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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87

Date : 20140123

Dossier : 34641

 

Entre :

Robert Hryniak

Appelant

et

Fred Mauldin, Dan Myers, Robert Blomberg, Theodore Landkammer, Lloyd Chelli, Stephen Yee, Marvin Cleair, Carolyn Cleair, Richard Hanna, Douglas Laird, Charles Ivans, Lyn White et Athena Smith

Intimés

- et -

Ontario Trial Lawyers Association et Association du Barreau canadien

Intervenantes

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 96)

La juge Karakatsanis (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell et Wagner)

 

 

 


Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87

Robert Hryniak                                                                                                Appelant

c.

Fred Mauldin, Dan Myers, Robert Blomberg,

Theodore Landkammer, Lloyd Chelli, Stephen Yee,

Marvin Cleair, Carolyn Cleair, Richard Hanna, Douglas

Laird, Charles Ivans, Lyn White et Athena Smith                                          Intimés

et

Ontario Trial Lawyers Association et

Association du Barreau canadien                                                            Intervenantes

Répertorié : Hryniak c. Mauldin

2014 CSC 7

No du greffe : 34641.

2013 : 26 mars; 2014 : 23 janvier.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

                    Procédure civile — Jugement sommaire — Investisseur intentant une action pour fraude civile et présentant ensuite une requête en jugement sommaire — Requête en jugement sommaire accueillie — Objectif des requêtes en jugement sommaire — Accès à la justice — Proportionnalité — Interprétation des modifications récentes apportées aux Règles de procédure civile de l’Ontario — Ordonnances de gestion de l’instance — Norme de contrôle applicable aux requêtes en jugement sommaire — Le juge saisi de la requête a‑t‑il commis une erreur en accueillant la requête en jugement sommaire? — Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, règle 20.

                    Au mois de juin 2001, deux représentants d’un groupe d’investisseurs américains ont rencontré H et d’autres personnes afin de discuter d’une possibilité d’investissement.  Le groupe a viré 1,2 million de dollars américains et cette somme a été mise en commun avec d’autres fonds et transférée à Tropos, la société de H.  Quelques mois plus tard, Tropos a transféré plus de 10 millions de dollars américains à une banque étrangère et l’argent a disparu.  Les investisseurs ont intenté contre H et d’autres personnes une action pour fraude civile et ont ensuite présenté une requête en jugement sommaire.  Le juge saisi de la requête a exercé les pouvoirs que lui confère le par. 20.04(2.1) des Règles de procédure civile de l’Ontario (modifiées en 2010) pour apprécier la preuve, évaluer la crédibilité et tirer des conclusions.  Il a conclu que la tenue d’un procès n’était pas nécessaire dans l’instance intentée contre H.  Bien qu’elle ait conclu que cette affaire ne se prêtait pas à un jugement sommaire, la Cour d’appel était convaincue que le dossier étayait la conclusion selon laquelle H avait commis le délit de fraude civile à l’endroit des investisseurs et elle a par conséquent rejeté l’appel de H.

                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

                    Notre système de justice civile repose sur le principe que le processus décisionnel doit être juste et équitable.  Ce principe ne souffre aucun compromis.  Or, les formalités excessives et les procès interminables occasionnant des dépenses et des délais inutiles peuvent faire obstacle au règlement juste et équitable des litiges.  Si la procédure est disproportionnée par rapport à la nature du litige et aux intérêts en jeu, elle n’aboutira pas à un résultat juste et équitable.

                    Un virage culturel s’impose.  Le principe de la proportionnalité trouve aujourd’hui son expression dans les règles de procédure de nombreuses provinces et peut constituer la pierre d’assise de l’accès au système de justice civile.  Le principe de la proportionnalité veut que le meilleur forum pour régler un litige ne soit pas toujours celui dont la procédure est la plus laborieuse.  La requête en jugement sommaire offre une possibilité de simplifier les procédures préalables au procès et d’insister moins sur la tenue d’un procès conventionnel et plus sur des procédures proportionnées et adaptées aux besoins de chaque affaire.  Les règles régissant les jugements sommaires doivent recevoir une interprétation large et propice à la proportionnalité et à l’accès équitable à un règlement abordable, expéditif et juste des demandes.

                    La règle 20 a été modifiée en 2010 afin d’améliorer l’accès à la justice.  Ces réformes incarnent l’évolution des règles régissant les jugements sommaires, lesquelles passent du statut d’outil à usage très restreint visant à écarter les demandes ou défenses manifestement dénuées de fondement à celui de solution de rechange légitime pour trancher et régler les litiges d’ordre juridique.  Les juges disposent ainsi de nouveaux outils importants qui leur permettent de trancher plus de litiges sur requête en jugement sommaire et qui atténuent les risques lorsque pareille requête ne permet pas de trancher l’affaire dans son ensemble.  Les nouveaux pouvoirs prévus aux par. 20.04(2.1) et (2.2) des Règles augmentent le nombre d’affaires qui ne soulèvent pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès en permettant au juge saisi d’une requête d’apprécier la preuve, d’évaluer la crédibilité et de tirer des conclusions raisonnables.

                    La requête en jugement sommaire doit être accueillie dans tous les cas où il n’existe pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès.  Il n’existe pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès lorsque le juge est en mesure de statuer justement et équitablement au fond sur une requête en jugement sommaire.  Ce sera le cas lorsque la procédure (1) permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, (2) lui permet d’appliquer les règles de droit aux faits et (3) constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste.

                    Le juge saisi d’une requête en jugement sommaire peut exercer les nouveaux pouvoirs en matière de recherche des faits que lui confère la règle 20.04 à moins qu’il ne soit dans l’intérêt de la justice de ne les exercer que lors d’un procès.  Lorsqu’il permettrait au juge de trancher une demande de manière juste et équitable, l’exercice des nouveaux pouvoirs serait généralement dans l’intérêt de la justice.  Le pouvoir d’entendre des témoignages oraux devrait être exercé lorsqu’il permet au juge de rendre une décision juste et équitable sur le fond et que son exercice constitue la marche à suivre proportionnée.  Ce sera plus probablement le cas lorsque le témoignage oral requis est succinct, mais dans certains cas, la requête en jugement sommaire comportera l’audition de longs témoignages oraux.  La partie qui cherche à présenter des témoignages oraux doit être prête à démontrer en quoi ils aideraient le juge saisi de la requête et à fournir un exposé de la preuve proposée afin de permettre au juge d’établir la portée de ces témoignages oraux.

                    Lors de l’audition d’une requête en jugement sommaire aux termes de la règle 20.04, le juge devrait en premier lieu décider, compte tenu uniquement de la preuve dont il dispose et sans recourir aux nouveaux pouvoirs en matière de recherche des faits, s’il existe une véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès.  Il n’y aura pas de question de ce genre si la procédure de jugement sommaire fournit au juge la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige et constitue une procédure expéditive, abordable et proportionnée selon l’al. 20.04(2)a) des Règles.  S’il semble y avoir une véritable question nécessitant la tenue d’un procès, le juge devrait alors déterminer si l’exercice des nouveaux pouvoirs prévus aux par. 20.04(2.1) et (2.2) des Règles permettra d’écarter la nécessité d’un procès.  L’exercice de ces pouvoirs ne sera pas contraire à l’intérêt de la justice s’il aboutit à un résultat juste et équitable et permettra d’atteindre les objectifs de célérité, d’accessibilité économique et de proportionnalité, compte tenu du litige dans son ensemble.

                    Qu’elle soit rejetée ou même accueillie en partie, la requête en jugement sommaire occasionne des frais et des délais additionnels.  Le juge peut toutefois atténuer ce risque en exerçant la compétence inhérente du tribunal et les pouvoirs de gestion de l’instance prévus à la règle 20.05.  Ces pouvoirs permettent au juge de mettre à profit les connaissances acquises lors de l’audition de la requête en jugement sommaire pour élaborer une procédure d’instruction de nature à régler le litige en tenant compte de la complexité et de l’importance de la question soulevée, de la somme en jeu et des efforts déployés lors de l’instruction de la requête rejetée.  Le juge qui rejette une requête en jugement sommaire devrait également se saisir de l’instance à titre de juge du procès à moins que des raisons impérieuses l’en empêchent.

                    En l’absence d’une erreur de droit, l’exercice des pouvoirs que confère la nouvelle règle relative au jugement sommaire commande la retenue.  Lorsque le juge saisi d’une requête exerce les nouveaux pouvoirs en matière de recherche des faits que lui confère le par. 20.04(2.1) des Règles et détermine s’il existe une véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès, il s’agit d’une question mixte de fait et de droit et sa décision ne doit pas être infirmée en l’absence d’erreur manifeste et dominante.  De même, la décision quant à savoir s’il est dans l’intérêt de la justice que le juge saisi d’une requête exerce les nouveaux pouvoirs en matière de recherche des faits prévus au par. 20.04(2.1) des Règles constitue également une question mixte de fait et de droit qui commande la retenue.

                    Le juge saisi de la requête n’a pas eu tort de rendre un jugement sommaire en l’espèce.  Le délit de fraude civile comporte quatre éléments dont il faut prouver l’existence selon la prépondérance des probabilités : (1) une fausse déclaration du défendeur; (2) une certaine connaissance de la fausseté de la déclaration de la part du défendeur (connaissance ou insouciance); (3) le fait que la fausse déclaration a amené le demandeur à agir; (4) le fait que les actes du demandeur ont entraîné une perte.  Lorsqu’il a prononcé contre H un jugement sommaire en faveur du groupe, le juge saisi de la requête n’a pas traité explicitement du critère qu’il convient d’appliquer à la fraude civile mais ses conclusions suffisent pour établir la cause d’action.  Le juge saisi de la requête a conclu qu’il n’existait pas d’élément de preuve crédible à l’appui de la prétention de H selon laquelle ce dernier était un courtier légitime et l’issue était donc claire; ainsi le juge a conclu qu’il n’y avait pas de question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès.  L’exercice, par le juge, de ses pouvoirs en matière de recherche des faits n’allait pas à l’encontre de l’intérêt de la justice, et sa décision discrétionnaire d’exercer ces pouvoirs n’était pas non plus entachée d’erreur.

Jurisprudence

                    Arrêts mentionnés : Bruno Appliance and Furniture, Inc. c. Hryniak, 2014 CSC 8, [2014] 1 R.C.S. 126; Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46; Medicine Shoppe Canada Inc. c. Devchand, 2012 ABQB 375, 541 A.R. 312; Saturley c. CIBC World Markets Inc., 2011 NSSC 4, 297 N.S.R. (2d) 371; Szeto c. Dwyer, 2010 NLCA 36, 297 Nfld. & P.E.I.R. 311; Bal Global Finance Canada Corp. c. Aliments Breton (Canada) inc., 2010 QCCS 325 (CanLII); Vaughan c. Warner Communications, Inc. (1986), 56 O.R. (2d) 242; Canada (Procureur général) c. Lameman, 2008 CSC 14, [2008] 1 R.C.S. 372; Aguonie c. Galion Solid Waste Material Inc. (1998), 38 O.R. (3d) 161; Dawson c. Rexcraft Storage and Warehouse Inc. (1998), 164 D.L.R. (4th) 257; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.

Lois et règlements cités

Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C‑25, art. 4.2, 54.1 et suiv., 165(4).

Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, règles 1.04(1), (1.1), 1.05, 20, 20.04(2)a), (2.1), (2.2), 20.05, 20.06a).

Supreme Court Civil Rules, B.C. Reg. 168/2009, règle 13(2).

Doctrine et autres documents cités

Agrast, Mark David, Juan Carlos Botero and Alejandro Ponce.  World Justice Project Rule of Law Index 2011.  Washington, D.C. : World Justice Project, 2011.

Ontario.  Ministère du procureur général.  Projet de réforme du système de justice civile : Résumé des conclusions et des recommandations.  Toronto : Le ministère, 2007.

Walsh, Teresa, and Lauren Posloski.  « Establishing a Workable Test for Summary Judgment : Are We There Yet? », in Todd L. Archibald and Randall Scott Echlin, eds., Annual Review of Civil Litigation 2013.  Toronto : Thomson Carswell, 2013, 419.

           POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (le juge en chef Winkler et les juges Laskin, Sharpe, Armstrong et Rouleau), 2011 ONCA 764, 108 O.R. (3d) 1, 286 O.A.C. 3, 97 C.C.E.L. (3d) 25, 14 C.P.C. (7th) 242, 13 R.P.R. (5th) 167, 93 B.L.R. (4th) 1, 344 D.L.R. (4th) 193, 10 C.L.R. (4th) 17, [2011] O.J. No. 5431 (QL), 2011 CarswellOnt 13515 (sub nom. Combined Air Mechanical Services Inc. c. Flesch), qui a confirmé une décision du juge Grace, 2010 ONSC 5490, [2010] O.J. No. 4661 (QL), 2010 CarswellOnt 8325.  Pourvoi rejeté.

                    Sarit E. Batner, Brandon Kain et Moya J. Graham, pour l’appelant.

                    Javad Heydary, Jeffrey D. Landmann, David K. Alderson, Michelle Jackson et Jonathan A. Odumeru, pour les intimés.

                    Allan Rouben et Ronald P. Bohm, pour l’intervenante Ontario Trial Lawyers Association.

                    Paul R. Sweeny et David Sterns, pour l’intervenante l’Association du Barreau canadien.

                    Version française du jugement de la Cour rendu par

[1]                              La juge KarakatsanisDe nos jours, garantir l’accès à la justice constitue le plus grand défi à relever pour assurer la primauté du droit au Canada.  Les procès sont de plus en plus coûteux et longs.  La plupart des Canadiens n’ont pas les moyens d’intenter une action en justice lorsqu’ils subissent un préjudice ou de se défendre lorsqu’ils sont poursuivis; ils n’ont pas les moyens d’aller en procès.  À défaut de moyens efficaces et accessibles de faire respecter les droits, la primauté du droit est compromise.  L’évolution de la common law ne peut se poursuivre si les affaires civiles ne sont pas tranchées en public.

[2]                              On reconnaît de plus en plus qu’un virage culturel s’impose afin de créer un environnement favorable à l’accès expéditif et abordable au système de justice civile.  Ce virage implique que l’on simplifie les procédures préalables au procès et que l’on insiste moins sur la tenue d’un procès conventionnel et plus sur des procédures proportionnées et adaptées aux besoins de chaque affaire.  L’équilibre entre la procédure et l’accès à la justice qu’établit notre système de justice doit en venir à refléter la réalité contemporaine et à reconnaître que de nouveaux modèles de règlement des litiges peuvent être justes et équitables.

[3]                              La requête en vue d’obtenir un jugement sommaire offre une occasion d’atteindre ces objectifs.  À la suite du rapport de 2007 intitulé Projet de réforme du système de justice civile : Résumé des conclusions et des recommandations (le rapport Osborne), l’Ontario a modifié ses Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194 (les Règles de l’Ontario ou les Règles) afin d’améliorer l’accès à la justice.  Le présent pourvoi et le pourvoi connexe, Bruno Appliance and Furniture, Inc. c. Hryniak, 2014 CSC 8, [2014] 1 R.C.S. 126, portent sur l’interprétation correcte de la règle 20 (requête en jugement sommaire) modifiée.

[4]                              Lorsqu’elle a interprété les dispositions de cette règle, la Cour d’appel de l’Ontario a accordé trop d’importance à la « pleine appréciation » que l’on peut faire de la preuve lors d’un procès conventionnel, étant donné que pareil procès ne constitue pas une solution de rechange réaliste pour la plupart des parties à un litige.  À mon avis, la tenue d’un procès n’est pas nécessaire si une requête en jugement sommaire peut déboucher sur une décision juste et équitable, si elle offre un processus qui permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, d’appliquer les règles de droit à ces faits et si elle constitue, par rapport au procès, un moyen proportionné, plus expéditif et moins onéreux d’arriver à un résultat juste.

[5]                              Je conclus à cette fin que les règles régissant les jugements sommaires doivent recevoir une interprétation large et propice à la proportionnalité et à l’accès équitable à un règlement abordable, expéditif et juste des demandes.

[6]                              Comme l’a indiqué la Cour d’appel, le recours inapproprié à la requête en jugement sommaire occasionne lui‑même des frais et des délais.  Or, le juge peut atténuer ces risques en exerçant ses pouvoirs de gérer et de circonscrire la procédure et, si possible, en demeurant saisi de l’instance.

[7]                              Bien que mon interprétation de la règle 20 diffère en partie de celle de la Cour d’appel, je souscris à sa décision en l’espèce et je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

I.          Les faits

[8]                              Il y a plus de 10 ans, un groupe d’investisseurs américains, dirigé par Fred Mauldin (le Groupe Mauldin), ont confié leur argent à des « courtiers » canadiens.  Robert Hryniak était le dirigeant de la société Tropos Capital Inc., qui faisait le commerce des obligations et des titres de créance; Gregory Peebles, un avocat spécialisé en droit des sociétés et en droit commercial (ancien avocat du cabinet Cassels Brock & Blackwell), représentait M. Hryniak, Tropos et Robert Cranston, l’ancien dirigeant d’une société panaméenne, Frontline Investments Inc.

[9]                              Au mois de juin 2001, deux membres du Groupe Mauldin ont rencontré MM. Cranston, Peebles et Hryniak pour discuter d’une possibilité d’investissement.

[10]                          À la fin juin 2001, le Groupe Mauldin a viré 1,2 million de dollars américains à Cassels Brock; cette somme a été mise en commun avec d’autres fonds et transférée à Tropos.  Quelques mois plus tard, Tropos a transféré plus de 10 millions de dollars américains à une banque étrangère et l’argent a disparu.  M. Hryniak soutient qu’à ce stade, les fonds appartenant à Tropos, y compris ceux versés par le Groupe Mauldin, ont été dérobés.

[11]                          À part un paiement modique de 9 600 dollars américains versé en février 2002, le Groupe Mauldin a perdu son placement.

II.       Historique judiciaire

A.       Cour supérieure de justice de l’Ontario, 2010 ONSC 5490 (CanLII)

[12]                          Le Groupe Mauldin s’est joint à Bruno Appliance and Furniture, Inc. (l’appelante dans le pourvoi connexe) en vue d’intenter une action pour fraude civile contre M. Hryniak, M. Peebles et Cassels Brock.  Ils ont présenté des requêtes en jugement sommaire qui ont été instruites ensemble.

[13]                          Lors de l’audition des requêtes, le juge a exercé les pouvoirs que lui confère le nouveau par. 20.04(2.1) des Règles pour apprécier la preuve, évaluer la crédibilité des témoins et tirer des conclusions de la preuve.  Il a conclu que les fonds du Groupe Mauldin avaient été versés par Cassels Brock à la société de M. Hryniak, Tropos, mais qu’aucune preuve ne tendait à démontrer que Tropos ait jamais établi un programme de transaction de titres.  Contrairement à la stratégie de placement que M. Hryniak avait présentée aux investisseurs, les fonds du Groupe Mauldin ont été placés dans un compte ouvert à une banque étrangère, la New Savings Bank, pour ensuite disparaître.  Le juge a rejeté la prétention de M. Hryniak que des employés de la New Savings Bank avaient dérobé les fonds du Groupe Mauldin.

[14]                          Le juge saisi de la requête a conclu que la tenue d’un procès n’était pas nécessaire dans l’instance à l’égard de M. Hryniak.  Toutefois, il a rejeté la requête du Groupe Mauldin visant à obtenir un jugement sommaire contre M. Peebles parce que cette demande soulevait des questions de fait, particulièrement en ce qui concerne la crédibilité de M. Peebles et sa participation à une réunion importante, questions qui nécessitaient la tenue d’un procès.  Par conséquent, il a rejeté également la requête visant à obtenir un jugement sommaire contre Cassels Brock, puisque les demandes en cause reposaient sur la thèse selon laquelle ce cabinet était responsable du fait d’autrui pour la conduite de M. Peebles.

B.       Cour d’appel de l’Ontario, 2011 ONCA 764, 108 O.R. (3d) 1

[15]                          La Cour d’appel a entendu en même temps l’appel interjeté par M. Hryniak, l’appel connexe contre Bruno Appliance et trois autres affaires dont notre Cour n’est pas saisie.  C’était la première occasion pour la Cour d’appel d’examiner la nouvelle règle 20.

[16]                          La Cour d’appel a énoncé un critère préliminaire applicable pour déterminer dans quelles circonstances un juge saisi d’une requête peut exercer les nouveaux pouvoirs en matière de preuve prévus au par. 20.04(2.1) des Règles pour rendre un jugement sommaire en vertu de l’al. 20.04(2)a).  Selon ce critère, « l’intérêt de la justice » exige que les nouveaux pouvoirs ne soient exercés que lors d’un procès, sauf si un juge saisi d’une requête peut procéder à la « pleine appréciation » de la preuve et des questions en litige qui s’impose pour tirer des conclusions décisives sur une requête en jugement sommaire.  Le juge saisi de la requête doit déterminer si les avantages qu’offre la tenue d’un procès, notamment la possibilité d’entendre et d’observer les témoins, de faire présenter les éléments de preuve sous forme de récit et de participer soi‑même à la recherche des faits, sont nécessaires pour apprécier pleinement la preuve au dossier.

[17]                          Selon la Cour d’appel, il ne convient pas en général de trancher de cette manière les affaires qui exigent du tribunal qu’il tire de multiples conclusions de fait, dans lesquelles plusieurs témoins ont fait des dépositions contradictoires et dont le dossier est volumineux.  À l’inverse, les affaires qui se prêtent bien au jugement sommaire sont celles dans lesquelles les documents occupent une place prépondérante; il y a peu de témoins et les questions de fait litigieuses sont limitées.

[18]                          La Cour d’appel a conseillé aux juges saisis d’une requête d’exercer le pouvoir d’entendre des témoignages oraux, aux termes du par. 20.04(2.2) des Règles, et de n’entendre qu’un nombre restreint de témoins sur des questions distinctes qui sont déterminantes pour l’issue de l’affaire.

[19]                          La Cour d’appel a conclu que l’action intentée par le Groupe Mauldin était du type de celles qui nécessitent généralement la tenue d’un procès, compte tenu de la complexité des faits en cause et de son dossier volumineux.  L’action exigeait l’audition de nombreux témoins, l’examen de plusieurs thèses relatives à la responsabilité de multiples défendeurs, l’examen de questions importantes de crédibilité et il n’y avait pas d’éléments de preuve documentaire fiables.  De plus, puisque MM. Hryniak et Peebles avaient présenté des demandes entre défendeurs et qu’un procès serait néanmoins nécessaire contre les autres défendeurs, le jugement sommaire ne favoriserait pas le principe d’un meilleur accès à la justice, la proportionnalité et les économies.

[20]                          Bien qu’elle ait conclu que la présente affaire ne se prêtait pas à un jugement sommaire, la Cour d’appel était convaincue que le dossier étayait la conclusion selon laquelle M. Hryniak avait commis le délit de fraude civile à l’endroit du Groupe Mauldin et elle a par conséquent rejeté l’appel de M. Hryniak.

III.    Aperçu

[21]                          Pour établir les principes généraux applicables en matière de jugement sommaire, je me pencherai d’abord sur les valeurs qui sous‑tendent l’accès expéditif, abordable et équitable à la justice.  J’examinerai ensuite de façon générale le rôle de la requête en jugement sommaire et, plus particulièrement, l’interprétation de la règle 20.  J’examinerai alors les outils judiciaires précis de gestion des risques posés par la requête en jugement sommaire.

[22]                          Enfin, j’examinerai la norme de contrôle applicable et la question de savoir s’il y avait lieu de rendre un jugement sommaire en faveur des intimés.

IV.    Analyse

A.       Accès au système de justice civile : un virage culturel nécessaire

[23]                          Le présent pourvoi traite des valeurs et des choix à la base de notre système de justice civile, ainsi que de la faculté, pour les Canadiens ordinaires, d’avoir accès à ce système.  Notre système de justice civile repose sur le principe que le processus décisionnel doit être juste et équitable.  Ce principe ne souffre aucun compromis.

[24]                          Or, les formalités excessives et les procès interminables occasionnant des dépenses et des délais inutiles peuvent faire obstacle au règlement juste et équitable des litiges.  La tenue d’un procès complet est devenue largement illusoire parce que, sans une contribution financière de l’État[1], les Canadiens ordinaires n’ont pas les moyens d’avoir accès au règlement judiciaire des litiges civils[2].  Les coûts et les délais associés au processus traditionnel font en sorte que, comme l’a mentionné l’avocat de l’intervenante Advocates’ Society (dans Bruno Appliance) à l’audition du présent pourvoi, le procès prive les gens ordinaires de la possibilité de faire trancher le litige.  Alors que l’instruction d’une action en justice est depuis longtemps considérée comme une mesure de dernier recours, d’autres mécanismes de règlement des litiges, comme la médiation et la transaction, sont davantage susceptibles de donner des résultats justes et équitables lorsque la décision judiciaire demeure une solution de rechange réaliste.

[25]                          Le règlement expéditif des litiges par les tribunaux permet aux personnes concernées d’aller de l’avant.  Toutefois, lorsque les coûts et les délais judiciaires deviennent excessifs, les gens cherchent d’autres solutions ou renoncent tout simplement à obtenir justice.  Ils décident parfois de se représenter eux‑mêmes, ce qui entraîne souvent d’autres difficultés en raison de leur méconnaissance du droit.

[26]                          Dans certains milieux, l’arbitrage privé est de plus en plus considéré comme une solution de rechange à un processus judiciaire lent.  Or, ce n’est pas la solution : en l’absence d’un forum public accessible pour faire trancher les litiges, la primauté du droit est compromise et l’évolution de la common law, freinée.

[27]                          Les solutions de rechange au règlement des différents recueillent de plus en plus d’appuis et il se dégage un consensus sur le fait que l’équilibre traditionnel entre les longues procédures préalables au procès et le procès conventionnel ne correspond plus à la réalité actuelle et doit être rajusté.  L’atteinte d’un juste équilibre exige la mise en place de procédures de règlement des litiges simplifiées et proportionnées, et influe sur le rôle des avocats et des juges.  Il faut reconnaître par cet équilibre qu’un processus peut être juste et équitable sans entraîner les dépenses et les délais propres au procès, et que les autres modèles de règlement des litiges sont aussi légitimes que le procès conventionnel.

[28]                          Un virage culturel s’impose.  L’objectif principal demeure le même : une procédure équitable qui aboutit au règlement juste des litiges.  Une procédure juste et équitable doit permettre au juge de dégager les faits nécessaires au règlement du litige et d’appliquer les principes juridiques pertinents aux faits établis.  Or, cette procédure reste illusoire si elle n’est pas également accessible — soit proportionnée, expéditive et abordable.  Le principe de la proportionnalité veut que le meilleur forum pour régler un litige ne soit pas toujours celui dont la procédure est la plus laborieuse.

[29]                          De toute évidence, il existe toujours un certain tiraillement entre l’accessibilité et la fonction de recherche de la vérité, mais, tout comme l’on ne s’attend pas à la tenue d’un procès avec jury dans le cas d’une contravention de stationnement contestée, les procédures en place pour trancher des litiges civils doivent être adaptées à la nature de la demande.  Si la procédure est disproportionnée par rapport à la nature du litige et aux intérêts en jeu, elle n’aboutira pas à un résultat juste et équitable.

[30]                          Le principe de la proportionnalité trouve aujourd’hui son expression dans les règles de procédure de nombreuses provinces et peut constituer la pierre d’assise de l’accès au système de justice civile[3].  Par exemple, les par. 1.04(1) et (1.1) des Règles de l’Ontario prévoient ce qui suit :

                        1.04 (1)  Les présentes règles doivent recevoir une interprétation large afin d’assurer la résolution équitable sur le fond de chaque instance civile, de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse.

                        (1.1)  Lorsqu’il applique les présentes règles, le tribunal rend des ordonnances et donne des directives qui sont proportionnées à l’importance et au degré de complexité des questions en litige ainsi qu’au montant en jeu dans l’instance.

[31]                          Même si la proportionnalité n’est pas expressément codifiée, l’application de règles de procédure qui font intervenir un pouvoir discrétionnaire [traduction] « englobe [. . .] un principe sous‑jacent de proportionnalité, selon lequel il faut tenir compte de l’opportunité de la procédure, de son coût, de son incidence sur le litige et de sa célérité, selon la nature et la complexité du litige » : Szeto c. Dwyer, 2010 NLCA 36, 297 Nfld. & P.E.I.R. 311, par. 53.

[32]                          Ce virage culturel oblige les juges à gérer activement le processus judiciaire dans le respect du principe de la proportionnalité.  La requête en jugement sommaire peut permettre d’économiser temps et ressources, mais, à l’instar de la plupart des procédures préalables au procès, elle peut ralentir l’instance si elle est utilisée de manière inappropriée.  Bien que les juges puissent contribuer à la réduction de ce risque, et devraient le faire, les avocats doivent, conformément aux traditions de leur profession, agir de manière à faciliter plutôt qu’à empêcher l’accès à la justice.  Ils devraient ainsi tenir compte des moyens limités de leurs clients et de la nature de leur dossier et élaborer des moyens proportionnés d’arriver à un résultat juste et équitable.

[33]                          Une demande complexe peut comporter un dossier volumineux et exiger un investissement important en temps et en argent.  Toutefois, la proportionnalité est forcément de nature comparative; même les procédures lentes et coûteuses peuvent s’avérer proportionnées lorsqu’elles constituent la solution la plus rapide et la plus efficace.  La question est de savoir si les frais et les délais additionnels occasionnés par la recherche des faits lors du procès sont essentiels à un processus décisionnel juste et équitable.

B.       Requêtes en jugement sommaire

[34]                          La requête en jugement sommaire constitue un outil important pour faciliter l’accès à la justice parce qu’elle peut offrir une solution de rechange au procès complet plus abordable et plus rapide que celui‑ci.  À l’exception du Québec, toutes les provinces prévoient dans leurs règles de procédure civile respectives des dispositions relatives au jugement sommaire[4].  En règle générale, le tribunal peut rendre un jugement sommaire si aucune véritable question litigieuse ne requiert un procès.

[35]                          La règle 20 énonce la procédure de jugement sommaire à suivre en Ontario; une partie peut demander, par voie de requête, un jugement sommaire accueillant ou rejetant en totalité ou en partie la demande.  Bien que la règle 20 de l’Ontario aille en quelque sorte plus loin que d’autres règles applicables ailleurs au pays, les valeurs et les principes sur lesquels repose son interprétation sont d’application générale.

[36]                          Afin d’améliorer l’accès à la justice, la règle 20 a été modifiée en 2010 suivant les recommandations formulées dans le rapport Osborne.  Ces réformes incarnent l’évolution des règles régissant les jugements sommaires, lesquelles passent du statut d’outil à usage très restreint visant à écarter les demandes ou défenses manifestement dénuées de fondement à celui de solution de rechange légitime pour trancher et régler les litiges d’ordre juridique.

[37]                          Les premières règles régissant les jugements sommaires avaient une portée assez limitée et seul pouvait y avoir recours le demandeur dont la réclamation visait une créance ou des dommages‑intérêts conventionnels et à laquelle aucune véritable défense ne pouvait être opposée[5].  La procédure de jugement sommaire avait pour raison d’être de prévenir le recours injustifié au procès complet dans un cas manifeste.

[38]                          En 1985, ce qui était alors la nouvelle règle 20 a permis tant au demandeur qu’au défendeur de solliciter un jugement sommaire et a élargi l’éventail des affaires pouvant être tranchées sur requête en ce sens.  Au départ, les dispositions de cette règle étaient interprétées libéralement, en conformité avec l’objet des modifications apportées à la règle[6].  Toutefois, les cours d’appel ont limité les pouvoirs des juges et circonscrit en fait l’objet des requêtes en jugement sommaire pour simplement faire en sorte que « les demandes qui n’ont aucune chance de succès soient écartées tôt dans le processus »[7].

[39]                          Le gouvernement de l’Ontario a demandé à l’ancien juge en chef adjoint de l’Ontario, M. Coulter Osborne, c.r., d’envisager des réformes pour rendre le système de justice civile ontarien plus accessible et abordable, ce qui a mené au rapport du Projet de réforme du système de justice civile.  Le rapport Osborne conclut que peu de requêtes en jugement sommaire ont été présentées et que si la règle du jugement sommaire devait donner les résultats escomptés, il fallait infirmer les arrêts des cours d’appel qui en avaient restreint la portée et l’utilité (p. 35).  L’auteur du rapport recommande entre autres choses que l’on rende plus accessible le recours à la procédure de jugement sommaire, que l’on accorde au juge saisi d’une requête en jugement sommaire le pouvoir d’apprécier la preuve, et que l’on confère au juge le pouvoir d’ordonner la présentation de témoignages oraux (p. 35‑36).

[40]                          L’auteur du rapport recommande également l’adoption d’une procédure de procès sommaire semblable à celle appliquée en Colombie‑Britannique (p. 37).  Cette recommandation particulière n’a pas été adoptée et le législateur a choisi de maintenir la procédure de jugement sommaire comme procédure accessible.

[41]                          Bon nombre des recommandations du rapport Osborne ont été adoptées et mises en œuvre en 2010.  Comme je l’ai déjà mentionné, ces modifications codifient le principe de la proportionnalité et prévoient un processus décisionnel efficace dans les cas où la tenue d’un procès conventionnel n’est pas nécessaire.  Les juges disposent ainsi de nouveaux outils importants qui leur permettent de trancher plus de litiges sur requête en jugement sommaire et qui atténuent les risques lorsque pareille requête ne permet pas de trancher l’affaire dans son ensemble.

[42]                          Aujourd’hui, la règle 20.04 prévoit notamment ce qui suit[8] :

                        20.04 . . .

                        (2)  [Dispositions générales] Le tribunal rend un jugement sommaire si, selon le cas :

a)    il est convaincu qu’une demande ou une défense ne soulève pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’une instruction;

b)    il est convaincu qu’il est approprié de rendre un jugement sommaire et les parties sont d’accord pour que tout ou partie de la demande soit décidé par jugement sommaire.

                        (2.1)  [Pouvoirs] Lorsqu’il décide, aux termes de l’alinéa (2)a), s’il existe une véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’une instruction, le tribunal tient compte des éléments de preuve présentés par les parties et, si la décision doit être rendue par un juge, ce dernier peut, à cette fin, exercer l’un ou l’autre des pouvoirs suivants, à moins qu’il ne soit dans l’intérêt de la justice de ne les exercer que lors d’un procès :

     1.  Apprécier la preuve.

     2.  Évaluer la crédibilité d’un déposant.

     3.  Tirer une conclusion raisonnable de la preuve.

                        (2.2)  [Témoignage oral (mini‑procès)] Un juge peut, dans le but d’exercer les pouvoirs prévus au paragraphe (2.1), ordonner que des témoignages oraux soient présentés par une ou plusieurs parties, avec ou sans limite de temps pour leur présentation.

[43]                          Les modifications apportées en Ontario ont eu pour effet de modifier le critère applicable aux jugements sommaires en remplaçant la question de savoir si la cause ne « soulève pas de question litigieuse » par celle de savoir si la cause soulève une « véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’une instruction ».  Il appert de la nouvelle règle, qui prévoit des pouvoirs accrus en matière de recherche des faits, que la tenue d’un procès ne constitue pas la procédure par défaut.  En outre, afin de ne pas dissuader les parties de recourir à cette procédure, la nouvelle règle a eu pour effet de supprimer la présomption suivant laquelle l’auteur de la requête débouté devait être condamné aux dépens d’indemnisation substantielle.

[44]                          Les nouveaux pouvoirs prévus aux par. 20.04(2.1) et (2.2) des Règles augmentent le nombre d’affaires qui ne soulèvent pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès en permettant au juge saisi d’une requête d’apprécier la preuve, d’évaluer la crédibilité et de tirer des conclusions raisonnables[9].

[45]                          Ces nouveaux pouvoirs en matière de recherche des faits ont un caractère discrétionnaire et sont présumés pouvoir être exercés; ils peuvent l’être à moins qu’il ne soit dans l’intérêt de la justice de ne les exercer que lors d’un procès; par. 20.04(2.1) des Règles.  Par conséquent, les modifications font en sorte que la règle 20 ne soit plus seulement un moyen d’écarter des demandes sans fondement mais qu’elle devienne un important modèle de rechange pour les décisions.

[46]                          Premièrement, j’examinerai les circonstances où le tribunal peut rendre un jugement sommaire en raison de l’absence de « véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’une instruction » (al. 20.04(2)a) des Règles).  Deuxièmement, j’examinerai les circonstances dans lesquelles il est contraire à « l’intérêt de la justice » d’exercer les nouveaux pouvoirs en matière de recherche des faits prévus au par. 20.04(2.1) des Règles lors de l’audition d’une requête en jugement sommaire.  Troisièmement, j’examinerai le pouvoir d’ordonner la présentation de témoignages oraux et, enfin, j’énoncerai la procédure à suivre dans le cas d’une requête en jugement sommaire.

(1)               Dans quels cas n’y a‑t‑il aucune véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès?

[47]                          La requête en jugement sommaire doit être accueillie dans tous les cas où il n’existe pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès (al. 20.04(2)a) des Règles).  Pour exposer la façon de déterminer l’existence d’une telle question, je m’attache aux objectifs et aux principes sous‑jacents à la décision d’accueillir ou non une requête en jugement sommaire.  Une telle façon de faire permet l’évolution naturelle de l’application de la règle, sinon les catégories de cas seront considérées comme des règles ou des conditions préalables qui risquent de nuire à la métamorphose du système en décourageant le recours au jugement sommaire.

[48]                          La Cour d’appel n’a pas explicitement déterminé les circonstances dans lesquelles il existe une véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès.  Or, en se demandant si l’exercice des nouveaux pouvoirs en matière de recherche des faits est contraire à l’intérêt de la justice, elle a laissé entendre qu’il est le plus souvent indiqué de rendre un jugement sommaire dans des affaires où les documents occupent une place prépondérante, où il y a peu de témoins et de questions de fait litigieuses, ou encore des affaires dans lesquelles il est possible de compléter le dossier en présentant des témoignages oraux sur des points distincts.  Voilà autant d’observations utiles qui, comme la Cour d’appel l’a elle‑même reconnu, ne devraient cependant pas être considérées comme circonscrivant des catégories étanches de cas où il convient ou non de rendre un jugement sommaire.  Par exemple, malgré la complexité de la présente affaire et son dossier volumineux, la Cour d’appel a finalement reconnu l’absence de question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès.

[49]                          Il n’existe pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès lorsque le juge est en mesure de statuer justement et équitablement au fond sur une requête en jugement sommaire.  Ce sera le cas lorsque la procédure de jugement sommaire (1) permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, (2) lui permet d’appliquer les règles de droit aux faits et (3) constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste.

[50]                          Ces principes sont interreliés et reviennent tous à se demander si le jugement sommaire constituera une décision juste et équitable.  Lorsqu’une requête en jugement sommaire permet au juge d’établir les faits nécessaires et de régler le litige, la tenue d’un procès ne serait généralement ni proportionnée, ni expéditive, ni économique.  Dans le même ordre d’idées, un processus qui ne permet pas au juge de tirer ses conclusions avec confiance ne saurait jamais constituer un moyen proportionné de régler un litige.  Il importe de répéter que la norme d’équité consiste à déterminer non pas si la procédure visée est aussi exhaustive que la tenue d’un procès, mais si elle permet au juge de pouvoir, avec confiance, établir les faits nécessaires et appliquer les principes juridiques pertinents pour régler le litige.

[51]                          Souvent, il est possible de dissiper les doutes concernant la crédibilité ou d’éclaircir la preuve par la présentation de témoignages oraux au moment de l’audition de la requête elle‑même.  Toutefois, il peut y avoir des cas où, vu la nature des questions soulevées et la preuve à produire, le juge ne peut tirer les conclusions de fait nécessaires, ni appliquer les principes juridiques qui permettent d’arriver à une décision juste et équitable.

(2)               L’intérêt de la justice

[52]                          Lors de l’audition d’une requête en jugement sommaire, le juge peut exercer les pouvoirs accrus en matière de recherche des faits que lui confère le par. 20.04(2.1) des Règles, à moins qu’il ne soit dans « l’intérêt de la justice » de ne les exercer que lors d’un procès.  L’expression « intérêt de la justice » n’est pas définie dans les Règles.

[53]                          Pour déterminer s’il était dans l’intérêt de la justice que le juge saisi d’une requête exerce ses nouveaux pouvoirs, la Cour d’appel a obligé ce dernier à se poser la question suivante : [traduction] « . . . la pleine appréciation de la preuve et des questions litigieuses qui s’impose pour tirer des conclusions décisives peut‑elle se faire par voie de jugement sommaire ou uniquement au moyen d’un procès? » (par. 50).

[54]                          La Cour d’appel a recensé les avantages de la tenue d’un procès qui contribuent à cette pleine appréciation de la preuve, à savoir l’exposé que l’avocat peut présenter lors d’un procès, la possibilité pour les témoins de s’exprimer dans leurs propres mots et l’aide des avocats pour passer en revue les éléments de preuve (par. 54).

[55]                          Les intimés ainsi que les intervenants, soit l’Association du Barreau canadien, le procureur général de l’Ontario et l’Advocates’ Society, plaident que l’importance accordée par la Cour d’appel aux vertus du procès traditionnel est injustifiée et indûment restrictive.  De plus, selon certains intervenants, cette approche peut donner lieu à la création de catégories de cas qui ne se prêtent pas à un jugement sommaire, ce qui aura pour effet de freiner l’évolution de la procédure de jugement sommaire.

[56]                          Je conviens certes que le juge saisi d’une requête doit avoir une connaissance de la preuve nécessaire pour tirer des conclusions décisives, mais le procès n’est pas le seul moyen d’acquérir cette connaissance.  Mettre l’accent sur la quantité et la nature des éléments de preuve qui peuvent être présentés au procès, plutôt que sur la question de savoir si la tenue d’un procès est « nécessaire », comme le prévoit la règle, pourrait amener le juge à fixer un critère trop exigeant.  L’intérêt de la justice ne saurait être limité aux caractéristiques avantageuses du procès conventionnel et il doit tenir compte de la proportionnalité, de la célérité et de l’accessibilité économique.  Sinon, le processus décisionnel permis par les nouveaux pouvoirs — ainsi que l’objet des modifications — seraient contrecarrés.

[57]                          Dans le cadre de la procédure par jugement sommaire, il n’est pas nécessaire que la preuve soit la même que celle présentée lors d’un procès, mais elle doit être telle que le juge soit confiant de pouvoir résoudre équitablement le litige.  La preuve documentaire, surtout si elle est complétée au moyen des nouveaux outils de recherche des faits, y compris des témoignages oraux, est souvent suffisante pour trancher des questions importantes de manière juste et équitable.  L’exercice des pouvoirs prévus aux par. 20.04(2.1) et (2.2) des Règles peut déboucher sur une recherche des faits tout aussi valable, voire plus brève. 

[58]                          Cette analyse de l’intérêt de la justice est, de par sa nature, comparative.  La proportionnalité se mesure à l’aune du procès complet.  Le juge saisi d’une requête peut devoir évaluer l’efficacité relative de la procédure de jugement sommaire par rapport au procès.  Cette analyse impliquerait une comparaison, entre autres facteurs, du coût et de la rapidité des deux procédures.  (La procédure de jugement sommaire peut s’avérer onéreuse et prendre beaucoup de temps, comme en l’espèce, mais la tenue d’un procès peut être encore plus coûteuse et plus lente.)  L’analyse peut impliquer aussi une comparaison de la preuve qui sera présentée au procès et de la preuve qui accompagne la requête, ainsi que de la possibilité d’apprécier équitablement la preuve.  (Même si la preuve présentée avec la requête est limitée, il n’y a peut‑être aucune raison de croire qu’une meilleure preuve sera présentée lors du procès.)

[59]                          En pratique, la question de savoir si l’exercice des nouveaux pouvoirs en matière de recherche des faits est contraire à « l’intérêt de la justice » équivaudra souvent à se demander s’il existe une « véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’une instruction ».  Logiquement, lorsqu’il permettrait au juge de trancher une demande de manière juste et équitable, l’exercice des nouveaux pouvoirs serait généralement dans l’intérêt de la justice.  Le caractère juste et équitable de la décision dépend de la nature des questions litigieuses, de la nature et de la valeur probante de la preuve, ainsi que de ce qui constitue la procédure proportionnée.

[60]                          L’analyse de « l’intérêt de la justice » va plus loin et tient également compte des répercussions de la requête dans le contexte du litige dans son ensemble.  Par exemple, si certaines des demandes contre certaines des parties seront de toute façon tranchées à l’issue d’un procès, il peut ne pas être dans l’intérêt de la justice d’exercer les nouveaux pouvoirs en matière de recherche des faits pour rendre un jugement sommaire contre un seul défendeur.  Un tel jugement sommaire partiel risque d’entraîner des procédures répétitives ou de mener à des conclusions de fait contradictoires; par conséquent, l’exercice de ces pouvoirs n’est peut‑être pas dans l’intérêt de la justice.  Par contre, le règlement d’une demande importante visant une partie clé pourrait favoriser nettement l’accès à la justice et constituer la mesure la plus proportionnée, expéditive et économique.

(3)               Le pouvoir d’entendre des témoignages oraux

[61]                          Le paragraphe 20.04(2.2) des Règles confère au juge saisi d’une requête le pouvoir d’entendre des témoignages oraux pour tirer plus facilement des conclusions aux termes du par. 20.04(2.1).  La décision d’autoriser la présentation d’un témoignage oral appartient au juge puisque, comme l’a souligné la Cour d’appel, [traduction] « c’est le juge saisi de la requête, et non les avocats, qui peut exercer un contrôle sur l’étendue de la preuve à présenter et sur les questions auxquelles se rapporte celle‑ci » (par. 60). 

[62]                          Selon la Cour d’appel, le juge saisi d’une requête ne devrait exercer ce pouvoir que lorsque :

[traduction]

 

(1)   il est possible d’entendre, dans un délai raisonnable, les témoignages oraux d’un nombre restreint de témoins;

 

(2)   toute question à traiter par la présentation d’un témoignage oral aura vraisemblablement une incidence importante sur l’accueil ou le rejet de la requête en jugement sommaire; et

 

(3)   une telle question est précise et distincte — c’est‑à‑dire que la question peut être tranchée séparément et n’est pas liée aux autres questions sur lesquelles porte la requête.  [par. 103]

Ces indications sont utiles pour assurer que l’audition des témoignages oraux ne devient pas ingérable; toutefois, comme l’a reconnu la Cour d’appel, ces règles ne sont pas absolues.

[63]                          Ce pouvoir devrait être exercé lorsqu’il permet au juge de rendre une décision juste et équitable sur le fond et que son exercice constitue la marche à suivre proportionnée.  Ce sera plus probablement le cas lorsque le témoignage oral requis est succinct, mais dans certains cas, la requête en jugement sommaire comportera l’audition de longs témoignages oraux, ce qui permettra d’éviter des procès plus longs et plus complexes sans compromettre l’équité de la procédure.

[64]                          La partie qui cherche à présenter des témoignages oraux doit être prête, d’une part, à démontrer en quoi ils aideraient le juge saisi de la requête à apprécier la preuve, à évaluer la crédibilité des déposants ou à tirer des conclusions de la preuve et, d’autre part, à fournir une déclaration anticipée ou un autre exposé de la preuve proposée afin de permettre au juge d’établir la portée des témoignages oraux.

[65]                          Ainsi, le pouvoir d’ordonner la présentation de témoignages oraux devrait servir à favoriser le règlement juste et équitable du litige compte tenu des principes de proportionnalité, de célérité et d’accessibilité économique.  Lorsqu’il établit la nature et l’étendue des témoignages oraux qui seront entendus, le juge saisi de la requête devrait s’inspirer de ces principes et se rappeler que ce processus ne constitue pas un procès complet sur le fond mais qu’il vise plutôt à déterminer s’il existe une véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès.

(4)               Marche à suivre pour trancher une requête en jugement sommaire

[66]                          Lors de l’audition d’une requête en jugement sommaire aux termes de la règle 20.04, le juge devrait en premier lieu décider, compte tenu uniquement de la preuve dont il dispose et sans recourir aux nouveaux pouvoirs en matière de recherche des faits, s’il existe une véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès.  Il n’y aura pas de question de ce genre si la procédure de jugement sommaire lui fournit la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige et constitue une procédure expéditive, abordable et proportionnée selon l’al. 20.04(2)a) des Règles.  S’il semble y avoir une véritable question nécessitant la tenue d’un procès, le juge devrait alors déterminer si l’exercice des nouveaux pouvoirs prévus aux par. 20.04(2.1) et (2.2) des Règles écartera la nécessité d’un procès.  Le juge peut exercer ces pouvoirs à son gré, pourvu que leur exercice ne soit pas contraire à l’intérêt de la justice.  Leur exercice ne sera pas contraire à l’intérêt de la justice s’il aboutit à un résultat juste et équitable et permettra d’atteindre les objectifs de célérité, d’accessibilité économique et de proportionnalité, compte tenu du litige dans son ensemble.

[67]                          En cherchant d’abord à déterminer si l’exercice des pouvoirs prévus au par. 20.04(2.1) des Règles permettra de régler le litige par voie de jugement sommaire, avant de se demander s’il est dans l’intérêt de la justice que ces pouvoirs ne soient exercés que lors d’un procès, on souligne le fait que ces pouvoirs peuvent être exercés en règle générale, plutôt qu’à titre exceptionnel, conformément à l’objectif d’un règlement des litiges proportionné, économique et expéditif.  De même, lorsqu’on détermine en premier lieu les conséquences du recours à ces nouveaux pouvoirs, les avantages qu’offre leur exercice apparaissent plus clairement.  Cette façon de procéder aidera à déterminer s’il est dans l’intérêt de la justice que ces pouvoirs ne soient exercés que lors d’un procès.

[68]                          Bien qu’un jugement sommaire doive être rendu en l’absence d’une véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès[10], la décision d’exercer le pouvoir élargi en matière de recherche des faits ou le pouvoir d’ordonner la présentation de témoignages oraux est de nature discrétionnaire[11].  Ce caractère discrétionnaire de la décision du juge lui laisse une certaine latitude lorsqu’il décide de la marche à suivre.  De plus, la nature discrétionnaire de cette décision peut servir de soupape dans les cas où l’exercice de ces pouvoirs serait de toute évidence inapproprié.  Le risque de recours abusif à des requêtes en jugement sommaire clairement dénuées de fondement comme tactique pour entraîner des frais et des retards est toujours présent.  Dans ces cas, le juge peut refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire et rejeter la requête en jugement sommaire sans procéder à l’analyse complète exposée ci‑dessus.

C.       Outils permettant d’optimiser l’efficacité de la requête en jugement sommaire

(1)      Circonscrire la portée de la requête en jugement sommaire

[69]                          Les Règles de l’Ontario et la compétence inhérente d’une cour supérieure permettent au juge saisi d’une requête d’intervenir rapidement après la présentation de la requête afin de limiter la taille du dossier, et de continuer de jouer un rôle actif si la requête ne permet pas de trancher tout le litige.

[70]                          Les Règles prévoient l’intervention hâtive du tribunal par l’application de la règle 1.05, qui permet de lui demander par requête des directives pour gérer les délais et les dépens afférents à une requête en jugement sommaire.  Le juge peut ainsi donner des directives relatives aux délais de dépôt des affidavits, à la durée des contre‑interrogatoires et à la nature et la quantité des éléments de preuve à déposer.  Toutefois, le juge doit également prendre garde d’imposer des mesures administratives qui entraînent des frais supplémentaires non nécessaires.

[71]                          La requête en jugement sommaire ne nécessite pas dans tous les cas une demande de directives.  Toutefois, l’omission de présenter une telle demande lorsqu’il était évident que le dossier serait complexe ou volumineux peut être prise en compte au moment d’attribuer des dépens en application de l’al. 20.06a) des Règles.  Conformément au principe de la proportionnalité, le juge qui instruit la requête en vue d’obtenir des directives devrait généralement être saisi de la requête en jugement sommaire elle‑même pour assurer que la connaissance qu’il a acquise du dossier ne serve pas à rien.

[72]                          Je suis d’accord avec la Cour d’appel (par. 58 et 258) pour dire que la requête en vue d’obtenir des directives donne également à l’intimé l’occasion de demander la suspension ou le rejet d’une requête en jugement sommaire prématurée ou irrégulière.  Une telle demande peut permettre de contester des requêtes longues et complexes, surtout lorsque celles‑ci ne feraient pas progresser suffisamment l’instance ou ne favoriseraient pas les objectifs de proportionnalité, de célérité et d’accessibilité économique.

[73]                          La requête en jugement sommaire ne constituera pas toujours le moyen le plus proportionné de trancher une action en justice.  Par exemple, il arrive qu’un court procès puisse avoir lieu tôt ou que les parties soient disposées à procéder par procès sommaire.  Les avocats devraient toujours tenir compte de la procédure la plus proportionnée pour leur client et le dossier.

(2)               Mettre à profit les éléments d’une requête en jugement sommaire rejetée

[74]                          Qu’elle soit rejetée ou même accueillie en partie, la requête en jugement sommaire occasionne des frais et des délais additionnels — parfois astronomiques.  Le juge peut toutefois atténuer ce risque en exerçant la compétence inhérente du tribunal et les pouvoirs de gestion de l’instance prévus à la règle 20.05.

[75]                          Les paragraphes 20.05(1) et (2) des Règles prévoient notamment ce qui suit :

                        20.05 (1)  Si le jugement sommaire est refusé ou n’est accordé qu’en partie, le tribunal peut rendre une ordonnance dans laquelle il précise les faits pertinents qui ne sont pas en litige et les questions qui doivent être instruites.  Il peut également ordonner que l’action soit instruite de façon expéditive.

                        (2)  Le tribunal qui ordonne l’instruction d’une action en vertu du paragraphe (1) peut donner les directives ou imposer les conditions qu’il estime justes . . .

[76]                          Les alinéas 20.05(2)a) à p) des Règles énumèrent plusieurs ordonnances précises de gestion de l’instance qui peuvent convenir.  Le tribunal peut dresser un calendrier, établir un plan d’enquête préalable assorti de limites, fixer la date du procès, ordonner la consignation de la somme demandée ou le versement d’un cautionnement pour dépens.  Le tribunal peut aussi ordonner la remise par les parties d’un résumé concis de leur déclaration préliminaire, la remise par les parties d’un résumé écrit de la déposition prévue d’un témoin, la limitation de la durée de tout interrogatoire oral d’un témoin au procès, ou la présentation par affidavit de tout ou partie de la déposition d’un témoin.

[77]                          Ces pouvoirs permettent au juge de mettre à profit les connaissances acquises lors de l’audition de la requête en jugement sommaire pour élaborer une procédure d’instruction de nature à régler le litige en tenant compte de la complexité et de l’importance de la question soulevée, de la somme en jeu et des efforts déployés lors de l’instruction de la requête rejetée.  Le juge saisi de la requête devrait s’inspirer de la procédure d’instruction sommaire, en particulier lorsque les affidavits déposés serviraient de dépositions, sous réserve d’interrogatoires et de contre‑interrogatoires d’une durée limitée.  Bien que les Règles n’aient pas adopté le modèle de l’instruction sommaire recommandé dans le rapport Osborne, ce modèle est déjà prévu par les règles simplifiées ou peut être utilisé du consentement des parties.  À mon avis, le modèle de l’instruction sommaire pourrait également s’appliquer si le juge exerce les vastes pouvoirs que lui confère le par. 20.05(2) des Règles.

[78]                          Le juge qui rejette une requête en jugement sommaire devrait également se saisir de l’instance à titre de juge du procès à moins que des raisons impérieuses l’en empêchent.  Je suis d’accord avec le rapport Osborne pour dire que la gestion du litige par un seul fonctionnaire judiciaire

                    permet à la cour d’économiser du temps étant donné que les parties n’ont pas à mettre un juge différent au fait chaque fois qu’un problème survient relativement à la cause.  Elle peut également avoir un effet de modération sur le comportement des parties litigantes et des avocats, qui en viendront à prévoir la façon dont le fonctionnaire judiciaire affecté à la cause pourrait statuer sur une question donnée.  [p. 105]

[79]                          Une telle approche risque de compliquer l’établissement du calendrier, dans la mesure où les pratiques actuelles en la matière empêchent de recourir de façon efficace et économique à la requête en jugement sommaire, mais les tribunaux devraient être disposés à modifier leurs habitudes afin de faciliter l’accès à la justice.

D.       Norme de contrôle

[80]                          La Cour d’appel a conclu que le choix du critère à appliquer en matière de jugement sommaire — déterminer s’il existe une véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès — est une question de droit, susceptible de révision selon la norme de la décision correcte, alors que les conclusions de fait tirées par le juge saisi de la requête commandent la retenue.

[81]                          À mon avis, en l’absence d’une erreur de droit, l’exercice des pouvoirs que confère la nouvelle règle relative au jugement sommaire commande la retenue.  Lorsque le juge saisi d’une requête exerce ses nouveaux pouvoirs en matière de recherche des faits, que lui confère le par. 20.04(2.1) des Règles, et détermine s’il existe une véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès, il s’agit d’une question mixte de fait et de droit.  Lorsqu’il n’y a aucune erreur de principe isolable, les conclusions mixtes de fait et de droit ne doivent pas être infirmées en l’absence d’erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 36.

[82]                          De même, la réponse à la question de savoir s’il est dans « l’intérêt de la justice » que le juge saisi d’une requête exerce les nouveaux pouvoirs en matière de recherche des faits prévus au par. 20.04(2.1) des Règles dépend de la preuve relative présentée lors de l’audition de la requête en jugement sommaire et au procès, de la nature, de l’envergure, de la complexité et du coût du litige, ainsi que d’autres facteurs contextuels.  Cette décision constitue également une question mixte de fait et de droit qui commande la retenue.

[83]                          Pourvu qu’elle ne soit pas contraire à « l’intérêt de la justice », la décision du juge saisi d’une requête d’exercer les nouveaux pouvoirs est de nature discrétionnaire.  Par conséquent, à moins que le juge ne se soit fondé sur des considérations erronées ou que sa décision soit erronée au point de créer une injustice, il n’y a pas lieu de modifier sa décision.

[84]                          Évidemment, si le juge saisi d’une requête applique un mauvais principe de droit ou fait erreur relativement à une pure question de droit, comme les éléments dont le demandeur doit prouver l’existence pour établir sa cause d’action, la norme de contrôle applicable sera celle de la décision correcte : Housen, par. 8.

E.        Le juge saisi de la requête a‑t‑il eu tort de rendre un jugement sommaire?

[85]                          Le juge saisi de la requête a rendu un jugement sommaire en faveur du Groupe Mauldin.  Bien qu’elle ait conclu que l’action n’aurait pas dû être tranchée par jugement sommaire, la Cour d’appel a quand même rejeté l’appel.  Selon M. Hryniak, la Cour d’appel a fait un [traduction] « revirement pour l’avenir » mais, vu ma conclusion selon laquelle le juge pouvait à bon droit trancher l’action par jugement sommaire, je n’ai pas à examiner plus à fond ces arguments.  Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que le juge n’a pas eu tort de rendre un jugement sommaire.

(1)               Le délit de fraude civile

[86]                          C’est une action pour fraude civile intentée contre M. Hryniak, M. Peebles et le cabinet Cassels Brock qui est à l’origine de la requête en jugement sommaire.

[87]                          Comme il est expliqué dans le pourvoi connexe Bruno Appliance, le délit de fraude civile comporte quatre éléments dont il faut prouver l’existence selon la prépondérance des probabilités : (1) une fausse déclaration du défendeur; (2) une certaine connaissance de la fausseté de la déclaration de la part du défendeur (connaissance ou insouciance); (3) le fait que la fausse déclaration a amené le demandeur à agir; (4) le fait que les actes du demandeur ont entraîné une perte.

(2)               Existait‑il une véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès?

[88]                          Le juge saisi de la requête n’a pas traité explicitement du critère qu’il convient d’appliquer à la fraude civile lorsqu’il a prononcé un jugement sommaire en faveur du Groupe Mauldin contre M. Hryniak.  Toutefois, à l’instar de la Cour d’appel, je suis convaincue que les conclusions du juge étayent ce résultat.

[89]                          Une fausse déclaration du défendeur constitue le premier élément de la fraude civile.  La Cour d’appel partageait l’avis du juge que [traduction] « [s]ans aucun doute, le Groupe Mauldin a été amené à investir avec Hryniak en raison des propos adressés par M. Hryniak à Fred Mauldin » lors de la réunion du 19 juin 2001 (par. 158), ce que l’appelant ne conteste pas dans son mémoire.

[90]                          Le juge saisi de la requête a conclu à l’existence de la connaissance ou de l’insouciance requise quant à la fausseté de la déclaration, en l’occurrence le deuxième élément de la fraude civile, en raison de l’absence de démarches de la part de M. Hryniak pour s’assurer que les fonds seraient adéquatement investis et de son omission de vérifier que le destinataire éventuel des fonds, la New Savings Bank, était un établissement sûr.  Le juge a également rejeté la thèse invoquée en défense selon laquelle les fonds avaient été dérobés, soulignant les démarches limitées prises par M. Hryniak pour recouvrer les fonds, celui‑ci ayant attendu quelque 15 mois avant de signaler le vol apparent de 10,2 millions de dollars américains.

[91]                          Le juge saisi de la requête a conclu également à l’intention de M. Hryniak que ses fausses déclarations incitent le Groupe Mauldin à agir, ce qui constitue le troisième élément de la fraude civile.  M. Hryniak a contracté un prêt de 76 000 dollars américains pour le compte de Fred Mauldin et a [traduction] « simulé une transaction », des gestes qui, selon le juge, ont été « posés [. . .] dans le but de dissuader le Groupe Mauldin d’exiger le remboursement de son placement » (par. 113).  De plus, le juge a exposé en détail le rôle capital joué par M. Hryniak dans la multitude de tromperies qui ont amené le Groupe Mauldin à investir ses fonds et qui l’ont dissuadé de demander leur remboursement pendant quelque temps après que les fonds eurent été dérobés.

[92]                          Le dernier élément de la fraude civile, la perte, est manifestement présent.  Le Groupe Mauldin a investi 1,2 million de dollars américains et, à part un rendement pour la modique somme de 9 600 dollars américains reçue en février 2002, il a perdu son placement.

[93]                          Le juge saisi de la requête a conclu qu’il n’existait pas d’élément de preuve crédible à l’appui de la prétention de M. Hryniak selon laquelle ce dernier était un courtier légitime et l’issue était donc claire.  Le juge a par conséquent conclu qu’il n’y avait pas de question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès.  Il n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en rendant un jugement sommaire.

(3)               L’intérêt de la justice empêchait‑il le juge saisi de la requête d’exercer les pouvoirs que lui confère la règle 20.04?

[94]                          Le juge saisi de la requête n’a pas commis d’erreur en exerçant les pouvoirs en matière de recherche des faits que lui confère le par. 20.04(2.1) des Règles.  Il était disposé à examiner minutieusement le dossier détaillé et était d’avis que les éléments de preuve présentés sur tous les points pertinents suffisaient pour lui permettre de tirer les inférences nécessaires à la formulation de conclusions décisives en vertu de la règle 20.  En outre, malgré l’importance de la somme en cause, les moyens invoqués par M. Hryniak dans sa défense étaient relativement simples.  Comme l’a indiqué la Cour d’appel, il s’agissait fondamentalement de savoir si M. Hryniak avait mis en place un programme légitime de transaction de titres qui a mal tourné lorsque les fonds ont été dérobés, ou si son programme était factice depuis le début (par. 159).  Les demandeurs forment un groupe d’investisseurs américains âgés qui, à la date de l’audition de la requête, avaient été privés de leurs fonds depuis près de 10 ans.  Le dossier était suffisant pour permettre de rendre une décision juste et équitable et il fallait trancher l’affaire de façon expéditive.  Bien que la requête se soit révélée complexe et onéreuse, la tenue d’un procès aurait été encore plus coûteuse et aurait duré encore plus longtemps.

[95]                          Même si les actions intentées par le Groupe Mauldin contre M. Peebles et le cabinet Cassels Brock devaient être instruites, il n’y a pas vraiment lieu de croire qu’un jugement sommaire rendu contre M. Hryniak aurait nui à l’instruction des autres questions litigieuses.  Bien que l’étendue de la participation des autres défendeurs à la fraude nécessite la tenue d’un procès, la conclusion selon laquelle M. Hryniak était manifestement l’un des auteurs de la fraude ne résout pas d’avance cette question.  Les conclusions du juge saisi de la requête traitent spécifiquement de la participation de M. Hryniak et ne reposent pas sur la responsabilité d’autres personnes, ni ne sont incompatibles avec leur responsabilité.  Ses conclusions étaient clairement étayées par la preuve.  L’exercice, par le juge, de ses pouvoirs en matière de recherche des faits n’allait pas à l’encontre de l’intérêt de la justice, et sa décision discrétionnaire d’exercer ces pouvoirs n’était pas non plus entachée d’erreur.

V.       Conclusion

[96]                          Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens en faveur des intimés.

 

ANNEXE

Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194

RÈGLE 20 JUGEMENT SOMMAIRE

            20.01 [Applicabilité] (1) [Au demandeur] Le demandeur peut, après que le défendeur a remis une défense ou signifié un avis de motion, demander, par voie de motion, appuyée d’un affidavit ou d’autres éléments de preuve, un jugement sommaire sur la totalité ou une partie de la demande formulée dans la déclaration.

            (2) Le demandeur peut demander, par voie de motion présentée sans préavis, l’autorisation de signifier avec la déclaration un avis de motion en vue d’obtenir un jugement sommaire. L’autorisation peut être accordée en cas d’urgence extraordinaire, sous réserve de directives justes.

            (3) [Au défendeur] Le défendeur peut, après avoir remis une défense, demander, par voie de motion appuyée d’un affidavit ou d’autres éléments de preuve, un jugement sommaire rejetant en totalité ou en partie la demande formulée dans la déclaration.

            20.02 [Preuves à l’appui d’une motion] (1) Dans un affidavit à l’appui d’une motion visant à obtenir un jugement sommaire, une partie peut faire état des éléments qu’elle tient pour véridiques sur la foi de renseignements, comme le prévoit le paragraphe 39.01(4). Toutefois, dans le cas où la partie ne fournit pas le témoignage de toute personne ayant une connaissance directe des faits contestés, le tribunal peut en tirer des conclusions défavorables, s’il y a lieu, lors de l’audition de la motion.

            (2) Lorsqu’une motion en vue d’obtenir un jugement sommaire est appuyée d’un affidavit ou d’autres éléments de preuve, la partie intimée ne peut pas se contenter uniquement des allégations ou dénégations contenues dans ses actes de procédure. Elle doit préciser, au moyen d’un affidavit ou d’autres éléments de preuve, des faits spécifiques indiquant qu’il y a une véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’une instruction.

            20.03 [Mémoires requis] (1) Dans le cas d’une motion en vue d’obtenir un jugement sommaire, chaque partie signifie aux autres parties à la motion un mémoire comprenant une argumentation concise exposant les faits et les règles de droit qu’elle invoque.

            (2) Le mémoire de l’auteur de la motion est signifié et déposé, avec la preuve de la signification, au greffe du tribunal où la motion doit être entendue, au moins sept jours avant l’audience.

            (3) Le mémoire de la partie intimée est signifié et déposé, avec la preuve de la signification, au greffe du tribunal où la motion doit être entendue, au moins quatre jours avant l’audience.

            (4) Abrogé.

            20.04 [Décision sur la motion] (1) [Dispositions générales] Abrogé.

            (2) Le tribunal rend un jugement sommaire si, selon le cas :

a)     il est convaincu qu’une demande ou une défense ne soulève pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’une instruction;

 

b)    il est convaincu qu’il est approprié de rendre un jugement sommaire et les parties sont d’accord pour que tout ou partie de la demande soit décidé par jugement sommaire.

            (2.1) [Pouvoirs] Lorsqu’il décide, aux termes de l’alinéa (2)a), s’il existe une véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’une instruction, le tribunal tient compte des éléments de preuve présentés par les parties et, si la décision doit être rendue par un juge, ce dernier peut, à cette fin, exercer l’un ou l’autre des pouvoirs suivants, à moins qu’il ne soit dans l’intérêt de la justice de ne les exercer que lors d’un procès :

 

            1. Apprécier la preuve.

 

            2. Évaluer la crédibilité d’un déposant.

 

            3. Tirer une conclusion raisonnable de la preuve. 

            (2.2) [Témoignage oral (mini‑procès)] Un juge peut, dans le but d’exercer les pouvoirs prévus au paragraphe (2.1), ordonner que des témoignages oraux soient présentés par une ou plusieurs parties, avec ou sans limite de temps pour leur présentation.

            (3) [Si la seule question litigieuse est le montant de la demande] Le tribunal, s’il est convaincu que la seule véritable question litigieuse porte sur le montant auquel l’auteur de la motion a droit, peut ordonner l’instruction de la question ou rendre un jugement et ordonner un renvoi afin de fixer le montant.

            (4) [Si la seule question litigieuse est une question de droit] Le tribunal, s’il est convaincu que la seule véritable question litigieuse porte sur une question de droit, peut trancher cette question et rendre un jugement en conséquence. Toutefois, si la motion est présentée à un protonotaire, elle est déférée à un juge pour audition.

            (5) [Demande de reddition de comptes seulement] Si le demandeur est l’auteur de la motion et qu’il demande une reddition de comptes, le tribunal peut rendre jugement sur la demande et ordonner un renvoi pour la reddition des comptes, à moins que le défendeur ne convainque le tribunal qu’une question préliminaire doit être instruite.

            20.05 [Nécessité d’une instruction] (1) [Pouvoirs du tribunal] Si le jugement sommaire est refusé ou n’est accordé qu’en partie, le tribunal peut rendre une ordonnance dans laquelle il précise les faits pertinents qui ne sont pas en litige et les questions qui doivent être instruites. Il peut également ordonner que l’action soit instruite de façon expéditive.

            (2) [Directives et conditions] Le tribunal qui ordonne l’instruction d’une action en vertu du paragraphe (1) peut donner les directives ou imposer les conditions qu’il estime justes, et ordonner notamment :

 

a)      la remise par chaque partie, dans un délai déterminé, d’un affidavit de documents conformément aux directives du tribunal;

 

b)      la présentation des motions dans un délai déterminé;

 

c)      le dépôt, dans un délai déterminé, d’un exposé des faits pertinents qui ne sont pas en litige;

 

d)      le déroulement des interrogatoires préalables conformément à un plan d’enquête préalable établi par le tribunal, dans lequel un calendrier des interrogatoires peut être fixé et des limites au droit à l’interrogatoire préalable qui sont justes peuvent être imposées, y compris la limitation de l’enquête préalable à des questions qui n’ont pas été traitées dans les affidavits ou les autres éléments de preuve présentés à l’appui de la motion et dans les contre‑interrogatoires sur ceux‑ci;

 

e)      la modification d’un plan d’enquête préalable convenu par les parties en application de la Règle 29.1 (plan d’enquête préalable);

 

f)      l’utilisation, à l’instruction, des affidavits ou des autres éléments de preuve présentés à l’appui de la motion et des contre‑interrogatoires sur ceux‑ci comme s’il s’agissait d’interrogatoires préalables;

 

g)      la limitation de la durée de tout interrogatoire d’une personne prévu à la Règle 36 (obtention de dépositions avant l’instruction);

 

h)      la remise par une partie, dans un délai déterminé, d’un résumé écrit de la déposition prévue d’un témoin;

 

i)       la limitation de la durée de tout interrogatoire oral d’un témoin à l’instruction;

 

j)       la présentation par affidavit de tout ou partie de la déposition d’un témoin;

 

k)      la rencontre, sous toutes réserves, des experts engagés par les parties ou en leur nom relativement à l’action pour déterminer les questions en litige sur lesquelles ils s’entendent et celles sur lesquelles ils ne s’entendent pas, pour tenter de clarifier et régler toute question en litige qui fait l’objet d’un désaccord et pour rédiger une déclaration conjointe exposant les sujets d’entente et de désaccord ainsi que les motifs de ceux‑ci, s’il estime que les économies de temps ou d’argent ou les autres avantages qui peuvent en découler sont proportionnels aux sommes en jeu ou à l’importance des questions en litige dans la cause et que, selon le cas :

 

i)       il y a des perspectives raisonnables d’en arriver à un accord sur une partie ou l’ensemble des questions en litige,

 

ii)      le fondement des opinions d’experts contraires est inconnu et qu’une clarification des questions faisant l’objet d’un désaccord aiderait les parties ou le tribunal;

 

l)       la remise par chacune des parties d’un résumé concis de sa déclaration préliminaire;

 

m)     la comparution des parties devant le tribunal au plus tard à une date déterminée, comparution au cours de laquelle le tribunal peut rendre toute ordonnance qu’autorise le présent paragraphe;

 

n)      l’inscription de l’action pour instruction à une date donnée ou son inscription à un rôle donné, sous réserve des directives du juge principal régional;

 

o)      la consignation de la totalité ou d’une partie de la somme demandée;

 

p)      le versement d’un cautionnement pour dépens.

            (3) [Faits précisés] Lors de l’instruction, les faits précisés conformément au paragraphe (1) ou à l’alinéa (2)c) sont réputés établis, à moins que le juge du procès n’ordonne autrement afin d’éviter une injustice.

            (4) [Ordonnance : déposition par affidavit] Lorsqu’il est décidé si une ordonnance doit être rendue en vertu de l’alinéa (2)j), le fait qu’une partie opposée peut être fondée à exiger la présence du déposant à l’instruction pour le contre‑interroger constitue un facteur pertinent.

            (5) [Ordonnance : experts, dépens] Si une ordonnance est rendue en vertu de l’alinéa (2)k), chaque partie paie ses propres dépens.

            (6) [Défaut de se conformer à l’ordonnance] Si une partie ne se conforme pas à une ordonnance de consignation prévue à l’alinéa (2)o) ou à une ordonnance de cautionnement pour dépens prévue à l’alinéa (2)p), le tribunal peut, sur motion de la partie adverse, rejeter l’action, radier la défense ou rendre une autre ordonnance juste.

            (7) Si la défense est radiée sur motion présentée en application du paragraphe (6), le défendeur est réputé constaté en défaut.

            20.06 [Condamnation aux dépens pour usage abusif de la règle] Le tribunal peut fixer les dépens d’une motion visant à obtenir un jugement sommaire sur une base d’indemnisation substantielle et en ordonner le paiement par une partie si, selon le cas :

 

a)      la partie a agi déraisonnablement en présentant la motion ou en y répondant;

 

b)      la partie a agi de mauvaise foi dans l’intention de causer des retards.

            20.07 [Effet du jugement sommaire] Le demandeur qui obtient un jugement sommaire peut poursuivre le même défendeur pour d’autres mesures de redressement.

            20.08 [Sursis d’exécution] Le tribunal, s’il constate qu’il devrait être sursis à l’exécution d’un jugement sommaire en attendant le règlement d’une autre question en litige dans l’action, d’une demande reconventionnelle, d’une demande entre défendeurs ou d’une mise en cause, peut ordonner le sursis à des conditions justes.

            20.09 [Application aux demandes reconventionnelles, aux demandes entre défendeurs et aux mises en cause] Les règles 20.01 à 20.08 s’appliquent, avec les modifications nécessaires, aux demandes reconventionnelles, aux demandes entre défendeurs et aux mises en cause.

 

                    Pourvoi rejeté avec dépens.

                    Procureurs de l’appelant : McCarthy Tétrault, Toronto.

                    Procureurs des intimés : Heydary Hamilton, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante Ontario Trial Lawyers Association : Allan Rouben, Toronto; SBMB Law, Richmond Hill, Ontario.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association du Barreau canadien : Evans Sweeny Bordin, Hamilton; Sotos, Toronto.

 



[1]  Par exemple, l’État peut accorder des fonds dans des cas de protection de l’enfance à la suite d’ordonnances fondées sur l’arrêt G. (J.) même lorsque l’aide juridique n’est pas offerte (voir Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46), ou encore dans des cas où certains droits des minorités sont en jeu (voir le Programme d’appui aux droits linguistiques).

 

[2]  Dans l’édition de 2011 du Rule of Law Index de M. D. Agrast, J. C. Botero et A. Ponce, publié par le World Justice Project, le Canada se classait au 9e rang parmi 12 pays de l’Europe et de l’Amérique du Nord au chapitre de l’accès à la justice.  Bien que le Canada se soit classé parmi les 10 premiers pays au monde dans quatre catégories liées à la primauté du droit (pouvoirs limités du gouvernement, maintien de l’ordre et de la sécurité, transparence du gouvernement et système de justice pénale efficace), il a enregistré ses résultats les plus faibles dans la catégorie de l’accès au système de justice civile.  Ce classement [traduction] « s’explique en partie par les failles relevées dans l’accessibilité économique des conseils juridiques et des services de représentation ainsi que par la longue durée des instances civiles » (p. 23).

[3]  Ce principe a été expressément codifié en Colombie‑Britannique, en Ontario et au Québec : Supreme Court Civil Rules, B.C. Reg. 168/2009, par. 1-3(2); Règles de l’Ontario, par. 1.04(1.1); et Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C‑25, art. 4.2.  Certaines dispositions des règles de procédure de l’Alberta et de la Nouvelle‑Écosse ont également été considérées comme illustrant la proportionnalité : Medicine Shoppe Canada Inc. c. Devchand, 2012 ABQB 375, 541 A.R. 312, par. 11; Saturley c. CIBC World Markets Inc., 2011 NSSC 4, 297 N.S.R. (2d) 371, par. 12.

[4]  Le Québec dispose d’un mécanisme procédural pour écarter sommairement les demandes abusives : voir les art. 54.1 et suiv. du Code de procédure civile.  Bien qu’il ait une portée plus circonscrite à première vue, ce mécanisme a été assimilé au jugement sommaire : voir Bal Global Finance Canada Corp. c. Aliments Breton (Canada) inc., 2010 QCCS 325 (CanLII).  De plus, selon le par. 165(4) du Code, le défendeur peut solliciter le rejet de l’action si la demande « n’est pas fondée en droit ».

[5]  Pour un examen approfondi de l’historique du jugement sommaire en Ontario, voir T. Walsh et L. Posloski, « Establishing a Workable Test for Summary Judgment : Are We There Yet? », dans T. L. Archibald et R. S. Echlin, dir., Annual Review of Civil Litigation 2013 (2013), 419, p. 422‑432.

 

[6]  Walsh et Posloski, p. 426; voir, p. ex., Vaughan c. Warner Communications, Inc. (1986), 56 O.R. (2d) 242 (H.C.J.).

 

[7]  Canada (Procureur général) c. Lameman, 2008 CSC 14, [2008] 1 R.C.S. 372, par. 10.

[8] Le texte intégral de la règle 20 figure en annexe.

[9]  Comme l’a expliqué en détail la Cour d’appel, les pouvoirs prévus au par. 20.04(2.1) des Règles visaient explicitement à infirmer plusieurs arrêts de longue date des cours d’appel qui avaient restreint considérablement le recours à la règle; Aguonie c. Galion Solid Waste Material Inc. (1998), 38 O.R. (3d) 161 (C.A.); Dawson c. Rexcraft Storage and Warehouse Inc. (1998), 164 D.L.R. (4th) 257 (C.A. Ont.).

[10]  Paragraphe 20.04(2) des Règles : « Le tribunal rend un jugement sommaire si, selon le cas : a) il est convaincu qu’une demande ou une défense ne soulève pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’une instruction . . . »

 

[11]  Paragraphe 20.04(2.1) des Règles : « Lorsqu’il décide [. . .] s’il existe une véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’une instruction [. . .] et, si la décision doit être rendue par un juge, ce dernier peut, à cette fin, exercer l’un ou l’autre des pouvoirs suivants [. . .] 1. Apprécier la preuve. 2. Évaluer la crédibilité d’un déposant. 3. Tirer une conclusion raisonnable de la preuve. »  Paragraphe 20.04(2.2) des Règles : « Un juge peut [. . .] ordonner que des témoignages oraux soient présentés . . . »

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