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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, [2015] 1 R.C.S. 693

Date : 20150327

Dossier : 35448

 

Entre :

Procureur général du Québec

Appelant

et

Procureur général du Canada,

Commissaire aux armes à feu et

Directeur de l’enregistrement

Intimés

- et -

Contrôleur des armes à feu,

Coalition pour le contrôle des armes et

Association canadienne pour les armes à feu

Intervenants

 

Traduction française officielle : Motifs des juges Cromwell et Karakatsanis

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon

 

Motifs de jugement conjoints :

(par. 1 à 46)

 

Motifs conjoints dissidents :

(par. 47 à 203)

Les juges Cromwell et Karakatsanis (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Rothstein et Moldaver)

 

 

Les juges LeBel, Wagner et Gascon (avec l’accord de la juge Abella)

 

 

 

 

 


Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, [2015] 1 R.C.S. 693

Procureur général du Québec                                                                        Appelant

c.

Procureur général du Canada,

Commissaire aux armes à feu et

Directeur de l’enregistrement                                                                            Intimés

et

Contrôleur des armes à feu,

Coalition pour le contrôle des armes et

Association canadienne pour les armes à feu                                           Intervenants

Répertorié : Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général)

2015 CSC 14

No du greffe : 35448.

2014 : 8 octobre; 2015 : 27 mars.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon.

en appel de la cour d’appel du québec

                    Droit constitutionnel — Partage des compétences — Droit criminel — Classification sur le plan constitutionnel d’une loi d’abrogation — Armes à feu — Loi fédérale qui abolit le registre des armes d’épaule contient également une disposition prévoyant la destruction des données sur l’enregistrement de ces armes — Contestation par le Québec de la constitutionnalité de la disposition relative à la destruction et demande du Québec que le gouvernement fédéral lui transmette les données relatives à la province — Le principe du fédéralisme coopératif empêche-t-il le Parlement de légiférer pour détruire les données? — La disposition relative à la destruction outrepasse-t-elle la compétence du Parlement en matière de droit criminel? — Le Québec a-t-il le droit de recevoir du gouvernement fédéral les données sur l’enregistrement des armes d’épaule? — Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27)  — Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule, L.C. 2012, c. 6, art. 29.

                    Adoptée en 1995, la Loi sur les armes à feu  a créé un régime complet obligeant tous les détenteurs d’armes à feu, dont ceux qui possèdent une arme d’épaule, à obtenir un permis et à enregistrer leurs armes. Elle a aussi érigé en infraction criminelle la possession d’une arme à feu non enregistrée. La Loi sur les armes à feu  prévoyait la création de deux types de registre : le Registre canadien des armes à feu (« RCAF »), qui est tenu par le directeur de l’enregistrement des armes à feu et contient des fichiers relatifs aux certificats d’enregistrement des armes prohibées, armes à autorisation restreinte et armes d’épaule acquises, transférées ou détenues au Canada, ainsi qu’un registre tenu par le contrôleur des armes à feu (« Contrôleur ») nommé pour chaque province et territoire. Ce registre contient des fichiers sur les permis et autorisations d’arme à feu délivrés ou révoqués. Le directeur de l’enregistrement et les contrôleurs pouvaient accéder à tous les fichiers grâce à une seule base de données électronique, mais le pouvoir légal des contrôleurs ne leur permettait que d’ajouter et de modifier les données dans leur registre de permis respectif.

                    En 2012, le Parlement a adopté la Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule (« LARA »), qui supprimait l’obligation d’enregistrer les armes d’épaule et décriminalisait la possession d’une arme d’épaule non enregistrée. L’article 29 de la LARA exige la destruction de tous les fichiers relatifs à l’enregistrement des armes d’épaule qui se trouvent dans les registres. Le Québec a réagi en faisant part de son intention de créer son propre registre des armes d’épaule et en demandant aux autorités fédérales les données du RCAF qui ont un lien avec le Québec. Le Canada a refusé et affirmé clairement qu’il entendait détruire de façon permanente toutes les données relatives à l’enregistrement des armes d’épaule. Face à ce refus, le Québec a demandé un jugement déclaratoire portant que l’art. 29 de la LARA est ultra vires et que le Québec a le droit d’obtenir les données. 

                    La Cour supérieure du Québec a déclaré l’art. 29 de la LARA inconstitutionnel dans le cas des données liées au Québec et a ordonné au Canada de transférer ces données à la province. La Cour d’appel du Québec a infirmé cette décision.

                    Arrêt (les juges LeBel, Abella, Wagner et Gascon sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté. L’article 29 de la LARA est constitutionnel et le Québec n’a pas droit aux données.

                    La juge en chef McLachlin et les juges Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis : La décision de démanteler le registre des armes d’épaule et de détruire les données qu’il contient est un choix de politique générale que le Parlement avait le droit de faire en vertu de la Constitution. Le principe du fédéralisme coopératif ne restreint pas la compétence législative fédérale en l’espèce, le Québec n’a pas droit aux données et l’art. 29 de la LARA est un exercice licite de la compétence législative en matière de droit criminel conférée au Parlement par la Constitution. 

                    La thèse du Québec selon laquelle le fédéralisme coopératif empêche le Canada et les provinces d’agir ou de légiférer de manière à nuire à la collaboration entre les deux ordres de gouvernement est dépourvue de fondement en droit constitutionnel canadien et contraire à la jurisprudence applicable de notre Cour. Le principe du fédéralisme coopératif n’empêche pas le Parlement d’exercer une compétence législative qu’il possède par ailleurs. La primauté de notre Constitution écrite demeure l’un des préceptes fondamentaux de notre régime constitutionnel, et cela est tout particulièrement vrai dans le cas du partage des compétences. Ni la jurisprudence de notre Cour ni le texte de la Loi constitutionnelle de 1867  ne fondent l’emploi du principe du fédéralisme coopératif pour restreindre la portée de la compétence législative ou imposer l’obligation positive de faciliter la coopération lorsque le partage constitutionnel des pouvoirs autorise une intervention unilatérale.  En décider autrement minerait la souveraineté parlementaire et créerait un flou juridique chaque fois qu’un ordre de gouvernement adopte une loi qui a une certaine incidence sur les objectifs de politique générale de l’autre.

                    Bien que le Québec prétende avoir le droit de recevoir les données sur l’enregistrement des armes d’épaule, que le Parlement soit ou non habilité par la Constitution à légiférer relativement au sort des données, il n’a pas établi de fondement juridique à ce droit. Rappelons que le principe du fédéralisme coopératif ne limite pas la portée des pouvoirs législatifs dévolus par la Constitution. De plus, si l’on retenait la thèse du Québec, laquelle prend sa source dans le fait qu’il s’attend à bénéficier d’un accès continu aux données, cela aurait pour effet de contourner ou d’infirmer concrètement le rejet, par notre Cour, de la théorie de l’« expectative légitime ». Le fait que les provinces comptent sur l’existence des données ne saurait limiter la capacité du Parlement de détruire un registre qui découle exclusivement de son chef de compétence concernant le droit criminel. Enfin, même si les données accessibles par l’entremise du RCAF étaient le fruit d’un effort de coopération, tout effort de la part du Québec était limité de par la loi aux données sur les permis conservées dans le registre des permis de la Contrôleure. 

                    Notre Cour a déjà été appelée, dans le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783, à déterminer le caractère véritable du régime mis en place par cette loi. Dans cet arrêt, la Cour a conclu que la « matière » des dispositions relatives à l’enregistrement et à la conservation des données était la sécurité publique et que ces dispositions devraient être considérées comme ayant trait au droit criminel. Une loi abrogeant ce régime ainsi qu’une disposition indiquant ce qu’il adviendra des données recueillies en application du régime maintenant abrogé doivent être qualifiées de la même façon. L’article 29 concerne essentiellement la sécurité publique, tout comme le régime d’enregistrement des armes d’épaule abrogé par les autres dispositions de la LARA. Cette disposition ne limite pas le pouvoir législatif du Québec de créer un registre provincial des armes d’épaule; elle ne fait qu’empêcher le Québec d’utiliser les données obtenues par le biais du registre fédéral des armes d’épaule pour constituer un registre provincial. Le fait que l’art. 29 a pour effet concret qu’il est plus difficile sur le plan financier pour le Québec de créer son propre régime de contrôle des armes à feu ne dénote pas un objet « déguisé » du point de vue du partage des compétences et n’a pas d’incidence sur le caractère véritable de l’art. 29.

                    Il n’y a pas de distinction importante en droit entre l’abrogation d’une disposition pénale et le fait d’indiquer ce qu’il adviendra des données recueillies en application de cette disposition si les données ont été recueillies exclusivement par l’exercice de la compétence en droit criminel. Le pouvoir d’abroger une disposition de droit criminel doit logiquement être assez large pour habiliter le Parlement à détruire les données recueillies pour l’application de cette disposition. Par conséquent, l’art. 29 de la LARA devrait être considéré comme ayant trait au droit criminel. Il ressortit donc à la compétence législative du Parlement.

                    Les juges LeBel, Abella, Wagner et Gascon (dissidents) : L’article 29 de la LARA est inconstitutionnel et doit être déclaré invalide. La LARA est le moyen législatif qu’a choisi le Parlement pour mettre fin à son rôle dans le contrôle des armes d’épaule, mais l’art. 29 a une portée plus large que cet objectif, puisqu’il ordonne la destruction des données en cause sans possibilité de transfert préalable aux partenaires provinciaux, ce qui les empêche de s’en servir dans l’exercice de leurs compétences. Par contre, il n’y pas de fondement juridique à la demande du Québec de transfert forcé des données. La détermination des modalités d’un tel transfert relève des gouvernements concernés, non des tribunaux.

                    Lorsque la constitutionnalité d’une disposition législative est contestée sur la base du partage des compétences, les tribunaux ont recours à la doctrine dite du caractère véritable. Cette démarche implique nécessairement l’examen de la portée de l’empiétement de la disposition contestée sur les pouvoirs de l’autre ordre de gouvernement. Lorsque, en raison de son caractère véritable, une disposition insérée dans une loi par ailleurs valide déborde sur un champ de compétence d’un autre ordre de gouvernement, l’analyse porte alors sur le caractère accessoire de ce débordement. Le degré d’intégration d’une disposition requis pour qu’un débordement conserve un caractère accessoire varie en fonction de la gravité du débordement ou de son étendue. Si la disposition contestée ne déborde que de façon négligeable ou restreinte sur les compétences de l’autre ordre de gouvernement, un rapport fonctionnel entre cette disposition et le régime législatif peut suffire. Si, au contraire, la disposition déborde de façon considérable sur les compétences de l’autre ordre de gouvernement, un critère de nécessité plus strict s’applique.

                    Les principes non écrits qui sous-tendent notre Constitution écrite, tel le principe du fédéralisme, imprègnent l’analyse et l’interprétation du partage des compétences. La vision moderne du fédéralisme favorise une conception souple du partage des compétences, et admet un important chevauchement des compétences fédérales et provinciales, permettant aux deux ordres de gouvernement de légiférer relativement à des objectifs légitimes dans les matières où il y a chevauchement. Cette conception facilite la coopération intergouvernementale. Le concept du fédéralisme coopératif se veut l’adaptation du principe du fédéralisme à cette réalité moderne, et ce, tant par le droit que les acteurs politiques, et reflète les réalités d’une société de plus en plus complexe, qui fait appel à des régimes fédéraux et provinciaux coordonnés. D’un point de vue juridique, c’est par les chevauchements de compétences qu’il accepte en vertu de l’application de la doctrine du caractère véritable et de celle des pouvoirs accessoires que le fédéralisme coopératif sait répondre à ces besoins.

                    En l’espèce, le juge de première instance a conclu avec raison à l’existence d’un partenariat fédéral-provincial en matière de contrôle des armes à feu. Ce partenariat s’inscrit dans cet esprit de fédéralisme coopératif. Il a permis au gouvernement fédéral et aux provinces de mieux accomplir ensemble, plutôt qu’individuellement, tant des objectifs fédéraux (en droit criminel) que des objectifs provinciaux (en sécurité publique et administration de la justice). Face au contexte inusité qu’est le démantèlement de ce partenariat, il faut faire appel aux principes non écrits de la Constitution pour guider l’analyse, afin de s’assurer que le principe du fédéralisme — et son expression moderne le fédéralisme coopératif — ne soit pas mis en péril. Le Parlement ou une législature provinciale ne peut légiférer pour mettre fin à un tel partenariat sans tenir compte des conséquences raisonnablement prévisibles d’une telle décision sur les compétences de son partenaire. En examinant la constitutionnalité d’une loi ou d’une disposition législative qui vise à démanteler ce partenariat, les tribunaux doivent être sensibles à ses répercussions sur l’exercice par le partenaire de ses compétences, et ce, encore plus quand le partenaire mettant fin au partenariat agit dans le but de provoquer ces répercussions.

                    La méthode d’analyse adoptée par la Cour d’appel en l’espèce s’écarte de celle que doivent suivre les tribunaux. Certes, le Parlement peut abroger ou modifier une loi qu’il a validement édictée en vertu d’un chef de compétence relevant de lui. Les tribunaux doivent toutefois examiner la disposition ou la loi contestée afin de déterminer si, eu égard à son caractère véritable, celle-ci ne fait effectivement qu’abroger ou modifier une loi validement édictée au préalable. Il n’est pas suffisant de dire que la mesure législative est une simple loi abrogative.

                    Le texte de l’art. 29 de la LARA ne présente pas de difficulté d’interprétation particulière. D’un point de vue structurel, l’art. 29 est une composante distincte des autres articles de la LARA, car il s’agit d’une disposition transitoire. D’un point de vue pratique et juridique, l’effet premier de l’art. 29 est d’effacer à jamais les données contenues dans le RCAF. La destruction des données par le gouvernement fédéral sans qu’elles aient d’abord été transmises à ses partenaires, dont le Québec, entraîne d’importantes conséquences qui sont pertinentes pour l’analyse de la constitutionnalité de l’art. 29. La preuve extrinsèque révèle que l’art. 29 a été adopté précisément dans le but d’empêcher l’utilisation des données par les provinces. C’est donc avec raison que le juge de première instance a conclu que l’intention du Parlement était de nuire aux provinces en détruisant les données. Vu son objet et ses effets, l’art. 29 a donc une portée plus large que la simple destruction des données : il entraîne des conséquences néfastes pour les partenaires du gouvernement fédéral. L’article 29 ne tend pas à l’abrogation d’une partie de la Loi sur les armes à feu ; l’abolition par le gouvernement fédéral de l’obligation d’enregistrer les armes d’épaule et la destruction des données sont deux objectifs distincts.

                    Comme la destruction des données s’effectue sans possibilité de transfert préalable de données aux partenaires, et donc sans tenir compte des conséquences de cette mesure sur l’exercice par ceux-ci de leurs compétences, son objet véritable consiste à mettre fin à toute utilisation des renseignements concernant les armes d’épaule pour toutes fins provinciales. En conséquence, le caractère véritable de l’art. 29 se rattache à la compétence provinciale sur la propriété et les droits civils.

                    Pour décider si l’art. 29 de la LARA est constitutionnel en vertu de la doctrine des pouvoirs accessoires, il faut évaluer la gravité, ou l’étendue, de son débordement sur les compétences provinciales, en gardant à l’esprit que le pouvoir des provinces de légiférer en matière de propriété et de droits civils constitue un chef de compétence sur lequel on ne peut déborder à la légère. La gravité du débordement de l’art. 29 doit être analysée en fonction du contexte factuel et juridique particulier de l’affaire, ce qui inclut le partenariat existant entre le gouvernement fédéral et le Québec. En l’espèce, de par sa nature et ses effets, l’art. 29 engendre un débordement substantiel sur les compétences provinciales. Pour que son débordement soit jugé accessoire à la LARA, l’art. 29 doit donc entretenir un degré élevé d’intégration à celle-ci, soit respecter le critère de la nécessité ou « partie intégrante ». La destruction des données visées par l’art. 29 ne peut être considérée comme nécessaire à l’abolition de l’obligation d’enregistrer les armes d’épaule, car ces deux objectifs sont distincts. L’article 29 ne peut non plus être rattaché à la LARA selon un critère de rationalité; il est difficile de concilier la manière dont la destruction des données est prévue avec le souhait que pourraient manifester des provinces de maintenir un registre dans le cadre de leurs compétences. De plus, le législateur fédéral a déclaré son intention de nuire à l’autre ordre de gouvernement.

                    Comme, en raison de son caractère véritable, l’art. 29 de la LARA ne relève pas de la compétence fédérale en matière de droit criminel et il n’est pas accessoire à la LARA, sa validité constitutionnelle n’a pas été établie. On ne saurait valider une mesure législative (1) qui ne relève pas de la compétence fédérale en matière de droit criminel et (2) qui contrecarre, par le débordement substantiel qu’elle cause, l’exercice corollaire des compétences provinciales auquel le partenariat a donné lieu. La destruction des données sans offre de transfert préalable est inconstitutionnelle. L’article 29 de la LARA doit donc être déclaré invalide, en vertu de l’art. 52  de la Loi constitutionnelle de 1982 .

                    Le Québec n’a toutefois pas établi de fondement juridique à sa revendication des données. L’absence d’obstacle légal au transfert de celles-ci ne signifie pas nécessairement que le Québec a fait la preuve d’un droit de les obtenir par voie judiciaire. Il appartient aux législateurs de combler les lacunes des règles de droit incompatibles avec la Constitution et non aux tribunaux de décrire précisément le genre de lois que les premiers doivent adopter pour satisfaire à leurs obligations constitutionnelles. Dans certains cas, la réparation convenable doit émaner du processus politique plutôt que des tribunaux. En l’espèce, c’est aux membres du partenariat qu’il appartenait de prévoir les modalités de cessation de leur aventure commune dans leurs ententes. 

Jurisprudence

Citée par les juges Cromwell et Karakatsanis

                    Arrêt examiné : Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783; arrêts mentionnés : Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3; Renvoi relatif à la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles, [1978] 2 R.C.S. 1198; Fédération des producteurs de volailles du Québec c. Pelland, 2005 CSC 20, [2005] 1 R.C.S. 292; Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, [2010] 2 R.C.S. 536; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217; Renvoi relatif à la Loi anti-inflation, [1976] 2 R.C.S. 373; Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199; Authorson c. Canada (Procureur général), 2003 CSC 39, [2003] 2 R.C.S. 40; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199; Québec (Procureur général) c. Lacombe, 2010 CSC 38, [2010] 2 R.C.S. 453; Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), 2002 CSC 31, [2002] 2 R.C.S. 146; Ward c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 17, [2002] 1 R.C.S. 569; Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, [2005] 3 R.C.S. 302; Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297; Attorney-General for Ontario c. Attorney-General for Canada, [1912] A.C. 571; Attorney-General for Canada c. Attorney-General for Ontario, [1937] A.C. 326; Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, 2004 CSC 79, [2004] 3 R.C.S. 698; Hunt c. T&N plc, [1993] 4 R.C.S. 289.

Citée par les juges LeBel, Wagner et Gascon (dissidents)

                    Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783; General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641; Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297; Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, [2005] 3 R.C.S. 302; Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837; Québec (Procureur général) c. Lacombe, 2010 CSC 38, [2010] 2 R.C.S. 453; Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), 2002 CSC 31, [2002] 2 R.C.S. 146; Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, 2004 CSC 79, [2004] 3 R.C.S. 698; Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61, [2010] 3 R.C.S. 457; Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3; Attorney-General for Ontario c. Reciprocal Insurers, [1924] A.C. 328; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134; SEFPO c. Ontario (Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2; Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, 2014 CSC 44, [2014] 2 R.C.S. 257; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115; Clark c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1988] 2 R.C.S. 680; R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd., [1980] 1 R.C.S. 695; Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3; R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236; Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), [1993] 1 R.C.S. 839.

Lois et règlements cités

Code criminel , L.R.C. 1985, c. C-46, art. 90 , 91 .

Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25, art. 778.

Décret fixant une période d’amnistie (2006), DORS/2006-95 [mod. 2007-101, 2008-147, 2009-139, 2010-104, 2011-102, 2013-96, 2014-123].

Loi constitutionnelle de 1867 , art. 91(27) , 92(13) .

Loi constitutionnelle de 1982 , art. 52 .

Loi d’interprétation , L.R.C. 1985, c. I-21, art. 42 .

Loi de 1968-69 modifiant le droit pénal, S.C. 1968-69, c. 38, art. 6.

Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule, L.C. 2012, c. 6, art. 2 à 28, 27, 29.

Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada , L.C. 2004, c. 11 .

Loi sur la protection des renseignements personnels , L.R.C. 1985, c. P-21 .

Loi sur la sécurité dans les sports, RLRQ, c. S-3.1, art. 46.31.

Loi sur les armes à feu , L.C. 1995, c. 39, art. 2  « contrôleur des armes à feu », 4 à 14, 13, 56, 57, 60, 70, 83, 84, 87, 90, 95, 112 [abr. 2012, c. 6, art. 27].

Loi visant à favoriser la protection des personnes à l’égard d’une activité impliquant des armes à feu, RLRQ, c. P-38.0001, art. 11.

Règlement sur l’exclusion de certains lieux et de certains moyens de transport ainsi que sur l’exemption de certaines personnes, RLRQ, c. P-38.0001, r. 1.

Règlement sur les registres d’armes à feu, DORS/98-213, art. 4(1), 7(1), (2).

Doctrine et autres documents cités

Abel, Albert S. « The Neglected Logic of 91 and 92 » (1969), 19 U.T.L.J. 487.

Brown, R. Blake. Arming and Disarming : A History of Gun Control in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 2012.

Brun, Henri, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet. Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2014.

Canada. Bibliothèque du Parlement. Service d’information et de recherche parlementaires. « Projet de loi C-19 : Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les armes à feu », Résumé législatif no 41-1-C19-F, par Tanya Dupuis, Cynthia Kirkby et Robin MacKay, Division des affaires juridiques et législatives, 1er novembre 2011.

Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. 133, no 134, 1re sess., 35e lég., 30 novembre 1994, p. 8476.

Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. 133, no 154, 1re sess., 35e lég., 16 février 1995, p. 9709.

Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. 133, no 216, 1re sess., 35e lég., 12 juin 1995, p. 13631.

Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. 146, no 036, 1re sess., 41e lég., 25 octobre 2011, p. 2437.

Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. 146, no 041, 1re sess., 41e lég., 1er novembre 2011, p. 2779, 2780, 2799.

Canada. Chambre des communes. Témoignages devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale, no 012, 1re sess., 41e lég., 17 novembre 2011, p. 1-2.

Canada. Commissariat à la protection de la vie privée. Examen des pratiques relatives au traitement des renseignements personnels du Programme canadien des armes à feu, Rapport final, 29 août 2001 (en ligne : http://publications.gc.ca/collections/Collection/IP34-8-2001F.pdf).

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Daly, Paul. « Dismantling Regulatory Structures : Canada’s Long-Gun Registry as Case Study » (2014), 33 R.N.D.C. 169.

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Québec. Assemblée nationale. Journal des débats, vol. 42, no 57, 2e sess., 39e lég., 2 novembre 2011, p. 3131.

Québec. Assemblée nationale. Journal des débats, vol. 42, no 72, 2e sess., 39e lég., 6 décembre 2011, p. 3643.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (la juge en chef Duval Hesler et les juges Chamberland, Kasirer, St-Pierre et Lévesque), 2013 QCCA 1138, [2013] R.J.Q. 1023, [2013] AZ-50965380, [2013] J.Q. no 6676 (QL), 2013 CarswellQue 6107 (WL Can.), qui a infirmé une décision du juge Blanchard, 2012 QCCS 4202, [2012] R.J.Q. 1895, [2012] AZ-50892414, [2012] J.Q. no 8319 (QL), 2012 CarswellQue 9059 (WL Can.). Pourvoi rejeté, les juges LeBel, Abella, Wagner et Gascon sont dissidents.

                    Éric Dufour, Hugo Jean et Suzanne-L. Gauthier, pour l’appelant.

                    Claude Joyal, c.r., et Ian Demers, pour les intimés.

                    Personne n’a comparu pour l’intervenant le contrôleur des armes à feu.

                    Frédérick Langlois et Alain M. Gaulin, pour l’intervenante la Coalition pour le contrôle des armes.

                    Guy Lavergne, pour l’intervenante l’Association canadienne pour les armes à feu.

                    Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis rendu par

                    Les juges Cromwell et Karakatsanis —

I.              Introduction

[1]                              Il y a 15 ans, notre Cour a décidé que le Parlement, agissant dans l’exercice de son pouvoir de légiférer en matière de droit criminel, avait la compétence constitutionnelle voulue pour établir un régime national de contrôle des armes à feu. Cette décision du Parlement participait d’un choix de politique générale controversé qui a été contesté pour des motifs constitutionnels. Il y a trois ans, le Parlement est revenu en partie sur ce choix de politique générale antérieur : il a abrogé la loi qui avait constitué le registre des armes d’épaule faisant partie du régime de contrôle des armes à feu et décrété la destruction des données que le registre contenait. Il s’agissait également d’un choix de politique générale controversé qui est aujourd’hui contesté, encore une fois pour des motifs constitutionnels.

[2]                              Quand le gouvernement a déposé le projet de loi abolissant le registre des armes d’épaule et prévoyant la destruction des données qu’il contenait, le Québec a manifesté son intention de créer son propre régime provincial de contrôle des armes à feu et demandé au Canada de lui transmettre les données concernant les armes d’épaule liées à la province. Face au refus du gouvernement fédéral, le Québec a contesté la constitutionnalité de la loi fédérale prévoyant la destruction des données et sollicité une ordonnance enjoignant au gouvernement fédéral de les lui transmettre. La Cour supérieure du Québec a déclaré que la compétence législative du Parlement en matière de droit criminel ne lui permet pas de légiférer pour détruire les fichiers relatifs à l’enregistrement des armes d’épaule sans mettre d’abord ces données à la disposition des provinces qui cherchent à établir leur propre registre, et a ordonné au gouvernement fédéral de transférer les données pertinentes au Québec. Une formation de cinq juges de la Cour d’appel du Québec n’était pas de cet avis. Jugeant que la loi constituait un exercice valide de la compétence fédérale en matière de droit criminel, elle a annulé ces jugements déclaratoires et ordonnances. Le Québec se pourvoit maintenant devant notre Cour et soulève trois questions :

1.                 Le principe du fédéralisme coopératif empêche-t-il le Parlement de légiférer pour disposer des données?

2.                 Le Québec a-t-il le droit d’obtenir les données?

3.                 L’article 29 de la Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les armes à feu, L.C. 2012, c. 6, outrepasse-t-il la compétence du Parlement en matière de droit criminel?

[3]                              Nous faisons nôtres les conclusions de la Cour d’appel du Québec et sommes d’avis de rejeter le pourvoi. Le principe du fédéralisme coopératif ne restreint pas la compétence législative fédérale en l’espèce, le Québec n’a pas droit aux données et l’art. 29 de la Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les armes à feu (titre abrégé Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule (« LARA »)) est un exercice licite de la compétence législative en matière de droit criminel conférée au Parlement par la Constitution. Nous ajouterions ceci. Pour certains, la décision du Parlement de détruire ces données affaiblira la sécurité publique et entraînera le gaspillage de sommes considérables de fonds publics. D’autres y verront le démantèlement d’un régime malavisé et le rétablissement trop tardif du droit à la vie privée des propriétaires d’armes à feu qui respectent les lois. Or, ces opinions divergentes sur le bien-fondé du choix de politique générale du Parlement ne sont pas en litige dans la présente affaire. Comme on l’a dit à maintes reprises, les tribunaux ne doivent pas s’interroger sur la sagesse d’une loi : ils doivent uniquement se prononcer sur sa légalité. À notre avis, la décision de démanteler le registre des armes d’épaule et de détruire les données qu’il contient est un choix de politique générale que le Parlement avait le droit de faire en vertu de la Constitution.

[4]                              Soulignons que notre conclusion en l’espèce repose en partie sur le fait que le Registre canadien des armes à feu (« RCAF ») découle directement d’une loi fédérale et ne dépend d’aucun texte législatif provincial. Différentes considérations peuvent être présentes dans le cas d’un régime législatif fédéral-provincial réellement intégré. Le RCAF ne constitue cependant pas, à notre avis, un régime de ce genre. Nous n’avons donc pas à nous demander ce qui pourrait arriver si c’était le cas.

II.           Faits et historique judiciaire

A.           Aperçu des faits

[5]                              En 1995, le Parlement a adopté la Loi sur les armes à feu , L.C. 1995, c. 39 , qui a créé un régime complet obligeant tous les détenteurs d’armes à feu, dont ceux qui possèdent une arme d’épaule, à obtenir un permis et à enregistrer leurs armes. Elle a aussi érigé en infraction criminelle la possession d’une arme à feu non enregistrée. La création du registre a été contestée par plusieurs provinces, y compris l’Alberta qui a adressé à la Cour d’appel de cette province un renvoi qui s’est soldé en dernier lieu par un pourvoi devant notre Cour. Dans le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783, notre Cour a conclu que cette loi relevait de la compétence du Parlement fédéral en droit criminel et que « les provinces n’[avaie]nt pas démontré que les effets de la loi sur les matières provinciales étaient plus que secondaires » : par. 50.

[6]                              La Loi sur les armes à feu  prévoyait la création de deux types de registre. Le directeur de l’enregistrement des armes à feu (« Directeur ») devait tenir un registre unique, le RCAF, contenant des fichiers relatifs aux certificats d’enregistrement des armes prohibées, armes à autorisation restreinte et armes sans restriction (armes d’épaule) acquises, transférées ou détenues au Canada : art. 83. En outre, la Loi sur les armes à feu  exige qu’un contrôleur des armes à feu (« Contrôleur ») soit nommé dans chaque province et territoire, soit par un ministre provincial, soit par un ministre fédéral : art. 2. Ce fonctionnaire doit autoriser les particuliers à posséder des armes à feu et tenir un registre contenant des fichiers sur les permis et autorisations qu’il délivre ou révoque : art. 87. En droit, le Directeur et le Contrôleur peuvent consulter les deux types de registre : art. 90. Dans les faits, l’accès à ces registres était assuré par le Système canadien d’information relativement aux armes à feu (« SCIRAF »), une base de données électronique administrée par la Gendarmerie royale du Canada (« GRC »). Le gouvernement provincial pouvait accéder à tous les renseignements sur l’enregistrement et la délivrance de permis dans l’ensemble des registres grâce à la base de données du SCIRAF, mais le pouvoir légal des contrôleurs provinciaux ne leur permettait que d’ajouter et de modifier des données dans leur registre de permis respectif : art. 87 et 90.

[7]                              En avril 2012, le Parlement a adopté la LARA, qui supprime l’obligation d’enregistrer les armes d’épaule et décriminalise la possession d’une arme d’épaule non enregistrée. L’obligation d’enregistrer les armes prohibées et les armes à autorisation restreinte demeure en vigueur, et les registres continuent de recueillir et de conserver les données en question[1]. L’article 29 de la LARA exige la destruction de tous les fichiers relatifs à l’enregistrement des armes à feu autres que les armes prohibées ou les armes à autorisation restreinte qui se trouvent dans les registres :

                        29. (1) Le commissaire aux armes à feu veille à ce que, dès que possible, tous les registres et fichiers relatifs à l’enregistrement des armes à feu autres que les armes à feu prohibées ou les armes à feu à autorisation restreinte qui se trouvent dans le Registre canadien des armes à feu, ainsi que toute copie de ceux-ci qui relève de lui soient détruits.

                        (2) Chaque contrôleur des armes à feu veille à ce que, dès que possible, tous les registres et fichiers relatifs à l’enregistrement des armes à feu autres que les armes à feu prohibées ou les armes à feu à autorisation restreinte qui relèvent de lui, ainsi que toute copie de ceux-ci qui relève de lui soient détruits.

                        (3) Les articles 12 et 13 de la Loi sur la   Bibliothèque et les Archives du   Canada  et les paragraphes 6(1)  et (3)  de la Loi sur la protection des renseignements personnels  ne s’appliquent pas relativement à la destruction des registres, fichiers et copies mentionnés aux paragraphes (1) et (2).

[8]                              Quand il est devenu évident que le Canada allait de l’avant avec la suppression de l’obligation d’enregistrer les armes d’épaule, le Québec a fait part de son intention de créer son propre registre des armes d’épaule et demandé aux autorités fédérales les données du RCAF qui ont un lien avec le Québec. Le Canada a refusé et affirmé clairement qu’il entendait détruire de façon permanente toutes les données relatives à l’enregistrement des armes d’épaule. Face à ce refus, le Québec a demandé un jugement déclaratoire portant que l’art. 29 de la LARA est ultra vires (c’est-à-dire qu’il outrepasse les pouvoirs du Parlement) et que le Québec a le droit d’obtenir les données. À ce jour, l’Assemblée nationale du Québec n’a pas adopté de loi créant un registre provincial des armes d’épaule.

B.            Cour supérieure du Québec, 2012 QCCS 4202, [2012] R.J.Q. 1895

[9]                              En Cour supérieure, le juge Blanchard a déclaré que le RCAF découle des efforts concertés des paliers des gouvernements municipaux, provinciaux et fédéral et constitue ainsi un exemple des fruits du fédéralisme coopératif. Estimant que l’art. 29 vise, de par son caractère véritable, à empêcher les gouvernements provinciaux d’exercer leur compétence législative en utilisant les fruits de ce partenariat, il a conclu que l’art. 29 équivaut à une violation du principe du fédéralisme coopératif et excède le pouvoir du Parlement de légiférer en droit criminel.

[10]                          En plus de déclarer l’art. 29 de la LARA inconstitutionnel dans le cas des données liées au Québec, le juge Blanchard a ordonné au Canada de transférer ces données à la province.

C.            Cour d’appel du Québec, 2013 QCCA 1138, [2013] R.J.Q. 1023

[11]                          Une formation de cinq juges de la Cour d’appel a infirmé à l’unanimité la décision du juge Blanchard.

[12]                          S’exprimant au nom de la Cour d’appel, la juge en chef Duval Hesler a décidé que le juge Blanchard avait confondu certains aspects du Système canadien d’enregistrement des armes à feu. Cette confusion l’a amené à tirer une conclusion de fait erronée voulant que le RCAF soit le fruit d’un partenariat entre les deux ordres de gouvernement. Cela dit, la juge en chef Duval Hesler a conclu que cette erreur importait peu car, à son avis, le Parlement a clairement le pouvoir de détruire les données, indépendamment de l’existence d’un partenariat fédéral-provincial.

[13]                          La Cour d’appel a estimé que, comme notre Cour a conclu dans le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu que la création du RCAF relevait du Parlement fédéral, ce dernier peut également légiférer pour le détruire. Elle a aussi jugé que le principe du fédéralisme coopératif ne peut pas remplacer le partage officiel des compétences prévu par la Loi constitutionnelle de 1867 .

[14]                          Enfin, la Cour d’appel a décidé que le Québec n’a pas le droit d’obtenir les données. Les faits que le Québec avait choisi de nommer un Contrôleur et que les deux gouvernements avaient conclu une entente financière ne conféraient pas au Québec un droit de propriété sur les données.

III.        Analyse

A.           Le principe du fédéralisme coopératif empêche-t-il le Parlement de légiférer pour disposer des données?

[15]                          Le Québec invoque le principe du fédéralisme coopératif pour soutenir à la fois que l’art. 29 de la LARA est ultra vires et qu’il a le droit de recevoir les données contenues dans le RCAF qui portent sur les armes d’épaule liées à cette province. Le Québec nous demande essentiellement de reconnaître que ce principe empêche le Canada et les provinces d’agir ou de légiférer de manière à nuire à la collaboration entre les deux ordres de gouvernement, surtout dans les domaines de compétence concurrente.

[16]                          À notre avis, la thèse du Québec est dépourvue de fondement en droit constitutionnel canadien et contraire à la jurisprudence applicable de notre Cour.

[17]                          La notion de fédéralisme coopératif sert à décrire le [traduction] « faisceau de rapports entre l’exécutif du gouvernement central et celui des gouvernements régionaux [au moyen duquel] des mécanismes, tout particulièrement des mécanismes financiers, sont établis pour permettre une répartition continuelle des pouvoirs et des ressources sans recourir aux tribunaux ou à la procédure d’amendement » : P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (5e éd. suppl.), p. 5-46; voir aussi W. R. Lederman, « Some Forms and Limitations of Co-Operative Federalism », dans Continuing Canadian Constitutional Dilemmas (1981), 314. Les tribunaux se sont servis de cette notion descriptive de fédéralisme coopératif pour élaborer un principe juridique qui a été invoqué pour assouplir les doctrines touchant le partage des pouvoirs telles la prépondérance fédérale et l’exclusivité des compétences. Elle est utilisée pour faciliter l’intégration des régimes législatifs fédéraux et provinciaux et éviter l’imposition de contraintes inutiles aux interventions législatives provinciales : voir, p. ex., Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, par. 24 et 43; Renvoi relatif à la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles, [1978] 2 R.C.S. 1198; Fédération des producteurs de volailles du Québec c. Pelland, 2005 CSC 20, [2005] 1 R.C.S. 292, par. 15; Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, [2010] 2 R.C.S. 536, par. 44-45; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134, par. 63. Quant à l’exclusivité des compétences, par exemple, on a employé le principe du fédéralisme coopératif pour expliquer et justifier l’assouplissement d’une interprétation, stricte et fondée sur des compartiments étanches, du partage des compétences législatives qui restreint inutilement l’intervention législative de l’autre ordre de gouvernement : « En l’absence de textes législatifs conflictuels de la part de l’autre ordre de gouvernement, la Cour devrait éviter d’empêcher l’application de mesures considérées comme ayant été adoptées en vue de favoriser l’intérêt public » (Banque canadienne de l’Ouest, par. 37).

[18]                          Toutefois, nous devons également reconnaître les limites du principe du fédéralisme coopératif. La primauté de notre Constitution écrite demeure l’un des préceptes fondamentaux de notre régime constitutionnel : Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 53. Cela est tout particulièrement vrai dans le cas du partage des compétences :

                    [traduction] . . . le texte de la constitution fédérale qui a été interprété péremptoirement par les tribunaux reste très important. Il nous dit qui peut agir, quelle que soit la situation. Autrement dit, sur le plan constitutionnel, il doit toujours être possible dans un pays fédéral de se poser la question « Que se passe-t-il si les gouvernements fédéral et provinciaux ne s’entendent pas sur une mesure de coopération en particulier? » et d’y répondre. Alors quels gouvernement et organe législatif ont le pouvoir de faire quoi? [Nous soulignons; note de bas de page omise.]

 

(Lederman, p. 315)

[19]                          On ne peut donc considérer que le principe du fédéralisme coopératif impose des limites à l’exercice par ailleurs valide d’une compétence législative : Renvoi relatif à la Loi anti-inflation, [1976] 2 R.C.S. 373, p. 421. Notre Cour l’a répété récemment dans son arrêt unanime Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837, par. 61-62 :

                        Bien que les principes de flexibilité et de coopération soient importants pour le bon fonctionnement d’un État fédéral, ils ne peuvent l’emporter sur le partage des compétences ou le modifier. Le Renvoi relatif à la sécession a confirmé que le fédéralisme est un principe constitutionnel sous-jacent qui exige le respect du partage constitutionnel des compétences et le maintien d’un équilibre constitutionnel entre les pouvoirs du fédéral et ceux des provinces.

                        En somme, même si la Cour préconise un fédéralisme coopératif et souple, les frontières constitutionnelles qui sous-tendent le partage des compétences doivent être respectées. Le « courant dominant » du fédéralisme souple, aussi fort soit-il, ne peut autoriser à jeter des pouvoirs spécifiques par-dessus bord, ni à éroder l’équilibre constitutionnel inhérent à l’État fédéral canadien. [Nous soulignons.]

[20]                          À notre avis, le principe du fédéralisme coopératif n’est d’aucune utilité au Québec en l’espèce. Ni la jurisprudence de notre Cour ni le texte de la Loi constitutionnelle de 1867  ne fondent l’emploi de ce principe pour restreindre la portée de la compétence législative ou imposer l’obligation positive de faciliter la coopération lorsque le partage constitutionnel des pouvoirs autorise une intervention unilatérale. En décider autrement minerait la souveraineté parlementaire et créerait un flou juridique chaque fois qu’un ordre de gouvernement adopte une loi qui a une certaine incidence sur les objectifs de politique générale de l’autre. Paradoxalement, une telle approche pourrait décourager la pratique du fédéralisme coopératif par crainte que les mesures de coopération affaiblissent le pouvoir législatif d’un gouvernement d’agir seul.

[21]                          Nous concluons que le principe du fédéralisme coopératif n’empêche pas le Parlement d’exercer une compétence législative qu’il possède par ailleurs pour disposer des données.

B.            Le Québec a-t-il le droit d’obtenir les données?

[22]                          Le Québec prétend avoir le droit de recevoir du gouvernement fédéral les données sur l’enregistrement des armes d’épaule, que le Parlement soit ou non habilité par la Constitution à légiférer relativement au sort des données. Outre le principe du fédéralisme coopératif examiné précédemment, le Québec se fonde sur les conclusions du juge de première instance selon lesquelles les contributions du Québec aux données contenues dans le RCAF font de celles-ci le fruit d’un partenariat fédéral-provincial. Nous soulignons ici qu’il y a un désaccord d’ordre factuel quant à savoir si les données contenues dans le RCAF sont bel et bien le fruit d’un effort de coopération. La Cour d’appel a estimé que les conclusions du juge Blanchard sur ce point tenaient à une erreur de fait manifeste. À notre avis, ce désaccord n’a aucune incidence sur l’issue de la présente affaire.

[23]                          Nous souscrivons à la conclusion de nos collègues les juges LeBel, Wagner et Gascon que le Québec « n’a pas établi de fondement juridique à sa revendication des données » (par. 198), et ce pour trois raisons.

[24]                          Premièrement, nous le répétons, le principe du fédéralisme coopératif ne limite pas la portée des pouvoirs législatifs dévolus par la Constitution.

[25]                          Deuxièmement, le droit allégué du Québec d’obtenir les données prend sa source dans le fait qu’il s’attend à bénéficier d’un accès continu à celles-ci, peu importe les modifications apportées à la loi fédérale. Nous ne pouvons souscrire à l’opinion selon laquelle le fait que les provinces comptent sur l’existence des données peut limiter la capacité du Parlement de détruire un registre qui, comme nous l’expliquerons plus loin, découle exclusivement de son chef de compétence concernant le droit criminel. Si nous retenions cette thèse, cela aurait pour effet de contourner ou d’infirmer concrètement le rejet, par notre Cour, de la théorie de l’« expectative légitime ». Notre Cour a clairement affirmé que l’attente légitime d’une province concernant la mesure que le gouvernement fédéral prendrait ou non, même une attente relative à des considérations financières, ne saurait lier l’intervention législative du Parlement : Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, p. 557-559; voir aussi Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199, par. 59, et Authorson c. Canada (Procureur général), 2003 CSC 39, [2003] 2 R.C.S. 40, par. 39. La thèse du Québec signifierait aussi, par extrapolation, que l’adoption de la Loi sur les armes à feu  a eu un effet contraignant — le maintien des données du RCAF — que le Parlement n’est pas à même de défaire seul. Il faut également rejeter cette conclusion; elle est contraire au principe constitutionnel établi voulant que le Parlement ne puisse entraver, au moyen d’une loi ordinaire, l’exercice futur de son pouvoir de légiférer : Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, par. 119; Hogg, p. 12-8 et 12-9.

[26]                          Troisièmement, même si les données accessibles par l’entremise du RCAF étaient le fruit d’un effort de coopération, comme le fait valoir le Québec, tout effort de sa part était limité de par la loi aux données sur les permis conservées dans le registre des permis de la Contrôleure. La Loi sur les armes à feu  n’a pas habilité cette fonctionnaire à modifier les données recueillies et conservées par le Directeur relativement aux certificats d’enregistrement ou à en ajouter, et la Contrôleure n’a pas agi non plus comme fonctionnaire provinciale en tenant le registre des permis. Puisque l’art. 29 de la LARA vise les données sur l’enregistrement et non celles sur les permis, nous convenons avec la Cour d’appel du Québec que « cette prétention ne permet pas ni de démontrer un droit aux données du RCAF, ni de démontrer que le Québec a participé à la confection du RCAF » : par. 57. De plus, nous faisons remarquer que l’argument du Québec repose sur des ententes intervenues entre le gouvernement fédéral et les provinces de même que sur d’autres éléments de preuve, notamment des documents de la GRC, des ententes de financement fédérales-provinciales et des déclarations de politiciens et bureaucrates concernés. Ces documents juridiques et éléments de preuve sont indéniablement subordonnés à la souveraineté parlementaire et ils peuvent donc être écartés par une loi fédérale valide. Qui plus est, même si, comme le soutient le Québec, aucun obstacle juridique n’empêche le gouvernement fédéral de transférer les données au Québec, l’absence d’un tel obstacle à la prise d’une mesure donnée ne crée pas à elle seule l’obligation juridique de prendre cette mesure.

C.            L’article 29 outrepasse-t-il la compétence du Parlement en matière de droit criminel?

(1)           Principes juridiques applicables

[27]                          La Constitution confère au Parlement le pouvoir exclusif de légiférer notamment à l’égard de « toutes les matières » qui relèvent de « [l]a loi criminelle, sauf la constitution des tribunaux de juridiction criminelle, mais y compris la procédure en matière criminelle » : Loi constitutionnelle de 1867 , par. 91(27) . À cet égard, la Juge en chef a formulé la question constitutionnelle suivante en l’espèce :

                      L’article 29 de la Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule, L.C. 2012, c. 6, outrepasse-t-il les pouvoirs du Parlement en matière de droit criminel que lui confère le par. 91(27)  de la Loi constitutionnelle de 1867 ?

[28]                          Pour répondre à cette question, nous commençons par qualifier la loi, c’est-à-dire établir son objet ou « caractère véritable », puis déterminons si elle se rapporte au droit et à la procédure criminels.

[29]                          L’analyse du « caractère véritable » consiste à établir « [l’]objet principal ou [. . .] [l’]idée maîtresse » de la loi : RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 29. Comme l’ont dit les juges Binnie et LeBel dans Banque canadienne de l’Ouest, par. 26 : « Cette première analyse consiste dans une recherche sur la nature véritable de la loi en question afin d’identifier la “matière” sur laquelle elle porte essentiellement » (nous soulignons). L’objet de l’exercice est de déterminer si la « matière » en cause fait partie d’une catégorie particulière de sujets afin de décider quel ordre de gouvernement peut légiférer. Tant l’objet de la loi que ses effets juridiques et effets concrets sont considérés comme faisant partie de cette analyse : Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, par. 63-64; Québec (Procureur général) c. Lacombe, 2010 CSC 38, [2010] 2 R.C.S. 453, par. 20; Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), 2002 CSC 31, [2002] 2 R.C.S. 146, par. 53-54. Il faut toutefois éviter soigneusement de confondre l’objet de la loi et « les moyens choisis pour réaliser cet objet » : Ward c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 17, [2002] 1 R.C.S. 569, par. 25.

[30]                          Lorsque la contestation vise la disposition précise d’un régime général, l’analyse du caractère véritable a comme point de départ la disposition attaquée : Bande Kitkatla, par. 56. La « matière » de la disposition doit cependant être examinée dans le contexte du régime général, vu que son lien avec ce régime peut être une considération importante lorsqu’il s’agit d’établir son caractère véritable : Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, [2005] 3 R.C.S. 302, par. 20-21.

[31]                          Les tribunaux doivent toutefois prendre garde de donner leur aval à une loi « déguisée », c’est-à-dire une loi qui, de par sa forme, semble porter sur une matière ressortissant à la compétence législative de l’ordre de gouvernement qui l’a adoptée, mais qui traite au fond d’une matière dépassant sa compétence : voir Hogg, p. 15-19; Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297. La théorie du détournement de pouvoir veut simplement dire que [traduction] « la forme n’est pas déterminante lorsqu’il s’agit d’établir le caractère essentiel » : A. S. Abel, « The Neglected Logic of 91 and 92 » (1969), 19 U.T.L.J. 487, p. 494; Hogg, p. 15-20. Les tribunaux sont, à juste titre, réticents à conclure qu’une loi est déguisée : H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, Droit constitutionnel (6e éd. 2014), p. 464. Une application plus étendue de la théorie du détournement de pouvoir risque d’amener les tribunaux à dépasser leur fonction de statuer sur la constitutionnalité d’une loi et à manifester plutôt leur désapprobation soit du principe directeur du texte législatif, soit du moyen par lequel la loi cherche à l’appliquer : Hogg, p. 15-20; voir également Ward, par. 26.

[32]                          Une fois l’objet cerné, la prochaine étape de l’analyse du caractère véritable consiste à classer la loi ou la disposition par rapport au partage des compétences législatives prévu par la Constitution. En l’espèce, nous devons décider si la « matière » de l’art. 29 de la LARA relève du « sujet » du droit criminel, un domaine de compétence attribué au Parlement par le par. 91(27)  de la Loi constitutionnelle de 1867 . Cette classification peut impliquer — et implique souvent — que l’on définisse la nature et l’étendue du ou des chefs de compétence applicables : Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, par. 65. Lorsque la « matière » de la loi relève du « sujet » du domaine de compétence dévolu à l’ordre de gouvernement qui l’a adoptée, la loi est intra vires même si elle a des effets accessoires sur la compétence législative de l’autre ressort (sous réserve de la prépondérance fédérale dans le cas d’une loi provinciale) : Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, par. 49.

[33]                          Cet élément revêt une importance particulière lorsque vient le temps d’examiner la classification d’une loi, comme celle en l’espèce, qui défait un régime antérieur. Pour classer une loi qui défait un régime législatif en vigueur, il faut tenir dûment compte du bon classement de ce régime. Prenez l’exemple de l’abrogation d’une infraction criminelle. La compétence en matière de droit criminel s’étend aux lois qui prévoient une nouvelle interdiction assortie d’une sanction pour réaliser un objet de droit criminel : Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, par. 27. Une loi créant une authentique infraction criminelle possède clairement ces caractéristiques, mais pas une loi abrogeant cette infraction : la deuxième ne prévoit pas une interdiction assortie d’une sanction pour réaliser un objet de droit criminel. Par contre, la loi abrogative ressortit clairement au droit criminel parce que la « matière » de cette loi fait partie du même sujet de droit criminel que la disposition qu’elle vise à abroger. Voilà pourquoi le Québec a clairement raison dans le cas présent de ne pas mettre en doute le pouvoir du Parlement d’abroger le régime d’enregistrement des armes d’épaule, et de limiter sa contestation à l’art. 29 de la LARA qui prévoit la destruction des données. Il y a cependant une lacune fatale dans l’analyse du Québec : en qualifiant le caractère véritable de l’art. 29, il néglige la place qu’occupent les dispositions relatives à la cueillette et à la conservation des données dans le régime général.

(2)           Application

I.               La « matière » de l’art. 29

[34]                          Le Québec prétend essentiellement que l’art. 29 de la LARA vise, de par son caractère véritable, à empêcher le maintien du registre des armes d’épaule par une loi provinciale. Bien que le Québec n’affirme pas que cette « matière » relève d’un ou l’autre des chefs de compétence provinciaux énumérés, il soutient néanmoins que la loi fédérale ne constitue pas un exercice valide de la compétence en droit criminel car elle « empiète de façon massive sur la capacité de la législature provinciale d’exercer comme elle l’entend ses compétences en matière d’administration de la justice, de sécurité publique, de prévention de la criminalité et des coûts sociaux qui lui sont associés » : m.a., par. 122; voir aussi le par. 115. Le Québec se fonde sur plusieurs déclarations du premier ministre et d’autres ministres fédéraux suivant lesquelles l’objectif du Canada est de mettre définitivement un terme au registre des armes d’épaule en détruisant les données contenues dans le RCAF qui sont liées à ces armes, et ils ne feront rien pour aider la province ou le territoire qui souhaite créer un registre régional des armes d’épaule. Toujours selon le Québec, la destruction des données fera en sorte qu’il sera excessivement coûteux et difficile pour lui de créer son propre registre des armes d’épaule. L’article 29 de la LARA constitue donc un empiétement sur les pouvoirs de la province.

[35]                          Selon le Canada, l’art. 29 et les autres dispositions de la LARA partagent le même objet : abolir le registre des armes d’épaule et mettre un terme à ce qu’il considère être une intrusion injustifiée dans la vie privée des propriétaires canadiens d’armes à feu. Le Canada ajoute que les répercussions concrètes de la destruction des données sur les provinces désireuses de créer leur propre régime de contrôle des armes à feu ne modifient pas le caractère véritable de la disposition attaquée.

[36]                          À notre avis, la qualification correcte de la « matière » de l’art. 29 de la LARA est fonction de celle du régime que l’art. 29 défait. Dans le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, notre Cour a conclu que l’interdiction pénale de la possession d’une arme à feu non enregistrée et le régime d’enregistrement prévus par cette loi étaient des mesures valides de sécurité publique. Elle a décidé que le régime avait pour objet de régler « le problème de l’usage abusif des armes à feu et de la menace qu’il constitue pour la sécurité publique » : par. 21. Toujours selon notre Cour, les effets du régime appuyaient la conclusion que la Loi sur les armes à feu  était une mesure de sécurité publique : par. 24. La Cour a rejeté les arguments de l’Ontario et de la Saskatchewan selon lesquels la réglementation des biens dans la province constituait la « matière » des dispositions relatives à l’enregistrement et à la conservation des données, dispositions que l’art. 29 vise à démanteler. Elle a conclu que leur « matière » était la même que celle des autres dispositions du régime — la sécurité publique — et qu’elles devraient donc être considérées comme ayant trait au droit criminel :

                        Nous ne sommes pas convaincus que les dispositions relatives à l’enregistrement peuvent être retranchées de la Loi, ni qu’elles ne servent pas l’objet de sécurité publique poursuivi par le Parlement. Les dispositions relatives aux permis obligent quiconque possède une arme à feu à obtenir un permis. Les dispositions relatives à l’enregistrement exigent l’enregistrement de toutes les armes à feu. La combinaison des deux parties du régime vise à assurer que, lorsqu’une arme à feu change de propriétaire, le nouveau propriétaire ait un permis. Sans système d’enregistrement, cela serait impossible à vérifier. Si une arme à feu est trouvée en la possession d’une personne sans permis, le système d’enregistrement permet au gouvernement d’en déterminer la provenance. Avec un régime d’enregistrement en place, les propriétaires détenant un permis peuvent être tenus responsables de la cession de leurs armes. [. . .] Ces liens multiples démontrent que les dispositions de la Loi sur les armes à feu  relatives à l’enregistrement et aux permis sont toutes deux étroitement liées au but visé par le Parlement, soit la promotion de la sécurité par la réduction de l’usage abusif de toutes les armes à feu. Ces deux catégories de dispositions sont partie intégrante et nécessaire du régime. [Nous soulignons.]

(Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, par. 47)

[37]                          Vue sous cet angle, la « matière » de l’art. 29 consiste uniquement à déterminer ce qu’il adviendra des données recueillies en application d’un régime législatif désormais abrogé. Puisque la Cour a jugé, dans le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, que la sécurité publique constituait la « matière » du régime d’enregistrement et de la collecte de données, le traitement des données après l’abrogation du régime doit partager la même qualification. Il est logique que la LARA indique le sort réservé aux vestiges du régime qu’elle abroge, et la destruction des données est le moyen choisi par le Parlement pour réaliser cet objectif. Cela ne veut pas dire que toute mesure faisant partie de l’abrogation de la loi ou en découlant a invariablement le même caractère véritable que le régime abrogé. Toutefois, en l’espèce, l’objet et les effets de la loi abrogative sont de déterminer ce qu’il adviendra des données recueillies en application du régime maintenant abrogé, que la Cour a déjà qualifié comme se rapportant à la sécurité publique.

[38]                          Nous sommes d’avis que le Québec confond dans son argumentation l’objet de l’art. 29 de la LARA ainsi que les motifs du Canada et le moyen employé par le Parlement. Pour déterminer la nature véritable de l’art. 29, nous ne nous intéressons pas aux questions de savoir s’il est judicieux de détruire les données, si les motifs du Canada étaient valables ou si la destruction de ces données est en conflit avec les objectifs de politique générale du Québec. Nous reconnaissons que le gouvernement fédéral avait fort possiblement comme but ultime d’empêcher le Québec de créer son propre registre des armes d’épaule. Nous convenons aussi que la destruction des données est le moyen choisi par le Canada en raison de son caractère irrémédiable. Cela dit, ces considérations ne dénotent pas un objet « déguisé » du point de vue du partage des compétences. L’intention d’un ordre de gouvernement d’empêcher un autre de réaliser un objectif de politique générale auquel il ne souscrit pas ne mène pas, à elle seule, à la conclusion qu’il y a empiétement sur le champ de compétence exclusive de l’autre ordre de gouvernement. Vu le rejet de la théorie de l’expectative légitime, le fait que l’art. 29 de la LARA a pour effet concret qu’il est plus difficile sur le plan financier pour le Québec de créer son propre régime de contrôle des armes à feu n’a pas d’incidence sur le caractère véritable de la disposition. Comme l’a dit le juge Sopinka dans le Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada, « [d]e simples “répercussions” [sur un droit constitutionnel qui échappe à la compétence du Parlement], prises isolément, ne sont manifestement pas suffisantes pour conclure qu’une loi empiète sur la compétence de l’autre palier de gouvernement » : p. 567. Les effets concrets de l’art. 29 ne nous semblent pas dépasser ce seuil.

[39]                          Le Québec ajoute qu’il est possible de dresser un parallèle entre les faits de l’espèce et ceux de l’affaire Upper Churchill, où notre Cour a conclu qu’une loi terre-neuvienne abrogeant un bail législatif consenti à Hydro-Québec était déguisée parce qu’elle expropriait en fait des droits situés à l’extérieur de la province : p. 335. Cet argument laisse entendre que l’art. 29 excède la compétence du Parlement en matière de droit criminel et constitue une tentative déguisée de légiférer relativement à la propriété et aux droits civils dans la province : voir P. Daly, « Dismantling Regulatory Structures : Canada’s Long-Gun Registry as Case Study » (2014), 33 R.N.D.C. 169, p. 178-180.

[40]                          Nous rejetons cet argument. À l’instar de la Cour d’appel du Québec, nous ne croyons pas que les principes énoncés dans Upper Churchill s’appliquent en l’espèce. Comme nous l’avons déjà dit, l’art. 29 de la LARA ne vise, ni sur le plan du fond ni sur celui de la forme, à limiter le pouvoir législatif du Québec de créer un registre provincial des armes d’épaule, tandis que la loi contestée dans Upper Churchill cherchait à entraver ce pouvoir. L’article 29 ne fait plutôt qu’empêcher le Québec d’utiliser les données obtenues par le biais du registre fédéral des armes d’épaule pour constituer un registre provincial. Le Québec ne soutient pas (et ne peut pas soutenir selon nous) qu’il lui serait possible d’adopter validement une loi qui porte sur le sort réservé aux données du régime abrogé. Par conséquent, l’adoption par le Parlement de l’art. 29 ne saurait constituer une tentative déguisée de légiférer à l’égard d’un chef de compétence provincial. Quoi qu’il en soit, rien ne distingue la forme et le fond des dispositions en cause : leur forme et leur fond traitent tous deux de ce qu’il adviendra des données recueillies en application du régime maintenant abrogé. À notre avis, la théorie du détournement de pouvoir n’est pas en cause dans la présente affaire.

[41]                          En résumé, notre Cour a déjà été appelée, dans le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, à déterminer le caractère véritable du régime mis en place par cette loi. Nous sommes d’avis qu’une loi abrogeant la partie de ce régime portant sur les armes d’épaule ainsi qu’une disposition indiquant ce qu’il adviendra des données recueillies en application du régime maintenant abrogé doivent être qualifiées de la même façon. Nous concluons que l’art. 29 concerne essentiellement la sécurité publique, tout comme le régime d’enregistrement des armes d’épaule abrogé par les autres dispositions de la LARA.

I.               Classification : L’article 29 relève-t-il de la compétence en droit criminel?

[42]                          Le Québec soutient que l’art. 29 ne peut constituer un exercice valide de la compétence du Parlement en droit criminel car il ne vise pas à prévenir le crime ou à décriminaliser une conduite. Nous ne sommes pas de cet avis et nous concluons que l’art. 29 de la LARA ressortit au chef de compétence concernant le droit criminel.

[43]                          Personne ne conteste que l’abrogation de dispositions pénales constitue un exercice valide de la compétence en matière de droit criminel : Hogg, p. 18-21. Nous convenons qu’il existe, dans les faits, une différence entre l’abrogation d’une disposition pénale et le fait d’indiquer ce qu’il adviendra des données recueillies en application de cette disposition. Cela dit, nous estimons qu’il n’y a pas de distinction importante en droit entre ces deux mesures dans la présente affaire parce que les données en cause en l’espèce ont été recueillies exclusivement par l’exercice de la compétence en droit criminel. Le pouvoir d’abroger une disposition de droit criminel doit logiquement être assez large pour habiliter le Parlement à détruire les données recueillies pour l’application d’une telle disposition. Si une loi établissant un régime qui exige la collecte de données est une loi « relativ[e] » au droit criminel, alors une loi prévoyant la destruction de ces données lors de l’abrogation du régime doit aussi être une loi « relativ[e] » au droit criminel. C’est le cas en l’espèce.

[44]                          De plus, l’éventualité que le Parlement n’ait pas le pouvoir de détruire les fichiers relevant de lui et créés en application d’un régime qu’il a validement adopté est troublante. Puisque nous ne voyons pas en quoi les provinces pourraient jouir du pouvoir de détruire les données contenues dans le registre des armes d’épaule mis en place par le fédéral, la thèse du Québec — si elle était retenue — donnerait à penser que ni le Parlement, ni les législatures provinciales ne peuvent légiférer pour détruire les données du régime abrogé. Nous rejetons cette proposition, celle-ci allant à l’encontre du principe que la Loi constitutionnelle de 1867  prévoit un partage complet des compétences entre les deux ordres de gouvernement : Attorney-General for Ontario c. Attorney-General for Canada, [1912] A.C. 571 (C.P.), p. 581; Attorney-General for Canada c. Attorney-General for Ontario, [1937] A.C. 326 (C.P.). Il n’existe aucun sujet à l’égard duquel une loi ne puisse être édictée : Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, 2004 CSC 79, [2004] 3 R.C.S. 698, par. 34. La proposition du Québec est aussi incompatible avec l’idée que le Parlement dispose du pouvoir résiduel de légiférer sur des sujets qui ne relèvent pas d’un chef de compétence provincial : voir, p. ex., Hunt c. T&N plc, [1993] 4 R.C.S. 289, p. 326, et Hogg, p. 17-1 et 17-2.

[45]                          Nous partageons donc l’avis de la Cour d’appel du Québec que l’art. 29 de la LARA devrait être considéré comme ayant trait au droit criminel et qu’il ressortit donc à la compétence législative du Parlement.

IV.        Dispositif du pourvoi

[46]                          Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens devant toutes les cours et de répondre comme suit à la question constitutionnelle :

                    L’article 29 de la Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule, L.C. 2012, c. 6, outrepasse-t-il les pouvoirs du Parlement en matière de droit criminel que lui confère le par. 91(27)  de la Loi constitutionnelle de 1867 ?

Réponse : Non.

                    Les motifs  des juges LeBel, Abella, Wagner et Gascon ont été rendu par

                    Les juges LeBel, Wagner et Gascon (dissidents)

I.          Introduction

[47]                          En 2012, le Parlement adopte la Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les armes à feu, L.C. 2012, c. 6 (titre abrégé Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule (« LARA »)). Cette loi abroge les dispositions de la Loi sur les armes à feu , L.C. 1995, c. 39  (« LAF  »), relatives à l’enregistrement obligatoire des armes d’épaule. Son article 29 prévoit la destruction, dès que possible, de toutes les données accumulées depuis 1998 sur l’enregistrement des armes d’épaule au Canada.

[48]                          D’avis que les données visées découlent d’un partenariat fédéral-provincial, et soucieux de continuer l’enregistrement des armes d’épaule sur son territoire, le gouvernement du Québec demande alors à son homologue fédéral de lui transférer les données québécoises relatives aux certificats d’enregistrement des armes d’épaule. Face au refus de ce dernier, le procureur général du Québec (« PGQ ») entame des procédures judiciaires. Selon lui, la destruction unilatérale de ces données prévue à l’art. 29 de la LARA est inconstitutionnelle sans le transfert préalable de celles-ci au Québec.

[49]                          La Cour supérieure du Québec déclare que l’art. 29 de la LARA est inconstitutionnel et que le Québec a le droit d’obtenir le transfert des données. La Cour d’appel du Québec à l’unanimité infirme ce jugement. Le PGQ se pourvoit devant notre Cour. Nos collègues sont d’avis de rejeter l’appel.

[50]                          Nous sommes d’avis que l’appel doit être accueilli, mais en partie seulement. Cette conclusion s’impose en raison du contexte inusité dans lequel le contrôle des armes d’épaule a été instauré au Canada. Selon nous, et c’est là où nous sommes en désaccord avec nos collègues, tant la collecte des données concernant les armes d’épaule que les initiatives plus larges visant à réglementer l’usage de ces armes se sont effectuées en partenariat avec les provinces, dont le Québec. En présence d’un tel régime intégré, qui fait appel à l’exercice de compétences législatives fédérale et provinciales, une application particulière du cadre d’analyse en matière de partage des compétences est requise. La constitutionnalité du moyen pris par le gouvernement fédéral pour mettre fin à ce partenariat se mesure notamment à l’aune des effets qu’il aura sur les compétences de ses partenaires.

[51]                          La LARA est le moyen qu’a choisi le Parlement pour mettre un terme à son rôle dans le contrôle des armes d’épaule. Mais l’article 29 a une portée plus large que cet objectif, puisqu’il ordonne la destruction des données en cause sans possibilité de transfert préalable aux partenaires provinciaux, ce qui les empêche de s’en servir dans l’exercice de leurs compétences. Cette disposition a des effets considérables sur les compétences législatives du Québec et n’est pas nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi par la LARA. L’article 29 est donc inconstitutionnel et doit être déclaré invalide.

[52]                          Si l’article 29 est, selon nous, inconstitutionnel, le PGQ n’a cependant pas été en mesure d’établir un fondement juridique à sa demande de transfert forcé des données. La détermination des modalités d’un tel transfert relève des gouvernements concernés, non des tribunaux.

II.      Mise en contexte

[53]                          L’historique de la réglementation des armes à feu au Canada remonte aux débuts de l’histoire du pays : « Le Canada a des lois en matière de possession et d’utilisation d’armes à feu depuis 1877, et un système de permis pour le port des petites armes est en vigueur depuis 1892 dans tout le pays » (Bibliothèque du Parlement, «  Projet de loi C-19 : Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les armes à feu », Résumé législatif no 41-1-C19-F, 1er novembre 2011 (« Résumé législatif »), p. 1).  Depuis 1969, les armes sont divisées en trois catégories pour les besoins de la réglementation : les armes prohibées, les armes à autorisation restreinte et les armes sans restriction (aussi appelées « armes d’épaule ») (Loi de 1968-69 modifiant le droit pénal, S.C. 1968-69, c. 38, art. 6). Initialement, la réglementation des armes à feu met l’accent sur les armes prohibées et les armes à autorisation restreinte. Durant les années 1970 et 1980, le mécontentement concernant la disparité de traitement entre les armes d’épaule et les deux autres catégories d’armes à feu augmente. Divers groupes désireux d’intensifier la réglementation des armes d’épaule lancent des débats importants sur la sécurité publique : voir R. B. Brown, Arming and Disarming : A History of Gun Control in Canada (2012), p. 167-203.  Leurs efforts demeurent vains.

[54]                          La tragédie survenue à l’École Polytechnique à Montréal le 6 décembre 1989 ébranle la population canadienne.  À la suite de ce drame, l’intervenante la Coalition pour le contrôle des armes s’organise au début des années 1990 et entreprend des démarches auprès du gouvernement canadien et de diverses organisations pour accroître le contrôle des armes à feu : Brown, p. 204-207. Après de longs débats et malgré quelques échecs, ses efforts aboutissent quelques années plus tard.

[55]                          En 1994, le ministre fédéral de la Justice annonce son intention de resserrer le contrôle des armes à feu. En présentant le projet de loi C-68 (qui deviendra la LAF ) à la Chambre des communes, le ministre met l’accent sur un élément clé, soit la nécessité et l’utilité d’un système d’enregistrement des armes d’épaule. Il insiste sur le rôle important qu’auront les provinces dans la conception même de ce système. Il déclare notamment ce qui suit :

     Ces derniers mois, j’étais continuellement en contact avec des hauts fonctionnaires et même mes homologues provinciaux, les procureurs généraux et les ministres de la Justice, pour échanger des idées sur les projets que nous avons élaborés et que nous annoncerons cet après-midi.

 

(Débats de la Chambre des communes, vol. 133, no 134, 1re sess., 35e lég., 30 novembre 1994, p. 8476)

Nous pouvons profiter du fait qu’il nous faudra concevoir et mettre en œuvre un tel système, en collaboration avec les autorités provinciales et les groupes de propriétaires d’armes à feu, pour éliminer les irritants, réduire la paperasserie, simplifier le système et le rationaliser, afin d’atteindre simultanément tous nos objectifs.

(Débats de la Chambre des communes, vol. 133, no 154, 1re sess., 35e lég., 16 février 1995, p. 9709)

[56]                          Au moment de l’adoption de la LAF , nul ne conteste que la collaboration des provinces soit un élément crucial de la mise en place d’un système d’enregistrement. Par exemple, le député Stephen Harper (plus tard premier ministre) s’adresse en ces termes à la Chambre :

Certes, c’est le ministère de la Justice qui assume la responsabilité globale du contrôle des armes à feu, mais l’administration du programme est surtout l’affaire des gouvernements provinciaux et territoriaux, des contrôleurs des armes à feu et des forces de police locales.

(Débats de la Chambre des communes, vol. 133, no 216, 1re sess., 35e lég., 12 juin 1995, p. 13631)

[57]                          Au Québec, l’utilité du programme fait consensus. Cependant, un débat naît quant au caractère suffisant des remboursements pour les coûts de la mise en vigueur et de l’application du programme proposés par le gouvernement fédéral aux provinces qui souhaitent y participer : voir, p. ex., Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, vol. 34, no 49, 1re sess., 35e lég., 23 mai 1995 (en ligne), à 14:40, M. Brassard (ministre de l’Environnement et de la Faune). D’autres provinces partagent cette inquiétude :

     On m’a dit que les fonds que les provinces reçoivent ne sont pas suffisants pour couvrir leurs coûts. . .

 

     La dernière offre du gouvernement fédéral ne représente qu’environ les deux tiers du coût réel de ces programmes.

(Débats de la Chambre des communes, 12 juin 1995, p. 13631)

[58]                          Dès qu’elle reçoit sa sanction royale la veille du sixième anniversaire de la tragédie de l’École Polytechnique, la LAF  suscite la controverse. En 1996, l’Alberta conteste sa validité constitutionnelle, prétendant qu’elle outrepasse les compétences législatives du Parlement. Dans un arrêt unanime, notre Cour rejette cette prétention et juge que la LAF  relève de la compétence fédérale en droit criminel : Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783 (« Renvoi sur la LAF  »). Nous reviendrons sur cette question plus loin.

[59]                          L’entrée en vigueur de la LAF le 1er décembre 1998 marque la mise en place de l’enregistrement de toutes les armes à feu au Canada, y compris les armes d’épaule. Désormais, sauf exception, un particulier qui acquiert ou possède tout type d’arme au Canada doit détenir un permis de possession d’arme à feu ainsi que le certificat d’enregistrement spécifique de cette arme : art. 4 à 14 et 112 (abr. art. 27 LARA) LAF ; art. 90  et 91  du Code criminel , L.R.C. 1985, c. C-46 . Précisons qu’il est nécessaire d’être titulaire d’un permis pour obtenir le certificat : art. 13  LAF .

[60]                          À cet égard, la LAF  crée deux types de registres : le Registre canadien des armes à feu (« RCAF »), tenu par le directeur de l’enregistrement (« Directeur »), et les registres des contrôleurs des armes à feu (« Contrôleurs ») (art. 83  et 87  LAF ). Alors qu’il n’y a qu’un seul Directeur au Canada, chaque province ou territoire a son propre Contrôleur. Les Contrôleurs des territoires sont nommés par le ministre fédéral de la Sécurité publique et de la Protection civile : par. 2(1) « contrôleur des armes à feu » LAF . Cependant, ce n’est qu’à défaut d’une nomination provinciale que ce ministre désigne le Contrôleur pour une province : ibid.  Au moment de l’adoption de la LAF , cinq provinces désignent leur Contrôleur : l’Ontario, le Québec, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse (Gendarmerie royale du Canada (« GRC »), Services d’évaluation du programme national, Programme canadien des armes à feu de la GRC : Évaluation, Rapport final approuvé, février 2010 (en ligne) (« Évaluation PCAF »), p. 7; affidavit de Pierre Perron (commissaire adjoint à la GRC et directeur général du PCAF), 5 avril 2012, dossier conjoint (« d.c. »), vol. 3, par. 10).

[61]                          Aux termes de la LAF , le Directeur délivre les certificats d’enregistrement pour chaque arme à feu : art. 60. Pour leur part, les Contrôleurs délivrent les permis de possession ainsi que les autorisations de port et transport d’armes à feu appartenant à des personnes ou entreprises de leur province : art. 56  et 57  LAF . Le RCAF renferme notamment l’information sur les certificats d’enregistrement et les registres des Contrôleurs celle sur les permis et autorisations de port d’armes. L’article 90  de la LAF  garantit un accès réciproque par le Directeur et par les Contrôleurs à leurs registres respectifs.

[62]                          Le Système canadien d’information relativement aux armes à feu (« SCIRAF ») (il était autrefois connu sous le nom de Système canadien d’enregistrement des armes à feu (« SCEAF »)) permet la mise en commun du RCAF tenu par le Directeur et des registres tenus par les Contrôleurs. Le SCIRAF est aujourd’hui administré par la GRC et permet l’accès à toutes les informations dont la tenue est exigée par la LAF . Cependant, le Directeur est le seul à pouvoir modifier les renseignements inscrits au RCAF et les Contrôleurs sont les seuls à pouvoir modifier les fichiers de leur propre registre : Règlement sur les registres d’armes à feu, DORS/98-213, par. 7(1) et (2).

[63]                          La tenue du RCAF et des registres des Contrôleurs s’inscrit dans le cadre plus large du Programme canadien des armes à feu (« PCAF »). Le PCAF comporte de multiples volets, dont la réglementation des armes à feu, la formation et l’appui des forces policières et des intervenants du système de justice pénale, l’éducation des détenteurs d’armes et la sensibilisation de la population : Évaluation PCAF, p. 5-6.  Plusieurs aspects du PCAF — à titre d’exemple, le cours de sécurité de maniement des armes à feu obligatoire pour les détenteurs d’armes à feu — sont développés avec la collaboration et l’appui des provinces : affidavit de Pierre Perron, par. 7 et pièce A.

[64]                          En 2006, un nouveau gouvernement fédéral entre en fonction. Dès le début de son mandat, il annonce une amnistie pour les propriétaires d’armes d’épaule contre d’éventuelles sanctions pour avoir fait défaut d’enregistrer leurs armes d’épaule ou de renouveler leur permis de possession : Décret fixant une période d’amnistie (2006), DORS/2006-95. Année après année, la période d’amnistie est prolongée, et décriminalise de facto l’omission d’obtenir un permis et d’enregistrer les armes d’épaule : DORS/2007-101, DORS/2008-147, DORS/2009-139, DORS/2010-104, DORS/2011-102, DORS/2013-96 et DORS/2014-123.  Malgré cela, la GRC et ses partenaires continuent d’administrer le PCAF, y compris sa composante relative aux armes d’épaule.

[65]                          Le 25 octobre 2011, après la mort au feuilleton de plusieurs projets de loi et un débat public animé, le projet de loi C-19 est présenté à la Chambre des communes : Débats de la Chambre des communes, vol. 146, no 036, 1re sess., 41e lég., p. 2437.  Il vise à supprimer l’obligation d’enregistrement des armes d’épaule et à provoquer la destruction des données relatives à celles-ci. Seule la portion du RCAF relative à ces armes est touchée par le projet de loi et fait l’objet du pourvoi. L’article 29 du projet de loi C-19, qui deviendra l’art. 29 de la LARA, énonce ceci :

29. (1) Le commissaire aux armes à feu veille à ce que, dès que possible, tous les registres et fichiers relatifs à l’enregistrement des armes à feu autres que les armes à feu prohibées ou les armes à feu à autorisation restreinte qui se trouvent dans le Registre canadien des armes à feu, ainsi que toute copie de ceux-ci qui relève de lui soient détruits.

 

     (2) Chaque contrôleur des armes à feu veille à ce que, dès que possible, tous les registres et fichiers relatifs à l’enregistrement des armes à feu autres que les armes à feu prohibées ou les armes à feu à autorisation restreinte qui relèvent de lui, ainsi que toute copie de ceux-ci qui relève de lui soient détruits.

 

     (3) Les articles 12 et 13 de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada  et les paragraphes 6(1)  et (3)  de la Loi sur la protection des renseignements personnels  ne s’appliquent pas relativement à la destruction des registres, fichiers et copies mentionnés aux paragraphes (1) et (2).

[66]                          Fort de l’appui de ses policiers et d’une grande partie de sa population, le gouvernement du Québec fait connaître son opposition aux tentatives du gouvernement fédéral de mettre fin à l’enregistrement des armes d’épaule. De 2006 à 2011, l’Assemblée nationale adopte au moins six motions dénonçant les divers projets de loi du gouvernement fédéral, demandant aux députés fédéraux de voter contre ces mesures et exigeant le maintien du RCAF.  Le 2 novembre 2011, elle adopte à l’unanimité une nouvelle motion qui demande cette fois au Contrôleur québécois des armes à feu de « pren[dre] toutes les mesures nécessaires afin de préserver l’intégralité des données provenant du Québec inscrites au registre des armes à feu » : Journal des débats, vol. 42, no 57, 2e sess., 39e lég., 2 novembre 2011, p. 3131.

[67]                          Deux semaines plus tard, le ministre de la Sécurité publique du Québec comparaît devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes pour demander le maintien du RCAF ou, à défaut, la modification du projet de loi C-19 afin de retirer les dispositions relatives à la destruction des données, soit l’art. 29 : Chambre des communes, Témoignages devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale, no 012, 1re sess., 41e lég., 17 novembre 2011, p. 1-2. Le ministre écrit aussi à son homologue fédéral et lui demande de convenir des modalités de transfert des données inscrites au SCIRAF concernant les citoyens québécois. Il souligne qu’il s’agirait là « d’une belle occasion pour le gouvernement fédéral de traiter ce dossier dans l’esprit d’un fédéralisme coopératif où les objectifs collectifs du Québec [. . .] seraient respectés et non contrecarrés » : lettre du 2 décembre 2011, d.c., vol. 10, p. 161.

[68]                          Enfin, le 6 décembre 2011, l’Assemblée nationale vote une autre motion demandant au gouvernement du Québec « d’intenter un recours juridique visant à maintenir le registre fédéral des armes d’épaule et [. . .] en assurer la préservation des données, avant que l’abolition de ce registre entraîne leur destruction avec l’adoption du projet de loi C-19 » : Journal des débats, vol. 42, no 72, 2e sess., 39e lég., 6 décembre 2011, p. 3643.  Le 13 décembre, devant l’absence de réaction du gouvernement fédéral, le ministre de la Sécurité publique du Québec annonce que son gouvernement entreprendra des poursuites judiciaires pour récupérer les données concernant les certificats d’enregistrement des armes d’épaule des citoyens québécois. Il précise qu’advenant un jugement favorable des tribunaux, un projet de loi sera déposé à l’Assemblée nationale pour mettre en place un registre québécois des armes d’épaule à partir des données obtenues du gouvernement fédéral : Communiqué de presse du ministre de la Sécurité publique, 13 décembre 2011, d.c., vol. 10, p. 48-49.

III.       Historique judiciaire

[69]                          Le 2 avril 2012, trois jours avant l’entrée en vigueur de la LARA, le PGQ dépose devant la Cour supérieure du Québec une requête en jugement déclaratoire, en injonction interlocutoire provisoire, en injonction permanente et en ordonnances de sauvegarde. Le PGQ demande de déclarer l’art. 29 de la LARA inconstitutionnel. Il sollicite aussi une ordonnance qui obligerait le gouvernement fédéral à lui transférer les données québécoises sur les armes d’épaule.

A.           Cour supérieure du Québec, 2012 QCCS 4202, [2012] R.J.Q. 1895

[70]                          Le juge Blanchard de la Cour supérieure accueille la requête du PGQ. Il convient d’analyser son jugement sous trois angles : (1) le contexte factuel; (2) la constitutionnalité de l’art. 29 de la LARA; et (3) le droit du Québec d’obtenir les données.

(1)           Contexte factuel

[71]                          En premier lieu, le juge Blanchard fait observer que la LAF  crée une distinction entre les registres tenus respectivement par le Directeur (pour l’enregistrement des armes) et par un Contrôleur (pour la délivrance des permis) (par. 27).

[72]                          Le juge constate ensuite que les « renseignements colligés [des deux registres] se trouvent regroupés dans [un] registre central informatisé complexe, le SCIRAF » (par. 28). Il souligne également que l’« architecture de la LAF  fait en sorte que le Directeur et les Contrôleurs se trouvent sur un même niveau quant à leur accessibilité aux données » (par. 72).

[73]                          Selon le juge de première instance, le Québec contribue à « colliger, analyser, organiser et modifier » les données dans le registre (par. 151), lequel découle des efforts concertés des gouvernements municipaux, provinciaux et fédéral (par. 102). L’implantation du registre crée donc un partenariat, notamment quant aux données qu’il contient (par. 192).  

[74]                          Le juge Blanchard considère que les données en question ne peuvent être qualifiées uniquement de « données fédérales », compte tenu du fait qu’elles sont assujetties aux lois fédérales et québécoises applicables en matière d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels (par. 82). Il écrit ceci :

     Le tribunal doit reconnaître un effet réel et concret à cette volonté, clairement exprimé [sic] par le Canada et le Québec, de soumettre l’ensemble des renseignements recueillis à deux juridictions, et ce, de façon concurrente, ce qui doit signifier, en pratique, quelque chose. [par. 83]  

[75]                          Selon lui, le partenariat s’étend par ailleurs au-delà de la question des données; il comprend aussi l’implantation du PCAF (par. 73), l’administration efficace de la LAF  (par. 83) ainsi que l’exercice conjoint et complémentaire des compétences fédérale et provinciales en la matière (par. 104).

[76]                          Le juge conclut qu’il « existe un écheveau complexe entre les autorités fédérales, provinciales et municipales qui tisse la toile du registre des armes à feu, ce qui fait en sorte que celui-ci ne pouvait exister sans l’étroite et constante collaboration de chacun » (par. 192).

(2)           Constitutionnalité de l’art. 29 de la LARA

[77]                          Le juge Blanchard rappelle qu’une conception plus souple du fédéralisme que celle adoptée autrefois par le Comité judiciaire du Conseil privé, fondée sur la coopération plutôt que l’exclusivité des compétences, sous-tend les décisions rendues par notre Cour depuis 1949 (par. 52-53). Il rappelle également que notre jurisprudence depuis 1998 « énonce une conception de l’interprétation des pouvoirs constitutionnels basée sur la coopération plutôt que sur le strict respect des compétences » (par. 71).

[78]                          Le juge note l’importance que revêt le Renvoi sur la LAF  en l’espèce (par. 63-66). Dans cet arrêt, notre Cour a conclu à l’absence d’indices d’empiétement déguisé dans un domaine de compétence provinciale au moment de l’adoption de la LAF . Elle a jugé aussi que l’analyse des dispositions de la LAF  révélait l’absence de motif inapproprié ou d’appropriation d’un pouvoir provincial sous le couvert du droit criminel.

[79]                          Le juge Blanchard précise que le PGQ ne conteste pas que le Canada agit dans son domaine de compétence en abrogeant le système d’enregistrement des armes d’épaule. Le recours demande plutôt au tribunal de décider si la destruction des données prévue à l’art. 29 se rattache à la compétence fédérale en droit criminel (par. 87). Le juge estime que, par son caractère véritable, cette disposition ne se rattache pas à cette compétence. Elle ne réprime pas un mal et elle n’énonce ni interdiction, ni sanction (par. 125). Selon ce qui se dégage des déclarations faites par le premier ministre du Canada, le ministre des Affaires intergouvernementales et la secrétaire parlementaire du ministre de la Justice, il est d’avis que la volonté du législateur fédéral est plutôt de nuire à tout autre législateur provincial (par. 136-139).

[80]                          Compte tenu de sa conclusion sur le caractère véritable de l’art. 29, le juge Blanchard examine la doctrine du pouvoir accessoire. Il rappelle que la gravité du débordement s’étudie en fonction des faits propres à chaque espèce et que les éléments d’analyse développés dans l’affaire General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, peuvent en guider l’examen (par. 129). Ces éléments incluent la portée des chefs de compétence en jeu, la nature de la disposition contestée et la préexistence d’une loi dans le domaine en question. Le juge relève toutefois que « cette grille d’analyse apparaît incongrue [ici] parce que l’article 29 de C-19 constitue, en réalité, une disposition législative qui ne met en place, stricto sensu, aucune compétence juridictionnelle puisqu’elle vise, tant dans son intention que dans sa portée, à empêcher tout autre palier de gouvernement de légitimement utiliser les données consignées au registre » (par. 130). À ses yeux, « [c]ette situation, inédite dans les annales constitutionnelles canadiennes, justifie une approche analytique qui tient compte de ce contexte » (par. 131).  

[81]                          Le juge Blanchard conclut que l’art. 29 vise à empêcher les provinces d’exercer leurs pouvoirs dans leurs propres champs de compétences. Partant, la disposition déborde de façon très substantielle — même « exorbitante » — sur les pouvoirs provinciaux, sans qu’elle ne soit nécessaire ni rationnellement liée à l’objectif de la LARA (par. 135). À ce propos, il rappelle que dans le Renvoi sur la LAF , notre Cour a décidé que le système d’enregistrement des armes à feu était étroitement relié à l’administration du registre des permis — qui, lui, demeure en place — et à l’objectif de promouvoir la sécurité en réduisant l’usage abusif des armes à feu (ibid.). Il souligne également que la décriminalisation du défaut d’enregistrer les armes d’épaule peut se réaliser sans la destruction des données (par. 140). D’ailleurs, aucun des projets de loi antérieurs ne prévoyait cette destruction (par. 141).

(3)           Droit du Québec d’obtenir les données

[82]                          D’avis que l’art. 29 est inconstitutionnel, le juge Blanchard se penche alors sur le transfert des données que revendique le PGQ. Puisque, selon lui, les données visées par l’art. 29 sont le fruit d’un partenariat entre le Canada et les provinces, il considère qu’elles n’ont pas de « propriétaire » et ne relèvent pas d’un seul ordre de gouvernement. En conséquence, le Québec peut les obtenir (par. 148-149). Le juge affirme ceci : « Il rebute au sens commun, pour ne pas dire au bien commun, que l’on puisse empêcher le Québec d’utiliser les données qu’il participe à colliger, analyser, organiser et modifier » (par. 151).

[83]                          Le juge Blanchard rappelle que les données ont été recueillies en vertu de formulaires qui dévoilent clairement tant l’interaction entre les gouvernements fédéral et provinciaux que la finalité de leur utilisation (soit l’application de la législation relative aux armes à feu) (par. 154). Ainsi, le fait que ce soit le Québec, plutôt que le Canada, qui collige désormais ces données pour une fin identique « ne peut donner ouverture à une légitime contestation » (par. 155).

B.            Cour d’appel du Québec, 2013 QCCA 1138, [2013] R.J.Q. 1023

[84]                          Le 27 juin 2013, la Cour d’appel du Québec accueille à l’unanimité l’appel du procureur général du Canada (« PGC »). Elle infirme le jugement de première instance et rejette la requête en déclaration d’invalidité constitutionnelle du PGQ.

(1)           Contexte factuel

[85]                          En premier lieu, la Cour d’appel conclut que le jugement de la Cour supérieure est confus et erroné quant à la nature du registre en litige. Selon elle, le juge Blanchard confond le SCIRAF et le RCAF (par. 28); elle est d’avis que « le SCIRAF est uniquement un système d’accès électronique aux registres tenus par le Directeur et les contrôleurs » (par. 31). La Cour d’appel écarte aussi d’autres conclusions de fait du premier juge, notamment celles voulant que le RCAF résulte d’un partenariat entre les provinces et le gouvernement fédéral, et que le Contrôleur québécois exerce un certain contrôle sur le RCAF et l’ait alimenté (par. 29 et 56). Pour la Cour d’appel, le RCAF est un registre qui est tenu par le Directeur et qui demeure indépendant et distinct des autres registres tenus par les Contrôleurs. Le SCIRAF permet simplement aux Contrôleurs d’accéder aux données du RCAF, tout comme le font divers organismes — fédéraux, provinciaux ou municipaux — chargés d’assurer la sécurité publique (par. 28).

(2)           Constitutionnalité de l’art. 29 de la LARA

[86]                          En second lieu, la Cour d’appel considère que l’art. 29 relève de la compétence législative du Parlement. Elle insiste sur l’illogisme d’un raisonnement voulant que le Parlement ne possède pas le pouvoir de modifier une loi ou de détruire les données d’un registre qu’il a lui-même créé (par. 37 et 45).

[87]                          La Cour d’appel infirme la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’adoption de l’art. 29 vise à empêcher le Québec d’utiliser les données du registre. Elle rejette l’argument du PGQ fondé sur le Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297 (« Upper Churchill »). Dans cette affaire, la province de Terre-Neuve avait adopté une loi qui lui rétrocédait le droit d’utiliser l’eau et les droits reliés à l’énergie produite aux chutes Churchill (motifs de la Cour d’appel, par. 41). Par une loi antérieure, la province avait cédé ces droits à la compagnie Churchill Falls (Labrador) Corp., qui avait ensuite signé un contrat de vente d’énergie avec Hydro-Québec. La province invoquait notamment son pouvoir d’abroger une loi existante pour rendre cette cession inopérante. Notre Cour a conclu qu’il s’agissait là d’une loi déguisée, qui avait pour seul but de modifier le contrat d’énergie et ainsi faire échec aux droits d’Hydro-Québec, et qui outrepassait les compétences territoriales de la province. Pour la Cour d’appel, l’arrêt Upper Churchill se distingue de la présente affaire, dans la mesure où le gouvernement fédéral entend détruire un registre qu’il a lui-même créé. Le législateur fédéral n’empêche pas les provinces de créer leur propre registre; il refuse simplement de collaborer à une telle initiative (ibid., par. 42).

[88]                          Examinant ensuite la doctrine de la compétence accessoire, la Cour d’appel estime que, comme la LARA abolit un régime dont la création a été jugée valide, elle ne saurait davantage déborder sur une compétence provinciale que ne le faisait la loi qui l’a créé (par. 49). La cour reproche au juge de première instance de s’être servi du principe du fédéralisme coopératif « non pas comme simple moyen d’interprétation, mais comme une assise de droit pour déclarer “inopérantˮ l’article 29 de la loi » (par. 54). 

(3)           Droit du Québec d’obtenir les données

[89]                          En dernier lieu, la Cour d’appel refuse de reconnaître au Québec le droit de recevoir les données. Sa décision repose sur trois fondements.

[90]                          Premièrement, elle conclut que le Québec ne possède aucun droit réel sur les données du RCAF, car il n’exerce aucun contrôle sur ces données (par. 55). Selon les juges d’appel, la preuve révèle que le Contrôleur québécois n’a jamais alimenté le RCAF, alors que le SCIRAF ne permet que l’accès aux données colligées indépendamment par le Directeur et les Contrôleurs (par. 56).

[91]                          Deuxièmement, la Cour d’appel est d’avis que, dans l’exercice de ses fonctions, le Contrôleur ne représente pas le Québec. En effet, ses pouvoirs relèvent de la loi fédérale, la LAF , qui a créé son poste (par. 58-59).

[92]                          Troisièmement, la Cour d’appel juge qu’il n’existe pas de partenariat entre le Québec et le Canada concernant la collecte et la conservation des données visées par l’art. 29. Les accords financiers entre le Québec et le Canada n’ont pas créé de partenariat : ils établissent simplement une entente au sujet du remboursement de certaines dépenses engagées par le Québec pour l’administration de la LAF  sur son territoire (par. 61-63). En conséquence, rien ne pourrait justifier un transfert.

[93]                          Selon la Cour d’appel, « [l]e remède retenu par le juge, de contraindre le gouvernement fédéral à continuer de colliger les données, était ici clairement inapproprié. L’était aussi l’obligation de transférer ces données à un registre provincial à venir » (par. 64).

IV.       Les questions en litige

[94]                          Devant notre Cour, le PGQ ne remet pas en question le pouvoir du gouvernement fédéral d’abroger les dispositions de la LAF  visant l’enregistrement des armes d’épaule. Comme l’écrit à juste titre la Cour d’appel, il serait illogique et contraire au principe de la souveraineté parlementaire que le Parlement ne puisse abroger une loi qu’il a lui-même édictée. Rappelons également que le pouvoir des provinces de tenir un registre des armes d’épaule n’est pas contesté non plus. Par contre, le PGQ soutient que l’art. 29, qui vise la destruction unilatérale des données relatives aux armes d’épaule, est inconstitutionnel. Il avance en outre que le gouvernement fédéral ne peut refuser de transmettre ces données au Québec avant de les détruire.

[95]                          Vu les enjeux que soulève le pourvoi, la Juge en chef du Canada a formulé la question constitutionnelle suivante :

L’article 29 de la Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule, L.C. 2012, c. 6, outrepasse-t-il les pouvoirs du Parlement en matière de droit criminel que lui confère le par. 91(27)  de la Loi constitutionnelle de 1867 ?

[96]                          Pour y répondre, nous devons traiter de quatre questions :

(1)     Quels sont le fondement constitutionnel et la nature du registre en cause, notamment à la lumière du Renvoi sur la LAF ?

 

(2)     Existe-t-il un partenariat fédéral-provincial en ce qui concerne l’organisation et la gestion du PCAF et, dans l’affirmative, quelles sont les conséquences de ce partenariat au regard du fédéralisme?

 

(3)     Eu égard au cadre d’analyse constitutionnel applicable, l’art. 29 de la LARA est-il invalide?

 

(4)     Dans l’affirmative, quelle est la réparation convenable en l’espèce?

V.           Analyse

A.           Le registre en cause

(1)           Fondement constitutionnel du registre

[97]                          Le point de départ de l’analyse du fondement constitutionnel du RCAF est l’opinion exprimée par notre Cour dans le Renvoi sur la LAF . Dans cette affaire, l’Alberta contestait la validité de la LAF , et plus particulièrement des dispositions relatives aux permis et à l’enregistrement des armes d’épaule. La Cour était donc invitée à se prononcer sur les assises constitutionnelles de la création d’un registre des armes à feu par le gouvernement fédéral et de l’obligation d’enregistrer les armes d’épaule. Précisons que, au moment de ce renvoi, le RCAF n’était pas en place et les effets concrets de la LAF  ne s’étaient pas encore matérialisés. 

[98]                          Dans une opinion unanime, notre Cour a jugé que, dans son ensemble, la LAF  relevait de la compétence du Parlement en matière de droit criminel :

De par son « caractère véritable », [la LAF ] vise à améliorer la sécurité publique en régissant l’accès aux armes à feu, au moyen d’interdictions et de sanctions et, de ce fait, elle relève de la compétence fédérale en matière de droit criminel. Bien que la loi comporte des aspects de réglementation, ceux-ci sont accessoires à son objet premier, qui a trait au droit criminel.  L’empiétement de la loi sur la compétence provinciale sur la propriété et les droits civils n’est pas important au point de rompre l’équilibre du fédéralisme. [Nous soulignons.]

 

(Renvoi sur la LAF , par. 4)

[99]                          Parmi les aspects de réglementation qu’évoque la Cour dans ce passage, mentionnons les dispositions de la LAF  relatives aux permis, à l’enregistrement des armes d’épaule et à la tenue d’un registre. La tenue d’un registre des armes d’épaule est, a priori, du ressort des provinces. En principe, la réglementation des biens se trouvant sur le territoire d’une province relève de la compétence de celle-ci en matière de propriété et de droits civils, sauf dans la mesure où les biens relèvent par ailleurs d’une compétence fédérale énumérée : Loi constitutionnelle de 1867 , art. 91  et par. 92(13) . La constitutionnalité de ces dispositions s’appuie donc sur leur caractère accessoire par rapport à l’objet principal de la LAF , lequel se rattache au droit criminel.

[100]                      En outre, si le parallèle entre la réglementation des armes à feu dans la LAF et la réglementation par les provinces de biens tels que les droits immobiliers et les automobiles n’a pas été retenu par la Cour (Renvoi sur la LAF , par. 41-43), ce parallèle est tout de même pertinent à l’égard des dispositions — prises individuellement — prévoyant la collecte d’informations sur les armes d’épaule. Relativement au caractère accessoire de ces dispositions, trois conclusions de notre Cour revêtent ici une importance particulière.

[101]                      Premièrement, selon la Cour, la LAF  « ne nui[sait] pas de façon importante à la capacité des provinces de réglementer la propriété et les droits civils relativement aux armes à feu »  : Renvoi sur la LAF , par. 51. C’est donc dire que les dispositions relatives à l’enregistrement des armes à feu n’empiétaient pas indûment sur les compétences provinciales : voir aussi le par. 58.

[102]                      Deuxièmement, rien n’indiquait que le Parlement avait agi pour un motif inapproprié ou pour s’approprier un pouvoir provincial sous le couvert du droit criminel : Renvoi sur la LAF , par. 53.

[103]                      Troisièmement, de l’avis de la Cour, le système permettant de surveiller le processus de cession des armes à feu et l’usage abusif de ces armes comportait deux catégories de dispositions (enregistrement et permis) qui étaient « partie intégrante et nécessaire du régime » : Renvoi sur la LAF , par. 47.

[104]                      En somme, notre Cour a reconnu la validité de la LAF , y compris des dispositions sur l’enregistrement des armes d’épaule, parce qu’elle ne portait pas atteinte à l’équilibre du fédéralisme : voir Renvoi sur la LAF , par. 4, 53 et 58. La reconnaissance de la validité constitutionnelle du RCAF découle directement de cette conclusion. Si le RCAF se comprend sous cet éclairage, il est tout aussi important d’en cerner la nature exacte, bref de bien identifier les contours de la chose dont on souhaite la destruction par le biais de l’art. 29. 

(2)           Nature du registre

[105]                      Le juge de première instance et les juges d’appel ont tiré des conclusions opposées sur la nature du registre en litige. Le juge Blanchard s’est concentré sur le SCIRAF et a conclu que les données qu’il contenait, dont celles visées par l’art. 29, provenaient à la fois du Directeur et des Contrôleurs. Pour sa part, la Cour d’appel a estimé que le juge Blanchard s’est mépris sur la nature des registres mis en place par la LAF . Selon elle, le SCIRAF n’est qu’un système d’accès aux données, et non un registre en soi. Elle est également d’avis que les Contrôleurs ne participent pas à l’alimentation du RCAF.

[106]                      Il est vrai que la décision de première instance est parfois confuse sur la désignation des divers registres établis par la LAF . Cependant, cette confusion n’est pas déterminante quant à la nature du véritable registre en cause et des données qu’il contient. À l’inverse, la Cour d’appel a limité son analyse aux registres mentionnés par la LAF , sans par ailleurs examiner comment ils ont été mis en œuvre. Il convient de revoir certains éléments factuels pour bien cerner la nature du registre au cœur du débat.

[107]                      Certes, la LAF et ses règlements prévoient — point sur lequel insiste d’ailleurs le PGC — que le Directeur et les Contrôleurs doivent chacun tenir un « registre » distinct : par. 83(1) et 87(1). En pratique par contre, pour la mise en œuvre de cette législation, le gouvernement a choisi de créer un registre central, le SCIRAF, qui est alimenté par les renseignements saisis tant par le Directeur que par les Contrôleurs. Le fait de suggérer que les renseignements qui émanent respectivement du Directeur et des Contrôleurs sont indépendants fait abstraction de cette réalité, qu’appuie la preuve retenue par le juge Blanchard. À notre avis, ce dernier a eu raison de conclure que le SCIRAF est d’abord et avant tout une banque de données, et non un simple système d’accès.

[108]                      L’abondante preuve présentée en première instance démontre — pour emprunter les mots du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada — que le SCIRAF constitue « un système d’information automatisé, entièrement intégré, qui est utilisé pour saisir, analyser, conserver et stocker » tous les renseignements relatifs aux armes à feu exigés par la LAF  : Examen des pratiques relatives au traitement des renseignements personnels du Programme canadien des armes à feu, Rapport final, 29 août 2001 (en ligne), p. 15 (parlant du SCEAF, ancêtre du SCIRAF). En conséquence, dans la mesure où le SCIRAF contient des données, il est raisonnable de le désigner tout autant comme un « registre ».

[109]                      D’ailleurs, le commissaire adjoint à la GRC et directeur général du PCAF qualifie le SCIRAF de « registre central informatisé complexe » : affidavit de Pierre Perron, par. 5. Le PGC reconnaît lui-même que le SCIRAF « contient toute l’information dont la LAF  prévoit la consignation dans l’un ou l’autre des “registresˮ distincts dont elle exige la tenue », et que cette information provient à la fois du Directeur et des Contrôleurs : Contestation écrite et argumentation du défendeur Procureur général du Canada et des mis en cause le Commissaire aux armes à feu et le Directeur de l’enregistrement, 4 juin 2012, d.c., vol. 1, par. 160 (souligné dans l’original). Les renseignements saisis respectivement par le Directeur ou les Contrôleurs peuvent être analysés par ces derniers grâce à une interface intégrée au SCIRAF. Les données contenues dans le SCIRAF sont par conséquent interreliées : affidavit de Pierre Perron, par. 27b) et d); contre-interrogatoire d’Isabelle Boudreault (contrôleure des armes à feu du Québec), 8 mai 2012, d.c., vol. 4, p. 63-64.

[110]                      Selon nous, deux autres raisons viennent renforcer la justesse de cette constatation. D’abord, la preuve démontre que la GRC prévoyait avoir besoin de plusieurs mois pour effacer les données du SCIRAF visées par l’art. 29 de la LARA sans affecter les autres données que contient ce registre : affidavit de Pierre Perron, p. 70 et suiv. (« Bill C-19 — Implementation Plan Summary »). Cette observation est indicative du degré d’interrelation et d’intégration des données qui y sont accumulées, indépendamment de leur origine. Ensuite, le par. 29(2) de la LARA précise que chaque Contrôleur doit veiller à ce que « tous les registres et fichiers relatifs à l’enregistrement des armes [d’épaule] qui relèvent de lui [. . .] soient détruits ». Cette obligation faite par la loi présuppose que, à l’instar du Directeur, les Contrôleurs possèdent certains renseignements sur l’enregistrement des armes à feu qu’ils doivent détruire. La nécessité de faire intervenir ainsi les Contrôleurs dans le processus de destruction témoigne encore davantage de la forte intégration de l’ensemble des données relatives aux armes d’épaule.

[111]                      Du reste, comme l’explique la Contrôleure québécoise, le RCAF et les registres des Contrôleurs n’existent pas indépendamment du SCIRAF : « . . . c’est un registre partagé puisque mon registre, je le tiens dans le SCIRAF. J’ai pas un registre à mon niveau, c’est vraiment un registre que je tiens dans le SCIRAF » (contre-interrogatoire d’Isabelle Boudreault, p. 53). De fait, même si la LAF  prévoit que le Directeur et le Contrôleur ne peuvent modifier que leurs propres registres, cette restriction ne les empêche pas de collaborer pour assurer la précision des données dont ils sont responsables. Par exemple, la Contrôleure québécoise affirme que lorsqu’elle inspecte une entreprise, elle constate parfois des erreurs dans la saisie d’un numéro d’enregistrement d’une arme à feu. Bien qu’elle ne puisse pas modifier elle-même les données relatives aux certificats d’enregistrement directement dans le SCIRAF, elle en avertit alors le Directeur, qui veille à effectuer les changements requis : ibid., p. 66. Le Directeur, les Contrôleurs et leurs préposés peuvent également ajouter des commentaires concernant leur travail respectif dans le SCIRAF : ibid., p. 82 et suiv.; affidavit de Pierre Perron, par. 27c).

[112]                      Ajoutons que les informations sur l’enregistrement des armes d’épaule ne révèlent pleinement leur pertinence et leur utilité que lorsqu’elles sont intégrées et rattachées aux données sur les individus et leur permis. Conformément à l’art. 13  de la LAF , le Directeur ne peut enregistrer une arme que si un Contrôleur a délivré un permis au préalable. L’octroi d’un certificat d’enregistrement repose donc directement sur les efforts déployés par le Contrôleur québécois et ses préposés dans la délivrance des permis.

[113]                      Nous en concluons que le juge Blanchard pouvait à juste titre affirmer que l’information saisie par le Directeur dans le RCAF est « colligée » au SCIRAF avec celle saisie par les Contrôleurs dans leurs registres. Il n’a pas commis d’erreur manifeste et déterminante dans sa qualification factuelle du SCIRAF. Dans cette mesure, c’est à tort que la Cour d’appel lui a reproché d’avoir traité indifféremment du RCAF et du SCIRAF. En fait, le juge Blanchard a plutôt fondé sa décision d’abord et avant tout sur l’existence du SCIRAF, qu’il a considéré comme un registre centralisé, regroupant l’ensemble des renseignements recueillis par le Directeur et les Contrôleurs (par. 28 et 82). Comme la preuve l’indique, bien que la LAF  prévoie des registres distincts, leur mise en œuvre repose sur la création d’un registre commun, le SCIRAF. Quoique le libellé de l’art. 29 prescrive la destruction des données se trouvant dans le RCAF, compte tenu de la façon dont la LAF a été implantée, ces données sont en réalité celles que contient le SCIRAF au sujet de l’enregistrement des armes d’épaule. Les données que la province de Québec souhaite obtenir et conserver sont donc les données sur les armes d’épaule qui figurent dans le SCIRAF et qui se rattachent au Québec.  

[114]                      En définitive, l’analyse du juge Blanchard sur le contexte factuel propre au présent pourvoi est valable dans ses éléments essentiels. L’approche de la Cour d’appel témoigne quant à elle d’une vision compartimentée de la LAF . Or, les différentes composantes du régime mis en place par la LAF  ne fonctionnent pas en vases clos. En effet, il existe une interaction indéniable entre le Directeur et les Contrôleurs, qui se reflète notamment dans l’interrelation entre leurs registres respectifs. Cette interaction est un aspect du partenariat fédéral-provincial sur lequel le juge Blanchard insiste et auquel il convient maintenant de s’attarder. 

B.            Le partenariat fédéral-provincial

[115]                      À l’instar du juge Blanchard, le PGQ invoque l’existence d’un partenariat au sens large en ce qui concerne l’application de la LAF , partenariat qui dépasse la simple collecte des données contenues au RCAF. Divers documents émanant d’organismes fédéraux exprimeraient une telle vision des rapports entre les deux ordres de gouvernement relativement à la mise en œuvre de la LAF . Pour sa part, le PGC reprend la position exprimée par la Cour d’appel et plaide que le Québec n’a pas participé à la collecte des données figurant dans le RCAF. Il ajoute que les accords conclus entre le Québec et le Canada dans le cadre de l’administration de la LAF  ont un caractère strictement financier. Le partenariat invoqué serait donc inexistant.

[116]                      À notre avis, le juge Blanchard a conclu avec raison à l’existence d’un partenariat entre le Canada et le Québec en l’espèce. S’il est vrai que le Québec n’a pas saisi les renseignements concernant l’enregistrement des armes d’épaule dans la base de données du SCIRAF, cet état de fait n’est pas incompatible avec l’existence d’un partenariat entre le Québec et le Canada, étant donné que celui-ci ne résulte pas simplement de la saisie de ces renseignements. Il importe de préciser la nature et les conséquences de ce partenariat, ainsi que la place qu’y occupent les données visées par l’art. 29. Ce concept de partenariat est au cœur de l’évolution de la mise en œuvre de la LAF  depuis le tout début.

[117]                      D’abord, avant même l’entrée en vigueur de la LAF , les ministres fédéraux avaient constaté la nécessité de collaborer avec les provinces dans l’administration de cette loi. Puis, dès la première année de son application, le Directeur affirme qu’il « travaille en étroite collaboration avec [s]es partenaires provinciaux » : GRC, Le rapport sur l’administration de la Loi sur les armes à feu au Solliciteur général par le Directeur : Registre canadien des armes à feu (1999), p. iv.

[118]                      Au cours des années subséquentes, cette vision coopérative continue d’animer les relations entre les diverses parties intéressées. Ainsi, en 2010, alors que les dispositions de la LAF  concernant l’enregistrement des armes d’épaule sont toujours en vigueur, la GRC s’exprime de la façon suivante : « La bonne application du PCAF repose sur des partenariats entre l’administration fédérale, les gouvernements provinciaux et les organismes d’application de la loi » (Évaluation PCAF, p. 6).

[119]                      Même après le dépôt du projet de loi C-19, qui deviendra la LARA, la reconnaissance de cette vision demeure :

La mise en œuvre du PCAF repose sur le partenariat qui existe entre le gouvernement fédéral, les provinces et les organismes d’application de la loi. Le gouvernement fédéral accorde des fonds aux provinces qui s’occupent du travail administratif associé aux différents aspects de la LAF , comme le traitement des permis et des certificats d’enregistrement.

 

(Résumé législatif, p. 5)

[120]                      Comme le démontrent ces extraits, ainsi que les déclarations à la Chambre des communes déjà citées, l’application de la LAF et du PCAF requièrent la collaboration des provinces. À ce chapitre, la preuve présentée en l’espèce concerne principalement la relation spécifique qui s’est établie entre le fédéral et le Québec. Nous concentrons donc notre analyse sur le partenariat en cause devant nous.

[121]                      Le partenariat dont il est question se reflète d’abord dans la construction de la base de données du SCIRAF. Comme nous l’avons souligné, par l’entremise de son Contrôleur, le Québec a collaboré au SCIRAF en colligeant, analysant, organisant et modifiant certaines données qu’il contient. Le bien-fondé de cette conclusion n’est pas affaibli par le fait que le Québec n’a pas « saisi » certaines données du SCIRAF, puisqu’il s’agit d’un système qui comporte des données interreliées : affidavit de Pierre Perron, par. 27b) à e); contre-interrogatoire d’Isabelle Boudreault, p. 63-64.

[122]                      En outre, le Contrôleur du Québec a appuyé les efforts du Directeur en créant une banque de données fiable, complète et actualisée quotidiennement. Il a participé à chaque étape de l’enregistrement des armes à feu. Ses efforts visaient à garantir que la délivrance d’un certificat d’enregistrement par le Directeur s’effectuait en conformité avec les dispositions de la LAF . Par ailleurs, une Contrôleure explique que lorsqu’elle révoquait un permis de possession d’arme à feu (conformément à l’art. 70  LAF ), elle alertait le Directeur, qui devait procéder alors à la révocation du certificat d’enregistrement : contre-interrogatoire d’Isabelle Boudreault, p. 83-84; réinterrogatoire d’Isabelle Boudreault, 8 mai 2012, d.c., vol. 4, p. 153. En outre, rappelons que le par. 29(2) de la LARA précise que chaque Contrôleur doit veiller à ce que « tous les registres et fichiers relatifs à l’enregistrement des armes [d’épaule] qui relèvent de lui [. . .] soient détruits ». Selon la LARA, la collaboration des Contrôleurs est donc requise jusqu’à la toute fin de l’obligation de destruction des données d’enregistrement des armes d’épaule.

[123]                      Le PGC plaide que les Contrôleurs sont des agents fédéraux qui exercent des pouvoirs accordés par une loi fédérale, et ce, même lorsque les provinces choisissent de nommer leur Contrôleur. Le PGC souligne également que ce poste est financé par le gouvernement fédéral. Il en conclut que la composante provinciale du partenariat invoqué par le PGQ est en réalité fédérale.

[124]                      Nous ne pouvons retenir cet argument. Le PGC dénature le rôle joué par les Contrôleurs. S’il est vrai que ceux-ci exercent, au sens strict, des pouvoirs conférés par une loi fédérale, il n’en demeure pas moins que, dans plusieurs cas, ce sont les provinces qui les ont nommés. Pour sa part, le Québec a mis sur pied, géré et surveillé ce poste, tout en multipliant les responsabilités de son titulaire. 

[125]                      À preuve, le Contrôleur québécois exerce des fonctions qui lui sont attribuées par des lois québécoises : Loi visant à favoriser la protection des personnes à l’égard d’une activité impliquant des armes à feu, RLRQ, c. P-38.0001 (la « Loi Anastasia »); Loi sur la sécurité dans les sports, RLRQ, c. S-3.1, art. 46.31; Règlement sur l’exclusion de certains lieux et de certains moyens de transport ainsi que sur l’exemption de certaines personnes, RLRQ, c. P-38.0001, r. 1; Délégation des attributions du ministre provincial au contrôleur des armes à feu, d.c., vol. 11, p. 160. À titre d’exemple, la Loi Anastasia édicte que le Contrôleur québécois doit être informé de toute demande en justice présentée pour faire subir une évaluation psychiatrique à une personne dont l’état mental présenterait un danger pour elle-même ou pour autrui qui la refuse, ou pour qu’elle soit gardée contre son gré dans un établissement de santé : art. 11; voir aussi l’art. 778 du Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25. Le Contrôleur doit alors vérifier « si cette personne est en possession d’une arme à feu, peut y avoir accès ou est titulaire d’un permis l’autorisant à en acquérir une » : art. 11 de la Loi Anastasia. C’est au moyen des données concernant les certificats d’enregistrement que cette vérification quant à la possession est réalisée : affidavit d’Isabelle Boudreault, 8 mars 2012, d.c., vol. 3, par. 59-64. Le gouvernement fédéral n’a jamais contesté l’utilisation par le Québec des données du SCIRAF pour les besoins de ses lois provinciales.

[126]                      En outre, les policiers québécois jouent également un rôle important dans le PCAF, notamment ceux de la Sûreté du Québec. D’ailleurs, la Contrôleure québécoise est une policière de la Sûreté du Québec. Par exemple, ils utilisent un système informatique pour identifier les individus impliqués dans des interventions policières pour certains événements. Ils inscrivent l’événement dans leur système, et une alerte est acheminée électroniquement par le SCIRAF au Contrôleur, qui décide si l’événement aura un impact sur l’éligibilité de l’individu de détenir un permis, et donc, par le fait même, un certificat d’enregistrement : affidavit d’Isabelle Boudreault, par. 13-15; contre-interrogatoire de Pierre Perron, 1er mai 2012, d.c., vol. 3, p. 102 et suiv.; réinterrogatoire de Pierre Perron, ibid., p. 126-127. L’efficacité du système entier d’enregistrement repose donc sur le travail du Contrôleur et, plus généralement, des policiers.

[127]                      De plus, comme tous ceux d’autres corps policiers au Canada, les policiers du Québec ont accès à une composante du SCIRAF, qui les aide à répondre aux demandes d’intervention et à mener des enquêtes : Évaluation PCAF, p. 9. De cette manière, avant de faire une intervention dans une résidence, les policiers peuvent vérifier si des armes s’y trouvent et savoir si leur possession est légale : ibid., p. 18. En 2011, les policiers du Québec ont consulté en moyenne plus de 700 fois par jour cette composante du SCIRAF : affidavit d’Isabelle Boudreault, par. 65. En conséquence, l’application de certaines lois québécoises et la mise en œuvre des procédures des policiers québécois dépendent étroitement de l’accès aux données du SCIRAF.

[128]                      On constate donc que le Québec fait usage des données du SCIRAF pour les besoins de ses lois provinciales. Cela va de soi, car, comme le souligne le juge Blanchard à plusieurs reprises, ces données sont le fruit d’une collaboration. Elles sont également au cœur d’un partenariat qui repose sur l’exercice de compétences législatives tant fédérale que provinciales. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la conclusion du juge de première instance voulant que les données ne soient pas purement « fédérales ». Mentionnons que le juge a conclu que le Québec s’est vraisemblablement engagé dans ce partenariat en supposant que le gouvernement fédéral ne pouvait, par sa seule volonté, en détruire les fruits (par. 35).

[129]                      Bref, les pouvoirs que le Contrôleur exerce en vertu de la LAF et des lois provinciales se chevauchent. Soutenir que le poste de Contrôleur est une émanation purement fédérale ignore cette réalité.

[130]                      Par ailleurs, l’art. 95  de la LAF  prévoit que le gouvernement fédéral peut conclure avec les gouvernements provinciaux des accords de remboursement des frais administratifs engagés par ceux-ci, notamment en ce qui concerne le traitement des permis et des certificats d’enregistrement. Le gouvernement fédéral a conclu de tels accords avec le Québec. À la lecture de l’Accord financier Canada-Québec relatif à l’administration de la Loi sur les armes à feu, 1er avril 2006 au 31 mars 2010, entente no 2012-004, intervenu entre le gouvernement fédéral et le Québec, on constate que, si cet accord vise principalement à énoncer des modalités financières, il contient aussi des clauses qui ont une plus large portée. Par exemple, l’art. 5 précise que le Québec convient d’assurer tous les services requis et décrits dans l’entente relativement à l’application de la LAF , dans les limites de ses compétences. L’article 7 requiert que le Canada fournisse au Québec le SCIRAF, fonctionnel et opérationnel, ainsi que ses composantes connexes. Enfin, aux termes de l’art. 23, « [t]out renseignement recueilli par le Canada ou le Québec, dans le cadre du présent accord, est assujetti aux droits et aux protections prévus par les législations fédérales et québécoise[s] applicables concernant l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels. »

[131]                      Il convient du reste de noter que, malgré la possibilité d’un remboursement de certaines dépenses provinciales par le gouvernement fédéral, les provinces ayant participé au PCAF, dont le Québec, ont dû investir des sommes considérables pour l’application de la LAF , comme le précise un rapport de la GRC :

Il semble que dans les provinces et territoires qui se sont désistés, et où la GRC exerce les fonctions de police provinciale ou territoriale, l’arrangement actuel pour le financement des coûts s’avère très profitable financièrement. Quant aux autres provinces participantes dotées de leurs propres services policiers, elles ont dû investir des sommes considérables pour profiter des avantages et des services du PCAF . . .

 

(Évaluation PCAF, p. 79)

Il semble donc inexact d’affirmer que la province de Québec n’a d’aucune façon contribué financièrement au contrôle des armes à feu et à l’administration de la LAF . En s’attachant à la question du financement des Contrôleurs, le PGC fait abstraction des implications et des conséquences globales découlant du PCAF. Nous ne pouvons souscrire à cette approche.

[132]                      À vrai dire, nous sommes d’opinion que le PGC se méprend sur la nature du partenariat invoqué par le PGQ. Ce partenariat s’étend au-delà de la saisie des données dans le SCIRAF et des fonctions exercées par le Contrôleur québécois en vertu de la LAF . Il s’entend de la globalité du PCAF et comprend également le rôle joué par le Québec et ses policiers dans le domaine de la réglementation des armes à feu en collaboration avec le Canada.

[133]                      Par le rôle qu’ont joué le Contrôleur et les policiers du Québec et grâce au SCIRAF qu’elle a contribué à construire, la province de Québec a mis en œuvre pendant des années sa propre vision du contrôle des armes à feu, dans une perspective d’administration de la justice et de santé. La GRC reconnaît d’ailleurs la possibilité pour les provinces d’adapter le programme à leurs besoins, dans un rapport que nous avons déjà mentionné plus haut :

Le principal avantage mentionné par rapport à ce programme de financement optionnel est qu’il répond à la nécessité manifeste pour les gouvernements provinciaux de pouvoir adapter son application au contexte local. Sur ce plan, on le considère comme une réussite; il a permis de concilier la fourniture des services correspondants avec les priorités en la matière des gouvernements provinciaux, et d’œuvrer en coopération avec d’autres secteurs de juridiction provinciale, comme la justice, les services policiers et la santé. Au Québec, où cela se traduit par un modèle intégré de fourniture des services, les autorités s’efforcent d’améliorer le programme pour satisfaire aux exigences accrues qui se posent au niveau provincial en matière de sécurité publique et de santé. [Nous soulignons.]

 

(Évaluation PCAF, p. 78)

[134]                      Nous en concluons qu’un partenariat entre le gouvernement fédéral et le Québec s’est articulé autour des grands axes suivants :

- la conception, la mise sur pied et l’administration du PCAF;

 

-     la mise en commun des données recueillies par le Directeur et le Contrôleur, ainsi qu’un droit d’accès, garanti réciproquement, aux données en question;

 

-     l’utilisation des données du SCIRAF à des fins fédérales et provinciales;

 

-     l’exercice conjoint et complémentaire de compétences provinciales et fédérale dans le cadre du contrôle des armes à feu.

[135]                      Cette réalité factuelle propre au SCIRAF et au partenariat dans lequel il s’inscrit conditionne à notre avis l’analyse de la constitutionnalité de l’art. 29 de la LARA. Avant de procéder à cette analyse, nous rappellerons brièvement le cadre applicable.

C.            Le cadre d’analyse en matière de partage des compétences

(1)           Le caractère véritable

[136]                      Lorsque la constitutionnalité d’une disposition législative est contestée sur la base du partage des compétences, les tribunaux ont recours à la doctrine dite du caractère véritable. Cette démarche implique nécessairement l’examen de la portée de l’empiétement de la disposition contestée sur les pouvoirs de l’autre ordre de gouvernement : Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, [2005] 3 R.C.S. 302, par. 20-21. Notre Cour enseigne qu’il faut d’abord rechercher le « caractère véritable » de la disposition contestée, puis déterminer si celle-ci relève des compétences de l’ordre de gouvernement qui l’a adoptée : voir Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837, par. 63; Québec (Procureur général) c. Lacombe, 2010 CSC 38, [2010] 2 R.C.S. 453, par. 20; Renvoi sur la LAF , par. 16; Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), 2002 CSC 31, [2002] 2 R.C.S. 146, par. 52-58; voir aussi H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, Droit constitutionnel (6e éd. 2014), p. 463; P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (5e éd. suppl.), p. 15-5 à 15-7.

[137]                      Le caractère véritable de la disposition est sa « caractéristique dominante » : voir Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, 2004 CSC 79, [2004] 3 R.C.S. 698, par. 13. Selon notre Cour, « [l]’analyse du caractère véritable porte à la fois (1) sur l’objet de la législation et (2) sur ses effets » : Bande Kitkatla, par. 53; voir aussi Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, par. 63-64; Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61, [2010] 3 R.C.S. 457, par. 199.

[138]                      Pour déterminer l’objet d’une loi ou d’une disposition législative, « la Cour peut examiner tant la preuve intrinsèque, telles les dispositions énonçant les objectifs généraux, que la preuve extrinsèque, tels le Hansard ou les comptes rendus des comités parlementaires » : Bande Kitkatla, par. 53. Sous ce rapport, notre Cour a rappelé la nécessité de « rechercher l’objectif réel de la législation, plutôt que son but simplement déclaré ou apparent » : Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, par. 27 (en italique dans l’original), citant Attorney-General for Ontario c. Reciprocal Insurers, [1924] A.C. 328 (C.P.), p. 337. Ainsi, dans toute affaire de partage des compétences, l’intention qui anime une loi — c’est-à-dire le but véritable poursuivi par le législateur — peut avoir pour effet d’invalider une loi entière : voir, p. ex., R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713.

[139]                      Quant aux effets d’une disposition, ils se mesurent tant sur le plan juridique que sur le plan pratique, ce qui inclut ses effets directs et les effets « secondaires » de son application : Bande Kitkatla, par. 54; Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, par. 64; Lacombe, par. 20. L’ensemble de cette analyse permet de qualifier la disposition au regard de la Constitution et de vérifier si elle déborde sur les pouvoirs de l’autre ordre de gouvernement.

(2)           Les pouvoirs accessoires

[140]                      Lorsque, en raison de son caractère véritable, une disposition insérée dans une loi par ailleurs valide déborde sur un champ de compétence d’un autre ordre de gouvernement, l’analyse de la Cour porte alors sur le caractère accessoire de ce débordement : voir Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, par. 187-189. Si le débordement conserve un caractère accessoire, la disposition sera jugée valide, pourvu qu’elle soit suffisamment intégrée à la loi : Lacombe, par. 34-36.

[141]                      Le degré d’intégration d’une disposition requis pour qu’un débordement puisse conserver un caractère accessoire varie en fonction de la gravité du débordement ou de son étendue. Si les dispositions contestées ne débordent que de façon « négligeable » ou « restreinte » sur les compétences de l’autre ordre de gouvernement, un rapport fonctionnel entre ces dispositions et le régime législatif peut suffire. Si, au contraire, les dispositions fédérales débordent de façon « considérable » sur les compétences des provinces, un critère de nécessité plus strict s’applique : General Motors, p. 668-670.

[142]                      De manière plus générale, nous tenons à rappeler les propos suivants formulés par la Cour, dans l’affaire Lacombe, au sujet de la doctrine des pouvoirs accessoires :

. . . il n’est possible de recourir à cette doctrine que dans les cas où l’empiétement sur les pouvoirs de l’autre ordre de gouvernement se justifie par le rôle important que joue la disposition dans un régime législatif valide. Ce rapport ne saurait être insignifiant . . . [Nous soulignons; par. 35.]

[143]                      Ainsi, notre Cour reconnaît qu’un ordre de gouvernement peut validement légiférer dans un domaine relevant de sa compétence tout en empiétant sur les compétences de l’autre ordre. Les doctrines constitutionnelles qui permettent un tel empiétement — à savoir le caractère véritable et les pouvoirs accessoires — ne peuvent toutefois être bien comprises sans un examen des principes constitutionnels qui ont guidé leur évolution : Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, par. 196. C’est sur ces principes, en particulier celui du fédéralisme, que nous nous attarderons maintenant. 

(3)           Les principes non écrits : le fédéralisme

[144]                      Tout en insistant sur la primauté de notre Constitution écrite, notre Cour reconnaît l’importance des principes non écrits qui sous-tendent celle-ci. Ces principes imprègnent l’analyse et l’interprétation du partage des compétences. Ils « guident l’interprétation du texte et la définition des sphères de compétence, la portée des droits et obligations ainsi que le rôle de nos institutions politiques » : Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 52. Ces principes, qui reflètent le contexte historique de notre Constitution, ont facilité sa mise en œuvre tout au long de son histoire; ils sont donc à la Constitution ce que la sève est à l’arbre. En ce sens, ils font « nécessairement partie de notre Constitution, parce qu’il peut survenir des problèmes ou des situations qui ne sont pas expressément prévus dans le texte de la Constitution » : ibid., par. 32.

[145]                      Comme notre Cour l’a expliqué dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, le fédéralisme « était la réponse juridique aux réalités politiques et culturelles qui existaient à l’époque de la Confédération et qui existent toujours aujourd’hui » et « les dirigeants politiques avaient dit à leur collectivité respective que l’union canadienne permettrait de concilier unité et diversité » : par. 43. Le principe du fédéralisme exige le respect du partage constitutionnel des compétences et le maintien d’un équilibre entre les pouvoirs du fédéral et ceux des provinces. Un « pouvoir ne peut être utilisé d’une manière telle que cela revienne en réalité à en vider un autre de son essence » : Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, par. 7; Renvoi relatif à la sécession du Québec, par. 57-58.  

[146]                      Selon l’approche « classique » privilégiée par le Comité judiciaire du Conseil privé jusqu’en 1949, les compétences constituaient des « compartiments étanches », et il fallait éviter le plus possible les chevauchements entre elles : Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, par. 56.

[147]                      La vision moderne du fédéralisme rejette cette approche, en faveur d’une conception plus souple du partage des compétences, qui domine dans la jurisprudence récente de notre Cour. Cette conception « admet un important chevauchement des compétences fédérales et provinciales dans les faits et permet aux deux ordres de gouvernement de légiférer relativement à des objectifs légitimes dans les matières où il y a chevauchement » : Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134, par. 62; Banque canadienne de l’Ouest, par. 36-37; Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, par. 57. Cette conception facilite ainsi la coopération intergouvernementale : voir SEFPO c. Ontario (Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2, p. 19-20, le juge en chef Dickson; Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, par. 57-58.  Le concept du « fédéralisme coopératif » se veut l’adaptation du principe du fédéralisme à cette réalité moderne, et ce, tant par le droit que les acteurs politiques.

(4)           La reconnaissance du fédéralisme coopératif

[148]                      Le fédéralisme coopératif reflète les réalités d’une société de plus en plus complexe, qui fait appel à des régimes législatifs fédéraux et provinciaux coordonnés afin de mieux répondre aux besoins locaux d’unité et de diversité : PHS, par. 63; Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, 2014 CSC 44, [2014] 2 R.C.S. 257, par. 148-149. D’un point de vue juridique, c’est par les chevauchements de compétences qu’il accepte en vertu de l’application de la doctrine du caractère véritable et de celle des pouvoirs accessoires que le fédéralisme coopératif sait répondre à ces besoins et, en ce sens, permet de réaliser les buts du fédéralisme.

[149]                      À notre avis, le partenariat fédéral-provincial en matière de contrôle des armes à feu s’inscrit dans cet esprit de fédéralisme coopératif. Ce partenariat a permis au gouvernement fédéral et aux provinces de mieux accomplir ensemble, plutôt qu’individuellement, tant des objectifs fédéraux (en droit criminel) que des objectifs provinciaux (en matière de sécurité publique et d’administration de la justice).

[150]                      En l’espèce, on ne demande pas à notre Cour de valider l’adoption d’un régime coopératif qui prend appui sur les compétences des deux ordres de gouvernement. Le PGQ remet plutôt en question la validité d’une disposition qui contribue au démantèlement d’un partenariat créé dans cet esprit de fédéralisme coopératif. La situation est unique et inusitée.

(5)           La fin d’un partenariat inspiré par le « fédéralisme coopératif »

[151]                      Face au contexte inusité de la présente affaire, nous devons faire appel aux principes non écrits de la Constitution pour guider notre analyse. En particulier, il faut nous assurer que le principe du fédéralisme — et son expression moderne le fédéralisme coopératif — ne soit pas mis en péril. Comme le rappelle notre Cour, « [l]e fonctionnement même du régime fédéral canadien doit [. . .] continuellement faire l’objet de nouvelles analyses au regard des valeurs fondamentales qu’il était destiné à favoriser » : Banque canadienne de l’Ouest, par. 23.  

[152]                      Le courant dominant en matière de partage des compétences autorise des chevauchements de compétences et facilite la coopération entre les ordres de gouvernement. Il reconnaît également la validité de régimes établis conjointement par voie de partenariats entre les acteurs de notre fédération. Nous estimons que nos tribunaux doivent protéger de tels régimes, tant au moment de leur mise en place que lors de leur démantèlement. Il serait illogique, d’une part, d’encourager la coopération et de reconnaître la validité de régimes établis en partenariat, mais, d’autre part, de refuser de tenir compte de ce contexte particulier lorsque ces régimes prennent fin.

[153]                      D’après nous, le démantèlement d’un partenariat tel le contrôle des armes à feu doit se faire dans le respect du principe du fédéralisme qui sous-tend notre Constitution. Ainsi, le Parlement ou une législature provinciale ne peut légiférer pour mettre fin à un tel partenariat sans tenir compte des conséquences raisonnablement prévisibles de cette décision pour l’autre partenaire. En examinant la constitutionnalité d’une loi ou d’une disposition législative qui vise à démanteler ce partenariat, les tribunaux doivent être sensibles aux répercussions sur l’exercice par le partenaire de ses compétences, et ce, encore plus quand le partenaire mettant fin au partenariat agit dans le but de provoquer ces répercussions.

[154]                      En d’autres mots, un régime coopératif dont bénéficient les gouvernements fédéral et provinciaux ne peut être démantelé unilatéralement par une partie sans tenir compte des conséquences d’une telle décision sur les compétences de son partenaire. Conclure autrement reviendrait à cautionner un fédéralisme coopératif à sens unique.  Cela romprait l’équilibre entre, d’un côté, le principe du fédéralisme coopératif — qui permet à chaque ordre de gouvernement de légiférer d’une manière ayant une incidence sur les compétences de l’autre — et, de l’autre, la doctrine de l’exclusivité des compétences législatives — qui est inhérente au principe du fédéralisme. La nécessité de respecter les compétences de chacun s’impose encore davantage lorsque les parties ont choisi d’agir en partenariat. Dans un contexte de coopération, les actions d’un ordre de gouvernement peuvent entraîner des répercussions importantes sur l’autre ordre. Il est donc nécessaire de demeurer vigilant au risque accru d’atteinte à l’équilibre constitutionnel que protège le principe du fédéralisme. Il n’est pas question ici d’altérer la séparation des pouvoirs de notre Constitution par l’utilisation du fédéralisme coopératif, mais plutôt d’en assurer le respect. Comme l’expliquait notre Cour dans le Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières :

Nous pouvons toutefois à bon droit noter l’existence d’une tendance de plus en plus marquée à envisager les problèmes complexes de gouvernance susceptibles de se présenter dans une fédération, non pas comme une simple alternative entre les deux ordres de gouvernement, mais comme une recherche coopérative de solutions qui satisfont les besoins tant de l’ensemble du pays que de ses composantes.  

 

     Une telle approche s’inscrit dans le droit fil des principes constitutionnels canadiens et des pratiques adoptées par le fédéral et les provinces dans d’autres sphères d’activité. Ces régimes ont pour pivot le respect par chacun des champs de compétence de l’autre et la collaboration pour principe directeur. Le fédéralisme qui sous-tend le cadre constitutionnel canadien n’exige pas moins. [Nous soulignons; par. 132-133.]

[155]                      Nous ne pourrions énoncer ces principes mieux que ne l’a fait notre Cour dans le Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée :

     En somme, le souci du maintien de l’équilibre fédératif doit être présent à chacune des étapes de l’analyse constitutionnelle. Que ce soit à l’occasion de la détermination du caractère véritable d’une loi ou d’une disposition ou au moment de l’examen des limites d’une compétence attribuée ou de l’exercice d’une compétence accessoire, les tribunaux doivent se rappeler l’importance des principes constitutionnels non écrits et veiller à les respecter. [par. 196]

 

[156]                      Cela dit, sous réserve du respect des principes susmentionnés, les tribunaux ne doivent pas pour autant s’écarter du cadre d’analyse prescrit en matière de partage des compétences. Il faut donc déterminer la validité de l’art. 29 de la LARA en fonction de ce cadre et de ces principes.

D.           Constitutionnalité de l’art. 29 de la LARA

[157]                      La méthode d’analyse adoptée par la Cour d’appel en l’espèce s’écarte de celle que doivent suivre les tribunaux. Certes, le Parlement peut abroger ou modifier une loi qu’il a validement édictée en vertu d’un chef de compétence relevant de lui : Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, p. 548-549. Les tribunaux doivent toutefois examiner la disposition ou la loi contestée afin de déterminer si, eu égard à son caractère véritable, celle-ci ne fait effectivement qu’abroger ou modifier une loi validement édictée au préalable.

[158]                      D’une part, il n’est pas suffisant à cet égard de dire que la mesure législative est une simple loi abrogative, comme l’a fait la Cour d’appel. Cela ne règle pas la question de sa constitutionnalité. Dans l’arrêt Upper Churchill, notre Cour a décidé qu’une loi d’abrogation pouvait, par son objet et ses effets, outrepasser la compétence législative du gouvernement l’ayant édictée : voir aussi à ce sujet P. Daly, « Dismantling Regulatory Structures : Canada’s Long-Gun Registry as Case Study » (2014), 33 R.N.D.C. 169.

[159]                      D’autre part, une disposition législative peut viser l’abrogation d’un régime qui était accessoire à la compétence du législateur qui l’a initialement mis sur pied. Dans un tel scénario, ce législateur souhaite théoriquement mettre fin à un débordement sur une compétence qui n’est pas sienne. Mais il se peut par ailleurs très bien que, en raison de la manière dont il entend faire cesser le débordement initial, il déborde davantage sur les compétences en jeu. Cela risque à plus forte raison de survenir dans un contexte de partenariat.

[160]                      En conséquence, la constitutionnalité de l’art. 29 de la LARA doit être établie au même titre que celle de toute loi édictée par le Parlement. Pour ce faire, nous devons cerner le caractère véritable de cette disposition et le rattacher à un chef de compétence législative.

(1)           Analyse du caractère véritable de l’art. 29

[161]                      De prime abord, le texte de l’art. 29 de la LARA ne présente pas de difficulté d’interprétation particulière. Cette disposition ordonne à la fois au Directeur et aux Contrôleurs de détruire, le plus rapidement possible, tous les registres et fichiers relatifs à l’enregistrement des armes d’épaule qui se trouvent dans le RCAF ou qui relèvent d’eux.

[162]                      D’un point de vue structurel, l’art. 29 de la LARA constitue une composante distincte des art. 2 à 28. Ces derniers modifient le Code criminel  et la LAF  afin d’abolir l’obligation d’enregistrer les armes d’épaule et de décriminaliser le défaut de s’y conformer. De son côté, l’art. 29 est une disposition transitoire. Il est également pertinent de noter que la destruction des données visées par l’art. 29 est soustraite à l’application de certaines dispositions de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada , L.C. 2004, c. 11 , et de la Loi sur la protection des renseignements personnels , L.R.C. 1985, c. P-21  : par. 29(3) LARA.

[163]                      D’un point de vue pratique et juridique, l’effet premier de l’art. 29 de la LARA est d’effacer à jamais les données contenues dans le RCAF et donc, dans le SCIRAF. Certes, l’art. 84  de la LAF  précise que « [l]e directeur peut détruire les fichiers versés au [RCAF] selon les modalités de temps et dans les situations prévues par règlement. » Mais on ne peut, comme le fait le PGC, comparer l’art. 29 à cette disposition. D’abord, le règlement applicable prévoit que les fichiers concernant les certificats d’enregistrement délivrés ou révoqués ne peuvent être détruits : par. 4(1) du Règlement sur les registres d’armes à feu. Ensuite, la destruction massive des données serait contraire à l’objectif même de la LAF .

[164]                      Par ailleurs, l’analyse ne peut s’arrêter après la seule constatation que l’art. 29 prévoit la destruction des données. En effet, la destruction des données par le gouvernement fédéral sans qu’elles aient d’abord été transmises à ses partenaires, dont le Québec, entraînera d’importantes conséquences qui sont pertinentes pour l’analyse de la constitutionnalité de l’art. 29.

[165]                      De manière prospective, la destruction des données sans transfert préalable empêche tout usage des renseignements qu’elles contiennent par un gouvernement fédéral subséquent, ou par les provinces ou les organisations policières qui, jusqu’ici, les utilisaient à diverses fins. En particulier, la preuve au dossier révèle que la destruction des données exigée par l’art. 29 empêchera les provinces de se servir des données pour créer leurs propres registres.

[166]                      De plus, une telle destruction efface rétrospectivement la collaboration du Québec dans la construction de la base de données sur les armes d’épaule. Elle interfère également avec l’usage actuel des données par le Québec, que nous avons décrit ci-dessus.

[167]                      La preuve extrinsèque révèle que l’art. 29 de la LARA a été adopté précisément dans le but d’empêcher l’utilisation des données par les provinces. Des extraits des débats parlementaires cités par le juge Blanchard confirment cette volonté :

Monsieur le Président, ce gouvernement a pris l’engagement d’éliminer le registre inefficace des armes d’épaule, et nous n’avons pas l’intention de soutenir la création de registres par les autres paliers de gouvernement. 

(Débats de la Chambre des communes, vol. 146, no 041, 1re sess., 41e lég., 1er novembre 2011, p. 2799, le très hon. Stephen Harper, premier ministre du Canada)

Le gouvernement n’a l’intention ni de transférer aux provinces les renseignements qu’il détient dans ses bureaux ni de les mettre à la disposition de tout gouvernement futur afin qu’ils soient utilisés de nouveau.

 

(Ibid., p. 2779, l’hon. Peter Penashue, ministre des Affaires intergouvernementales)  

 

Nous tiendrons notre promesse, et cela suppose que nous agissions de la bonne façon en veillant à ce qu’aucun autre gouvernement ne puisse utiliser l’information pour rétablir l’inefficace registre des armes d’épaule.

 

(Ibid., p. 2780, Kerry-Lynne D. Findlay, secrétaire parlementaire du ministre de la Justice)

[168]                      Ces déclarations du premier ministre et des ministres fédéraux démontrent que l’objet de l’art. 29 était précisément d’imposer aux provinces les effets prospectifs et rétrospectifs de la destruction des données. C’est donc avec raison que le juge Blanchard a conclu que l’intention du Parlement était de nuire aux provinces en détruisant les données. La manière et l’empressement avec lesquels le Parlement désire procéder témoignent de cette intention. Précisons que ce n’est pas tant la destruction des données en soi qui pose problème, mais bien leur destruction unilatérale conjuguée à ses effets, soit notamment d’empêcher les provinces d’en faire usage.

[169]                      Vu son objet et ses effets, l’art. 29 a donc une portée plus large que la simple destruction des données. Il entraîne des conséquences néfastes pour les partenaires du gouvernement fédéral. Ce sont ces conséquences qui, au regard du principe du fédéralisme, exigent un examen serré du caractère véritable de l’art. 29 et des compétences dont se réclame le PGC pour justifier la validité de cette disposition.

[170]                      Le PGC soutient que l’art. 29 relève de la compétence fédérale en matière de droit criminel, puisque cette disposition tend à l’abrogation d’une partie de la LAF , soit à l’abolition du registre des armes d’épaule. Afin de relever de cette compétence fédérale, une mesure législative doit satisfaire à trois conditions. Premièrement, elle doit avoir un objectif public valide. Deuxièmement, elle doit viser à la réalisation de cet objectif au moyen d’interdictions. Troisièmement, ces interdictions doivent être appuyées par des sanctions pénales : voir Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, par. 233. Toutefois, on chercherait en vain la présence de ces trois éléments dans l’art. 29, car ce qui est en jeu en l’espèce est le pouvoir d’abroger une loi édictée en vertu de ce chef de compétence.

[171]                      Or, nous ne pouvons conclure que l’art. 29 tend à l’abrogation de la LAF . D’abord, l’abolition par le gouvernement fédéral de l’obligation d’enregistrer les armes d’épaule et la destruction des données sont deux objectifs distincts, comme le révèle la structure de la LARA. Ensuite, l’art. 29 ne vise pas simplement la destruction de données; il cherche plutôt à mettre fin à un régime utilisant ces données et au partenariat avec le Québec.

[172]                      Sur ce point, nous ne pouvons non plus conclure, comme la Cour d’appel et nos collègues, que l’art. 29 ne fait que mettre fin à un régime « fédéral ». Nous croyons que cette conclusion repose sur la thèse erronée que le régime auquel met fin l’art. 29 a été créé uniquement par la LAF . S’il est vrai que cette loi constitue le cadre législatif du RCAF, rappelons que ce cadre législatif débordait sur une compétence provinciale au moment de sa création. Fait plus important encore, le RCAF n’est qu’une des composantes du partenariat fédéral-provincial en matière de contrôle des armes d’épaule. Comme nous l’avons démontré, considéré au sens large, ce partenariat a fait appel à la participation administrative, financière et législative du Québec.  

[173]                      Rappelons également que, à la différence du contexte dans le Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada où le pouvoir fédéral de dépenser était en jeu, tant la mise sur pied que le maintien du RCAF en cause en l’espèce lui ont fait acquérir un aspect provincial. Comme a conclu le juge de première instance, les données visées par l’art. 29 ne sont pas uniquement « fédérales ». La création de la base de données, le SCIRAF, reposait sur la coopération entre les provinces et le gouvernement fédéral. Les renseignements interreliés qu’elle contient ont été accumulés dans le cadre de l’étroit partenariat fédéral-provincial décrit ci-dessus. Dans ce contexte, en ordonnant la destruction des données sans transfert préalable au Québec, l’art. 29 de la LARA cherche à abolir également la composante « provinciale » de ce régime, tant au sens large qu’à l’égard des données.

[174]                      Enfin, le PGC affirme que l’objectif de l’art. 29 est de mettre fin à l’intrusion de l’État dans la vie privée des Canadiens. Si tel était réellement le cas, il est difficile de comprendre pourquoi cette disposition n’a été insérée que dans la dernière version du projet de loi, seulement après que le Québec ait annoncé vouloir créer son propre registre. De toute évidence, vu la preuve extrinsèque, nous ne croyons pas que tel était l’objectif du gouvernement fédéral.

[175]                      Quel est donc le caractère véritable de l’art. 29 de la LARA?

[176]                      À notre avis, vu son objet et ses effets, l’art. 29 va beaucoup plus loin que de mandater la simple destruction des données. Comme cette destruction s’effectue sans possibilité de transfert préalable de données aux partenaires, et donc sans tenir compte des conséquences de cette mesure sur l’exercice par ceux-ci de leurs compétences, son objet véritable consiste à mettre fin à toute utilisation des renseignements concernant les armes d’épaule pour toutes fins provinciales. Toutefois, comme nous l’avons dit plus tôt, la réglementation des armes d’épaule et l’utilisation de renseignements sur celles-ci relèvent avant tout du pouvoir des provinces de légiférer en matière de propriété et de droits civils. Ce l’est encore plus maintenant qu’a été décriminalisée l’omission de se conformer à l’obligation d’enregistrer ces armes, puisque l’utilisation de ces renseignements a perdu sa dimension fédérale. En conséquence, le caractère véritable de l’art. 29 se rattache à la compétence provinciale sur la propriété et les droits civils.

[177]                      Pour qu’il soit valide, l’art. 29 doit donc pouvoir s’intégrer à la LARA dans son ensemble. Cette conclusion nous paraît logique, étant donné que la constitutionnalité du RCAF découle justement de son caractère accessoire à un objectif criminel, comme l’indique le Renvoi sur la LAF .

(2)           Analyse des pouvoirs accessoires

[178]                      Pour décider si l’art. 29 de la LARA est constitutionnel en vertu de la doctrine des pouvoirs accessoires, il faut évaluer la gravité, ou l’étendue, de son débordement sur les compétences provinciales, en gardant à l’esprit que le pouvoir des provinces de légiférer en matière de propriété et de droits civils constitue un chef de compétence sur lequel on ne peut déborder à la légère : General Motors, p. 673. Mentionnons que l’art. 29 peut également déborder sur les compétences provinciales en matière d’administration de la justice, comme notre analyse ci-dessous le démontre.

[179]                      La gravité du débordement de l’art. 29 doit être analysée en fonction du contexte factuel et juridique particulier de l’espèce, ce qui inclut le partenariat existant entre le gouvernement fédéral et le Québec. 

[180]                      En adoptant la LAF , le gouvernement fédéral a effectivement envahi le champ de la réglementation des armes à feu. Cette décision du gouvernement fédéral a entraîné deux conséquences importantes. D’une part, les provinces ont dû composer avec un registre national. La création d’un registre provincial des armes d’épaule devenait donc superflue, d’autant plus que l’existence de la législation fédérale permettait aux provinces de jouer un rôle important dans le PCAF et dans la création de registres et de bases de données, tel le SCIRAF, par l’exercice conjoint et complémentaire de leurs pouvoirs en matière de propriété et droits civils et d’administration de la justice. Le Québec a en outre légiféré en fonction de ce partenariat avec le gouvernement fédéral. La création et la gestion d’un registre fédéral des armes à feu ont ainsi mené au développement d’un aspect provincial. La destruction unilatérale de ce registre, sans tenir compte de cette réalité, réduit à néant la participation financière, administrative et législative du Québec.

[181]                      D’autre part, si la LAF  n’avait pas d’effet important sur les compétences provinciales relativement aux armes à feu lors de son adoption, ce n’est plus le cas aujourd’hui alors que les données seront détruites sans transfert préalable au Québec. La perte des renseignements recueillis depuis 1998 n’a pas que des conséquences financières. La qualité et l’utilité d’un registre éventuellement reconstitué par le Québec s’en trouveraient amoindries, car, par exemple, la chaîne de possession correspondant à chaque arme sera perdue. Soulignons qu’en 2011, les armes d’épaule représentaient plus de 90 p. 100 de toutes les armes à feu enregistrées sur le territoire québécois : affidavit d’Isabelle Boudreault, par. 18 et 31. S’il n’obtient et ne peut conserver les données sur les enregistrements le concernant, le Québec soutient qu’il va perdre la trace de plus d’un million et demi d’armes d’épaule : Témoignages devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale, p. 2. Partant, la destruction des données compromet la création et l’utilité d’un futur registre québécois des armes à feu.

[182]                      En outre, le rôle du Contrôleur au sein de la LAF et le partenariat déjà explicité sont à l’origine de l’adoption par le Québec de lois relevant de ses pouvoirs en matière d’administration de la justice. Pour cette raison, la destruction des données interférera avec l’utilisation qu’en fait le Québec dans son application de certains régimes législatifs provinciaux telle la Loi Anastasia, de même qu’avec l’emploi des données par les policiers dans le cadre d’enquêtes notamment.   

[183]                      Au final, le gouvernement fédéral aurait pu concrétiser sa vision du contrôle des armes à feu sans une participation importante des provinces, mais ce n’est pas le choix qu’il a fait. Sans doute pour des raisons d’efficacité, le gouvernement fédéral a plutôt conçu un régime législatif qui faisait appel à la collaboration active des provinces et a pris la forme d’un partenariat. On ne peut faire abstraction de cette situation dans l’analyse de la gravité du débordement sur les compétences de l’autre ordre de gouvernement et, par voie de conséquence, dans la détermination de la portée et de la validité de l’art. 29.

[184]                      Nous en concluons que, de par sa nature et ses effets, l’art. 29 engendre un débordement substantiel sur les compétences provinciales. Dans un tel cas, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, pour que son débordement soit jugé accessoire à la LARA, l’art. 29 doit entretenir un degré élevé d’intégration à celle-ci, soit respecter le critère de la nécessité ou « partie intégrante » : General Motors, p. 671; voir aussi Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115; Clark c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1988] 2 R.C.S. 680; R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd., [1980] 1 R.C.S. 695.

[185]                      Sauf en ce qui a trait à l’art. 29, l’objectif de la LARA dans son ensemble est l’abolition de l’obligation d’enregistrer les armes d’épaule. À cet égard, le fait que le « sommaire » de la LARA énonce qu’elle poursuit deux objectifs ne peut à lui seul apporter la preuve de l’objectif réel de la LARA. Faut-il le rappeler, dans l’analyse de la validité constitutionnelle de toute loi, les tribunaux doivent aller au-delà de l’objectif déclaré ou apparent. Agir autrement reviendrait à permettre aux législateurs de mettre certaines dispositions législatives à l’abri de toute contestation constitutionnelle simplement en rédigeant un préambule. Du reste, seul l’art. 29 de la LARA s’attache au soi-disant deuxième objectif de cette loi.

[186]                      Nous estimons que la destruction des données visées par l’art. 29 ne peut être considérée comme nécessaire à l’abolition de l’obligation d’enregistrer les armes d’épaule. Ces deux objectifs demeurent distincts. D’ailleurs, tel qu’il a été mentionné précédemment, les projets de loi antérieurs ne prévoyaient pas la destruction des données.

[187]                      Par ailleurs, nous doutons que l’art. 29 puisse être rattaché à la LARA selon un critère de rationalité. En effet, bien que la destruction des données qui n’ont plus d’intérêt pour le gouvernement fédéral puisse paraître rationnelle à première vue, il nous semble difficile de concilier la manière dont cette destruction est prévue avec le souhait que pourraient manifester des provinces de maintenir un registre dans le cadre de leurs compétences. À l’audience, le PGC a de fait reconnu que ce n’était pas vraiment le transfert des données au gouvernement du Québec qui posait problème, mais plutôt la transmission des renseignements personnels des propriétaires d’armes d’épaule : transcription, p. 55. Nous avons déjà rejeté cet argument comme explication du refus de transmettre les données.

[188]                      Enfin, à l’instar du juge Blanchard, nous ne pouvons faire abstraction de l’intention déclarée du législateur fédéral de nuire à l’autre ordre de gouvernement. Dans le Renvoi sur la LAF , notre Cour a écrit ceci :

Cette loi ne permet pas au gouvernement fédéral d’étendre ses pouvoirs de façon importante au détriment des provinces. Il n’y a aucun empiétement déguisé dans les domaines provinciaux, ni dans le sens que le Parlement a agi pour un motif inapproprié ni dans le sens qu’il s’approprie des pouvoirs provinciaux sous le couvert du droit criminel. [par. 53]

Dans le présent pourvoi, nous ne saurions affirmer la même chose au sujet de la LARA, bien au contraire.

[189]                      Bien que cela ne soit pas nécessaire à notre analyse, la prise en compte de cette intention de nuire est d’autant plus pertinente qu’elle se matérialise dans un contexte où le Québec et le gouvernement fédéral avaient convenu d’agir en commun, dans un esprit de fédéralisme coopératif, lequel tire sa source du besoin grandissant de coopération intergouvernementale en vue de permettre à la fédération canadienne d’agir à l’égard de questions de nature polycentrique. Dans ce contexte, il est difficile d’imaginer comment une disposition qui vise à mettre fin à cette coopération et qui est édictée dans l’intention de nuire à un partenaire peut être rationnelle.

[190]                      L’analyse ci-dessus mène à une conclusion incontournable. En raison de son caractère véritable, l’art. 29 de la LARA ne relève pas de la compétence fédérale sur le droit criminel et il n’est pas accessoire à la LARA, laquelle demeure par ailleurs valide. Il s’ensuit que sa validité constitutionnelle n’a pas été établie. À notre avis, on ne saurait valider une mesure législative (1) qui ne relève pas de la compétence fédérale en matière de droit criminel et (2) qui contrecarre, par le débordement substantiel qu’elle cause, l’exercice corollaire des compétences provinciales auquel le partenariat a donné lieu. Conclure autrement serait en outre contraire aux principes du fédéralisme.

[191]                      Notre conclusion ne signifie pas pour autant que le Parlement ne peut aucunement légiférer pour détruire les données. Nous constatons simplement que, telle qu’elle est prévue à l’art. 29, la destruction des données sans offre de transfert préalable est inconstitutionnelle. Cette conclusion ne constitue donc pas un accroc au principe de la souveraineté parlementaire, codifié à l’art. 42  de la Loi d’interprétation , L.R.C. 1985, c. I-21 , car ce principe s’applique uniquement lorsque le Parlement exerce validement une de ses compétences législatives, c’est-à-dire dans le respect de la Constitution. Ce n’est pas le cas ici.

E.            Réparation convenable

(1)           Déclaration d’invalidité

[192]                      Compte tenu de cette conclusion, il y a lieu de déclarer l’art. 29 de la LARA invalide en vertu de l’art. 52  de la Loi constitutionnelle de 1982  : Banque canadienne de l’Ouest, par. 26.

[193]                      Le juge de la Cour supérieure a modulé la déclaration d’invalidité de l’art. 29 afin de la circonscrire aux données québécoises relatives aux armes d’épaule (soit les données provenant du Québec, ainsi que celles concernant les citoyens de cette province, ceux qui s’y trouvent et ceux qui y commettent des événements impliquant une arme d’épaule) (par. 194). Les données relatives à l’enregistrement des armes d’épaule des autres provinces ont d’ailleurs été détruites depuis le jugement de première instance, le 31 octobre 2012 : motifs de la Cour d’appel, par. 9; transcription, p. 87. À l’instar du juge Blanchard, nous limitons donc la déclaration d’invalidité aux données relatives aux armes d’épaule qui ont un lien avec le Québec.

(2)           Ordonnance de transfert des données

[194]                      Le premier juge a également déclaré que le Québec était en droit de recevoir les données visées par la déclaration d’invalidité dans un délai de 30 jours (par. 195). Pour ce faire, il s’est appuyé sur l’arrêt Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, et a conclu que bien que cet arrêt porte sur les réparations possibles en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés , il énonce des principes pouvant servir de guide en l’espèce (par. 163). En conséquence, le juge Blanchard a estimé que « le remède doit se moduler en fonction de circonstances de l’espèce et la nature du droit violé » (par. 164). Il a aussi noté « qu’une réparation convenable et juste doit pouvoir évoluer de manière à relever les nouveaux défis, la pratique traditionnelle et historique ne pouvant faire obstacle aux exigences d’une notion réfléchie et péremptoire du remède approprié » (par. 165). Le juge Blanchard a cependant formulé la réserve suivante :

     En matière de remède constitutionnel, le tribunal doit faire preuve de retenue. Il s’agit de remédier au mal en prescrivant la solution qui s’impose, sans pour autant aller au-delà de ce que requiert la violation du droit constitutionnel. [par. 167]

[195]                      En raison de la « tradition remarquable du respect des décisions judiciaires par les institutions gouvernementales », le juge Blanchard a estimé inopportun de rendre une ordonnance de la nature d’une injonction à l’égard du PGC (par. 190). Selon lui, un jugement déclaratoire « suffira certainement à déterminer de façon efficace et effective les droits et obligations des parties » (ibid.).

[196]                      Pour sa part, la Cour d’appel a traité rapidement du remède octroyé après avoir conclu à la validité constitutionnelle de l’art. 29. Elle a simplement précisé que la déclaration sur le transfert des données au Québec était « clairement inapproprié[e] », soulignant que « [l]es tribunaux ne doivent pas substituer à l’intention des législateur/es leur appréciation de l’opportunité d’une mesure législative » (par. 64).

[197]                      Devant notre Cour, le PGQ prétend que le gouvernement fédéral ne peut refuser de transférer les données que le Québec a contribué à constituer et à enrichir pour des fins provinciales et fédérales dans le cadre du partenariat existant entre eux. Ce refus serait contraire au fédéralisme coopératif. À l’audience, le PGQ a plutôt insisté sur le principe du fédéralisme. Il ajoute qu’un transfert des données ne serait pas contraire aux lois existantes en matière de protection des renseignements personnels. Le PGC répond que le Québec n’a aucun droit sur les données, malgré « [l]a désignation d’un contrôleur, l’accès aux fichiers d’enregistrement, les accords financiers ainsi que les avis concernant la protection des renseignements personnels », car ces données sont sous le contrôle du Directeur : m.i., par. 104.

[198]                      Nous sommes d’avis que le PGQ n’a pas établi de fondement juridique à sa revendication des données. L’absence d’obstacle légal au transfert de celles-ci ne signifie pas nécessairement que le Québec a fait la preuve d’un droit de les obtenir par voie judiciaire.

[199]                      La déclaration du juge Blanchard accordant au Québec le droit de recevoir les données équivaut ni plus ni moins à une injonction. Même si notre Cour dispose du pouvoir de rendre des ordonnances accessoires aux déclarations d’inconstitutionnalité, elle doit se garder d’intervenir activement dans les fonctions législatives et gouvernementales : voir R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236, p. 298-299. La Cour a affirmé à plusieurs reprises qu’il appartient généralement aux législateurs de combler les lacunes des règles de droit incompatibles avec la Constitution et non aux tribunaux de décrire précisément le genre de lois que les premiers doivent adopter pour satisfaire à leurs obligations constitutionnelles : voir Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, par. 132; Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, p. 169; Edwards Books, p. 783; Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), [1993] 1 R.C.S. 839, p. 860-861. Dans certains cas, la réparation convenable doit émaner du processus politique plutôt que des tribunaux : Renvoi relatif à la sécession du Québec, par. 102.

[200]                      En l’espèce, si la Cour prononçait une ordonnance de la nature d’une injonction ou déclarait que le Québec est en droit de recevoir les données, elle outrepasserait son rôle dans l’ordre constitutionnel canadien. S’il est vrai que le gouvernement fédéral ne peut décider de détruire unilatéralement les données accumulées au cours du partenariat sans tenir compte des conséquences d’une telle mesure sur les compétences provinciales, en revanche, le Québec ne peut dicter au gouvernement fédéral ce qu’il est « en droit » de recevoir au terme de leur relation. C’est aux membres du partenariat qu’il appartenait de prévoir les modalités de cessation de leur aventure commune dans leurs ententes ou, à défaut, de s’entendre maintenant sur les conditions applicables à cet égard, dont la destruction des données par le gouvernement fédéral. En conséquence, la manière dont leur collaboration doit prendre fin relève au premier chef de leur volonté.

[201]                      Ces constatations ne changent toutefois rien. Puisque par son caractère véritable, l’art. 29 ne relève pas d’une compétence fédérale et n’est pas suffisamment intégré à la LARA, il est invalide.

VI.        Conclusion

[202]                      Nous sommes d’avis d’accueillir le présent pourvoi en partie et de répondre à la question constitutionnelle de la manière suivante :

L’article 29 de la Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule, L.C. 2012, c. 6, outrepasse-t-il les pouvoirs du Parlement en matière de droit criminel que lui confère le par. 91(27)  de la Loi constitutionnelle de 1867 ?

 

Oui.

[203]                      Les autres ordonnances d’injonction ou de sauvegarde recherchées ne sont cependant pas justifiées et nous les rejetons. Vu le succès relatif de part et d’autre, il n’y a pas lieu d’accorder de dépens en faveur de quiconque.

                    Pourvoi rejeté avec dépens devant toutes les cours, les juges LeBel, Abella, Wagner et Gascon sont dissidents.

                    Procureurs de l’appelant : Bernard, Roy & Associés, Montréal.

                    Procureur des intimés : Procureur général du Canada, Montréal.

                    Procureurs de l’intervenante la Coalition pour le contrôle des armes : Juripop, Saint-Constant, Québec; Deveau, Bourgeois, Gagné, Hébert & associés, Gatineau.

                    Procureur de l’intervenante l’Association canadienne pour les armes à feu : Guy Lavergne, Saint-Lazare, Québec.

 



[1]   La LARA ne se rapporte qu’à l’enregistrement des armes d’épaule. Elle n’a aucun effet sur les permis et autorisations délivrés par le Contrôleur.

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