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R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013

 

Jerry Benjamin Nikal  Appelant

 

c.

 

Sa Majesté la Reine                                                                          Intimée

 

et

 

Le procureur général de la Colombie‑Britannique,

le procureur général de l'Alberta, l'Alliance of

Tribal Councils, Delgamuukw et autres,

le Fisheries Council of British Columbia,

la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada,

la BC Fisheries Survival Coalition

et la BC Wildlife Federation                                                             Intervenants

 

Répertorié:  R. c. Nikal

 

No du greffe:  23804.

 

1995:  30 novembre; 1996:  25 avril.

 

Présents:  le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

 

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

 


Indiens ‑‑ Droits ancestraux ‑‑ Droits de pêche ‑‑ Appelant accusé d'avoir pêché sans permis ‑‑ Le régime de délivrance de permis viole‑t‑il les droits ancestraux de l'appelant et est‑il par conséquent inapplicable à ce dernier?  ‑‑ Loi constitutionnelle de 1982, art. 35(1) , 52  ‑‑ Règlement de pêche général de la Colombie‑britannique, DORS/84‑248, art. 4(1).

 

L'appelant, un autochtone, a été accusé d'avoir pêché sans permis, contrairement au par. 4(1) du Règlement de pêche général de la Colombie‑Britannique.  Même s'ils étaient tenus de détenir un permis, les autochtones avaient le droit d'obtenir, sans frais, un permis les autorisant à pêcher le saumon de la manière qu'ils préféraient.  L'appelant avait pris du saumon à la gaffe dans la rivière Bulkley, là où elle traverse sa réserve.  L'appelant a fait valoir que le régime de délivrance de permis porte atteinte aux droits ancestraux qui lui sont garantis par le par. 35(1)  de la Loi constitutionnelle de 1982  et qu'il est donc inapplicable.  Il a également affirmé que, à cet endroit, la rivière fait partie de sa réserve et que, en conséquence, seul s'appliquait le règlement administratif de la bande, qui accorde aux membres de la bande un droit de pêche illimité dans la rivière.

 

L'appelant a été acquitté au procès.  La cour d'appel des poursuites sommaires a confirmé les acquittements, qui ont par la suite été infirmés par la Cour d'appel.  La question constitutionnelle soumise à notre Cour est de savoir si le par. 4(1) du Règlement et les permis délivrés sous son régime sont, dans les circonstances, inopérants à l'égard de l'appelant en raison des droits ancestraux protégés par l'art. 35  de la Loi constitutionnelle de 1982 .  Essentiellement, deux questions sont soulevées: (1)  Le règlement administratif de pêche de la bande s'applique‑t‑il à la rivière Bulkley, là où elle traverse la réserve de la bande? (2) L'obligation de détenir un permis prévue au par. 4(1) du Règlement porte‑t‑elle atteinte aux droits ancestraux de l'appelant, contrevenant ainsi à l'art. 35?

 

Arrêt (les juges L'Heureux‑Dubé et McLachlin sont dissidentes):  Le pourvoi est accueilli.

 

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, Iacobucci et Major:  Des documents historiques auxquels le public a accès ont été invoqués.  Toutes les parties ont eu la possibilité de les examiner et de faire des observations à leur égard.

 

La Couronne n'avait pas l'intention d'accorder de pêcherie exclusive à la bande lorsqu'elle a créé la réserve.  Les commissaires des réserves n'étaient pas habilités à lier la Couronne et avaient reçu instruction de ne pas céder de droits de pêche de manière irrévocable et absolue.  La politique de la Couronne interdisant l'attribution de pêcheries exclusives aux Indiens a été affirmée de façon catégorique à maintes reprises.  Aucun élément de preuve n'étayait la thèse que le ministère des Affaires indiennes entendait accorder des pêcheries exclusives aux Indiens mais que le ministère de la Marine et des Pêcheries avait fait obstacle à cette volonté, dans le cadre d'un conflit de compétences entre ministères.  Même si la bande a fait valoir qu'elle avait été amenée à croire qu'on lui accordait une pêcherie exclusive, examinés à la lumière de la politique générale déclarée, les faits de cette attribution indiquent que l'intention était d'accorder uniquement les terres de la réserve et non la rivière.

 

La partie de la rivière qui traverse la réserve (et qui est ainsi bordée des deux côtés par la réserve) ne fait pas partie de la réserve par l'application de la doctrine ad medium filum aquae aux eaux non navigables.  À supposer, sans toutefois se prononcer sur la question, qu'elle s'applique au Canada, cette doctrine ne s'applique pas en l'espèce pour trois raisons.  Premièrement, elle ne s'applique qu'aux rivières non navigables, et la rivière Bulkley, si on la considère dans son ensemble, devrait être considérée comme une rivière navigable.  Deuxièmement, lorsque la  réserve a été créée, en vertu de la common law, la pêcherie était séparable du titre relatif au lit de la rivière.  Le titre sur le lit de la rivière n'a produit aucun effet à l'égard de la pêcherie, étant donné que la Couronne a expressément refusé d'accorder à la bande une pêcherie exclusive.  Troisièmement, même s'il était possible d'affirmer que la présomption s'applique, elle a été réfutée compte tenu de la preuve que la Couronne n'a jamais accordé le lit de la rivière à la bande ni eu l'intention de le faire.

 

Il incombe à la personne revendiquant un droit ancestral d'établir qu'il a été porté atteinte à première vue à ce droit.  L'existence et la portée du droit ancestral doivent d'abord être établies.  Le droit qui a été établi était celui de pêcher à des fins alimentaires et rituelles et de fournir à d'autres membres de la bande le poisson nécessaire pour satisfaire leurs besoins alimentaires et rituels, mais aucune opinion n'a été exprimée quant à savoir si ce droit a une portée plus large.  L'appelant n'avait pas le droit de ne pas se conformer aux ordres du ministère des Pêches et des Océans.

 

Il n'y a pas nécessairement atteinte à première vue à un droit ancestral si quelque chose entrave l'exercice de ce droit.  Les droits n'existent pas dans l'abstrait et les droits d'un individu ou d'un groupe sont nécessairement limités par les droits d'autrui.  Le gouvernement doit, en dernier ressort, être capable d'établir ou de régir la façon dont ces droits devraient interagir.  La liberté absolue, sans restriction aucune, est un concept inacceptable dans notre société.

 

Il faut  mettre en équilibre le droit ancestral de pêcher et la nécessité de conserver les ressources halieutiques. Ce droit ne peut automatiquement priver le gouvernement de la capacité de mettre sur pied un régime ou programme de délivrance de permis faisant partie d'un programme de conservation, car l'exercice du droit en question dépend de la survie de ces ressources.

 

Seuls les peuples autochtones peuvent exercer des droits ancestraux.  La nature et la portée de ces droits dépendent fréquemment de l'appartenance à une bande particulière ayant établi l'existence de certains droits dans une localité donnée.  Dans ce contexte, un permis peut constituer le moyen le moins attentatoire d'établir l'existence du droit ancestral d'un individu et d'empêcher les non‑autochtones d'exercer des droits ancestraux.

 

Les conditions prévues par le permis peuvent constituer une atteinte aux droits garantis par l'art. 35  de la Loi constitutionnelle de 1982 .  Le critère énoncé dans l'arrêt Sparrow exige:  (1) qu'on détermine si la loi en question a pour effet de porter atteinte à un droit ancestral existant et, dans l'affirmative, si elle constitue une violation à première vue du par. 35(1); (2) qu'on détermine si la restriction est déraisonnable, indûment rigoureuse ou prive les titulaires du droit de recourir à leur moyen préféré de l'exercer.  C'est à l'individu ou au groupe qui conteste la mesure législative qu'il incombe de prouver qu'il y a eu atteinte à première vue.

 

Le permis lui‑même, par opposition aux conditions dont il est assorti, ne constitue pas une atteinte au par. 35(1).  La simple obligation d'être titulaire d'un permis n'est pas en soi déraisonnable, mais au contraire nécessaire à l'exercice du droit lui‑même.  Un permis gratuit et facile à obtenir ne peut être considéré comme étant une mesure indûment rigoureuse, car ces mots impliquent plus qu'un simple inconvénient.  Le permis lui‑même, indépendamment de ses conditions, ne peut gêner l'exercice du droit par les moyens préférés puisqu'il n'est rien d'autre qu'un moyen d'identification.

 

Le gouvernement est tenu de justifier les conditions prévues par un permis qui, à la simple lecture de leur texte, portent atteinte au droit de pêche garanti par l'art. 35.  Les conditions attentatoires du permis de 1986 sont les suivantes: (i) la pêche ne peut être pratiquée qu'à des fins alimentaires; (ii) les remarques indiquant que la période de pêche peut être modifiée par avis public et que les Indiens qui pratiquent la pêche à des fins alimentaires en dehors de périodes déterminées doivent détenir un permis délivré par l'agent provincial de conservation de la faune et du poisson; (iii) le pêcheur ne peut pratiquer la pêche que pour lui‑même et sa famille; (iv) seule la pêche au saumon peut être pratiquée.  Ces conditions constituent à première vue des atteintes aux droits ancestraux de l'appelant: (i) de désigner les membres de la bande qui recevront le poisson pour le consommer en bout de ligne; (ii) de décider à quelles fins (alimentaires, rituelles ou religieuses) sera utilisé le poisson; (iii) de pêcher la truite arc‑en‑ciel; (iv) de décider à quel moment pêcher dans la rivière.  Le permis est assorti d'autres conditions qui pourraient être attentatoires si elles entraient en conflit avec les droits ancestraux de l'appelant.  Ces conditions concernent: (i) la désignation des eaux où la pêche peut être pratiquée; (ii) le type d'engins de pêche pouvant être utilisés; (iii) les jours et les heures de pêche.  Le fait qu'elles ne soient pas appliquées n'a pas pour effet de rendre ces conditions valides.  Le titulaire d'un droit constitutionnel n'a pas, pour jouir de la protection de ce droit, à compter que le ministère public fera montre de retenue dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de poursuivre.

 

Ont été énoncées, dans Sparrow, les questions qu'il faut examiner pour déterminer s'il est possible de justifier une atteinte à des droits ancestraux ou issus de traités.  (1) Existe‑t‑il un objectif législatif régulier?  Si oui, (2) l'honneur de Sa Majesté ainsi que les rapports spéciaux de fiduciaire et la responsabilité du gouvernement envers les autochtones sont‑ils en jeu?  D'autres questions peuvent également se soulever, selon les circonstances de l'enquête.  En tentant d'obtenir le résultat souhaité, a‑t‑on porté le moins possible atteinte à des droits?  Une juste indemnisation est‑elle prévue en cas d'expropriation?  Le groupe d'autochtones en question a‑t‑il été consulté au sujet des mesures de conservation mises en {oe}uvre?   Le concept du caractère raisonnable fait partie intégrante du critère de justification établi dans l'arrêt Sparrow.

 

Le caractère raisonnable doit entrer en jeu pour ce qui est des aspects qui concernent l'information et la consultation.  Cependant, il est possible que des règlements en matière de conservation doivent être pris rapidement afin d'éviter une crise.  Il faudra tenir compte de la nature de la situation.

 

Le gouvernement n'a présenté aucune preuve susceptible de justifier les conditions fixées par le permis, et il ne s'est donc pas acquitté du fardeau qui lui incombe.  Le permis et les conditions qui en font partie intégrante forment un tout indivisible.  Même si elles pouvaient être considérées séparément, les conditions ne seraient pas dissociables.

 

Les juges L'Heureux‑Dubé et McLachlin (dissidentes):  L'obligation d'obtenir un permis de pêche ne constitue pas à première vue une atteinte au droit de pêcher pour se nourrir qui est garanti à l'appelant par la Constitution.

 

La Cour était saisie de la question de savoir si le fait de délivrer des permis est en soi inconstitutionnel et non si les conditions dont est assorti le permis sont inconstitutionnelles.  Il faut établir une distinction entre l'accusation de ne pas détenir le permis validement requis et celle d'enfreindre une des conditions du permis.  L'invalidité des conditions prévues par un permis ne dispense pas une personne de l'obligation d'obtenir le permis requis par la loi, même si ces conditions font «partie intégrante» du permis.

 

Jurisprudence

 

Citée par le juge Cory

 

Arrêts appliquésR. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; Keewatin Power Co. c. Kenora (Town) (1906), 13 O.L.R. 237; arrêt examiné: Flewelling c. Johnston (1921), 59 D.L.R. 419; arrêts mentionnésDelgamuukw c. British Columbia, [1993] 5 W.W.R. 97, inf. [1991] 3 W.W.R. 97; R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025; Re Iverson and Greater Winnipeg Water District (1921), 57 D.L.R. 184; Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; Re Coleman and Attorney‑General for Ontario (1983), 143 D.L.R. (3d) 608; Marshall c. Ulleswater Steam Navigation Co. (1863), 3 B. & S. 732, 122 E.R. 274; Holford c. Bailey (1846), 8 Q.B. 1000, 115 E.R. 1150, inf. pour d'autres motifs (1850), 13 Q.B. 426, 116 E.R. 1325; R. c. Agawa (1988), 65 O.R. (2d) 505; R. c. Bain, [1992] 1 R.C.S. 91; R. c. Sharma, [1993] 1 R.C.S. 650; R. c. Bob (1991), 88 Sask. R. 302; Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679; Norton c. Shelby County, 118 U.S. 425 (1886); Air Canada c. Colombie‑Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161.

 

Citée par le juge McLachlin (dissidente)

 

Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679.

 

Lois et règlements cités

 

Acte concernant l'extension et l'application de «l'Acte des Pêcheries» aux provinces de la Colombie­-Britannique, de l'Île-du-Prince‑Édouard et de Manitoba, S.C. 1874, ch. 28. 

 

Acte des Pêcheries, S.C. 1868, ch. 60.

 

Acte des territoires du Nord‑Ouest, S.R.C. 1886, ch. 50, art. 11.

 

Charte canadienne des droits et libertés , art. 1 , 6(1) .

 

English Law Ordinance, 1867, S.B.C. 1867, No. 70, art. 2 [maintenant Law and Equity Act, R.S.B.C. 1979, ch. 224, art. 2].

 

Gitksan‑Wet'suwet'en Indian Fishing By‑Law, DORS/86‑612, art. 2, 3, 4.

 

Loi constitutionnelle de 1982 , art. 35(1) , 52 .

 

Loi sur les Indiens , L.R.C. (1985), ch. I‑5 , art. 81(1) o) [mod. ch. 32 (1er suppl.), art. 15(3)] (auparavant S.R.C. 1970, ch. I‑6 [mod. S.C. 1985, ch. 27, art.  15.1(2)]).

 

Loi sur les pêches , L.R.C. (1985), ch. F‑14  (auparavant Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F‑14).

 

Règlement de pêche général de la Colombie‑Britannique, DORS/84‑248, art. 4(1).

 

Doctrine citée

 

Coulson, H. J. W., and Urquhart A. Forbes.  The Law relating to Waters, 2nd ed.  London:  Sweet and Maxwell, 1902.

 

La Forest, Gérard V.  Water Law in Canada ‑‑ The Atlantic Provinces.  Ottawa:  Information Canada, 1973.

 

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1993), 80 B.C.L.R. (2d) 245, [1993] 5 W.W.R. 629, [1993] 4 C.N.L.R. 117, 33 B.C.A.C. 18, 54 W.A.C. 18, qui a accueilli l'appel du ministère public contre une décision de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique (1990), 51 B.C.L.R. (2d) 247, [1991] 2 W.W.R. 359, [1991] 1 C.N.L.R. 162, 5 C.R.R. (2d) 118, qui avait confirmé l'acquittement de l'accusé par le juge Smyth de la Cour provinciale, [1989] 4 C.N.L.R. 143, relativement à une accusation d'avoir pêché sans permis.  Pourvoi accueilli, les juges L'Heureux‑Dubé et McLachlin sont dissidentes.

 

Peter R. Grant, David Paterson et Peter W. Hutchins, pour l'appelant.

 

S. David Frankel, c.r., et Cheryl J. Tobias, pour l'intimée.

 

Paul J. Pearlman, pour l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

 

Robert J. Normey, pour l'intervenant le procureur général de l'Alberta.

 

Arthur C. Pape, pour l'intervenante l'Alliance of Tribal Councils.

 

Michael Jackson, pour les intervenants Delgamuukw et autres.

 

J. Keith Lowes, pour l'intervenant le Fisheries Council of British Columbia.

 

Patrick G. Foy, pour l'intervenante la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.

 

Christopher Harvey, c.r., pour les intervenantes la BC Fisheries Survival Coalition et la BC Wildlife Federation.

 

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, Iacobucci et Major rendu par

 

1                 Le juge Cory ‑‑ L'appelant, Indien Wet'suwet'en de la bande de Moricetown, vit dans le village de Moricetown, qui se trouve à l'intérieur des limites de la réserve no 1 de Moricetown.  La réserve se compose de terres situées des deux côtés de la rivière Bulkley.  Les 20 et 23 juillet 1986, des agents du ministère des Pêches et des Océans ont observé l'appelant en train de prendre du saumon à la gaffe dans la rivière Bulkley à Moricetown.  Lorsqu'ils lui ont demandé d'exhiber son permis, il leur a répondu qu'il n'en avait pas.  Il a alors été accusé d'avoir pêché sans permis, contrairement au par. 4(1) du Règlement de pêche général de la Colombie‑Britannique, DORS/84‑248, Ce règlement indiquait que les Indiens avaient le droit d'obtenir, sans frais, un permis les autorisant à pêcher le saumon de la manière qu'ils préféraient.

 

2                 L'appelant a fait valoir que la Loi sur les pêches , L.R.C. (1985), ch. F‑14  (auparavant la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F‑14), et son règlement d'application, ne s'appliquaient pas à lui puisque le régime de délivrance de permis portait atteinte aux droits ancestraux qui lui sont garantis par le par. 35(1)  de la Loi constitutionnelle de 1982 .  Cette disposition, qui se trouve dans la partie II, intitulée «Droits des peuples autochtones du Canada», est ainsi rédigée:

 

35.  (1)  Les droits existants ‑‑ ancestraux ou issus de traités ‑‑ des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

 

L'appelant a également affirmé que, à cet endroit, la rivière Bulkley fait partie de la réserve de Moricetown et que, en conséquence, il était assujetti uniquement au règlement administratif de la bande, pour ce qui concerne la pêche dans la rivière.

 

3                 Au procès, le 29 mai 1989, le juge Smyth de la Cour provinciale a acquitté l'appelant des accusations portées contre lui.  En appel, le juge d'appel Millward des poursuites sommaires a confirmé les acquittements, mais pour des motifs différents.  Par la suite, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, à la majorité (les juges Lambert et Hutcheon étant dissidents), a annulé les acquittements et inscrit des déclarations de culpabilité à l'égard des accusations.

 

Questions en litige

 

4                 Sur ordonnance du Juge en chef, la question constitutionnelle suivante a été formulée:

 

Le paragraphe 4(1) du Règlement de pêche général de la Colombie‑Britannique, DORS/84‑248, tel qu'il se lisait en juillet 1986, et les permis délivrés en vertu de ce paragraphe sont‑ils, dans les circonstances de la présente affaire, inopérants à l'égard de l'appelant en vertu de l'art. 52  de la Loi constitutionnelle de 1982 , en raison des droits ancestraux au sens de l'art. 35  de la Loi constitutionnelle de 1982 , qu'il invoque?

 

5                 L'appelant et l'intimée ont convenu qu'il y a deux questions en litige dans le présent pourvoi.  Premièrement, le règlement administratif de pêche de la bande de Moricetown s'applique‑t‑il à la rivière Bulkley, à la hauteur de Moricetown?   Deuxièmement, l'obligation de détenir un permis prévue au par. 4(1) du Règlement de pêche général de la Colombie‑Britannique porte‑t‑elle atteinte aux droits ancestraux de l'appelant, contrevenant ainsi à l'art. 35?

 

Le règlement administratif de la bande

 

6                 L'alinéa 81(1) o) de la Loi sur les Indiens , L.R.C. (1985), ch. I‑5  (auparavant S.R.C. 1970, ch. I‑6), est ainsi rédigé:

 

81. (1)  Le conseil d'une bande peut prendre des règlements administratifs [. . .] pour l'une ou l'ensemble des fins suivantes:

                                                                   . . .

 

o) la conservation, la protection et la régie des animaux à fourrure, du poisson et du gibier de toute sorte dans la réserve [«on the reserve»].

 

7                 Conformément à cette disposition, le conseil de bande de Moricetown a pris un règlement administratif prévoyant en partie ce qui suit:

 

Gitksan‑Wet'suwet'en Indian Fishing By‑Law, DORS/86‑612

 

[traduction]  2.  Les définitions qui suivent s'appliquent au présent règlement administratif.

 

                                                                   . . .

 

r) «eaux des bandes» Toute l'eau, y compris les voies d'eau, rivières ou ruisseaux se trouvant dans les réserves mises de côté au profit et à l'usage de la bande de Moricetown ou à l'intérieur des limites de ces réserves [«upon, or within boundaries of the reserves»].

 

3. Le présent règlement administratif s'applique à toutes les eaux de la bande.

 

4. a) Les Gitksan‑Wet'suwet'en sont autorisés à pêcher dans les eaux des bandes en tout temps et par tous moyens. . .

 

Le règlement administratif ne sera applicable à la rivière Bulkley que si celle‑ci fait partie de la réserve.

 

Motifs des juridictions inférieures

 

Première instance, [1989] 4 C.N.L.R. 143

 

8                 Le juge Smyth de la Cour provinciale a d'abord examiné le règlement administratif de la bande.  Le ministère public, a‑t‑il signalé, a concédé que, s'il s'appliquait à la rivière Bulkley, ce règlement aurait priorité sur la Loi sur les pêches  et le règlement.  L'alinéa 81(1) o) de la Loi sur les Indiens  autorise la bande à prendre des règlements administratifs pour la «conservation, la protection et la régie . . . du poisson . . . dans la réserve [«on the reserve»]».  La question clé était par conséquent l'interprétation de l'expression «on the reserve».  Le juge a statué, à la p. 146, que cette expression autorisait la bande à prendre des règlements administratifs à l'égard non seulement des pêcheries faisant géographiquement partie de la réserve, mais également des [traduction] «eaux qui ne font que toucher à la réserve».  Comme la rivière Bulkley touchait à la réserve de Moricetown, le règlement administratif de la bande s'appliquait à la rivière et l'appelant pouvait l'invoquer comme moyen de défense à l'égard des accusations portées contre lui.  Pour ce motif, le juge Smyth a acquitté l'appelant.

 

La Cour suprême de la Colombie‑Britannique (1990), 51 B.C.L.R. (2d) 247

 

9                 Le juge Millward a conclu que le juge Smyth avait mal interprété l'expression «on the reserve».  Il a jugé que cette expression ne pouvait être interprétée comme visant des terres situées à l'extérieur des limites de la réserve.  Puisque le lit de la rivière Bulkley ne fait pas géographiquement partie du territoire de la réserve de Moricetown, le règlement administratif ne s'y appliquait pas et ne pouvait donc être invoqué par l'appelant.

 

10               Le juge Millward a ensuite examiné l'ensemble du régime de délivrance de permis de pêche de subsistance et conclu que celui‑ci constituait à première vue une atteinte au droit ancestral de l'appelant.  Puis il s'est demandé si cette atteinte pouvait être justifiée.  Il a souligné que ce régime avait été établi en conformité avec les objectifs législatifs réguliers de conservation et de gestion.  Il a également fait remarquer que, comme le saumon est particulièrement vulnérable à la surpêche, la gestion de cette pêche doit relever d'une organisation centrale et objective.  Il a conclu que les considérations de conservation et de gestion justifiaient l'imposition d'un régime de délivrance de permis à tous les pêcheurs, y compris aux autochtones.

 

11               Passant à l'examen du régime de délivrance de permis en cause, le juge Millward s'est demandé si celui‑ci avait un lien rationnel avec les objectifs de conservation et de gestion.  Il a signalé que les permis sont gratuits, qu'ils ne limitent pas le nombre de prises autorisées et qu'ils n'imposent que des conditions minimales quant aux méthodes de pêche.  Cependant,  il a conclu que, en 1986, les stocks de saumon près de Moricetown étaient abondants, de sorte qu'aucune mesure de conservation ne s'imposait cette année‑là.

 

12               Le ministère des Pêches et des Océans a prétendu que le régime de délivrance de permis est important car il lui permet d'exercer une certaine surveillance sur les pêcheries, au cas où des mesures de conservation seraient nécessaires dans le futur.  Le juge Millward a conclu que ce régime comportait des lacunes à plusieurs égards.  Premièrement, a‑t‑il noté, puisque les peuples autochtones doivent se voir accorder la priorité dans la répartition du saumon, les mesures de conservation devraient d'abord viser d'autres utilisateurs, tels les pêcheurs sportifs.  Deuxièmement, le fait d'utiliser uniquement les permis pour savoir qui peut pêcher ne donne pas grand‑chose et ne renseigne le ministère que sur le nombre de personnes qui pêchent munies d'un permis.  Troisièmement, le régime de délivrance de permis ne permet pas de déterminer l'ampleur de la récolte dans la pêcherie, puisqu'il ne précise pas le nombre de poissons pouvant être pris.  En outre, plusieurs autres moyens que la délivrance de permis pourraient être utilisés pour assurer la diffusion aux pêcheurs de renseignements sur la pêcherie (p. ex. des annonces dans les journaux).  Bref, le régime de délivrance de permis n'a pu  être justifié par le fait qu'il était nécessaire soit pour recueillir de l'information, soit pour en communiquer.

 

La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1993), 80 B.C.L.R. (2d) 245

 

Le juge Macfarlane (aux motifs duquel le juge Taggart a souscrit)

 

13               Le juge Macfarlane de la Cour d'appel a d'abord signalé que l'appelant ne revendiquait pas simplement un droit ancestral de pêcher à des fins de subsistance, mais plutôt un droit ancestral d'autoréglementation en ce qui concerne la pêche au saumon.  De l'avis du juge, l'existence de ce droit d'autoréglementation serait incompatible avec l'arrêt R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, où il a été reconnu que la Couronne pouvait réglementer des droits ancestraux.  En outre, dans Sparrow, il a été décidé que les mesures de réglementation d'un droit ancestral ne constituent pas toutes à première vue une atteinte à ce droit.  La réglementation doit imposer une restriction déraisonnable ou être indûment rigoureuse pour porter atteinte à un tel droit.  Voici ce qu'a conclu le juge Macfarlane à cet égard, à la p. 257:

 

[traduction]  . . . l'obligation faite aux Indiens de détenir un permis ne constitue pas à première vue une atteinte à un droit ancestral.  La délivrance de permis est une élément naturel d'un régime centralisé de gestion des pêcheries visant à assurer la conservation de la ressource et à la répartir adéquatement.  Il s'agit d'un moyen simple de déterminer où la pêche est pratiquée et par qui, et d'un moyen susceptible de fournir des données nécessaires à la gestion judicieuse de la ressource.  La délivrance de permis est une mesure raisonnable, qui n'est pas indûment rigoureuse.  Le permis est gratuit et tous les membres de la bande peuvent en obtenir un.  La délivrance de permis ne nie pas le droit de pêcher; elle n'est qu'une petite partie de la réglementation de la pêche.

 

14               Le juge Macfarlane s'est ensuite demandé si les conditions mêmes du permis constituaient à première vue une atteinte au droit ancestral.  Même si le permis limitait les activités de pêche, le juge Macfarlane n'a pu qualifier ces restrictions de déraisonnables ou d'indûment rigoureuses.  Si l'appelant s'était procuré un permis, il aurait pu faire exactement ce qu'il faisait au moment de l'infraction.  Dans ces circonstances, il n'y avait à première vue aucune atteinte.

 

15               Le juge Macfarlane a ensuite écarté l'argument de l'appelant que le règlement administratif de la bande offrait à ce dernier un moyen de défense.  Il a conclu que le règlement administratif ne s'appliquait pas à l'extérieur de la réserve et que la rivière se trouvait à l'extérieur de celle‑ci.  L'appelant ne pouvait invoquer le principe ad medium filum aquae (jusqu'au milieu du cours d'eau) puisque, de l'avis du juge Macfarlane, la Couronne n'avait jamais eu l'intention d'inclure le lit de la rivière Bulkley dans la réserve attribuée à la bande de Moricetown.  Il a conclu que ce fait était établi par la superficie accordée et par le refus constant et catégorique opposé par la province et le Canada aux revendications des autochtones relativement aux droits sur l'estran.

 

16               Enfin, la création de la réserve de Moricetown n'a donné lieu ni à une cession de terres, ni à la dévolution d'un titre à la bande.  Par conséquent, un concept du droit des biens en common law tel le principe ad medium filum aquae, qui dépend du droit de propriété, n'a aucune pertinence en ce qui concerne les réserves.

 

Le juge Wallace (qui a souscrit au résultat)

 

17               De l'avis du juge Wallace, l'imposition de l'obligation de détenir un permis n'est pas en soi une atteinte aux droits de pêche ancestraux.  La Constitution autorise le gouvernement fédéral à réglementer les pêcheries, et les anciens de la bande de Moricetown ne possèdent pas de droit ancestral leur permettant de dispenser les membres de la bande de se conformer aux lois et règlements du gouvernement fédéral concernant les pêches.  Le juge Wallace a déclaré qu'il était d'accord avec la conclusion du juge Macfarlane que la délivrance de permis ne constituait pas en soi une atteinte à première vue au droit de pêcher à des fins de subsistance, pas plus que ne l'étaient les conditions dont était assorti le permis en cause.

 

18               Le juge Wallace a ensuite écarté l'application du principe ad medium filum aquae pour le motif que la rivière Bulkley est une rivière navigable et que ce principe ne s'applique pas à de telles rivières.  Il a conclu que, en vertu du critère applicable pour déterminer la navigabilité d'une rivière, il faut considérer celle‑ci dans son ensemble.

 

Le juge Lambert (dissident)

 

19               Dans ses motifs, le juge Lambert a d'abord analysé le règlement administratif de la bande.  Il a conclu que la rivière Bulkley ne se trouvait pas dans les limites géographiques de la réserve de Moricetown, qu'elle ne se trouvait donc pas «on the reserve» et qu'on ne pouvait invoquer le principe ad medium filum aquae pour élargir les limites de la réserve de façon à inclure la rivière dans celle‑ci.  En conséquence, le moyen de défense fondé sur l'application du règlement administratif de la bande ne pouvait être accueilli.

 

20               Il a toutefois déclaré que, même si la rivière ne se trouvait pas à l'intérieur de la réserve, la bande de Moricetown avait néanmoins un titre ancestral lui conférant la possession, l'utilisation et la jouissance exclusives des terres de la réserve et de la pêcherie dans la rivière Bulkley.  S'appuyant sur les motifs qu'il avait prononcés dans Delgamuukw c. British Columbia, [1993] 5 W.W.R. 97 (C.A.C.‑B), le juge Lambert a conclu que, à l'égard de cette pêcherie, la bande avait un droit fondé sur l'autonomie gouvernementale et l'autoréglementation, mais qu'il s'agissait d'un droit interne, qui ne s'étendait pas au‑delà des limites de la réserve.

 

21               Le juge Lambert s'est ensuite demandé si l'obligation d'obtenir un permis de pêche de subsistance portait atteinte au droit ancestral de l'accusé, et, dans l'affirmative, si cette atteinte pouvait être justifiée conformément au critère formulé dans l'arrêt Sparrow.  Il a rappelé que l'appelant revendiquait un droit de pêche ancestral qui ne dépendait pas de l'obtention d'un permis.  L'obtention d'un permis, a‑t‑il conclu, était une obligation imposée de l'extérieur en vue de l'exercice de ce droit.  À son avis, le fait d'exiger de l'appelant, comme préalable à l'exercice de ses droits de pêche, qu'il remplisse des formulaires, réponde à des questions et attende qu'on lui délivre un permis constituait à première vue une atteinte à ces droits.

 

22               Relativement à la question de la justification, le juge Lambert a reconnu qu'il est important que les activités de conservation et de gestion des ressources halieutiques soient coordonnées par une organisation centrale unique.  Le régime administré par une telle organisation pourrait fort bien exiger l'obtention de permis afin d'assurer la déclaration des prises et le respect des limites applicables à cet égard.  Cependant, en 1986, le gouvernement fédéral n'a pas reconnu d'autres droits de pêche ancestraux que ceux liés à la pêche de subsistance.  Il n'a reconnu ni le droit de vendre du saumon, ni les droits d'autoréglementation et d'autonomie gouvernementale.  Dans ce contexte, le régime de délivrance de permis appliqué en 1986 n'était pas compatible avec les droits véritables de la bande de Moricetown.  Indépendamment des objectifs du régime, la manière dont il était mis en {oe}uvre et appliqué, sans la coopération de la bande de Moricetown, était contraire aux principes énoncés dans l'arrêt Sparrow, précité.  Le juge Lambert a ajouté que l'obligation de détenir un permis n'était pas justifiée par des objectifs de conservation.

 

Le juge Hutcheon (dissident)

 

23               Le juge Hutcheon a rappelé que les conditions prévues par les permis de pêche de subsistance ne sont pas en litige en l'espèce.  La véritable question est de savoir si l'obligation de détenir un permis portait atteinte au droit de pêche ancestral de l'appelant.  De l'avis du juge Hutcheon, il découlait implicitement de l'arrêt Sparrow que cette obligation ne viole pas en soi les droits de pêche ancestraux.  L'arrêt Sparrow étaye donc la thèse que l'établissement d'un régime de permis relève du pouvoir de légiférer du gouvernement fédéral et ne constitue pas en soi une atteinte au droit de pêche ancestral.

 

24               Quant au règlement administratif de pêche de la bande, le juge Hutcheon a dit être d'accord avec le juge Millward que la Loi sur les Indiens  autorise seulement la prise de règlements administratifs de pêche visant les eaux qui se trouvent à l'intérieur des limites géographiques des réserves.  Ainsi, la question est de savoir si la rivière Bulkley se trouve à l'intérieur de la réserve de Moricetown.  Il a conclu que, en l'espèce, le principe ad medium filum aquae faisait naître la présomption que la rivière Bulkley se trouve à l'intérieur de la réserve, puisqu'elle est un cours d'eau sans marée et non navigable.  Cette présomption n'ayant pas été réfutée, l'appelant pouvait invoquer le règlement administratif comme moyen de défense.

 

Analyse

 

25               Pour déterminer si le règlement administratif de la bande s'applique à la rivière Bulkley, il sera nécessaire d'examiner et de trancher un certain nombre de questions.  D'entrée de jeu, il convient de souligner que l'examen du règlement administratif soulève la question de savoir si un droit exclusif de pêcher dans la rivière Bulkley, à la hauteur de Moricetown, a été accordé à la bande.  Il s'agit d'un droit très différent du droit ancestral de pêcher à des fins alimentaires et rituelles, qui est constitutionnellement reconnu et protégé par l'art. 35  de la Loi constitutionnelle de 1982 .  Il va de soi que si un droit de pêche exclusif avait été  accordé à la bande, le règlement administratif serait valide et s'appliquerait à la rivière Bulkley, à l'endroit où elle traverse la réserve.

 

26               Avant tout, je tiens à confirmer que j'ai lu certains des documents historiques déposés par l'intervenante, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, et que je me suis fondé sur eux.  L'appelant s'est opposé à toute utilisation de ces documents.  Je ne peux accepter cette position.  D'une part, toutes les parties ont eu l'occasion d'examiner ces documents et de présenter des observations à leur égard.  D'autre part, comme ce sont tous des documents de nature historique figurant dans les archives publiques, toute personne peut les consulter.  Dans R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025, le juge Lamer (maintenant juge en chef) s'est exprimé en termes clairs et convaincants au sujet des documents de cette nature.  À la page 1050, il a écrit ceci:

 

Je considère que tous les documents auxquels je ferai référence, que mon attention y ait été attirée par l'intervenante ou à la suite de mes recherches personnelles, sont des documents de nature historique sur lesquels je suis autorisé à me fonder en vertu de la notion de connaissance judiciaire.

 

La Couronne avait‑elle l'intention d'inclure la pêcherie dans la réserve indienne no 1 de Moricetown lorsqu'elle a attribué celle‑ci à la bande Wet'suwet'en?

 

La politique générale de la Couronne

 

27               Dans la présente affaire, la pratique générale de la Couronne en ce qui concerne l'attribution des réserves aux peuples autochtones a été discutée en long et en large.  La preuve concernant cette pratique peut s'avérer particulièrement utile pour apprécier la portée ou l'étendue des droits des autochtones.  La preuve directement pertinente est parfois perdue, auquel cas celle qui reste doit être prudemment mise en contexte afin que son sens véritable ne soit ni dénaturé, ni perdu.

 

28               Il est commode de scinder la preuve historique relative à la pratique ordinaire de la Couronne en deux périodes:  la période préconfédérative et la période postconfédérative.  Cette preuve, tirée de documents figurant dans les archives publiques, démontre qu'au cours de ces deux périodes la Couronne a toujours eu pour politique claire et précise de refuser d'accorder à perpétuité des droits exclusifs sur des secteurs de pêche.  Cependant, elle accordait, à l'égard de secteurs donnés, des licences ou des baux exclusifs pour des périodes déterminées.  Il va de soi que cette pratique était loin de constituer une cession à titre absolu d'un droit sur une pêcherie.

 

Période préconfédérative

 

29               Il existe de nombreux cas où, tant en Colombie‑Britannique que dans la province du Canada, la Couronne a déclaré qu'elle avait pour politique bien arrêtée de traiter de la même manière les Indiens et les non‑Indiens en ce qui concerne l'attribution de secteurs de pêche à des fins commerciales.  On trouve également des déclarations indiquant clairement que cette politique impliquait le rejet des revendications visant l'exclusivité de l'utilisation ou du contrôle de toute étendue d'eaux publiques à des fins de pêche.  Les propos suivants, tenus  par le gouverneur Douglas, en 1860, au cours d'une importante allocution concernant les Indiens de la partie continentale de la Colombie‑Britannique, sont un exemple d'une telle déclaration:

 

[traduction]  Je leur ai aussi expliqué que les magistrats avaient reçu comme instructions de jalonner et de réserver à l'usage et au profit des Indiens tous les villages qu'ils habitaient et les champs qu'ils cultivaient, ainsi que toutes les terres qu'ils étaient en mesure de cultiver ou qui étaient nécessaires pour assurer leur subsistance; je les ai aussi informés qu'ils pouvaient exercer librement leur droit de pêcher dans les lacs et les rivières, et celui de chasser dans toutes les terres inoccupées de la Couronne dans la colonie; et qu'ils pouvaient, une fois devenus mineurs autorisés inscrits, prospecter pour chercher de l'or et détenir des claims miniers exactement aux mêmes conditions que les autres mineurs.  Bref, je me suis efforcé de leur faire prendre conscience du fait qu'ils étaient reconnus comme des membres du commonwealth. . .  [Je souligne.]

 

(Dépêche du gouverneur Douglas au Secrétaire d'État aux colonies, citée dans Delgamuukw c. British Columbia, [1991] 3 W.W.R. 97, à la p. 255. (Italiques ajoutés par le juge en chef McEachern.))

 

30               On trouve une expression encore plus ancienne du même concept dans une lettre datée du 16 avril 1845, que W. H. Draper, procureur général de la province du Canada, a transmise à J. M. Higginson, surintendant général des Affaires indiennes, province du Canada.  Le procureur général a écrit ceci:

 

[traduction]  Monsieur,

 

En réponse à votre envoi du 10 février dernier, dans lequel vous me demandiez si une pêcherie se trouvant dans les eaux du lac Huron et adjacente à certaines îles faisant partie du territoire britannique, mais qui n'ont pas été officiellement cédées à la Couronne par les Indiens, doit être considérée comme appartenant à la Couronne ou aux Indiens.  J'ai le plaisir de vous informer que, à mon avis, le droit de pêche dans les eaux publiques navigables dans les dominions de Sa Majesté est un droit public général et non une franchise royale, et je ne vois pas comment les Indiens peuvent en revendiquer la jouissance exclusive.  [Je souligne.]

 

(Archives nationales du Canada, Fonds d'archives fédérales 10, volume 612, p. 215.)

 

31               Ces deux passages indiquent que l'intention et la politique de la Couronne étaient d'assurer à la population le libre accès aux pêcheries et de rejeter toute revendication de l'exclusivité des secteurs de pêche.  Cette politique permettait aux Indiens d'exercer leur droit de pêche, mais elle ne leur accordait aucun statut particulier.

 

32               En Angleterre, il est admis que, depuis la Magna Carta, la Couronne n'a pas le pouvoir, sauf celui prévu par un texte de loi, d'accorder à quiconque une pêcherie individuelle ou exclusive. Voir Gérard V. La Forest, Water Law in Canada -‑ The Atlantic Provinces (1973), à la p. 196. Par conséquent, en refusant d'accorder aux Indiens une pêcherie exclusive, le gouvernement fédéral suivait un précédent historique.

 

33               La lecture des premières lois sur les pêcheries de la province du Canada et de la première loi en la matière du nouveau dominion, l'Acte des Pêcheries, S.C. 1868, ch. 60, confirme cette politique qui consistait à n'exercer que des pouvoirs limités.  L'Acte habilitait le gouvernement à accorder des licences et des baux exclusifs visant des secteurs de pêche, mais aucune de ses dispositions ne pourvoyait à l'aliénation permanente de droits de pêche à des intérêts privés.

 

34               Cette politique préconfédérative est également exposée dans l'avis donné en 1866 par James Cockburn, solliciteur général de la province du Canada:

 

[traduction]  En ce qui concerne . . . la revendication par les Indiens de droits de pêche exclusifs, je suis d'avis qu'ils n'ont, sur les eaux publiques de la province, ni droits supplémentaires ni droits plus étendus que ceux qui appartiennent en common law aux sujets de Sa Majesté en général.

 

. . . je tiens à préciser que, sans une loi fédérale ratifiant une telle réservation de droits, aucun droit exclusif ne pouvait être acquis ainsi par les Indiens, car la Couronne ne pouvait, que ce soit par traité ou de son propre chef (avant l'adoption de la récente loi) accorder à des individus un privilège exclusif sur des droits publics, comme celui dont il est question en l'espèce, qu'elle ne détient qu'à titre de fiduciaire pour le grand public.

 

(Note de service concernant celle datée du 23 janvier 1866 émanant de W. F. Whitcher (chef de la direction des pêcheries, ministère des Terres de la Couronne, province du Canada), 8 mars 1866, dossier no 4/1866, ministère de la Justice, Ottawa (Ontario).)

 

Période postconfédérative

 

35               La politique de refus d'accorder des pêcheries exclusives a continué d'être appliquée au cours de la période postconfédérative.  Il est manifeste que la conception que l'on avait de la politique en vigueur dans la province du Canada et celle de la Colombie‑Britannique avant la Confédération est demeurée la même par la suite.  Ainsi, le 17 décembre 1875, W. F. Whitcher, commissaire fédéral des pêcheries, a fait parvenir aux superviseurs des pêcheries une circulaire du ministère de la Marine et des Pêcheries, dans laquelle on pouvait lire notamment ce qui suit:

 

[traduction]  En raison de certaines circonstances [. . .] il est souhaitable d'attirer votre attention sur le statut juridique exact des Indiens à l'égard des lois sur les pêcheries.

 

Les pêcheries dans toutes les eaux publiques navigables au Canada appartiennent, jusqu'à preuve du contraire, au public, et elles sont administrées par la Couronne en vertu d'une loi fédérale  [. . .] Les Indiens ne bénéficient d'aucune liberté spéciale quant aux lieux où ils peuvent pêcher, aux périodes au cours desquelles ils peuvent le faire et aux méthodes qu'ils peuvent utiliser.  Ils jouissent uniquement des mêmes libertés que les Blancs et ils sont assujettis exactement aux mêmes lois et règlements.

 

                                                                   . . .

 

Dans certains milieux, on semble avoir l'impression que, pour ce qui concerne les biens‑fonds des Indiens, le contrôle des pêcheries appartient exclusivement aux Indiens qui habitent ces biens‑fonds, et que ces derniers sont libres d'enlever les engins de pêche des Blancs qui utilisent ces pêcheries en vertu de baux ou licences accordés par la Couronne.

 

Cette impression est à la fois erronée, malveillante et malheureuse. Un tel pouvoir extraordinaire n'existe pas. . .

 

(Archives nationales du Canada, Fonds d'archives fédérales 10, volume 1972, no de dossier 5530.)

 

Il y a lieu de signaler que cette circulaire parle à juste titre de l'«administration» des pêcheries, en d'autres termes de la réglementation par le gouvernement canadien des pêcheries dans les eaux navigables.  La rivière Bulkley est une voie navigable en amont et en aval de la réserve de Moricetown et, pour les motifs prononcés plus loin, elle doit donc être considérée comme étant navigable à la hauteur de la réserve.

 

36               La lettre adressée par W. F. Whitcher, commissaire fédéral des pêcheries, à E. A. Meredith, sous‑ministre de l'Intérieur, le 20 janvier 1876, indique que la situation en Colombie‑Britannique préoccupait grandement les représentants fédéraux.  Il a écrit ceci:

 

[traduction]  Le ministre a pris connaissance de la correspondance concernant les droits de pêche revendiqués par les Indiens [. . .] et me prie de vous faire part de la diligence accordée à cette question par le ministère de l'Intérieur, ainsi que du règlement satisfaisant qui a été conclu.  Ce problème, heureusement réglé, aurait pu devenir extrêmement embarrassant.  Il était plus que nécessaire de le régler d'une façon décisive dès maintenant, plutôt que d'attendre qu'il engendre d'autres malentendus au sujet de ces biens publics, notamment dans les nouvelles provinces du Dominion,  qui sont habitées surtout par des Indiens et des Métis et où le gouvernement pourrait bien devoir appliquer sous peu les lois régissant les pêcheries.

 

. . . on estime qu'une coopération cordiale entre les ministères relativement aux privilèges de pêche à proximité des réserves indiennes, ainsi que l'occupation des postes de pêche reliés à l'exercice de ces privilèges, le tout dans le cadre d'un régime uniforme de délivrance de licences, assureront aux Indiens l'usage libre et exclusif des pêcheries, et permettront de répondre amplement à leurs besoins . . . [Je souligne.]

 

(Archives nationales du Canada, Fonds d'archives fédérales 10, volume 1972, no de dossier 5530.)

 

37               Les nouvelles provinces du Dominion dont il est question sont de toute évidence la Colombie‑Britannique, le Manitoba et l'Île‑du‑Prince‑Édouard, auxquelles serait élargie l'application de l'Acte des Pêcheries quelques mois plus tard à peine:  Acte concernant l'extension et l'application de «l'Acte des Pêcheries» aux provinces de la Colombie‑Britannique, de l'Île-du-Prince‑Édouard et de Manitoba, S.C. 1874, ch. 28.  Par conséquent, lorsque des commissaires des réserves ont, quelques mois plus tard, été nommés et chargés d'attribuer des réserves en Colombie‑Britannique, ils n'étaient certainement pas autorisés, ni explicitement ni implicitement, à accorder des droits exclusifs sur les pêcheries.

 

Le mandat des commissaires des réserves

 

38               L'appelant a fait valoir que, en tant que représentants de la Couronne, les commissaires des réserves étaient habilités à lier celle‑ci et à céder des droits de pêche de manière irrévocable et absolue.  Cette thèse est contraire tant aux énoncés de politique générale de la Couronne qu'aux instructions précises données aux commissaires.  Dans une lettre datée du 2 mai 1916 et transmise à D. H. MacDowall, commissaire, Commission royale sur les Affaires indiennes pour la province de la Colombie‑Britannique, D. C. Scott, surintendant général adjoint des Affaires indiennes, a écrit ceci:

 

[traduction] . . . je ne crois pas que les anciens commissaires pouvaient accorder des privilèges de pêche particuliers outre ceux relatifs aux postes de pêche et aux réserves.  Le ministère n'a dans ses dossiers aucune confirmation de l'attribution de tels privilèges par le ministère de la Marine et des Pêcheries.

 

                                                                   . . .

 

. . . il est impossible de conclure que M. O'Reilly avait le pouvoir d'accorder quelque privilège de pêche que ce soit.

 

(Archives nationales du Canada, Fonds d'archives fédérales 10, volume 3822, no  de dossier 59335‑1.)

 

39               Des déclarations antérieures confirment cette opinion.  Par exemple, en 1890, Robert Sedgewick, sous‑ministre de la Justice, avait affirmé ceci:

 

[traduction]  J'ai examiné tous les documents se rapportant à cette question.  Le commissaire des réserves indiennes paraît avoir le pouvoir de jalonner des réserves, mais il ne semble pas que le gouverneur en conseil ou quelque autre autorité ait, à quelque moment que ce soit, investi ou voulu investir le commissaire du pouvoir de traiter du droit aux pêcheries.

 

                                                                   . . .

 

Je dois donc affirmer que le commissaire des réserves indiennes n'a pas le pouvoir de mettre de côté, pour l'usage exclusif des Indiens, quelque étendue d'eau de la Colombie‑Britannique.

 

(R. Sedgewick, sous‑ministre de la Justice, à John Tilton, sous‑ministre des Pêcheries, 15 août 1890, Archives nationales du Canada, Fonds d'archives fédérales 10, volume 3828, no de dossier 60926.)

 

En outre, en 1897, J. D. McLean, Secrétaire, ministère des Affaires indiennes, a dit ceci:

 

[traduction]  Quant aux droits de pêche en Colombie‑Britannique, il y a lieu de souligner que, dans l'entente conclue avec le gouvernement de cette province en 1876 et en vertu de laquelle des réserves devaient être mises de côté pour les Indiens, il n'est fait aucune mention particulière des privilèges de pêche.  Cependant, le commissaire des réserves a, à l'occasion, attribué certaines pêcheries aux Indiens; le ministère de la Marine et des Pêcheries a été informé de ces attributions et prié de les confirmer.  Or, d'après ce qui ressort de la correspondance, il ne les a pas confirmées et s'est opposé à ce que des privilèges exclusifs de pêche soient accordés aux Indiens et non aux Blancs.

 

(Note de service datée du 26 novembre 1897, Archives nationales du Canada, Fonds d'archives fédérales 10, volume 3909, no de dossier 107297‑3.)

40               L'appelant a soutenu que ces déclarations représentaient uniquement le point de vue du ministère de la Marine et des Pêcheries.  Il a plaidé que le ministère des Affaires indiennes entendait accorder des pêcheries exclusives aux Indiens, mais que le ministère de la Marine et des Pêcheries avait fait obstacle à cette volonté, dans le cadre de ce qui constituait un conflit de compétences entre ministères.  La preuve n'étaye toutefois pas cette thèse.

 

41               Cependant, la preuve indique que le ministère des Affaires indiennes a effectivement déployé des efforts pour protéger les secteurs de pêche traditionnels des Indiens, afin qu'ils ne soient pas loués exclusivement à des pêcheurs non autochtones.  Cela est bien différent de la cession aux Indiens du titre exclusif sur ces secteurs de pêche.  La différence entre ces positions a constamment été admise par le ministère des Affaires indiennes.

 

42               Cette politique ressort d'une lettre datée du 8 février 1906, transmise par le surintendant général adjoint des Affaires indiennes, Frank Pedley, au commissaire des Affaires indiennes pour le Manitoba et les Territoires du Nord‑Ouest:

 

[traduction]  Le ministère est arrivé à la conclusion que, de façon générale, sauf circonstances très exceptionnelles, la politique qu'il convient de suivre est de traiter les Indiens de la même façon que les colons en ce qui concerne l'utilisation des eaux, et que le ministère devrait uniquement s'efforcer, lorsque la chose est jugée nécessaire, d'établir des postes visant à permettre l'accès à ces eaux, système qui, peut‑on le signaler, paraît bien fonctionner en Colombie‑Britannique, en plus de résister à toute démarche qui pourrait être tentée en vue de contraindre les Indiens à payer des droits pour obtenir des permis de pêche à des fins familiales par opposition à commerciales.  [Je souligne.]

 

(Archives nationales du Canada, Fonds d'archives fédérales 10, volume 6972, no de dossier 774/20‑2, partie 1.)

 

43               Les Indiens avaient, à de nombreuses occasions, revendiqué des secteurs de pêche exclusifs, mais leurs revendications avaient constamment été rejetées.  Ce point de vue avait été exprimé dans la lettre faisant état de l'avis donné en 1866 par le solliciteur général de la province du Canada et qui a été mentionnée précédemment.  Dans une lettre datée du 5 avril 1898 et adressée au ministre de la Marine et des Pêcheries, le commissaire fédéral des pêcheries, E. E. Prince, a renvoyé à cet avis, affirmant qu'il tranchait la question des revendications, en droit, par les autochtones, de pêcheries exclusives partout au pays.  Il a explicitement déclaré:

 

[traduction] En ce qui concerne les divergences de vue qui existeraient entre notre ministère et celui des Affaires indiennes relativement aux revendications par les Indiens de privilèges relatifs aux pêcheries, il faut rappeler qu'il y a 15 ou 16 ans de cela il y a eu entre les deux ministères échange de communications, ayant abouti à certaines conclusions bien précises qui ont paru régler la question une fois pour toute et rendre inutile toute autre enquête.  Dans sa politique relative à la pêche par les Indiens, notre ministère a invariablement adhéré aux conclusions dont il est question.

 

Afin d'éclaircir la question, je cite un rapport daté du 11 juillet 1876 et émanant du regretté M. Whitcher, commissaire des pêcheries:

 

Après maints inconvénients et de nombreuses mesures contradictoires, les points en litige ont été soumis aux conseillers juridiques de la Couronne.  Leur décision, datée du 8 mars 1866, est défavorable aux prétentions avancées pour le compte des Indiens.  Une copie certifiée conforme de l'avis en question a été déposée auprès du Bureau des Indiens.

 

                                                                   . . .

 

Notre ministère a constamment souscrit à la position formulée par les conseillers juridiques de la Couronne; dans une lettre adressée au ministre de l'Intérieur le 30 janvier 1882, le ministre de la Marine et des Pêcheries (l'honorable A. W. McLelan) a une fois de plus énoncé de façon claire et nette la question, déclarant que notre ministère se conforme à l'avis formulé par les conseillers juridiques de la Couronne qui a été déposé au ministère et «suivant lequel les droits de pêche dans les eaux publiques ne peuvent être rendus exclusifs qu'avec l'aval exprès du Parlement et que les Indiens n'ont le droit d'utiliser les pêcheries publiques qu'aux mêmes conditions que les Blancs et sous réserve de l'Acte des pêcheries et de son règlement d'application. . .» [Je souligne.]

 

(Archives nationales du Canada, Fonds d'archives fédérales 10, volume 3909, no de dossier 10729-73.)

 

L'attribution spécifique de la réserve de Moricetown

 

44               La politique de la Couronne interdisant l'attribution de pêcheries exclusives aux Indiens avait été affirmée de façon catégorique à maintes reprises.  Subsidiairement, la bande a fait valoir qu'elle avait été amenée à croire qu'on lui accordait, dans les faits, une pêcherie exclusive.  Toutefois, examinés à la lumière de la politique générale déclarée, les faits de cette attribution indiquent clairement que l'intention était d'accorder uniquement les terres de la réserve et non la rivière.

 

Les instructions données au commissaire O'Reilly

 

45               Suivant les instructions qu'a reçues le commissaire O'Reilly, voici quelles étaient ses fonctions:

 

[traduction] . . . déterminer avec précision les besoins des bandes indiennes de la province [Colombie‑Britannique] auxquelles l'ancien commissaire n'a pas attribué de terres, et [. . .] leur attribuer des terres propres à la culture et au pâturage.  [Je souligne.]

(Décret fédéral du 19 juillet 1880.  Canada.  Conseil privé.  Décret no 1334/1880, aux Archives nationales du Canada, Fonds d'archives fédérales 2, série 1.)

 

46               Ces instructions ont par la suite été modifiées, mais le principe que la décision finale concernant l'attribution de secteurs de pêche appartenait au ministère de la Marine et des Pêcheries est demeuré inchangé.  Ainsi, le 20 décembre 1881, le surintendant général des Affaires indiennes a écrit ce qui suit à A. W. McLelan, ministre suppléant de la Marine et des Pêcheries:

 

[traduction]  J'ai l'honneur de vous informer que le juge O'Reilly, qui, l'an dernier, a été nommé commissaire chargé d'attribuer les terres qui serviront à l'établissement de réserves en Colombie‑Britannique et seront occupées par les bandes et les tribus indiennes de cette province, j'ai jugé utile et approprié de lui donner instruction de déterminer, dans le cours de l'attribution des terres en question, les secteurs de pêche qui devraient être réservés à l'usage exclusif des Indiens, et il suit ces instructions.

 

                                                                   . . .

 

Il est souhaitable que les pêcheries dont l'attribution aux Indiens est recommandée ne soient pas aliénées de quelque autre manière sans le consentement préalable de notre ministère.

 

(Archives nationales du Canada, Fonds d'archives fédérales 10, volume 3766, no de dossier 32876.)

 

47               Les instructions dont il est fait mention, qui ont également été données aux commissaires des Indiens pour le Manitoba, le Keewatin et les Territoires du Nord‑Ouest, indiquent que les commissaires devaient déterminer les secteurs de pêche qui devaient être réservés en vue de la présentation de demandes au ministère de la Marine et des Pêcheries visant à garantir aux Indiens l'usage des secteurs en question.  Ces instructions révèlent que le commissaire O'Reilly n'était pas habilité à accorder des pêcheries exclusives et qu'il pouvait tout au plus faire des recommandations.

 

48               Après avoir été informé que les commissaires des Indiens recevaient de telles instructions et formulaient des recommandations de cette nature, le ministre suppléant de la Marine et des Pêcheries a clairement indiqué que son ministère ne donnerait pas suite à de telles recommandations.  Il a réitéré la position de son ministère et informé celui des Affaires indiennes de ce qui suit:

 

[traduction] . . . les droits de pêche dans les eaux publiques ne peuvent être rendus exclusifs qu'avec l'aval exprès du Parlement et les Indiens n'ont le droit d'utiliser les pêcheries publiques qu'aux mêmes conditions que les Blancs et sous réserve de l'Acte des pêcheries et de son règlement d'application.  Il n'est pas possible, en droit, d'interdire au public de pêcher dans ces eaux du seul fait que ces privilèges de pêche auraient été cédés par les agents des Indiens ou du fait que notre ministère ne les a pas aliénés de quelque autre façon -‑ ce qu'il n'avait aucune intention de faire avant d'avoir examiné de manière approfondie toutes les circonstances propres à chaque cas.

 

(A. W. McLelan, ministre suppléant de la Marine et des Pêcheries, à Sir John A. Macdonald, surintendant général des Affaires indiennes, 30 janvier 1882, aux Archives nationales du Canada, Fonds d'archives fédérales 10, volume 3766, no de dossier 32876.)

 

49               En conséquence, lorsqu'on apprécie ce qu'a fait le commissaire O'Reilly, il importe de bien comprendre les limites qu'il devait respecter.  C'est probablement le passage suivant d'une lettre  qu'a écrite Lawrence Vankoughnet, surintendant général adjoint des Affaires indiennes, à Sir John A. Macdonald, qui cumulait alors les fonctions de surintendant général des Affaires indiennes et de premier ministre, qui résume le mieux les pouvoirs du commissaire O'Reilly et les instructions qu'il avait reçues.  Dans sa lettre datée du 27 février 1882, le surintendant adjoint a déclaré ce qui suit:

 

[traduction]  En ce qui concerne le pouvoir en vertu duquel M. O'Reilly a agi pour désigner les postes de pêche qu'il était peut‑être souhaitable de réserver pour les bandes indiennes de la Colombie‑Britannique, [. . .] le commissaire des réserves avait reçu instruction de déterminer, dans le cours de l'attribution des terres aux bandes indiennes de cette province, les secteurs de pêche qui devaient être réservés à leur usage exclusif; le ministre suppléant a été avisé qu'il serait souhaitable que les pêcheries dont l'attribution aux Indiens est «recommandée» ne soient pas aliénées de quelque autre manière sans le consentement préalable de notre ministère. [. . .] La détermination de ces territoires de pêche, dont il est jugé souhaitable de réserver l'usage exclusif aux bandes indiennes, n'a pas davantage pour effet de céder de façon permanente à ces bandes les secteurs de pêche ainsi désignés, sans le consentement du gouvernement, que ne le fait l'attribution des terres formant les réserves indiennes par M. O'Reilly aux mêmes Indiens sans cette approbation.

 

                                                                   . . .

 

Les attributions de terres faites par M. O'Reilly ne sont que des recommandations, qui peuvent faire l'objet de diminutions ou d'augmentations, si, après consultations et délibérations approfondies, les fonctionnaires du ministère de la Marine et des Pêcheries et du ministère des Affaires indiennes jugent la chose souhaitable.  [Je souligne.]

 

(Archives nationales du Canada, Fonds d'archives fédérales 10, volume 3766, no de dossier 32876.)

 

Les déclarations du commissaire O'Reilly

 

50               Le commissaire O'Reilly a clairement reçu des instructions lui indiquant que son rôle se limitait à formuler des recommandations.  À la lumière de ces instructions, il est évident que ses déclarations et ses actions ne révèlent aucune tentative d'accorder le contrôle de la pêcherie.  Au contraire, elles constituent tout au plus une recommandation en faveur de l'attribution d'une pêcherie.

 

51               La veille de sa recommandation favorable à l'attribution de la réserve indienne no 1 de Moricetown (Lach‑kal‑tsap), le commissaire O'Reilly a fait les déclarations suivantes à la bande, au cours d'une discussion concernant l'attribution de la réserve:

 

[traduction]  Le gouvernement tient à ce que des terres soient mises de côté à votre intention comme ce fut le cas dans le reste de la Colombie‑Britannique.  La création d'une réserve permet de protéger les terres qui la composent contre les intrus, mais les Indiens conservent toutefois le droit de chasser, de pêcher ou de cueillir des baies à l'extérieur de celle‑ci.  Le gouvernement ne souhaite pas vous confiner à la réserve . . .

 

Plus tard, durant la même discussion, il a déclaré ceci:

 

[traduction]  Je ne fais jamais de promesse sans avoir vu les terres que je réserve.  La réserve est destinée à la tribu et non aux individus.  L'agent peut attribuer les terres.  Des arpenteurs seront envoyés pour établir les limites exactes, et les plans seront transmis aux chefs.  [Je souligne.]

 

(Transcription de la réunion avec le chef Le goul, deux autres chefs, le père Morris et le commissaire, le 18 septembre 1891.)

 

52               Il ressort de ces commentaires que le commissaire O'Reilly a clairement indiqué qu'il ne prenait pas la décision finale relativement aux limites de la réserve et que, de toute façon, son rôle était de réserver les terres, non la pêcherie.

 

53               Moins de deux semaines après l'attribution de la réserve de Moricetown, il a précisé davantage sa position au cours de ses conversations avec les Indiens de New Kitseguela, à environ 30 milles en aval de Moricetown.  Le commissaire O'Reilly a dit ceci:

 

[traduction]  J'espère que vous ne demanderez pas une étendue déraisonnable de territoire, mais plutôt uniquement ce qui vous est utile.  Il n'est pas nécessaire de réserver des territoires de cueillette de baies et de chasse.  Il serait impossible de délimiter de tels territoires puisque vous parcourez des centaines de milles.  Vous ne serez pas confinés aux réserves, vous pourrez chasser, pêcher ou cueillir des baies où vous le voulez, comme vous l'avez fait jusqu'à maintenant.  [Je souligne.]

 

Il a poursuivi ainsi:

 

[traduction]  Non seulement avez‑vous de bonnes terres, mais vous avez également tout près une rivière riche en saumon et, à portée de la main, des montagnes qui regorgent de gibier et de baies.  Une fois les réserves délimitées, le territoire appartient alors exclusivement aux Indiens. [Je souligne.]

 

54               Il ne fait pas de doute que le commissaire O'Reilly estimait que la réserve était constituée des terres mais non de la rivière.  Il tenait à réserver un poste de pêche sur la berge de la rivière, non à réserver le contrôle de la pêcherie même.  Cela ressort clairement de la réponse qu'il a donnée, plus tard dans la conversation, lorsqu'on lui a demandé de réserver une partie du cours d'eau:

 

[traduction]  Je ne vois pas la nécessité d'établir une si vaste réserve.  Vous ne pourrez pas l'utiliser.  Vous avez besoin de bois, ce que je vous donnerai, ainsi que de votre village et de terres agricoles, mais il n'est pas nécessaire de vous donner un secteur de pêche de sept milles qui ne pourrait être utilisé par personne d'autre.  [Je souligne.]

(Transcription de la réunion du commissaire O'Reilly à New Kitseguela, 30 septembre 1891.  Archives nationales du Canada, Fonds d'archives fédérales 10, volume 3571, dossier 126, partie A; Archives provinciales de la Colombie‑Britannique, bobine de microfilm B‑274.)

 

Y‑a‑t‑il eu attribution d'une pêcherie exclusive?

 

55               Dans le procès‑verbal de la décision du commissaire O'Reilly, en date du 19 septembre 1891, il est fait état de l'attribution de la réserve de Moricetown dans les termes suivants:

 

[traduction]  Lach kal tsap, réserve de mille deux cent quatre‑vingt‑dix (1290) acres, située le long de la rivière Hagwilget, à environ 35 [milles] au sud‑est de Hazelton.

 

Commençant sur la rive droite de la rivière Hagwilget, à l'endroit  où se trouve un peuplier sur lequel est inscrit réserve indienne, et  vers l'est sur une distance de quatre‑vingt‑dix (90) chaînes; de là, cent vingt (120) chaînes vers le nord; de là, cent vingt (120) chaînes vers l'ouest; de là, cent vingt (120) chaînes vers le sud; et de là, trente (30) chaînes vers l'est, jusqu'au point de départ.

 

(Registre des terres indiennes (no B-64652), ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, Hull (Qc).)

 

56               L'appelant a prétendu avec insistance que cette description par mesurage et délimitation était une preuve claire et convaincante que le commissaire O'Reilly entendait que la réserve comprenne la rivière Hagwilget et avec elle une pêcherie exclusive.

 

57               Bien qu'il soit vrai que cette description par mesurage et délimitation n'exclut pas la rivière, il faut néanmoins rappeler que, comme le commissaire l'avait expliqué aux Indiens, il ne s'agissait que d'une attribution approximative de terres, qui serait par la suite arpentée de façon plus précise.  Fait plus important en ce qui concerne la prétendue attribution d'une pêcherie exclusive, il est certes significatif que la lettre datée du 21 janvier 1892 du commissaire O'Reilly, accompagnant le procès‑verbal de sa décision, ne renferme aucune mention de quelque pêcherie que ce soit réservée en faveur des Indiens.

 

58               Le commissaire O'Reilly a effectivement fait état d'une pêcherie adjacente à la réserve proposée dans son rapport au surintendant général des Affaires indiennes le 26 mars 1892.  Lorsque, le 13 mai 1892, le surintendant général adjoint des Affaires indiennes a fait parvenir au ministère de la Marine et des Pêcheries une copie de la recommandation d'attribuer la réserve de Moricetown et d'autres réserves, il a demandé que les secteurs de pêche adjacents aux réserves soient réservés aux Indiens à qui avaient été attribuées les terres adjacentes à ces secteurs.  Cette demande confirme que le ministère des Affaires indiennes comprenait que ses pouvoirs et ceux de ses commissaires se limitaient à l'attribution de terres aux Indiens, et que toute attribution de secteurs de pêche devait être approuvée par le ministère de la Marine et des Pêcheries.

 

59               Lorsque le ministère de la Marine et des Pêcheries a transmis la demande de secteurs de pêche à l'inspecteur fédéral des pêcheries en Colombie‑Britannique afin d'obtenir ses commentaires, ce dernier a répondu ceci:

 

[traduction]  Je recommande respectueusement, mais de la façon la plus vigoureuse possible, qu'aucun secteur de pêche au saumon ne soit réservé pour l'usage des Indiens.

 

                                                                   . . .

 

À mon avis, le ministère des Pêcheries ne devrait ni accorder ni reconnaître aux Indiens de droits exclusifs sur quelque étendue d'eau en Colombie‑Britannique.

 

(John McNab, inspecteur fédéral des Pêcheries, Colombie‑Britannique, à William Smith, sous‑ministre de la Marine et des Pêcheries, 26 mai 1892, Registre des terres indiennes (no B‑64648), ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, Hull (Qc).)

 

60               Cette lettre a à son tour été transmise aux Affaires indiennes par le ministère de la Marine et des Pêcheries le 4 juin 1892.  En réponse, R. Sinclair, du ministère des Affaires indiennes, a écrit au ministre de la Marine et des Pêcheries pour lui demander s'il était d'accord avec la recommandation de l'inspecteur des Pêcheries de ne pas attribuer aux Indiens de secteurs de pêche au saumon.  Dans cette lettre du 9 juin 1892, il a réitéré que le ministère des Affaires indiennes ne prétendait aucunement avoir le droit d'attribuer des réserves de pêche aux Indiens, et qu'il appartenait au ministère de la Marine et des Pêcheries de décider si toutes les attributions de secteurs de pêche recommandées ou certaines seulement devaient être approuvées.

 

61               Le 14 juillet 1892, le sous‑ministre de la Marine et des Pêcheries a clairement répondu que son ministère ne sanctionnerait aucune réservation de secteurs de pêche.  Il a répété la position de longue date du ministère qu'aucune pêcherie exclusive ne serait accordée, et il a plutôt proposé ceci:

[traduction] . . . il me semble de loin préférable que les étendues d'eau que vous estimez nécessaires à la subsistance de ces Indiens leur soient accordées au moyen de licences assorties de conditions semblables à celles qui sont imposées à d'autres bandes indiennes de l'Ontario.  Ils seraient ainsi sur un pied d'égalité avec les pêcheurs blancs et ils pourraient disposer de leur poisson de la même manière que ces derniers.

 

(William Smith, sous‑ministre de la Marine et des Pêcheries, au surintendant général adjoint des Affaires indiennes, 14 juillet 1892, Registre des terres indiennes (no  B‑64648), ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, Hull (Qc).)

 

62               La seule conclusion qu'il est possible de tirer de cette preuve est que la Couronne n'a jamais eu l'intention d'accorder de pêcherie exclusive à la bande de Moricetown.

 

L'application de la présomption ad medium filum aquae

 

63               L'appelant a fait valoir que l'intention de la Couronne d'accorder à la bande des droits sur la pêcherie, en tant que partie de la réserve, est dans une large mesure sans pertinence en l'espèce.  À l'appui de cet argument, l'appelant affirme que la Couronne entendait uniquement réserver la pêcherie dans les eaux navigables, et que, dans les eaux non navigables ‑‑ la rivière Bulkley étant, de prétendre l'appelant, formée de telles eaux à la hauteur de la réserve ‑‑,  la présomption ad medium filum aquae s'applique, de sorte que, comme la rivière est bordée des deux côtés par la réserve, elle ferait partie de celle‑ci par l'effet de la présomption.

 

64               À supposer, sans toutefois se prononcer sur la question, que la doctrine ad medium filum aquae s'applique aux réserves indiennes, elle ne s'applique cependant pas en l'espèce, et ce pour trois raisons.  Premièrement, il faut se rappeler que la doctrine n'est applicable que dans les cas où la rivière qui forme la limite n'est pas navigable.  Or, comme la rivière Bulkley est navigable en amont et en aval de la gorge de Moricetown, elle devrait être considérée comme une rivière navigable.  En soi, il s'agit d'une raison suffisante pour conclure qu'elle ne fait pas partie de la réserve et que la présomption relative au droit de propriété sur la rivière jusqu'à son milieu ne peut alors naître.  Deuxièmement, lorsque la  réserve a été créée,  la pêcherie était, en vertu de la common law d'Angleterre, un droit séparable du titre relatif au lit de la rivière.  Donc, même si la présomption ad medium filum aquae s'appliquait et transférait à la bande le titre sur le lit de la rivière,  elle ne produirait aucun effet à l'égard de la pêcherie, étant donné que la Couronne a expressément refusé d'accorder à la bande une pêcherie exclusive.  La Couronne avait clairement l'intention de se réserver l'ensemble de la pêcherie.  Il s'ensuit que tout règlement administratif régissant la pêche outrepasserait les pouvoirs de la bande, puisque la Couronne a conservé le contrôle de ce droit riverain.  Troisièmement, même s'il était possible d'affirmer que la présomption s'applique, elle a été réfutée compte tenu de la preuve que la Couronne n'a jamais eu l'intention d'accorder le lit de la rivière à la bande et qu'elle ne l'a jamais accordé dans les faits.  Il est nécessaire d'expliciter un peu plus chacun de ces aspects.

 

Quand la présomption ad medium filum aquae s'applique‑t‑elle?

 

65               En Colombie‑Britannique, les lois civiles et criminelles d'Angleterre ont été adoptées, telles qu'elles existaient le 19 novembre 1858, [traduction] «dans la mesure où elles [n'étaient] pas inapplicables en raison de conditions locales»:  The English Law Ordinance, 1867, S.B.C. 1867, No. 70, art. 2 (maintenant Law and Equity Act, R.S.B.C. 1979, ch. 224, art. 2).  Un texte analogue a également introduit la common law d'Angleterre au Manitoba et en Alberta, quoique, dans d'autres provinces, telle l'Ontario, il n'y a pas de réserve fondée sur les «conditions locales».

 

66               Ainsi que La Forest l'a expliqué dans son ouvrage intitulé Water Law in Canada ‑- The Atlantic Provinces, op. cit., aux pp. 241 et 242, la règle anglaise était la suivante:

 

[traduction]  . . . le propriétaire d'un bien‑fonds traversé par un cours d'eau sans marée est également propriétaire du lit de ce cours d'eau sauf s'il a expressément ou implicitement été réservé; si le cours d'eau délimite des biens‑fonds appartenant à des personnes différentes, chacune d'elles est propriétaire du lit de la rivière ad medium filum aquae ‑‑ c'est‑à‑dire jusqu'à la ligne médiane du cours d'eau.

 

67               Bien que cette règle exprimait la common law sur ce point à l'époque en Angleterre, les tribunaux de l'ouest canadien ne l'ont pas appliquée aux rivières navigables.  Ainsi, dans l'affaire Re Iverson and Greater Winnipeg Water District (1921), 57 D.L.R. 184 (C.A. Man.), le juge Dennistoun a écrit ceci, aux pp. 202 et 203:

 

[traduction]  À mon avis, ces renvois à la common law d'Angleterre indiquent clairement que ces règles de droit ne s'appliquent pas et ne se sont jamais appliquées aux conditions dans la province.  Ici, que ce soit en vertu de la tenure de la Baie d'Hudson ou, depuis 1869, en vertu du titre dévolu à la Couronne, les droits publics sur les eaux navigables ont précédé et remplacé tous droits privés acquis, par concession ou colonisation, à l'égard des rives d'un cours d'eau navigable.  Dans un pays occupé dès le départ par des chasseurs, des trappeurs, des pêcheurs et des commerçants, qui avaient pour principales ‑‑ et pour ainsi dire uniques ‑‑ voies de transport les rivières et autres cours d'eau, de telles règles de droit étaient contraires aux besoins et aux exigences de la collectivité toute entière.

 

                                                                   . . .

 

Il est possible de douter de l'applicabilité de la common law d'Angleterre aux rivières navigables, pour ce qui est de la règle ad medium, si on se rappelle que l'importance des droits publics sur les eaux sans marée navigables n'était pas reconnue en Angleterre lorsqu'un titre foncier était acquis à l'égard des rives de ces eaux.

 

Dans notre pays, le droit du public de naviguer et de pêcher dans toutes les eaux navigables existe, et il est reconnu depuis toujours.

 

68               De même, au cours de la même année, dans Flewelling c. Johnston (1921), 59 D.L.R. 419, la Cour d'appel de l'Alberta a conclu que la présomption prévue par la common law d'Angleterre ne s'appliquait pas aux conditions fort différentes existant au Canada.  Bref, les «conditions locales» qui existaient au Canada rendaient la common law inapplicable aux rivières navigables.  Comme le juge Beck l'a écrit dans ses motifs, aux pp. 422 et 423:

 

[traduction]  Dans l'arrêt Barthel c. Scotten (1895), 24 R.C.S. Can. 367, il a été jugé qu'en cas d'attribution d'un bien‑fonds délimité par la rive d'une rivière navigable ou d'une voie d'eau internationale, le bien‑fonds ainsi attribué ne s'étend pas ad medium filum aquae.

 

In re Provincial Fisheries (1896), 26 R.C.S. Can. 444, le juge Gwynne a déclaré que la règle portant que les propriétaires riverains sont propriétaires ad medium filum aquae ne s'applique pas aux grands lacs ni aux rivières navigables.

 

Suivant le texte du sommaire de l'arrêt Keewatin Power Co. c. Kenora (1906), 13 O.L.R. 237, le juge Anglin a tiré la conclusion suivante:

 

«Si la présomption de common law  ‑‑ appliquée en Angleterre et en vertu de laquelle la Couronne est propriétaire du lit des eaux navigables, en vue de la protection des droits publics de navigation et de pêche dans ces eaux ‑‑ ne vise que les eaux à marée navigables, c'est apparemment parce que, à l'origine, on ne reconnaissait pas la nécessité de protéger ces droits publics dans les autres eaux navigables, et que l'on acceptait que les propriétaires riverains avaient sur le lit de ces eaux un droit ad medium filum aquae; attendu que, dans notre province, ces droits publics dans toutes les rivières navigables ont, dans les faits, toujours été réputés appartenir à la Couronne ex jure naturae, celle‑ci a conservé son titre sur le lit des rivières, même après avoir accordé des biens‑fonds en bordure de leurs rives, la doctrine ad medium filum aquae ne s'y appliquant pas.»

 

Notre Cour a déclaré, dans Rex c. Cyr (1917), 38 D.L.R. 601, 29 Can. Cr. Cas. 77, 12 Alta. L.R. 320, à la p. 325, que si l'application des principes de common law s'avère nécessaire, elle ne doit pas pour autant donner lieu à des décisions identiques à celles qui ont été rendues par les tribunaux anglais ou qui pourraient l'être; il faut plutôt tenir compte des conditions différentes qui existent dans notre pays, non seulement de la géographie, mais également de l'état général de nos affaires publiques et de l'attitude générale de la collectivité à l'égard de la question soulevée.

 

La décision du juge Anglin a été infirmée par la Cour d'appel de l'Ontario (1908), 16 O.L.R. 184, mais explicitement sur le fondement du texte même de la disposition législative provinciale pertinente, R.S.O. 1897, ch. 111, art. 1, qui était ainsi rédigée: «Relativement à toute question litigieuse concernant la propriété et les droits civils, on continuera d'avoir recours aux lois d'Angleterre, suivant leur texte au 15 octobre 1792, à titre de règles régissant ce genre de questions [. . .] sauf dans la mesure où les lois en question ont été abrogées soit par une loi de l'ancienne province du Haut‑Canada [. . .] toujours en vigueur en Ontario, soit par les présentes lois révisées.»

 

69               Le juge Beck a ensuite cité l'art. 11 de l'Acte des territoires du Nord‑Ouest, S.R.C. 1886, ch. 50, qui est au même effet que l'art. 2 de l'English Law Ordinance Act de la Colombie‑Britannique.  Il a fait l'observation suivante, à la p. 424:

 

[traduction]  Les termes que j'ai cités ne figurent pas dans la loi de l'Ontario.  Le mot «applicable» signifie «approprié», «bien adapté aux conditions existant dans le pays».  Brand c. Griffin (1908), 1 Alta. L.R. 510.  J'adhère donc, à tout le moins pour ce qui est de notre province, à l'opinion exprimée par le juge Anglin.  À son avis, la doctrine portant que le titre sur les biens‑fonds qui bordent des eaux sans marée s'étend à première vue ad medium filum aquae, ne s'applique pas, dans la province, aux eaux ‑‑ lacs et rivières ‑‑ qui dans les faits sont navigables.  [Je souligne.]

 

70               Je suis en parfait accord avec le raisonnement et les conclusions des cours d'appel du Manitoba et de l'Alberta.  Le texte des lois du Manitoba, de l'Alberta et de la Colombie‑Britannique amène inexorablement à conclure que les décisions des cours d'appel du Manitoba et de l'Alberta sont correctes et s'appliquent à la Colombie‑Britannique.

 

71               Cette conclusion est étayée également par les propos du juge La Forest dans l'arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, à la p. 54, où il a déclaré ceci:

 

La common law d'Angleterre prévoit depuis longtemps que le public a un droit de navigation dans les eaux de marée; toutefois, bien que les eaux sans marée puissent être navigables, le public n'a pas le droit d'y naviguer, sous réserve de certaines exceptions qui ne sont pas pertinentes en l'espèce.  Au Canada, la distinction entre les eaux de marée et les eaux sans marée a été abandonnée il y a longtemps, sauf dans les provinces de l'Atlantique où des considérations différentes pourraient bien s'appliquer; voir l'arrêt In Re Provincial Fisheries (1896), 26 R.C.S. 444; pour un sommaire des arrêts applicables, voir mon ouvrage intitulé Water Law in Canada (1973), aux pp. 178 à 180.  La règle est plutôt la suivante:  si les eaux sont navigables, que ce soient des eaux de marée ou sans marée, il existe un droit public de navigation.  C'est le cas en Alberta où la Division d'appel de la Cour suprême, dans l'application de l'Acte des territoires du Nord‑Ouest, S.R.C. 1886, ch. 50, a à bon droit statué dans l'arrêt Flewelling c. Johnston (1921), 59 D.L.R. 419, que la règle anglaise ne pouvait être appliquée à la province.  Les parties ne contestent pas que la rivière Oldman est en fait navigable.

 

Quel est le critère applicable pour statuer sur la navigabilité, et la rivière Bulkley est‑elle une rivière navigable?

 

72               Il est évident que la présomption ad medium filum aquae ne s'applique pas aux rivières navigables de la Colombie‑Britannique.  Dès le départ, les législatures et les tribunaux du Canada ont refusé d'appliquer une règle élaborée en Angleterre et singulièrement peu adaptée à nos vastes étendues d'eau sans marée.  Il est par conséquent nécessaire de déterminer si la rivière Bulkley peut, à juste titre, être considérée comme une rivière navigable.

 

73               Pour apprécier la navigabilité d'une rivière, il faut examiner tout son cours, de son embouchure jusqu'à l'endroit où la navigabilité prend fin.  Sur cette question, je souscris au raisonnement et aux conclusions du juge Wallace de la Cour d'appel.  Plus particulièrement, je fais miens les propos formulés par le juge Anglin (plus tard Juge en chef de notre Cour) dans l'affaire Keewatin Power Co. c. Kenora (Town) (1906), 13 O.L.R. 237 (H.C.), où il était question de la navigabilité de la rivière Winnipeg.  Cette rivière n'était pas sans présenter des similitudes avec la rivière Bulkley, puisqu'elle comportait plusieurs chutes et rapides exigeant de nombreux portages entre les étendues d'eau praticables.  Le juge Anglin a écrit ceci, à la p. 263:

 

[traduction]  Or, l'on soutient que, de toute façon, la règle ad medium devrait s'appliquer aux parties des rivières navigables qui, à leur état naturel, ne sont pas navigables en raison d'obstacles tels que des chutes ou des rapides.  Je ne suis pas d'accord.  Une fois que la navigabilité de la rivière a été établie,  celle‑ci doit être considérée comme une voie publique jusqu'à l'endroit où sa navigabilité cesse entièrement, même si en amont de ce point elle est une propriété privée:  The Queen c. Robertson, 6 R.C.S. 52.

 

Étant donné les problèmes qui découleraient du fait que différentes parties du lit d'une même rivière appartiendraient à la Couronne juris publici et aux propriétaires riverains juris privati, il y a de fortes raisons de croire que l'état du droit n'est pas tel que cela puisse se produire.  Par ailleurs, bien que la navigation soit à l'heure actuelle impossible là où tombent les chutes dans le bras est de la rivière Winnipeg, les ingénieurs affirment qu'un canal pourrait très bien permettre de vaincre cet obstacle naturel.  Le cours d'eau n'est‑il pas, même à cet endroit, navigable in posse?   Je crois que oui.

 

Il existe des décisions permettant d'avancer qu'un obstacle naturel à la navigation sur une rivière qui, de par sa nature générale, est navigable, ne change pas le caractère juridique de cette rivière à l'endroit de l'interruption, et que les propriétaires riverains ne sont pas, à cet endroit, présumés être les propriétaires du lit ad medium filumRe State Reservation at Niagara Falls (1884), 16 Abbott's N. C. (N.Y.) 159, 187; 37 Hun 507, 547 et 548.  [Je souligne.]

 

De même, le juge Henry dans l'arrêt Re Coleman and Attorney‑General for Ontario (1983), 143 D.L.R. (3d) 608 (H.C. Ont.), à la p. 614 (cité et approuvé par le juge Wallace de la Cour d'appel), a conclu ainsi:

 

[traduction] Les obstacles à la navigation ‑‑ des rapides, par exemple ‑‑  sur un cours d'eau par ailleurs navigable, qui peuvent être facilement contournés au moyen d'améliorations ‑‑ comme des canaux ‑‑ ne rendent pas ce cours d'eau non navigable, au sens juridique, à ces endroits...

 

Enfin, La Forest, dans son ouvrage intitulé Water Law in Canada ‑- The Atlantic Provinces, op. cit., dit ceci, à la p. 181:

 

[traduction]  Ainsi, l'ensemble de la rivière ou du lac peut être jugé navigable même si, à un certain endroit, la navigation peut se révéler impossible ou possible uniquement au moyen de petites embarcations en raison de la présence de rapides ou de hauts‑fonds.

 

74               La rivière Bulkley étant navigable tant en amont qu'en aval du canyon de Moricetown, elle devrait être considérée comme une rivière navigable.  Sa non‑navigabilité à la gorge de Moricetown ne peut modifier cette conclusion.  Étant donné que la présomption ad medium filum aquae ne s'applique pas aux rivières navigables en Colombie‑Britannique, elle ne s'applique donc pas à la partie de la rivière Bulkley qui traverse la réserve de Moricetown.  Pour ce seul motif, il est possible de conclure que la réserve n'inclut pas la rivière.

 

La pêcherie est dissociable de la propriété du lit

 

75               L'appelant prétend que la présomption ad medium filum aquae est devenue applicable en Colombie‑Britannique le 18 novembre 1858, date à laquelle la common law d'Angleterre a été explicitement adoptée comme étant le droit en vigueur, sauf dans la mesure où elle était inapplicable.  Par conséquent, on plaide que, lorsque la Couronne a attribué des terres aux Indiens, elle a implicitement inclus le titre sur la rivière, ad medium filum aquae.  Dans les cas où, comme en l'espèce, la rivière est bordée des deux côtés par la réserve, l'application du principe aurait pour effet de donner à la réserve le titre sur le lit entier de la rivière.  Ainsi, la rivière se trouverait «on the reserve» («dans la réserve»), à moins seulement que la Couronne réussisse à démontrer qu'elle n'avait pas l'intention d'accorder un tel titre.  Je ne peux souscrire à cette thèse.

 

76               Afin de bien comprendre pourquoi la présomption ne s'applique pas, il convient d'examiner les règles de common law relatives aux eaux.  H. J. W. Coulson et Urquhart A. Forbes dans The Law relating to Waters (2e éd. 1902), décrivent ainsi l'application de la présomption ad medium filum aquae, à la p. 100:

 

[traduction]  Les propriétaires de biens‑fonds adjacents, séparés par un cours d'eau sans marée, sont jusqu'à preuve du contraire propriétaires du sol de l'alveus, ou lit de la rivière, ad medium filum aquae.  Le sol de l'alveus, n'est pas la propriété commune des propriétaires, mais chacun d'eux détient plutôt sa part individuellement [. . .] Lorsque les biens‑fonds se trouvant de chaque côté d'un cours d'eau appartiennent à la même personne, celle‑ci est, jusqu'à preuve du contraire, propriétaire de tout le lit. . .

 

La présomption voulant que, dans les cas où un acte de transfert indique que les terres visées sont délimitées par une rivière ce fait témoigne de l'intention de transférer également le lit de la rivière  usque ad medium filum, peut être repoussée en apportant la preuve de circonstances relatives aux biens‑fonds en question réfutant que telle ait pu être l'intention.

 

77               Un des droits qui découle de la possession du lit est le droit de pêche.  Les auteurs expliquent ce droit dans les termes suivants, à la p. 104:

 

[traduction]  Comme le droit de pêche est un droit de propriété, suivant la présomption, chaque propriétaire d'un bien‑fonds attenant à un cours d'eau sans marée a le droit de pêcher à la hauteur de son bien‑fonds, usque ad medium filum aquae; de plus, si la même personne est propriétaire des biens‑fonds se trouvant des deux côtés du cours d'eau, elle possède alors en exclusivité le droit de pêche.

 

78               Cependant, les auteurs poursuivent leurs explications en disant que, comme le droit de pêche est séparable du titre, il peut être accordé à quelqu'un d'autre ou encore être réservé dans un acte de transfert.  Ainsi que le juge Wightman l'a déclaré dans Marshall c. Ulleswater Steam Navigation Co. (1863), 3 B. & S. 732, 122 E.R. 274, à la p. 278 E.R.:

 

[traduction] . . . il est évident, à la lumière de la jurisprudence et de la doctrine, que le sol de terres submergées, ainsi que l'eau et le droit d'y pêcher, est susceptible d'appropriation particulière par un tiers, que celui‑ci possède ou non des terres bordant le sol en question ou adjacentes à celui‑ci.

 

79               G. V. La Forest a très clairement expliqué ce point dans Water Law in Canada ‑- The Atlantic Provinces, op. cit., à la p. 236, où il écrit:

 

[traduction]  Bien que l'on jouisse généralement du droit de pêche en tant qu'attribut de la propriété du lit du cours d'eau, ce droit peut évidemment être transféré à des tiers au moyen d'un bail ou d'un permis.  De plus, il peut être accordé ou réservé en cas de transfert, et exister en tant que droit de propriété distinct, disjoint de la propriété du sol.

80               Il va de soi que, même dans les cas où la présomption ad medium filum aquae s'applique par ailleurs, la pêcherie peut être disjointe de la propriété du lit de la rivière.  La preuve présentée établit clairement que la Couronne n'avait pas l'intention d'accorder de pêcherie exclusive.  En conséquence, il faut considérer que la pêcherie n'est pas comprise en cas de cession de tout titre sur un bien‑fonds adjacent à une rivière, navigable ou non, même s'il était admis que la présomption ad medium filum aquae était par ailleurs applicable.  La conséquence pour l'appelant en l'espèce est évidente.  Même si la présomption ad medium filum aquae avait pour effet de faire du lit de la rivière une partie de la réserve, la réservation explicite de la pêcherie dans le transfert rend tout règlement administratif de pêche ultra vires des pouvoirs de la bande.

 

La présomption est réfutée

 

81               L'existence de toute intention d'accorder le lit de la rivière a été réfutée de façon décisive.  On se rappellera que la superficie de la réserve témoigne de l'intention d'exclure la rivière de celle‑ci.  En outre, le fait que la Couronne conserve la pêcherie fait naître la présomption qu'elle a également conservé le lit de la rivière.  Comme le soulignent Coulson et Forbes, dans The Law relating to Waters, op. cit., à la p. 368, les arrêts Marshall c. Ulleswater Steam Navigation Co., précité, et Holford c. Bailey (1846), 8 Q.B. 1000, 115 E.R. 1150 (infirmé par la Chambre de l'Échiquier pour d'autres motifs (1850), 13 Q.B. 426, 116 E.R. 1325), appuient la thèse suivante:

 

[traduction]  Il ne fait aucun doute que l'existence d'une pêcherie distincte implique, à première vue, la propriété du sol, même si ces deux éléments ne sont pas nécessairement réunis.

82               En conséquence, il semble que les règles de la common law, telles qu'elles existaient à l'époque de l'attribution de la réserve, portent à conclure que la présomption que le titre sur le lit de la rivière serait transmis du fait de l'attribution de la rive a été réfutée.  Il ne fait pas de doute que la Couronne avait l'intention de conserver la possession de la pêcherie.  Par conséquent, il est impossible de présumer que l'attribution de la rive incluait le titre sur le lit de la rivière ad medium filum aquae.  Au contraire, suivant la présomption, le titre sur la pêcherie suit le titre sur le lit de la rivière.  L'appelant n'a pas réussi à démontrer quelque intention ou action de la Couronne réfutant cette présomption.

 

83               Il pourrait être utile, à ce moment‑ci, de résumer ce que j'estime être les éléments de preuve pertinents et les principes de droit applicables pour trancher la première question:

 

1.    Chaque fois qu'elle s'est exprimée, la Couronne a toujours clairement indiqué qu'aucune pêcherie exclusive ne devait être accordée aux bandes indiennes en Colombie‑Britannique. Cette constatation est compatible avec le fait que la Couronne n'avait pas le pouvoir d'accorder de pêcherie exclusive, et qu'après la Confédération, une telle mesure aurait impliqué la cession d'un bien provincial.

 

2.    Le bon critère pour apprécier la navigabilité d'une rivière consiste à considérer ce cours d'eau dans son ensemble. Si une partie de la rivière  n'est pas navigable dans les faits, cela n'a pas pour effet de rendre l'ensemble de la rivière ou la partie en question non navigable au sens juridique, s'il est jugé que la rivière est en grande partie navigable sur toute sa longueur.  La rivière Bulkley étant navigable tant en amont qu'en aval du canyon de Moricetown, elle est donc une rivière navigable.

 

3.    Compte tenu des faits de l'espèce, la présomption ad medium filum aquae ne s'applique pas, et ce pour les raisons suivantes:

 

a.  Suivant l'examen approprié, la rivière est navigable; de plus, le principe de l'application de la présomption ad medium filum aquae aux rivières navigables n'a pas été adopté dans la common law de la Colombie‑Britannique puisque cette règle n'était pas adaptée aux conditions locales.

 

b.  Le droit de pêche peut faire l'objet d'une attribution ou réservation distincte.  Il ressort clairement des faits de l'espèce que la pêcherie a été réservée au moment de l'attribution.

 

84               Il s'ensuit que le règlement administratif de la bande ne s'applique pas à la rivière Bulkley.

 

85               Il est maintenant nécessaire de décider si l'obligation d'obtenir un permis qui est imposée par le ministère des Pêches et des Océans a porté atteinte aux droits garantis à l'appelant par l'art. 35.  Dans la négative, il faut ensuite se demander si les conditions du permis portent atteinte à ces droits et, si oui, si cette atteinte peut être justifiée.

 

L'obligation d'obtenir un permis qui est imposée par le ministère des Pêches et des Océans a‑t‑elle porté atteinte au droit de pêcher pour se nourrir garanti à l'appelant par l'art. 35?

 

La délivrance de permis constitue‑t‑elle à première vue une atteinte à l'article 35?

 

86               L'appelant prétend que le seul fait d'exiger un permis constitue à première vue une atteinte aux droits ancestraux que lui garantit l'art. 35.  Cette disposition de la Loi constitutionnelle de 1982  prévoit ceci:

 

35.  (1)  Les droits existants ‑‑ ancestraux ou issus de traités ‑- des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

 

87               Dans l'arrêt Sparrow, précité, à la p. 1112, il a été jugé qu'il incombe à la personne revendiquant un droit ancestral d'établir qu'il a été porté atteinte à première vue à ce droit.

 

88               La première étape de cette analyse consiste à établir l'existence et la portée du droit ancestral.  Je suis convaincu que l'appelant a réussi à démontrer l'existence d'un droit ancestral de pêcher à des fins alimentaires et rituelles.  Le juge d'appel Millward des poursuites sommaires a explicitement conclu ainsi, dans un jugement oral rendu le 12 juillet 1990:

 

[traduction] . . . le droit ancestral inclut le droit de choisir la période de pêche, que ce soit au début de l'année lorsque la rivière est encore gelée, ou après le mois d'août, jusqu'à une date donnée au mois de septembre, lorsque les truites arc‑en‑ciel sont normalement prises, le droit de désigner les personnes à qui on entend remettre le poisson pour qu'elles le consomment en bout de ligne, le droit de choisir à quelles fins le poisson servira ‑‑ savoir à des fins alimentaires, rituelles ou religieuses ‑‑ et la façon de pêcher ou les méthodes utilisées. . .

 

(R. c. Nikal, [1991] 1 C.N.L.R. 162, à la p. 167.)

 

89               À la lumière de la preuve, il s'agit là d'une conclusion appropriée pour ce qui est de la portée des droits ancestraux du peuple Wet'suwet'en sur la pêcherie, à une réserve près toutefois.  En effet, le droit de décider quelles sont les personnes qui recevront le poisson en bout de ligne n'est pas un droit absolu.  Au contraire, la preuve présentée a simplement permis d'établir que l'appelant, en tant que Wet'suwet'en, a le droit de fournir à d'autres membres de la bande le poisson nécessaire pour satisfaire leurs besoins alimentaires et rituels.  Je n'exprime aucune opinion quant à la question de savoir si ce droit a une portée plus large.

90               Je ne peux souscrire à la constatation du juge Millward que l'appelant a le droit de ne pas se conformer aux ordres du ministère des Pêches et des Océans.  Cette constatation n'est pas étayée par la preuve et elle n'est pas soutenable en droit.  En outre, même si l'appelant n'a pas concédé ces conclusions, il ne les a pas sérieusement contestées.

 

91               En ce qui concerne le régime de délivrance de permis, l'appelant prétend que, une fois que l'existence de ses droits a été établie, tout ce qui en entrave ou en gêne l'exercice, ne serait‑ce que de façon négligeable, constitue à première vue une atteinte.  On affirme que l'existence même du permis porte  atteinte au droit ancestral en ce qu'elle implique que la permission du gouvernement est nécessaire pour exercer ce droit, et que l'appelant n'est pas libre de s'en remettre au pouvoir discrétionnaire de la bande ou au sien pour l'exercer.

 

92               Cette thèse ne peut être fondée.  Il a fréquemment été déclaré que les droits n'existent pas dans l'abstrait et que les droits d'un individu ou d'un groupe sont nécessairement limités par les droits d'autrui.  La capacité d'exercer des droits individuels ou collectifs est nécessairement restreinte par les droits d'autrui.  Le gouvernement doit, en dernier ressort, être capable d'établir ou de régir la façon dont ces droits devraient interagir.  La liberté absolue d'exercer un droit, même un droit ancestral protégé par la Charte  ou garanti par la Constitution, n'a jamais été reconnue ni voulue.  L'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés  est peut‑être la meilleure illustration de ce principe.  La liberté absolue, sans restriction aucune, implique nécessairement la liberté de vivre en marge des lois.  Un tel concept est inacceptable dans notre société.  Sur ce point, les motifs du juge Blair dans l'arrêt R. c. Agawa (1988), 65 O.R. (2d) 505 (Ont.), à la p. 524, sont persuasifs et convaincants.  Il y a reconnu la nécessité d'appliquer une analyse équilibrée en matière de restriction des droits issus de traités, déclarant ceci:

 

[traduction]  . . . les droits issus de traités des Indiens ne diffèrent pas de tous les autres droits reconnus par notre système juridique.  L'exercice d'un droit par une personne ou un groupe est restreint par les droits d'autrui.  Les droits n'existent pas dans l'abstrait et, dans l'exercice de tout droit, il faut trouver un juste équilibre avec les intérêts et les valeurs qui sous‑tendent les droits d'autrui. Ce fait est reconnu à l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés , qui énonce que toute restriction des droits garantis par la Charte  doit être justifiée comme étant raisonnable dans le cadre d'une une société libre et démocratique.

 

93               Cette conclusion est compatible avec l'approche applicable pour interpréter les droits garantis par l'art. 35, qui a été formulée dans l'arrêt Sparrow, précité, à la p. 1110:

 

La reconnaissance constitutionnelle exprimée dans la disposition en cause permet donc, dans une certaine mesure, de contrôler la conduite du gouvernement et de limiter fortement le pouvoir du législateur.  Bien qu'elle ne constitue pas une promesse d'immunité contre la réglementation gouvernementale dans une société qui, au XXe siècle, devient de plus en plus complexe et interdépendante et où il est nécessaire de protéger et de gérer les ressources épuisables, cette reconnaissance représente un engagement important de la part de la Couronne.  [Je souligne.]

 

94               La présente affaire illustre bien la sagesse du raisonnement énoncé dans les arrêts Sparrow et Agawa.  En l'espèce, il faut  mettre en équilibre le droit ancestral de pêcher et la nécessité de conserver les ressources halieutiques.  L'existence d'un droit ancestral de pêcher ne peut automatiquement priver le gouvernement de la capacité de mettre sur pied un régime ou programme de délivrance de permis, car l'exercice du droit lui‑même dépend de la survie de  ces ressources.  Le droit même de pêcher perdrait avec le temps tout son sens si le gouvernement ne pouvait adopter un régime de délivrance de permis susceptible de constituer l'assise essentielle d'un programme de conservation.

 

95               Il faut également se rappeler que, par définition, les droits ancestraux ne peuvent être exercés que par les peuples autochtones.  En outre, la nature et la portée des droits ancestraux dépendent fréquemment de l'appartenance à une bande particulière ayant établi l'existence de certains droits dans une localité donnée.  Dans ce contexte, un permis peut constituer le moyen le moins attentatoire d'établir l'existence du droit ancestral en faveur des autochtones et d'empêcher les non‑autochtones d'exercer des droits ancestraux.

 

96               La situation qui se présente en l'espèce relativement aux droits ancestraux protégés par l'art. 35 est analogue à la liberté de circulation garantie au par. 6(1)  de la Charte .  Ce paragraphe garantit à tout citoyen canadien le droit de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir.  Par définition, ce droit est limité aux citoyens canadiens et, pour en assurer le respect, il est nécessaire d'appliquer certains moyens permettant d'identifier les citoyens canadiens.  Par conséquent, exiger des citoyens qu'ils présentent leur passeport pour entrer au Canada ne serait pas une atteinte à leur liberté de circulation, puisque le passeport sert à identifier ceux qui peuvent exercer les droits appartenant aux citoyens canadiens.

 

97               Cela ne revient pas à dire que l'une ou l'autre des conditions prévues par le permis ne pourrait pas constituer une atteinte aux droits garantis par l'art. 35.  Même un simple permis pourrait constituer une atteinte, s'il n'est possible de l'obtenir qu'à grands frais ou avec beaucoup de difficultés.  Le critère applicable pour apprécier l'existence d'une telle atteinte a été énoncé clairement dans l'arrêt Sparrow, à partir de la p. 1111:

 

La première question à poser est de savoir si la loi en question a pour effet de porter atteinte à un droit ancestral existant.  Dans l'affirmative, elle constitue une violation à première vue du par. 35(1).

 

98               Les questions qu'il faut trancher pour déterminer s'il y a atteinte à première vue sont formulées à la p. 1112:

 

Pour déterminer si les droits de pêche ont subi une atteinte constituant une violation à première vue du par. 35(1), on doit poser certaines questions.  Premièrement, la restriction est‑elle déraisonnable?   Deuxièmement, le règlement est‑il indûment rigoureux?   Troisièmement, le règlement refuse‑t‑il aux titulaires du droit le recours à leur moyen préféré de l'exercer?   C'est au particulier ou au groupe qui conteste la mesure législative qu'il incombe de prouver qu'il y a eu violation à première vue.

 

99               L'application de ces critères aux faits de l'espèce révèle que le permis lui‑même, par opposition aux conditions dont il est assorti, ne constitue pas une atteinte au par. 35(1).  La simple obligation d'être titulaire d'un permis n'est pas en soi déraisonnable, mais au contraire nécessaire à l'exercice du droit lui‑même.  En conséquence, il faut répondre par la négative à la première question, soit celle de savoir si la délivrance de permis est une mesure déraisonnable.

 

100             La seconde question consiste à déterminer si le règlement est indûment rigoureux.  Pour qu'une situation soit «indûment rigoureuse», elle doit causer plus qu'un simple inconvénient.  Il s'ensuit qu'un permis gratuit et facile à obtenir ne peut être considéré comme étant une mesure indûment rigoureuse.  La situation pourrait être différente si, par exemple, il n'était possible de se procurer le permis que dans des endroits situés à de nombreux kilomètres de la réserve et accessibles uniquement à grands frais ou au prix de sérieux inconvénients.

 

101             La dernière question est de savoir si le règlement prive le titulaire du droit en cause de la possibilité de recourir à ses moyens préférés pour l'exercer.  Le permis lui‑même, indépendamment de ses conditions, ne peut gêner l'exercice du droit par les moyens préférés puisque, essentiellement, il n'est rien d'autre qu'un moyen d'identification.  Le fait d'obliger les pêcheurs à s'identifier, de façon à permettre aux agents des pêches de distinguer ceux qui sont titulaires du droit de ceux qui ne le sont pas, ne peut constituer une entrave à l'exercice de ce droit par les moyens préférés.  Il s'ensuit qu'il est impossible d'affirmer que, indépendamment de ses conditions, le permis lui‑même constitue une atteinte au droit ancestral de pêcher.  Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, le simple fait d'exiger un permis ne constitue pas une atteinte aux droits garantis à l'appelant par l'art. 35.

 

102             De fait, il est possible d'affirmer que, en règle générale, le seul fait d'exiger l'obtention d'un permis constituera rarement une atteinte à première vue au droit ancestral de pêche garanti par l'art. 35.  Pour que la pêche au saumon survive, il faut qu'une autorité centrale exerce une certaine forme de surveillance.  C'est au gouvernement fédéral qu'il incombera de gérer la pêcherie et de voir à l'amélioration et à l'augmentation des stocks de poisson dans celle‑ci.  Il appartient au gouvernement fédéral de faire en sorte que tous les utilisateurs ayant droit à une part de la récolte de saumon aient la possibilité de l'obtenir, conformément à l'ordre de priorité établi dans l'arrêt Sparrow.  Tout mécanisme de surveillance s'appuie normalement sur un régime de délivrance de permis.  La délivrance de permis aux différentes catégories d'utilisateurs permet au ministère de savoir à tout le moins combien il y a de pêcheurs dans ces catégories.  Par ce moyen, le ministère recueille les données de base à partir desquelles il peut faire les estimations nécessaires à la gestion des ressources de la pêcherie.  Le permis est la première étape essentielle en vue de la conservation et de la gestion de cette ressource fragile.  La nécessité de gérer les stocks exige beaucoup plus que le simple fait d'empêcher la disparition du saumon.  En effet, la gestion emporte l'obligation de maintenir les stocks de cette ressource et de les accroître raisonnablement.  Le permis aide à s'acquitter de cette obligation en offrant un moyen d'identification qui permet de veiller à ce que seules les personnes  autorisées à le faire pêchent dans les endroits prévus.  Il sert de mécanisme de surveillance en empêchant celles qui ne sont pas titulaires d'un permis de pêche de pratiquer cette activité.

 

Les conditions particulières du permis en question

 

103             Bien que, en règle générale, la délivrance de permis ne constitue pas en soi une atteinte à première vue au droit ancestral de pêcher, le gouvernement est tenu de justifier les conditions prévues par un permis qui, à la simple lecture de leur texte, portent atteinte au droit de pêche garanti par l'art. 35.  Le permis de 1986, en litige dans le présent cas, comporte plusieurs conditions.  Certaines des conditions figurant sur le permis ont un caractère obligatoire, alors que d'autres, qui y sont ajoutées par l'agent des pêches qui délivre le permis, ont un caractère discrétionnaire. Parmi les conditions obligatoires figurant sur le permis certaines sont clairement des atteintes à première vue au droit ancestral de l'appelant, comme l'ont à juste titre conclu les juridictions inférieures.  Les conditions attentatoires sont les suivantes:

 

(i) la pêche ne peut être pratiquée qu'à des fins alimentaires;

 

(ii) les remarques 4 et 5 figurant sur le permis, qui sont rédigées ainsi:

 

[traduction]

 

4.  La période de pêche peut être modifiée par avis public.

 

5.  Les Indiens qui pratiquent la pêche à des fins alimentaires entre le 30 septembre et le 1er juillet doivent détenir un permis délivré par l'agent provincial de conservation de la faune et du poisson.

 

(iii) le pêcheur ne peut pratiquer la pêche que pour lui‑même et sa famille;

 

(iv) seule la pêche au saumon peut être pratiquée.

 

104             Ces conditions constituent à première vue des atteintes aux droits ancestraux de l'appelant, qui ont à juste titre été spécifiquement définis comme incluant les aspects suivants:

 

(i) le droit de désigner les membres de la bande qui recevront le poisson pour le consommer en bout de ligne;

 

(ii) le droit de décider à quelles fins sera utilisé le poisson, savoir  à des fins alimentaires, rituelles ou religieuses;

 

(iii) le droit de pêcher la truite arc‑en‑ciel;

 

(iv) le droit de décider à quel moment pêcher dans la rivière.

 

Comme les conditions du permis décrites précédemment empiètent clairement sur ces aspects des droits garantis à l'appelant par l'art. 35, elles doivent constituer à première vue des atteintes à ces droits.

 

105             En outre, le permis est assorti d'autres conditions qui pourraient être attentatoires si elles entraient en conflit avec les droits ancestraux de l'appelant.  Ces conditions portent sur les aspects suivants:

 

(i) la désignation des eaux où la pêche peut être pratiquée;

 

(ii) le type d'engins de pêche pouvant être utilisés;

 

(iii) les jours et les heures de pêche.

 

106             En ce qui concerne ces conditions, la question de savoir si elles constitueront une atteinte dépend de celle de savoir si les conditions particulières inscrites par l'agent des pêches entrent en conflit avec les droits garantis à l'appelant par l'art. 35.  Je tiens à souligner que le juge Millward a bel et bien conclu que les droits ancestraux de l'appelant incluent celui de choisir à quel moment la pêche sera pratiquée, ainsi que la façon de le faire et les méthodes qui seront utilisées.  Par conséquent, ces conditions peuvent, selon leur libellé, porter atteinte aux droits ancestraux de l'appelant.

 

107             Très peu d'arguments, voire aucun, ont été présentés relativement aux autres conditions assortissant le permis.  En conséquence, je n'ai formulé ni observation ni conclusion à leur égard.

 

108             Avant d'aborder la question de la justification, je dois examiner l'argument de l'intimée que ces conditions sont valides puisqu'elles n'ont pas été appliquées.  Je ne peux accepter cet argument.  Il est depuis longtemps reconnu que le titulaire d'un droit constitutionnel n'a pas, pour jouir de la protection de ce droit, à compter que le ministère public fera montre de retenue dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de poursuivre.  Cet argument ne peut donc être retenu.  Voir, par exemple, R. c. Bain, [1992] 1 R.C.S. 91, aux pp. 103 et 104.  De fait, l'avocat de l'intimée a concédé qu'il était possible que les conditions dont était assorti le permis de 1986 soulèvent certains problèmes, et il s'est surtout attaché à plaider que l'obligation de détenir un permis ne constitue pas en soi une atteinte à première vue au droit ancestral de pêche garanti par l'art. 35.  Sur ce point, il avait raison.

 

Justification

 

109             Dans Sparrow, précité, à la p. 1113, il a été jugé que, pour déterminer s'il est possible de justifier une atteinte à des droits ancestraux ou issus de traités, il faut se poser les questions suivantes, dans l'ordre indiqué:

 

En premier lieu, il faut se demander s'il existe un objectif législatif régulier.  À ce stade, la cour se demanderait si l'objectif visé par le Parlement en autorisant le ministère à adopter des règlements en matière de pêche est régulier.  Serait également examiné l'objectif poursuivi par le ministère en adoptant le règlement en cause.

 

À la page 1114, l'étape suivante a été décrite ainsi:

 

Si on conclut à l'existence d'un objectif législatif régulier, on passe au second volet de la question de la justification.  Ici, nous nous référons au principe directeur d'interprétation qui découle des arrêts Taylor and Williams et Guerin, précités.  C'est‑à‑dire, l'honneur de Sa Majesté est en jeu lorsqu'Elle transige avec les peuples autochtones.  Les rapports spéciaux de fiduciaire et la responsabilité du gouvernement envers les autochtones doivent être le premier facteur à examiner en déterminant si la mesure législative ou l'action en cause est justifiable.

 

Enfin, à la p. 1119, on a signalé que d'autres questions peuvent également se soulever, selon les circonstances de l'enquête:

 

Il s'agit notamment des questions de savoir si, en tentant d'obtenir le résultat souhaité, on a porté le moins possible atteinte à des droits, si une juste indemnisation est prévue en cas d'expropriation et si le groupe d'autochtones en question a été consulté au sujet des mesures de conservation mises en {oe}uvre.  On s'attendrait certainement à ce que les peuples autochtones, traditionnellement sensibilisés à la conservation et ayant toujours vécu dans des rapports d'interdépendance avec les ressources naturelles, soient au moins informés relativement à la conception d'un régime approprié de réglementation de la pêche.

 

Nous ne nous proposons pas de présenter une énumération exhaustive des facteurs à considérer dans l'appréciation de la justification.  Qu'il suffise de souligner que la reconnaissance et la confirmation exigent que le gouvernement, les tribunaux et même l'ensemble des Canadiens soient conscients des droits des peuples autochtones et qu'ils les respectent.

 

110             À mon avis, on peut à juste titre inférer que le concept du caractère raisonnable fait partie intégrante du critère de justification établi dans l'arrêt Sparrow.  Ainsi, dans ces dernières questions, le caractère raisonnable sera un aspect nécessaire de l'analyse de la justification.  Par exemple, pour décider si on a porté atteinte le moins possible aux droits en cause, il faut examiner l'atteinte dans le contexte de la situation qui se présente.  Dans la mesure où, compte tenu de ces circonstances, il est raisonnablement possible de considérer qu'on a porté atteinte le moins possible aux droits en cause, alors cette atteinte respecte le critère.  Le simple fait qu'il pourrait y avoir d'autres solutions susceptibles d'être jugées moins attentatoires ne devrait pas en soi être une raison de conclure automatiquement que l'atteinte ne peut être justifiée.  Le concept du caractère raisonnable doit également entrer en jeu pour ce qui est des aspects qui concernent l'information et la consultation.  Par exemple, on ne peut se contenter de faire abstraction de la nécessité de diffuser des renseignements ni de l'existence d'une demande de consultation.  Dans la mesure où tous les efforts raisonnables ont été déployés pour informer et consulter, on a alors satisfait à l'obligation de justifier.  On ne fait là tout au plus que reconnaître la possibilité que des règlements en matière de conservation doivent être pris rapidement afin d'éviter une crise.  En effet, des mesures de conservation strictes devront à l'occasion être prises de manière expéditive pour éviter des situations potentiellement catastrophiques.  Il faudra tenir compte de la nature de la situation dans l'appréciation des mesures de conservation ainsi prises.  Plus la situation sera grave et urgente, plus des mesures strictes paraîtront raisonnables.

 

111             En l'espèce, comme le gouvernement n'a présenté aucune preuve susceptible de justifier les conditions fixées par le permis, il ne s'est pas acquitté du fardeau qui lui incombe.  Il n'a donc pas justifié les conditions que j'ai mentionnées et qui portent atteinte aux droits ancestraux de l'appelant.

 

112             En conséquence, quel doit être le dispositif du présent pourvoi?   Il est évident que le gouvernement fédéral peut validement obliger les autochtones à se procurer un permis de pêche conformément au par. 4(1) du Règlement de pêche général de la Colombie‑Britannique.  Il est également évident qu'au moins quatre des conditions obligatoires figurant sur le permis portent atteinte aux droits garantis à l'appelant par le par. 35(1).  Ces conditions rendent le permis de 1986 invalide.  Elles sont une partie intégrante et essentielle de celui‑ci.  Elles précisent les modalités de délivrance du permis et de son utilisation par le titulaire, qui doit se conformer à ces conditions.  Le permis est délivré sur ce fondement.  Les conditions en question sont inconstitutionnelles. En raison de ces conditions, le permis est invalide.  Il s'ensuit qu'il ne peut y avoir eu création de l'infraction d'avoir pêché sans permis en 1986.  Le permis délivré en 1986, conformément au par. 4(1) du Règlement de pêche général de la Colombie‑Britannique, est invalide au même titre que le serait toute autre mesure législative ou réglementaire jugée inconstitutionnelle ou ultra vires.  Il a constamment été jugé qu'une mesure législative ou réglementaire invalide ne peut créer d'infraction.  Voir, par exemple, R. c. Sharma, [1993] 1 R.C.S. 650, et R. c. Bob (1991), 88 Sask. R. 302 (C.A.).  Cette conclusion commande un acquittement.

 

113             Le permis et les conditions qui en font partie intégrante sont si inextricablement liés qu'ils ne peuvent être examinés séparément.  Ils forment un tout indivisible.  Si ma conclusion sur ce point est juste, il n'est alors pas nécessaire de décider si les conditions sont, en fait, dissociables.  En revanche, si j'ai tort, je suis d'avis que les conditions n'étaient pas dissociables.  L'article 52  de la Loi constitutionnelle de 1982  prévoit ce qui suit:

 

52. (1)  La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada;  elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

 

114             Dans l'arrêt Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, à la p. 697, le juge en chef Lamer a interprété ainsi cette disposition:

Si la partie irrégulière d'une loi peut être isolée, il est conforme aux principes juridiques de déclarer inopérante seulement cette partie.  On peut ainsi réaliser autant que possible l'objectif législatif.  Toutefois, dans certains cas, la dissociation de la partie fautive sera plus attentatoire à l'objectif législatif que l'annulation possible des dispositions qui ne sont pas fautives, mais qui sont étroitement liées à celles qui le sont.  Cette préoccupation se reflète dans l'énoncé classique du critère applicable en cas de dissociation mentionné dans l'arrêt Attorney‑General for Alberta c. Attorney‑General for Canada, [1947] A.C. 503, à la p. 518:

 

[traduction]  La véritable question qui se pose est de savoir si le reste n'est pas si inextricablement lié à la partie déclarée invalide qu'il ne saurait subsister indépendamment, ou comme on l'a dit parfois, si, après un examen impartial de toute la question, on peut présumer que le législateur n'aurait jamais adopté ce qui subsiste sans adopter la partie qui est ultra vires.

 

115             À mon avis, si on examine l'objet du permis en cause en corrélation avec les différentes conditions obligatoires y figurant qui portent atteinte aux droits ancestraux de l'appelant, la dissociation peut être considérée comme une solution inacceptable.  Les conditions invalides sont nombreuses.  Elles sont obligatoires et font partie intégrante du permis lui‑même.  Le permis exigeait que ces conditions soient respectées, ce qui revient à dire que son titulaire devait s'y conformer.  Je ne vois pas comment ce permis pourrait être dissocié de ses conditions obligatoires invalides.  En outre, d'un point de vue pratique, il importe de signaler que les permis en cause ont été créés et utilisés avant que le gouvernement ait pu profiter de l'arrêt de notre Cour dans Sparrow.  L'avocat du ministère public a indiqué que, par suite de cet arrêt, ce genre de permis n'est plus utilisé.  En conséquence, il convient, tant sur le plan juridique que sur le plan pratique, de déclarer le permis au complet invalide.

 

116             Il ne saurait faire de doute qu'un texte de loi portant atteinte à la Constitution est invalide et ne peut imposer d'obligations exécutoires.  Voir, par exemple, Norton c. Shelby County, 118 U.S. 425 (1886), à la p. 442; Air Canada c. Colombie‑Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161, à la p. 1195.

 

117             En conséquence, l'appelant doit être acquitté de l'accusation d'avoir pêché sans permis, en contravention du par. 4(1), étant donné que les conditions du permis portaient atteinte à ses droits ancestraux, et que le permis était par conséquent inconstitutionnel.

 

Dispositif

 

118             En conséquence, le pourvoi est accueilli.  Il faut répondre non à la question de savoir si le règlement administratif de pêche de la bande s'applique à la rivière Bulkley, à la hauteur de Moricetown.  Il faut également répondre non à la question de savoir si l'obligation de détenir un permis qui est prévue au par. 4(1) constitue une atteinte aux droits ancestraux de l'appelant, incompatible avec l'art. 35.  Étant donné ma réponse à ces questions, et pour les motifs prononcés précédemment, la question constitutionnelle doit recevoir la réponse suivante:

 

Question:     Le paragraphe 4(1) du Règlement de pêche général de la Colombie‑Britannique, DORS/84‑248, tel qu'il se lisait en juillet 1986, et les permis délivrés en vertu de ce paragraphe sont‑ils, dans les circonstances de la présente affaire, inopérants à l'égard de l'appelant en vertu de l'art. 52  de la Loi constitutionnelle de 1982 , en raison des droits ancestraux au sens de l'art. 35  de la Loi constitutionnelle de 1982 , qu'il invoque?

 

Réponse:     Le paragraphe 4(1) du Règlement de pêche général de la Colombie‑Britannique n'est pas invalide par application de l'art. 52  de la Loi constitutionnelle de 1982  en raison des droits ancestraux au sens de l'art. 35  de la Loi constitutionnelle de 1982  invoqués par l'appelant.  Toutefois, les conditions obligatoires figurant sur le permis de 1986 portent atteinte aux droits ancestraux de l'appelant et ne sont pas dissociables, de sorte que le permis est invalide.

 

119             L'ordonnance de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique déclarant l'appelant coupable doit être annulée, et l'acquittement de ce dernier doit être rétabli.  Aucune des parties n'aura droit aux dépens.

 

Version française des motifs des juges L'Heureux‑Dubé et McLachlin rendus par

 

120             Le juge McLachlin (dissidente) ‑‑ La question en l'espèce est de savoir si l'obligation faite à l'appelant d'obtenir un permis de pêche était en soi inconstitutionnelle.  Je suis d'accord avec les juges de la majorité de la Cour d'appel de même qu'avec le juge Cory de notre Cour que cette obligation ne constitue pas à première vue une atteinte au droit de pêcher pour se nourrir qui est garanti à l'appelant par la Constitution.

 

121             Il reste à se demander si les conditions dont est assorti le permis sont inconstitutionnelles.  À mon avis, nous n'avons pas été saisis de cette question.  L'appelant n'a pas été accusé d'avoir enfreint les conditions prévues par le permis, mais plutôt d'avoir pêché sans permis.  Au procès, la thèse examinée était que le régime de délivrance de permis dans son ensemble était invalide.  La question en litige, ainsi que l'a dit expressément le juge Hutcheon en Cour d'appel, était de savoir si le fait de délivrer des permis, et non les conditions assortissant ces permis, était en soi inconstitutionnel.

 

122             Notre Cour, sous la plume du juge Cory, souscrit aujourd'hui à l'opinion du juge de première instance et des juges de la majorité de la Cour d'appel que l'État a le droit d'assujettir à un régime de délivrance de permis les activités de pêche autochtones et, par conséquent, d'exiger de l'appelant qu'il obtienne un permis de pêche.  Cependant, la majorité poursuit en concluant que, comme quatre des conditions dont est assorti le permis portent atteinte aux droits ancestraux de l'appelant, l'obligation d'obtenir le permis visé en l'espèce est inconstitutionnelle et la déclaration de culpabilité prononcée contre l'appelant pour avoir pêché sans permis doit être annulée.

 

123             Je ne partage pas cette conclusion.  Le fait que quatre des conditions prévues soient invalides n'excuse pas l'appelant relativement à l'accusation d'avoir pêché sans permis.  S'il avait été accusé d'avoir enfreint une des conditions du permis, la preuve que la condition en question était inconstitutionnelle aurait constitué un moyen de défense contre cette accusation.  Cependant, je suis d'avis que l'inconstitutionnalité d'une condition du permis ne dispense aucunement l'appelant de l'obligation d'obtenir un permis.

 

124             Le juge Cory affirme que l'invalidité des conditions prévues par un permis dispense une personne de l'obligation d'obtenir le permis requis par la loi, si ces conditions font «partie intégrante» du permis.  Je ne peux accepter cette proposition.  Peut‑on exempter une entreprise fabriquant des produits chimiques de l'obligation d'obtenir un permis autorisant l'émission d'un polluant chimique simplement parce qu'elle est en mesure d'établir qu'une ou plusieurs des conditions fixées par le permis sont invalides?   Peut‑on, passé un certain âge, dispenser une personne d'obtenir un permis de conduire simplement parce qu'elle estime que la restriction fondée sur l'âge porte atteinte au code des droits de la personne de la province?   Je ne le crois pas.  Par ailleurs, le fait de dire que les conditions en cause font «partie intégrante» du permis change-t-il la situation?   Encore une fois, je ne le crois pas.

 

125             Il est, à mon sens, important de distinguer entre l'accusation de ne pas détenir le permis requis par un régime valide de délivrance de telles autorisations et celle d'avoir enfreint une des conditions du permis.  En l'espèce, nous sommes en présence d'une infraction quasi criminelle.  L'appelant a été accusé de ne pas s'être procuré le permis requis par la loi.  En défense, il fait valoir que l'État n'a pas le droit de l'obliger à se procurer un permis.  Le juge de première instance, la Cour d'appel à la majorité et notre Cour à l'unanimité ont statué que l'État a bel et bien le droit de l'obliger à obtenir un permis.  Cette question ayant été tranchée à l'encontre de l'appelant, c'est à juste titre qu'il a été déclaré coupable d'avoir pêché sans le permis requis.

 

126             La situation aurait été différente si l'appelant avait été accusé d'avoir enfreint une des conditions du permis.  Il aurait alors pu plaider, en défense, que la condition qu'on l'accusait d'avoir enfreint était inconstitutionnelle.  La constitutionnalité de la condition serait alors devenue l'aspect central du procès et des appels.  Si la condition avait été jugée inconstitutionnelle, elle aurait été écartée.  La dissociation serait automatique.  Ne se poserait alors pas la question, énoncée dans l'arrêt Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, de savoir s'il y a lieu d'invalider l'ensemble ou une partie seulement du permis.  Le permis subsisterait, de même que les autres conditions toujours valides.  Le droit de l'État d'exiger, à des fins de surveillance, l'obtention d'un permis demeurerait constitutionnel.

 

127             La thèse préconisée par le juge Cory a des conséquences pratiques importantes.  Après avoir statué que, dans le but de surveiller les pêcheries, l'État a le droit d'exiger des personnes qui pratiquent la pêche qu'elles obtiennent un permis, il priverait l'État du droit de le faire dans les cas où des conditions dont est assorti le permis, conditions qui suivant les faits ne sont pas en litige en l'espèce, ne résistent pas à une analyse constitutionnelle abstraite.  Cela aurait pour effet d'encourager les personnes qui s'opposent aux conditions d'un permis à ne pas demander ce permis, sapant ainsi le rôle de surveillance du régime de délivrance de permis.  La validité des différentes obligations faites par l'État relativement à l'obtention de permis de toutes sortes pourrait être mise en question.  Ces conséquences sont évitées si la décision se limite à l'allégation figurant dans l'accusation ‑‑ savoir l'omission d'obtenir un permis.

 

128             Des considérations d'ordre jurisprudentiel appuient également ce point de vue.  Les tribunaux appelés à statuer sur la culpabilité ou l'innocence d'un accusé devraient se limiter aux questions soulevées par l'accusation portée.  Il est préférable d'examiner la validité des diverses conditions d'un permis dans le contexte de faits donnant lieu à leur application, plutôt que dans l'abstrait.  De même, les cours d'appel chargées de contrôler les décisions des tribunaux de première instance sont généralement bien avisées de se confiner aux questions et moyens de défense qui sont soulevés dans ces décisions.  En l'espèce, l'unique question en litige au procès et devant la Cour d'appel était le droit de l'État d'obliger l'appelant à obtenir un permis.  En conséquence, je préférerais limiter la décision de notre Cour à cette question.

 

129             En conclusion, la question dont nous sommes saisis, à l'instar des juridictions inférieures, est de savoir si l'obligation faite à l'appelant d'obtenir un permis de pêche, quelles qu'en soient les conditions, est constitutionnelle.  La réponse à cette question est oui.  L'appelant admet volontiers qu'il n'avait pas le permis validement requis par la loi.  Il a donc à juste titre été déclaré coupable de l'accusation portée contre lui.  La question de savoir si les conditions du permis sont valides devrait être tranchée dans une affaire où elle se soulèvera.

 

130             Voici le texte de la question constitutionnelle formulée par le juge en chef:

 

Le paragraphe 4(1) du Règlement de pêche général de la Colombie‑Britannique, DORS/84‑248, tel qu'il se lisait en juillet 1986, et les permis délivrés en vertu de ce paragraphe sont‑ils, dans les circonstances de la présente affaire, inopérants à l'égard de l'appelant en vertu de l'art. 52  de la Loi constitutionnelle de 1982 , en raison des droits ancestraux au sens de l'art. 35  de la Loi constitutionnelle de 1982 , qu'il invoque?

 

131             Je répondrais ainsi à cette question:

 

Le paragraphe 4(1) du Règlement de pêche général de la Colombie‑Britannique et les permis délivrés en vertu de cette disposition ne sont pas, dans les circonstances de la présente affaire, inopérants à l'égard de l'appelant par application de l'art. 52  de la Loi constitutionnelle de 1982  en raison des droits ancestraux au sens de l'art. 35  de la Loi constitutionnelle de 1982  invoqués par l'appelant.

132             Je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer la déclaration de culpabilité.

 

Pourvoi accueilli, les juges  L'Heureux‑Dubé et McLachlin  sont dissidentes.

 

Procureurs de l'appelant:  Hutchins, Soroka, Grant & Paterson, Hazelton.

 

Procureur de l'intimée:  George Thomson, Ottawa.

 

Procureurs de l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique:  Fuller, Pearlman, Victoria.

 

Procureurs de l'intervenant le procureur général de l'Alberta:  Parlee, McLaws, Calgary.

 

Procureurs de l'intervenante l'Alliance of Tribal Councils:  Mandell, Pinder, Vancouver.

 

Procureurs des intervenants Delgamuukw et autres:  Rush, Crane, Guenther & Adams, Vancouver.

 

Procureur de l'intervenant le Fisheries Council of British Columbia:  J. Keith Lowes, Vancouver.

 

Procureurs de l'intervenante la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada:  Ladner Downs, Vancouver.

 

Procureurs des intervenantes la BC Fisheries Survival Coalition et la BC Wildlife Federation:  Russell & DuMoulin, Vancouver.

 

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