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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Meredith c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 2, [2015] 1 R.C.S. 125

Date : 20150116

Dossier : 35424

 

Entre :

Robert Meredith et Brian Roach

(représentant tous les membres de la Gendarmerie royale du Canada)

Appelants

et

Procureur général du Canada

Intimé

- et -

Procureur général de l’Ontario, procureur général de la Colombie-Britannique,

procureur général de la Saskatchewan, procureur général de l’Alberta,

Congrès du travail du Canada, Institut professionnel de la fonction publique du Canada, Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 675,

Alliance de la Fonction publique du Canada, Confédération des syndicats nationaux et Syndicat des agents correctionnels du Canada

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner

 

Motifs de jugement conjoints :

(par. 1 à 32)

 

Motifs concordants quant au résultat :

(par. 33 à 49)

 

Motifs dissidents :

(par. 50 à 72)

 

La juge en chef McLachlin et le juge LeBel (avec l’accord des juges Cromwell, Karakatsanis et Wagner)

 

 

Le juge Rothstein

 

 

 

La juge Abella

 

 

 

 


meredith c. canada (procureur général), 2015 CSC 2, [2015] 1 R.C.S. 125

Robert Meredith et

Brian Roach (représentant tous les membres

de la Gendarmerie royale du Canada)                                                         Appelants

c.

Procureur général du Canada                                                                            Intimé

et

Procureur général de l’Ontario,

procureur général de la Colombie-Britannique,

procureur général de la Saskatchewan,

procureur général de l’Alberta,

Congrès du travail du Canada,

Institut professionnel de la fonction publique du Canada,

Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 675,

Alliance de la Fonction publique du Canada,

Confédération des syndicats nationaux et

Syndicat des agents correctionnels du Canada                                        Intervenants

Répertorié : Meredith c. Canada (Procureur général)

2015 CSC 2

No du greffe : 35424.

2014 : 19 février; 2015 : 16 janvier.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner.

en appel de la cour d’appel fédérale

                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Liberté d’association — Droit de négocier collectivement — Réduction salariale — Loi restreignant les augmentations salariales dans le secteur public — Réduction unilatérale par le Conseil du Trésor des augmentations salariales déjà convenues pour les membres de la GRC — Loi fédérale sur le contrôle des salaires édictée subséquemment, en réaction à une crise financière mondiale, donnant un effet législatif à la décision du Conseil du Trésor relative aux membres de la GRC — La loi viole-t-elle la liberté d’association garantie par la Constitution? — Dans l’affirmative, la violation est-elle justifiable? — Loi sur le contrôle des dépenses, L.C. 2009, c. 2, art. 393 Charte canadienne des droits et libertés, art. 1 , 2d) .

                    Le Conseil du Trésor établit la solde et les indemnités versées aux membres de la GRC.  Pour fixer leur solde, le Conseil du Trésor tient compte des recommandations élaborées par l’entremise du Conseil de la solde, un comité consultatif composé de représentants de la direction et des membres de la GRC.

                    Au mois de juin 2008, en réponse aux recommandations présentées initialement par le Conseil de la solde, le Conseil du Trésor a annoncé des hausses salariales de 3,32 %, 3,5 % et 2 % accordées aux membres de la GRC pour les années 2008 à 2010, ainsi que la majoration de certaines indemnités supplémentaires.  La réaction gouvernementale à une crise financière mondiale a amené le Conseil du Trésor à réviser sa décision concernant la solde des membres de la GRC pour les années 2008 à 2010.  En décembre 2008, le Conseil du Trésor a communiqué au commissaire de la GRC une décision révisée dans laquelle il accordait des augmentations salariales de 1,5 % pour chacune des années 2008, 2009 et 2010, en conformité avec les limites déjà annoncées pour l’ensemble du secteur public.  Des membres du Comité exécutif national du Programme des représentants des relations fonctionnelles (« PRRF ») de la GRC et le Conseil de la solde ont pris contact avec des représentants du Conseil du Trésor et des membres du Cabinet pour discuter de la réduction des salaires.  Toutes les modifications qu’ils ont proposées ont été rejetées.

                    Enfin, au mois de mars 2009, la Loi sur le contrôle des dépenses , L.C. 2009, c. 2, art. 393  (« LCD  »), a été adoptée, limitant à 1,5 % les augmentations salariales dans le secteur public pour les exercices 2008 à 2010.  La LCD  interdisait aussi toute autre augmentation de la rémunération, mais prévoyait une exception pour les membres de la GRC en permettant la négociation d’allocations additionnelles dans le cadre de toute initiative de transformation au sein de la GRC.

                    M et R, qui sont membres du Comité exécutif national du PRRF ont engagé une contestation constitutionnelle au nom de tous les membres de la GRC.  Ils ont plaidé que la décision de décembre 2008 du Conseil du Trésor et la LCD, en réduisant sans consultation préalable les augmentations salariales prévues pour les membres de la GRC, violent le droit constitutionnel de négocier collectivement garanti par l’al. 2 d )  de la Charte .  Ils n’ont toutefois pas contesté la constitutionnalité du processus des relations de travail de la GRC.

                    Une juge de la Cour fédérale a déclaré que la décision de décembre 2008 du Conseil du Trésor et les dispositions attaquées de la LCD  violaient l’al. 2 d )  de la Charte .  Elle a conclu que le Conseil de la solde était le seul mécanisme formel qui permettait aux membres de la GRC de poursuivre collectivement des objectifs liés à la rémunération avec le Conseil du Trésor, et que la décision du Conseil du Trésor et la LCD adoptée par la suite ont rendu de fait impossible pour le Conseil de la solde de présenter des observations au nom des membres de la GRC et de les voir prises en compte de bonne foi.  Elle a statué qu’aucune de ces violations n’était justifiée au regard de l’article premier de la Charte .  La Cour d’appel fédérale a exprimé son désaccord.  Après avoir conclu que la LCD  donnait un effet législatif à la décision de décembre 2008 du Conseil du Trésor et que la véritable question en litige avait trait à la constitutionnalité de cette loi, la Cour d’appel fédérale a décidé que la LCD  ne portait pas atteinte à la liberté d’association des membres de la GRC et elle a accueilli l’appel.

                    Arrêt (la juge Abella est dissidente) : Le pourvoi est rejeté.  La LCD  ne viole pas l’al. 2 d )  de la Charte .  La réduction sans consultation préalable des augmentations salariales prévues pour les membres de la GRC ne porte pas atteinte à leur droit constitutionnel de négocier collectivement.

                    La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Cromwell, Karakatsanis et Wagner : Pour les motifs exposés dans l’arrêt connexe Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3 (« APMO »), l’al. 2 d )  de la Charte  protège la liberté des membres de la GRC de s’associer et de poursuivre leurs objectifs liés au travail au moyen de la négociation collective.  En l’absence d’un processus véritable de négociation collective, les membres de la GRC se sont servis du Conseil de la solde en vue d’élaborer des recommandations au sujet de leur solde et d’atteindre leurs objectifs liés à la rémunération.  La Charte protège cette activité associative, même si le processus du Conseil de la solde fait partie du régime qui, dans APMO, a été jugé inadéquat du point de vue constitutionnel.  Malgré les vices qui l’affectent, le processus du Conseil de la solde constitue tout de même une activité associative qui bénéficie de la protection de la Charte .

                    Une entrave à un processus de relations de travail inadéquat au plan constitutionnel peut être l’objet d’un examen constitutionnel à l’égard des exigences de l’al. 2d).  En l’espèce toutefois, la LCD  n’a pas entravé de façon substantielle le processus de sorte qu’elle a porté atteinte à la liberté d’association des membres de la GRC.  Les restrictions imposées par la LCD  s’appliquaient à l’ensemble des fonctionnaires; elles correspondaient au taux courant établi dans des ententes conclues avec d’autres groupes dans l’administration publique centrale et n’interdisaient pas la consultation sur d’autres questions salariales, que ce soit pour le passé ou pour l’avenir.  Qui plus est, la LCD  n’empêchait pas la poursuite du processus de consultation.  Une exception prévue dans la LCD  à l’égard des membres de la GRC leur a permis d’obtenir d’importants avantages à la suite de propositions ultérieures présentées dans le cadre du processus du Conseil de la solde.  Les résultats concrets ne sont pas déterminants dans une analyse relative à l’al. 2d), mais ceux qui ont été mis en preuve en l’espèce étayent une conclusion selon laquelle l’adoption de la LCD a eu des répercussions mineures sur les activités associatives des membres de la GRC.

                    Bref, le Conseil de la solde a continué d’offrir aux membres de la GRC un processus de consultation sur les questions de rémunération en dépit du régime de relations de travail constitutionnellement défectueux alors en place.  On ne saurait alors affirmer que la LCD et la conduite du gouvernement ont entravé de façon substantielle, pour les membres de la GRC, la poursuite collective de leurs objectifs liés au travail.  Il n’est donc pas nécessaire de faire des commentaires sur l’application de l’article premier de la Charte .

                    Le juge Rothstein : Les juges majoritaires ont raison d’affirmer qu’il n’y a pas eu violation de l’al. 2d) en l’espèce.  Cependant, dans l’arrêt APMO, les juges majoritaires n’ont tiré aucune conclusion au sujet du processus du Conseil de la solde, et la validité constitutionnelle de ce processus n’a pas été contestée en l’espèce.  Pour le besoin du présent pourvoi, il faut en conséquence présumer qu’il est conforme à la Charte .

                    La décision du mois de décembre 2008 réduisant les hausses salariales déjà consenties aux membres de la GRC constituait une mesure provisoire visant à éviter que les hausses salariales prévues à l’égard de la GRC prennent effet avant l’édiction de la loi de contrôle des dépenses.  Cette décision a subséquemment été écartée par l’édiction de la LCD .  C’est donc la validité de la LCD  qui est en cause dans le présent pourvoi et le cadre approprié pour en analyser la validité consiste à déterminer si la loi a effectivement rendu impossible pour les membres de la GRC une négociation collective véritable au moyen du processus du Conseil de la solde.

                    Les faits sont survenus au milieu de la crise financière qui a secoué le monde en 2008.  Sans être déterminant, ce contexte est utile pour juger si les consultations que le gouvernement a menées avec le Conseil de la solde ont été suffisantes.  Ce contexte n’excuse pas le défaut du gouvernement de procéder à des consultations avant la décision du mois de décembre 2008, mais il nous aide à comprendre de quelle manière s’est déroulé le processus ayant conduit à l’adoption de la LCD .

                    L’analyse contextuelle en l’espèce requiert l’examen des conséquences de la LCD  sur la possibilité pour le Conseil de la solde de procéder à des échanges de bonne foi avec la direction de la GRC.  La LCD a effectivement restreint pour une période de trois ans les hausses salariales des membres de la GRC.  Toutefois, elle n’a pas complètement exclu toute augmentation de la rémunération, et elle n’a pas rendu effectivement impossible toute négociation collective pour les membres de la GRC.  La LCD  empêchait les négociations sur la question salariale pour une période de temps limitée, mais d’autres aspects de la rémunération des membres de la GRC pouvaient donner lieu à une augmentation de leur rémunération.  Conformément à l’art. 62  de la LCD , les membres ont pu négocier une augmentation de leurs allocations.  Bien que l’al. 2 d )  de la Charte  ne garantisse pas l’issue de la négociation collective, le fait que ces allocations aient été approuvées durant une période de sévères restrictions budgétaires constitue un facteur contextuel important pour déterminer si la LCD a fait en sorte qu’il a été effectivement impossible pour les membres de la GRC de négocier collectivement.

                    Après la décision du mois de décembre 2008, les membres du Conseil de la solde et du PRRF ont eu plusieurs occasions de rencontrer des représentants du gouvernement et de discuter avec eux de la LCD  avant qu’elle soit édictée.  Ces rencontres ont constitué des consultations véritables menées de bonne foi qui ont remédié au défaut antérieur du gouvernement de consulter les membres de la GRC. Les représentants du gouvernement se sont montrés ouverts à négocier les questions de rémunération et à échanger avec les membres de la GRC.

                    La constitutionnalité de la LCD  dépend de la réponse à la question de savoir si ses dispositions rendent effectivement impossible la négociation collective entre le gouvernement et les membres de la GRC, et non de la façon dont la loi a été édictée.  La restriction des augmentations salariales par la LCD  ne constituait certainement pas le résultat souhaité par les membres de la GRC.  Mais dès lors que des consultations ont été menées de bonne foi, leur insatisfaction quant à l’issue de ces consultations n’a aucune incidence sur l’analyse constitutionnelle.  La LCD  n’a pas rendu effectivement impossible la tenue de négociations collectives véritables.

                    La juge Abella (dissidente) : La décision unilatérale du gouvernement fédéral de réduire, par application de la LCD , les augmentations salariales convenues avec la GRC était inconstitutionnelle.  Les augmentations elles-mêmes résultaient d’un vaste processus de consultation avec la GRC.  L’absence de toute occasion véritable pour la GRC de présenter des observations au sujet de la portée et des répercussions de la réduction a eu pour effet de réduire à néant le droit à un processus véritable de consultation.  C’est précisément une conduite de ce genre qui a amené notre Cour à conclure, dans Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, [2007] 2 R.C.S. 391, à l’existence d’une atteinte injustifiée à l’al. 2d).

                    Un employeur ne peut réduire unilatéralement les salaires des employés et doit leur donner une occasion de présenter des observations utiles.  La réduction unilatérale, sans consultation préalable, des augmentations salariales convenues pour la GRC constitue une entrave substantielle au processus de négociation.  Le fait que les réductions s’appliquaient pendant une période de trois ans et qu’elles n’interdisaient pas les discussions sur certains autres points n’a pas atténué la gravité de l’atteinte.

                    Cette atteinte ne résiste pas à l’analyse de la proportionnalité de l’article premier.  Les objectifs déclarés du gouvernement, en ce qui concerne la LCD , étaient de réduire la pression sur les salaires dans le secteur privé, de montrer la voie à suivre en faisant preuve de retenue dans l’utilisation des fonds publics et de gérer la charge salariale du secteur public de façon à assurer une stabilité financière.  Toutefois, même en pleine crise financière, il y a des limites aux restrictions que le gouvernement peut imposer aux salaires du secteur public qui font l’objet de conventions collectives.

                    Même si les réductions salariales peuvent en principe paraître rationnellement liées à la stabilité et à la responsabilité financières, le refus de prendre part à toute forme de consultation véritable n’y est pas lié.  Le Conseil du Trésor a directement consulté tous les 17 agents négociateurs de la fonction publique fédérale centrale avant l’adoption de la LCD .  Rien au dossier n’explique pourquoi la GRC uniquement n’a pas eu droit à des discussions relatives à l’opportunité de la réduction des augmentations salariales convenues et à la façon de l’appliquer, et rien n’explique comment le refus de prendre part à de telles discussions a pu aider le gouvernement à faire face à ses préoccupations d’ordre financier.

                    Toutefois, même s’il existe un lien rationnel, on ne saurait affirmer que la réduction unilatérale constituait une atteinte minimale.  Parce que des consultations véritables ont eu lieu avec presque tous les autres agents négociateurs de la fonction publique fédérale centrale, il est clair que le gouvernement disposait d’options moins attentatoires qu’une absence totale de négociations.  La violation de l’al. 2d) ne peut en conséquence être justifiée au regard de l’article premier.

Jurisprudence

Citée par la juge en chef McLachlin et le juge LeBel

                    Arrêts mentionnés : Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3.

Citée par le juge Rothstein

                    Arrêts mentionnés : Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3; Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391; Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3; Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, [2005] 1 R.C.S. 667; New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319.

Citée par la juge Abella (dissidente)

                    Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; Re British Columbia Railway Co. and General Truck Drivers and Helpers Union, Local No. 31, Board of Arbitration, Vancouver, June 1, 1976; Workplace Health, Safety and Compensation Commission (Re), [2005] N.B.L.E.B.D. No. 60 (QL); Re Canadian Union of Public Employees and Province of New Brunswick (1982), 49 R.N.-B. (2e) 31; Halifax (Regional Municipality) and I.A.F.F., Loc. 268 (Re) (1998), 71 L.A.C. (4th) 129; New Brunswick (Board of Management) (Re), [2004] N.B.L.E.B.D. No. 36 (QL); New Brunswick (Board of Management) (Re), [2004] N.B.L.E.B.D. No. 24 (QL); New Brunswick (Board of Management) (Re), [2011] N.B.L.E.B.D. No. 12 (QL); New Brunswick (Board of Management) and N.B.U.P.P.E. (2010), 184 C.L.R.B.R. (2d) 72; New Brunswick (Board of Management) c. N.B.U.P.P.E., 2006 CarswellNB 332 (WL Can.); Prince Edward Island (Department of Health & Wellness) c. P.E.I.U.P.S.E., 2010 CarswellPEI 78 (WL Can.); N.B.T.F. c. New Brunswick (Board of Management), 2004 CarswellNB 653 (WL Can.); RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés , art. 1 , 2 d ) .

Health and Social Services Delivery Improvement Act, S.B.C. 2002, c. 2, partie 2.

Loi d’exécution du budget de 2009 , L.C. 2009, c. 2, art. 393 .

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada , L.R.C. 1985, c. R-10, art. 22(1) .

Loi sur le contrôle des dépenses , L.C. 2009, c. 2, art. 393, art. 16 , 35 , 38 , 43 , 44  à 49 , 57 , 62 .

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, c. 22  [éd. par la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, c. 22, art. 2 ], art. 2(1) « fonctionnaire ».

Projet de loi C-10, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 janvier 2009 et mettant en œuvre des mesures fiscales connexes, 2e sess., 40e lég., art. 393, art. 62 (première lecture).

Doctrine et autres documents cités

Bureau international du Travail.  La négociation collective dans la fonction publique : un chemin à suivre,  Conférence internationale du Travail, 102e sess., Rapport III (Partie 1B),  Genève, Le Bureau, 2013.

Canada.  Ministre des Finances.  Protéger l’avenir du Canada : Énoncé économique et financier, le 27 novembre 2008,  Ottawa,  Ministère des Finances, 2008.

Corry, David J.  Collective Bargaining and Agreement, vol. 2, Collective Agreement Annotated,  Toronto, Canada Law Book, 1997 (loose-leaf updated March 2014, release 19).

Organisation internationale du Travail.  La liberté syndicale : Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d’administration du BIT, 5e éd. (rév.),  Genève, Bureau international du Travail, 2006.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Nadon, Dawson et Trudel), 2013 CAF 112, 444 N.R. 129, 360 D.L.R. (4th) 352, 280 C.R.R. (2d) 158, 2013 CLLC ¶220-034, [2013] F.C.J. No. 465 (QL), 2013 CarswellNat 1114 (WL Can.), qui a infirmé une décision de la juge Heneghan, 2011 CF 735, 392 F.T.R. 25, 240 C.R.R. (2d) 204, [2011] A.C.F. no 948 (QL), 2011 CarswellNat 4080 (WL Can.).  Pourvoi rejeté, la juge Abella est dissidente.

                    Christopher Rootham et Alison McEwen, pour les appelants.

                    Peter Southey, Donnaree Nygard et J. Sanderson Graham, pour l’intimé.

                    Robin K. Basu et Michael S. Dunn, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    Karen Horsman, Jonathan Penner et Keith Evans, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique.

                    Graeme G. Mitchell, c.r., pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

                    Roderick S. Wiltshire, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

                    Steven Barrett et Ethan Poskanzer, pour l’intervenant le Congrès du travail du Canada.

                    Fay Faraday, pour l’intervenant l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada.

                    Annick Desjardins, pour l’intervenant le Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 675.

                    Andrew Raven, Andrew Astritis et Morgan Rowe, pour l’intervenante l’Alliance de la Fonction publique du Canada.

                    Éric Lévesque, pour les intervenants la Confédération des syndicats nationaux et le Syndicat des agents correctionnels du Canada.

                    Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Cromwell, Karakatsanis et Wagner rendu par

                    La Juge en chef et le juge LeBel —

I.              Introduction

[1]                              Dans le présent pourvoi, notre Cour doit décider si la Loi sur le contrôle des dépenses , L.C. 2009, c. 2, art. 393  (« LCD  »), porte atteinte à la liberté d’association garantie à l’al. 2 d )  de la Charte canadienne des droits et libertés  et, dans l’affirmative, si cette atteinte est justifiée au sens de l’article premier. Les appelants sont des membres actifs de la Gendarmerie royale du Canada (« GRC ») élus à l’exécutif national du Programme des représentants des relations fonctionnelles (« PRRF »). Ils plaident que la LCD , en réduisant sans consultation préalable les augmentations salariales prévues pour les membres de la GRC, viole leur droit constitutionnel de négocier collectivement, que reconnaît l’arrêt Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391.

[2]                              La présente affaire a été entendue en même temps qu’un appel connexe dans lequel on conteste la constitutionnalité du régime de relations de travail de la GRC, qui interdit aux membres de cet organisme de négocier par l’entremise d’un syndicat indépendant ou d’une association d’employés : Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3 (« APMO »). Dans le pourvoi connexe, nous confirmons et expliquons la protection de la négociation collective par la liberté d’association garantie à l’al. 2 d )  de la Charte .

[3]                              Dans APMO, nous avons conclu que l’imposition du PRRF, conjuguée à l’interdiction faite aux membres de la GRC de négocier collectivement, viole l’al. 2d) et n’est pas justifiée au regard de l’article premier. Comme nous l’avons indiqué au par. 9 de nos motifs dans cette affaire, le PRRF est « au cœur » du régime de relations de travail actuellement en vigueur au sein de la GRC, même si s’ajoutent à lui deux autres organismes — le Conseil de la solde de la GRC et le Fonds de recours juridique des membres de la Gendarmerie, une société sans but lucratif financée par les cotisations de ses adhérents, qui offre aux membres de la GRC une aide juridique pour des questions liées à l’emploi. Comme nous l’expliquerons en détail ci-après, le processus du Conseil de la solde dépend de l’existence du PRRF et ne peut donc subsister (tout au moins dans sa forme actuelle) puisque, suivant la conclusion tirée dans APMO, dans le régime de relations de travail actuellement en vigueur à la GRC, le PRRF viole de façon inconstitutionnelle les droits que l’al. 2d) garantit aux membres de la GRC. Le processus du Conseil de la solde fait partie du régime qui, dans APMO, a été jugé inadéquat du point de vue constitutionnel.

[4]                              Cette situation crée des difficultés en l’espèce, car nous devons décider si l’al. 2d) peut s’appliquer en l’absence d’un processus de négociation collective adéquat sur le plan constitutionnel. En effet, les appelants ne contestent pas la constitutionnalité du processus du Conseil de la solde dans la présente instance; ils ne prennent pas position sur cette question, car celle-ci est soulevée dans APMO. À notre avis, malgré les vices qui l’affectent, le processus du Conseil de la solde constitue tout de même une activité associative qui bénéficie de la protection de la Charte . La question à trancher dans le présent pourvoi est donc de savoir si la LCD  représentait une entrave substantielle à cette activité malgré ses vices constitutionnels. Nous concluons que ce n’était pas le cas et nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.

II.           Contexte

A.           Le Conseil de la solde

[5]                              L’alinéa d) de la définition de « fonctionnaire » au par. 2(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (« LRTFP »), adoptée par la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, c. 22, art. 2 , exclut les membres de la GRC du régime de relations de travail que prévoit la LRTFP. Ceux-ci ne peuvent se syndiquer ni tenter de négocier collectivement. Le paragraphe 22(1)  de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada , L.R.C. 1985, c. R-10 , prévoit que le Conseil du Trésor établit la solde et les indemnités versées aux membres de la GRC. Le Conseil du Trésor est un comité du Cabinet fédéral et traite avec les syndicats et les représentants des employés du secteur public au moyen d’intermédiaires. Dans le cas des membres de la GRC, ces intermédiaires sont le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le « ministre ») et le commissaire de la GRC. Pour fixer la solde des membres, le Conseil du Trésor répond aux demandes du ministre, qui agit lui-même sur la base des recommandations du commissaire de la GRC. Ces recommandations sont élaborées par l’entremise d’un comité consultatif appelé le Conseil de la solde.

[6]                              Le Conseil de la solde forme un comité que le commissaire de la GRC a créé en 1996. Il ne possède aucun fondement législatif. Le Conseil de la solde est composé de cinq membres : deux représentants de l’organisation, deux représentants des membres de la GRC et un président neutre nommé par le commissaire. L’un des deux représentants des membres est le président du Comité de la solde et des avantages du PRRF, et l’autre est un conseiller externe en rémunération nommé par le commissaire sur le conseil du Comité exécutif national du PRRF. L’organisation et le fonctionnement du PRRF sont examinés plus en détail dans l’arrêt APMO, rendu simultanément.

B.            La LCD et ses répercussions sur les niveaux de rémunération de la GRC

[7]                              Le Conseil de la solde élabore ses recommandations au sujet de la solde et des avantages sociaux des membres de la GRC en fonction d’un groupe de comparaison référentiel de huit corps policiers canadiens. Il a pour objectif de recommander une rémunération qui situe la GRC près de la moyenne des trois corps policiers les mieux rémunérés dans le groupe de comparaison. Les augmentations de salaire prévues qui sont en cause en l’espèce ont fait pour la première fois l’objet de discussions en 2007 et s’appliquaient aux années 2008, 2009 et 2010. Les recommandations du Conseil de la solde relatives à ces années ont été transmises au commissaire et, par la suite, au ministre ainsi qu’au Conseil du Trésor. Le 26 juin 2008, le Conseil du Trésor a annoncé des hausses salariales de 3,32 %, 3,5 % et 2 % pour les années 2008 à 2010. Certaines indemnités supplémentaires ont également été majorées : la solde de service (une somme forfaitaire annuelle calculée en fonction du nombre d’années de service) a été doublée et l’indemnité aux moniteurs de formation pratique a été augmentée. Ces niveaux de solde auraient placé la rémunération totale des membres de la GRC dans la fourchette cible du Conseil de la solde, soit la rémunération moyenne des trois corps policiers canadiens les mieux rémunérés dans le groupe de comparaison.

[8]                              Selon l’intimé, l’évolution de la situation économique a amené le gouvernement à revoir ces augmentations. L’effondrement du marché américain de l’habitation à l’été 2007 a provoqué une crise financière mondiale qui a atteint son paroxysme à l’automne 2008. Comme on le sait, cette crise a entraîné la faillite de la banque d’investissement américaine Lehman Brothers et le quasi-effondrement d’autres institutions financières importantes. Les prévisions de la croissance du produit intérieur brut ont chuté de façon spectaculaire et le taux de chômage a grimpé en flèche au Canada en novembre 2008.

[9]                              Le 27 novembre 2008, le ministre des Finances, l’honorable James M. Flaherty, a présenté un énoncé économique et financier (Protéger l’avenir du Canada : Énoncé économique et financier, le 27 novembre 2008 (2008) (« Énoncé »)) dans lequel il prévoyait des déficits budgétaires pour les exercices financiers 2009-2010, 2010-2011 et 2011-2012, et proposait d’importantes mesures économiques visant à stabiliser le système financier et à améliorer l’accès au crédit pour les entreprises canadiennes touchées par la crise du crédit mondiale. À la même époque, le gouvernement procédait à un examen des dépenses de l’État, notamment de la rémunération dans le secteur public. En conséquence, le Secrétariat du Conseil du Trésor a recommandé de limiter les dépenses salariales. Là où des négociations collectives étaient en cours, le Secrétariat du Conseil du Trésor donnait mandat à ses agents de négocier les augmentations de salaire dans le cadre de certaines limites. Dans son Énoncé, le gouvernement annonçait son intention de déposer un projet de loi sur le contrôle des salaires — pour limiter ou réduire les augmentations salariales dans le secteur public à 2,3 % pour 2007-2008 et à 1,5 % pour les années 2008 à 2010 (p. 10).

[10]                          Le 4 décembre 2008, la gouverneure générale a prorogé le Parlement. Le projet de loi sur le contrôle des salaires qui avait été annoncé — la LCD  — n’a donc pu être déposé avant le début de 2009. Cependant, le 11 décembre 2008, le Conseil du Trésor a révisé sa décision concernant la solde des membres de la GRC pour les exercices 2008 à 2010. Il a communiqué au commissaire de la GRC une décision révisée dans laquelle il accordait des augmentations salariales de 1,5 % pour chacune des années 2008, 2009 et 2010, en conformité avec les limites déjà annoncées pour le secteur public.

[11]                          Des membres du Comité exécutif national du PRRF et le Conseil de la solde ont pris contact avec des représentants du Conseil du Trésor et des membres du Cabinet pour discuter de la réduction des salaires. Les appelants ont rencontré le ministre de la Sécurité publique, l’honorable Peter Van Loan, le 27 janvier et le 2 février 2009, ainsi que le président du Conseil du Trésor, l’honorable Vic Toews, le 5 février 2009. Le 11 février 2009, le Conseil de la solde a présenté au président du Conseil du Trésor un ensemble de recommandations portant sur la réduction annoncée, mais celles-ci ont été rejetées en raison de leur incompatibilité avec la LCD .

[12]                          La LCD a été édictée par l’art. 393  de la Loi d’exécution du budget de 2009 , L.C. 2009, c. 2 , qui a été déposée à la Chambre des communes le 6 février 2009 et a reçu la sanction royale le 12 mars 2009. L’article 16  de la LCD  imposait les limites suivantes aux augmentations de salaire dans le secteur public :

                          16. Malgré toute convention collective, décision arbitrale ou condition d’emploi à l’effet contraire, mais sous réserve des autres dispositions de la présente loi, les taux de salaire des employés sont augmentés, ou sont réputés l’avoir été, selon le cas, selon les taux figurant ci-après à l’égard de toute période de douze mois commençant au cours d’un des exercices suivants :

                        a) l’exercice 2006-2007, un taux de deux et demi pour cent;

                        b) l’exercice 2007-2008, un taux de deux et trois dixièmes pour cent;

                        c) l’exercice 2008-2009, un taux de un et demi pour cent;

                        d) l’exercice 2009-2010, un taux de un et demi pour cent;

                        e) l’exercice 2010-2011, un taux de un et demi pour cent.

[13]                          La LCD  interdisait toute autre augmentation de la rémunération. Toute condition d’emploi prévoyant une telle augmentation, au cours de la période allant du 8 décembre 2008 au 31 mars 2011, était rendue inopérante aux termes des art. 44 à 49. Toutefois, la LCD  prévoyait une exception pour les membres de la GRC :

                          62. Malgré les articles 44 à 49, le Conseil du Trésor peut créer une nouvelle allocation applicable aux membres de la Gendarmerie royale du Canada ou modifier le montant ou le taux d’une allocation qu’ils reçoivent s’il estime qu’une telle mesure est indispensable à la mise en œuvre de toute initiative de transformation relative à cet organisme.

[14]                          Conformément à l’art. 62, le Conseil du Trésor a approuvé le 9 juin 2009 des augmentations de la rémunération des membres de la GRC. Lors de la mise en œuvre d’une nouvelle politique, la rémunération des membres qui doivent demeurer disponibles en dehors de leurs heures de travail a été augmentée. La solde de service a elle aussi été augmentée, passant de 1 à 1,5 % pour chaque période de cinq ans de service et pouvait, pour la première fois, être versée à certains membres civils. L’augmentation de la solde de service avait initialement été proposée par le Conseil de la solde, dans les recommandations du 11 février 2009 au Conseil du Trésor.

III.        Historique judiciaire

A.           Cour fédérale, 2011 CF 735

[15]                          La juge Heneghan a accueilli la demande de contrôle judiciaire de la décision prise le 11 décembre 2008 par le Conseil du Trésor. Elle a également déclaré que la décision ainsi que les art. 16 , 35 , 38 , 43 , 46  et 49  de la LCD  violaient l’al. 2 d )  de la Charte , et qu’aucune de ces violations n’était justifiée au regard de l’article premier.

[16]                          La juge Heneghan a conclu que le Conseil de la solde était « le seul mécanisme formel qui permet[tait] aux membres de la GRC de poursuivre collectivement des objectifs liés à la rémunération avec leur employeur, [. . .] le Conseil du Trésor » (par. 72 (CanLII)). Elle a estimé que la décision de 2008 du Conseil du Trésor et la LCD adoptée par la suite ont rendu de fait impossible pour le Conseil de la solde de présenter des observations au nom des membres de la GRC et de les voir prises en compte de bonne foi. L’annulation unilatérale de l’entente antérieure sur la solde et les avantages sociaux constituait, selon elle, une entrave substantielle aux droits que protège l’al. 2 d )  de la Charte . Comme l’annulation des augmentations de la solde prévues aurait des effets durables sur les prestations de pension et les futures hausses salariales, la juge de première instance a statué que les répercussions de la LCD  étaient permanentes.

[17]                          Dans son analyse relative à l’article premier de la Charte , la juge de première instance a conclu que certains objectifs déclarés de la décision du Conseil du Trésor — par exemple, montrer la voie à suivre, faire preuve de retenue et démontrer du respect à l’égard des fonds publics en période de crise financière — constituaient des objectifs de nature politique et n’étaient pas urgents et réels. Elle a ajouté que le procureur général du Canada n’avait pas présenté d’éléments de preuve établissant de façon convaincante l’existence d’un lien rationnel entre la réduction des augmentations de la solde des membres de la GRC et les objectifs déclarés de réduire la pression à la hausse sur les salaires dans le secteur privé dans une période de bouleversements économiques, de montrer la voie à suivre et de faire preuve de retenue dans l’emploi des fonds publics. Sur la question de l’atteinte minimale, la juge a statué que l’atteinte qu’il fallait examiner ne portait pas sur les répercussions financières sur les membres de la GRC, mais plutôt sur la violation du droit garanti à l’al. 2 d )  de la Charte , plus particulièrement à l’égard du processus du Conseil de la solde. Elle a fait remarquer que le Conseil du Trésor avait pris le temps de consulter 17 agents négociateurs et que, de concert avec des organismes distincts du gouvernement, il avait signé plus de 40 ententes avec les agents négociateurs de l’intérieur et de l’extérieur de l’administration publique centrale. La juge de première instance a alors conclu que la mesure unilatérale prise par le Conseil du Trésor et son indifférence à l’égard du processus du Conseil de la solde ne constituaient pas une atteinte minimale. Enfin, elle a statué que le seul avantage justifié — permettre au Conseil du Trésor d’épargner une somme d’argent non dévoilée — ne l’emportait pas sur les effets préjudiciables de la LCD .

B.            Cour d’appel fédérale, 2013 CAF 112

[18]                          La Cour d’appel fédérale (la juge Dawson, avec l’accord des juges Nadon et Trudel) a estimé que la juge de première instance avait commis une erreur de droit en considérant que la décision du Conseil du Trésor et la LCD constituaient ensemble une seule restriction à la liberté d’association, et en n’effectuant pas une analyse constitutionnelle distincte de chacune d’elles. Après avoir conclu que la LCD  donnait un effet législatif à la décision de décembre 2008 du Conseil du Trésor, la Cour d’appel fédérale a effectué sa propre analyse de la constitutionnalité des dispositions contestées de la LCD . Elle a décidé que la LCD  ne portait pas atteinte au droit d’association des appelants et elle a accueilli l’appel.

[19]                          La Cour d’appel fédérale a relevé deux facteurs contextuels pertinents pour son analyse de la constitutionnalité de la LCD  : (i) la nature de l’activité associative dont bénéficient les membres de la GRC, notamment le fait que le Conseil du Trésor peut agir unilatéralement et n’est pas tenu de consulter le Conseil de la solde ou les représentants des relations fonctionnelles, ni de négocier avec eux, sur la question de la solde et des avantages sociaux; (ii) l’objet de la LCD et ses effets sur les membres de la GRC.

[20]                          Selon la Cour d’appel, la LCD  n’avait pas entravé de façon substantielle le processus par lequel les membres de la GRC poursuivaient leur activité associative, car elle n’avait pas éliminé la possibilité pour eux d’agir collectivement pour réaliser des objectifs liés au travail. La LCD  avait plutôt simplement modifié des conditions d’emploi que le Conseil du Trésor était autorisé à établir en vertu de la loi. D’après la Cour d’appel, la LCD  n’avait pas entravé sérieusement le processus existant par lequel l’activité associative était poursuivie, parce qu’il s’agit d’un processus dans lequel les membres ne négocient pas directement avec leur employeur et où celui-ci est autorisé, en tant que décideur ultime, à établir les conditions d’emploi sans consultation ni négociation. En outre, le Conseil de la solde a continué d’exercer une influence significative sur certaines conditions de travail, autres que la solde et les avantages sociaux, ce qui démontre que le processus d’association a continué de fonctionner malgré l’adoption de la LCD . Par conséquent, la Cour d’appel a estimé que la LCD  n’avait pas rendu la liberté d’association inutile.

[21]                          À propos de l’objet de la LCD , la Cour d’appel fédérale a conclu à sa validité, comme il faisait partie d’une série de mesures destinées à stabiliser l’économie en période de crise financière. En outre, elle a statué que les mesures contenues dans la LCD  n’avaient pas empêché ou rendu de fait impossible l’exercice futur de la liberté d’association des membres de la GRC.

IV.        Questions en litige

[22]                          Le 4 novembre 2013, la Juge en chef a formulé les questions constitutionnelles suivantes :

1.  Les articles 16, 35, 38, 43, 46 et 49 de la Loi sur le contrôle des dépenses , L.C. 2009, c. 2, art. 393 , violent-ils l’al. 2 d )  de la Charte canadienne des droits et libertés ?

2.  Dans l’affirmative, s’agit-il d’une violation constituant une limite raisonnable, établie par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique conformément à l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés ?

[23]                          Les parties ont également soulevé des questions portant sur la constitutionnalité de la décision prise par le Conseil du Trésor le 11 décembre 2008, et sur la réparation appropriée. Ces questions sont maintenant théoriques puisque nous avons statué en l’espèce que les dispositions attaquées de la LCD  sont constitutionnellement valides, et du fait de notre décision, dans APMO, suivant laquelle le PRRF viole l’al. 2d) et que cette violation ne peut être validée par application de l’article premier de la Charte .

V.           Analyse

A.           Fondements théoriques de l’al. 2d)

[24]                          Pour les motifs exposés dans l’arrêt connexe APMO, l’al. 2 d )  de la Charte  protège la liberté des travailleurs de s’associer et de poursuivre leurs objectifs liés au travail au moyen de la négociation collective. Dans les instances relatives à l’al. 2d), les tribunaux doivent déterminer si les mesures prises par l’État ont entravé de façon substantielle la poursuite collective par les employés d’objectifs liés au travail. Le critère applicable pour trancher cette question est énoncé dans l’arrêt Health Services.

[25]                          L’alinéa 2d) garantit le droit à un processus véritable de relations de travail, sans pour autant donner la certitude d’un résultat en particulier. Cette disposition protège le droit des employés de s’associer de façon utile dans la poursuite d’objectifs collectifs relatifs au travail. Dans APMO, nous avons conclu que l’imposition du PRRF, conjuguée à l’interdiction pour les membres de la GRC de négocier collectivement, portait atteinte à ce droit. En même temps, le dossier en l’espèce établit que, en l’absence d’un processus véritable de négociation collective, les membres de la GRC se sont servis du Conseil de la solde en vue d’atteindre leurs objectifs liés à la rémunération. À notre avis, la Charte  protège cette activité associative, même si le processus ne respecte pas l’ensemble des exigences de la Charte . Un processus complet de négociation collective ou une absence totale de protection constitutionnelle ne constituent pas des solutions de rechange légales possibles. Mais une entrave à un processus inadéquat au plan constitutionnel peut être l’objet d’un examen constitutionnel à l’égard des exigences de l’al. 2d). Par conséquent, nous devons déterminer si la LCD a entravé de façon substantielle le processus du Conseil de la solde existant, de sorte qu’elle a porté atteinte à la liberté d’association des appelants.

B.            La LCD  viole-t-elle l’al. 2d)?

[26]                          Pour les membres de la GRC qui sont touchés, la LCD a entraîné une réduction des augmentations salariales recommandées par le Conseil de la solde et acceptées par le Conseil du Trésor. Les augmentations qui devaient se situer entre 2 % et 3,5 % ont été réduites à 1,5 % pour chacune des années 2008, 2009 et 2010. On prévoyait aussi initialement le doublement de la solde de service et une augmentation de l’indemnité versée aux moniteurs de formation pratique. La LCD a également supprimé ces deux avantages, sous réserve de négociations ultérieures sous le régime de l’art. 62 de cette loi.

[27]                          Le procureur général du Canada reconnaît l’importance des salaires, mais fait remarquer que les restrictions imposées par la LCD  s’appliquaient pour une durée limitée à l’ensemble des fonctionnaires et n’excluaient pas cette question définitivement du processus de la négociation collective. Par conséquent, il laisse entendre que les restrictions salariales n’ont pas une importance telle qu’il en résulte une violation de l’al. 2d). Pour les motifs qui suivent, nous concluons qu’il n’y a pas eu violation de l’al. 2d).

[28]                          Il ne faut pas considérer que les faits de l’affaire Health Services constituent un seuil minimal pour causer une violation de l’al. 2d). Néanmoins, la comparaison entre la loi contestée dans cette affaire et la LCD  est instructive. La partie 2 de la Health and Social Services Delivery Improvement Act, S.B.C. 2002, c. 2, modifiait radicalement des conditions importantes de conventions collectives en vigueur. En revanche, le niveau des augmentations salariales des membres de la GRC prévu dans la LCD  correspondait au taux courant établi dans des ententes conclues avec d’autres agents négociateurs de l’intérieur et de l’extérieur de l’administration publique centrale et reflétait donc un résultat conforme aux processus réels de négociation. Le processus d’imposition des restrictions salariales ne faisait donc pas abstraction de la procédure suivie antérieurement. Et la LCD n’interdisait pas la consultation sur d’autres questions salariales, que ce soit pour le passé ou pour l’avenir.

[29]                          Qui plus est, la LCD  n’empêchait pas la poursuite du processus de consultation. Fait plus important encore dans le cas des membres de la GRC, l’art. 62 permettait la négociation d’allocations additionnelles dans le cadre de toute « initiative de transformation » au sein de la GRC. Il ressort du dossier que les membres de la GRC ont pu obtenir d’importants avantages à la suite de propositions ultérieures présentées dans le cadre du processus du Conseil de la solde. La solde de service a été augmentée de 1 à 1,5 % pour chaque période de cinq ans de service — ce qui représentait une augmentation de 50 % — et pouvait pour la première fois être versée à certains membres civils. On a également approuvé une nouvelle politique plus généreuse relative à l’indemnité de disponibilité. Les résultats concrets ne sont pas déterminants dans une analyse relative à l’al. 2d), mais ceux qui ont été mis en preuve en l’espèce étayent une conclusion selon laquelle l’adoption de la LCD a eu des répercussions mineures sur les activités associatives des appelants.

[30]                          Bref, le Conseil de la solde a continué d’offrir aux membres de la GRC un processus de consultation sur les questions de rémunération en dépit du cadre de relations de travail constitutionnellement inadéquat alors en place. On ne saurait alors affirmer que la LCD et la conduite du gouvernement ont entravé de façon substantielle, pour les membres de la GRC, la poursuite collective de leurs objectifs liés au travail. Cela dit, il ne faut pas considérer que nos conclusions relatives à l’incidence de la LCD  sur le processus du Conseil de la solde confirment la validité constitutionnelle de ce processus ou de régimes semblables.

VI.        Justification

[31]                          Compte tenu de notre conclusion sur la question relative à l’al. 2d), il n’est pas nécessaire de déterminer si une violation en l’espèce constitue une limite raisonnable qui est justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique. Nous n’émettons aucun commentaire sur l’application de l’article premier de la Charte .

VII.     Conclusion

[32]                          Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi, avec dépens à l’intimé devant toutes les cours, et de répondre ainsi aux questions constitutionnelles :

1.      Les articles 16 , 35 , 38 , 43 , 46  et 49  de la Loi sur le contrôle des dépenses , L.C. 2009, c. 2, art. 393 , violent-ils l’al. 2 d )  de la Charte canadienne des droits et libertés ?

                   Non.

2.      Dans l’affirmative, s’agit-il d’une violation constituant une limite raisonnable, établie par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique conformément à l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés ?

                   Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question.

                    Version française des motifs rendus par

                    Le juge Rothstein —

I.             Introduction

[33]                          Je souscris au dispositif des juges majoritaires en l’espèce. Toutefois, comme ils appliquent le cadre analytique proposé par la majorité dans l’affaire connexe Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3 (« APMO »), dans laquelle je suis dissident, je formule des motifs distincts. Le cadre approprié pour analyser cette affaire consiste à déterminer si la Loi sur le contrôle des dépenses , L.C. 2009, c. 2, art. 393  (la « LCD  »), a effectivement rendu impossible pour les membres de la GRC une négociation collective véritable au moyen du processus du Conseil de la solde. Comme une négociation collective véritable a eu lieu et que la LCD  n’a pas empêché les négociations pour l’avenir, il n’y a pas eu violation de l’al. 2 d )  de la Charte canadienne des droits et libertés .

II.           Faits et historique judiciaire

[34]                          Je fais mien le résumé des faits et de l’historique judiciaire des juges majoritaires. Toute divergence ou tout ajout se retrouve dans l’analyse qui suit.

III.        Analyse

A.           Le critère de l’impossibilité effective

[35]                          Dans l’arrêt Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391, notre Cour a jugé que l’al. 2d) comporte un droit de négocier collectivement qui « implique que l’employeur et les employés se rencontrent et négocient de bonne foi en vue de réaliser leur objectif commun d’accommodement par des moyens pacifiques et productifs » (par. 90). La Cour à la majorité a confirmé cette conclusion dans Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3, et y a énoncé comme suit le critère applicable pour décider s’il y a violation de l’al. 2 d )  de la Charte  en contexte de relations de travail : « . . . si la loi ou la mesure gouvernementale contestée rend impossible l’action collective visant la réalisation d’objectifs liés au travail » (par. 46). Le droit à la négociation collective est protégé, mais uniquement « dans le sens d’un droit minimal strict à des échanges de bonne foi » (Fraser, par. 90). Les tribunaux concluront à l’existence d’une violation de l’al. 2d) lorsque les employés ou leurs représentants peuvent démontrer que la mesure gouvernementale ou législative les empêche effectivement de formuler des revendications collectives et de les voir prises en considération de bonne foi par la direction (Fraser, par. 98).

B.            La question pertinente est celle de la validité de la LCD 

[36]                          Les parties au présent pourvoi ne s’entendent pas sur la période qui doit être prise en compte pour déterminer s’il y a eu violation de l’al. 2d) en l’espèce. Elles ont axé le débat sur le moment et l’étendue des consultations qu’ont tenues le Conseil du Trésor et le Conseil de la solde de la GRC, un organisme chargé de résoudre les questions de rémunération et d’avantages sociaux dans un esprit de collaboration et de consultation. Le procureur général du Canada soutient que la question ultime porte sur la validité de la LCD , et que les consultations tenues avant l’adoption de cette loi sont pertinentes. Les appelants soutiennent par contre que la période cruciale pour déterminer si les droits que leur garantit l’al. 2 d )  de la Charte  ont été violés est celle qui a précédé le 11 décembre 2008, date de la décision du Conseil du Trésor modifiant les augmentations salariales convenues auparavant en faveur des membres de la GRC (la « décision du 11 décembre »). Plus précisément, ils affirment que des consultations véritables auraient dû avoir lieu entre le 17 novembre 2008 — date à laquelle des représentants du Secrétariat du Conseil du Trésor ont rencontré le commissaire de la GRC au sujet des limites imposées aux hausses salariales et l’ont exhorté à rencontrer le Conseil de la solde — et la décision du 11 décembre. Les appelants prétendent que la LCD , qui a été déposée à la Chambre des communes le 6 février 2009 et qui a reçu la sanction royale le 12 mars 2009, ne faisait que confirmer par la loi la décision du 11 décembre.

[37]                          L’argument des appelants ne résiste toutefois pas à l’examen. La décision du 11 décembre constituait une mesure provisoire. Compte tenu de la prorogation du Parlement ordonnée par la gouverneure générale le 4 décembre 2008, cette mesure visait à éviter que les hausses salariales consenties plus tôt à la GRC prennent effet en janvier 2009 puis soient réduites quelques mois plus tard lors de l’entrée en vigueur de la LCD . Même si la décision du 11 décembre a été prise à la suite de consultations adéquates, elle a été écartée par l’édiction de la LCD . C’est donc la validité de la LCD  qui est en cause dans le présent pourvoi, et les consultations tenues avant l’édiction de cette loi sont pertinentes dans l’analyse relative à l’al. 2d).

C.            La LCD  ne contrevient pas à l’al. 2d)  de la Charte 

(1)         Le processus du Conseil de la solde doit être présumé conforme à la Constitution

[38]                          Dans l’arrêt APMO, la Cour à la majorité a conclu que le Programme des représentants des relations fonctionnelles (le « PRRF ») ne satisfaisait pas aux exigences de l’al. 2 d )  de la Charte . Elle n’a toutefois tiré aucune conclusion au sujet du processus du Conseil de la solde, et les appelants n’ont pas contesté la validité constitutionnelle de ce processus en l’espèce. En toute déférence, je ne puis souscrire à la conclusion de la majorité suivant laquelle le processus du Conseil de la solde « ne respecte pas l’ensemble des exigences de la Charte  » (par. 25) alors que les questions constitutionnelles énoncées par la Juge en chef en l’espèce ne traitent aucunement de cette question. Pour les besoins de l’analyse, il faut considérer que, puisque le processus du Conseil de la solde lui-même n’est pas contesté, il doit être présumé conforme à la Constitution. En tout état de cause, aucune raison ne porte à croire, eu égard à la preuve présentée, que le processus du Conseil de la solde rend effectivement impossible pour les membres de la GRC une négociation collective véritable.

(2)         Consultations suffisantes après le 11 décembre 2008

[39]                          Le procureur général du Canada concède que le Conseil de la solde n’a pas été consulté avant la décision du 11 décembre qui a limité les augmentations salariales des membres de la GRC. À l’audience, l’avocat de MM. Meredith et Roach a reconnu que le gouvernement peut corriger toute lacune survenant dans le processus de consultation, et ce, tant que la loi n’a pas reçu la sanction royale. Il s’agit donc de déterminer si le gouvernement a par la suite remédié à son défaut de mener des consultations avant la décision du 11 décembre en procédant à des consultations véritables et de bonne foi avec les membres du Conseil de la solde entre cette date et l’adoption de la LCD le 12 mars 2009.

[40]                          Pour décider si les consultations tenues après le 11 décembre 2008 satisfont aux exigences du droit dérivé à la négociation collective découlant de l’al. 2 d )  de la Charte , la Cour doit procéder à une analyse large et contextuelle, comme le préconise l’arrêt Health Services (par. 92). Les faits sont survenus au milieu de la crise financière qui a secoué le monde en 2008. Sans être déterminant, ce contexte est utile pour juger si les consultations que le gouvernement a menées avec le Conseil de la solde ont été suffisantes. Le contexte de la crise financière n’excuse pas le défaut du gouvernement de procéder à des consultations avant la décision du 11 décembre, mais l’existence de cette situation d’urgence nous aide à comprendre les circonstances dans lesquelles s’est déroulé le processus ayant conduit à l’adoption de la LCD .

[41]                          Dans le cas qui nous occupe, l’analyse contextuelle requiert l’examen des conséquences de la LCD  sur la possibilité pour le Conseil de la solde de procéder à des échanges de bonne foi avec la direction de la GRC. La LCD a effectivement limité pour une période de trois ans, jusqu’en 2011, les hausses salariales des membres de la GRC. Toutefois, elle n’a pas complètement exclu toute augmentation de la rémunération, et elle n’a pas rendu effectivement impossible toute négociation collective pour les membres de la GRC.

[42]                          Le gel des hausses salariales empêchait les négociations sur cette question pour une période de temps limitée, mais d’autres aspects de la rémunération des membres de la GRC pouvaient donner lieu à une augmentation de leur rémunération (voir la LCD , art. 62 ). Les membres ont effectivement profité de ces possibilités pour négocier par la suite une augmentation des allocations auxquelles ils ont droit. Bien que l’al. 2d) ne garantisse pas l’issue de la négociation collective, le fait que ces allocations aient été approuvées durant une période de sévères restrictions budgétaires constitue un facteur contextuel important pour déterminer si la LCD a fait en sorte qu’il a été effectivement impossible pour les membres de la GRC de négocier collectivement.

[43]                          Après la décision du 11 décembre, MM. Meredith et Roach, ainsi que d’autres personnes associées au PRRF et au Conseil de la solde, ont eu plusieurs occasions de parler à des représentants de haut rang du gouvernement au sujet de la LCD  avant le dépôt de celle-ci. Le 27 janvier et le 2 février 2009, ils ont rencontré l’honorable Peter Van Loan, alors ministre de la Sécurité publique, pour discuter de solutions de rechange aux limites imposées aux hausses salariales. Le 5 février 2009, ils ont rencontré l’honorable Vic Toews, alors président du Conseil du Trésor. Ce dernier n’était pas disposé à discuter de changements aux limites des augmentations de salaire prescrites par la LCD  étant donné que ces limites s’appliquaient à l’ensemble de la fonction publique. Il a toutefois indiqué qu’il était prêt à discuter de changements à d’autres aspects de la rémunération, mentionnant plus particulièrement les allocations. Lorsque la LCD a été déposée devant la Chambre des communes le 6 février 2009, une de ses dispositions concernait expressément la GRC :

                        62. Malgré les articles 44 à 49 [restrictions aux hausses salariales dans le secteur public], le Conseil du Trésor peut créer une nouvelle allocation applicable aux membres de la Gendarmerie royale du Canada ou modifier le montant ou le taux d’une allocation qu’ils reçoivent s’il estime qu’une telle mesure est indispensable à la mise en œuvre de toute initiative de transformation relative à cet organisme.

(Projet de loi C-10, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 janvier 2009 et mettant en œuvre des mesures fiscales connexes, 2e sess., 40e lég., art. 393 (première lecture))

MM. Meredith et Roach, ainsi que d’autres représentants des relations fonctionnelles, ont rencontré le commissaire de la GRC le 3 mars 2009 afin de discuter de rémunération. À l’occasion d’une autre rencontre tenue le lendemain, le commissaire a donné pour instruction au Conseil de la solde d’examiner des façons d’augmenter les allocations existantes pour appuyer, conformément à l’art. 62  de la LCD , la mise en œuvre d’initiatives de transformation relatives à la GRC.

[44]                          Ces rencontres ont constitué des consultations véritables et menées de bonne foi qui ont remédié au défaut antérieur du gouvernement de consulter les membres de la GRC. Les représentants du gouvernement se sont montrés ouverts à négocier les questions de rémunération et à échanger avec les représentants des membres de la GRC. Et, conformément à l’art. 62  de la LCD , les appelants ont pu obtenir une augmentation de 1 à 1,5 % de leur solde de service pour chaque période de cinq années de service (2011 CF 735, par. 47 (CanLII)).

[45]                          Notre Cour n’a jamais reconnu que les législateurs sont tenus de consulter des personnes ou groupes touchés avant d’adopter une mesure législative, même si celle-ci a des incidences sur des droits constitutionnels (voir Health Services, par. 157). Selon la doctrine du privilège parlementaire, les assemblées législatives sont maîtres de leur procédure interne et il n’appartient pas aux tribunaux de la leur dicter (voir Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, [2005] 1 R.C.S. 667; New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319). La constitutionnalité de la LCD  dépend de la réponse à la question de savoir si ses dispositions rendent effectivement impossible la négociation collective entre le gouvernement et les représentants des employés, et non de la façon dont la loi a été édictée.

[46]                          La LCD  n’a pas restreint la possibilité pour le Conseil de la solde de mener de futures négociations collectives. Il est vrai que l’art. 57 de la LCD a pour effet d’empêcher le Conseil de la solde de négocier un paiement forfaitaire rétroactif qui indemniserait les employés pour les écarts de salaire entre les augmentations salariales approuvées à l’origine en juin 2008 et les limites imposées durant la période de contrôle des dépenses. Cependant, le fait que rien dans la LCD  n’écarte le mécanisme par lequel le Conseil de la solde établit ses recommandations en matière de rémunération en fonction de la rémunération accordée à d’autres corps policiers tend à indiquer que la rémunération versée aux membres de la GRC continuera vraisemblablement de rester en phase avec celle des autres corps policiers.

[47]                          Comme l’expliquent les juges majoritaires dans l’arrêt APMO, le fait que l’association ne puisse pas ultimement réaliser certains objectifs ne signifie pas qu’il a été porté atteinte aux intérêts protégés par la négociation collective : l’al. 2d) « garantit [. . .] un processus plutôt qu’un résultat » (par. 67). Les limites imposées aux augmentations salariales par la LCD  ne constituaient certainement pas le résultat souhaité par les membres de la GRC et par leurs représentants. Mais dès lors que des consultations ont été menées de bonne foi, leur insatisfaction quant à l’issue de ces consultations n’a aucune incidence sur l’analyse constitutionnelle.

[48]                          En somme, la LCD  n’a pas rendu effectivement impossible toute négociation collective véritable pour les membres de la GRC. Au contraire, du fait de la participation de certains de ses membres importants à des rencontres et de l’insertion de l’art. 62 dans la LCD , le gouvernement a tenu des consultations véritables avec les représentants des membres de la GRC et il s’est montré ouvert à poursuivre le dialogue au sujet de la rémunération à l’avenir. Il n’y a pas eu violation de l’al. 2 d )  de la Charte .

IV.        Conclusion

[49]                          Le processus lui-même du Conseil de la solde n’a pas été contesté dans cet appel et il faut présumer qu’il est conforme à la Charte . À l’instar des juges majoritaires, j’estime qu’il n’y a pas eu violation de l’al. 2d) en l’espèce. La LCD  n’a pas rendu effectivement impossible la tenue de négociations collectives véritables. Des représentants des membres de la GRC ont été consultés avant que la LCD  ne reçoive la sanction royale, et l’art. 62  de la LCD  permettait explicitement des négociations pour l’avenir sur certaines questions touchant la rémunération. Je rejetterais le pourvoi avec dépens.

                    Version française des motifs rendus par

 

[50]                          La juge Abella (dissidente) — En toute déférence, je ne suis pas d’accord pour dire que la décision unilatérale du gouvernement fédéral de réduire, par application de la Loi sur le contrôle des dépenses , L.C. 2009, c. 2 , les augmentations salariales convenues avec la GRC est constitutionnelle. Ces augmentations résultaient d’un vaste processus de consultation entre la GRC et le gouvernement. L’absence de toute occasion véritable de présenter des observations au sujet de la portée et des répercussions de la réduction avant que le Conseil du Trésor l’approuve a eu pour effet de réduire à néant le droit à un processus véritable de consultation, et de priver de ce fait les membres des droits que leur garantit l’al. 2 d )  de la Charte . Cette omission de consulter la GRC, surtout lorsque pratiquement tous les autres agents négociateurs de la fonction publique fédérale centrale ont été consultés, n’était pas, à mon avis, rationnellement liée à l’objectif de stabilité financière du gouvernement et ne constituait pas une atteinte minimale. Cette omission ne saurait en conséquence être justifiée au regard de l’article premier.

[51]                          Selon les juges majoritaires, parce que les réductions des augmentations salariales s’appliquaient pendant une période limitée de trois ans et qu’elles n’interdisaient pas les discussions sur certains autres points, les répercussions de la Loi sur le contrôle des dépenses  sur les droits que l’al. 2d) garantit aux membres de la GRC étaient mineures. À mon sens, ces répercussions étaient beaucoup plus importantes.

[52]                          Une mesure viole l’al. 2 d )  de la Charte canadienne des droits et libertés  lorsqu’elle entrave de façon substantielle la possibilité pour les employés d’exercer une véritable activité associative liée à la négociation (Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, [2007] 2 R.C.S. 391, par. 90). L’entrave sera évidemment plus susceptible d’être jugée substantielle si elle se rapporte à une question d’importance capitale pour le processus de négociation collective (Health Services, par. 95-96).

[53]                          L’un des principaux objectifs de la négociation collective est d’assurer des salaires justes. Dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, p. 368, le juge en chef Dickson en explique toute l’importance dans ses motifs dissidents :

                          L’association a toujours joué un rôle vital dans la protection des besoins et des intérêts essentiels des travailleurs. Au cours de l’histoire, les travailleurs se sont associés pour surmonter leur vulnérabilité individuelle face à l’employeur. La capacité de négocier collectivement a depuis longtemps été reconnue comme l’une des fonctions intégrantes et premières des associations de travailleurs. Certes les syndicats ont aussi d’autres fonctions importantes sur les plans social, politique et charitable, mais la négociation collective demeure essentielle à la capacité de chaque salarié, à titre individuel, de participer au processus qui leur assurera des salaires justes, la santé et la sécurité ainsi que des conditions de travail humaines et équitables. [Italiques ajoutés.]

[54]                          Voilà pourquoi les arbitres du travail concluent généralement qu’un employeur ne peut, même pour de bons motifs, réduire unilatéralement les salaires des employés et doit rencontrer le syndicat pour discuter de la réduction (David J. Corry, Collective Bargaining and Agreement (feuilles mobiles), p. 21-9 et 21-11).

[55]                          Les augmentations salariales de la GRC avaient été convenues en juin 2008 à la suite d’un processus de consultation entre le Conseil de la solde de la GRC, le commissaire de la GRC, le ministre responsable de la GRC et le Conseil du Trésor. Le Conseil de la solde a été créé par le commissaire de la GRC en 1996 et il s’agit du seul mécanisme dont disposent les membres de la GRC pour présenter à la direction des observations au sujet des questions de rémunération. Le commissaire de la GRC présente les recommandations du Conseil de la solde au ministre de la Sécurité publique, qui les transmet à l’employeur, le Conseil du Trésor.

[56]                          Le processus du Conseil de la solde permet notamment à la GRC de maintenir les salaires à un niveau concurrentiel pour le recrutement des agents et la conservation de l’effectif. Les recommandations du Conseil de la solde qui font l’objet du présent litige ont été faites au printemps 2008 et visaient à placer la rémunération à la GRC dans la fourchette cible de rémunération par des augmentations salariales en 2008, 2009 et 2010. Le commissaire, le ministre de la Sécurité publique et le Conseil du Trésor ont accepté les augmentations salariales proposées. En conséquence, le 26 juin 2008, le Conseil du Trésor a annoncé des augmentations de 3,32 % pour 2008, 3,5 % pour 2009 et 2 % pour 2010, ainsi qu’une augmentation de la solde de service et de l’indemnité aux moniteurs de formation pratique.

[57]                          Ces augmentations n’ont jamais été mises en œuvre. Le 27 novembre 2008, le gouvernement fédéral annonçait plutôt son intention de limiter les augmentations salariales dans la fonction publique fédérale. La Loi sur le contrôle des dépenses , édictée le 12 mars 2009, constituait le mécanisme de mise en œuvre de cette mesure. En plus d’interdire les augmentations salariales de plus de 1,5 % pour les exercices 2008 à 2011, la loi interdisait toute négociation future visant à permettre aux employés de récupérer les salaires perdus pendant cette période. Le Conseil du Trésor était chargé de l’application des limites salariales.

[58]                          Avant l’annonce faite par le gouvernement le 27 novembre, le Conseil du Trésor avait consulté tous les 17 agents négociateurs de l’administration publique centrale avec lesquels il négociait normalement les questions de rémunération. Au début de décembre 2008, il avait signé avec ces agents négociateurs 14 nouvelles ententes.

[59]                          En outre, le Conseil du Trésor a rencontré au cours du mois de novembre 2008 les dirigeants d’organismes fédéraux et de sociétés d’État et les a encouragés à rencontrer leurs syndicats et à tenter de conclure des ententes respectant les limites qui allaient être prescrites par la Loi sur le contrôle des dépenses . Au début de décembre, ces organismes et sociétés avaient conclu plus de 30 ententes avec leurs agents négociateurs respectifs.

[60]                          Par ailleurs, la GRC ne s’est vu offrir aucune occasion de présenter des observations utiles au sujet des limites salariales à venir. Le 17 novembre 2008, le Conseil du Trésor a plutôt rencontré le commissaire de la GRC et l’a informé des réductions des augmentations salariales, pour ensuite, le 11 décembre 2008, confirmer qu’il ne mettrait pas en œuvre les augmentations salariales à la GRC convenues en juin 2008.

[61]                          Le Conseil de la solde n’a appris que les limites salariales s’appliqueraient aux soldes convenues que lorsque le commissaire l’en a informé le 12 décembre 2008, quelques heures avant que le commissaire en fasse l’annonce à l’ensemble des membres de la GRC. Peu après, les représentants du Conseil de la solde ont demandé qu’on leur donne l’occasion de rencontrer le président du Conseil du Trésor et le ministre de la Sécurité publique. Ils n’ont obtenu une réponse qu’après le discours du budget du 27 janvier 2009, lorsque les deux ministres ont accepté de les rencontrer. Au cours de ces réunions, ni l’un ni l’autre des ministres n’était disposé à discuter des réductions salariales. Le 11 février 2009, le Conseil de la solde a présenté à ce sujet des observations écrites au président du Conseil du Trésor, mais elles ont été rejetées sans discussion.

[62]                          La réduction unilatérale, sans consultation préalable, des augmentations salariales convenues pour trois ans constitue manifestement une entrave substantielle au processus de négociation. C’est précisément une conduite de ce genre qui a amené notre Cour à conclure, dans Health Services, à l’existence d’une atteinte injustifiée à l’al. 2d). Je vois difficilement ce qui peut distinguer cette affaire de celle qui nous occupe. Limiter l’application de cette réduction à une période de trois ans n’atténue en rien le fait primordial que la réduction était unilatérale. La possibilité de tenir des consultations sur d’autres questions de rémunération de moindre importance ne minimise non plus en rien la gravité de l’atteinte.

[63]                          Le refus de prendre part à toute discussion a eu pour effet de priver la GRC de son droit à un processus véritable de négociation des salaires, un élément central des relations de travail généralement, et particulièrement en ce qui concerne les membres de la GRC, dont les autres avantages — pensions, prestations d’invalidité, congés rémunérés et solde de service — étaient rattachés au montant de leur solde.

[64]                          Cette atteinte, à mon humble avis, ne résiste pas à l’analyse de la proportionnalité de l’article premier. Les objectifs déclarés du gouvernement, en ce qui concerne la Loi sur le contrôle des dépenses , étaient de réduire la pression sur les salaires dans le secteur privé, de montrer la voie à suivre en faisant preuve de retenue dans l’utilisation des fonds publics et de gérer la charge salariale du secteur public de façon à assurer une stabilité financière. Pour que l’on puisse constater l’existence d’un lien rationnel avec ces objectifs, il faut pouvoir raisonnablement conclure que la mesure gouvernementale — en l’occurrence l’imposition unilatérale des réductions des augmentations salariales déjà consenties à la GRC — contribuerait à l’atteinte de ces objectifs.

[65]                          L’existence de préoccupations d’ordre financier n’autorise pas sans réserve le gouvernement à déterminer la façon dont il s’occupe des intérêts économiques de ses employés. Dans Re British Columbia Railway Co. and General Truck Drivers and Helpers Union, Local No. 31 (non publié, le 1er juin 1976), le président Owen Shime a exposé ce que l’on considère maintenant comme les six critères pour évaluer l’équité des règlements salariaux des employés du secteur public régis par des conventions collectives. La liste des considérations qu’il a dressée, résumée dans Workplace Health, Safety and Compensation Commission (Re), [2005] N.B.L.E.B.D. No. 60 (QL), comprenait les critères suivants qui sont particulièrement pertinents en l’espèce :

                    [traduction]  Les employés du secteur public ne devraient pas être tenus de subventionner la collectivité ou le secteur d’activité dans lequel ils travaillent en acceptant des salaires et des conditions de travail médiocres. [. . .] [T]out compte fait, si la collectivité a besoin d’un service public et l’exige, ses membres doivent assumer ce qu’il en coûte nécessairement pour offrir des salaires justes et équitables et ne pas s’attendre à ce que les employés subventionnent le service en acceptant des salaires médiocres. S’il est nécessaire d’économiser pour atténuer le fardeau fiscal, il faudrait le faire en réduisant certains éléments du service offert, plutôt qu’en réduisant les salaires et les conditions de travail . . .

. . .

                    . . . Il faut prendre en compte les taux de rémunération des travailleurs qui accomplissent les tâches similaires dans d’autres domaines d’activité, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Quelles comparaisons peuvent être faites avec ce qui existe dans d’autres secteurs de l’économie? [. . .] [Q]uelles tendances peut-on observer dans des emplois semblables dans les entreprises du secteur privé? [par. 26]

[66]                          Les arbitres continuent de s’appuyer sur les critères établis par Shime : Re Canadian Union of Public Employees and Province of New Brunswick (1982), 49 R.N.-B. (2e) 31; Halifax (Regional Municipality) and I.A.F.F., Loc. 268 (Re) (1998), 71 L.A.C. (4th) 129 (N.-É.); New Brunswick (Board of Management) (Re), [2004] N.B.L.E.B.D. No. 36 (QL); New Brunswick (Board of Management) (Re), [2004] N.B.L.E.B.D. No. 24 (QL); New Brunswick (Board of Management) (Re), [2011] N.B.L.E.B.D. No. 12 (QL); Workplace Health, Safety and Compensation Commission (Re); New Brunswick (Board of Management) and N.B.U.P.P.E. (2010), 184 C.L.R.B.R. (2d) 72 (C.T.E.N.-B.); New Brunswick (Board of Management) c. N.B.U.P.P.E., 2006 CarswellNB 332 (WL Can.) (C.T.E.); Prince Edward Island (Department of Health & Wellness) c. P.E.I.U.P.S.E., 2010 CarswellPEI 78 (WL Can.); et N.B.T.F. c. New Brunswick (Board of Management), 2004 CarswellNB 653 (WL Can.) (C.T.E.).

[67]                          La Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’Organisation internationale du travail (OIT) peut également nous éclairer sur cette question. Selon la Commission, même en pleine crise financière, il y a des limites aux restrictions que les gouvernements peuvent imposer aux salaires du secteur public qui font l’objet de conventions collectives (Bureau international du Travail, La négociation collective dans la fonction publique : un chemin à suivre (Conférence internationale du Travail, 102e sess., 2013), p. 132-133). Fait important également, l’OIT a reconnu un principe général selon lequel « les limitations à la négociation collective de la part des autorités publiques devraient être précédées de consultations avec les organisations de travailleurs et d’employeurs en vue de rechercher l’accord des parties » (La liberté syndicale : Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d’administration du BIT (5e éd. (rév.) 2006), par. 999).

[68]                          En raison de toutes ces complexités et tous ces facteurs interreliés, la tenue de consultations véritables avec les employés touchés est particulièrement cruciale.

[69]                          Même si les réductions des augmentations de salaire peuvent en principe paraître rationnellement liées à la stabilité et à la responsabilité financières, le refus de prendre part à toute forme de consultation véritable n’y est pas lié. Le Conseil du Trésor a directement consulté tous les 17 agents négociateurs de la fonction publique fédérale centrale avant l’adoption de la Loi sur le contrôle des dépenses . Rien au dossier n’explique pourquoi la GRC uniquement n’a pas eu droit à des discussions relatives à l’opportunité de la réduction des augmentations salariales convenues et à la façon de l’appliquer, et rien n’explique comment le refus de prendre part à de telles discussions a pu aider le gouvernement à faire face à ses préoccupations d’ordre financier.

[70]                          Toutefois, même s’il existe un lien rationnel, une mesure doit également être « soigneusement adaptée de façon à ce que l’atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui est nécessaire » (RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 160).

[71]                          Parce que des consultations véritables ont eu lieu avec presque tous les autres agents négociateurs de la fonction publique fédérale centrale, il est clair que le gouvernement disposait d’options moins attentatoires qu’une absence totale de négociations. Par conséquent, on ne saurait affirmer que la réduction unilatérale des augmentations salariales par l’effet de la Loi sur le contrôle des dépenses  constituait une atteinte minimale.

[72]                          Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi.

                    Pourvoi rejeté avec dépens, la juge Abella est dissidente.

                    Procureurs des appelants : Nelligan O’Brien Payne, Ottawa.

                    Procureur de l’intimé : Procureur général du Canada, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique : Procureur général de la Colombie-Britannique, Victoria.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan : Procureur général de la Saskatchewan, Regina.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Procureur général de l’Alberta, Edmonton.

                    Procureurs de l’intervenant le Congrès du travail du Canada : Sack Goldblatt Mitchell, Toronto.

                    Procureure de l’intervenant l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada : Fay Faraday, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant le Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 675 : Syndicat canadien de la fonction publique, Montréal.

                    Procureurs de l’intervenante l’Alliance de la Fonction publique du Canada : Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck, Ottawa.

                    Procureurs des intervenants la Confédération des syndicats nationaux et le Syndicat des agents correctionnels du Canada : Laroche Martin, Montréal.

 

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