Il s'ensuit que les dispositions de la Family Relations Act qui traitent du droit de propriété et de possession d'un immeuble, quoique valides dans le cas d'un autre immeuble, ne peuvent s'appliquer aux terres d'une réserve indienne.

 

2.                La Family Relations Act est‑elle incorporée par renvoi dans la Loi sur les Indiens par l'application de son art. 88?

 

44.              Dans le cas des Indiens, la législation provinciale d'application générale valide qui, normalement, devrait recevoir une interprétation atténuée pour préserver sa constitutionnalité, peut être applicable aux Indiens par suite d'une incorporation par renvoi dans la Loi sur les Indiens par application de l'art. 88, sous réserve des exceptions énoncées par l'article.

 

45.              Voici l'art. 88 de la Loi sur les Indiens:

 

                   88. Sous réserve des dispositions de quelque traité et de quelque autre loi du Parlement du Canada, toutes lois d'application générale et en vigueur, à l'occasion, dans une province sont applicables aux Indiens qui s'y trouvent et à leur égard, sauf dans la mesure où lesdites lois sont incompatibles avec la présente loi ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou statut administratif établi sous son régime, et sauf dans la mesure où ces lois contiennent des dispositions sur toute question prévue par la présente loi ou y ressortissant.

 

46.              Il est maintenant établi que les lois provinciales d'application générale auxquelles se réfère l'art. 88 sont les lois qui ne pourraient s'appliquer aux Indiens sans les toucher en tant qu'Indiens. Il est aussi établi que ces lois, rendues applicables aux Indiens de par l'art. 88, ne leur sont pas applicables ex proprio vigore mais par suite d'incorporation par renvoi dans la Loi sur les Indiens. Voir l'arrêt Dick c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 309.

 

47.              Dans cette affaire, il a été jugé que la Wildlife Act, R.S.B.C. 1979, chap. 433, est une loi d'application générale et qu'elle s'applique à un Indien non visé par un traité, soit ex proprio vigore, soit, si on présume que la Wildlife Act le touche en tant qu'Indien, par suite d'incorporation par renvoi en vertu de l'art. 88 de la Loi sur les Indiens.

 

48.              Il est loin d'être établi cependant que l'art. 88 envisage l'incorporation par renvoi dans le cas de terres réservées aux Indiens.

 

49.              Il s'ensuit que les dispositions de la Family Relations Act en cause ne sont pas incorporées par renvoi dans la Loi sur les Indiens si l'art. 88 ne s'applique pas aux terres réservées aux Indiens.

 

50.              S'il devait être constaté que l'art. 88 s'applique aux terres indiennes, les dispositions de la Family Relations Act ne seraient pas pour autant incorporées par renvoi si elles relèvent de l'une des exceptions prévues par cet article. D'où les deux questions qui suivent.

 

   a)             L'article 88 de la Loi sur les Indiens s'applique‑t‑il aux terres réservées aux Indiens?

 

51.              Selon l'appelante, l'art. 88 n'est pas en cause dans le cas des terres indiennes, parce qu'il se réfère aux Indiens, non aux terres indiennes. L'espèce, à son avis, appelle l'application de la doctrine de la prépondérance et, comme il n'y a aucun "conflit véritable" entre la Family Relations Act et la Loi sur les Indiens, la première s'applique aux terres indiennes.

 

52.              La position du procureur général de la Colombie‑Britannique est à cet égard essentiellement la même.

 

53.              Le procureur général de l'Ontario prétend que l'art. 88 s'applique effectivement aux terres indiennes. Je reviendrai là‑dessus ultérieurement. À son avis donc, l'art. 88 incorpore la Family Relations Act par renvoi. Mais il n'a fait valoir aucun argument concernant la prépondérance.

 

54.              L'intimé n'a pas traité de l'application de l'art. 88 aux terres indiennes. L'article 88 mis à part, il a soutenu qu'il y avait un "conflit véritable" entre les deux lois et qu'en conséquence la Family Relations Act était inapplicable aux terres des réserves.

 

55.              Le procureur général du Canada a soutenu que l'art. 88 ne s'applique pas aux terres indiennes. Sur la prépondérance, sa position est semblable à celle de l'intimé.

 

56.              J'ai déjà décidé que les dispositions en cause de la Family Relations Act ne s'appliquent pas ex proprio vigore aux terres réservées aux Indiens. Elles ne peuvent s'appliquer que si l'art. 88 vise les terres des réserves et, alors, uniquement si les dispositions de la Family Relations Act ne relèvent pas de l'une des exceptions prévues par cet article.

 

57.              L'argument que l'art. 88 ne s'applique pas aux terres réservées aux Indiens est fort simple. Il est fondé sur le fait que ce n'est pas un mais deux sujets qui font l'objet du par. 91(24)  de la Loi constitutionnelle de 1867 , savoir: "Les Indiens" et "les terres réservées aux Indiens". Puisqu'il n'est question que des Indiens dans l'art. 88, l'article ne s'applique pas aux terres réservées aux Indiens.

 

58.              Comme je l'ai déjà dit, le procureur général de l'Ontario est d'avis contraire. Il fait valoir l'argument suivant:

 

                   [TRADUCTION]  L'autorité législative du Parlement fondée sur le par. 91(24) porte sur deux sujets (c.‑à‑d., "Les Indiens" et "les terres réservées aux Indiens"). On dit parfois que cela signifie que l'art. 88 de la Loi sur les Indiens n'a pas le même effet lorsque la législation provinciale d'application générale en cause porte sur des terres que lorsque la législation ne vise pas des terres. Cela, parce que le texte de l'art. 88 porte sur l'applicabilité des lois provinciales d'application générale "aux Indiens" mais ne mentionne pas "les terres réservées aux Indiens"; donc, dit‑on, l'art. 88 n'a pas d'effet lorsque la législation provinciale en cause porte sur des terres.

 

                   Cette conception, prétendons‑nous, est erronée. L'article 88 a pour effet de limiter l'applicabilité aux Indiens de lois provinciales d'application générale en disposant que ces lois sont "sous réserve des dispositions de quelque traité" et sous réserve de la doctrine élargie de la prépondérance fédérale énoncée par l'article. Conformément à son autorité législative en vertu du par. 91(24)  de la Loi constitutionnelle de 1867 , le Parlement a adopté, à l'art. 88 de la Loi sur les Indiens, une disposition soumettant les Indiens à "toutes lois d'application générale et en vigueur, à l'occasion, dans une province". Il importe peu que ces lois portent sur des terres ou quelque autre catégorie de sujets. Dans l'un comme dans l'autre cas, elles s'appliquent aux Indiens sous réserve des restrictions prévues par l'article. Il n'y a aucune raison d'introduire dans l'interprétation du texte de l'art. 88 le fait que le Parlement possède, en vertu du par. 91(24), non pas un mais deux sujets de compétence législative.

 

59.              Quoi qu'il en soit, il n'est pas essentiel à la solution du litige en l'espèce de statuer là‑dessus si nous concluons, comme je crois que nous le devons, que, même si on présume que l'art. 88 s'applique aux terres réservées aux Indiens, les dispositions contestées de la Family Relations Act ne sont pas incorporées par renvoi dans la Loi sur les Indiens puisqu'elles sont exclues par application de la prépondérance fédérale qu'énonce l'article.

 

b)                Les dispositions de la Family Relations Act relèvent‑elles d'une des exceptions de l'art. 88?

 

60.              Dans P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (2nd ed. 1985), on dit aux pp. 561 et 562:

 

                   [TRADUCTION]  L'importance de l'art. 88 tient à sa définition des lois qui ne s'appliquent pas aux Indiens. L'article est expressément "sous réserve des dispositions de quelque traité", ce qui veut dire que tout conflit entre un traité conclu avec les Indiens et une loi provinciale d'application générale doit être résolu en faveur de la disposition du traité inversant ainsi la règle habituelle applicable à ces conflits.

 

                   L'article est aussi sous réserve "de quelque autre loi du Parlement du Canada", de sorte que tout conflit entre une loi fédérale et une loi provinciale doit être résolu en faveur de la loi fédérale. La loi provinciale est aussi inapplicable lorsqu'elle est "incompatible avec la présente loi ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou statut administratif établi sous son régime". Ces deux parties de l'article semblent avoir été conçues pour que l'on voit clairement que la doctrine de la prépondérance s'applique aux lois provinciales, même si une loi fédérale les adopte. Cependant, la dernière partie de l'article poursuit en disposant que les lois provinciales sont applicables "sauf dans la mesure où ces lois contiennent des dispositions sur toute question prévue par la présente loi ou y ressortissant". Cette disposition, remise dans son contexte, semble envisager que la loi provinciale qui édicte quelque chose qui fait déjà l'objet d'une disposition de la Loi sur les Indiens (ou fondée sur celle‑ci) doit céder devant la Loi sur les Indiens. La doctrine de la prépondérance, d'autre part, à tout le moins telle qu'elle a été interprétée récemment, ne s'applique que s'il y a contradiction expresse entre une loi fédérale et une loi provinciale. Elle ne s'applique pas lorsque les lois fédérales et provinciales, quoiqu'elles ne soient pas en conflit direct, occupent simplement le même champ ou, en d'autres mots, légifèrent sur la même matière. Il semble probable donc que la dernière partie de l'art. 88 va plus loin que la doctrine de la prépondérance et rend inapplicables aux Indiens certaines lois provinciales qui auraient été applicables en droit commun.

 

61.              En ce qui concerne la doctrine de la prépondérance, le critère le plus souvent retenu est celui exposé dans l'arrêt Multiple Access Ltd c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, où le juge Dickson, maintenant juge en chef, écrit au nom de la majorité, à la p. 191:

 

En principe, il ne semble y avoir aucune raison valable de parler de prépondérance et d'exclusion sauf lorsqu'il y a un conflit véritable, comme lorsqu'une loi dit "oui" et que l'autre dit "non"; "on demande aux mêmes citoyens d'accomplir des actes incompatibles"; l'observance de l'une entraîne l'inobservance de l'autre.

 

62.              Ce critère est prévu par l'art. 88 lorsqu'il y est dit que les lois d'application générale sont applicables aux Indiens «sauf dans la mesure où lesdites lois sont incompatibles avec la présente loi ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou statut administratif établi sous son régime ...»

 

63.              Appliquant ce critère, la Cour d'appel a constaté qu'il y avait "conflit véritable". Le juge Hinkson écrit au nom de la cour, à la p. 760:

 

                   [TRADUCTION]  En l'espèce, à mon avis, si on applique le critère retenu dans l'arrêt Multiple Access, il y a conflit véritable entre les dispositions de la Loi sur les Indiens et la Family Relations Act. Implicitement, dans les arguments qu'ont fait valoir les avocats de la femme et du procureur général de la Colombie‑Britannique, on trouve la reconnaissance qu'un tel conflit existe. D'une part, les dispositions de l'art. 20 de la Loi sur les Indiens ne permettent pas à un Indien en possession légale de terres d'une réserve de transférer son droit de possession tant que le transfert n'est pas approuvé par le Ministre. D'autre part, en vertu de la Family Relations Act, le tribunal a le pouvoir, en statuant sur un terrain constituant un bien familial, de déclarer quel en est le propriétaire ou le possesseur attitré, d'ordonner que le titre de propriété d'un bien désigné soit transféré au conjoint ou d'ordonner le partage ou la vente de ce bien. Si le tribunal exerçait les pouvoirs qui lui sont conférés par la Family Relations Act en faveur d'un conjoint, il s'ensuivrait un conflit relativement aux terres des réserves indiennes entre l'ordonnance du tribunal et le droit du Ministre d'approuver un transfert du droit de possession des terres. C'est pour cette raison qu'on invite la cour à rendre une ordonnance conditionnelle.

 

                   Lorsque ce problème est examiné dans le contexte de la démarche énoncée dans l'arrêt Multiple Access, il devient évident qu'il y a conflit entre la Loi sur les Indiens et la Family Relations Act et que, dans ce cas, les dispositions de la Family Relations Act portant sur les biens immeubles ne peuvent viser les terres des réserves indiennes. Elle ne peut avoir aucune application.

 

64.              J'en conviens. Avec égards, à mon avis, les dispositions contestées de la Family Relations Act entrent effectivement en conflit avec la Loi sur les Indiens.

 

65.              L'article 18 de la Loi sur les Indiens porte que Sa Majesté détient les réserves à l'usage et au profit des bandes.

 

66.              L'article 20 porte qu'un Indien ne peut avoir la possession d'une terre que si le conseil la lui a accordée avec l'approbation du Ministre.

 

67.              L'article 24 n'autorise un transfert qu'à la bande ou à un autre membre de la bande et uniquement avec l'approbation du Ministre.

 

68.              L'article 25 oblige un Indien qui quitte la réserve à transférer son droit à la possession à un autre membre de la bande.

 

69.              L'article 28 interdit tout arrangement, sauf avec un autre membre de la bande, ou toute occupation, sauf par un autre membre.

 

70.              L'article 29 dispose que les terres des réserves ne sont assujetties à aucune saisie sous le régime d'un acte judiciaire.

 

71.              L'article 37 exempte les terres des réserves de toute voie d'exécution et en interdit la vente ou la location, sauf par cession à Sa Majesté.

 

72.              Les articles 42 à 47 régissent les successions testamentaires.

 

73.              Les articles 48 à 50 régissent la distribution des biens en cas de succession ab intestat.

 

74.              L'article 53 prévoit que le Ministre peut louer, au profit de tout Indien, qui en fait la demande, la terre dont il est légalement en possession sans que la terre soit cédée.

 

75.              L'article 81 dispose que, sur autorisation du gouverneur en conseil, conformément à l'art. 60, le conseil d'une bande peut établir des statuts administratifs portant notamment sur: i) "l'arpentage des terres de la réserve et leur répartition entre les membres de la bande, et l'établissement d'un registre de certificats de possession et de certificats d'occupation".

 

76.              L'article 89 interdit les hypothèques, sauf en faveur d'un autre Indien.

 

77.              Les dispositions qui, comme celles de l'art. 52 de la Family Relations Act, concernent des ordonnances traitant du droit de propriété, du droit de possession, du transfert de titre de propriété, du partage ou de la vente d'un bien, du partage d'une copropriété avec gain de survie, entrent, à mon avis, en "conflit véritable" avec les dispositions précitées de la Loi sur les Indiens.

 

78.              Si les dispositions des deux lois devaient être appliquées en même temps, comme on le demande en l'espèce, le mari, en vertu de son certificat de possession délivré par le Ministre après lui avoir été accordé par le conseil de bande, aurait droit à la possession exclusive de la terre, alors que la femme, en vertu d'une ordonnance judiciaire aurait droit à une moitié du certificat de possession et des droits qui en découlent.

 

79.              Avec égards, rendre une ordonnance sous condition d'approbation par le Ministre ne changerait rien à la situation. J'accepte l'argument du procureur général du Canada que voici:

 

[TRADUCTION]  ... puisque la partie 3 de la Family Relations Act qui traite du partage des biens familiaux est constitutionnellement inapplicable aux terres en question, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique n'a pas compétence pour rendre une ordonnance fondée sur cette loi relativement à ces terres, qu'elle soit ou non sous condition d'approbation du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.

 

80.              En définitive, même si on présumait que l'art. 88 de la Loi sur les Indiens s'applique aux terres réservées aux Indiens, les dispositions de la Family Relations Act relèveraient, à mon avis, des exceptions de l'art. 88 et ne seraient pas applicables aux terres réservées aux Indiens.

 

81.              En arrivant à cette conclusion, je n'oublie pas les conséquences qui s'ensuivent pour les conjoints et qui découlent des lois en cause selon qu'un bien immeuble se trouve ou non sur une réserve. À cet égard, je fais mienne la phrase suivante, écrite dans un contexte différent il est vrai, de P. W. Hogg, op.cit., à la p. 554:

 

[TRADUCTION]  Que ces lois soient sages ou non est naturellement une question fort controversée, mais cela est sans effet sur leur constitutionnalité.

 

   3.             Peut‑on rendre une ordonnance d'indemnisation, conformément à l'al. 52(2)c) de la Family Relations Act, dans le cas des terres d'une réserve, au lieu d'une ordonnance de partage de biens?

 

82.              L'alinéa 52(2)c) de la Family Relations Act prévoit que la Cour peut "ordonner à l'un des conjoints d'indemniser l'autre en cas d'aliénation de biens ou afin d'équilibrer le partage".

 

83.              À cet égard, le juge de première instance a conclu:

 

                   [TRADUCTION]  Comme il ne peut y avoir aucun partage des terres d'une réserve en vertu de l'art. 43, on ne peut déterminer ce qui "serait injuste". Je ne peux donc substituer une indemnisation, en vertu de l'al. 52(2)c), à un "partage injuste" en vertu des art. 43 ou 51.

 

84.              Infirmant sur ce point son jugement, la Cour d'appel écrit, à la p. 761:

 

                   [TRADUCTION]  Si elle est incapable d'accorder à l'épouse un droit sur les terres d'une réserve indienne, la cour peut cependant rendre une ordonnance d'indemnisation pour équilibrer le partage des biens familiaux entre les conjoints.

 

85.              La Cour d'appel a en conséquence ordonné que l'affaire soit renvoyée au juge de première instance pour qu'il complète le partage des biens familiaux en cause, en accordant une indemnisation qui équilibre le partage des biens familiaux entre les conjoints.

 

86.              Je suis d'accord. Si elle peut rendre une ordonnance d'indemnisation lorsque le partage n'est plus possible parce qu'un bien a été aliéné, la cour a certainement le pouvoir de rendre une ordonnance semblable "afin d'équilibrer le partage", lorsque le bien existe, mais ne peut être partagé parce qu'on ne peut partager les terres d'une réserve.

 

87.              La règle prévue à l'art. 43 est que chaque conjoint a droit à une moitié indivise de tous les biens familiaux, non des immeubles uniquement. Lorsque, compte tenu des facteurs énumérés à l'art. 51, le partage serait injuste, le tribunal peut allouer des parts différentes. Là n'est pas la question en l'espèce. L'alinéa 52(2)c) prévoit une ordonnance d'indemnisation "afin d'équilibrer le partage". Une fois qu'on a tenu compte de toute la masse des biens familiaux et qu'un partage égal n'est pas possible parce que certains biens, en l'espèce des terres sur une réserve, ne peuvent être partagés, je ne vois pas pourquoi une ordonnance d'indemnisation ne pourrait être obtenue.

 

88.              L'indemnisation au lieu du partage d'un bien n'est pas une question que règle la Loi sur les Indiens et, à mon avis, il n'y a aucune incompatibilité ni "conflit véritable" entre une disposition prévoyant l'indemnisation entre conjoints et la Loi sur les Indiens.

 

89.              Je suis d'avis de répondre à la question constitutionnelle de la façon suivante:

 

Question: Les dispositions de la partie 3 de la Family Relations Act, R.S.B.C. 1979, chap. 121, relatives au partage des biens familiaux, sont‑elles constitutionnellement applicables aux terres d'une réserve appartenant à un Indien vu la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I‑6?

 

 Réponse: Non.

 

90.              Je suis d'avis de rejeter le pourvoi. Ni la Cour suprême de la Colombie‑Britannique que ni la Cour d'appel n'ont adjugé de dépens. De même je suis d'avis de ne pas adjuger de dépens.

 

                   Pourvoi rejeté.

 

                   Procureurs de l'appelante: Braidwood & Company, Vancouver.

 

                   Procureurs de l'intimé: Gardner, Snarch & Allen, Vancouver.

 

                   Procureur de l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique: Le ministère du Procureur général, Victoria.

 

                   Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Le ministère du Procureur général de l'Ontario, Toronto.

 

                   Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: Le ministère de la Justice, Vancouver.

 

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