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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Wood c. Schaeffer, 2013 CSC 71, [2013] 3 R.C.S. 1053

Date : 20131219

Dossier : 34621

 

Entre :

Agent Kris Wood, sergent intérimaire Mark Pullbrook et agent Graham Seguin

Appelants/Intimés au pourvoi incident

et

Ruth Schaeffer, Evelyn Minty, Diane Pinder et Ian Scott, directeur de l’Unité des enquêtes spéciales

Intimés/Appelants au pourvoi incident

et

Julian Fantino, commissaire de la Police provinciale de l’Ontario

Intimé/Intimé au pourvoi incident

- et -

Association canadienne des libertés civiles, Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, Aboriginal Legal Services of Toronto Inc., Criminal Lawyers’ Association (Ontario), Richard Rosenthal, Chief Civilian Director of the Independent Investigations Office of British Columbia, Alliance urbaine sur les relations interraciales, Association canadienne des policiers et Police Association of Ontario

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 90)

 

Motifs dissidents conjoints quant au pourvoi incident :

(par. 91 à 111)

Le juge Moldaver (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Rothstein, Karakatsanis et Wagner)

 

Les juges LeBel et Cromwell (avec l’accord du juge Fish)


 

Wood c. Schaeffer, 2013 CSC 71, [2013] 3 R.C.S. 1053

Agent Kris Wood, sergent

intérimaire Mark Pullbrook et

agent Graham Seguin                                        Appelants/Intimés au pourvoi incident

c.

Ruth Schaeffer, Evelyn Minty, Diane

Pinder et Ian Scott, directeur de l’Unité

des enquêtes spéciales                                        Intimés/Appelants au pourvoi incident

‑ et ‑

Julian Fantino, commissaire de la Police

provinciale de l’Ontario                                            Intimé/Intimé au pourvoi incident

et

Association canadienne des libertés civiles,

Association des libertés civiles de la

Colombie‑Britannique, Aboriginal Legal

Services of Toronto Inc., Criminal Lawyers’

Association (Ontario), Richard Rosenthal, Chief

Civilian Director of the Independent Investigations

Office of British Columbia, Alliance urbaine sur les

relations interraciales, Association canadienne

des policiers et Police Association of Ontario                                           Intervenants

Répertorié : Wood c. Schaeffer

2013 CSC 71

No du greffe : 34621.

2013 : 19 avril; 2013 : 19 décembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

                    Police — Enquêtes — Unité des enquêtes spéciales — Droit à l’avocat — Obligation de rédiger des notes — L’agent de police a‑t‑il le droit de consulter un avocat avant de rédiger ses notes au sujet d’un incident? — L’agent de police a‑t‑il le droit d’obtenir des conseils juridiques de base quant à la nature de ses droits et de ses obligations relativement à l’incident? — Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, ch. P.15, art. 113 — Conduite et obligations des agents de police en ce qui concerne les enquêtes de lUnité des enquêtes spéciales, Règl. de l’Ont. 267/10, art. 7, 9.

                    La présente affaire résulte de deux incidents fatals distincts au cours desquels des civils ont été abattus par des policiers.  Dans les deux cas, les agents en cause ont eu pour instruction de leur supérieur de ne prendre aucune note au sujet de l’incident tant quils nauraient pas parlé à un avocat.  Les familles des deux civils tués ont présenté une requête pour obtenir l’interprétation de diverses dispositions de la Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, ch. P.15, et du Règl. de l’Ont. 267/10, Conduite et obligations des agents de police en ce qui concerne les enquêtes de lUnité des enquêtes spéciales.  Dans le cadre du présent pourvoi, la question pertinente que soulèvent les familles est celle de savoir si le régime législatif permet aux agents de consulter un avocat avant de rédiger leurs notes. 

                    La requête des familles a été rejetée par la Cour supérieure pour des motifs d’ordre procédural.  La Cour d’appel a jugé l’affaire au fond et conclu que le règlement ne permettait pas aux policiers de recourir à laide dun avocat pour rédiger leurs notes.  Toutefois, à son avis, le règlement donnait aux agents le droit à des conseils juridiques de base au sujet de la nature de leurs droits et de leurs obligations relativement à l’incident et à l’enquête de l’Unité des enquêtes spéciales (« UES ») avant la rédaction de leurs notes.  Les agents font valoir que ces limites sont trop restrictives.  Le directeur de lUES forme un pourvoi incident, affirmant que les agents n’ont pas droit à des conseils juridiques de quelque nature que ce soit avant d’avoir rédigé leurs notes.

                    Arrêt (les juges LeBel, Fish et Cromwell sont dissidents à l’égard du pourvoi incident) : Le pourvoi est rejeté, et le pourvoi incident est accueilli.

                    La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner : Les policiers se voient conférer par les collectivités quils servent des pouvoirs légaux importants, dont celui de recourir, dans certaines circonstances, à une force létale contre leurs concitoyens.  Ces pouvoirs reposent nécessairement sur la confiance inébranlable du public envers la police.  Mais cette confiance peut parfois être mise à rude épreuve lorsquun citoyen est tué ou grièvement blessé par un policier.  LUES s’est vu confier la tâche délicate de déterminer de façon indépendante et transparente les faits et leur cause, le tout dans lespoir de fournir des réponses à la population.  Permettre aux policiers de consulter un avocat avant de rédiger leurs notes est à lantipode de la transparence même que le régime législatif vise à favoriser.  Lorsquil y va de la confiance du public envers la police, il est impératif que le processus denquête soit transparent, et aussi quil ait toutes les apparences de la transparence.

                    Suivant la Loi et le règlement, le policier qui est témoin dun incident faisant lobjet dune enquête de lUES ou y est impliqué n’a pas le droit de parler à un avocat avant de rédiger ses notes à ce sujet.  Si les agents, en tant que simples citoyens, jouissent de la liberté que la common law reconnaît à quiconque de consulter un avocat à sa guise, c’est à titre professionnel que nous les considérons en leur qualité de policiers visés par des enquêtes de l’UES. Dans ces circonstances, il convient de prendre pour point de départ, non pas la common law, mais le règlement, qui régit ces situations et énonce de façon exhaustive les droits et les obligations des agents, dont le droit à lavocat.  Dès lors quil choisit darborer son insigne, le policier doit se conformer aux obligations et aux responsabilités énumérées au règlement, et ce même sil doit, pour ce faire, renoncer à certaines libertés dont il jouirait par ailleurs en tant que simple citoyen.

                    Il ressort clairement de son contexte et de son historique que ce règlement nétait pas censé permettre aux policiers de consulter un avocat avant de rédiger leurs notes, et ce pour trois raisons. 

                    Premièrement, reconnaître un droit de consulter un avocat à létape de la prise de notes contrecarrerait lobjet principal du régime législatif, car lexercice dun tel droit risque de miner la confiance du public que lUES était censée favoriser.  Le régime législatif remédie expressément au problème dapparences, qui résultait du fait que « la police enquête sur la police », en confiant les enquêtes sur les policiers à des civils. Autoriser les agents à consulter sans restriction un avocat à létape de la prise de notes créerait un « problème dapparences » semblable à celui qui a motivé la création de lUES : tout citoyen raisonnable pourrait à juste titre se demander si lagent recourt à lassistance dun avocat à létape de la prise de notes pour laider à sacquitter de ses obligations professionnelles ou sil le fait plutôt dans son intérêt personnel pour se protéger et protéger ses collègues contre une conclusion accablante de la part de lUES à lissue de lenquête.

                    Deuxièmement, lhistorique législatif démontre que le par. 7(1) nétait jamais censé créer un droit autonome à la consultation dun avocat à létape de la rédaction des notes.  Aucun des rapports ayant trait au règlement ne comporte de mention dun quelconque rôle pour lavocat à létape de la prise de notes, encore moins de recommandations en ce sens.  Bien que le gouvernement soit au courant depuis longtemps de la pratique qui consiste pour l’agent à consulter un avocat avant de rédiger ses notes, le gouvernement na pas à modifier un règlement pour interdire une pratique qui est déjà incompatible avec le régime législatif.

                    Troisièmement, consulter un avocat à l’étape de la rédaction des notes empêcherait les agents de police de rédiger des notes précises, détaillées et exhaustives conformément à leur obligation comme lexige lart. 9 du règlement.  Les paragraphes 9(1) et 9(3) du règlement obligent lagent témoin et lagent impliqué à rédiger « des notes complètes sur lincident conformément à [leur] obligation ».  Bien que ni le règlement ni la Loi ne définissent l’obligation de rédiger des notes, les policiers ont certes lobligation de rédiger des notes exactes, détaillées et exhaustives dès que possible après lenquête.  Si les policiers pouvaient consulter un avocat avant de rédiger leurs notes, ils risqueraient de sattacher à défendre leur intérêt personnel et à justifier leurs actes, au détriment de leur devoir public.  Un tel changement de perspective serait contraire à ce devoir.

                    Lintégrité des avocats et des agents de police n’est aucunement mise en doute, mais même la consultation sommaire quenvisage la Cour dappel risque aussi de miner la confiance du public, bien que dans une moindre mesure, comme la consultation initiale est protégée par le secret professionnel.  Une consultation initiale qui se limite à offrir aux agents des renseignements de base pouvant aisément être transmis par des moyens qui noccasionnent pas de problème dapparences ne vaut pas la peine débranler la confiance du public.  Rien dans le règlement n’empêche l’agent qui est intervenu dans un incident traumatisant de faire appel à un médecin, à un professionnel de la santé mentale ou à un supérieur nayant pas assisté à lincident avant de rédiger ses notes, et le règlement habilite le chef de police à donner dans ce cas à lagent un délai supplémentaire pour terminer ses notes, au besoin.  Une fois ses notes rédigées et soumises au chef de police, lagent peut consulter un avocat.

                    Les juges LeBel, Fish et Cromwell (dissidents à l’égard du pourvoi incident) : Chacun demeure libre de consulter un avocat lorsqu’il le juge à propos, sauf si cette consultation s’avère inconciliable avec ses fonctions ou que l’exercice d’un pouvoir légitime l’interdit.  Cette liberté traduit l’importance du rôle social que jouent les avocats au sein d’un État de droit et il ne convient pas de la supprimer en l’absence d’une intention claire du législateur en ce sens.

                    L’interprétation téléologique du par. 7(1) du règlement commande que l’on donne effet à la liberté des policiers de consulter un avocat et que l’on tienne compte de l’importance de la mission confiée à l’UES, qui vise à favoriser la confiance du public envers la police.  Il ressort de son libellé que le par. 7(1) confère le droit de consulter un avocat et le droit à la présence d’un avocat lors d’une entrevue avec l’UES.  Comme ce libellé n’exclut pas les droits dont les policiers jouissent par ailleurs en tant que simples citoyens, et comme la tension potentielle entre le droit de l’agent de consulter un avocat et son obligation de rédiger des notes exhaustives et indépendantes peut être éliminée, rien ne justifie de supprimer entièrement la liberté des agents de police de consulter un avocat.

                    Nous pouvons compter sur les avocats pour savoir qu’ils ne peuvent donner de conseils au sujet de la teneur et de la rédaction des notes, qui doivent demeurer un récit indépendant des faits par le policier.  Cependant, il serait possible de conseiller à l’agent qu’il doit terminer ses notes au sujet de l’incident avant la fin de sa période de service et les soumettre au chef de police à moins d’en être dispensé par ce dernier; que le chef de police ne transmettra pas les notes de l’agent impliqué à l’UES, mais qu’il transmettra les notes de l’agent témoin; que l’agent devra répondre aux questions des enquêteurs de l’UES; qu’il a le droit de consulter un avocat avant son entrevue avec l’UES et a droit à la présence d’un avocat au cours de son entrevue ainsi qu’il doit rendre compte de façon complète et honnête de l’incident, d’après ses souvenirs et dans ses propres mots.  Il se peut que ce genre de brève conversation à caractère informatif ne se révèle pas aussi utile qu’une consultation juridique détaillée au sujet des rapports entre les notes de l’agent et sa responsabilité éventuelle, mais puisse contribuer à rappeler à ce dernier ses obligations en pareilles circonstances et à le mettre plus à l’aise à la suite d’un incident possiblement traumatisant. 

Jurisprudence

Citée par le juge Moldaver

                    Arrêts mentionnés : Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533; R. c. Sussex Justices, Ex parte McCarthy, [1924] 1 K.B. 256; R. c. Bailey, 2005 ABPC 61, 49 Alta. L.R. (4th) 128; R. c. Zack, [1999] O.J. No. 5747 (QL); R. c. Stewart, 2012 ONCJ 298 (CanLII); R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657.

Citée par les juges LeBel et Cromwell (dissidents quant au pourvoi incident)

                    Arrêts mentionnés : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; R. c. Hall, 2002 CSC 64, [2002] 3 R.C.S. 309; R. c. Nguyen (1997), 119 C.C.C. (3d) 269; Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés , art. 10 b ) .

Conduct and Duties of Police Officers Respecting Investigations by the Special Investigations Unit, O. Reg. 673/98, art. 1, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 11, 12, 13.

Conduite et obligations des agents de police en ce qui concerne les enquêtes de l’Unité des enquêtes spéciales, Règl. de l’Ont. 267/10, art. 1(1) « agent impliqué », « agent témoin », 6(1), (2), 7, 8(1), (2), 9, 10(3)b), c), 12.

Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, ch. P.15, art. 42, 113(3), (5), (7), (9).

Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, règle 14.05(3).

Doctrine et autres documents cités

Adams, George W.  Consultation Report of the Honourable George W. Adams, Q.C. to the Attorney General and Solicitor General Concerning Police Cooperation with the Special Investigations Unit.  Toronto : Ministry of the Attorney General, 1998.

Adams, George W.  Rapport d’étude sur les réformes de l’Unité des enquêtes spéciales rédigé à l’intention du procureur général de l’Ontario par l’honorable George W. Adams, c.r.  Toronto : Ministère du Procureur général, 2003.

Clewley, Gary.  « Officers and the SIU » (2009), 4 The Back‑Up 25.

Halsbury’s Laws of England, 4th ed., vol. 3.  London : Butterworths, 1973.

LeSage, Patrick J.  Rapport sur des questions concernant l’UES.  Toronto : Ministère du Procureur général, 2011.

Marin, André.  Une surveillance imperceptible : Enquête sur l’efficacité et la crédibilité des opérations de l’Unité des enquêtes spéciales.  Toronto : Ombudsman Ontario, 2008. 

Ontario.  Assemblée législative.  Journal des débats (Hansard), 2e sess., 34e lég., 17 mai 1990, p. 1318.

Ontario.  Attorney General’s Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions.  Report of the Attorney General’s Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions.  Toronto : The Committee, 1993.

Ontario.  Race Relations and Policing Task Force.  The Report of the Race Relations and Policing Task Force.  Toronto : The Task Force, 1989.

Orkin, Mark M.  Legal Ethics, 2nd ed.  Toronto : Canada Law Book, 2011.

Reith, Charles.  The Blind Eye of History : a study of the origins of the present Police era.  Montclair, New Jersey : Patterson Smith, 1975.

Salhany, Roger E.  Report of the Taman Inquiry into the Investigation and Prosecution of Derek Harvey‑Zenk.  Winnipeg : Taman Inquiry, 2008.

Salhany, Roger E.  The Police Manual of Arrest, Seizure & Interrogation, 7th ed.  Scarborough, Ont. : Carswell, 1997.

Sullivan, Ruth.  Sullivan on the Construction of Statutes, 5th ed.  Markham, Ont. : LexisNexis, 2008.

                    POURVOI et POURVOI INCIDENT contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Sharpe, Armstrong et Rouleau), 2011 ONCA 716, 107 O.R. (3d) 721, 284 O.A.C. 362, 341 D.L.R. (4th) 481, 278 C.C.C. (3d) 57, 246 C.R.R. (2d) 181, [2011] O.J. No. 5033 (QL), 2011 CarswellOnt 12463, qui a infirmé une décision de la juge Low, 2010 ONSC 3647 (CanLII), [2010] O.J. No. 2770 (QL), 2010 CarswellOnt 4564.  Pourvoi rejeté et pourvoi incident accueilli, les juges LeBel, Fish et Cromwell sont dissidents quant au pourvoi incident.

                    Brian H. Greenspan, David M. Humphrey et Jill D. Makepeace, pour les appelants/intimés au pourvoi incident.

                    Julian N. Falconer et Sunil S. Mathai, pour les intimées/appelantes au pourvoi incident Ruth Schaeffer, Evelyn Minty et Diane Pinder.

                    Marlys A. Edwardh, Daniel Sheppard et Kelly Doctor, pour l’intimé/appelant au pourvoi incident Ian Scott, directeur de l’Unité des enquêtes spéciales.

                    Christopher Diana et Kenneth W. Hogg, pour l’intimé/intimé au pourvoi incident Julian Fantino, commissaire de la Police provinciale de l’Ontario.

                    Wendy J. Wagner et Ryan W. Kennedy, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.

                    Andrew I. Nathanson et Gavin R. Cameron, pour l’intervenante l’Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique.

                    Christa D. Big Canoe et Emily R. Hill, pour l’intervenante Aboriginal Legal Services of Toronto Inc.

                    Howard L. Krongold et Michael Spratt, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).

                    Marian K. Brown, pour l’intervenant Richard Rosenthal, Chief Civilian Director of the Independent Investigations Office of British Columbia.

                    Maureen L. Whelton et Neil Wilson, pour l’intervenante l’Alliance urbaine sur les relations interraciales.

                    David B. Butt, pour les intervenantes l’Association canadienne des policiers et Police Association of Ontario.

                     Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis et Wagner rendu par

                     Le juge Moldaver —

I.     Introduction

[1]                              Les policiers se voient conférer par les collectivités quils servent des pouvoirs légaux importants, dont celui de recourir, dans certaines circonstances, à une force létale contre leurs concitoyens.  Ces pouvoirs reposent nécessairement sur la confiance inébranlable du public envers la police.  Jour après jour, aux quatre coins du pays, des milliers dagents travaillent assidûment pour mériter cette confiance, souvent au risque de leur vie.

[2]                              Mais cette confiance peut parfois être mise à rude épreuve lorsquun citoyen est tué ou grièvement blessé par un policier.  Pour cette raison, les citoyens ontariens ont confié à un organisme composé exclusivement de civils, lUnité des enquêtes spéciales (« UES »), la tâche délicate de faire enquête sur ce genre dincidents tragiques.  La mission de lUES est claire : elle consiste à déterminer de façon indépendante et transparente les faits et leur cause, le tout dans lespoir de fournir des réponses à la population.

[3]                              Nul nest au‑dessus des lois.  Lorsquun citoyen est tué ou grièvement blessé par un policier, il est non seulement opportun mais essentiel de se demander si la police a agi légalement.  Dans ce dessein, lUES joue un rôle vital visant à maintenir la justice et léquité au sein de notre société et à veiller à légalité de chacun devant la loi et dans la loi.

[4]                              Le présent pourvoi porte sur un aspect des enquêtes de lUES.  La question qui nous est soumise est celle de savoir si, selon le régime que lOntario a élaboré, le policier qui est témoin dun incident faisant lobjet dune enquête de lUES ou y est impliqué a le droit de parler à un avocat avant de rédiger ses notes à ce sujet.  Jestime quil faut répondre par la négative à cette question.

[5]                              Le régime législatif en cause fait suite aux recommandations issues dune série de commissions denquête et de groupes de travail, qui préconisaient la rupture davec la pratique rétrograde suivant laquelle la « police enquête sur la police ».  À maintes reprises, leurs rapports ont souligné limportance dun organisme indépendant qui serait chargé de faire enquête de façon transparente pour déterminer, à la lumière des faits survenus, si la confiance du public avait été trahie.

[6]                              Permettre aux policiers de consulter un avocat avant de rédiger leurs notes est à lantipode de la transparence même que le régime législatif vise à favoriser.  En clair, les apparences comptent, et lorsquil y va de la confiance du public envers la police, il est impératif que le processus denquête soit transparent, et aussi quil ait toutes les apparences de la transparence.

[7]                              Manifestement, le législateur navait pas lintention de conférer aux agents un droit à lavocat dont lexercice risquerait de compromettre cette transparence.  Le règlement qui régit lUES serre de près les recommandations formulées par ceux qui étaient chargés de proposer des réformes, jusque dans le détail de nombreuses dispositions.  Il ressort clairement de son contexte et de son historique que ce règlement nétait pas censé accorder aux policiers le droit de consulter un avocat avant de rédiger leurs notes.

[8]                              Un tel droit est par ailleurs inconciliable avec les obligations que le régime législatif impose aux policiers.  Une conception aussi large de leur droit de consulter un avocat compromettrait leur capacité de rédiger des notes exactes, détaillées et exhaustives conformément à leur obligation.  Si les agents pouvaient obtenir des conseils juridiques avant de rédiger leurs notes, ils risqueraient de sattacher à défendre leur intérêt personnel et à justifier leurs actes, au détriment de leur devoir public.  Un tel changement de perspective serait contraire à ce devoir.

[9]                              Par conséquent, je suis davis de rejeter le pourvoi et de faire droit au pourvoi incident.

II.    Faits

[10]                          La présente affaire fait suite à deux incidents distincts au cours desquels Douglas Minty et Levi Schaeffer ont été abattus par des policiers.  Les faits entourant les incidents ne sont pas contestés.

A.    Enquête sur la mort de Douglas Minty

[11]                          Le 22 juin 2009, M. Minty a été abattu par lagent Seguin de la Police provinciale de lOntario (« OPP »).  Ce soir‑là, lagent Seguin avait été dépêché pour enquêter sur de présumées voies de fait commises par M. Minty sur la personne dun vendeur à domicile.  Une fois arrivé sur les lieux, lagent Seguin sest approché de M. Minty, qui sest mis à avancer rapidement vers lui, un couteau à la main.  Lagent Seguin a intimé à M. Minty lordre de déposer ou de laisser tomber son arme. Refusant dobtempérer, M. Minty [traduction] « sest précipité sur lagent Seguin en braquant son couteau » (Rapport de lUES, vol. III, p. 661).  Lagent Seguin a tiré cinq coups de feu sur M. Minty.

[12]                          Lagent Seguin a signalé quil avait déchargé son arme, et dautres policiers sont arrivés sur les lieux.  Le sergent Burton, le supérieur de lagent Seguin, a expliqué à tous les agents qui se trouvaient dans le secteur quils étaient susceptibles dêtre considérés comme étant des témoins de lincident par lUES et il leur a donné pour instruction de ne prendre aucune autre note tant quils nauraient pas parlé à un avocat.

[13]                          Le 14 octobre 2009, M. Scott, directeur de lUnité des enquêtes spéciales, a fait rapport de lincident au procureur général.  Il a conclu que lagent Seguin [traduction] « craignait raisonnablement une mort imminente ou des lésions corporelles graves » auxquelles il ne pouvait se soustraire et que « la force létale utilisée nétait pas excessive » dans les circonstances (Rapport de lUES, d.a., vol. III, p. 661).

[14]                          Fait important dans le présent débat, le directeur de lUES a fait observer dans son rapport quil porterait à lattention du commissaire de lOPP plusieurs sujets de préoccupation, dont linstruction donnée à tous les agents témoins de ne rédiger leurs notes quaprès avoir parlé à un avocat.

B.    Enquête sur la mort de Levi Schaeffer

[15]                          Le 24 juin 2009, M. Schaeffer a été abattu par lagent Wood de lOPP.  Lagent Wood et le sergent intérimaire Pullbrook sétaient rendus par bateau jusquà une péninsule rocheuse du lac Osnaburgh pour enquêter sur un vol.  À leur arrivée, les agents ont interrogé M. Schaeffer et ont tenté de le détenir.  Selon eux, M. Schaeffer aurait résisté et sorti un couteau de sa poche.  Les deux agents auraient alors reculé devant lhomme qui savançait vers eux.  Il naurait pas obtempéré aux ordres lui enjoignant de laisser tomber son couteau.  Cest alors que lagent Wood aurait fait feu à deux reprises sur lui, latteignant à la poitrine et provoquant sa mort.

[16]                          Après lincident, la sergente‑détective Wellock a été dépêchée sur les lieux.  Avant de quitter son détachement, elle a donné pour instruction à un autre agent dinterdire à lagent Wood et au sergent intérimaire Pullbrook de se parler et de prendre des notes avant davoir pu parler à un avocat.  Lagent Wood et le sergent intérimaire Pullbrook ont retenu les services du même avocat.  Ils lui ont parlé, chacun leur tour, plusieurs heures après lincident.  Lavocat leur a conseillé de ne rien consigner dans leur calepin avant de lui avoir soumis une ébauche de leurs notes pour examen.  Les deux agents ont noté leur compte rendu de lincident dans leur carnet deux jours plus tard, le 26 juin 2009, après lexamen de lébauche de leurs notes par lavocat.

[17]                          Le 25 septembre 2009, le directeur de lUES a remis au procureur général son rapport au sujet de lincident. Il a estimé quil ne pouvait pas conclure quil existait des motifs raisonnables de croire que lagent Wood avait commis une infraction criminelle, parce quil ne pouvait se fier [traduction] « aux renseignements fournis par l’agent Wood et le sergent intérimaire Pullbrook pour déterminer ce qui sest probablement passé » (d.a., vol. III, p. 516).  Le directeur de lUES sest dit particulièrement préoccupé par la façon dont lagent Wood et le sergent intérimaire Pullbrook avaient rédigé leurs notes.  Il sest exprimé ainsi :

                    [traduction] Ce processus de rédaction va à lencontre des deux principaux indicateurs de fiabilité des notes : lindépendance et la concomitance.  Ces notes ne représentent pas un récit indépendant des faits essentiels. Les premières ébauches ont été « approuvées » par un avocat de lOPPA qui représentait tous les agents impliqués dans cette affaire, un avocat qui a lobligation professionnelle de partager linformation entre ses clients dans le cadre dun mandat conjoint.  Les notes ne sont pas non plus les plus concomitantes — les agents ne les ont pas rédigées dès que possible et leur avocat en a conservé les premières ébauches.  Je nai pas eu la possibilité de comparer la première version des notes avec la version définitive figurant dans le carnet.  En conséquence, la seule version des événements dont je dispose est celle qui figure dans les notes approuvées par lavocat de lOPPA.  En raison de leur manque dindépendance et de concomitance, je ne peux pas me fier à ces notes ni à lentrevue du sergent (intérim.) Pullbrook quant à la véracité de leur contenu.

                    Jai la responsabilité légale de mener des enquêtes indépendantes et de décider si un agent a probablement commis une infraction criminelle.  Dans ce cas dune extrême gravité, je nai aucune information à laquelle je peux me fier.  Comme je suis dans limpossibilité de déterminer ce qui sest probablement passé, je ne peux pas conclure quil y a des motifs raisonnables de croire que lagent impliqué dans cette affaire a commis une infraction criminelle.  [Je souligne; d.a., vol. III, p. 517.]

III.  Dispositions législatives applicables

A.       Loi sur les services policiers

[18]                          LUES a été constituée aux termes de lart. 113 de la Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, ch. P.15Le paragraphe 113(5) de la Loi habilite lUES à « faire mener des enquêtes sur les circonstances qui sont à lorigine de blessures graves et de décès pouvant être imputables à des infractions criminelles de la part dagents de police ».  Aucun agent de police ou ancien agent de police ne peut être nommé directeur et aucun agent de police ne peut être nommé enquêteur (par. 113(3)).  Le directeur de lUES décide sil y a lieu de déposer des dénonciations contre un agent de police (par. 113(7)).  La Loi oblige les agents de police à « collabore[r] entièrement » avec lUES au cours des enquêtes (par. 113(9)).

B.    Règlement

[19]                          Le règlement régit les enquêtes de lUES (Conduite et obligations des agents de police en ce qui concerne les enquêtes de lUnité des enquêtes spéciales, Règl. de lOnt. 267/10).  Les agents de police en cause dans un incident ayant donné lieu à une enquête de lUES appartiennent à lune ou lautre de deux catégories.  Lagent dont la conduite semble avoir causé le décès ou des blessures graves est un « agent impliqué ».  Tout autre agent en cause est un « agent témoin » (par. 1(1)).

[20]                          Le règlement prévoit que les agents de police en cause dans lincident doivent être isolés les uns des autres, autant quil est matériellement possible de le faire, tant que lUES na pas terminé ses entrevues (par. 6(1)).  Le règlement confère par ailleurs à lagent de police le droit de « consulter » un avocat et le droit à la « présence » dun avocat au cours de son entrevue avec lUES (par. 7(1)), à moins que, de lavis du directeur, le fait dattendre un avocat retarde lenquête de façon déraisonnable (par. 7(2)).  Lagent témoin a lobligation de rencontrer lUES et de répondre à toutes ses questions (par. 8(1)).  Lagent témoin et lagent impliqué sont tenus de rédiger des notes complètes sur lincident « conformément à [leur] obligation » (par. 9(1) et 9(3)).  Toutefois, seuls les agents témoins ont lobligation de fournir leurs notes à lUES (par. 9(1) et 9(3)).  Lagent témoin que lUES désigne à titre dagent impliqué par la suite se voit remettre par cette dernière loriginal et toutes les copies de lenregistrement de son entrevue avec lUES ainsi que toutes les copies de ses notes (al. 10(3)b) et c)).

[21]                          Linterprétation quil convient de donner au règlement se situe au cœur du présent pourvoi.  Le droit de consulter un avocat prévu au par. 7(1) et lobligation de rédiger des notes visée aux par. 9(1) et 9(3) revêtent une importance particulière dans le cas qui nous occupe.  Ces dispositions sont ainsi libellées :

                          7. [Droit à un avocat] (1)    Sous réserve du paragraphe (2), lagent de police a le droit de consulter un avocat ou un représentant dune association de policiers et a droit à la présence dun avocat ou dun représentant dune telle association pendant son entrevue avec lUES.

. . .

                        9. [Notes sur lincident] (1)     Lagent témoin rédige des notes complètes sur lincident conformément à son obligation et [. . .] les fournit au chef de police au plus tard 24 heures après que lUES en a fait la demande.

. . .

                        (3)    Lagent impliqué rédige des notes complètes sur lincident conformément à son obligation, mais aucun membre du corps de police ne doit en fournir des copies à la demande de lUES.

IV.  Décisions des juridictions inférieures

A.    Cour supérieure de justice de lOntario, 2010 ONSC 3647 (CanLII)

[22]                          La mère de M. Schaeffer, Ruth Schaeffer, ainsi que la mère et la sœur de M. Minty, Evelyn Minty et Diane Pinder (les « familles »), ont présenté une requête en vertu du par. 14.05(3) des Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, en vue dobtenir [traduction] « [u]n jugement déclaratoire portant sur linterprétation et lorientation de la Cour quant aux dispositions de la Loi sur les services policiers et de ses règlements dapplication qui régissent lobligation des policiers de collaborer aux enquêtes de lUnité des enquêtes spéciales » (d.a., vol. I, p. 91).  Les familles soulevaient notamment la question de savoir si le régime législatif permettait aux agents de consulter un avocat avant de rédiger leurs notes.  Elles ont désigné à titre de défendeurs les agents Seguin et Wood, le sergent intérimaire Pullbrook (les « agents »), le commissaire de lOPP, Julian Fantino, le directeur de lUES et le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels.

[23]                          Avant lexamen au fond de la demande, les agents ont présenté une requête en radiation au motif quelle ne relevait pas de la compétence des tribunaux et que les familles navaient pas qualité pour la présenter.  La juge Low a fait droit à la requête des agents et radié la demande.  Devant notre Cour, les agents ont abandonné ces moyens procéduraux.  Il nest donc pas nécessaire de sy attarder davantage.

B.    Cour dappel de lOntario, 2011 ONCA 716, 107 O.R. (3d) 721

[24]                          Les familles ont interjeté appel à la Cour dappel de lOntario en vue de faire juger leur demande au fond.  Le juge Sharpe, au nom de la cour unanime, a statué que la demande relevait de la compétence des tribunaux et que les familles avaient qualité pour agir dans lintérêt public, ajoutant que la Cour dappel avait compétence pour trancher les questions de fond soulevées dans la demande sans quil soit nécessaire de renvoyer laffaire à la Cour supérieure.

[25]                          La Cour dappel a jugé que le fait pour lagent dobtenir les conseils dun avocat au moment de rédiger ses notes [traduction] « serait inconciliable avec la raison dêtre des notes et avec lobligation qui est imposée aux policiers de les rédiger », surtout parce que tout conseil juridique serait « axé sur lintérêt personnel de lagent ou de ses collègues plutôt que sur son devoir primordial envers le public » (par. 71-72).  Par conséquent, la cour a conclu que le par. 7(1) ne permettait pas aux policiers de recourir à laide dun avocat pour rédiger leurs notes.

[26]                          Toutefois, suivant la Cour dappel, le par. 7(1) du règlement donnait effectivement aux agents le droit à des [traduction] « conseils juridiques de base au sujet de la nature de [leurs] droits et de [leurs] obligations en rapport avec lincident et lenquête de lUES » (par. 79 et 81).

V.    Question en litige

[27]                          Les agents ont formé le présent pourvoi devant notre Cour. Ils font valoir que la Cour dappel avait commis une erreur en restreignant le droit à lavocat que leur reconnaît le par. 7(1) à un simple droit dobtenir « des conseils juridiques de base ».  Le directeur de lUES a formé en lespèce un pourvoi incident dans lequel il présente le point de vue contraire.  Il affirme que, même si elle a eu raison de statuer que les agents navaient pas le droit de recourir à laide dun avocat pour rédiger leurs notes, la Cour dappel a commis une erreur en concluant quils avaient droit à des « conseils juridiques de base » à cette étape.  Les familles et le commissaire de lOPP se disent satisfaits de la décision de la Cour dappel et en défendent le bien-fondé.

[28]                          La principale question en litige dans le présent pourvoi est celle de savoir si le par. 7(1) du règlement permet à lagent en cause dans lincident qui fait lobjet dune enquête de lUES de parler à un avocat avant de rédiger ses notes.  Comme à mon avis il faut répondre à cette question par la négative, il nest pas nécessaire danalyser la nature ou la portée quaurait tel droit.

VI.  Analyse

A.    Source du droit contesté à lavocat

[29]                          Dentrée de jeu, il importe de bien préciser lobjet de lanalyse.  La présente affaire concerne la teneur du droit à un avocat conféré par une disposition réglementaire.  Il nest pas question en lespèce du droit à lassistance dun avocat que confère lal. 10 b )  de la Charte canadienne des droits et libertés Aucune partie ne plaide quun agent témoin ou un agent impliqué est détenu au sens de lal. 10b) lors de lenquête de lUES. Deux des intervenants ont soutenu devant notre Cour que le règlement permettait aux agents de revendiquer le droit à lassistance dun avocat en vertu de lal. 10 b )  de la Charte  (voir les mémoires de lAssociation canadienne des libertés civiles et de lAssociation canadienne des policiers).  Le directeur de lUES a présenté une requête en radiation des paragraphes de ces mémoires traitant cette question, au motif quelle navait été soulevée par aucune des parties au présent pourvoi et que les intervenants nétaient pas autorisés à soulever de nouvelles questions de leur propre chef.  Je suis daccord avec le directeur de lUES pour dire que les questions concernant lal. 10b) nont pas été soumises régulièrement à la Cour et je suis par conséquent davis de faire droit à la requête. 

[30]                          Aucune partie ne nous demande non plus de déterminer si le droit de garder le silence ou la règle relative aux aveux reconnue en common law empêchent, au cours dun procès ultérieur au criminel, dutiliser contre lagent les notes que ce dernier a pu prendre.  Par conséquent, je mabstiens dexprimer quelque opinion que ce soit sur ces questions. Enfin, la présente affaire ne porte pas sur la liberté que la common law reconnaît à quiconque de consulter un avocat à sa guise.  Les agents soutiennent que, peu importe la façon dont on interprète le par. 7(1), il leur est loisible en common law de consulter un avocat pour rédiger leurs notes.

[31]                          En toute déférence, je ne puis accepter cette façon de voir.  Nous avons affaire, en lespèce, à des agents de police agissant non pas à titre de simples citoyens, mais en leur qualité de policiers visés à titre professionnel par des enquêtes de lUES parce quils sont en cause dans un incident ayant provoqué un décès ou des blessures graves.  Dans ces circonstances, il convient de prendre pour point de départ le règlement, plutôt que la liberté reconnue en common law de consulter un avocat.  Il régit ces situations et énonce de façon exhaustive les droits et les obligations des agents, dont le droit à lavocat. 

[32]                          Ce point de départ commande que lon adopte une démarche téléologique pour statuer sur lexistence dun droit à des conseils juridiques à létape de la rédaction de notes, à la lumière du régime législatif. Ainsi, linterprétation de ce droit sharmonisera avec ce dernier et son objet dominant. La première question qui se pose, en conséquence, est celle de savoir si le par. 7(1) du règlement, interprété de manière téléologique, autorise lagent à consulter un avocat à létape de la prise de notes.  Si pareil droit nest pas conforme au règlement, lagent visé par une enquête de lUES ne peut solliciter de tels conseils, et point nest besoin de trancher la question des droits résiduels que la common law reconnaît aux agents.  Bref, dès lors quil choisit darborer son insigne, le policier doit se conformer aux obligations et aux responsabilités énumérées au règlement, et ce même sil doit, pour ce faire, renoncer à certaines libertés dont il jouirait par ailleurs en tant que simple citoyen.

B.    Bonne méthode dinterprétation législative

[33]                          Il est nécessaire, pour répondre à la question soulevée dans le présent pourvoi, dinterpréter le par. 7(1) du règlement.  Il faut lire les termes de cette disposition dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui sharmonise avec lesprit du règlement, son objet et lintention du législateur.  Il est dune importance capitale dinterpréter ses dispositions en tenant compte de lobjet de sa loi habilitante, en loccurrence la LoiLobjet de la loi « transcende et régit » lobjet du règlement (Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533, par. 38). Il faut éviter toute interprétation du par. 7(1) qui serait susceptible de créer un conflit avec une autre disposition du texte réglementaire ou qui irait à lencontre de lobjet du régime législatif.

C.    Origine et raison dêtre de lUnité des enquêtes spéciales

[34]                          Avant dinterpréter le par. 7(1) du règlement, il est nécessaire de rappeler lorigine et la raison dêtre du régime législatif, ce qui nous fournira le contexte nécessaire à lanalyse qui suit.

                      (1)    Création de lUnité des enquêtes spéciales

[35]                          Avant la création de lUES, lincident au cours duquel un agent de police avait causé des blessures graves ou un décès était lobjet dune enquête menée par la police (A. Marin, Une surveillance imperceptible : Enquête sur lefficacité et la crédibilité des opérations de lUnité des enquêtes spéciales (2008), par. 23).  Cette situation a changé en 1990, au moment de ladoption de la Loi qui a constitué lUES.

[36]                          LUES a été créée dans la foulée de la publication, en 1989, dun rapport du Groupe détude entre la police et les minorités raciales (Report of the Race Relations and Policing Task Force (1989)). Le Groupe détude avait été mis sur pied par le gouvernement provincial à la suite du décès par balle de deux citoyens ontariens de race noire lors dune intervention policière en 1988.  Ce rapport présentait une foule de recommandations, notamment celle de créer une [traduction] « équipe denquête » composée en partie de civils et chargée de « faire enquête sur les décès par balle causés par des policiers » dans la province (p. 150).  Le Groupe détude a recommandé la participation de civils aux enquêtes sur des policiers, parce quà son avis, la pratique suivant laquelle « la police enquête sur la police » ne permettait pas de « répondre aux attentes du public en matière dimpartialité » et contribuait à « miner sérieusement la confiance du public » (p. 147).

[37]                          Lors du débat précédant ladoption de la Loi, le solliciteur général a confirmé que lUES se voulait une réponse directe à la recommandation du Groupe détude.  Il a affirmé que le gouvernement avait prêté loreille aux préoccupations soulevées par le Groupe détude et que la Loi [traduction] « répond aux préoccupations exprimées, au sein de la population en général, au sujet de la pratique suivant laquelle la police enquête sur la police » (Assemblée législative de lOntario, Journal des débats (Hansard), 2e sess., 34e lég., 17 mai 1990, p. 1318).

                      (2)    Adoption du règlement

[38]                          LUES a mené ses enquêtes sans être assujettie à un règlement jusquen 1998, alors que le règlement de l’Ontario 673/98, le prédécesseur du règlement en litige dans le présent appel, a été pris dans la foulée dun autre rapport gouvernemental.  En 1997, lhonorable G. W. Adams avait été nommé par le gouvernement pour mener des consultations auprès dorganismes communautaires et dassociations de policiers et pour formuler des recommandations consensuelles en vue daméliorer les rapports entre lUES et la police.

[39]                          Le rapport de M. Adams a paru en 1998 (Consultation Report Concerning Police Cooperation with the Special Investigations Unit (1998) (« rapport Adams de 1998 »)).  Il reconnaissait que les enquêtes de lUES devaient se dérouler [traduction] « de manière transparente » et que « tout écart par rapport aux techniques denquête normales a pour effet de miner la confiance du public » (p. 4).  Il présentait 25 recommandations énumérant les techniques denquête normales nécessaires pour assurer la confiance du public à légard des enquêtes de lUES.  Lune de ses principales recommandations portait sur ladoption dun règlement exhaustif pour encadrer ces enquêtes.

[40]                          Les diverses dispositions du règlement 673/98 — et sans conteste les principales — étaient inspirées des recommandations formulées par M. Adams. On peut dailleurs à juste titre qualifier M. Adams de père du règlement régissant lUES.  Lorigine des dispositions suivantes du règlement 673/98 remonte à ses recommandations :

                     larticle 1 établit une distinction entre lagent impliqué et lagent témoin (recommandation 9);

                     larticle 3 oblige la police à aviser immédiatement lUES de tout incident faisant intervenir la compétence de cette dernière (recommandation 4);

                     larticle 4 oblige la police à protéger les lieux de lincident jusquà larrivée de lUES (recommandation 6);

                     larticle 5 dispose que lUES est lenquêteur en chef (recommandation 7);

                     larticle 6 exige que lagent témoin et lagent impliqué soient isolés lun de lautre tant que lUES na pas terminé ses entrevues (recommandation 8);

                     larticle 7 reconnaît le droit de lagent de police de consulter un avocat (recommandation 11);

                     larticle 8 oblige lagent témoin à acquiescer à toute demande dentrevue de lUES sans délai (recommandation 12);

                     larticle 9 oblige lagent à rédiger des notes sur lincident conformément à son obligation (recommandation 14);

                     larticle 11 oblige le chef de police à faire également mener une enquête sur lincident (recommandation 15);

                     les articles 12 et 13 portent sur les déclarations publiques que la police et lUES peuvent faire (recommandation 17).

[41]                          Le règlement 673/98 na jamais été modifié et il est demeuré en vigueur jusquà son abrogation en 2010, année où le Règl. de lOnt. 267/10, le règlement en litige dans la présente affaire, est entré en vigueur.  Ce dernier reprend toutefois presque intégralement le règlement 673/98[1].  Les dispositions qui reconnaissent le droit à un avocat (par. 7(1)) et lobligation de prendre des notes (art. 9), qui sont au cœur du présent pourvoi, sont identiques dans les deux textes.

[42]                          Depuis 2010, les art. 7 et 9 du règlement ont été modifiés par le Règl. de lOnt. 283/11, alors que la présente affaire était en instance devant la Cour dappel.  Cette modification faisait suite au bref rapport publié par lhonorable P. J. LeSage (Rapport sur des questions concernant lUES (2011)).  M. LeSage sétait vu confier le soin « dexaminer quelques questions qui [avaient] surgi ces dernières années » relativement aux enquêtes menées par lUES (p. 2).

[43]                          M. LeSage recommandait quatre modifications au règlement, dont trois ont été adoptées en 2011, à savoir : quil soit interdit aux agents en cause dans lincident de communiquer directement ou indirectement avec un autre agent de police en cause dans lincident au cours de lenquête de lUES (p. 3; par. 6(2)), que les agents témoins ne puissent pas être représentés par le même avocat que les agents qui font lobjet dune enquête (p. 3; par. 7(3)) et, enfin, que lagent ait terminé la rédaction de ses notes avant la fin de sa période de service, sous réserve dune autorisation contraire du chef de police (p. 3; par. 9(5))[2].  Le rapport de M. LeSage était muet sur la question de la consultation dun avocat avant la rédaction des notes.

                      (3)    Conclusion sur la raison dêtre de lUES

[44]                          En constituant lUES, le législateur entendait créer un organisme denquête indépendant et transparent dans le but de maintenir la confiance du public à légard de la police et du système de justice dans son ensemble.  Cétait là lobjet de la recommandation du Groupe détude, et celle‑ci a été explicitement suivie par le gouvernement au pouvoir quand il a adopté la Loi.  Le règlement a pour objet de faciliter la réalisation de cet objectif.  Son cadre réglementaire vise à assurer à lUES la capacité de mener ses enquêtes de manière indépendante et transparente.

D.    Interprétation du droit à un avocat prévu au par. 7(1)

[45]                          Comme il est indiqué précédemment, le présent pourvoi porte sur linterprétation quil convient de donner au par. 7(1) du règlement.  Le passage pertinent est ainsi rédigé :

                        . . . lagent de police a le droit de consulter un avocat ou un représentant dune association de policiers et a droit à la présence dun avocat ou dun représentant dune telle association pendant son entrevue avec lUES.

[46]                          Les agents exhortent la Cour à donner une interprétation large à cette disposition.  Ils soutiennent quelle reconnaît deux droits distincts.  En premier lieu, les agents pourraient « consulter » un avocat et, en second lieu, bénéficier de la « présence » dun avocat au cours de leur entrevue avec lUES.  Selon eux, le droit de « consulter » un avocat constituerait un droit autonome, qui englobe la consultation juridique pendant la rédaction des notes.

[47]                          En toute déférence, je ne puis retenir cet argument.  Lorsquon le lit dans son contexte global, on constate que le par. 7(1) ne confère pas aux agents un droit autonome à la consultation dun avocat à létape de la prise de notes.  Jen arrive à cette conclusion pour trois raisons.  Premièrement, reconnaître un droit de consulter un avocat à létape de la prise de notes contrecarrerait lobjet principal du régime législatif, car lexercice dun tel droit risque de miner la confiance du public que lUES était censée favoriser.  Deuxièmement, lhistorique législatif démontre que le par. 7(1) nétait jamais censé créer un droit autonome à la consultation dun avocat à létape de la rédaction des notes.  Troisièmement, consulter un avocat à cette étape empêcherait les agents de police de rédiger des notes précises, détaillées et exhaustives conformément à leur obligation comme lexige lart. 9 du règlement.

                      (1)    Raison dêtre du régime législatif

[48]                          LUES a vu le jour en réponse à un déficit de confiance publique.  Que les enquêtes policières sur les décès par balle causés par des policiers au cours des années 80 aient été effectivement biaisées ou non, selon lidée que sen faisait le public, ces enquêtes nétaient pas impartiales (voir, p. ex., le rapport du Groupe détude), ce qui démontre limportance des apparences.  Dailleurs, dans notre système de justice, suivant un précepte souvent répété et jalousement protégé : [traduction] « il est essentiel que, non seulement justice soit rendue, mais quil y a aussi apparence manifeste et indubitable que justice a été rendue » (R. c. Sussex Justices, Ex parte McCarthy, [1924] 1 K.B. 256, p. 259, le juge en chef lord Hewart).  Ce principe est dautant plus important dans le présent contexte où il y va de la confiance publique à légard de la police.

[49]                          Le régime législatif vise à favoriser la confiance du public en remédiant expressément au problème dapparences résultant de lancien système où « la police enquête sur la police ».  Le problème de ce système était, évidemment, quil donnait inévitablement lapparence que la police « protégeait les siens », et ce, aux dépens de limpartialité de lenquête.  Estimant de telles apparences inacceptables, le législateur a créé lUES pour les dissiper en confiant les enquêtes sur les policiers à des civils.

[50]                          Autoriser les agents à consulter sans restriction un avocat à létape de la prise de notes créerait un « problème dapparences » semblable à celui qui a motivé la création de lUES.  Ainsi, tout citoyen raisonnable pourrait à juste titre se demander si lagent recourt à lassistance dun avocat à létape de la prise de notes pour laider à sacquitter de ses obligations professionnelles ou sil le fait plutôt dans son intérêt personnel pour se protéger et protéger ses collègues contre une  conclusion accablante de la part de lUES à lissue de lenquête.  Les conversations ainsi échangées étant protégées par le secret professionnel, le malaise du public ne peut guère être dissipé.

[51]                          À cet égard, les faits de lenquête sur la mort de M. Schaeffer sont particulièrement troublants.  Les deux agents nont terminé leurs notes quaprès que leur avocat en a examiné lébauche.  Ni lun ni lautre nen avait soumis à lUES la première version, version qui était évidemment protégée par le secret professionnel de lavocat.  Il est impossible pour le public de savoir quel rôle lavocat a joué.  Le directeur de lUES a toutefois conclu quen raison de la participation de lavocat, il ne disposait daucune information lui permettant de tirer des conclusions au sujet du décès de M. Schaeffer. Manifestement, il ny a rien là qui favorise la confiance du public.

[52]                          Il semble opportun de rappeler ici que lon attribue au père des principes modernes en matière de services policiers, sir Robert Peel, lidée que [traduction] « la police, cest le public, et [. . .] le public, cest la police » (C. Reith, The Blind Eye of History : a study of the origins of the present Police era (1975), p. 163).  La sagesse de cette observation réside dans le fait quelle reconnaît limportance primordiale que revêt et que devrait toujours revêtir la confiance du public envers la police.  Cest pourquoi les agents de police devraient rédiger leurs notes sans laide dun avocat.  La possibilité de consulter un avocat à létape de la prise de notes est à lantipode de lobjet même du régime législatif et, pour cette raison, cette thèse doit être écartée.

                      (2)    Portée du droit à un avocat prévu au par. 7(1)

[53]                          Ma conclusion suivant laquelle le par. 7(1) ne sapplique pas à létape de la prise de notes sappuie sur lhistorique de lélaboration du règlement.  Il en ressort clairement que la disposition na jamais eu pour objet de prévoir le droit à un avocat à létape de la prise de notes.

[54]                          Le paragraphe 7(1) du règlement découle du rapport publié en 1998 par M. Adams.  Ce rapport nous éclaire sur la portée que lon entendait donner au droit de consulter un avocat prévu au par. 7(1), ce que les agents reconnaissent en lespèce.  Dailleurs, lors des débats, ils ont souligné le fait que M. Adams avait procédé à [traduction] « littéralement [. . .] des centaines de consultations » avec les groupes intéressés, y compris « pratiquement chaque corps policier » et quaprès avoir examiné le rapport, le procureur général avait « élaboré le texte de loi en sinspirant du cadre proposé [par M. Adams] à partir du consensus recensé » (transcription, p. 6- 7).  La recommandation 11 du rapport Adams de 1998, sur le droit à un avocat, était ainsi libellée :

                    [traduction] Le règlement devrait préciser que lagent a le droit dêtre représenté par un conseiller juridique ou une association de policiers ou les deux, à condition que le laps de temps préalable à cette consultation ne retarde pas indûment le déroulement de lenquête.  [p. 91]

[55]                          Lanalyse sous‑tendant cette recommandation sarticulait autour du droit de lagent à la présence dun avocat à lentrevue menée par lUES.  Pour reprendre les termes du rapport :

                    [traduction] Les personnes consultées sentendaient [. . .] dans lensemble pour dire que lagent avait le droit dêtre représenté par un avocat ou un représentant dune association de policiers pendant son entrevue avec lUES, à condition que cette présence ne retarde pas indûment le déroulement de lenquête.  [p. 90]

En revanche, le rapport ne comporte aucune mention dun quelconque rôle pour lavocat à létape de la prise de notes, encore moins une recommandation visant à permettre aux agents de recourir à lassistance dun avocat à cette étape.

[56]                          En 2003, M. Adams a publié un second rapport après avoir été chargé par le procureur général dévaluer la mise en œuvre de ses recommandations de 1998 (Rapport détude sur les réformes de lUnité des enquêtes spéciales (2003) (« rapport Adams de 2003 »)).  Il y commente la mise en œuvre de la recommandation portant sur le droit à un avocat :

                    Cette recommandation a été mise en œuvre dans larticle 7 du Règlement. Chaque agent de police peut être assisté dun avocat ou dun représentant de son association durant son interrogatoire.  Le directeur de lUES a les pouvoirs de suspendre ce droit si le fait dattendre la présence dun tel représentant entraîne un retard déraisonnable.  [Je souligne; p. 58‑59.]

[57]                          Là encore, aucun rôle pour lavocat à létape de la prise de notes nest mentionné.  Par ailleurs, plus loin dans son rapport, M. Adams fait observer que des agents avaient reçu comme conseil juridique « de ne pas remplir leurs notes avant davoir consulté leurs avocats », ce quil qualifie de « très problématique » (p. 63).

[58]                          Linterprétation du par. 7(1) proposée par les agents ne tient pas compte de lhistorique de lélaboration du règlement.  Comme ils lont eux‑mêmes fait observer, le rapport Adams de 1998 résultait de consultations et dune analyse exhaustives.  En fait, il ne serait pas exagéré de dire que ses 25 recommandations sont devenues le règlement.  Et pourtant, ni dans son rapport de 1998, ni dans celui de 2003, ne mentionne‑t‑il un quelconque droit à lavocat à létape de la prise de notes.  À mon avis, si le par. 7(1) avait pour objet de permettre pareille pratique litigieuse, les rapports complets de M. Adams en diraient long à ce sujet.  Le fait quils soient muets sur ce point me renforce dans mon opinion que cette disposition nétait jamais censée permettre de consulter un avocat à létape de la prise de notes.

[59]                          Avant den arriver à cette conclusion, jai bel et bien tenu compte de largument des agents au sujet de linaction du gouvernement.  En particulier, ils soulignent que, sagissant des enquêtes de lUES, le gouvernement est au courant depuis longtemps de la pratique qui consiste pour l’agent à consulter un avocat avant de rédiger ses notes.  M. Adams avait signalé ce problème dans son rapport de 2003 et M. LeSage était certainement au courant de ce fait lorsquil a formulé sa recommandation en 2011 après que la Cour supérieure a rendu son jugement dans la présente affaire.  Pourtant, le gouvernement na rien fait pour mettre fin à cette pratique, même sil a apporté dautres changements au cadre réglementaire en 2010 et en 2011.  Selon les agents, on peut en déduire quil entendait et entend toujours que le règlement la permette (m.a., par. 64).

[60]                          Je ne puis, en toute déférence, accepter ce point de vue.  Dans le cas qui nous occupe, linaction du gouvernement ne nous aide guère à comprendre la portée que lon entendait donner au droit à lavocat reconnu au par. 7(1).  Ce nest quen partant du principe que le par. 7(1) permet de consulter un avocat à létape de la prise de notes quon puisse déduire de linaction du gouvernement que celui‑ci souhaitait lusage actuel ou ny voit aucun inconvénient.  Si lon présume toutefois que le par. 7(1) ne permet pas et na jamais permis de consulter un avocat à létape de la prise de notes, on peut tout aussi aisément en conclure que le gouvernement na pris aucune mesure parce quaucune nétait nécessaire.  Le gouvernement na pas à modifier un règlement pour interdire une pratique qui est déjà incompatible avec le régime législatif.  Envisagé sous cet angle, largument des agents ne fait pencher la balance ni dun côté ni de lautre.

                      (3)    Éviter un conflit avec lobligation de prendre des notes

[61]                          Ma conclusion que le par. 7(1) nétait jamais censé prévoir le droit de consulter un avocat à létape de la prise de notes est appuyée par lobligation à lart. 9 de prendre les notes.  Le fait de consulter un avocat à cette étape entraverait la capacité des agents de se conformer à cette obligation.

                      a)      Obligation générale de prendre des notes

[62]                          Les paragraphes 9(1) et 9(3) du règlement obligent lagent témoin et lagent impliqué à rédiger « des notes complètes sur lincident conformément à [leur] obligation ».  Le règlement ne définit pas lobligation de rédiger des notes, pas plus que la Loi, qui fournit une liste non exhaustive des « [fonctions dun] agent de police » à lart. 42 et précise que lagent de police a notamment pour fonctions de préserver la paix, de porter des accusations et de participer à des poursuites et dexercer les fonctions légitimes que le chef de police lui confie.

[63]                          Bien quil soit acquis aux débats que, dans le cadre de ses fonctions, lagent est notamment tenu de prendre des notes au sujet des faits survenus au cours de sa période de service, je constate quaucune des parties ne renvoie à un extrait décisif dun arrêt de la Cour en ce sens[3]

[64]                          Des juristes chevronnés se sont toutefois prononcés en faveur de lexistence de cette obligation.  Par exemple, dans le rapport quil a soumis en 1993 au procureur général de lOntario sur le filtrage des accusations, la communication de la preuve et les discussions en vue dun règlement, un comité constitué davocats et de policiers expérimentés dirigés par lhonorable G. A. Martin fait observer :

                    [traduction] . . . lobligation de rédiger des notes soignées en rapport avec une enquête constitue un aspect important de lobligation générale de lenquêteur de veiller à ce que ceux qui commettent des crimes soient tenus responsables.

. . .

                    . . . le policier qui prend des notes inadéquates, en plus de risquer de compromettre le déroulement de la défense, risque également de nuire au déroulement de lenquête ou du procès.  Bref, cest rendre un bien mauvais service tant à laccusé quà la collectivité, qui a le droit de sattendre à ce que les innocents soient acquittés et les coupables dûment condamnés.  [Je souligne.]

(Report of the Attorney Generals Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions (1993) (« Comité Martin »), p. 151 et 153)

[65]                          Lhonorable R. E. Salhany sest aussi penché sur limportance des notes prises par les policiers au cours dune enquête publique menée sur un décès causé par un agent qui nétait pas de service.  Il a expliqué ainsi limportance des notes :

                    [traduction] [La prise de notes] nest pas une tâche fastidieuse à laquelle les policiers doivent sastreindre à contrecœur parce que cest ce quon leur a enseigné à lécole de police.  Elle fait partie intégrante de lenquête et du procès. Elle revêt autant dimportance que lobtention dune déclaration incriminante, la découverte de pièces à conviction ou la recherche de témoins utiles.  Tout enquêteur compétent a le devoir et la responsabilité de rédiger des notes exactes, détaillées et exhaustives dès que possible après quun incident fait lobjet dune enquête.  [Je souligne.]

(Report of the Taman Inquiry (2008), p. 133)

[66]                          Ces conclusions reposent selon moi sur des assises solides.  Limportance que revêtent les notes prises par les policiers aux yeux du système de justice pénale est évidente.  Pour reprendre les propos de M. Martin au sujet des notes bien rédigées :

                    [traduction] Les notes de lenquêteur constituent souvent la toute première source déléments de preuve concernant la perpétration dun crime.  Leur teneur se rapproche possiblement le plus de ce que le témoin a effectivement vu ou vécu.  Comme elles représentent le premier constat dressé, elles sont susceptibles dêtre le compte rendu le plus fidèle.  [p. 152]

[67]                          Compte tenu de ce qui précède, cest sans grande difficulté que je conclus que les policiers ont lobligation de rédiger des notes exactes, détaillées et exhaustives dès que possible après lenquête.  Minspirant des propos formulés par M. Martin, jestime que lobligation de rédiger des notes constitue, à tout le moins, un aspect implicite de lobligation qua tout agent de police de faciliter le dépôt daccusations et le déroulement des poursuites, une obligation qui est dailleurs expressément prévue à lal. 42(1)e) de la Loi.

[68]                          Il ny a évidemment rien de nouveau dans tout cela pour les agents. Dans le cas qui nous occupe, par exemple, la politique de lOPP vient confirmer lexistence de lobligation de prendre des notes, les agents étant tenus à consigner [traduction] « de façon concise et exhaustive les détails de chaque incident » survenu au cours de leur période de service et de « prendre toutes les notes denquête originales [. . .] au cours de lenquête ou dès que possible après celle‑ci » (Ordonnance 2.50 de lOPP, Member Note Taking, dossier de lUES, p. 48‑52).  De façon plus générale, les guides à lintention des policiers soulignent depuis longtemps limportance des notes exactes, détaillées et exhaustives; voir, p. ex., R. E. Salhany, The Police Manual of Arrest, Seizure & Interrogation (7e éd. 1997), p. 270‑278.

                      b)     Consultation dun avocat et obligation de prendre des notes

[69]                          Les parties sentendent sur lexistence dune obligation de prendre des notes.  Leur différend porte sur la question de savoir si la consultation dun avocat est conforme à cette obligation.  Plus précisément, le fait pour un policier de consulter un avocat avant de rédiger ses notes lempêche‑t‑il de prendre des notes exactes, détaillées et exhaustives conformément à son obligation comme lexige lart. 9 du règlement?

[70]                          Le directeur de lUES fait valoir que le fait pour lagent de consulter un avocat risque de miner limpartialité de ses notes et den retarder la rédaction.  Les agents répondent que le règlement pare à toute préoccupation concernant les lenteurs.  Ils ajoutent que consulter un avocat à létape de la rédaction de notes ne compromet pas le caractère impartial de ces dernières, car on peut compter sur les avocats pour agir avec intégrité et ne pas nuire au processus.

[71]                          À mon humble avis, les préoccupations formulées par le directeur de lUES ne jouent pas.  Le règlement a été modifié pour assurer la rédaction des notes en temps utile (par. 9(5)).  En outre, bien que je reconnaisse lexistence dun risque de partialité, je ne suis pas disposé à conclure que le fait de consulter un avocat nuirait effectivement à limpartialité du compte rendu de lagent témoin ou de lagent impliqué.  Pareille affirmation fait fi de la confiance dont jouissent à juste titre les avocats dans notre système de justice.

[72]                          Mais le débat nest pas clôt pour autant.  À mon avis, le droit de consultation élargi revendiqué par les agents demeure problématique.  Plus particulièrement, il crée un risque réel que lexercice soit axé, non pas sur le devoir public prévu à lart. 9, à savoir rédiger des notes exactes, détaillées et exhaustives, mais sur la protection de lintérêt personnel et serve à justifier le déroulement des événements.  Il en résulterait un manquement aux prescriptions de lart. 9.

[73]                          On se souviendra que, selon les agents, le par. 7(1) crée un droit général à lavocat.  Ils font valoir que cette disposition leur reconnaît le droit à des [traduction] « consultations complètes avec un avocat avant la rédaction des notes et avant que les entrevues ne commencent » (m.a., par. 56 (je souligne)).  Ils soutiennent en outre que les conseils prodigués au cours de ces « consultations complètes » aideraient les agents à « bien saisir à quel point il importe de soumettre un compte rendu exhaustif traitant lensemble des questions de droit et de fait susceptibles dintéresser lUES, le service de police auquel appartient lagent et le public » (m.a., par. 65 (je souligne)), en vue de « lamélioration » des notes (transcription, p. 26‑27 et 54).

[74]                          Manifestement, les « consultations complètes » que conçoivent les agents — qui leur permettraient de produire [traduction] « un compte rendu exhaustif » traitant lensemble des « questions de droit » susceptibles dintéresser lUES — aborderont nécessairement lintérêt personnel de lagent. Autrement dit, la conversation portera sur la responsabilité éventuelle de lagent et de ses collègues, ainsi que sur les explications pouvant être avancées.  Lextrait suivant dun article paru dans le bulletin dinformation dune association de policiers et écrit par un avocat possédant une vaste expérience dans le domaine illustre le type de conseils quune telle conversation tous azimuts est susceptible de générer :

                         [traduction] Votre participation à lentrevue par lUES concerne moins les faits que leur cause.  Il importe moins de savoir que le suspect a reçu des coups de poing, des coups de pied ou même quil a été abattu que de savoir pourquoi.  La prise de notes et la rédaction de rapports en préparation à une enquête de lUES visent surtout à exposer les raisons pour lesquelles vous avez réagi comme vous lavez fait.

                        Il est essentiel de répéter sans se lasser lévidence : « Il a braqué son arme à feu sur moi et, craignant pour ma vie et pour la vie et la sécurité de mes collègues et des citoyens, jai tiré plusieurs coups sur lui. »

                        Remarquez que jai dit « plusieurs coups ».  La plupart des gens qui déchargent leur arme à feu contre un suspect armé ne sauraient dire combien de coups ils ont tirés et hésitent à ladmettre.  Dans un monde où mieux vaut admettre et expliquer, il est crucial de vous laisser une certaine marge de manœuvre dans votre récit pour éviter que lUES ne mette plus tard en doute votre crédibilité ou votre fiabilité.  [Je souligne.]

(G. Clewley, « Officers and the SIU » (2009), 4 The Back‑Up 25)

[75]                          Soyons clairs : il ny a rien de répréhensible à discuter de ces questions. Lavocat compétent a lobligation dinformer son client tant de son devoir public que de ses intérêts personnels. Ainsi que le juge Sharpe la fait observer à juste titre selon moi : [traduction] « Lavocat ne fait que son travail lorsquil fournit à lagent des renseignements sur les éléments constitutifs dune infraction ou dun éventuel moyen de défense prévu en droit » (par. 73).

[76]                          Cest en ce sens que lagent risque de ne pouvoir faire son devoir. Les notes ont pour objet non pas dexpliquer ou de justifier les faits, mais de les exposer, simplement.  Dailleurs, tant que lingéniosité humaine naura pas donné naissance à une technologie qui permet denregistrer ce que lagent perçoit par la vue, louïe, lodorat et le toucher, il faudra se rabattre sur ses notes.  À cet égard, je constate que le manuel de base des agents de lOPP donne les instructions suivantes aux agents :

                    [traduction] Vous devez rédiger vos notes de façon indépendante et à partir de ce dont vous vous souvenez personnellement.  Vos notes constituent votre lien avec le passé.  Elles visent à vous aider à rassembler les faits et les détails et à enregistrer correctement les événements, vos observations et les résultats dans le cadre de vos fonctions générales de service et des enquêtes. [. . .] [V]ous avez la responsabilité de maintenir à jour un relevé de ce que vous avez fait, vu, entendu, senti ou touché pendant votre période de service.

(Ontario Police College, Basic Constable Training Program — Student Workbook (2008), p. 2 (dossier de l’UES, p. 7)) 

[77]                          Loin de moi lidée de prêter de mauvaises intentions aux agents qui cherchent à obtenir des conseils juridiques ou aux avocats qui en donnent.  Il serait tout à fait normal que lagent écoute les conseils judicieux de son avocat, et il ne serait pas étonnant que les notes quil rédige après cette consultation en tiennent compte.  Il existe toutefois en pareil cas un risque réel que lagent sécarte — parfois dune manière apparente, parfois subtilement — dun exposé mécanique des faits — ce quexige son devoir — et se livre plutôt à des explications plus subtiles des causes de lincident (ce qui va à lencontre de ce même devoir).

[78]                          Ce risque nest pas purement théorique. Les notes du sergent intérimaire Pullbrook illustrent bien ce glissement subtil vers une justification de sa conduite.  On trouve au dossier les notes qui relatent le jour du décès par balle (rédigées avec laide dun avocat; d.a., vol. III, p. 537‑564) et celles quil avait prises les deux jours précédents (et quil avait rédigées seul; d.a., vol. III, p. 532‑537).  Les dernières relatent ce que lagent a vu et fait et mentionnent à de nombreuses reprises lheure des faits.  En dautres termes, elles sont conformes sur le plan tant de la forme que du fond au type de notes que lon enseigne aux policiers à prendre dès leur premier jour de formation de base[4].

[79]                          En revanche, les notes prises le jour de lincident ne contiennent aucune mention horaire entre 8 h et 14 h, cest‑à‑dire entre le moment où le sergent intérimaire Pullbrook a commencé sa période de service et celui où les ambulanciers paramédicaux sont arrivés sur la péninsule après les coups de feu.  Les notes témoignent également dune volonté bien claire dexpliquer pourquoi les agents ont tout dabord maîtrisé physiquement M. Schaeffer — avant quil ne résiste et ne brandisse le couteau — et elles sont rédigées à cet égard dans une langue juridique.

[80]                          En bref, les notes du sergent intérimaire Pullbrook ressemblent à sy méprendre à une déclaration étudiée conçue, du moins en partie, pour justifier sa conduite et celle de son collègue, contrairement aux notes qui relatent purement et simplement les faits.  Sans vouloir insinuer quelles sont inexactes ou trompeuses en raison de lintervention de lavocat, je tiens à rappeler que les notes dun agent ne sont pas censées présenter une justification « remaniée par lavocat » de lincident.  Elles visent simplement à rendre compte des faits pour que dautres personnes — le directeur de lUES notamment — puissent déterminer, à leur lecture, les faits survenus. Dans le cas qui nous occupe, le directeur de lUES en a été incapable.

                      (4)    Conclusion sur linterprétation du par. 7(1)

[81]                          Comme je lai fait observer dentrée de jeu, la portée du par. 7(1) doit être interprétée suivant le sens qui sharmonise avec le régime réglementaire.  En lespèce, on nous demande de faire le choix entre deux interprétations possibles : la première permet à lagent de consulter un avocat à létape de la prise de notes, et la seconde ne le permet pas. Comme je viens de lexpliquer, linterprétation suivant laquelle le par. 7(1) permet ce type de consultation est inconciliable avec lobjet du régime législatif, va à lencontre de lintention du législateur lorsquil a adopté la disposition et crée un risque véritable que les agents manquent à lart. 9 du règlement qui exige quils prennent des notes conformément à leur obligation.  Voir dans le par. 7(1) un droit limité de consulter un avocat qui ne sapplique pas à létape de la prise de notes permet toutefois déviter ces trois écueils.  Si lon retient cette interprétation, la disposition sharmonise avec lobjet du régime législatif, lintention du législateur et lobligation de prendre des notes prévue à lart. 9.  Cest précisément ce quexige la méthode moderne dinterprétation législative.  Il sagit donc de linterprétation quil y a lieu de retenir.

E.    Pourvoi incident

[82]                          La Cour dappel a conclu que, bien que le par. 7(1) du règlement ne donne pas aux agents le droit de consulter un avocat pour rédiger leurs notes, il leur reconnaît le droit de recevoir des [traduction] « conseils juridiques de base » quant à la nature de leurs droits et de leurs obligations prévus par le règlement et la Loi avant de rédiger leurs notes.  Suivant cette interprétation, un conseiller juridique pourrait informer lagent quil doit terminer ses notes avant la fin de sa période de service, à moins den être dispensé par le chef de police, et lui expliquer que ses notes seront soumises à ce dernier (par. 81).

[83]                          En toute déférence, je ne suis pas daccord sur cet aspect des motifs de la Cour dappel.  À mon avis, lhistorique de lélaboration du règlement démontre que le par. 7(1) na pas pour objet de donner à lagent le droit de consulter un avocat avant davoir terminé de rédiger ses notes.  Sans vouloir mettre en doute lintégrité des avocats et des agents, je suis davis que même la consultation sommaire quenvisage la Cour dappel risque de causer un « problème dapparences » semblable à celui que jai déjà évoqué.  Comme la consultation initiale est protégée par le secret professionnel, il sera impossible pour le public de savoir ce dont lavocat et le policier auront discuté.  Par conséquent, on risque de cette manière également de miner la confiance du public, bien que dans une moindre mesure.

[84]                          Une consultation initiale qui, à mon avis, ne comporte aucun avantage tangible ne vaut pas la peine débranler la confiance du public.  Les avocats ne peuvent guère aborder effectivement les faits entourant lincident, voire pas du tout.  Aucun échange ne peut non plus porter sur les questions de droit qui découlent des faits.  Selon le modèle proposé par la Cour dappel, lavocat doit se limiter à offrir aux agents des renseignements de base sur leurs droits et leurs obligations prévus par le régime législatif.  Or, ces renseignements peuvent aisément être transmis par des moyens qui noccasionnent pas de problème dapparences.  Ces moyens devraient être abordés lors de la formation de tous les agents.  Sil est nécessaire de rafraîchir la mémoire des agents au sujet de leurs obligations à la suite dun incident ayant donné lieu à une enquête de lUES, il suffirait par exemple de confier cette tâche à un supérieur ou dinsérer une fiche générale dans le carnet de lagent.

[85]                          En fin de compte, les conseils juridiques de base évoqués par la Cour dappel sont essentiellement inutiles, et tout conseil qui pourrait être utile se transforme en champ de mines pour les avocats.  À cet égard, je suis daccord avec les agents pour dire que le modèle proposé par la Cour dappel nest daucune utilité :

                    [traduction] Il est impossible pour lagent de savoir quelle question il est en droit de poser à lavocat et celui‑ci doit naviguer entre les écueils, et laide concrète quil peut fournir à son client est minime, voire inexistante. En fait, les seuls conseils quil a le droit de donner nen sont pas.  La Cour dappel de lOntario a relégué le rôle de lavocat à celui dénumérer les exigences législatives essentielles, au lieu de lui permettre doffrir une aide juridique digne de ce nom.  [Je souligne; m.a., par. 72.]

[86]                          En arrivant à la conclusion que les agents nont pas le droit de consulter un avocat avant davoir terminé de rédiger leurs notes, je reconnais que ceux qui sont intervenus dans un incident traumatisant aient besoin den parler à quelquun.  Si le règlement interdit aux agents de consulter un avocat, il ne leur interdit pas pour autant de faire appel à un médecin, à un professionnel de la santé mentale ou à un supérieur nayant pas assisté à lincident avant de rédiger leurs notes.  En outre, le règlement habilite le chef de police à donner dans ce cas à lagent un délai supplémentaire pour terminer ses notes. (voir par. 9(5)). 

[87]                          Je dois également préciser la portée de ma conclusion.  Une fois ses notes rédigées et soumises au chef de police, lagent peut consulter un avocat, et ce tant avant quaprès lentrevue avec lUES.  La consultation dun avocat à cette étape respecte le libellé clair du par. 7(1) du règlement et ne constitue pas un manquement au devoir de lagent ni ne contrevient à lobjet du régime législatif.

VII.  Dispositif

[88]                          Pour ces motifs, je suis daccord avec la Cour dappel pour dire que la Loi et le règlement ne permettent pas aux agents de police de recourir à lassistance dun avocat pour rédiger leurs notes[5].  À mon humble avis, la Cour dappel a cependant conclu à tort que les agents de police ont le droit de recevoir des conseils juridiques de base au sujet de la nature de leurs droits et de leurs obligations avant de rédiger leurs notes.

[89]                          Je suis par conséquent davis de rejeter le pourvoi, daccueillir le pourvoi incident et de prononcer le jugement déclaratoire suivant en vertu du par. 14.05(3) des Règles de procédure civile :

La Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, ch. P.15, par. 113(9) et le Règl. de lOnt. 267/10, Conduite et obligations des agents de police en ce qui concerne les enquêtes de lUnité des enquêtes spéciales, interdisent aux agents impliqués et aux agents témoins de consulter un avocat tant quils nont pas terminé la rédaction de leurs notes de police et qu’ils ne les ont pas remises au chef de police.

[90]                          La requête en radiation présentée par le directeur de lUES est accueillie. Je suis davis dadjuger les dépens aux familles en ce qui concerne tant le pourvoi que le pourvoi incident, mais de ne prononcer aucune autre ordonnance quant aux dépens.  

                    Version française des motifs des juges LeBel, Fish et Cromwell rendus par

[91]                          Les juges LeBel et Cromwell (dissidents) — Nous avons eu loccasion de prendre connaissance des motifs du juge Moldaver.  Contrairement à lui, nous ne croyons pas quon puisse sen tenir au seul libellé du texte pour résoudre les questions en litige dans la présente affaire.  Toutefois, comme notre collègue, nous reconnaissons que le fait pour un agent de police de demander des conseils juridiques susceptibles dinfluer sur la teneur de ses notes ne se concilierait pas avec son obligation de rédiger de telles notes.  Pour cette raison, nous estimons, à linstar du juge Moldaver, que le présent pourvoi doit être rejeté.  Nous ne sommes cependant pas daccord sur la solution quil adopte pour trancher le pourvoi incident.  À notre avis, le fait pour lagent de consulter un avocat au sujet des éléments bien précis évoqués par la Cour dappel nest pas inconciliable avec le devoir de lagent ou contraire à la loi.  Nous sommes par conséquent davis de rejeter le pourvoi incident. 

[92]                          Nous nous en remettons à lexposé des faits que donne le juge Moldaver dans ses motifs.

I.     Le paragraphe 7(1) ne restreint pas la liberté de consulter un avocat

[93]                          Selon le juge Moldaver, le par. 7(1) du Règl. de lOnt. 267/10, Conduite et obligations des agents de police en ce qui concerne les enquêtes de lUnité des enquêtes spéciales, constitue un code complet régissant le droit du policier à un avocat.  De plus, à son avis, « la teneur du droit à un avocat [est] conféré[e] par une disposition réglementaire » (par. 29).

[94]                          En toute déférence, nous ne partageons pas son opinion.  Le point de départ de lanalyse et de linterprétation du texte se retrouve, selon nous, dans le principe suivant : le policier reste, au même titre que tout autre citoyen, libre dobtenir des conseils juridiques, pourvu que la loi ne le lui interdise pas ou quil ne contrevienne pas ainsi à ses autres obligations et responsabilités.  Envisagé sous cet angle et interprété à la lumière de lensemble du contexte, le règlement ne peut être considéré comme étant un code complet et il ne saurait par conséquent justifier le résultat que propose le juge Moldaver.  Chacun demeure libre de consulter un avocat lorsquil le juge à propos, sauf si cette consultation savère inconciliable avec ses fonctions ou que lexercice dun pouvoir légitime linterdit.  Le seul effet du par. 7(1) est de confirmer le droit de lagent de consulter un avocat à létape de lentrevue dans le cadre de lenquête par lUnité des enquêtes spéciales (« UES »).

[95]                          En effet, le règlement vise à clarifier les droits et les obligations des policiers, ainsi que la procédure de lUES.  Il ne sagit pas dun code complet qui circonscrit la teneur du droit à un avocat au cours de lenquête de lUES ou qui interdit la consultation dun avocat ou d’un représentant dune association de policiers à tout autre moment.  Si le règlement restreint des libertés, la restriction doit ressortir clairement du libellé exprès de la disposition ou de lincompatibilité évidente de cette liberté avec lobjet du règlement.

[96]                          Le règlement était devenu nécessaire, en raison de lincertitude entourant la nature des droits et des obligations des agents de police et la procédure de lUES après la création de celle‑ci en 1990 (voir Consultation Report Concerning Police Cooperation with the Special Investigations Unit (1998) (« rapport Adams de 1998 »), p. 13 et 22‑24).  Ainsi que le juge Moldaver le fait observer, lUES a exercé ses activités pendant des années sans quun règlement nencadre la conduite des policiers lors du déroulement de ses enquêtes.  Cependant, avant lentrée en vigueur du règlement, les policiers ne se trouvaient pas dans ce cas dans un vide juridique.  Bien quil ait créé certaines distinctions juridiques qui nexistaient pas auparavant, le règlement a simplement précisé les droits et les obligations des policiers, que la Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, ch. P.15 — tout comme la common law — prévoyait déjà.  Cest ce que le rapport Adams de 1998 est venu confirmer.  Pour reprendre les propos de lhonorable George Adams :

                    [traduction] En ce qui concerne la collaboration dont on sattend de la part des policiers lors des enquêtes de lUES, la Loi déclare seulement :

 

113(9)        Les membres de corps de police collaborent entièrement avec les membres de lunité au cours des enquêtes.

                    On ne trouve dans la Loi ni dans ses règlements dapplication aucune autre allusion au déroulement des enquêtes de lUES.  Toutefois, les obligations que la Loi et ses règlements dapplication imposent explicitement aux policiers sont libellées en des termes suffisamment généraux pour que tout refus de collaborer avec lUES soit considéré comme étant un manquement à un devoir.  Néanmoins, la portée générale du par. 113(9) et son éventuel rapport avec la Charte canadienne des droits et libertés  ont donné lieu à des différends et à une certaine confusion quant aux obligations précises que cette disposition impose aux agents et aux chefs de police.  [Je souligne; note de bas de page omise; p. 13.]

[97]                          Ce genre de clarification des droits et obligations ne saurait toutefois constituer un code complet.  À elles seules, les dispositions du règlement ne présentent pas lintégralité propre à un code complet.  Les qualifier ainsi revient à minimiser limportance des droits, des obligations et des libertés des policiers et à méconnaître la complexité du cadre juridique qui les fonde et les définit.  Par exemple, lart. 9 oblige les policiers à rédiger des notes, sans toutefois préciser en quoi consiste cette obligation.  Traiter cette disposition comme un cadre complet définissant lobligation de prendre des notes reviendrait à donner aux policiers des paramètres vagues.  Assurément, cette disposition à elle seule ne saurait être interprétée comme un code complet ou une partie dun tel code.

[98]                          Le paragraphe 7(1) est tout aussi laconique.  On ne peut, sans se contredire, affirmer dune part que cette disposition énonce de façon exhaustive le droit de lagent de police de consulter un avocat et, dautre part, laisser entière la question de savoir si lagent de police qui a rédigé ses notes a le droit de consulter un avocat avant (ou après) son entrevue, et sans définir la teneur de ce droit de consultation.  Les motifs de notre collègue sont muets sur ce point.  Lomission dune telle question fondamentale contredit la prétention selon laquelle le règlement constituerait un cadre complet.  La réponse à de telles questions fondamentales exige lexamen des droits et obligations des agents de police, à la lumière de la common law et de lobjectif général de la Loi.  Lexamen du par. 7(1) en vase clos ne suffit pas.

II.    Interprétation correcte du par. 7(1) du règlement et liberté de lagent de police de consulter un avocat

[99]                          Comme notre analyse part du principe de la liberté de consulter un avocat et que nous sommes davis que, pris isolément, le par. 7(1) ne constitue pas un code complet, notre interprétation de la portée de cette disposition diffère de celle du juge Moldaver.  Suivant la méthode moderne dinterprétation législative, il faut lire les termes du par. 7(1) dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui sharmonise avec lesprit de la Loi, lobjet de la Loi et lintention du législateur (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008); Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, p. 41).

[100]                      Le paragraphe 7(1) dispose :

                            Sous réserve du paragraphe (2), lagent de police a le droit de consulter un avocat ou un représentant dune association de policiers et a droit à la présence dun avocat ou dun représentant dune telle association pendant son entrevue avec lUES.

[101]                      Il ressort de son libellé que le par. 7(1) constitue davantage une disposition de nature déclaratoire et positive quune disposition prohibitive.  De plus, il comporte deux volets : il confère le droit de consulter un avocat et le droit à la présence dun avocat lors dune entrevue avec lUES.  Ce libellé nexclut pas les droits dont les policiers jouissent par ailleurs en tant que simples citoyens.  Il confirme en outre que le règlement vise, non pas à étendre ou à supprimer des droits ou des obligations, mais bien à les clarifier.

[102]                      Suivant un autre principe moderne dinterprétation législative, les dispositions dun texte législatif ou réglementaire doivent être interprétées dans leur contexte et en harmonie avec les autres dispositions du texte.  Nous sommes donc conscients de limportance du rapport qui existe entre, dune part, lobligation du policier de prendre des notes au sujet dun incident et, dautre part, son droit de consulter un avocat.  Certes, les policiers doivent prendre des notes indépendantes et détaillées et le faire en temps opportun.  Mais la question qui se pose est celle de savoir si linterprétation correcte commande que lexistence et lexercice de ce devoir excluent toute forme de consultation dun avocat avant la rédaction des notes.

[103]                      La tension potentielle entre le droit de lagent de consulter un avocat et lobligation de lagent de rédiger des notes exhaustives et indépendantes peut être éliminée par une délimitation exacte déterminant comment et quand le droit ne devrait pas être exercé.  À notre avis, le juge Sharpe de la Cour dappel a bien situé cette limite (2011 ONCA 716, 107 O.R. (3d) 721).  Nous sommes daccord avec lui pour affirmer que lagent ne devrait pas être autorisé à consulter un avocat au sujet de la rédaction des notes elles‑mêmes lorsquune telle consultation risque de nuire à leur impartialité.  Le policier ne devrait pas discuter avec lavocat de la teneur et de la rédaction de ses notes, et aucun avocat ne devrait en diriger ou en réviser la rédaction.  Les notes doivent demeurer un récit indépendant des faits par le policier.  Toutefois, linterdiction de toute forme de consultation avant la rédaction des notes constitue une tout autre question.  Cette approche, qui témoigne dune prudence excessive, ne tient pas compte des libertés fondamentales dont lagent de police jouit au même titre que tout autre membre de la société.  Chacun a le droit de consulter un avocat.  Cette liberté traduit également limportance du rôle social que jouent les avocats au sein dun État de droit.  Lavocat représente des gens, communique des renseignements juridiques et donne des conseils.  En sacquittant de ces fonctions, lavocat contribue au maintien de la primauté du droit.  Dailleurs, ces fonctions sont jugées dune telle importance quelles sont souvent protégées par de solides privilèges de confidentialité qui sont liés à nos valeurs fondamentales et à nos droits constitutionnels.  Dans cette optique, nous estimons quil ne faut pas supprimer la liberté de consulter un avocat par le simple jeu dune interprétation étroite du règlement en labsence dune intention claire du législateur en ce sens.  Cette interprétation étroite trahit également une méfiance injustifiée envers les avocats.  On ne peut présumer que les avocats conseilleront à leurs clients de contrevenir à la loi ou de négliger leur devoir envers le public et envers la justice elle‑même.

[104]                      Linterprétation téléologique du par. 7(1) du règlement commande que lon donne effet à la liberté des policiers de consulter un avocat tout en tenant compte de limportance de la mission confiée à lUES, qui vise à favoriser la confiance du public envers la police.  La teneur des notes du policier ne peut être fonction de ses intérêts juridiques personnels.  En ce sens, lavocat doit être conscient dune limite infranchissable sur le plan de léthique : il ne peut faire passer lintérêt de son client avant le devoir public de ce dernier, et les conseils quil prodigue doivent respecter cette limite.  On ne peut présumer que lavocat manquera aux principes déthique ou quil recommandera au policier de faire fi de ses obligations.  Lavocat saura quil ne peut donner de conseils au policier au sujet de la formulation de ses notes ou de leur teneur.  Il sera conscient des limites relativement à la nature des conseils quil peut prodiguer.

III.  Teneur acceptable des consultations juridiques

[105]                      Le juge Sharpe définit bien la teneur des consultations quun agent de police peut avoir avec un avocat avant de rédiger ses notes.  Il reconnaît que lagent a lobligation de rédiger des notes indépendantes et exhaustives en temps utile et que des conseils juridiques de base prodigués au cours dune brève consultation ne portent pas nécessairement atteinte à cette obligation.

[106]                      Le juge Moldaver laisse pour sa part entendre ce qui suit :

                           . . . tout citoyen raisonnable pourrait à juste titre se demander si lagent recourt à lassistance dun avocat à létape de la prise de notes pour laider à sacquitter de ses obligations professionnelles ou sil le fait plutôt dans son intérêt personnel pour parer à la possibilité dune conclusion accablante de la part de lUES à lissue de lenquête.  [par. 50]

[107]                      Toutefois, la norme à appliquer en matière de confiance du public est celle du citoyen raisonnable qui est bien informé « de la philosophie des dispositions législatives, des valeurs consacrées par la Charte  et des circonstances réelles de laffaire » (R. c. Hall, 2002 CSC 64, [2002] 3 R.C.S. 309, par. 41, citant R. c. Nguyen (1997), 119 C.C.C. (3d) 269, p. 274).  Si cette norme sapplique, ce citoyen saura que les notes de lagent ne peuvent être utilisées contre lui au cours de lenquête de lUES.  Cette interdiction découle du libellé du par. 9(3) du règlement et du fait que le procureur général assimile les notes de lagent impliqué à des déclarations involontaires auxquelles sapplique limmunité contre lutilisation de la preuve et de la preuve dérivée.  Le risque que lintérêt personnel du policier lemporte sur son devoir public se révèle par conséquent quelque peu exagéré.  Par conséquent, les préoccupations exprimées au sujet de la confiance du public quant à limpartialité des notes ont plutôt trait au risque que le policier fasse passer lintérêt de ses collègues avant son devoir public.  Mais surtout, il nest pas raisonnable de douter que les avocats respectent les directives claires quant à la teneur des conseils quils peuvent donner.  Pareil scepticisme risque de saper la confiance que lon accorde aux avocats en tant quofficiers de justice.

[108]                      Cependant, lagent de police qui consulte un avocat au sujet de la teneur précise de ses notes risque de compromettre lindépendance de son exposé des faits.  Nous sommes daccord avec le juge Sharpe pour affirmer quun avocat peut légitimement donner le genre de conseils suivants à un policier :

[traduction]

-          lagent doit terminer ses notes au sujet de lincident avant la fin de sa période de service à moins den être dispensé par le chef de police;

-          lavocat ne peut conseiller lagent sur la teneur de ses notes; il doit se contenter de lui rappeler quil doit rendre compte de façon complète et honnête de lincident, daprès ses souvenirs et dans ses propres mots;

-          les notes doivent être soumises au chef de police;

-          si lagent est un agent impliqué, le chef de police ne transmettra pas les notes à lUES;

-          si lagent est un agent témoin, le chef de police transmettra les notes à lUES;

-          lagent devra répondre aux questions des enquêteurs de lUES; il a le droit de consulter un avocat avant son entrevue avec lUES et il a droit à la présence dun avocat au cours de son entrevue.  [par. 81]

Ces éléments donnent un aperçu des étapes et de la procédure suivies au cours dune enquête de lUES.  Il ny a rien de mal à permettre à un agent de police de recevoir ce genre de conseils dun avocat.  Notre collègue laisse entendre que ce type de consultation ne comporte « aucun avantage tangible » (par. 84).  Bien qu’une brève conversation de ce genre à caractère informatif puisse ne pas se révéler aussi utile quune consultation juridique détaillée au sujet des rapports entre les notes de lagent et sa responsabilité éventuelle, elle peut contribuer à rappeler à ce dernier ses obligations en pareilles circonstances et à le mettre plus à laise à la suite dun incident possiblement traumatisant.  Il ne fait aucun doute que des renseignements au sujet des droits et obligations prévus par le régime législatif seraient utiles.

[109]                      Dailleurs, notre collègue reconnaît quil est tout à fait normal que lagent écoute « les conseils judicieux de son avocat » (par. 77).  Nous sommes entièrement daccord avec lui.  Pour cette raison et compte tenu des limites déjà exprimées, nous estimons quil ny a aucun motif raisonnable de craindre quun policier suive les conseils quil reçoit dun avocat.  En outre, aucun motif raisonnable ne justifierait une crainte du public que les avocats ne respectent pas les limites relatives à la nature de la consultation.  Les avocats ont des obligations tant envers le public quenvers le tribunal, et notamment celle dinciter leurs clients à respecter la loi.  Nous renvoyons, à ce propos, aux commentaires de M. Orkin dans son ouvrage Legal Ethics (2e éd. 2011), p. 16 :

[traduction] Il sensuit que lavocat doit veiller au respect de la loi; quil ne devrait pas conseiller à son client de violer la loi ni laider à la violer; [. . .] et quil devrait contribuer à améliorer ladministration de la justice.

. . .

                          . . . Non seulement lavocat a‑t‑il lobligation positive dassurer le respect de la loi, mais il est également tenu de ne pas contourner la loi.

Rien de tout cela nest nouveau dans notre tradition juridique.  Nous nous attendons à ce que les avocats agissent conformément aux règles de déontologie en leur qualité de participants au système de justice.  Comme le juge Estey le déclare dans larrêt Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, p. 211, en citant et en approuvant un extrait des Halsburys Laws of England (4e éd. 1973), vol. 3, par. 1137 :

                    Le « barrister » a envers son client lobligation de soulever sans hésitation tout point, de faire valoir tout argument et de poser toute question, si déplaisant soit‑il, qui peut adéquatement aider, et quil pense pouvoir aider la cause de son client, sans égard aux conséquences déplaisantes éventuelles pour lui‑même ou pour toute autre personne.  Cependant dans lintérêt de ladministration de la justice, le « barrister » a une obligation primordiale envers le tribunal, les normes de sa profession et le public.  Ainsi il ne doit pas induire volontairement le tribunal en erreur; cette obligation prévaut sur celle quil a envers son client.  [Je souligne.]

[110]                      Si, comme nous le croyons, les avocats respectent leurs obligations en matière déthique, le fait de donner des conseils juridiques de base ne saurait contredire lobjectif primordial que vise la surveillance de la police par le public.  Comme nous lavons expliqué, des conseils juridiques sur la teneur des notes du policier risquent toutefois de compromettre lindépendance du récit de lagent et de faire en sorte que lexercice soit axé, non pas sur les faits survenus, mais sur les conséquences juridiques auxquelles lagent sexpose suivant divers scénarios.  Toutefois, la Cour dappel, pour préserver lindépendance de la rédaction des notes, a bien défini la portée des conseils quun agent de police a le droit de recevoir sil choisit de consulter un avocat.  Seules les libertés qui sont expressément écartées ou qui sont inconciliables avec les objectifs de la Loi ou le devoir du policier devraient être restreintes.  Rien ne justifie de supprimer entièrement la liberté des agents de police de consulter un avocat.

[111]                      Pour ces motifs, nous sommes davis de rejeter le pourvoi ainsi que le pourvoi incident.

                    Pourvoi rejeté et pourvoi incident accueilli, les juges LeBel, Fish et Cromwell sont dissidents quant au pourvoi incident.

                    Procureurs des appelants/intimés au pourvoi incident : Greenspan Humphrey Lavine, Toronto.

                    Procureurs des intimées/appelantes au pourvoi incident Ruth Schaeffer, Evelyn Minty et Diane Pinder : Falconer Charney, Toronto.

                    Procureurs de l’intimé/appelant au pourvoi incident Ian Scott, directeur de l’Unité des enquêtes spéciales : Sack Goldblatt Mitchell, Toronto.

                    Procureur de l’intimé/intimé au pourvoi incident Julian Fantino, commissaire de la Police provinciale de l’Ontario : Ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels, Orillia, Ontario.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Gowling Lafleur Henderson, Ottawa.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique : Fasken Martineau DuMoulin, Vancouver.

                    Procureur de l’intervenante Aboriginal Legal Services of Toronto Inc. : Aboriginal Legal Services of Toronto Legal Clinic, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario) : Webber Schroeder Goldstein Abergel, Ottawa.

                    Procureur de l’intervenant Richard Rosenthal, Chief Civilian Director of the Independent Investigations Office of British Columbia : Independent Investigations Office of British Columbia, Surrey.

                    Procureurs de l’intervenante l’Alliance urbaine sur les relations interraciales : Stevensons, Toronto.

                    Procureur des intervenantes l’Association canadienne des policiers et Police Association of Ontario : David B. Butt, Toronto.

 



[1] Le nouveau règlement ajoute deux paragraphes à larticle premier, clarifie le par. 8(2), élargit la portée de linterdiction prévue à lart. 12 en ce qui concerne la divulgation par la police de renseignements sur lenquête de lUES et ajoute la traduction des termes définis, ainsi que quelques notes marginales.  Exception faite de ces modifications, le nouveau texte reprend intégralement le règlement 673/98.

[2]   Le rapport de M. LeSage nexplique pas ses recommandations.  Sa quatrième recommandation ne concerne pas la question en litige.

 

[3]   Au moins une juridiction inférieure a toutefois examiné attentivement la question et est arrivée à cette conclusion; voir R. c. Bailey, 2005 ABPC 61, 49 Alta. L.R. (4th) 128, par. 42. Dautres tribunaux ont simplement affirmé que cette obligation existait, sans approfondir lanalyse; voir, p. ex., R. c. Zack, [1999] O.J. No. 5747 (QL) (C.J.), par. 6; R. c. Stewart, 2012 ONCJ 298 (CanLII), par. 28. Je relève que la Cour a récemment fait observer que « les policiers devraient [. . .] prendre des notes sur la façon dont la fouille est effectuée, sauf en cas de situations pressantes ou inhabituelles » (R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657, par. 70).

[4]   Si lon fait abstraction du cas des enquêtes menées par lUES, on ne trouve au dossier aucun élément de preuve permettant de penser que les policiers cherchent à obtenir des conseils juridiques avant de préparer leurs notes dans dautres contextes.  Ce nest pas étonnant.  Les agents savent comment rédiger leurs notes conformément à leur obligation.

[5]   Il convient de signaler que le par. 7(1) reconnaît le droit de consulter un avocat ou un représentant dune « association de policiers ».  Les arguments qui ont été plaidés devant notre Cour portaient sur le droit à un avocat. On na pratiquement fait aucune mention du rôle des représentants dassociations de policiers, et la Cour dappel naborde pas cette question dans son ordonnance.  À défaut délément ou dargument concernant le rôle de ces représentants, je limite donc ma conclusion au droit à un avocat. Il ne fait aucun doute toutefois que, dans la mesure où le représentant dune association de policiers jouerait un rôle semblable à celui dun avocat, ma conclusion vaut tout autant.

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