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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Telecommunications Employees Association of Manitoba Inc. c. Manitoba Telecom Services Inc., 2014 CSC 11, [2014] 1 R.C.S. 142

 

Date : 20140130

Dossier : 34763

 

Entre :

Telecommunications Employees Association of Manitoba Inc. International Federation of Professional & Technical Engineers, section locale 161; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 7; Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 435; Harry Restall, en son propre nom et au nom de certains retraités ou des veuves ou veufs de retraités de Manitoba Telecom Services Inc., MTS Communications Inc., MTS Mobility Inc. et MTS Advanced Inc.; et Larry Trach, en son propre nom et au nom de tous les employés syndiqués de Manitoba Telecom Services Inc., MTS Communications Inc., MTS Mobility Inc. et MTS Advanced Inc. et tous les employés syndiqués de MTS Media Inc. qui sont devenus des employés de Yellow Pages Group Co. aux termes d’une vente réalisée le 2 octobre 2006

Appelants

et

ManitobaTelecom Services Inc. et MTS Allstream Inc. (à titre de successeur de  MTS Communications Inc., MTS Mobility Inc. et MTS Advanced Inc.)

Intimées

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 91)

Le juge Rothstein (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Fish, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis)

 

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

 

 


 

 


Telecommunications Employees Association of Manitoba Inc. c. Manitoba Telecom Services Inc., 2014 CSC 11, [2014] 1 R.C.S. 142

 

Telecommunications Employees Association of Manitoba

Inc. — International Federation of Professional & Technical

Engineers, section locale 161; Syndicat canadien des communications,

de l’énergie et du papier, section locale 7; Fraternité internationale

des ouvriers en électricité, section locale 435; Harry Restall, en son

propre nom et au nom de certains retraités ou des veuves ou veufs

de retraités de Manitoba Telecom Services Inc., MTS Communications

Inc., MTS Mobility Inc. et MTS Advanced Inc.; et Larry Trach, en son

propre nom et au nom de tous les employés syndiqués de Manitoba

Telecom Services Inc., MTS Communications Inc., MTS Mobility

Inc. et MTS Advanced Inc. et tous les employés syndiqués de MTS

Media Inc. qui sont devenus des employés de Yellow Pages Group

Co. aux termes d’une vente réalisée le 2 octobre 2006                                Appelants

c.

Manitoba Telecom Services Inc. et MTS Allstream Inc.

(à titre de successeur de MTS Communications Inc.,

MTS Mobility Inc. et MTS Advanced Inc.)                                                    Intimées

Répertorié : Telecommunications Employees Association of Manitoba Inc. c. Manitoba Telecom Services Inc.

2014 CSC 11

No du greffe : 34763.

2013 : 16 mai; 2014 : 30 janvier.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis.

en appel de la cour d’appel du manitoba

                    Pensions Régimes de retraite Surplus Transfert à un nouveau régime de l’actif du régime de retraite des participants et de leurs droits à pension par suite de la privatisation de l’employeur Surplus actuariel du régime de retraite initial s’élevant à 43 millions de dollars Surplus actuariel strictement attribuable aux cotisations des employés à l’ancien régime Utilisation du surplus par l’employeur pour s’accorder des périodes d’exonération de cotisations Disposition législative prévoyant que le nouveau régime doit permettre le versement de prestations qui, le jour de la mise en œuvre, sont de valeur équivalente à celle des prestations auxquelles les employés avaient droit aux termes de l’ancien régime L’employeur a-t-il manqué à ses obligations légales?Loi concernant la réorganisation de la Société de téléphone du Manitoba et apportant des modifications corrélatives, L.M. 1996, ch. 79, art. 15.

                    Le 1er janvier 1997, la société d’État Manitoba Telephone System (« société d’État MTS ») a été privatisée pour former les actuelles Manitoba Telecom Services Inc. et MTS Allstream Inc. (« MTS »).  L’actif du régime de retraite et les droits à pension d’environ 7 000 employés et retraités de la société d’État MTS et de ses filiales (les « participants ») ont alors été transférés à un nouveau régime de retraite.  Avant la privatisation, les employés et les retraités de la société d’État MTS participaient à un régime contributif à prestations déterminées.  Comme dans le cadre d’un régime à prestations déterminées type, l’employé admissible devait verser à la caisse de retraite un certain pourcentage de ses gains admissibles.  Cependant, contrairement à l’employeur dans le cadre d’un régime à prestations déterminées type, le gouvernement ne cotisait pas à la caisse de retraite, mais payait plutôt sa part des prestations lorsqu’elles devenaient exigibles.  Ainsi, au lieu de verser à la caisse de retraite des cotisations égales à celles des employés, le gouvernement payait plutôt la moitié des prestations dues aux retraités au moment de l’exigibilité.  Dès lors, la caisse de retraite de l’ancien régime n’était constituée que des cotisations des employés et de l’intérêt.  Au moment de la privatisation, le surplus actuariel du régime de retraite initial s’élevait à 43,364 millions de dollars (le « surplus initial »).  Pendant le processus de privatisation, la société d’État MTS et le gouvernement ont maintes fois assuré les participants que tout surplus affiché par l’ancien régime de retraite au moment de la privatisation ne servirait pas à diminuer le coût supporté par MTS à l’égard du nouveau régime ou ses cotisations à celui‑ci.  Conformément à la loi qui régissait la privatisation de la société d’État MTS (« Loi sur la réorganisation »), la totalité de l’actif de l’ancien régime de retraite attribuable aux participants, y compris le surplus initial, a été transférée au nouveau régime.  Suivant l’al. 15(2)a) de la Loi sur la réorganisation, MTS était tenue de créer un « nouveau régime conçu de façon à permettre le versement de prestations qui sont, à la date de mise en œuvre, au moins équivalentes [dans la version anglaise, equivalent in value] à celles que les employés reçoivent ou pourraient recevoir en vertu de [l’ancien régime] ».  Par ailleurs, les représentants des participants ont conclu avec MTS et le gouvernement provincial un protocole d’entente (« PE ») qui prévoyait expressément le sort du surplus initial dans le nouveau régime.  Toutefois, le texte du nouveau régime rendait pratiquement impossible aux participants de bénéficier de quelque avantage grâce au surplus initial.  Par contre, MTS s’est accordé des périodes d’exonération de cotisations en retranchant du surplus le montant de ses cotisations exigibles par ailleurs.

                    Les participants ont engagé une poursuite et demandé que le surplus initial, majoré de l’intérêt couru, serve à bonifier les prestations de retraite, à condition que le coût supporté par MTS n’en soit pas accru.  Le juge de première instance a conclu que les participants avaient droit à réparation.  Il a estimé que l’affectation du surplus initial par MTS contrevenait à l’al. 15(2)a) de la Loi sur la réorganisation, car les prestations prévues par les deux régimes n’étaient pas de valeur équivalente dans la mesure où le surplus initial grâce auquel les participants pouvaient auparavant bonifier leurs prestations n’était plus à leur disposition dans le cadre du nouveau régime.  La Cour d’appel a accueilli l’appel de MTS et rejeté celui, incident, des participants.  Elle a conclu que l’al. 15(2)a) exigeait seulement l’équivalence des allocations de retraite de base touchées par les participants en application des deux régimes. 

                    Arrêt : Le pourvoi est accueilli.

                    Le droit à un surplus actuariel dépend toujours des dispositions législatives applicables.  Dans le présent dossier, la disposition applicable exigeait la mise sur pied d’un nouveau régime qui offre, le jour de sa mise en œuvre, des prestations de valeur équivalente à celle des prestations de l’ancien régime.  Le renvoi à la notion de « valeur » indique que sont visées à la fois les prestations versées aux participants et la manière dont est financé leur versement.  Il ne suffit pas que les versements mensuels soient les mêmes selon l’un et l’autre régimes.  Si l’al. 15(2)a) avait dû avoir un sens aussi étroit, il aurait été superflu de renvoyer à la valeur des prestations.  Le contexte et l’historique législatifs de l’art. 15 permettent tous deux de conclure que, à l’al. 15(2)a), le législateur entendait exiger davantage que la seule comparaison des sommes versées chaque mois aux participants en vertu de l’un et l’autre régimes.

                    Les dispositions législatives applicables et les caractéristiques uniques de l’ancien régime distinguent le présent dossier des affaires antérieures où notre Cour s’est prononcée sur le droit au surplus actuariel d’un régime de retraite à prestations déterminées.  Il n’y a eu ni liquidation du régime de retraite initial, ni cristallisation consécutive du surplus actuariel dans ce contexte.  L’alinéa 15(2)a) de la Loi sur la réorganisation a cependant marqué la coupure entre l’ancien régime et le nouveau.  De plus, le PE et le texte du nouveau régime ont fait du surplus initial une somme distincte et fixe, de sorte qu’il ne peut être considéré comme un surplus actuariel type.  En raison de l’al. 15(2)a) et de ces caractéristiques uniques des deux régimes de retraite, déterminer si les prestations offertes par les deux régimes ont une valeur équivalente exige la prise en compte de ce que les employés devaient verser à la caisse de retraite pour les obtenir.

                    Dans la présente affaire, les prestations prévues par l’ancien et le nouveau régimes le jour de la mise en œuvre du second ne sont pas de valeur équivalente.  Pour qu’il y ait pareille valeur équivalente, les modalités de leur financement doivent aussi être équivalentes ou un avantage supplémentaire doit être conféré pour compenser l’inégalité du financement.  Lorsqu’il s’agit de déterminer les modalités de capitalisation du nouveau régime, le surplus initial est attribuable aux employés et porté à leur seul crédit.  Pendant la période où le surplus initial s’est constitué, seuls les participants cotisaient à la caisse de retraite et assumaient le risque de déficit.  MTS n’a pas fait, le jour de la mise en œuvre du nouveau régime, un apport égal à celui de 43,364 millions de dollars des participants — le surplus initial.  Seule MTS a bénéficié de l’apport excédentaire; les participants n’ont pas touché de prestations bonifiées grâce à celui‑ci.  Les exigences de l’al. 15(2)a) n’ont donc pas été respectées. 

Jurisprudence

                    Arrêts mentionnés : Nolan c. Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39, [2009] 2 R.C.S. 678; Burke c. Cie de la Baie d’Hudson, 2010 CSC 34, [2010] 2 R.C.S. 273.

Lois et règlements cités

Loi concernant la réorganisation de la Société de téléphone du Manitoba et apportant des modifications corrélatives, L.M. 1996, ch. 79, art. 15.

Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension , L.R.C. 1985, ch. 32 (2 e  suppl .).

Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, ch. 1 (5 e  suppl .).

Loi modifiant la Loi sur la pension de la fonction publique, L.M. 1989‑90, ch. 59.

Loi sur la pension de la fonction publique, C.P.L.M. ch. C120, art. 1(1) « prestation de pension », 22(1), 33(7.1).

Doctrine et autres documents cités

Kaplan, Ari, and Mitch Frazer.  Pension Law, 2nd ed.  Toronto : Irwin Law, 2013.

Manitoba.  Legislative Assembly.  Standing Committee on Public Utilities and Natural Resources, 2nd Sess., 36th Leg., vol. XLVI, No. 7, October 31, 1996, pp. 295‑96, 298‑99.

Manitoba.  Legislative Assembly.  Standing Committee on Public Utilities and Natural Resources, 2nd Sess., 36th Leg., vol. XLVI, No. 15, November 7, 1996, p. 809.

Sullivan, Ruth.  Sullivan on the Construction of Statutes, 5th ed.  Markham, Ont. : LexisNexis, 2008.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba (les juges Chartier, Beard et MacInnes), 2012 MBCA 13, 275 Man. R. (2d) 185, 538 W.A.C. 185, 96 C.C.P.B. 20, [2012] 6 W.W.R. 434, [2012] M.J. No. 52 (QL), 2012 CarswellMan 57, qui a infirmé une décision du juge Bryk, 2010 MBQB 11, 248 Man. R. (2d) 31, 79 C.C.P.B. 180, [2010] 8 W.W.R. 87, [2010] M.J. No. 15 (QL), 2010 CarswellMan 19.  Pourvoi accueilli.

                    Brian J. Meronek, c.r., Kris M. Saxberg, D. Tomas Masi, James Cameron et Andrew Astritis, pour les appelants.

                    Kevin T. Williams, Paul B. Forsyth et Kyle Dear, pour les intimées.

                     Version française du jugement de la Cour rendu par

                     Le juge Rothstein —

I.          Introduction

[1]                              Le 1er janvier 1997, la société d’État Manitoba Telephone System (la « Société de téléphone du Manitoba ») a été privatisée pour former les actuelles Manitoba Telecom Services Inc. et MTS Allstream Inc. (pour simplifier, l’entité antérieure à la privatisation est appelée ci‑après « société d’État MTS » et celles postérieures à la privatisation, « MTS »).  Par suite de la privatisation, l’actif du régime de retraite et les droits à pension d’environ 7 000 employés et retraités de la société d’État MTS et de ses filiales (les « participants ») ont été transférés à un nouveau régime de retraite.  L’actif comptait un « surplus actuariel » de 43,364 millions de dollars. 

[2]                              La caisse fiduciaire d’un régime à prestations déterminées type affiche un surplus actuariel lorsque son actif excède l’estimation actuarielle de son passif au moment de l’évaluation.  Dans la présente affaire, il nous faut déterminer l’incidence des dispositions législatives spécifiques adoptées en l’espèce et des caractéristiques uniques du régime de retraite en cause sur le sort réservé au surplus actuariel attribuable aux seules cotisations des employés au régime antérieur lors du transfert au nouveau régime.

[3]                              Notre Cour s’est penchée sur plusieurs affaires où ni les dispositions législatives applicables, ni le texte d’un régime à prestations déterminées type n’accordaient aux participants un droit sur le surplus actuariel.  Or, un tel droit dépend toujours des dispositions législatives applicables.  Dans le présent dossier, la disposition législative applicable mène à une conclusion différente sur ce point.  Elle exige la mise sur pied d’un nouveau régime qui offre, le jour de sa mise en œuvre, des prestations de valeur équivalente à celle des prestations de l’ancien régime.  Pour déterminer si le nouveau régime satisfait à cette exigence, il faut tenir compte du surplus actuariel affiché au moment du transfert de l’actif du régime antérieur.  Les dispositions législatives applicables et les caractéristiques uniques du régime initial distinguent le présent dossier des affaires antérieures où notre Cour s’est prononcée sur le droit au surplus actuariel d’un régime de retraite à prestations déterminées. 

[4]                              Pendant le processus de privatisation de la société d’État MTS, les participants ont demandé à celle‑ci et au gouvernement l’assurance que leur caisse de retraite serait protégée.  L’une de leurs principales craintes tout au long de ce processus portait sur le sort qui serait réservé au surplus actuariel, car dans le cadre du régime de retraite initial, il n’avait été utilisé qu’à leur avantage.  La société d’État MTS et le gouvernement ont maintes fois assuré les participants que tout surplus du régime de retraite initial affiché au moment de la privatisation ne servirait pas à diminuer le coût supporté par MTS à l’égard du nouveau régime ou ses cotisations à celui‑ci. 

[5]                              Au moment de la privatisation, le surplus actuariel du régime de retraite initial s’élevait à 43,364 millions de dollars (le « surplus initial »).  La totalité de l’actif, y compris le surplus initial, a été transférée au nouveau régime.  Toutefois, le texte du nouveau régime rendait pratiquement impossible aux participants de bénéficier de quelque avantage grâce au surplus initial.  Par contre, MTS s’est accordé des périodes d’exonération de cotisations en retranchant du surplus le montant de ses cotisations exigibles par ailleurs.

[6]                              Il faut décider en l’espèce si, en concevant le nouveau régime de telle sorte que le surplus initial ne puisse jamais être utilisé à l’avantage des participants, MTS a manqué à ses obligations suivant (1) la Loi concernant la réorganisation de la Société de téléphone du Manitoba et apportant des modifications corrélatives, L.M. 1996, ch. 79 (la « Loi sur la réorganisation »), (2) le protocole d’entente intervenu avec les représentants des participants (le « PE ») ou (3) tout autre engagement écrit envers les participants, antérieur à la privatisation, à l’effet de ne pas affecter le surplus transféré à la réduction du coût supporté par MTS relativement au nouveau régime de retraite ou de ses cotisations à celui‑ci. 

[7]                              Je conclus que MTS a contrevenu aux dispositions de la Loi sur la réorganisation, que cette conclusion n’est pas incompatible avec le PE et qu’il n’est pas nécessaire de décider si d’autres engagements écrits de MTS ont un effet juridique et s’ils ont été respectés ou non.  Vu les lacunes du dossier et la complexité financière des questions soulevées, je suis d’avis de rétablir le jugement de première instance qui ordonne à MTS de mettre à la disposition des participants le surplus initial de 43,364 millions de dollars majoré [traduction] « de l’intérêt couru au taux de rendement du nouveau régime du 1er janvier 1997 au jour du paiement » (l’« intérêt au taux du régime ») en vue de la bonification de leurs prestations de retraite (2010 MBQB 11, 248 Man. R. (2d) 31, par. 518).  Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur les modalités de mise à disposition de cette somme, le dossier sera renvoyé au juge de première instance pour qu’il rende toute décision alors rendue nécessaire.

II.       Contexte factuel

[8]                              Par suite de la privatisation de la société d’État MTS le 1er janvier 1997, l’actif du régime de retraite et les droits à pension d’environ 7 000 employés et retraités de l’entreprise et de ses filiales ont été transférés à un nouveau régime. 

[9]                              Trancher les questions en litige dans la présente affaire exige l’examen des droits à pension des participants avant la privatisation, des événements qui ont mené à celle‑ci et des droits à pension des participants aux termes du nouveau régime de retraite créé après la privatisation. 

A.       Le régime de retraite antérieur à la privatisation

[10]                          Avant la privatisation, les employés et les retraités de la société d’État MTS participaient à un régime de retraite établi par le gouvernement du Manitoba au bénéfice de ses employés et de ceux de ses sociétés d’État.  Ce régime (l’« ancien régime ») avait été constitué par la Loi sur la pension de la fonction publique, C.P.L.M. ch. C120 (« LPFP »), le texte législatif applicable pendant toute la période considérée en l’espèce.  La LPFP établissait le texte de l’ancien régime. 

[11]                          Il s’agissait d’un régime contributif à prestations déterminées dont certaines caractéristiques différaient des caractéristiques habituelles d’un tel régime.  Comme un régime à prestations déterminées type, l’ancien régime prévoyait que l’employé admissible devait verser à la caisse de retraite un certain pourcentage de ses gains admissibles.  À la retraite, l’employé qui avait acquis le droit à une pension touchait une allocation mensuelle dont le montant était calculé selon une formule qui tenait compte de ses années de service et du salaire moyen gagné pendant les 5 meilleures années au cours des 12 dernières années de service.  Cependant, contrairement à l’employeur dans le cadre d’un régime à prestations déterminées type, le gouvernement ne cotisait pas à la caisse de retraite, mais payait plutôt sa part des prestations lorsqu’elles devenaient exigibles. Ainsi, au lieu de verser à la caisse de retraite des cotisations égales à celles des employés, le gouvernement payait plutôt la moitié des prestations dues aux retraités au moment de l’exigibilité (motifs de première instance, par. 25).

[12]                          Dès lors, depuis 1961, la caisse de retraite de l’ancien régime (la « Caisse de retraite de la fonction publique » ou « CRFP ») n’était constituée que des cotisations des employés et d’un « intérêt » dont le taux, non défini par la LPFP, était fondé dans les faits sur celui du rendement de l’actif.  Ces sommes étaient affectées au paiement de la moitié des obligations du régime envers les participants, l’autre moitié étant versée par le gouvernement de manière ponctuelle. 

[13]                          Sans y être tenue légalement, la société d’État MTS conservait dans un compte distinct — la réserve de la caisse — des fonds suffisants pour acquitter le passif du régime.  Il ne s’agissait pas d’une caisse fiduciaire, car les fonds demeuraient à la disposition de l’entreprise, qui pouvait les affecter à autre chose même si elle ne l’a jamais fait.

[14]                          Suivant l’ancien régime, l’allocation mensuelle versée aux participants pouvait être ajustée au coût de la vie pour tenir compte de l’inflation.  La quote‑part du participant de l’ajustement au coût de la vie était prélevée d’un compte distinct, le compte de redressement de retraite (« CRR »).  Un pourcentage de chacune des cotisations de l’employé était porté au crédit du CRR, dont l’actif était détenu séparément de la CRFP et portait intérêt au taux de rendement du régime. 

[15]                          L’ajustement au coût de la vie accordé au participant par prélèvement sur le CRR était déterminé par l’actuaire du régime en fonction d’un certain pourcentage de l’indice des prix à la consommation (« IPC »).  Idéalement, l’ajustement au coût de la vie correspondait aux deux tiers de l’IPC et il était automatiquement autorisé jusqu’à concurrence de ce pourcentage s’il n’en résultait pas de passif non provisionné dans le CRR.  Une obligation de préfinancement — la « règle des 20 ans » — empêchait l’actuaire du régime d’autoriser un ajustement au coût de la vie à raison de plus des deux tiers de l’IPC s’il constatait que le CRR n’était pas suffisamment provisionné « pour garantir le paiement de tous les redressements nécessaires pendant les vingt années à venir » (LPFP, par. 33(7.1), ajouté dans la Loi modifiant la Loi sur la pension de la fonction publique, L.M. 1989‑90, ch. 59, en vigueur le 15 mars 1990).  Autrement dit, l’actuaire ne pouvait autoriser un ajustement au coût de la vie à raison, par exemple, de 100 p. 100 de l’IPC si le CRR n’était pas suffisamment provisionné pour financer le paiement de la quote‑part des participants pendant 20 ans à raison de 100 p. 100 de l’IPC (LPFP, par. 33(7.1)).  La règle des 20 ans visait à réduire le risque que seuls les retraités actuels bénéficient du CRR et que celui‑ci ne permette pas l’ajustement au coût de la vie des allocations versées aux futurs retraités.  Le gouvernement devait uniquement verser un montant égal à l’ajustement au coût de la vie prélevé sur le CRR et exigible en application de la LPFP.

[16]                          De temps à autre, l’ancien régime affichait un surplus actuariel, c’est‑à‑dire que les fonds de la CRFP et du CRR représentaient plus de 50 p. 100 de l’estimation actuarielle du passif du régime.  Les modalités de gouvernance établies par la LPFP permettaient aux participants de convenir avec le gouvernement que le surplus serait affecté à bonification de leurs prestations.  Plus précisément, en cas de surplus, le comité de liaison (composé de représentants des participants) proposait au comité consultatif (composé de représentants du gouvernement) différentes affectations.  Après la conclusion d’un accord par les deux comités, le législateur modifiait toujours la LPFP pour donner effet aux bonifications convenues.

[17]                          Les propositions d’affectation du surplus actuariel étaient toujours le fait des participants; le surplus n’était affecté qu’à l’avantage des participants, car il résultait uniquement des cotisations des employés à la CRFP.  Toutefois, lorsque les parties convenaient de bonifications, le gouvernement n’était pas tenu de verser — et il a parfois refusé de le faire — une somme égale à celle prélevée sur la CRFP.  Le surplus actuariel a parfois servi à accroître le pourcentage d’ajustement au coût de la vie, mais seulement de manière sporadique.

[18]                          Au moment de la privatisation de la société d’État MTS, l’ancien régime affichait un surplus actuariel de 43,364 millions de dollars.  Aux fins du présent pourvoi, le montant du surplus, confirmé par la Cour d’appel et reconnu par les parties, n’est pas en litige.

B.       Le processus de privatisation

[19]                          La privatisation de la société d’État MTS a été entreprise au début de 1996.  Au mois de mai, le législateur a déposé en première lecture le projet de loi 67, qui est ensuite devenu la Loi sur la réorganisation.  Selon le seul article consacré aux avantages des employés, les participants étaient réputés consentir à la cessation de leur participation à l’ancien régime et au transfert au nouveau régime de l’actif et du passif de l’ancien, de même que des ententes qui s’y rattachaient (par. 15(8)).  Suivant l’al. 15(2)a) du projet de loi, MTS était tenue de créer un « nouveau régime conçu de façon à permettre le versement de prestations qui sont, à la date de mise en œuvre, au moins équivalentes [dans la version anglaise, equivalent in value] à celles que les employés reçoivent ou pourraient recevoir en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique [c.‑à‑d. l’ancien régime] » (le « nouveau régime »).

[20]                          Informés du projet de privatisation, les participants ont craint de voir compromis leurs droits à pension.  Peu après le dépôt du projet de loi 67, des employés et des retraités ont formé un comité du régime de retraite des employés (le « Comité »).  Certains des syndicats représentant les employés et le Comité ont demandé à prendre part aux tractations en cours afin d’assurer la pérennité des droits à pension des participants.  L’une des principales craintes des participants portait sur le sort du surplus initial — lequel, dans le cadre de l’ancien régime, avait servi à bonifier les prestations.  Ils ont demandé l’assurance que le surplus continuerait d’être affecté seulement à la bonification des prestations et à l’accroissement du pourcentage d’ajustement au coût de la vie.

[21]                          Le Comité et les syndicats en cause ont rencontré les représentants de MTS, dont son président-directeur général, William Chisholm Fraser, et ont par ailleurs communiqué avec eux.  Tout au long du processus, les participants ont cherché à connaître le texte du régime dont la rédaction était en cours par MTS et les représentants du gouvernement chargés du dossier.  Or, ils se sont toujours vu refuser l’accès à l’ébauche du texte du régime. MTS soutenait avoir pour mandat de créer le nouveau régime et que cela ne l’obligeait pas à tenir des consultations ou des négociations avec les groupes d’employés et de retraités.

[22]                          Les participants ont néanmoins demandé des précisions sur ce qu’il adviendrait du surplus initial après la privatisation.  Ils ont obtenu l’assurance que tout surplus serait transféré au nouveau régime de retraite et qu’il ne serait pas affecté à la diminution du coût supporté par MTS relativement au nouveau régime ou de ses cotisations à celui‑ci.  Dans une lettre adressée à M. Fraser, le Comité a formulé les questions suivantes à ce sujet :

                    [traduction]  La somme transférée définie au par. 15(1) du projet de loi 67 englobe le « surplus » éventuel de la caisse de retraite de la fonction publique (C.R.F.P.) attribuable aux employés. Bien que le montant définitif de ce « surplus » n’ait pas encore été déterminé par l’actuaire de la caisse, Turnbull & Turnbull, veuillez répondre aux questions suivantes :

                    a)  Le « surplus » attribuable aux employés et compris dans la somme transférée fera‑t‑il partie du nouveau régime?

                    b) Ce « surplus » sera‑t‑il utilisé pour accroître la quote‑part des employés de la bonification des prestations?

                    c)  Ce « surplus » sera‑t‑il utilisé pour permettre à l’employeur de diminuer le coût du régime qu’il supporte?

                    d) Veuillez préciser les modalités selon lesquelles ce « surplus » sera investi dans un compte en fiducie distinct au nom des employés.

                    e)  MTS fera‑t‑elle une contribution égale au « surplus » attribuable aux employés compris dans la somme transférée au nouveau régime? [d.a., vol. VII, p. 104]

[23]                          La réponse de M. Fraser a été la suivante :

                    [traduction]

 

a)            Selon la définition de « somme transférée » figurant au par. 15(1) du projet de loi 67, le surplus fera partie de la somme transférée de la caisse de retraite de la fonction publique (CRFP) à la caisse fiduciaire créée aux fins du nouveau régime de retraite qui sera agréé sous le régime de la LNPP et de la Loi de l’impôt sur le revenu .

 

b) et c)    Une fois le montant du surplus déterminé puis transféré à la caisse fiduciaire, une analyse aura lieu pour décider de son utilisation la plus appropriée en liaison avec le régime de retraite.  Toutefois, le surplus ne servira pas à diminuer les coûts supportés par l’employeur relativement au nouveau régime de retraite ou ses cotisations à celui‑ci.  [Je souligne; d.a., vol. VII, p. 108.]

Dans une autre lettre adressée à l’avocat du Comité, M. Fraser réaffirme que tout surplus éventuel transféré [traduction] « ne servira pas à diminuer les coûts supportés par l’employeur relativement au nouveau régime de retraite ou ses cotisations à celui‑ci » (d.a., vol. VIII, p. 117).

[24]                          Les participants ont également fait part au législateur de leurs craintes concernant le surplus initial.  En octobre 1996, le Comité a présenté au comité permanent des services publics et des ressources naturelles un exposé dans lequel il soulignait que, dans l’ancien régime, le surplus avait [traduction] « toujours servi à bonifier les prestations » et il a demandé qu’une modification précise que tout surplus au moment du transfert « ne soit pas dilapidé ou par ailleurs rendu infime une fois l’obligation de l’employeur déterminée à l’issue d’un calcul actuariel ultérieur » (Manitoba, Assemblée législative, 2e sess., 36e lég., vol. XLVI, n7, 31 octobre 1996, p. 295-296).  Les participants ont par la suite déposé à l’assemblée législative une pétition revêtue de 1 525 signatures qui réaffirmait leur intérêt à l’égard des sommes transférées et demandait à ce que le nouveau régime s’apparente le plus possible à l’ancien. 

[25]                          Le gouvernement a commencé à craindre qu’il ne soit pas donné suite aux questions soulevées par le Comité et que la Loi sur la réorganisation soit contestée.  Le ministre responsable de la société d’État MTS, l’honorable Glen Findlay, a demandé à MTS de faire le point sur le processus de privatisation et sur les craintes exprimées par le Comité.  Le 6 novembre 1996, dans une note de service transmise au ministre Findlay, M. Fraser a fait état de l’inquiétude des participants quant au sort du surplus initial et confirmé ce qu’il avait dit au Comité, à savoir que [traduction] « MTS s’est engagée à ce que tout surplus de la caisse ne serve pas à diminuer le coût qu’elle supporte relativement au nouveau régime ou ses cotisations à celui‑ci » (d.a., vol. VIII, p. 156).

[26]                          Malgré les assurances de M. Fraser, le Comité craignait toujours que les droits des participants ne soient pas bien protégés.  Deux rencontres ont donc eu lieu le 7 novembre 1996.  D’abord, le secrétaire du Conseil du Trésor, Jules Benson, a convoqué M. Fraser à l’assemblée législative pour discuter des préoccupations des participants, y compris le sort du surplus initial. Plusieurs représentants du gouvernement, dont les ministres Findlay, Darren Praznik (leader parlementaire adjoint) et Eric Stefanson (ministre des Finances) étaient également présents.

[27]                          Le même jour, le leader parlementaire adjoint Praznik et le président du conseil d’administration de MTS, Tom Stefanson, ont organisé une deuxième rencontre entre les représentants du Comité, ceux des syndicats qui s’étaient également montrés inquiets et (au téléphone) M. Fraser afin qu’une entente intervienne entre les parties.  À ce moment, les participants n’avaient toujours pas obtenu copie de l’ébauche du texte du nouveau régime.  Toutefois, selon les conclusions du juge de première instance, lors de ces échanges, il était tenu pour acquis que les participants continueraient, comme dans le cadre de l’ancien régime, d’avoir voix au chapitre quant à l’utilisation du surplus initial. 

[28]                          La deuxième rencontre a débouché sur le PE auquel M. Fraser, les représentants du Comité, ceux des syndicats, ainsi que le leader parlementaire adjoint Praznik et le ministre Eric Stefanson ont apposé leur signature.  Le troisième paragraphe du PE prévoyait ce qui suit au sujet du surplus initial :

                    [traduction]  Tout surplus initial de la CRFP sera affecté à la caisse fiduciaire du nouveau régime de retraite pour financer l’ajustement ultérieur au coût de la vie.  Chaque année subséquente, la situation financière du compte d’ajustement au coût de la vie sera examinée par l’actuaire du régime.  Si l’actif dépasse le montant alors requis pour l’ajustement prévu, les prestations de retraite pourront être majorées, à condition qu’il n’en résulte pas d’accroissement du passif total du régime de retraite.  [d.a., vol. VIII, p. 158]

[29]                          Le PE prévoyait aussi que les actuaires des syndicats d’employés, l’actuaire de MTS et celui de l’ancien régime examineraient le transfert de l’actif de l’ancien régime au nouveau.  En cas de désaccord sur l’évaluation actuarielle ou l’un des éléments visés au par. 3, le dossier serait confié à un actuaire nommé par le vérificateur provincial.

[30]                          Après la signature du PE, trois modifications ont été apportées au projet de loi 67.  Premièrement, on a ajouté le par. 15(3), lequel prévoit que le vérificateur provincial nomme un actuaire indépendant afin qu’il établisse si, le jour de la mise en œuvre, les conditions du nouveau régime font en sorte que les prestations sont de valeur équivalente à celle des prestations de l’ancien régime, conformément à l’al. 15(2)a).  Deuxièmement, il y a eu adjonction du par. 15(4), selon lequel MTS « prend les mesures nécessaires afin de régler les questions que soulève l’actuaire indépendant » dans son rapport.  Troisièmement, le nouveau par. 15(11) précise que l’art. 15 n’a pas pour effet d’annuler le PE.

[31]                          La Loi sur la réorganisation a été adoptée et a reçu la sanction royale le 28 novembre 1996, et la société d’État MTS a donc été privatisée le 1er janvier 1997. 

C.       Le régime de retraite après la privatisation

[32]                          La Loi sur la réorganisation exigeait de MTS qu’elle mette en œuvre un nouveau régime de retraite auquel seraient transférés l’actif et le passif de l’ancien régime attribuables aux participants de son régime.  En cours de privatisation, le gouvernement et MTS avaient établi une ébauche du texte du nouveau régime (le « texte du nouveau régime »).

[33]                          Le nouveau régime en était un à prestations déterminées.  Les parties reconnaissent qu’il ne différait pas sensiblement de l’ancien en ce qui concerne les cotisations que les employés devaient continuer de verser ou les prestations déterminées mensuelles auxquelles avaient droit les participants retraités. 

[34]                          Or, une fois la société d’État privatisée, le nouveau régime devait être agréé — et il l’a été — en application de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension , L.R.C. 1985, ch. 32 (2 e  suppl .) (« LNPP  »), et de la Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, ch. 1 (5 e  suppl .) (« LIR  »).  Suivant la LNPP et la LIR, le nouveau régime devait se distinguer de l’ancien sous de nombreux rapports.

[35]                          L’une des principales différences découlant de la LNPP  était que MTS ne pouvait plus s’acquitter de ses obligations ponctuellement, mais devait plutôt veiller à ce que le nouveau régime soit toujours entièrement capitalisé.  En d’autres mots, comme le fait observer le juge de première instance :

                    [traduction] . . . MTS devait payer sa part des prestations « à l’avance », comme les employés.  Des sommes supplémentaires étaient aussi exigibles, selon la situation financière de la caisse.  Des prestations étaient garanties aux employés contre une somme fixe.  Tout coût excédentaire incombait entièrement à MTS.  [par. 304]

Le texte du nouveau régime était libellé en conséquence. 

[36]                          Tous les éléments d’actif et de passif de l’ancien régime attribuables aux participants du régime de MTS, y compris le surplus initial, ont été transférés au nouveau régime.  Tous les fonds de la réserve de la caisse de la société d’État MTS y ont également été transférés; ils correspondaient à un peu plus de 50 p. 100 du passif au moment de la privatisation.  Le nouveau régime était par conséquent entièrement capitalisé le jour de sa mise en œuvre et affichait un surplus sensiblement équivalent au surplus initial provenant de l’ancien régime.

[37]                          Puisque MTS devait dès lors assumer seule le passif du nouveau régime, le texte de ce dernier prévoyait qu’elle décidait seule de l’affectation du surplus actuariel accumulé grâce aux cotisations et aux revenus de la caisse.  Ainsi, suivant la LNPP et le texte du nouveau régime, MTS pouvait affecter le surplus actuariel accumulé dans le cadre du nouveau régime à la réduction de son apport périodique en s’accordant des « périodes d’exonération de cotisations ». 

[38]                          Les participants ont contesté le pouvoir de MTS de décider de l’affectation du surplus actuariel accumulé en première instance, mais non en appel.  Or, la reconnaissance de ce pouvoir de MTS sur le surplus actuariel accumulé dans le cadre du nouveau régime n’emporte pas la reconnaissance de son pouvoir sur le surplus initial et du caractère approprié de l’utilisation qui en a été faite, d’où le présent pourvoi. 

[39]                          Dans le cadre du nouveau régime, l’ajustement au coût de la vie s’effectue au moyen d’un compte fictif, à savoir le compte de redressement des prestations de retraite (« CRPR »).  Le jour de la mise en œuvre du nouveau régime, le montant du surplus initial, celui du CRR attribuable aux participants du régime de MTS et celui des cotisations correspondantes versées par MTS ont été portés au crédit du CRPR.

[40]                          Comme le texte de l’ancien régime, celui du nouveau régime prévoit qu’un pourcentage des cotisations périodiques des employés est porté au crédit du CRPR.  Dans le cadre du nouveau régime, MTS verse simultanément au CRPR l’équivalent de ce pourcentage.  En outre, le CRPR est crédité chaque mois d’un intérêt dont le taux est fondé non pas sur celui du rendement actuel de la caisse de retraite, mais plutôt sur celui [traduction] « du rendement moyen des dépôts à cinq (5) ans des particuliers auprès des banques à charte » (base de données CANSIM utilisée couramment pour les régimes de retraite) (d.a., vol. VIII, p. 39).  Entre 1997 et 2006, ce rendement a été plutôt stable, mais en moyenne inférieur au rendement réel de la caisse de retraite.  Les sommes versées aux participants pour l’ajustement au coût de la vie à partir de la caisse du nouveau régime sont débitées en conséquence du CRPR.

[41]                          Selon le texte du nouveau régime, et toujours conformément au PE, MTS verse chaque mois des prestations ajustées au coût de la vie à raison d’au moins les deux tiers de l’IPC, jusqu’à concurrence d’un IPC de 4 p. 100.  De plus, comme l’ancien régime, mais sans que le PE n’en fasse mention, le nouveau régime prévoit que le pouvoir discrétionnaire de l’actuaire d’autoriser l’ajustement au coût de la vie au-delà du minimum garanti est assujetti à la règle des 20 ans.  Autrement dit, l’actuaire ne peut autoriser cet ajustement à raison d’un taux supérieur au minimum des deux tiers de l’IPC que si le CRPR est suffisamment provisionné pour garantir le versement mensuel de prestations ajustées à ce taux pendant les 20 années suivantes. 

[42]                          Le juge de première instance tire cependant la conclusion de fait que, malgré le transfert du surplus initial au compte d’ajustement au coût de la vie, [traduction] « l’observation [de la règle] des 20 ans est impossible à cause de la manière dont le compte a été constitué » (par. 320).  J’infère que sa conclusion s’appuie sur la prise en compte de plusieurs éléments.  L’un d’eux tient au fait que le pourcentage des cotisations totales à la caisse fiduciaire porté au crédit du CRPR chaque mois, suivant le nouveau régime, ne permet pas de financer l’ajustement au coût de la vie garanti chaque mois et débité du CRPR.  Cette insuffisance a été relevée dès mai 1996 dans un rapport sur la transition commandé par MTS : [traduction] « Les cotisations dont le versement au compte de redressement est prévu [. . .] ne suffisent probablement pas pour assurer le même ajustement au coût de la vie que ces dernières années » (d.a., vol. VI, p. 120).  Un deuxième élément correspond à l’application du taux CANSIM relativement stable, mais faible, prévue également par le texte du nouveau régime, pour calculer l’intérêt porté au crédit du CRPR.

[43]                          Ces deux éléments expliquent en partie l’excès du débit du CRPR sur son crédit au fil du temps.  (Les participants font également valoir que l’actif porté au crédit du CRPR le jour de la mise en œuvre du régime ne couvrait pas l’ajustement garanti au coût de la vie alors exigible).  En conséquence, chaque année, le compte a de moins en moins observé la règle des 20 ans fixée par le texte du nouveau régime.  Par exemple, le 1er janvier 2005, le CRPR affichait un surplus de 15 millions de dollars, mais il lui manquait 192 millions de dollars pour satisfaire à la règle des 20 ans; le 1er janvier 2008, son déficit atteignait presque 17 millions de dollars, et 240 millions de dollars supplémentaires étaient requis pour satisfaire à la même règle.  La Cour d’appel ne relève pas d’erreur dans la conclusion de fait du juge de première instance selon laquelle le texte du nouveau régime rendait impossible l’observation de la règle des 20 ans.  Elle dit rejeter la thèse des participants parce qu’ils ont accepté ce texte et que le CRPR est administré conformément au PE et à ce texte.  MTS fait valoir devant notre Cour que la conclusion du juge de première instance est entachée d’une erreur manifeste et dominante, mais elle s’en tient à des considérations générales sur l’impossibilité de prévoir à long terme le rendement de la caisse fiduciaire d’un régime de retraite.

[44]                          Même si, dans les faits, le surplus initial n’avait jamais pu servir à accroître le pourcentage d’ajustement au coût de la vie, MTS a pu affecter l’actif lié au surplus initial à la réduction du passif du régime pour établir que le nouveau régime de retraite était entièrement capitalisé.  Le surplus initial de 43,364 millions de dollars lui a permis de bénéficier de périodes d’exonération de cotisations et de faire au nouveau régime un apport moindre que celui qui était par ailleurs exigible, et ce, même si la règle des 20 ans empêchait la majoration du pourcentage d’ajustement au coût de la vie.

D.       Détermination actuarielle de l’équivalence entre l’ancien régime et le nouveau

[45]                          Rappelons que, après la signature du PE, le législateur a modifié la Loi sur la réorganisation afin d’y prévoir au par. 15(3) que « [l]e vérificateur provincial nomme, le plus tôt possible après la sanction de la présente loi, un actuaire indépendant chargé d’examiner le régime proposé par la Société [. . .] afin d’établir si les prestations visées par le régime proposé sont équivalentes [dans la version anglaise, equivalent in value], comme l’exige l’alinéa en question ».  Le vérificateur provincial a nommé Clifford Fox, à qui il avait déjà confié des mandats dans le passé.

[46]                          Dans sa lettre du 5 mars 1997, M. Fox conclut en définitive que, dans le cadre du nouveau régime, les prestations sont [traduction] « au moins de valeur équivalente à celle des prestations visées par la LPFP » (d.a., vol. X, p. 69).  Point n’est besoin d’expliquer la conclusion de M. Fox car, selon le juge de première instance, le vérificateur provincial a compromis de manière inadmissible l’indépendance de M. Fox, de sorte que l’opinion exprimée dans la dernière lettre de l’actuaire ne saurait être retenue.  J’y reviendrai.

[47]                          Les participants ont contesté la conclusion de M. Fox pour finalement engager l’instance à l’origine du présent pourvoi.  Ils ont sollicité différentes réparations, dont celle qui intéresse particulièrement le pourvoi, à savoir que le surplus initial, majoré de l’intérêt couru, serve à bonifier les prestations de retraite, à condition que le coût supporté par MTS n’en soit pas accru. 

III.    Historique des procédures

A.       Cour du Banc de la Reine du Manitoba, 2010 MBQB 11, 248 Man. R. (2d) 31

[48]                          Le juge Bryk conclut que les participants ont droit à réparation.  Il estime d’abord que l’actuaire indépendant nommé par le vérificateur provincial, M. Fox, n’a pas satisfait à l’obligation d’équité procédurale envers les participants en ce que le bureau du vérificateur provincial et MTS ont influencé de manière inadmissible la formation de son opinion quant à l’équivalence des deux régimes.  Il estime que, vu le temps écoulé et l’intérêt supérieur des parties, la réparation qui convient consiste à substituer sa décision à l’opinion de M. Fox. 

[49]                          Ni l’une ni l’autre des conclusions du juge Bryk, selon lesquelles M. Fox a manqué à son obligation d’équité procédurale et il convient de substituer sa décision à l’opinion de M. Fox, ne sont contestées dans le cadre du pourvoi. 

[50]                          Le juge Bryk conclut que l’affectation du surplus initial par MTS contrevient à l’al. 15(2)a) de la Loi sur la réorganisation, qui exige que les prestations versées en application du nouveau régime soient de valeur équivalente à celle des prestations de l’ancien régime.  À son avis, la « valeur équivalente » des prestations [traduction] « est censée tenir compte du surplus, tant initial qu’accumulé, ainsi que de la gouvernance » (par. 515).  Il statue que les prestations prévues par les deux régimes ne sont pas équivalentes dans la mesure où le surplus initial grâce auquel les participants pouvaient auparavant bonifier leurs prestations n’est plus à leur disposition dans le cadre du nouveau régime.

[51]                          Le juge Bryk conclut en outre que l’impossibilité d’affecter le surplus initial à la bonification des prestations contrevient au par. 3 du PE, où il est convenu, selon lui, que les participants [traduction] « auront accès au surplus initial, qui sera utilisé de la même manière que dans le cadre de l’ancien régime » (par. 502).

[52]                          Partant, le juge Bryk déclare que les participants ont droit à une somme égale au montant du surplus initial majoré de l’intérêt calculé selon le taux de rendement du nouveau régime, et que cette somme doit [traduction] « servir à bonifier les prestations de retraite, à condition qu’il n’en résulte pas d’accroissement du coût supporté par MTS » (par. 533).  Il ordonne aux participants et à MTS de convenir par voie de négociation de modalités d’affectation de la somme qui soient acceptables à toutes les parties. 

B.       Cour d’appel du Manitoba, 2012 MBCA 13, 275 Man. R. (2d) 185

[53]                          Pour la Cour d’appel, l’équivalence exigée à l’al. 15(2)a) de la Loi sur la réorganisation à l’égard des prestations de l’ancien et du nouveau régimes ne vise ni le surplus, ni la gouvernance.  Faisant fond sur la définition de « pension de retraite » figurant dans la LPFP, elle estime que la disposition exige seulement l’équivalence des allocations de retraite de base touchées par les participants.  Elle fait observer que l’al. 15(2)a) n’a pas été modifié lors de l’adjonction des par. 15(3), 15(4) et 15(11), alors qu’il aurait pu l’être de manière à exiger l’équivalence des régimes de retraite plutôt que celle des prestations de retraite. 

[54]                          La Cour d’appel conclut également à l’absence d’inobservation du par. 3 du PE.  Sur le plan contractuel, les négociations et l’intention subjective des participants ne valent pas pour l’interprétation du PE.  Les obligations impératives découlant du par. 3 (en l’occurrence le transfert du surplus initial au CRPR et son utilisation pour l’ajustement ultérieur au coût de la vie) ont été respectées, alors que les obligations conditionnelles (à savoir son utilisation pour accroître le pourcentage d’ajustement au coût de la vie) n’avaient pas à l’être puisque les conditions fixées n’avaient pas été remplies.  En common law, les participants n’ont aucun droit sur le surplus généré par un régime de retraite à prestations déterminées existant.  Le fait que les participants ont assumé le risque que la CRFP soit déficitaire n’a aucune incidence sur le droit à un surplus.  Le droit régissant les régimes de retraite permettait à MTS de s’accorder des périodes d’exonération de cotisations. 

[55]                          La Cour d’appel accueille donc l’appel de MTS et rejette celui, incident, des participants.  À son avis, le nouveau régime respecte l’al. 15(2)a) de la Loi sur la réorganisation et le par. 3 du PE. 

IV.    Questions en litige

[56]                          Le seul point en litige dans le pourvoi a trait au surplus initial.  Les participants soutiennent que, en ne veillant pas à ce que le surplus initial soit affecté au seul bénéfice des participants, en constituant un nouveau compte de manière à rendre impossible l’utilisation du surplus initial pour accroître le pourcentage d’ajustement au coût de la vie et en utilisant le surplus initial pour s’accorder des périodes d’exonération de cotisations, MTS a contrevenu à ce qui suit :

(1)               l’al. 15(2)a) de la Loi sur la réorganisation, selon lequel MTS doit créer un nouveau régime conçu de façon à permettre « le versement de prestations qui sont, à la date de mise en œuvre, au moins équivalentes à celles » que les participants pouvaient toucher dans le cadre de l’ancien régime;

(2)               le par. 3 du PE, qui précise les modalités d’utilisation du compte d’ajustement au coût de la vie et celles de l’affectation du surplus initial dans le cadre du nouveau régime;

(3)               les engagements écrits de MTS pendant le processus de privatisation à l’effet de ne pas utiliser le surplus initial pour diminuer le coût qu’elle supporte relativement au nouveau régime ou ses cotisations à celui‑ci.

V.       Analyse

A.       MTS a‑t‑elle manqué à son obligation de créer un régime conçu de façon à permettre le versement de prestations de valeur équivalente à celle des prestations offertes par l’ancien régime?

[57]                          Suivant l’al. 15(2)a) de la Loi sur la réorganisation, MTS était tenue de créer 

                    le nouveau régime conçu de façon à permettre le versement de prestations qui sont, à la date de mise en œuvre, au moins équivalentes à celles que les employés reçoivent ou pourraient recevoir en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique [l’ancien régime] . . .

Les participants font valoir que les prestations prévues par le nouveau régime ne sont pas de valeur équivalente à celle des prestations auxquelles ils avaient droit dans le cadre de l’ancien.  En effet, le versement des prestations était alors financé à parts égales par les participants et le gouvernement.  Le jour de la mise en œuvre du nouveau régime, MTS n’a pas fait d’apport égal à celui des participants, c’est‑à‑dire le surplus initial de 43,364 millions de dollars.  Les participants continuaient de toucher les mêmes prestations de retraite, de sorte qu’ils ont en fait payé 43,364 millions de dollars de plus que MTS pour toucher les mêmes prestations que celles susceptibles d’être obtenues en application de l’ancien régime.

(1)      Ce qu’il faut entendre par « valeur équivalente »

[58]                          Le désaccord des parties relatif à l’al. 15(2)a) porte essentiellement sur ce qu’il faut entendre par des prestations de valeur équivalente suivant l’un et l’autre régimes. 

[59]                          MTS prétend que pour déterminer si les prestations offertes par le nouveau régime sont de valeur équivalente à celle des prestations qu’offrait l’ancien, il suffit de comparer directement les allocations de retraite de base payables aux participants retraités en application de l’un et l’autre régimes.  Si l’allocation de retraite à laquelle a droit désormais le participant retraité est la même que celle qu’il aurait touchée auparavant, l’al. 15(2)a) est respecté. 

[60]                          Les participants soutiennent que la notion de « valeur équivalente » suppose une comparaison plus globale des prestations prévues par les deux régimes de retraite.  L’interprétation de l’al. 15(2)a) commande, outre la comparaison des allocations de retraite de base touchées par les participants, l’examen de leur mode de financement.  Grâce au surplus initial, l’apport des employés au nouveau régime dépassait celui de MTS.  Les prestations prévues par l’un et l’autre régimes ne sont donc pas de « valeur équivalente », car le versement des prestations du nouveau régime n’est plus financé à parts égales par les participants et l’employeur comme il l’était auparavant.

[61]                          À mon avis, l’interprétation avancée par les participants est la plus convaincante. 

[62]                          La Cour d’appel retient une interprétation fondée sur la définition de « prestation de pension » qui figure dans la LPFP.  Elle fait remarquer que l’al. 15(2)a) de la Loi sur la réorganisation exige que le nouveau régime soit conçu de façon à permettre « le versement de prestations qui sont [. . .] [de valeur équivalente à celle des prestations] que les employés reçoivent ou pourraient recevoir en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique ».  Le paragraphe 1(1) de la LPFP définit la « prestation de pension » comme suit :

                    Total des mensualités ou autres paiements périodiques d’allocations de retraite auxquels a droit ou peut avoir droit un employé en vertu de la présente loi lors de sa retraite . . .

[63]                          Selon la Cour d’appel, cette définition porte un coup fatal à la thèse voulant que les « prestations » visées à l’al. 15(2)a) s’entendent d’autre chose que des allocations de retraite payables suivant l’ancien régime.  En particulier, l’identité des prestations visées à l’al. 15(2)a) et de la « prestation de pension » définie dans la LPFP doit être présumée.  L’alinéa 15(2)a) commande donc une simple comparaison des allocations de retraite payables en vertu de l’un et l’autre régimes. 

[64]                          Or, j’estime en toute déférence que l’issue du pourvoi ne tient pas à la définition des prestations de retraite ou de la prestation de pension, mais bien au sens de « valeur équivalente ».  À mon avis, l’interprétation la plus raisonnable de l’al. 15(2)a) réside dans l’application de ce terme à la fois aux prestations prévues par les régimes et aux moyens grâce auxquels leur versement est financé. 

[65]                          Pour satisfaire à l’exigence énoncée à l’al. 15(2)a), il ne suffit pas que les versements mensuels soient les mêmes selon l’un et l’autre régimes.  Si l’al. 15(2)a) avait dû avoir un sens aussi étroit, il aurait été superflu de renvoyer, en anglais, à la valeur équivalente des prestations (« equivalent in value »).  Le renvoi à la notion de « valeur » indique que sont visées à la fois les prestations versées aux participants et la manière dont est financé leur versement.  En somme, se prononcer sur la « valeur équivalente » appelle la question de savoir si une personne raisonnable préférerait recevoir des prestations dans le cadre de l’ancien régime ou du nouveau.  Il est évident qu’une personne raisonnable tiendrait compte des cotisations qu’il lui faudrait verser pour obtenir ces prestations.  Toutes choses étant égales par ailleurs, la personne raisonnable qui aurait le choix entre un régime de retraite contributif financé en partie par les employés et un régime non contributif entièrement financé par l’employeur choisirait assurément le second. 

[66]                          Ni les parties ni les juridictions inférieures n’ont laissé entendre que la version française de l’al. 15(2)a) allait à l’encontre de cette interprétation.  En fait, le contexte et l’historique législatifs de l’art. 15 permettent tous deux de conclure que, à cet alinéa, le législateur entendait exiger la comparaison non seulement des sommes versées chaque mois aux participants en vertu de l’un et l’autre régimes, mais aussi du financement des versements.

[67]                          En ce qui concerne le contexte législatif, le par. 15(3) de la Loi sur la réorganisation, ajouté immédiatement après la rencontre du 7 novembre à laquelle ont participé des membres de l’assemblée législative, MTS et des participants et qui a débouché sur la signature du PE, renvoie expressément à l’al. 15(2)a) et à la notion de valeur équivalente.  En voici le texte :

                    15(3)        Le vérificateur provincial nomme, le plus tôt possible après la sanction de la présente loi, un actuaire indépendant chargé d’examiner le régime proposé par la Société pour l’application de l’alinéa 2a) afin d'établir si les prestations visées par le régime proposé sont [de valeur équivalente], comme l’exige l’alinéa en question.

[68]                          L’un des points à l’ordre du jour de la rencontre du 7 novembre était le sort réservé au surplus initial dans le cadre du nouveau régime.  Comme le conclut le juge de première instance,

                    [traduction]  [d]ès le début du processus de privatisation, les employés et les retraités se sont assurés que le nouveau régime offrirait les mêmes prestations de retraite que l’ancien [. . .]  Le surplus initial et celui accumulé, ainsi que la gouvernance, demeuraient des sujets d’inquiétude [. . .] Ce sont ces points qui ont été abordés le 7 novembre . . . [par. 510]

Le fait que, à la suite de cette rencontre, le législateur a jugé nécessaire de nommer un actuaire indépendant pour examiner le nouveau régime et déterminer si les prestations offertes avaient ou non une valeur équivalente à celle des prestations versées en application de l’ancien régime étaye la conclusion qu’il devait y avoir davantage qu’une simple comparaison des sommes versées par l’un et l’autre régimes, les participants reconnaissant déjà leur équivalence. 

[69]                          La Cour d’appel tient pour significative l’omission du législateur de modifier l’al. 15(2)a) lors de l’adjonction des par. 15(3), 15(4) et 15(11) pour donner suite aux craintes des participants, et elle conclut que cette omission appuie son interprétation de la disposition.  Or, le par. 15(3) renvoie expressément à l’al. 15(2)a) et fait partie du contexte à considérer pour interpréter celui‑ci.

[70]                          Comme je l’explique au par. 65, déterminer si les prestations offertes par les deux régimes ont une valeur équivalente exige la prise en compte de ce que les employés devaient verser à la caisse de retraite pour les obtenir.  L’historique législatif de la Loi sur la réorganisation appuie par ailleurs mon interprétation.  Selon la professeure Sullivan, l’historique législatif peut permettre [traduction] « d’établir l’intention précise du législateur », y compris « le sens qu’il a voulu donner à un terme particulier », mais « il doit être pertinent eu égard à la question d’interprétation considérée et ne saurait être intrinsèquement non fiable » (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 609 et 612 (je souligne)).

[71]                          Avant l’adoption de la Loi sur la réorganisation, le leader parlementaire adjoint Darren Praznik a dit ce qui suit en réponse aux préoccupations exprimées par le Comité concernant entre autres le sort du surplus initial et le caractère ambigu ou non du libellé de l’al. 15(2)a) :

                    [traduction]  Il s’agit des questions qui nous ont été signalées, et notre intention n’est aucunement de déposséder les employés de leurs pensions.  S’il subsiste des doutes — ce qui semble être le cas —, nous devons nous y attaquer et c’est ce que nous faisons en ce moment dans le cadre des discussions que M. Meronek a mentionnées, ainsi qu’à l’interne, pour arrêter la meilleure façon de donner suite à certaines de ces préoccupations particulières.  Alors, je tiens à indiquer que nous sommes tout à fait conscients des enjeux, que le ministre l’est également, et que nous tentons de déterminer la manière dont nous pourrons résoudre les problèmes dans la mesure du possible.  [Je souligne.]

(Manitoba, Assemblée législative, Standing Committee on Public Utilities and Natural Resources, 2e sess., 36e lég., vol. XLVI, no  7, 31 octobre 1996, p. 298‑299)

[72]                          Le 7 novembre 1996, lors de l’étude article par article de l’avant‑projet de loi 67 par le comité permanent, avant la signature du PE et avant l’amendement du projet de loi 67, le ministre responsable de la société d’État MTS, l’honorable Glen Findlay, a répondu comme suit à une question sur les préoccupations des participants :

                    [traduction]  Si l’on examine la loi, au par. 15(2), il est question d’équivalence au sens le plus large.  À mon avis, le problème réside probablement dans la manière de déterminer s’il y a réelle équivalence.  Nous avons donc débattu d’une modification qui aurait pour effet de rassurer quelque peu les intéressés — MTS et les retraités actuels ou futurs — que l’équivalence visée sera juste et raisonnable pour chacun.  [Je souligne; ibid., no 15, p. 809.]

Il appert de ces propos que, pour le ministre Findlay, on ne pouvait conclure à la valeur équivalente à l’issue d’une simple comparaison du montant des allocations de retraite versées par l’un et l’autre régimes.

[73]                          Les déclarations du leader parlementaire adjoint Praznik et du ministre Findlay sont pertinentes aux fins de circonscrire la notion de « valeur équivalente » en ce qu’elles attestent leur connaissance de la raison d’être de l’al. 15(2)a).  Celle du ministre Findlay est particulièrement pertinente car elle a été faite le jour de la rencontre où il a été question du surplus initial et immédiatement avant la modification de la Loi sur la réorganisation.  Rien ne porte à croire que l’une ou l’autre des déclarations est intrinsèquement non fiable.

[74]                          Sans être concluantes, ces déclarations militent en faveur de l’interprétation large de l’al. 15(2)a) que suggèrent son libellé et son contexte législatif.  C’est pourquoi on ne peut se prononcer sur l’équivalence à laquelle renvoie l’al. 15(2)a) qu’à l’issue d’une évaluation globale des prestations et du financement du versement de celles‑ci pour l’un et l’autre régimes afin de déterminer si le nouveau régime respecte l’al. 15(2)a).

(2)      Les prestations offertes par l’ancien et le nouveau régimes ont‑elles une « valeur équivalente »?

[75]                          Comme le reconnaît notre Cour dans Nolan c. Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39, [2009] 2 R.C.S. 678, par. 86, les droits et les obligations des parties dans un régime de retraite dépendent toujours de la loi applicable.  Rappelons que, en l’espèce, la Loi sur la réorganisation exige la comparaison des prestations offertes par l’ancien et le nouveau régimes, y compris le financement de leur versement.

[76]                          Pour ce qui est de la détermination des modalités de capitalisation du nouveau régime le jour de la mise en œuvre, il importe de souligner que l’al. 15(2)a) de la Loi sur la réorganisation marque la coupure entre l’ancien régime et le nouveau.  Bien qu’elle n’emporte ni la liquidation de l’ancien régime, ni la cristallisation consécutive du surplus actuariel, cette coupure fait en sorte que le surplus initial n’est pas considéré, le jour de la mise en œuvre, comme [traduction] « faisant simplement partie du surplus actuariel global du nouveau régime », contrairement à ce que conclut la Cour d’appel (par. 155).  Selon le PE et le texte du nouveau régime, le surplus initial doit être considéré comme une somme fixe, distincte et précise réservée à des fins particulières.  Même s’il ne faisait l’objet que d’une estimation actuarielle, son montant est devenu fixe lors du transfert de la CRFP au CRPR.

[77]                          Aux fins de déterminer les modalités de capitalisation du nouveau régime le jour de sa mise en œuvre, le surplus initial est attribuable aux employés car il résulte de leurs cotisations à la CRFP et, dans le cadre de l’ancien régime, les participants assumaient le risque que la caisse soit déficitaire.  Pour les parties à l’ancien régime, il était entendu que les participants pouvaient utiliser le surplus actuariel à leur avantage puisqu’ils étaient les seuls à cotiser à la CRFP.  Par ailleurs, l’usage voulait que les participants négocient habituellement l’affectation du surplus à la bonification de leurs prestations.

[78]                          Souvent, dans le cas d’un régime de retraite à prestations déterminées type, l’employeur peut affecter le surplus actuariel au paiement de ses cotisations ultérieures parce qu’il assume le risque de déficit actuariel de la caisse de retraite (voir A. Kaplan et M. Frazer, Pension Law (2e éd. 2013), p. 93).  Or, en l’espèce, le gouvernement payait sa part des prestations au moment de leur exigibilité.  Seuls les participants cotisaient à la caisse de retraite et assumaient le risque de déficit.  C’est pourquoi, lorsqu’il s’agit de déterminer les modalités de capitalisation du nouveau régime, le surplus initial — issu de l’ancien régime — est attribuable aux employés et porté à leur seul crédit.

[79]                          La question est dès lors de savoir si les prestations versées au titre de l’ancien et du nouveau régimes étaient de valeur équivalente le jour de la mise en œuvre.  L’ancien régime était conçu de façon que le versement des prestations soit financé à parts égales par la société d’État MTS et les participants (LPFP, par. 22(1)).  Selon le juge de première instance, le jour de la mise en œuvre, [traduction] « l’apport initial des employés au nouveau régime dépassait d’environ 43,343 millions de dollars celui de l’employeur » (par. 266) (la Cour d’appel porte ensuite ce montant à 43,364 millions de dollars et corrige ainsi l’erreur d’écriture du juge de première instance (par. 242)).  La Cour d’appel ne disconvient pas que le surplus initial résulte de l’apport des participants.

[80]                          Étant donné que, le jour de la mise en œuvre, MTS n’a pas fait d’apport égal à celui de 43,364 millions de dollars des participants, il y a, prima facie, non‑respect de l’al. 15(2)a), car le financement des prestations aux fins des deux régimes n’était pas égal, de sorte que les prestations n’étaient pas de valeur équivalente.  Le nouveau régime ne saurait respecter les exigences de l’al. 15(2)a) que si le surplus initial était affecté au seul bénéfice des participants ou si ces derniers touchaient quelque autre avantage de valeur équivalente.  Selon le PE, le surplus initial était réservé au financement de l’ajustement ultérieur des prestations au coût de la vie.  Or, les dispositions du texte du nouveau régime relatives aux crédits de cotisations mensuelles et à l’intérêt produit par le CRPR font obstacle à tout accroissement du pourcentage d’ajustement au coût de la vie.  MTS s’est plutôt accordé, grâce au surplus initial, des périodes d’exonération de cotisations et a ainsi diminué son apport au nouveau régime.  Au final, seule MTS a bénéficié de la capitalisation inégale du nouveau régime par les participants.

[81]                          MTS prétend que, en assumant le risque que la caisse de retraite soit déficitaire et en garantissant l’ajustement au coût de la vie à raison des deux tiers de l’IPC, elle a fait un apport supplémentaire égal au surplus initial.  Elle souligne dans son mémoire et dans sa plaidoirie que sa prise en charge du risque de déficit a fait en sorte que son apport au nouveau régime au cours des années qui ont suivi sa mise en œuvre a été beaucoup plus élevé que celui des participants.  Or, l’al. 15(2)a) précise que les prestations doivent être de valeur équivalente « à la date de mise en œuvre ».  L’apport de MTS au nouveau régime après le 1er janvier 1997 est sans importance pour déterminer s’il a été satisfait ou non aux exigences de l’al. 15(2)a).

[82]                          Le juge de première instance se penche sur l’effet de ces deux changements — la prise en charge du risque de déficit et la garantie de l’ajustement au coût de la vie — lorsqu’il compare les régimes.  Dans ses motifs, il écarte l’argument lié à la prise en charge du risque de déficit en raison [traduction] « de la contrepartie [. . .] que constitue pour MTS la faculté de bénéficier de périodes d’exonération de cotisations, comme celles qu’elle s’est accordé les premières années qui ont suivi la mise en œuvre du nouveau régime » (par. 526).  Pour ce qui est de la garantie d’ajustement au coût de la vie, le juge se livre à un examen assez approfondi de la preuve y afférente.  Il ne tire pas de conclusion quant à un apport supplémentaire susceptible de constituer une contrepartie au surplus initial transféré.  Il estime finalement que, abstraction faite du surplus initial, MTS et les participants ont contribué également au nouveau régime (par. 529).  Nul élément ne justifie de modifier ces conclusions.

[83]                          Pour les motifs qui précèdent, les prestations prévues par l’ancien et le nouveau régimes le jour de la mise en œuvre du second n’étaient pas de valeur équivalente.  Pour qu’il y ait pareille valeur équivalente, les modalités de leur financement doivent aussi être équivalentes ou un avantage supplémentaire doit être conféré pour compenser l’inégalité du financement.  En l’espèce, MTS n’a pas fait, le jour de la mise en œuvre du nouveau régime, un apport égal à celui de 43,364 millions de dollars des participants.  Seule MTS a bénéficié de l’apport excédentaire; les participants n’ont pas touché de prestations bonifiées grâce à celui‑ci.  À la lumière des conclusions de fait du juge de première instance, les exigences de l’al. 15(2)a) n’ont pas été respectées. 

B.       L’interprétation de l’al. 15(2)a) retenue en l’espèce a‑t‑elle pour effet d’annuler le PE?

[84]                          Nous l’avons vu, après la rencontre du 7 novembre et la signature du PE, le législateur a ajouté le par. 15(11) à l’avant‑projet qui est à l’origine de la Loi sur la réorganisation.  Le paragraphe dispose qu’« [il] n’a pas pour effet d’annuler » le PE.  Il demeure donc nécessaire de s’assurer que mon interprétation de l’al. 15(2)a) n’a pas pour effet d’annuler le PE, en particulier son par. 3, qui porte sur le surplus initial et le CRPR.

[85]                          Je conviens avec la Cour d’appel que le par. 3 impose deux [traduction] « obligations impératives » à MTS : garantir l’ajustement au coût de la vie à raison d’au moins les deux tiers de l’IPC, sous réserve d’un IPC d’au plus 4 p. 100, et affecter le surplus initial à la caisse fiduciaire du nouveau régime pour financer l’ajustement ultérieur au coût de la vie (par. 175).  Le paragraphe 3 impose par ailleurs l’obligation conditionnelle de porter l’ajustement au coût de la vie au‑delà du minimum garanti des deux tiers de l’IPC [traduction] « si l’actif dépasse le montant alors requis pour l’ajustement prévu au coût de la vie » (d.a., vol. VIII, p. 158 (je souligne)).

[86]                          J’estime que l’équivalence des prestations au sens de l’al. 15(2)a) exige la prise en compte de leur financement et que, à la lumière des conclusions de fait du juge de première instance, il y a inobservation de l’al. 15(2)a).  Ni l’une ni l’autre de ces conclusions n’a pour effet d’annuler les obligations impératives ou conditionnelles découlant du PE.

C.       Les engagements écrits de MTS au cours du processus de privatisation ont‑ils force exécutoire et, dans l’affirmative, sont‑ils respectés?

[87]                          Puisque, selon moi, le nouveau régime contrevient à l’al. 15(2)a) de la Loi sur la réorganisation et que cette conclusion n’a pas pour effet d’annuler le PE, point n’est besoin de se prononcer sur la prétention des participants selon laquelle les engagements écrits de M. Fraser portant que le surplus initial ne serait pas affecté à la réduction du coût supporté par MTS relativement au nouveau régime ou de ses cotisations à celui‑ci ont force exécutoire et ont fait l’objet d’un manquement. 

D.       La réparation

[88]                          Après avoir conclu que le nouveau régime contrevient à la Loi sur la réorganisation et au PE, le juge de première instance ordonne de mettre à la disposition des participants pour la bonification de leurs prestations de retraite le surplus initial transféré au nouveau régime (43,364 millions de dollars, soit la somme convenue par les parties), majoré de l’intérêt au taux du régime.  Il ordonne en outre aux parties [traduction] « de convenir par voie de négociation de modalités d’affectation de la somme et d’un processus de mise en œuvre acceptables à toutes les parties » et, si elles n’arrivent pas à s’entendre, « de lui présenter de nouveaux éléments de preuve et arguments afin qu’il prononce sur l’utilisation de la somme et le processus de mise en œuvre » (d.a., vol. I, p. 178‑179).

[89]                          Vu mon accord avec le juge de première instance au chapitre de l’obligation, je suis d’avis de rétablir son ordonnance de réparation qui enjoint aux parties de négocier et de lui renvoyer l’affaire si elles n’arrivent pas à s’entendre.  Au cours des négociations, les parties doivent tenir compte des contraintes découlant de la LIR et de la LNPP.  L’accord conclu — qu’il s’agisse de l’inscription au CRPR d’une obligation en faveur des participants à raison d’une somme convenue ou de l’établissement d’un régime de retraite non enregistré distinct, comme il en est fait mention au dossier, ou d’autre chose — doit respecter ces contraintes.

[90]                          Dans ses observations sur les dépens, MTS laisse entendre que les organisations qui défendent les intérêts des participants ne représentent que les participants syndiqués et les participants retraités, et non nécessairement la totalité des bénéficiaires en cause.  S’il est appelé à examiner le processus de mise en œuvre convenu par les parties ou à arrêter le processus qui s’impose, le juge de première instance devra veiller à ce que ce processus protège bien les intérêts de tous les bénéficiaires en cause.

VI.    Conclusion

[91]                          Le pourvoi est accueilli avec dépens devant toutes les cours, y compris ceux relatifs à la demande d’autorisation d’appel devant la Cour, sur la base procureur‑client, prélevés sur la caisse fiduciaire du nouveau régime (voir Burke c. Cie de la Baie d’Hudson, 2010 CSC 34, [2010] 2 R.C.S. 273, par. 97).

                    Pourvoi accueilli avec dépens devant toutes les cours.

                    Procureurs des appelants : D’Arcy & Deacon, Winnipeg; Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck, Ottawa.

                    Procureurs des intimées : Taylor McCaffrey, Winnipeg.

 

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