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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35, [2015] 2 R.C.S. 621

Date : 20150619

Dossier : 35613

 

Entre :

Réjean Hinse

Appelant

et

Procureur général du Canada

Intimé

- et -

Association in Defence of the Wrongly Convicted,

Centre Pro Bono Québec et Pro Bono Law Ontario

Intervenants

 

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel*, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon

 

Motifs conjoints de jugement :

(par. 1 à 181)

Les juges Wagner et Gascon (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis)

 

 

* Le juge LeBel n’a pas participé au jugement.

 

 

 

 


Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35, [2015] 2 R.C.S. 621

Réjean Hinse                                                                                                    Appelant

c.

Procureur général du Canada                                                                            Intimé

et

Association in Defence of the Wrongly Convicted,

Centre Pro Bono Québec et Pro Bono Law Ontario                               Intervenants

Répertorié : Hinse c. Canada (Procureur général)

2015 CSC 35

No du greffe : 35613.

2014 : 10 novembre; 2015 : 19 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel[*], Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon.

en appel de la cour d’appel du québec

                    Droit de la Couronne — Responsabilité de l’État — Prérogatives — Immunité de droit public — Pouvoir de clémence de la Couronne dévolu au ministre fédéral de la Justice par le Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46  — Qualification de la nature du pouvoir ministériel — Dans quelles circonstances l’exercice du pouvoir de clémence peut-il engager la responsabilité de l’État? — Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, c. C-50, art. 2  « responsabilité », 3a)(i) ― Code civil du Québec, art. 1376, 1457.

                    Responsabilité civile — Responsabilité de l’État — Faute — Immunité relative — Justiciable injustement condamné pour vol à main armée — Ministre fédéral de la Justice refusant d’exercer le pouvoir de clémence de la Couronne qui lui est dévolu par le Code criminel  — Norme de faute applicable à la conduite du ministre — Le justiciable a-t-il démontré de façon prépondérante que le ministre a fait preuve de mauvaise foi ou d’insouciance grave dans l’examen des demandes de clémence? — Code civil du Bas-Canada, art. 1053 ― Code civil du Québec, art. 1457.

                    Dommages-intérêts — Dommages-intérêts punitifs — Honoraires extrajudiciaires — Représentation pro bono — Le justiciable est-il en droit de recevoir des dommages-intérêts compensatoires ou punitifs? — En cas d’abus de procédure et en présence d’une entente pro bono, des dommages-intérêts peuvent-ils être accordés au Québec au titre des honoraires extrajudiciaires, dans le but d’indemniser la partie qui subit un préjudice résultant de la faute de l’autre partie? — Code civil du Québec, art. 1608.

                    En 1964, H est injustement condamné à 15 ans d’emprisonnement pour vol à main armée. Il bénéficiera d’une libération conditionnelle après avoir purgé le tiers de sa peine. En 1966, il convainc trois des cinq auteurs du vol de signer des déclarations sous serment l’innocentant. De 1967 à 1981, H présente en vertu du Code criminel  trois demandes de clémence au ministre fédéral de la Justice (« Ministre ») et une demande de pardon au gouverneur général en conseil. Toutes se soldent par des échecs. En 1988, il s’adresse à la Commission de police du Québec. Au terme d’une enquête, cette dernière exprime le souhait que le procureur général du Québec (« PGQ ») intervienne auprès du Solliciteur général du Canada afin que justice soit rendue. En 1990, H présente une quatrième demande de clémence, mais la Ministre lui répond de s’adresser à la Cour d’appel du Québec, ce qu’il fait. La Cour d’appel accueille l’appel, mais au lieu de prononcer un verdict d’acquittement ou d’ordonner un nouveau procès, elle ordonne l’arrêt des procédures. Le 21 janvier 1997, la Cour suprême du Canada acquitte H unanimement, séance tenante, étant d’avis que la preuve ne pourrait permettre à un jury raisonnable correctement instruit de conclure hors de tout doute raisonnable à la culpabilité de H. H entreprend alors un recours en responsabilité civile pour faire condamner solidairement le PGQ, le procureur général du Canada (« PGC ») et la ville de Mont-Laurier. À la suite d’ententes conclues à l’amiable, la ville et le PGQ lui versent une indemnité totale de 5 550 000 $. Après ce règlement, H continue de réclamer du PGC 1 079 871 $ pour ses pertes pécuniaires et 1 900 000 $ pour ses pertes non pécuniaires, ainsi que 10 000 000 $ en dommages-intérêts punitifs.

                    La Cour supérieure accueille l’action et condamne le PGC à payer à H une somme de près de 5,8 millions de dollars. Elle estime qu’en application de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif , le Ministre est soumis aux règles québécoises de la responsabilité civile, qu’il ne bénéficie d’aucune immunité, qu’il a commis une faute d’« inertie » ou d’« indifférence institutionnelle » et qu’une étude nourrie, concertée et fouillée aurait fait découvrir la méprise. Elle condamne le PGC à verser à H plus de 850 000 $ au titre des dommages pécuniaires, 1 900 000 $ au titre des dommages non pécuniaires et 2 500 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs. Elle estime aussi que le PGC a abusé de son droit d’ester en justice et lui ordonne de verser 100 000 $ pour les honoraires payés par H au premier cabinet d’avocats qui l’a représenté et 440 000 $ pour la valeur des services rendus par le deuxième, bien que ce dernier ne lui ait jamais facturé d’honoraires en raison d’une entente pro bono.

                    La Cour d’appel infirme le jugement. Elle conclut que le pouvoir de clémence du Ministre est assorti d’une immunité relative et que seule une décision empreinte de mauvaise foi, démontrant une intention malveillante, peut entraîner la responsabilité de l’État. En l’espèce, elle estime que la preuve de la faute du Ministre n’est pas établie et que, même en supposant l’existence d’une faute, rien n’indique que l’erreur judiciaire aurait été rapidement découverte si le Ministre avait agi promptement.

                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

                    Le pouvoir de clémence codifié dans le Code criminel  tire sa source de la prérogative royale de clémence. À l’époque pertinente, les dispositions applicables du Code criminel  laissaient au Ministre le soin de déterminer dans quelles circonstances il devait intervenir. En prenant cette décision discrétionnaire, le Ministre devait évaluer et soupeser des considérations d’intérêt public, en fonction de facteurs sociaux, politiques et économiques. Le pouvoir naissait après l’extinction des recours judiciaires, et en l’exerçant, le Ministre devait prendre soin d’éviter d’usurper le rôle des tribunaux et de court-circuiter le processus judiciaire habituel. L’historique et la nature du pouvoir de clémence démontrent que son exercice participait d’un véritable acte de politique générale fondamentale. L’exercice d’un tel pouvoir ne pouvait donc engager la responsabilité de l’État que si le Ministre agissait de façon irrationnelle ou de mauvaise foi.

                    Pour apprécier la conduite du Ministre dans l’exercice de son pouvoir de clémence, il n’y a pas lieu d’appliquer une norme de faute qui limite la mauvaise foi à une intention malveillante. En droit civil québécois, la mauvaise foi a une portée plus large que celle de la seule faute intentionnelle ou de l’existence d’une volonté affirmée de nuire à autrui. La mauvaise foi peut être établie par une preuve montrant que le Ministre a agi délibérément dans l’intention arrêtée de nuire à autrui, ou par une preuve d’insouciance grave révélant un dérèglement tellement fondamental des modalités de l’exercice du pouvoir que l’on peut en déduire l’absence de bonne foi et présumer la mauvaise foi. À la lumière des dispositions applicables du Code criminel  et de l’absence, à l’époque pertinente, de procédure établie encadrant le pouvoir de clémence, le Ministre était tenu de faire un examen sérieux de toute demande non futile et non vexatoire. Cet examen ne correspond cependant pas à celui attendu d’une enquête policière ou d’une commission d’enquête. L’obligation d’examen sérieux emporte celle de prendre une décision de bonne foi en fonction des éléments révélés par cet examen.

                    Il était erroné pour la première juge d’aborder la question de la responsabilité civile de l’État fédéral sous l’angle d’une faute d’inertie ou d’indifférence institutionnelle. Il fallait plutôt analyser la conduite individuelle de chaque Ministre qui agissait en tant que préposé de l’État fédéral. La juge de première instance a erronément évalué le caractère sérieux de l’examen fait par le Ministre en fonction des pouvoirs accordés à un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes , lesquels n’ont été conférés au Ministre qu’en 2002, lorsque le Parlement a procédé à la réforme des demandes de clémence. De plus, il n’existe aucune loi obligeant les gouvernements fédéral ou provinciaux à indemniser une victime d’erreur judiciaire, ni aucune loi établissant le droit à une telle indemnisation. Le gouvernement fédéral n’était pas non plus tenu d’indemniser H en vertu des Lignes directrices d’indemnisation des personnes condamnées et emprisonnées à tort, lesquelles n’ont pas force exécutoire.

                    En l’espèce, H n’a pas démontré de façon prépondérante que le Ministre a fait preuve de mauvaise foi ou d’insouciance grave dans l’examen de ses demandes de clémence. La preuve documentaire fait échec à l’inférence de la juge de première instance voulant qu’il y ait eu absence totale d’examen de la demande de clémence initiale de H. Bien que peu nombreux, les écrits au dossier attestent un certain examen et certaines démarches effectuées en ce sens. Par des admissions, les parties ont reconnu que des préposés de l’État auraient affirmé que selon leur compréhension, une étude approfondie et soigneuse du dossier était alors en cours. En dépit du délai reproché concernant l’examen de la première demande, l’analyse des circonstances n’appuie pas la conclusion que le Ministre a agi avec mauvaise foi ou a fait preuve d’insouciance grave. Quant aux trois demandes subséquentes de H, on ne peut raisonnablement soutenir qu’il y a eu absence d’examen sérieux. La correspondance pertinente témoigne du contraire. La deuxième demande, très succincte et sans éléments de preuve ni arguments juridiques nouveaux, pouvait paraître futile aux yeux du Ministre, ce qui justifiait son rejet. En ce qui concerne la troisième demande, vu le peu de détails fournis, les allégations fondées sur de vagues irrégularités pouvaient paraître de peu de poids aux yeux du Ministre. Quant à la quatrième demande, il était raisonnable pour la Ministre de justifier sa décision par la possibilité que la Cour d’appel se saisisse elle-même de la demande sans son intervention, d’autant plus que la Ministre n’a pas opposé un refus ferme.

                    Des remarques additionnelles sur le lien de causalité et les dommages s’imposent. Même en supposant que le Ministre ait omis d’effectuer un examen sérieux de la première demande, la preuve n’établit pas qu’il aurait probablement découvert, à l’époque, les éléments clés découverts par l’enquêteur de la Commission de police 20 ans plus tard. Conclure autrement reviendrait à se fonder sur de simples conjectures ou des hypothèses lointaines. H n’a pas réussi à établir le lien de causalité entre la faute du Ministre et le préjudice allégué.

                    Sur la question des dommages, la juge de première instance a fait défaut de tenir compte de la solidarité et de fixer les montants accordés en fonction de la responsabilité respective de chacun des débiteurs solidaires. Dans la mesure où des postes de réclamation pouvaient relever de la responsabilité de plus d’un débiteur solidaire, les remises consenties par H au PGQ et à la ville de Mont-Laurier rendaient nécessaires l’examen des fautes causales et le partage des parts de responsabilité. H aurait dû supporter la part des débiteurs solidaires qu’il a libérés (art. 1526 et 1690 C.c.Q.). Au-delà de cette erreur déterminante, les fondements à l’appui de chacun des chefs de dommages étaient en outre déficients. En ce qui concerne les dommages pécuniaires, il n’y a pas de lien direct entre la conduite du Ministre et la décision de H de prendre sa retraite à 60 ans, les honoraires et dépens engagés pour les démarches en Cour d’appel et en Cour suprême de 1990 à 1997 ne découlent pas des fautes reprochées, et la perte de temps et les efforts déployés pour obtenir justice sont des inconvénients inhérents aux efforts de quiconque est entraîné dans une démarche judiciaire. Quant aux dommages non pécuniaires, condamner le PGC à verser 1 900 000 $ alors que le PGQ a versé 1 100 000 $ pour ce même chef de dommages paraît démesuré, et les sommes allouées dans d’autres affaires d’erreurs judiciaires faisaient pour la plupart suite aux recommandations d’organes consultatifs et reposaient sur des considérations différentes de celles qui sont en principe à la base de l’adjudication de dommages-intérêts. Les affaires se distinguaient en outre du fait qu’elles impliquaient le crime beaucoup plus grave de meurtre et que, dans presque chacune d’elles, la période d’incarcération avait été plus longue. Quant aux dommages-intérêts punitifs, même si le renvoi, dans la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif , à la responsabilité civile extracontractuelle au Québec englobe le recours en dommages-intérêts punitifs prévu par la Charte des droits et libertés de la personne, il n’était pas approprié d’allouer de tels dommages–intérêts en l’espèce. Le comportement du Ministre ne pouvant être assimilé à de la mauvaise foi ou à de l’insouciance grave, il n’est pas possible de conclure à une atteinte intentionnelle à un droit protégé par la Charte. La preuve ne permet pas d’affirmer que le Ministre a agi avec un état d’esprit démontrant une volonté de nuire à H ou avec une connaissance des conséquences nuisibles à ce dernier.

                    En droit québécois, ce n’est qu’exceptionnellement qu’une partie peut être tenue de payer les honoraires d’avocats engagés par la partie adverse, et cette indemnisation doit satisfaire aux règles générales de la responsabilité civile. Seul l’abus d’ester en justice permet l’adjudication d’honoraires extrajudiciaires à titre de dommages-intérêts. Par contre, suivant l’art. 1608 C.c.Q., l’obligation de payer des dommages-intérêts à l’autre partie n’est ni atténuée ni modifiée par le fait que celle-ci reçoive une prestation à titre gratuit de ses avocats. En l’espèce, le PGC n’a pas commis d’abus de procédure. L’état du droit sur la responsabilité de la Couronne fédérale en cas de faute du Ministre dans l’exercice de son pouvoir de clémence était loin d’être certain au moment du litige, et il était raisonnable et approprié pour le PGC de contester l’action de H et d’invoquer la défense qu’il a présentée. La juge de première instance a commis une erreur manifeste et déterminante en concluant à un abus de procédure dans le contexte de ce dossier. H n’avait pas droit aux honoraires extrajudiciaires accordés.

Jurisprudence

                    Arrêts appliqués : Finney c. Barreau du Québec, 2004 CSC 36, [2004] 2 R.C.S. 17; R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45; Entreprises Sibeca Inc. c. Frelighsburg (Municipalité), 2004 CSC 61, [2004] 3 R.C.S. 304; Viel c. Entreprises Immobilières du Terroir ltée, [2002] R.J.Q. 1262; distinction d’avec les arrêts : Miazga c. Kvello (Succession), 2009 CSC 51, [2009] 3 R.C.S. 339; Proulx c. Québec (Procureur général), 2001 CSC 66, [2001] 3 R.C.S. 9; Nelles c. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170; 1465778 Ontario Inc. c. 1122077 Ontario Ltd. (2006), 82 O.R. (3d) 757; arrêt approuvé : Thatcher c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 289; arrêts mentionnés : Agence canadienne d’inspection des aliments c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2010 CSC 66, [2010] 3 R.C.S. 657; Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85, [2002] 4 R.C.S. 663; Attorney General for Canada c. Attorney General of the Province of Ontario (1894), 23 R.C.S. 458; Therrien (Re), 2001 CSC 35, [2001] 2 R.C.S. 3; Krieger c. Law Society of Alberta, 2002 CSC 65, [2002] 3 R.C.S. 372; Bilodeau c. Canada (Ministre de la Justice), 2009 QCCA 746, [2009] R.J.Q. 1003; Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441; Bilodeau c. Canada (Ministre de la Justice), 2011 CF 886; Daoulov c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 12, 388 N.R. 54; Timm c. Canada (Procureur général), 2012 CF 505, conf. par 2012 CAF 282, 451 N.R. 250; Barrette c. Union canadienne, compagnie d’assurances, 2013 QCCA 1687, [2013] R.J.Q. 1577; France Animation s.a. c. Robinson, 2011 QCCA 1361, [2011] R.J.Q. 1415, conf. par 2013 CSC 73, [2013] 3 R.C.S. 1168; Longpré c. Thériault, [1979] C.A. 258; Crispino c. General Accident Insurance Company, 2007 QCCA 1293, [2007] R.R.A. 847; St-Yves c. Laurentienne générale, compagnie d’assurance inc., 1997 CanLII 10732; Wilson c. Ministre de la Justice, [1983] 2 C.F. 379, conf. par [1985] 1 C.F. 586; Parrot c. Thompson, [1984] 1 R.C.S. 57; Dallaire c. Paul-Émile Martel Inc., [1989] 2 R.C.S. 419; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401; Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., [1978] 2 R.C.S. 229; Thornton c. School District No. 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267; Arnold c. Teno, [1978] 2 R.C.S. 287; Proulx c. Québec (Procureur général), [1997] R.J.Q. 2509; Proulx c. Québec (Procureur général), [1997] R.J.Q. 2516; Chaput c. Romain, [1955] R.C.S. 834; de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, [2010] 3 R.C.S. 64; Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30, [2004] 1 R.C.S. 789; Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211; Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 R.C.S. 371; Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3; Human Rights Commission (Ont.) c. Brillinger (2004), 185 O.A.C. 366; Reynolds c. Kingston (Police Services Board), 2007 ONCA 375, 86 O.R. (3d) 43.

Lois et règlements cités

Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, art. 49.

Code civil du Bas-Canada, art. 1053, 1054.

Code civil du Québec, disposition préliminaire, art. 1376, 1440, 1457, 1463, 1474, 1478, 1526, 1607, 1608, 1621, 1690, 2803, 2846, 2849.

Code criminel , L.R.C. 1985, c. C-46, art. 690 , partie XXI.1, 696.2, 696.3, 696.4, 696.5, 748.

Code criminel, S.C. 1953-54, c. 51, art. 596, 655.

Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 617.

Code criminel, 1892, S.C. 1892, c. 29, art. 748.

Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25, art. 54.1 à 54.6, 54.4.

Lettres patentes constituant la charge de Gouverneur général du Canada (1947). Dans Gazette du Canada, partie I, vol. 81, p. 3109 [reproduites dans L.R.C. 1985, app. II, no 31].

Loi d’interprétation , L.R.C. 1985, c. I-21, art. 8.1 .

Loi de 1968-69 modifiant le droit pénal, S.C. 1968-69, c. 38, art. 62.

Loi de 2001 modifiant le droit criminel, L.C. 2002, c. 13, art. 70, 71.

Loi sur l’application de la réforme du Code civil, art. 2, 3, 9.

Loi sur l’organisation policière, L.R.Q., c. O-8.1 [rempl. 2000, c. 12, art. 353], art. 64 à 88, 71, 84, 85.

Loi sur la police, RLRQ, c. P-13.1.

Loi sur la protection des arbres, RLRQ, c. P-37.

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif , L.R.C. 1985, c. C-50, art. 2  « responsabilité », 2.1 « personne », 3, 8.

Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.C. 1952-53, c. 30, art. 3(1).

Loi sur les enquêtes , L.R.C. 1985, c. I-11 , partie I, art. 4, 5, 11.

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 999 R.T.N.U. 171, art. 14(6).

Règlement sur les demandes de révision auprès du ministre (erreurs judiciaires), DORS/2002-416, art. 3, 4.

Doctrine et autres documents cités

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Canada. Bibliothèque du Parlement. Service de recherche. « Les condamnations injustifiées dans le système de justice pénale », étude générale BP-285F, par Philip Rosen, janvier 1992.

Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. IV, 7e sess., 21e lég., 26 mars 1953, p. 3520.

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Canada. Sénat. Débats du Sénat, vol. 139, no 66, 1re sess., 37e lég., 1er novembre 2001, p. 1612.

Garant, Patrice, avec la collaboration de Philippe Garant et Jérôme Garant. Droit administratif, 6e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2010.

Hogg, Peter W., Patrick J. Monahan and Wade K. Wright. Liability of the Crown, 4th ed., Toronto, Carswell, 2011.

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Trotter, Gary T. « Justice, Politics and the Royal Prerogative of Mercy : Examining the Self-Defence Review » (2001), 26 Queen’s L.J. 339.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Pelletier, Bich et Bouchard), 2013 QCCA 1513, [2013] R.J.Q. 1451, [2013] AZ-51000894, [2013] J.Q. no 7562 (QL), 2013 CarswellQue 8911 (WL Can.), qui a infirmé une décision de la juge Poulin, 2011 QCCS 1780, [2011] R.J.Q. 794, [2011] AZ-50742270, [2013] J.Q. no 3760 (QL), 2011 CarswellQue 3905 (WL Can.). Pourvoi rejeté.

                    Guy J. Pratte, Alexander De Zordo et Marc-André Grou, pour l’appelant.

                    Bernard Letarte et Vincent Veilleux, pour l’intimé.

                    Brian H. Greenspan et Naomi M. Lutes, pour l’intervenante Association in Defence of the Wrongly Convicted.

                    Bernard Larocque et Jonathan Lacoste-Jobin, pour l’intervenant le Centre Pro Bono Québec.

                    Ranjan K. Agarwal et Nathan J. Shaheen, pour l’intervenante Pro Bono Law Ontario.

                    Le jugement de la Cour a été rendu par

                    Les juges Wagner et Gascon —

I.          Introduction

[1]                              Même s’il est salué à travers le monde, le système de justice criminelle canadien n’est pas à l’abri du risque d’erreur judiciaire. Pour remédier à de telles situations, les victimes de ces erreurs — heureusement très rares mais aux conséquences importantes — bénéficient de certains recours. Un de ces recours consiste à faire appel au pouvoir discrétionnaire de clémence prévu au Code criminel , L.R.C. 1985, c. C-46  (« C. cr. »), qui permet au ministre fédéral de la Justice (« Ministre » ou « Ministres ») de faciliter la correction de ces erreurs dans certains cas. Dans ce pourvoi, la Cour est appelée à se prononcer pour la première fois sur la norme de conduite applicable à l’exercice de ce pouvoir et sur les circonstances dans lesquelles la responsabilité de l’État fédéral peut être engagée.

[2]                              L’appelant, Réjean Hinse, a été injustement condamné pour vol à main armée. À la suite d’ententes conclues à l’amiable, la ville de Mont-Laurier (« Mont-Laurier ») et le procureur général du Québec (« PGQ ») lui ont versé une indemnité totale de 5 550 000 $ pour cette erreur judiciaire. Selon M. Hinse, cette indemnisation n’est toutefois pas complète, puisque les Ministres qui ont eu à se prononcer sur ses demandes de clémence au fil des ans ont eux aussi commis une faute en omettant d’exercer avec diligence leur pouvoir en sa faveur. 

[3]                              La Cour supérieure du Québec a estimé qu’une faute simple suffisait pour que soit engagée la responsabilité civile de l’État à la suite de la conduite du Ministre. La juge du procès a conclu qu’une faute d’« inertie » ou d’« indifférence institutionnelle » du gouvernement fédéral avait causé à M. Hinse des dommages équivalant à près de 5,8 millions de dollars. La Cour d’appel a infirmé ce jugement, exprimant l’avis que le titulaire de ce pouvoir de clémence est protégé par une immunité analogue à celle dont jouissent les procureurs de la Couronne en cas de poursuites criminelles abusives. Vu l’absence de faute intentionnelle, lourde ou même simple du Ministre, elle a rejeté le recours de M. Hinse contre le procureur général du Canada (« PGC »).

[4]                              Nous sommes d’avis qu’à l’époque des faits pertinents l’exercice du pouvoir de clémence du Ministre constituait un véritable acte de politique générale. Il était en conséquence protégé par une immunité relative (ou « restreinte »). Saisi d’une demande de clémence qui n’était ni futile ni vexatoire, le Ministre avait l’obligation de mener un examen sérieux de cette demande, et en cas de manquement à cette obligation équivalant à de la mauvaise foi, ce qui englobe l’insouciance grave, la responsabilité de l’État pouvait être engagée.

[5]                              Nous sommes d’accord avec la Cour d’appel pour dire que la prépondérance de la preuve n’appuie pas l’inférence de la première juge voulant que les Ministres aient commis un manquement aux règles de la responsabilité civile en l’espèce. Nous partageons aussi l’opinion des juges d’appel selon laquelle, à tout événement, M. Hinse ne s’est pas déchargé du fardeau qui lui incombait d’établir le lien de causalité requis entre les agissements des Ministres et le préjudice allégué. Enfin, tout comme la Cour d’appel, nous concluons que les dommages-intérêts accordés à l’appelant en sus des 5 550 000 $ déjà versés à ce dernier sont injustifiés. Il y a donc lieu de rejeter le pourvoi.

II.       Contexte et historique judiciaire

[6]                              En septembre 1964, M. Hinse est reconnu coupable d’un vol à main armée qu’il prétend ne pas avoir commis. Il est condamné à 15 ans d’emprisonnement. Comme on lui refuse l’aide juridique, il ne porte pas sa condamnation en appel. Il entreprend néanmoins des démarches pour faire reconnaître l’erreur judiciaire dont il se dit victime.

[7]                              En 1966, il convainc trois des cinq auteurs du vol de signer des déclarations sous serment l’innocentant. Le 24 avril 1967, il écrit au Ministre pour faire reconnaître l’erreur dont il se dit victime. C’est le début d’une correspondance qui s’échelonnera sur plus de trois décennies. S’il est en prison lors des premiers échanges, M. Hinse bénéficie d’une libération conditionnelle à compter de 1969, après avoir purgé le tiers de sa peine.

[8]                              De 1967 à 1981, M. Hinse présente trois demandes de clémence. Il présente également une demande de pardon au gouverneur général en conseil en 1971. Toutes ces demandes se soldent par des échecs. En 1988, il s’adresse à la Commission de police du Québec (« Commission de police »). Au terme d’une enquête menée pour vérifier les faits allégués par M. Hinse, la Commission de police estime la plainte de ce dernier « suffisamment troublante » et les faits recueillis « suffisamment probants » pour justifier le dépôt d’un mémoire qu’elle achemine au PGQ et au ministre de la Sécurité publique du Québec : d.a., vol. XI, p. 36. Elle y exprime le souhait que le PGQ intervienne auprès du Solliciteur général du Canada afin que « justice soit rendue » à M. Hinse : ibid., p. 68. Le 20 novembre 1990, le ministre de la Sécurité publique du Québec fait parvenir ce mémoire au Solliciteur général du Canada. C’est à ce moment que M. Hinse présente une quatrième demande de clémence. La Ministre lui répond alors de s’adresser à la Cour d’appel du Québec, ce qu’il fait.

[9]                              Le 8 juin 1994, après avoir autorisé M. Hinse à déposer un avis d’appel et à présenter une nouvelle preuve, la Cour d’appel accueille son pourvoi : (1994), 64 C.A.Q. 53. Toutefois, au lieu de prononcer un verdict d’acquittement ou d’ordonner un nouveau procès, la cour invoque son pouvoir inhérent et ordonne l’arrêt des procédures pour cause d’abus, sans que M. Hinse ne lui en ait fait la demande.

[10]                          Celui-ci porte l’affaire devant notre Cour, contestant la légalité et la constitutionnalité de l’arrêt des procédures. La Cour lui refuse l’autorisation de se pourvoir devant elle : [1995] 1 R.C.S. viii. M. Hinse ne lâche pas prise et dépose une demande de réexamen. Le 30 novembre 1995, la Cour accueille sa demande et autorise le pourvoi : [1995] 4 R.C.S. 597. Le 21 janvier 1997, elle l’acquitte unanimement, séance tenante, « étant d’avis que la preuve ne pourrait permettre à un jury raisonnable correctement instruit de conclure hors de tout doute raisonnable à la culpabilité de l’appelant » : [1997] 1 R.C.S. 3, par. 2.

[11]                          Dès le 4 février suivant, M. Hinse transmet une mise en demeure au PGC. Le 5 juin 1997, il entreprend un recours pour faire condamner solidairement trois défendeurs : le PGQ, le PGC et Mont-Laurier. Le 15 novembre 2002, Mont-Laurier signe avec lui une transaction totalisant 250 000 $. Le 2 décembre 2010, c’est au tour du PGQ de conclure une transaction, cette fois pour un montant global de 5 300 000 $ en capital, intérêts et frais. Ce règlement à l’amiable intervient après plus de quatre semaines d’audience sur le fond du recours, une fois la preuve close, mais avant les plaidoiries.

[12]                          L’audience au fond se complète donc avec le PGC comme seul défendeur. En ce qui le concerne, M. Hinse allègue que l’administration fédérale a contribué à perpétuer et exacerber son préjudice en omettant d’agir avec diligence pour reconnaître et corriger l’erreur judiciaire dont il a été victime. Il soutient que la conduite des autorités fédérales « atteste d’une incurie, d’une insouciance et d’un déni total répréhensibles qui doivent être dénoncés et condamnés par l’octroi de dommages exemplaires » : d.a., vol. IV, p. 31. Après le règlement intervenu avec le PGQ, il continue de réclamer du PGC 1 079 871 $ pour ses pertes pécuniaires et 1 900 000 $ pour ses pertes non pécuniaires, ainsi que 10 000 000 $ en dommages-intérêts punitifs.

A.       Cour supérieure du Québec, 2011 QCCS 1780, [2011] R.J.Q. 794

[13]                          La Cour supérieure accueille l’action de M. Hinse et condamne le PGC à lui payer une somme de près de 5,8 millions de dollars.

[14]                          La juge Poulin détermine d’abord que les règlements à l’amiable conclus entre M. Hinse et Mont-Laurier et le PGQ constituent une remise de dette expresse. M. Hinse n’a donc pas à prouver une faute de leur part, mais l’État fédéral ne peut être tenu responsable que de la part du préjudice que ses préposés ont causé : par. 17-22; art. 1690 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »).

[15]                          Ensuite, la juge Poulin considère que le Ministre est soumis aux règles québécoises de la responsabilité civile et qu’il ne bénéficie d’aucune immunité : par. 62-63. Elle conclut qu’il a commis une faute d’« inertie » ou d’« indifférence institutionnelle » : par. 33, 55 et 75-76. Il avait le devoir de procéder à un examen sérieux des demandes de M. Hinse et il a omis de le faire : par. 71 et 73.

[16]                          La juge est d’avis que M. Hinse a prouvé le lien de causalité par présomption de fait, puisqu’une « étude nourrie, concertée, fouillée, compétente et contemporaine de ses premières démarches aurait, à coup sûr, fait découvrir la méprise au PGC » : par. 75 et 98. Selon la juge, M. Hinse a fait la preuve du préjudice qu’il a subi. Elle condamne le PGC à lui verser plus de 850 000 $ au titre des dommages pécuniaires et 1 900 000 $ au titre des dommages non pécuniaires. Elle conclut également à une atteinte illicite et intentionnelle au droit à sa dignité et lui accorde 2 500 000 $ à titre de dommages-intérêts exemplaires. Enfin, elle estime que le PGC a abusé de son droit d’ester en justice. Elle lui ordonne de verser à M. Hinse 100 000 $ pour les honoraires payés au premier cabinet d’avocats qui l’a représenté, et 440 000 $ pour la valeur des services rendus par le deuxième, bien que ce dernier ne lui ait jamais facturé d’honoraires en raison d’une entente pro bono.

B.       Cour d’appel du Québec, 2013 QCCA 1513, [2013] R.J.Q. 1451

[17]                          La Cour d’appel infirme le jugement de première instance. Elle se dit en désaccord avec la conclusion de la juge sur la question de l’immunité. À ses yeux, le pouvoir de clémence du Ministre est assorti d’une immunité relative : par. 141. Ainsi, seule une décision du Ministre empreinte de mauvaise foi, démontrant une intention malveillante, peut entraîner la responsabilité de l’État : par. 144 et 150.

[18]                          La Cour d’appel estime que la preuve de la faute du Ministre n’est pas établie : par. 157. Elle reconnaît la difficulté « d’évaluer avec précision la nature de l’étude faite en raison du caractère sommaire de la preuve administrée », mais elle ne tire pas d’inférence négative de la brièveté de la décision du Ministre : par. 170. À cette époque, le Ministre n’avait pas l’obligation de motiver sa décision et sa bonne foi doit être présumée. La Cour d’appel rejette aussi l’idée que les délais ayant précédé la décision du Ministre soient la cause des dommages : même en supposant l’existence d’une faute, rien n’indique que l’erreur judiciaire aurait été rapidement découverte si le Ministre avait agi promptement (par. 171-172).

[19]                          Par ailleurs, les juges d’appel précisent que, même dans l’hypothèse où l’on retiendrait une quelconque faute du PGC, la juge Poulin a omis de procéder au partage de responsabilité entre ce dernier, le PGQ et Mont-Laurier pour les besoins du calcul des dommages-intérêts : par. 193 et suiv. Relativement aux dommages-intérêts punitifs, les juges concluent que même si la faute avait été prouvée, il y a absence d’atteinte illicite et intentionnelle aux droits fondamentaux de M. Hinse : par. 228-232. Enfin, ils écartent les conclusions de la juge au sujet de l’abus de procédure : par. 242.

III.    Questions en litige

[20]                          Le pourvoi soulève plusieurs questions, qui peuvent être résumées ainsi :

1.         Quelles sont les règles de la responsabilité civile applicables au pouvoir de clémence du Ministre?

 

2.         L’appelant a-t-il démontré que la conduite du Ministre était fautive en l’espèce?

 

3.         Dans l’affirmative, l’appelant a-t-il prouvé le lien de causalité entre la faute du Ministre et le préjudice allégué?

 

4.         Si c’est le cas, l’appelant est-il en droit de recevoir des dommages-intérêts compensatoires ou punitifs et d’être indemnisé pour les honoraires extrajudiciaires de ses avocats?

IV.    Analyse

A.       Les règles de la responsabilité civile applicables au pouvoir de clémence du Ministre

(1)       La responsabilité extracontractuelle de l’État

[21]                          La source de la responsabilité civile de la Couronne fédérale est la Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.C. 1952-53, c. 30, devenue la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif , L.R.C. 1985, c. C-50  (« L.R.C.É.  »). La L.R.C.É.  précise que la responsabilité civile de l’État fédéral est régie par le droit du ressort où les actes ont été commis. Au Québec, par l’effet combiné de la L.R.C.É. et des dispositions du C.c.Q., l’État fédéral est généralement assujetti aux règles de responsabilité civile établies à l’art. 1457 C.c.Q. : Agence canadienne d’inspection des aliments c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2010 CSC 66, [2010] 3 R.C.S. 657, par. 25-26. En l’espèce, la responsabilité de l’État découlerait de la faute de ses préposés : art. 2 « responsabilité » et sous-al. 3 a ) (i) L.R.C.É. 

[22]                          L’article 1376 C.c.Q. prévoit cependant que le régime de responsabilité établi par le C.c.Q. s’applique « à l’État, ainsi qu’à ses organismes et à toute autre personne morale de droit public, sous réserve des autres règles de droit  qui leur sont applicables ». Notre Cour a par exemple reconnu que des principes généraux ou des règles de droit public peuvent faire obstacle à l’application du régime général de responsabilité civile ou en modifier substantiellement les règles de fonctionnement : Finney c. Barreau du Québec, 2004 CSC 36, [2004] 2 R.C.S. 17, par. 27; Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85, [2002] 4 R.C.S. 663, par. 31; Agence canadienne d’inspection des aliments, par. 26.

[23]                          Parmi ces principes, mentionnons ceux relatifs à l’immunité de l’État, sur lesquels notre Cour s’est penchée dans R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45; voir aussi Agence canadienne d’inspection des aliments, par. 27; art. 8 L.R.C.É. Dans Imperial Tobacco, la Cour souligne que, selon le point de vue majoritaire qui prévaut au Canada, seules les « véritables » décisions de politique générale sont protégées par une immunité. La Cour précise qu’il n’y a pas lieu de supposer une nette dichotomie entre les décisions de politique générale et les décisions opérationnelles, ou de définir négativement les premières comme n’étant pas des décisions de nature « opérationnelle » : par. 84-86. Sans établir de critère absolu, la Cour conclut que les décisions de politique générale fondamentale à l’égard desquelles le gouvernement est soustrait aux poursuites « se rapportent à une ligne de conduite et reposent sur des considérations d’intérêt public, tels des facteurs économiques, sociaux ou politiques, pourvu qu’elles ne soient ni irrationnelles ni prises de mauvaise foi » : par. 90. Ces décisions forment un sous-ensemble restreint de décisions discrétionnaires. Elles sont réfléchies et traduisent « une “politique générale” dans le sens d’une règle ou orientation générale appliquée dans une situation précise » : par. 87. Pour les identifier, le rôle du décideur peut se révéler pertinent, car les employés au niveau opérationnel ne participent habituellement pas à la prise de décisions de politique générale : par. 87-90.

[24]                          Dans Imperial Tobacco, la Cour n’édicte pas une règle ferme selon laquelle seules les décisions qui sont de « véritables » décisions de politique générale fondamentale sont susceptibles d’être protégées par une immunité relative. Au contraire, elle affirme qu’« [i]l serait illusoire de vouloir établir un critère absolu qui donnerait rapidement et infailliblement une réponse à l’égard de toute décision parmi la gamme infinie de celles que peuvent prendre les acteurs gouvernementaux » : par. 90. Même si cet arrêt portait sur la responsabilité de l’État canadien pour cause de négligence en common law, les conclusions sur la question de l’immunité reconnue à l’égard des actes étatiques relèvent du droit public. À ce titre, elles sont applicables aux règles québécoises en matière de responsabilité de l’État.

[25]                          Compte tenu de ces enseignements, il convient d’abord de qualifier la nature du pouvoir ministériel en cause afin de déterminer s’il s’agit d’un véritable acte de politique générale fondamentale bénéficiant d’une immunité relative. Cela fait, il faut identifier la norme de faute applicable à ce pouvoir et, après avoir cerné la nature des obligations auxquelles le Ministre était astreint durant la période pertinente, appliquer cette norme aux faits.

(2)       La nature du pouvoir ministériel en cause

[26]                          En l’espèce, la juge Poulin a estimé que le Ministre est soumis aux règles de la responsabilité civile et qu’il ne bénéficie d’aucune immunité dans l’exercice de son pouvoir de clémence. La Cour d’appel a quant à elle jugé que le Ministre bénéficie d’une immunité relative, car son pouvoir relève de la prérogative royale et constitue une fonction politique et non opérationnelle. Devant nous, l’appelant soutient que la conduite du Ministre s’inscrit dans le cadre d’un processus établi par la loi, non d’une prérogative royale : la norme de la faute simple s’appliquerait. Il plaide qu’il existe une distinction entre le traitement des demandes de clémence et la décision finale du Ministre. Le traitement relèverait de la sphère opérationnelle et ne devrait être assorti d’aucune immunité. Pour sa part, l’intimé s’appuie sur l’analyse et la conclusion de la Cour d’appel.

[27]                          Les demandes de clémence sont régies par le C. cr. Quatre dispositions se sont successivement appliquées durant la période pertinente à la présente affaire. Elles sont reproduites en annexe. Nous constatons à leur lecture que le caractère discrétionnaire du pouvoir du Ministre (« le ministre de la Justice peut ») et l’enquête requise de ce dernier (« si, après enquête, il est convaincu que, dans les circonstances ») demeurent les constantes durant cette période.

[28]                          Nous sommes d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le pouvoir de clémence codifié dans le C. cr. tire sa source de la prérogative royale de clémence. La doctrine majoritaire en convient. Cette prérogative comportait historiquement deux volets et visait deux objectifs : premièrement, faire montre de compassion en libérant un individu du plein effet de sa peine et deuxièmement, rectifier des erreurs judiciaires telles les condamnations erronées (G. T. Trotter, « Justice, Politics and the Royal Prerogative of Mercy : Examining the Self-Defence Review » (2001), 26 Queen’s L.J. 339, p. 344, citant A. T. H. Smith, « The Prerogative of Mercy, the Power of Pardon and Criminal Justice », [1983] P.L. 398). Cette prérogative a été incorporée au droit canadien et attribuée au gouverneur général par voie de lettres patentes : Attorney General for Canada c. Attorney General of the Province of Ontario (1894), 23 R.C.S. 458, p. 468-469; Lettres patentes constituant la charge de Gouverneur général du Canada (1947), Gazette du Canada, partie I, vol. 81, p. 3109 (reproduites dans L.R.C. 1985, app. II, no 31).

[29]                          Le deuxième volet de la prérogative royale de clémence, lequel vise la rectification d’erreurs judiciaires, était, jusqu’en 2002, principalement codifié à l’art. 690 C. cr. À l’origine, en 1892, la disposition correspondante était rédigée ainsi :

748. Si, sur demande de la clémence de la Couronne en faveur de quelque personne convaincue d’un acte criminel, le ministre de la Justice éprouve quelque doute que cette personne aurait dû être trouvée coupable, il pourra, au lieu de recommander à Sa Majesté de faire grâce ou de commuer la sentence, après telle enquête qu’il jugera à propos, ordonner par écrit qu’un nouveau procès ait lieu à telle époque et devant telle cour qu’il jugera à propos.

 

(Code criminel, 1892, S.C. 1892, c. 29)

[30]                          Au fil du temps, la disposition a évolué, mais le lien entre la procédure de renvoi et la notion de clémence est toujours demeuré, comme en attestaient les mots « Sur une demande de clémence de la Couronne » (Code criminel, S.C. 1953-54, c. 51, art. 596). Dans l’arrêt Therrien (Re), 2001 CSC 35, [2001] 2 R.C.S. 3, par. 113, le juge Gonthier a examiné la portée du pardon et a défini celui-ci comme « l’expression de la souveraineté du Roi, le résultat de l’exercice unilatéral et discrétionnaire de [la] prérogative royale de grâce ou de clémence ». Il a expliqué qu’au Canada les textes législatifs ne font que prescrire différentes façons d’exercer cette prérogative, sans pour autant en limiter la portée. Parmi les formes de pardon, on retrouve « le pardon obtenu après le renvoi à procès ou le renvoi à une cour d’appel conformément à l’art. 690 du Code [. . .], qui donne lieu à la tenue d’un nouveau procès ou d’une nouvelle audition » : Therrien, par. 114.

[31]                          Le fait que ce pouvoir du Ministre provienne de la prérogative royale de clémence témoigne de la large discrétion qui lui est conférée. Même si le caractère discrétionnaire d’une décision ne permet plus, à lui seul, de justifier la reconnaissance d’une immunité de droit public, il demeure un critère utile.

[32]                          Par ailleurs, les diverses dispositions pertinentes du C. cr. au fil des ans étaient toutes rédigées de façon large et générale. Elles ne balisaient guère l’exercice du pouvoir et laissaient de ce fait une grande marge de manœuvre au Ministre. Leur libellé accordait entre autres au Ministre la faculté de prescrire un nouveau procès ou de déférer la cause à la cour d’appel; le texte lui laissait le soin de déterminer dans quelles circonstances il devait intervenir :

596. . . . le ministre de la Justice peut

 

a) prescrire [. . .] un nouveau procès devant une cour qu’il juge appropriée, si, après enquête, il est convaincu que, dans les circonstances, un nouveau procès devrait être prescrit;

 

(Code criminel , S.C. 1953-54)

[33]                          En prenant cette décision discrétionnaire, le Ministre devait nécessairement évaluer et soupeser des considérations d’intérêt public, en fonction de facteurs sociaux, politiques et économiques. Issu de la prérogative royale, ce pouvoir se situait en dehors de la sphère traditionnelle du droit criminel, en ce sens qu’il naissait après l’extinction des recours judiciaires. En l’exerçant, le Ministre devait prendre soin d’éviter d’usurper le rôle des tribunaux et de court-circuiter le processus judiciaire habituel. Il ne constituait certes pas un nouveau palier d’appel. Pour reprendre les mots de la Cour d’appel en l’espèce, le Ministre devait

. . . soupeser, au regard de faits qui sont rarement clairs, des intérêts juridiques et sociaux divers (et souvent divergents), qui vont de l’intérêt particulier de l’individu en cause et du souci de la justice à la préservation de l’indépendance et de l’intégrité du système judiciaire ainsi que de la stabilité des jugements, tous aussi importants les uns que les autres. [par. 141]

[34]                          On constate d’ailleurs que la partie XXI.1 du C. cr., introduite en 2002 par la Loi de 2001 modifiant le droit criminel, L.C. 2002, c. 13, art. 71, a comme objectif d’encadrer davantage l’exercice de ce pouvoir et de rendre le processus plus transparent : Bibliothèque du Parlement, « Projet de loi C-15A : Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois », résumé législatif LS-410F, 12 octobre 2001 («  Résumé législatif »). Suivant l’actuel al. 696.3(3)a) C. cr., le Ministre peut désormais prescrire un nouveau procès ou renvoyer la cause devant la cour d’appel « s’il est convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite ». Contrairement à ce qui était le cas à l’époque des demandes de M. Hinse, l’art. 696.4 C. cr. énonce maintenant des critères précis sur lesquels le Ministre doit fonder sa décision. Les considérations d’intérêt public, telles la stabilité des jugements ou l’indépendance du système judiciaire, ont été prises en compte lors de l’adoption des nouvelles dispositions et occupent moins d’importance dans le processus décisionnel du Ministre.

[35]                          Enfin, comme le rôle du décideur peut également être un facteur pertinent pour déterminer la nature du pouvoir en question, il convient de reconnaître que le Ministre, lorsqu’il prend ces décisions de politique générale, n’agit pas en qualité de simple fonctionnaire exerçant des fonctions administratives ou opérationnelles. À ce sujet, contrairement aux prétentions de l’appelant, il n’y a pas lieu de distinguer entre le traitement des demandes de clémence par le personnel de l’administration publique et la décision du Ministre. Ce découpage est à la fois difficile à justifier et difficile à réaliser en pratique. Il s’agit d’un seul et même pouvoir ― réviser une condamnation ― qui ne peut être séparé en deux étapes étanches. Bien que le processus de révision ministérielle nécessite sans doute des activités de soutien administratif, ce fait à lui seul ne permet pas, dans le cas qui nous intéresse, de diviser le processus en compartiments distincts, à savoir les décisions de politique générale et les décisions de nature opérationnelle. La décision de poursuivre l’étude du dossier ou de rejeter la demande fait partie intégrante du processus d’évaluation.

[36]                          En raison de l’historique et de la nature du pouvoir de clémence du Ministre, nous sommes d’avis que son exercice participait d’un véritable acte de politique générale fondamentale à l’époque des faits en litige. Aux termes de l’arrêt Imperial Tobacco, l’exercice d’un tel pouvoir ne pouvait donc engager la responsabilité de l’État que si le Ministre agissait de façon irrationnelle ou de mauvaise foi. En l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner en détail ce qui pourrait constituer une décision irrationnelle du Ministre. Ce n’est pas ce qu’invoque M. Hinse ici. Il se plaint uniquement de l’omission de réaliser une étude adéquate de ses demandes; c’est la question de l’existence d’un examen sérieux du Ministre qui est au cœur du débat. En conséquence, il importe de définir ce à quoi correspond la mauvaise foi en droit civil québécois dans le contexte de la présente affaire.

(3)       La caractérisation de la faute

[37]                          M. Hinse maintient que la conduite du Ministre dans l’exercice de son pouvoir de clémence doit être appréciée au regard de la norme de la faute simple. Subsidiairement, il avance que le degré de faute requis pour écarter l’immunité relative de l’État doit englober l’incurie ou l’insouciance grave. Le PGC rétorque que la responsabilité de l’État pour la conduite du Ministre n’est engagée que par la « mauvaise foi ou [. . .] une conduite s’y apparentant » : m.i., par. 43 et 51. À l’audience devant notre Cour, le PGC a concédé que la preuve de la mauvaise foi peut être établie de façon indirecte, en démontrant une conduite tellement blâmable et inexplicable que l’on ne saurait conclure à la bonne foi de son auteur, la seule explication possible étant sa mauvaise foi. Il s’agirait d’un critère très élevé. L’absence totale d’examen par le Ministre d’une demande de clémence serait un exemple d’une telle conduite : transcription, p. 77-78.

[38]                          Ayant conclu à l’absence d’immunité, la Cour supérieure a retenu et appliqué la norme de la faute simple. D’avis qu’une immunité protégeait les agissements du Ministre, la Cour d’appel a privilégié la norme de l’intention malveillante élaborée dans le contexte de la responsabilité des procureurs de la Couronne en cas de poursuites criminelles abusives. La cour a fait état des similitudes entre les fonctions du Ministre et celles des procureurs. Toutefois, elle n’a pas tranché définitivement la question, disant être d’avis que l’appelant n’avait pas fait la preuve d’une faute, de quelque nature que ce soit: par. 150-157.

a)         La norme de faute à retenir n’est pas celle de l’intention malveillante

[39]                          Il ne nous paraît pas opportun d’importer en matière de clémence la norme de l’intention malveillante qui s’applique à l’égard de la responsabilité des procureurs de la Couronne en cas de poursuites criminelles abusives. En dépit d’une certaine analogie entre les fonctions du Ministre dans l’exercice de son pouvoir de clémence et celles des procureurs de la Couronne dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites criminelles, il existe d’importantes différences entre les deux rôles.

[40]                          Premièrement, si un procureur de la Couronne peut, dans des cas par ailleurs rares, être tenu responsable de poursuites criminelles abusives, des raisons de principe justifient qu’une telle action ne soit accueillie que si elle satisfait à un critère extrêmement strict : Miazga c. Kvello (Succession), 2009 CSC 51, [2009] 3 R.C.S. 339, par. 43; Proulx c. Québec (Procureur général), 2001 CSC 66, [2001] 3 R.C.S. 9, par. 4; Nelles c. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170. En conséquence, le recours pour poursuites abusives doit être fondé sur la malveillance ou l’existence d’un but illégitime : Miazga, par. 56 et 81. La décision d’engager ou de continuer une poursuite criminelle est au cœur de l’exercice par le procureur de la Couronne de ses pouvoirs, et le principe de l’indépendance de sa fonction le protège contre l’influence de considérations politiques inappropriées : Miazga, par. 45; voir aussi Krieger c. Law Society of Alberta, 2002 CSC 65, [2002] 3 R.C.S. 372. Le procureur doit pouvoir agir indépendamment de toute pression politique du gouvernement et être soustrait à tout contrôle judiciaire, sauf en cas d’abus de procédure. Cette indépendance est à ce point essentielle à l’intégrité et à l’efficacité du système de justice criminelle qu’elle est consacrée par la Constitution : Miazga, par. 46; Krieger, par. 30-32.

[41]                          Ainsi, le fait d’exiger un niveau élevé de faute découle d’un choix délibéré visant à préserver l’équilibre « entre le droit individuel à la protection contre les poursuites criminelles injustifiées et l’intérêt public résidant dans la poursuite effective et sans entrave des criminels » : Miazga, par. 52.

[42]                          En revanche, ces raisons de principe ne s’appliquent pas au pouvoir de clémence du Ministre. Bien qu’il s’agisse d’un pouvoir hautement discrétionnaire, la latitude dont dispose le Ministre dans la prise de décisions n’est pas un élément essentiel à l’intégrité et à l’efficacité du système de justice criminelle proprement dit. En fait, la procédure de clémence « commence là où le droit finit » : Bilodeau c. Canada (Ministre de la Justice), 2009 QCCA 746, [2009] R.J.Q. 1003, par. 14; voir aussi Thatcher c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 289 (1re inst.), par. 9. De plus, alors que l’exercice du pouvoir en matière de poursuites doit être à l’abri de l’influence du politique, le Ministre doit, lorsqu’il prend sa décision, soupeser des considérations sociales, politiques et économiques. Par ailleurs, l’indépendance du Ministre à l’égard de ce processus décisionnel n’est pas consacrée par la Constitution.

[43]                          Deuxièmement, fait important à noter, l’exercice de la prérogative royale est révisable par les tribunaux au même titre que l’exercice d’un pouvoir de source législative. Les décisions du Ministre sur les demandes de clémence sont donc assujetties au contrôle judiciaire : Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441; P. W. Hogg, P. J. Monahan et W. K. Wright, Liability of the Crown (4e éd. 2011), p. 26; voir aussi Bilodeau c. Canada (Ministre de la Justice), 2011 CF 886; Daoulov c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 12, 388 N.R. 54; Bilodeau (QCCA); Timm c. Canada (Procureur général), 2012 CF 505, conf. par 2012 CAF 282, 451 N.R. 250; Thatcher. Ce n’est généralement pas le cas pour les décisions des procureurs de la Couronne d’intenter ou non des poursuites criminelles.

[44]                          La comparaison entre la prérogative du procureur de la Couronne en matière de poursuites et l’évolution du pouvoir de clémence dévolu au Ministre par le C. cr. révèle des différences importantes entre la teneur de chacune des prérogatives. Cela commande d’analyser ces prérogatives sous un éclairage différent.

[45]                          Troisièmement, la question qui se pose en l’espèce concerne l’assujettissement de l’État fédéral au régime général de responsabilité civile extracontractuelle du Québec, comme le prescrit la L.R.C.É. Or, l’élément d’intention n’est normalement pas un prérequis pour établir cette responsabilité. Même en cas de faute lourde, l’élément intentionnel n’est pas exigé, contrairement au délit de poursuites abusives qui, lui, inclut nécessairement cet élément.

[46]                          Enfin, nous notons qu’à l’audience, le PGC n’a pas insisté sur cette norme très exigeante.

[47]                          En conséquence, nous sommes d’avis que pour apprécier la conduite du Ministre dans l’exercice de son pouvoir de clémence, il n’y a pas lieu d’appliquer une norme de faute qui limite la mauvaise foi à une intention malveillante. La notion de mauvaise foi à laquelle renvoie l’arrêt Imperial Tobacco pour cerner les limites de l’immunité relative de l’État pour ses actes de puissance publique ne l’exige pas.

b)         La norme de faute à retenir en l’espèce

[48]                          En droit civil québécois, la notion de mauvaise foi est flexible et son contenu varie selon les domaines du droit : Entreprises Sibeca Inc. c. Frelighsburg (Municipalité), 2004 CSC 61, [2004] 3 R.C.S. 304, par. 25.  Dans Finney, notre Cour a défini la portée d’une immunité d’origine législative prévoyant que le Barreau du Québec ne pouvait être poursuivi pour des actes accomplis de bonne foi. Elle a reconnu que la mauvaise foi a une portée plus large que celle de la seule faute intentionnelle ou de l’existence d’une volonté affirmée de nuire à autrui : par. 37. Elle englobe notamment la notion d’insouciance grave. Selon le juge LeBel :

. . . l’insouciance grave implique un dérèglement fondamental des modalités de l’exercice du pouvoir, à tel point qu’on peut en déduire l’absence de bonne foi et présumer la mauvaise foi.  L’acte, dans les modalités de son accomplissement, devient inexplicable et incompréhensible, au point qu’il puisse être considéré comme un véritable abus de pouvoir par rapport à ses fins. [Nous soulignons; par. 39.]

[49]                          La définition de mauvaise foi établie dans Finney a été reprise par notre Cour dans Sibeca dans le contexte de l’immunité relative dont bénéficie une municipalité dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de réglementation. Les remarques de la juge Deschamps sur la nature de ce pouvoir peuvent être transposées en l’espèce :

Les municipalités exercent des fonctions qui requièrent la prise en considération d’intérêts multiples, parfois contradictoires.  Pour favoriser pleinement la résolution démocratique des conflits politiques, les corps publics élus doivent disposer d’une marge de manœuvre considérable.  Hors d’un contexte constitutionnel, il serait inconcevable que les tribunaux s’immiscent dans ce processus et s’imposent comme arbitres pour dicter la prise en considération d’un intérêt particulier.  Ils ne peuvent intervenir que s’il y a preuve de mauvaise foi.  La lourdeur et la complexité des fonctions inhérentes à l’exercice du pouvoir de réglementation justifient l’incorporation d’une protection, tant en droit civil qu’en common law. [par. 24]

[50]                          Pour la juge Deschamps, l’interprétation du concept de mauvaise foi proposée dans l’affaire Finney permet de viser tant les cas où les actes sont délibérément accomplis dans l’intention de nuire que ceux où une preuve circonstancielle de mauvaise foi s’avère nécessaire : Sibeca, par. 26.

[51]                          Selon nous, retenir une norme de mauvaise foi englobant l’insouciance grave telle qu’elle a été définie dans l’arrêt Finney et reprise dans Sibeca s’inscrit dans la logique du régime québécois de responsabilité civile. Cette norme rejoint d’ailleurs la notion de faute lourde, laquelle comprend l’insouciance grossière : voir art. 1474 C.c.Q.; J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, La responsabilité civile (8e éd. 2014), no 1-190.

[52]                          Il va de soi que cette norme se veut plus exigeante que celle de la faute simple à laquelle s’est erronément tenue la première juge en l’espèce. Une simple faute de la nature d’une erreur ou d’une imprudence cadre mal avec la notion de mauvaise foi qui forme les contours de l’immunité relative de l’État. Il serait d’ailleurs paradoxal que l’exercice du pouvoir de clémence du Ministre soit assujetti à une norme de décision raisonnable en cas de révision judiciaire et examiné sous l’angle de la faute simple en cas de responsabilité extracontractuelle.

[53]                          En somme, échappent à l’immunité relative de l’État les décisions prises de mauvaise foi par le Ministre, y compris celles démontrant une insouciance grave de sa part au sens établi dans les arrêts Finney et Sibeca. La mauvaise foi peut être établie par une preuve montrant que le Ministre a agi délibérément dans l’intention arrêtée de nuire à autrui. Elle peut aussi l’être par une preuve d’insouciance grave révélant un dérèglement tellement fondamental des modalités de l’exercice du pouvoir que l’on peut en déduire l’absence de bonne foi et présumer la mauvaise foi. C’est sous cet éclairage que l’on doit analyser l’obligation qui incombe au Ministre dans l’exercice de son pouvoir de clémence.

(4)      L’obligation du Ministre

[54]                          La première juge a décidé que c’est « la transgression d’un devoir découlant de la conduite qui s’impose à une personne raisonnable en société » qui fonde la responsabilité extracontractuelle de l’État au titre de l’art. 1457 C.c.Q. : par. 32. Elle a estimé que, dans l’exercice de son pouvoir de clémence, le Ministre a l’obligation de réagir le plus tôt possible devant une preuve d’erreur judiciaire : par. 68. Au minimum, cette obligation requiert du Ministre qu’il procède à un examen sérieux des demandes de clémence, puisqu’il possède tous les pouvoirs accordés à un commissaire par la partie I de la Loi sur les enquêtes ,   L.R.C. 1985, c. I-11  : par. 71. Dans ses motifs, la juge a décrit un examen sérieux comme étant une enquête « approfondie » (par. 95) ou une « étude nourrie, concertée [et] fouillée » (par. 75).

[55]                          La Cour d’appel a conclu que la juge a commis une erreur de droit en déterminant, à partir des normes et pratiques actuelles, l’étendue de l’obligation qui incombait au Ministre à l’époque de la demande initiale de clémence de M. Hinse : par. 165. La cour a estimé plutôt que l’étendue de l’obligation avait été correctement cernée dans Thatcher : par. 166-168. En présence d’une demande de clémence qui n’était ni futile ni vexatoire, le Ministre était tenu d’en faire un examen sérieux, examen qui ne correspond cependant pas à celui attendu d’une enquête policière ou d’une commission d’enquête.

[56]                          À notre avis, en cernant les contours de l’obligation du Ministre à l’époque pertinente, la Cour d’appel a eu raison d’adhérer aux conclusions de la Cour fédérale dans l’affaire Thatcher, de rappeler que le Ministre n’avait pas l’obligation de motiver sa décision et de souligner que la bonne foi de ce dernier devait être présumée : par. 170.

[57]                          Les demandes de clémence de M. Hinse ont été adressées au Ministre de 1967 à 1990, et la réponse à sa dernière demande lui a été envoyée en avril 1991, soit avant l’entrée en vigueur du C.c.Q. en 1994. Il faut donc se reporter à la norme qui était édictée à l’art. 1053 du Code civil du Bas-Canada (« C.c.B.-C. »), maintenant l’art. 1457 C.c.Q., et qui était en vigueur lors des faits reprochés au PGC :

Toute personne capable de discerner le bien du mal, est responsable du dommage causé par sa faute à autrui, soit par son fait, soit par imprudence, négligence ou inhabileté.

[58]                          La L.R.C.É.  ne permet pas de retenir la responsabilité directe de l’État fédéral, mais uniquement sa responsabilité pour la faute de ses préposés (en l’occurrence, le Ministre) : sous-al. 3a)(i). En droit civil québécois, c’est l’art. 1054 C.c.B.-C. ― maintenant l’art. 1463 C.c.Q. ― qui énonçait ce type de responsabilité. Ce régime de responsabilité renvoie néanmoins à la même notion de faute que celle décrite aux dispositions générales de la responsabilité extracontractuelle, soit, dans le cas qui nous occupe, l’art. 1053 C.c.B.-C.

[59]                          Afin de définir l’obligation à laquelle était tenu le Ministre dans l’exercice de son pouvoir de clémence, il faut tenir compte du C. cr. et de la procédure en vigueur à l’époque des faits pertinents. Ces éléments permettent de circonscrire, de façon générale, l’étendue de cette obligation.

[60]                          Lorsque nous avons conclu à l’existence d’une immunité relative en faveur du Ministre, nous avons relevé que les articles du C. cr. qui se sont succédé en matière de clémence pour la période pertinente (1967 à 1990) lui accordaient un grand pouvoir discrétionnaire. Peu importe les changements que le législateur a apportés au fil du temps à l’article du C. cr. qui conférait ce pouvoir au Ministre, le libellé est demeuré sensiblement le même : « Sur une demande de clémence de la Couronne [. . .] le ministre de la Justice peut . . . » Lorsqu’il réfère aux pouvoirs du Ministre, le texte des divers articles ne contient aucun verbe tel que « doit », « s’assure », etc. Nulle part dans ces articles n’est-il fait mention d’une quelconque obligation précise imposée au Ministre.

[61]                          Nous avons aussi souligné que le législateur a laissé au Ministre le soin de juger des circonstances dans lesquelles il était approprié de prescrire un nouveau procès ou de déférer la cause à la cour d’appel. Idéalement, le législateur aurait pu définir le type de circonstances pertinentes et encadrer davantage la procédure que devait suivre le Ministre. Il ne l’a pas fait. Cette formulation reflète le choix du législateur d’accorder une marge de manœuvre considérable au Ministre. Il faut en tenir compte dans la détermination de l’étendue de son obligation.

[62]                          Comme nous l’avons vu, le Parlement a apporté des modifications importantes au pouvoir de clémence en 2002, choisissant d’encadrer davantage son exercice. Le Ministre doit désormais examiner les demandes de clémence conformément au Règlement sur les demandes de révision auprès du ministre (erreurs judiciaires), DORS/2002-416 : art. 696.2 C. cr. Il doit également présenter au Parlement un rapport annuel sur les demandes soumises : art. 696.5 C. cr. Ce changement fait ressortir l’absence d’encadrement de la procédure qui s’appliquait au moment des demandes de clémence présentées par M. Hinse. D’ailleurs, le Résumé législatif indique ceci :

Avant 1994, le Ministère traitait les demandes qui lui étaient adressées en vertu de l’article 690 selon une approche plus ou moins improvisée.  Il n’existait pas de procédure établie et personne n’était affecté spécialement à ces demandes. . .

 

. . .

 

En 1994, le Ministère a instauré un certain nombre de mesures pour régler les plaintes relatives au processus de traitement des demandes adressées en vertu de l’article 690. [Nous soulignons; p. 18-19.]

[63]                          Si la procédure à suivre est aujourd’hui plus détaillée, elle n’impose pas pour autant au Ministre l’obligation de mener une enquête dans tous les cas. L’article 3 du Règlement précise que le Ministre doit faire une évaluation préliminaire de la demande. En principe, il doit ensuite mener une enquête seulement « s’il constate qu’il pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite » : art. 4 du Règlement. Enfin, contrairement aux pouvoirs qu’il possédait à l’époque des faits de la présente affaire, le Ministre détient maintenant tous les pouvoirs accordés à un commissaire en vertu de la partie I de la Loi sur les  enquêtes  et ceux qui peuvent lui être accordés en vertu de l’art. 11 de cette loi : par. 696.2(2) C. cr.

[64]                          À la lumière des dispositions applicables du C. cr. et de l’absence, à l’époque pertinente, de procédure établie encadrant le pouvoir de clémence du Ministre, nous souscrivons, à l’instar de la Cour d’appel, aux conclusions du juge Rothstein (alors juge de la Cour fédérale, Section de première instance) dans Thatcher sur la portée de l’obligation du Ministre. Dans cette affaire, il s’agissait du contrôle judiciaire du rejet d’une demande de clémence formulée suivant l’art. 690 C. cr., et donc, de l’étendue de l’obligation du Ministre d’agir équitablement dans l’exercice de son pouvoir. Bien que ce ne soit pas la question qui se pose en l’espèce, le juge Rothstein a néanmoins analysé avec justesse le pouvoir du Ministre et ses conclusions sont utiles pour déterminer la portée de l’obligation du Ministre pour les fins de la responsabilité civile de l’État.

[65]                          Le juge Rothstein a d’abord indiqué que la procédure de clémence ne fait pas l’objet de droits, mais est plutôt entreprise une fois que la personne a épuisé toutes ses voies de recours : Thatcher, par. 9. Il a ensuite formulé les observations suivantes :

Le fait que la fonction du ministre de la Justice en vertu de l’article 690 constitue un « archétype d’acte de nature purement discrétionnaire » se manifeste dans la grande latitude accordée au ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Aucune disposition législative ne prévoit la façon dont le ministre devrait exercer son pouvoir discrétionnaire. Il n’y a pas d’exigence quant au type d’enquête auquel il doit procéder en vertu de l’article 690. [par. 10]

[66]                          Il a souligné qu’aucune procédure n’est établie et que la décision du Ministre est sans appel : Thatcher, par. 11. Il a conclu que « le ministre doit agir de bonne foi et procéder à un examen sérieux pourvu que la demande ne soit ni futile ni vexatoire » : par. 13. Une demande doit habituellement soulever des questions nouvelles « susceptibles d’indiquer qu’il y a eu erreur judiciaire » : par. 14. Le juge Rothstein a affirmé que le demandeur ne dispose pas d’un droit général à la communication des éléments dont le Ministre ou ses fonctionnaires ont tenu compte dans leur examen : par. 13. Cependant, il a le droit d’obtenir les renseignements nouveaux révélés par l’enquête du Ministre : par. 14.

[67]                          Enfin, le juge Rothstein a écrit ce qui suit :

À titre exceptionnel, lorsqu’il existe de nombreux renseignements nouveaux susceptibles de fournir un fondement raisonnable de conclure à une erreur judiciaire, le ministre peut juger nécessaire d’examiner des documents dans les dossiers de la police ou du poursuivant. Dans un tel cas, les documents ou tout au moins l’essentiel des documents que le ministre ou ses fonctionnaires examinent — lorsque le requérant n’en est pas déjà au courant — devraient lui être divulgués. Cependant, le ministre n’a aucune obligation générale d’examiner les dossiers de la police et du poursuivant tout simplement parce qu’une personne déclarée coupable a présenté une demande. [Nous soulignons.]

 

(Thatcher, par. 15)

[68]                          Nous sommes d’avis qu’aux fins de détermination de la responsabilité extracontractuelle sous le régime québécois, l’obligation du Ministre se définit en fonction du sérieux apporté à l’examen de la demande de clémence. Cet examen doit s’entendre au sens que suggère le juge Rothstein. Un examen sérieux se distingue de l’étude fouillée et approfondie à laquelle se réfère la juge Poulin. Il va de soi que cet examen ne se veut pas non plus l’équivalent d’un nouveau palier d’appel. Dans la même veine, il n’est pas opportun de comparer l’enquête du Ministre à une enquête policière ou au travail d’une commission d’enquête. En revanche, une enquête bâclée ne saurait guère davantage être qualifiée de sérieuse. Il va sans dire que l’absence totale d’examen sérieux d’une demande qui n’est ni futile ni vexatoire constitue un manquement à l’obligation du Ministre, comme en a d’ailleurs convenu le PGC à l’audience. De plus, comme nous avons conclu qu’il n’y a pas lieu d’établir une distinction entre le traitement d’une demande de clémence et la décision du Ministre sur cette demande, ces deux aspects du pouvoir de clémence sont intrinsèquement liés. L’obligation d’examen sérieux emporte donc celle de prendre une décision de bonne foi en fonction des éléments révélés par cet examen. Il convient enfin d’ajouter qu’à l’époque le Ministre n’avait pas à documenter son enquête ou à motiver sa décision discrétionnaire de quelque façon que ce soit. Cet élément a son importance dans notre évaluation de la preuve offerte.

[69]                          Puisque nous avons conclu à l’existence d’une immunité relative en faveur du Ministre dans l’exercice de son pouvoir de clémence, seul un manquement à son obligation équivalant à de la mauvaise foi ou à de l’insouciance grave pouvait entraîner la responsabilité de l’État. En somme, la preuve devait démontrer qu’il y avait eu mauvaise foi ou insouciance grave de sa part dans l’examen des demandes de clémence de M. Hinse auquel il était tenu.

B.       Preuve de la faute en l’espèce

[70]                          Si le C.c.B.-C. dicte le fondement de la responsabilité extracontractuelle de l’État pour la conduite du Ministre, c’est le C.c.Q. qui régit les règles de preuve et de procédure de l’affaire : art. 2 et 3 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil (voir aussi le deuxième al. de l’art. 9). Aux termes de l’art. 2803 C.c.Q., « [c]elui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. » Il appartenait donc à M. Hinse d’établir la faute du PGC, le préjudice qu’il a subi, ainsi que le lien de causalité entre les deux : voir J.-C. Royer et S. Lavallée, La preuve civile (4e éd. 2008), no 158.

[71]                          En l’espèce, il n’existe pas de preuve directe de la qualité de l’examen du Ministre. L’appelant s’en est remis à une preuve par présomption de fait et la juge de première instance s’est fondée sur celle-ci pour conclure à l’absence d’examen sérieux du Ministre. L’article 2846 C.c.Q. édicte que « [l]a présomption est une conséquence que la loi ou le tribunal tire d’un fait connu à un fait inconnu. » Pour ce qui est des présomptions de fait, l’art. 2849 C.c.Q. prévoit que les tribunaux ont discrétion pour tenir compte de celles-ci, mais seulement si elles sont « graves, précises et concordantes ». Ces qualificatifs peuvent être définis ainsi :

Les présomptions sont graves, lorsque les rapports du fait connu au fait inconnu sont tels que l’existence de l’un établit, par une induction puissante, l’existence de l’autre. . .

 

Les présomptions sont précises, lorsque les inductions qui résultent du fait connu tendent à établir directement et particulièrement le fait inconnu et contesté. S’il était également possible d’en tirer les conséquences différentes et même contraires, d’en inférer l’existence de faits divers et contradictoires, les présomptions n’auraient aucun caractère de précision et ne feraient naître que le doute et l’incertitude.

 

Elles sont enfin concordantes, lorsque, ayant toutes une origine commune ou différente, elles tendent, par leur ensemble et leur accord, à établir le fait qu’il s’agit de prouver. [. . .] Si, au contraire, elles se contredisent [. . .] et se neutralisent, elles ne sont plus concordantes, et le doute seul peut entrer dans l’esprit du magistrat. [Nous soulignons.]

 

(M. L. Larombière, Théorie et pratique des obligations (nouv. éd. 1885), t. 7, p. 216, repris dans Barrette c. Union canadienne, compagnie d’assurances, 2013 QCCA 1687, [2013] R.J.Q. 1577, par. 33; France Animation s.a. c. Robinson, 2011 QCCA 1361, [2011] R.J.Q. 1415, par. 120, reprenant Longpré c. Thériault, [1979] C.A. 258, p. 262.)

[72]                          Ainsi, « [u]ne présomption de fait ne peut être déduite d’une pure hypothèse, de la spéculation, de vagues soupçons ou de simples conjectures » : Royer et Lavallée, no 842, citant Crispino c. General Accident Insurance Company, 2007 QCCA 1293, [2007] R.R.A. 847. Le fait inconnu ne sera pas prouvé si les faits connus rendent plus ou moins vraisemblable un autre fait incompatible avec celui que le demandeur désire prouver, ou s’ils ne permettent pas d’exclure raisonnablement une autre cause possible d’un dommage subi : voir, notamment, Crispino. Il n’est cependant pas nécessaire d’exclure toute autre possibilité : Royer et Lavallée, no 842; voir aussi St-Yves c. Laurentienne générale, compagnie d’assurance inc., 1997 CanLII 10732 (C.A. Qc).

[73]                          Après examen des démarches entreprises par M. Hinse et des réponses des autorités, la juge Poulin a conclu que « la conduite du gouvernement fédéral est empreinte d’indifférence institutionnelle » : par. 55. Elle a notamment relevé ceci :

-          malgré les multiples et pressants S.O.S. que M. Hinse lance, personne ne l’écoute vraiment, personne ne l’assiste, personne ne vérifie ses allégations, personne ne tente de les valider;

 

-          malgré son acquittement par notre Cour en 1997, le gouvernement fédéral refuse de l’indemniser selon les Lignes directrices d’indemnisation des personnes condamnées et emprisonnées à tort (1988) (« Lignes directrices »), et ce, malgré la proposition du gouvernement du Québec;

 

-          le PGC conteste avec fermeté et vigueur pendant plus de 13 ans l’action intentée par M. Hinse, perpétuant ainsi le déni de justice (par. 57 et 59-60).

[74]                          Elle a ensuite exprimé l’avis que « le gouvernement fédéral est responsable des fautes qu’ont commises ses préposés et ses mandataires qui se sont principalement traduites par l’indifférence dont ils ont fait preuve à son égard » : par. 61. À ce sujet, elle a entre autres reproché un certain nombre de faits au gouvernement fédéral :

-          avoir laissé s’écouler plus d’un an et demi et attendu la troisième lettre de l’appelant, ou de son épouse, avant de répondre à sa première demande de révision;

 

-          avoir semé la confusion dans les directives qu’il leur donnait;

 

-          avoir induit l’appelant en erreur en le référant à plusieurs reprises aux autorités provinciales;

 

-          avoir fait perdre à l’appelant un temps précieux, et ce, en toute conscience;

 

-          avoir demandé de façon répétitive à l’appelant de raconter son histoire;

 

-          avoir transmis à des tiers, étrangers à son dossier, des documents envoyés par l’appelant (par. 63).

[75]                          Par ailleurs, la juge s’est dite d’avis que le PGC avait l’obligation de réagir le plus tôt possible à la demande de clémence de M. Hinse, car une condamnation sans fondement est un exemple flagrant de déni de justice : par. 68. Selon elle, le Ministre « se devait à tout le moins de procéder à un examen sérieux des demandes de révision que Hinse a présentées du seul fait qu’il “possède tous les pouvoirs accordés à un commissaire en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes ” » : par. 71, citant le par. 696.2(2) C. cr. Elle a ajouté que, dans l’exercice de son pouvoir, le Ministre aurait dû être guidé par certaines préoccupations recensées dans un article publié en 1992, où Philip Rosen décrit la procédure suivie lorsqu’une demande de clémence est acheminée au Ministre : par. 72, se référant à la Bibliothèque du Parlement, « Les condamnations injustifiées dans le système de justice pénale », étude générale BP-285F, janvier 1992, p. 11-12. La juge a indiqué que cet exercice n’a « de toute évidence » pas été effectué en l’espèce, ce qui constitue une faute d’omission : par. 73.

[76]                          Enfin, elle a conclu ainsi ses observations sur la faute :

La preuve que Hinse a présentée par présomption de faits convainc le Tribunal que l’inaction fautive du PGC a décuplé sa souffrance. [. . .] L’inertie institutionnelle l’a exacerbée et l’a prorogée en faisant perdurer l’impact du passé criminel que toute la société avait accolé à Hinse pour un vol qu’il n’avait pas perpétré alors que le PGC était le seul a [sic] pouvoir remédier à l’injustice.

 

Là, réitérons-nous, se situe sa faute. [par. 75-76]

[77]                          La Cour d’appel a pour sa part reconnu que le Ministre devait procéder à une étude sérieuse du dossier de M. Hinse, puisque les affidavits soumis par ce dernier indiquaient la possibilité d’une erreur judiciaire. La cour a reconnu la difficulté « d’évaluer avec précision la nature de l’étude faite en raison du caractère sommaire de la preuve administrée », mais elle n’en a pas pour autant tiré d’inférence négative : par. 170. À cette époque, le Ministre n’avait pas l’obligation de motiver sa décision et sa bonne foi était présumée. Selon la cour, vu la preuve au dossier, la juge de première instance ne pouvait inférer des refus auxquels s’était heurté M. Hinse que les Ministres ne s’étaient pas livrés à un examen sérieux, ou qu’ils avaient agi de manière malveillante : par. 177. La Cour d’appel a souligné qu’à l’époque des demandes M. Hinse n’avait pas épuisé ses recours judiciaires et que, lors de son procès, le juge Côté avait tenu des propos très durs à propos de sa crédibilité : par. 168-169. Enfin, la cour a précisé que, même en considérant de manière globale le traitement de toutes les demandes de M. Hinse, elle ne pouvait y voir un comportement fautif : par. 183.

[78]                          Pour l’appelant, la première juge n’a commis aucune erreur de droit dans l’élaboration de la norme de l’examen sérieux. Il ressort des décisions Thatcher et Wilson c. Ministre de la Justice, [1983] 2 C.F. 379 (1re inst.), conf. par [1985] 1 C.F. 586 (C.A.), que, dans ces affaires, les fonctionnaires du ministère de la Justice ont effectué un travail d’enquête et d’examen exhaustif. Or, « [l]e contraste entre le travail effectué dans ces affaires et l’absence totale de documentation et/ou d’informations démontrant une quelconque enquête du PGC dans le présent dossier est saisissant » : m.a., par. 58 (soulignement omis). Pour l’intimé, la juge a commis une erreur de droit en examinant la conduite du Ministre sur la base des dispositions du C. cr. entrées en vigueur en 2002 et des pratiques suivies durant les années 1990. Elle aurait dû effectuer cet examen en fonction des normes applicables au moment des gestes reprochés. L’intimé se fonde sur les conclusions de l’affaire Thatcher pour conclure que la conduite du Ministre en l’espèce n’est pas fautive.

[79]                          Nous sommes d’avis qu’en plus de sa conclusion erronée sur l’absence de toute immunité applicable à l’égard de l’exercice par le Ministre de son pouvoir, la juge d’instance a commis plusieurs erreurs sur la portée de l’obligation de ce dernier, erreurs qui l’ont par la suite amenée à conclure, à tort, qu’il avait commis une faute. Nous traiterons d’abord de ces erreurs, avant de nous pencher sur la question déterminante de l’allégation d’absence d’examen sérieux de la part du Ministre.

(1)      Anachronisme dans la portée de l’obligation du Ministre

[80]                          La Cour d’appel a eu raison de conclure que la juge Poulin a erronément évalué le caractère sérieux de l’examen fait par le Ministre en fonction des pouvoirs accordés à un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes . Ces pouvoirs n’ont été conférés au Ministre qu’en 2002, lorsque le Parlement a procédé à la réforme des demandes de clémence. Tout comme le signale la Cour d’appel, cet anachronisme a faussé l’analyse de la juge sur la nature de l’examen sérieux que devait mener le Ministre, celle-ci considérant qu’il bénéficiait d’une latitude « extrêmement vaste » et qu’il pouvait faire appel à la GRC, au service de police local et à des scientifiques médico-légaux ou autres experts : par. 71, citant Rosen, p. 11. Or, tel qu’il a été établi dans Thatcher, le Ministre ne devait consulter les dossiers du poursuivant ou de la police que dans des circonstances exceptionnelles. À notre avis, le Ministre devait encore moins se transformer en enquêteur de police ou faire appel à de tels enquêteurs ou à de quelconques experts.

[81]                          De même, comme l’a relevé la Cour d’appel, l’étude préparée par Philip Rosen en 1992 pouvait être utile, mais non déterminante, dans l’analyse de la conduite du Ministre : par. 165. En effet, malgré un rapide historique du pouvoir du Ministre, l’étude ne porte réellement que sur l’art. 690 C. cr., sur la « pratique actuelle » au sein du Ministère (soit celle depuis 1985), ainsi que sur les problèmes reliés à celle-ci et les propositions de modifications. Or, l’article 690 C. cr. n’est entré en vigueur qu’en 1988 et M. Hinse a fait ses trois premières demandes avant cette date. Quant à sa quatrième demande, présentée en 1990, il suffit pour l’instant de souligner que M. Hinse ne s’est pas buté à un refus ferme de la Ministre de l’époque; celle-ci lui a plutôt demandé de s’adresser directement à la Cour d’appel du Québec et de la recontacter en cas de refus : d.a., vol. XI, p. 75.

[82]                          L’étude de Rosen fait justement état de problèmes que décriaient les avocats de certains demandeurs relativement à la « pratique actuelle » au sein du Ministère. Ces problèmes confirment quelques-uns des reproches faits par M. Hinse et la juge de première instance à l’endroit du Ministre, notamment (p. 13-14) :

-          l’absence de règles de procédure bien établies;

 

-          les interrogations sur le genre de preuves et de documents que réunit le Ministère et sur la nature du rapport remis au Ministre;

 

-          les préoccupations sur le fait que les constatations défavorables faites par le Ministère ne sont pas communiquées aux avocats ou demandeurs, et qu’il ne leur est pas permis d’y répondre par d’autres arguments sur le droit ou par la communication d’autres preuves avant que le rapport de l’enquête ne soit remis au Ministre;

 

-          la lettre de réponse du Ministre à la demande de clémence, laquelle peut ne pas indiquer suffisamment en détail les motifs de rejet.

(2)      La confusion entre la conduite du Ministre et celle du PGC

[83]                          Par ailleurs, la juge Poulin confond parfois les actions du Ministre avec celles du PGC. Elle reproche ainsi au PGC d’avoir contesté avec vigueur l’action entreprise par M. Hinse et d’avoir affirmé, lors de sa plaidoirie, qu’aucune preuve ne démontrait hors de tout doute que M. Hinse n’avait pas commis le crime : par. 60, 64 et 66. Bien que le PGC soit le représentant du Ministre pour les besoins du litige, il importe de distinguer la conduite du premier de celle du second. C’est la conduite du Ministre qu’il convient d’examiner pour trancher la question de la responsabilité civile de l’État fédéral. Dans la partie de son jugement portant sur la faute, la juge aurait dû se limiter à analyser la conduite de celui-ci. Les reproches adressés au PGC sur la conduite du litige ne sont pertinents ― si tant est qu’ils le sont ― qu’aux fins de détermination de la présence ou non d’abus de procédure, une question qui doit être examinée séparément.

(3)      L’obligation d’indemnisation de l’État fédéral

[84]                          Le Canada reconnaît qu’il est souhaitable d’indemniser les personnes victimes d’erreurs judiciaires. Il a notamment adhéré au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 999 R.T.N.U. 171 (« PIDCP »), lequel prévoit ce qui suit au par. 14(6) :

Lorsqu’une condamnation pénale définitive est ultérieurement annulée ou lorsque la grâce est accordée parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire, la personne qui a subi une peine à raison de cette condamnation sera indemnisée, conformément à la loi, à moins qu’il ne soit prouvé que la non-révélation en temps utile du fait inconnu lui est imputable en tout ou partie.

 

(Entrée en vigueur, 23 mars 1976; adhésion du Canada, 19 mai 1976.)

[85]                          Toutefois, le Canada n’a pas adopté de loi incorporant le PIDCP au droit interne canadien. Il n’existe aucune loi obligeant les gouvernements fédéral ou provinciaux à indemniser une victime d’erreur judiciaire, ni aucune loi établissant le droit à une telle indemnisation. Les gouvernements fédéral et provinciaux ont bien adopté, en 1988, les Lignes directrices. Ces lignes établissent une série de critères auxquels la personne injustement condamnée doit satisfaire pour avoir droit à une indemnité. En plus de fixer le montant maximal de l’indemnité susceptible d’être versée, elles exigent notamment que la personne ait reçu une déclaration de son innocence : un pardon absolu ou une annulation d’un verdict de culpabilité n’est pas suffisant en soi. Les Lignes directrices n’ont toutefois pas force exécutoire et n’ont jamais été traitées comme telles : voir, notamment, S. L. Robins, Dans l’affaire de Steven Truscott : Avis consultatif sur la question de l’indemnisation, 28 mars 2008 (en ligne), p. 17-21.

[86]                          En conséquence, le gouvernement fédéral n’était pas tenu par les Lignes directrices d’indemniser M. Hinse, d’autant plus que l’« innocence de fait » de ce dernier n’avait pas été établie. Le Québec avait d’ailleurs décidé de ne pas indemniser l’appelant pour cette raison : interrogatoire préalable de D. Grégoire, 28 mai 2009, d.i., vol. II, p. 89-90, 94-96 et 99. Il s’ensuit que la juge ne pouvait retenir cet élément à l’encontre du PGC dans son évaluation de la faute reprochée.

(4)      Le refus basé sur les demandes précédentes

[87]                          La juge de première instance a reproché aux autorités fédérales d’avoir fondé les refus ultérieurs sur le refus initial :

Malgré qu’elles aient en main les nouveaux éléments qui établissent qu’il est l’objet d’une erreur judiciaire, les autorités fédérales fondent sur le rejet initial les refus ultérieurs qu’elles lui donnent. [Notes en bas de page omises; par. 74.]

[88]                          Au soutien de cette conclusion, elle s’est appuyée sur les extraits suivants de l’interrogatoire de Kerry Scullion, Directeur et avocat général du Groupe de la révision des condamnations criminelles du ministère de la Justice, représentant du PGC :

[traduction]

 

-       Savez-vous ce que le gouvernement fédéral a fait par la suite?

 

-   Si [M. Hinse] répétait les mêmes prétentions qu’il avait formulées dans les demandes précédentes, probablement pas grand-chose. On ne procéderait pas à une révision additionnelle si les éléments présentés au soutien des demandes subséquentes sont les mêmes que ceux qui appuyaient les demandes antérieures qui ont été refusées. Ça se limiterait probablement à l’examen par quelqu’un de ce qui a été fait auparavant et à l’envoi d’une lettre indiquant [. . .] Je veux dire, il faut examiner la demande pour voir s’il y a quelque chose de nouveau par rapport à ce qui a été soutenu dans les demandes précédentes, mais outre cela, ça n’irait pas plus loin. Il semble qu’on lui ait possiblement répondu par écrit.

 

. . .

 

-   Donc, essentiellement, la demande de M. Hinse est une fois de plus rejetée?

 

-   Oui. Aucun élément nouveau n’aurait été présenté depuis la demande précédente. [Nous soulignons.]

 

(d.a., vol. VII, p. 164-165)

[89]                          À notre avis, il convient de nuancer les propos attribués au représentant du PGC par la juge. En effet, celui-ci précise bien que, si M. Hinse a présenté de nouvelles demandes au Ministre sans toutefois soulever de nouveaux faits ou de nouvelles preuves, le premier refus explique fort probablement les refus subséquents.

[90]                          Avec égards, ces propos n’établissent pas qu’en l’espèce les Ministres auraient négligé de considérer de soi-disant nouvelles preuves. Rappelons que seules des demandes sérieuses déclenchent l’obligation du Ministre et que de telles demandes dépendent habituellement de l’existence de questions nouvelles susceptibles d’indiquer qu’il y a eu erreur judiciaire : Thatcher, par. 14. Sauf circonstances exceptionnelles, le Ministre peut se fonder sur des refus précédents pour refuser une nouvelle demande de clémence qui ne démontre pas de fait nouveau ou de question nouvelle.

(5)      La faute d’inertie ou indifférence institutionnelle

[91]                          Au procès, M. Hinse a articulé la faute reprochée aux autorités fédérales autour de ce que ses avocats ont appelé « l’indifférence institutionnelle » : par. 33, 40 et 52. La juge Poulin résume ainsi la position de M. Hinse à ce sujet :

Plus précisément, il soutient que pendant plus de 40 ans, le gouvernement fédéral aurait été fautif à son égard en omettant d’agir comme une autorité compétente, prudente et diligente aurait dû le faire, étant entendu qu’il connaissait ou aurait dû connaître l’erreur judiciaire dont il était la malheureuse victime et, partant, qu’il ne pouvait pas ignorer que son inaction aggravait le préjudice que Hinse subissait. [par. 33]

Bien que la juge relève des actions fautives précises et limitées dans le temps, elle qualifie au final la faute du PGC d’« inertie institutionnelle » (par. 75; voir aussi par. 209) ou d’« indifférence institutionnelle » (par. 55, 89, 149 et 203), comme s’il s’agissait d’une faute continue subsumant les comportements individuels des Ministres successifs. Selon elle, cette « inertie institutionnelle » a exacerbé et prolongé l’erreur dont M. Hinse a été victime, et c’est là que se situe la faute du PGC : par. 75-76.

[92]                          Qualifier ainsi la faute d’« inertie » ou d’« indifférence institutionnelle » équivaut à reprocher une faute à l’État fédéral lui-même. Or, la L.R.C.É.  ne permet pas de retenir la responsabilité directe de l’État fédéral, mais uniquement sa responsabilité pour la faute de ses préposés (en l’occurrence, le Ministre) : sous-al. 3a)(i).  Le fait d’aborder la question de la responsabilité civile de l’État fédéral sous l’angle d’une faute d’inertie ou d’indifférence institutionnelle était erroné. La première juge devait plutôt analyser la conduite individuelle de chacun des Ministres qui se sont succédé et qui agissaient en tant que préposés de l’État fédéral.

(6)      L’allégation d’absence d’examen sérieux

[93]                          Quant à l’allégation d’absence d’examen sérieux des demandes de clémence de M. Hinse, précisons d’abord qu’en concluant que le Ministre engageait la responsabilité de l’État par une faute simple, la juge Poulin a commis une première erreur de droit. Elle en a commis une deuxième en considérant qu’à l’époque pertinente le Ministre avait l’obligation de mener une « étude nourrie, concertée, fouillée » ou une « enquête approfondie » : par. 75 et 95. La conclusion de faute du Ministre à laquelle elle est parvenue est nécessairement imputable à ces deux erreurs. Nous devons reprendre l’analyse des demandes de M. Hinse au regard tant de l’obligation qui s’imposait aux Ministres à l’époque pertinente que de la norme de faute civile applicable.

[94]                          Avant de passer à l’étude de ces demandes, deux remarques préliminaires s’imposent. Premièrement, compte tenu de la portée de l’examen sérieux que devait mener le Ministre, l’appelant a tort de comparer son cas aux examens effectués dans les affaires Thatcher et Wilson. M. Hinse maintient que « [l]e contraste entre le travail effectué dans ces affaires et l’absence totale de documentation et/ou d’informations démontrant une quelconque enquête du PGC dans le présent dossier est saisissant » : m.a., par. 58 (soulignement omis). Il fait valoir que, dans Thatcher, les avocats du Ministère ont rédigé un sommaire d’enquête préliminaire incluant la preuve présentée au procès, les procédures d’appel, les documents fournis par le demandeur ainsi que d’autres renseignements recueillis pendant l’enquête. Ils ont fait parvenir ce sommaire à l’avocat du demandeur, lequel a pu déposer des arguments supplémentaires, et le Ministre a rendu une décision détaillée de 73 pages.

[95]                          En l’espèce, M. Hinse a eu l’opportunité d’apporter tous les nouveaux faits ou éléments de preuve qu’il souhaitait pour étoffer ses demandes de clémence. Les autorités fédérales lui ont demandé à plusieurs reprises de fournir avec précision les faits à l’appui de sa demande. M. Hinse a joui d’une « possibilité raisonnable d’exposer sa cause » : Thatcher, par. 13. Cela dit, rappelons que sous le régime qui existait alors, le Ministre n’avait pas l’obligation de fournir un sommaire d’examen à M. Hinse, ni de rendre une décision motivée.

[96]                          Dans l’affaire Wilson, des articles de journaux laissaient entendre que des membres du jury avaient commis des irrégularités. Le procureur général provincial avait en conséquence ordonné la tenue d’une enquête policière, puis finalement conclu qu’aucune infraction n’avait été commise. M. Wilson a fait une demande de clémence et les fonctionnaires fédéraux lui ont réclamé à plusieurs reprises l’information additionnelle nécessaire. Le Ministre a en définitive refusé d’exercer son pouvoir de clémence en sa faveur. Dans sa lettre de refus, il a précisé avoir étudié les arguments de M. Wilson, les renseignements obtenus par suite de l’enquête du procureur général de la province ainsi que les autres renseignements recueillis au cours d’enquêtes effectuées à sa demande.

[97]                          Or, à l’époque, sauf circonstances exceptionnelles, le Ministre n’avait pas l’obligation de consulter les dossiers du poursuivant ou de la police. Il avait encore moins l’obligation de communiquer avec d’autres sources ou d’organiser quelque enquête que ce soit. Le fait que le Ministre ait décidé d’agir de la sorte dans le dossier de M. Wilson ne signifie pas qu’il aurait dû faire de même dans celui de M. Hinse. Il faut rappeler que le Ministre disposait d’une grande discrétion dans l’exercice de son pouvoir de clémence. Il lui était loisible de prendre des mesures particulières ou additionnelles lorsqu’il estimait à propos de le faire. Cela ne pouvait toutefois créer d’expectative légitime qu’il devait agir de la sorte dans tous les cas.

[98]                          La deuxième remarque concerne l’argument de l’appelant selon lequel il n’y a aucune preuve documentaire ou testimoniale attestant quelque étude que ce soit de son dossier. Lors de sa plaidoirie devant notre Cour, son avocat a souligné que son client avait exigé du PGC tout document confirmant une étude sérieuse de son dossier, et qu’on lui avait assuré que tout ce qui existait lui avait été fourni. En conséquence, son client ne pouvait rien faire de plus, car seul le Ministre pouvait véritablement faire la preuve de l’étude qu’il avait menée : transcription, p. 19-20. En l’absence d’une telle preuve, la première juge aurait donc eu raison de conclure qu’il n’y avait pas eu étude.

[99]                          Cependant, il faut rappeler que le fardeau de la preuve repose ici sur les épaules de M. Hinse. C’est donc à lui qu’il incombe d’établir la faute du Ministre, soit un manquement équivalant à de la mauvaise foi ou à de l’insouciance grave dans l’examen des demandes de clémence. Il peut certes présenter une preuve par présomption de fait qui amènerait le tribunal à inférer l’absence d’examen sérieux ou encore la présence de mauvaise foi ou d’insouciance grave dans le cadre de l’examen effectué. Cela demeure toutefois son fardeau et il lui appartient de s’en décharger. Cette constatation revêt une importance particulière pour la première demande de M. Hinse. À l’audience, tant l’avocat de l’appelant que celui de l’intimé ont reconnu que la période clé pour statuer sur la responsabilité de l’État pour la conduite du Ministre est celle de cette première demande.

a)         La demande de 1967

[100]                      Nous nous contenterons de résumer les grandes lignes de la correspondance initiale entre M. Hinse et les autorités fédérales. Le 19 juillet 1967, M. Hinse transmet sa première demande de clémence au Ministre. Il clame son innocence et affirme avoir identifié les cinq véritables auteurs du crime. Trois d’entre eux ont accepté de signer des déclarations sous serment, dont il joint des photocopies à sa demande. Comme les déclarations de M. Yvon Savard et de M. Laurent Beausoleil sont identiques, nous reproduisons uniquement celle du premier :

Par la présente : Je, Yvon Savard, reconnais être un des auteurs d’un vol à main armée commis le 14 décembre 1961, à la demeure résidentielle de M. et Mme Henriot Grenier de Mont-Laurier.

 

Par conséquent je sollicite l’attention de qui de droit pour être appelé à témoigner dans la cause de Réjean Hinse pour l’innocenter de ce crime duquel je le sais hors de tout doute innocent.

 

(d.a., vol. VI, p. 152)

[101]                      Celle de M. Claude Levasseur est différente :

Par la présente : Je, Claude Levasseur, reconnais être au courant des faits qui se sont produits lors d’un vol commis le 14 décembre 1961, à la résidence de M. et Mme Henriot Grenier de Mont-Laurier.

 

Par conséquent je sollicite l’attention de qui de droit pour être appelé à témoigner dans la cause de Réjean Hinse pour l’innocenter de ce crime duquel je le sais hors de tout doute innocent. [Nous soulignons.]

 

(d.a., vol. VI, p. 155)

[102]                      M. Hinse identifie également les deux autres auteurs du vol, soit M. Georges Beaulieu et M. Léopold Véronneau. Il précise qu’ils refusent catégoriquement de signer quelque déclaration que ce soit et refuseront de témoigner même si la protection de la cour leur est offerte.

[103]                      Le 28 juillet 1967, M. J. A. Bélisle accuse réception de la demande au nom du directeur de la Section de droit pénal. Le même jour, M. Bélisle écrit au sous-ministre de la Justice du Québec pour lui demander de lui communiquer les rapports de police. Le dossier de M. Hinse demeure ensuite inactif pendant plus d’un an, car il est envoyé au Service canadien des pénitenciers, qui ne le retourne pas au ministère fédéral de la Justice. C’est l’épouse de M. Hinse qui, en écrivant au Ministre en septembre 1968, provoque la découverte de la perte du dossier et sa réactivation.

[104]                      S’ensuit une série de lettres, notamment entre le bureau du Solliciteur général adjoint du Canada et la Section de droit pénal au ministère de la Justice. En avril 1969, le gouvernement québécois transmet également une « certaine documentation » au Ministre : d.a., vol. X, p. 78. M. Bélisle demande à son homologue québécois de « confronter [leurs] dossiers à une date prochaine » : ibid., p. 75.

[105]                      Le 12 mars 1971, M. Hinse fait une demande de pardon absolu au gouverneur général en conseil en vertu de l’art. 655 C. cr. (aujourd’hui l’art. 748 C. cr.) et continue de clamer son innocence. Le 30 mars de la même année, M. J. L. Cross du Bureau du Conseil privé écrit au Solliciteur général du Canada. Il y joint les conclusions du Comité spécial du Conseil privé qui a étudié la demande de pardon de M. Hinse, dont voici un extrait :

[traduction] À notre avis, le sujet ne nous a pas présenté suffisamment de faits nouveaux qui n’étaient pas disponibles au moment du procès et qui auraient pu permettre d’établir son innocence en vertu de la prérogative royale de la clémence. 

 

Toutefois, nous suggérons que le dossier soit renvoyé à votre ministère pour plus ample examen sur la base de l’analyse qui précède, et pour que le ministre décide si M. Hinse doit bénéficier d’un nouveau procès.

 

(d.a., vol. X, p. 83)

[106]                      En octobre 1971, M. Hinse obtient deux déclarations sous serment supplémentaires, l’une de M. Jean-Claude Pressé et l’autre de M. Laurent Beausoleil. Celles-ci sont presque identiques :

Par la présente, je déclare que le ou vers le 10 septembre 1961, j’étais un des passagers dans la voiture de Laurent Beausoleil, (de marque Buick 1957) lorsqu’est survenu une fouille de la dite voiture et la vérification de ses passagers effectuées par l’agent Arthur Scott de la municipalité de Mont-Laurier.

 

Je déclare qu’il y avait outre moi; Laurent Beausoleil, Hugues Duval et Léopold Véronneau.

 

Je tiens à attester le fait que ni Réjean Hinse, ni André Lavoie ne se trouvait alors dans le véhicule ou avec nous lors de cette journée.

 

(d.a., vol. X, p. 85)

[107]                      M. Hinse envoie ces déclarations à la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui les transmet, en novembre, au ministère fédéral de la Justice. Le 22 décembre 1971, M. S. F. Sommerfeld, directeur de la Section du droit pénal, informe la Commission nationale des libérations conditionnelles du refus du Ministre en ces termes :

Nous avons soigneusement étudié le dossier de Monsieur Réjean Hinse et nous en sommes venus à la conclusion qu’il n’y a pas lieu à accorder un nouveau procès dans cette affaire.

 

(d.a., vol. X, p. 102)

[108]                      Le 10 février 1972, la Commission nationale des libérations conditionnelles communique cette réponse à M. Hinse. Cette réponse n’est pas étrangère au traitement de la demande parallèle de pardon absolu de M. Hinse. Le Comité spécial du Conseil privé était d’avis qu’il n’existait pas suffisamment de faits nouveaux pour conclure à l’innocence de M. Hinse, mais suggérait toutefois que son cas soit soumis au Ministre.

[109]                      À notre avis, cette preuve documentaire fait échec à l’inférence de la juge de première instance voulant qu’il y ait eu absence totale d’examen de la demande de clémence initiale de M. Hinse. Bien que les écrits au dossier soient peu nombreux, ils attestent néanmoins un certain examen et certaines démarches effectuées en ce sens. Comme l’indique la Cour d’appel, comme le Ministre n’avait pas l’obligation de motiver sa décision à l’époque, il n’y a pas lieu de tirer d’inférence négative de l’aspect sommaire du dossier du Ministre à ce sujet.

[110]                      Par ailleurs, la preuve au dossier contient également les procès-verbaux d’audience qui font état d’une admission des parties sur la production de documents décisifs :

Les parties admettent ce qui suit à l’égard de tous les documents sur lesquels ils font une admission pour les fins de production :

 

- il s’agit de copie de documents conforment [sic] aux originaux;

 

-  si le signataire venait témoigner, il confirmerait avoir écrit le document en cause et l’avoir transmis à son destinataire qui l’aurait reçu le cas échéant;

 

- il confirmerait finalement que le document fait foi de son contenu.

 

(Procès-verbal en cours d’audience du 9 novembre 2010, d.a., vol. IV, p. 57)

[111]                      L’un des documents visés par l’admission est une lettre de janvier 1969 adressée à Mme Hinse par M. Bélisle, au nom du directeur de la Section de droit pénal, dans laquelle il écrit ceci :

Soyez assurée que nous communiquerons avec vous [au sujet de la demande de votre mari] dans un avenir rapproché puisque nous sommes présentement à faire étude approfondie de ce dossier. [Nous soulignons.]

 

(d.a., vol. X, p. 62)

[112]                      Un autre document visé par cette admission est la lettre de M. Sommerfeld, directeur de la Section du droit pénal, qui transmet le refus du Ministre à la Commission nationale des libérations conditionnelles. Dans cette lettre, M. Sommerfeld affirme ce qui suit : « Nous avons soigneusement étudié le dossier de Monsieur Réjean Hinse . . . » (d.a., vol. X, p. 102). Par leur admission, les parties ont ainsi reconnu que, si MM. Bélisle et Sommerfeld venaient témoigner, ils affirmeraient que ces lettres faisaient foi de leur contenu, bref, que, selon la compréhension des faits de ces derniers, une étude approfondie et soigneuse du dossier de M. Hinse était alors en cours. La première juge ne traite pas de cette admission. Il est vrai que l’obligation de motiver les jugements n’implique pas qu’un juge doive traiter de tous les moindres détails du litige. Cependant, vu l’état de la preuve documentaire au dossier, la juge se devait de considérer cette admission avant de pouvoir inférer une absence d’examen. Appréciée avec les autres éléments pertinents que nous venons de relever, cette admission ne militait pas en faveur de l’inférence d’absence d’examen que la juge a tirée.

[113]                      Cette admission s’avère d’autant plus probante que l’appelant, pour des raisons qui lui appartiennent, s’est contenté de demander au PGC d’interroger un seul de ses représentants, sans assigner de façon particulière les décideurs qui ont joué un rôle dans ses demandes de clémence : d.i., vol. I, p. 16. Au début de son recours, l’appelant a d’ailleurs concentré ses efforts sur la poursuite envers le PGQ et Mont-Laurier, sans doute parce qu’ils sont les principaux responsables du préjudice qu’il a subi.

[114]                      Sans les inférences tirées des présomptions de fait sur lesquelles M. Hinse s’appuie, force est de constater que la prépondérance de la preuve n’étaie pas son assertion d’absence d’examen sérieux de sa demande initiale par le Ministre. L’appelant n’a pas non plus démontré de façon prépondérante que le Ministre a fait preuve de mauvaise foi ou d’insouciance grave dans l’examen de sa demande. Même s’il lui reproche d’avoir perdu son dossier pendant un certain temps, ce fait ne saurait être assimilé à de la mauvaise foi ou à de l’insouciance grave. L’examen de la demande s’est échelonné sur plusieurs années, de sa réception jusqu’à la réponse définitive du Ministre. En dépit du délai reproché, l’analyse des circonstances n’appuie pas la conclusion que le Ministre a agi avec mauvaise foi ou a fait preuve d’insouciance grave.  Là encore, le fardeau d’apporter cette preuve incombait à M. Hinse. Nous ne pouvons conclure qu’il s’en est acquitté.

b)         Les autres demandes

[115]                      Le 23 juillet 1980, l’appelant fait une deuxième demande de clémence, qui ne compte que trois paragraphes. Le 30 décembre 1980, le conseiller spécial du Ministre annonce à M. Hinse que sa demande est rejetée, parce qu’elle ne contient que « des allégations vagues concernant une erreur d’identité survenue lors de [son] procès », et qu’après consultation du jugement du juge Omer Côté, le Ministère « n’[a] rien trouvé qui pourrait étoffer [son] affirmation » : d.a., vol. X, p. 108.

[116]                      Une semaine plus tard, le 6 janvier 1981, M. Hinse présente une troisième demande au Ministre. Le 22 janvier, le conseiller spécial du Ministre lui demande d’exposer par écrit et en détail les motifs qu’il désire invoquer à l’appui de sa demande de clémence, ainsi que toutes les démarches effectuées auprès des différentes autorités judiciaires et politiques. Le conseiller précise qu’« il est indispensable que vous révéliez les nouveaux faits qui vous poussent à réclamer une entrevue avec le Ministre » : d.a., vol. X, p. 111. Le 9 mars 1981, M. Hinse envoie une lettre plus détaillée au Ministre.

[117]                      Comme l’a constaté la Cour d’appel, la plupart des faits allégués dans cette lettre par M. Hinse sont les mêmes que ceux figurant dans sa demande de 1967, à l’exception d’allégations relatives à la mauvaise identification par l’agent Scott et à la conduite des avocats et du juge pendant son procès. D’abord, M. Hinse affirme que M. Véronneau ― avec qui il subissait un procès conjoint ― aurait fait appel à un criminaliste « lié de près au juge Omer Côté » et qui avait déjà défendu MM. Beaulieu, Levasseur et Savard dans une autre affaire : d.a., vol. XI, p. 10. Ce criminaliste aurait recommandé à ces derniers de ne pas témoigner pour la défense et aurait ainsi réussi à faire acquitter M. Véronneau. Ensuite, M. Hinse explique que l’agent Scott détenait au départ une excellente piste d’enquête. En arrivant sur les lieux du crime, il aurait fait le rapprochement avec une perquisition qu’il avait effectuée deux mois auparavant, alors qu’il avait arrêté quatre suspects dans une automobile aux phares éteints vers 22 h devant la maison des victimes. Ces quatre personnes étaient MM.  Beausoleil, Véronneau, Duval et Pressé. Selon des confidences que M. Hinse aurait reçues de MM. Beausoleil et Duval, l’agent Scott aurait aussi noté le nom d’André Lavoie, car le véhicule était enregistré au nom de ce dernier. M. Hinse dit que, lors du procès, l’agent Scott s’est reporté à ses notes concernant cette première arrestation et que, à son « grand désarroi », l’agent a témoigné que M. Hinse était le cinquième occupant de la voiture, sans que son nom apparaisse dans son calepin : ibid., p. 11.

[118]                      Le 23 septembre 1981, le conseiller spécial répond à M. Hinse en ces termes :

Je suis au regret de vous informer que, malgré les explications supplémentaires que vous avez fait parvenir au Ministre, votre cas n’en est pas un qui justifie son intervention. En effet, le ministre de la Justice n’exerce son pouvoir d’intervention que dans des circonstances exceptionnelles et l’étude approfondie de votre dossier ne révèle pas l’existence de telles circonstances.

 

(d.a., vol. XI, p. 16)

[119]                      Enfin, quelques années plus tard, l’appelant confie sa cause à un avocat qui fait parvenir, en novembre 1990, une quatrième demande de clémence à la Ministre de l’époque. L’avocat explique que la Commission de police a mené une enquête et rédigé un mémoire, qu’il joint à sa lettre. En réponse, la Ministre reconnaît que le mémoire « fait état de nouveaux éléments de preuve qui méritent amplement d’être considérés » : d.a., vol. XI, p. 75. Elle est toutefois d’avis que les questions soulevées par la Commission de police peuvent tout aussi bien être examinées par la Cour d’appel du Québec, sans qu’il ne soit nécessaire de lui imposer cette tâche en vertu de l’art. 690 C. cr. La Ministre invite l’avocat de M. Hinse à la recontacter advenant un refus de la Cour d’appel.

[120]                      Tout comme pour la première demande de clémence, nous concluons qu’aucun Ministre n’a fait preuve de mauvaise foi ou d’insouciance grave en ce qui a trait à ces trois demandes subséquentes. Quant à chacune de celles-ci, M. Hinse ne peut raisonnablement soutenir qu’il y a eu absence d’examen sérieux du Ministre. La correspondance pertinente témoigne du contraire. La preuve de mauvaise foi ou d’insouciance grave qui est requise n’est pas davantage établie. La deuxième demande de M. Hinse (1980), très succincte et sans éléments de preuve ni arguments juridiques nouveaux, pouvait paraître futile aux yeux du Ministre, ce qui justifiait son rejet. En ce qui concerne la troisième demande, comme l’a écrit la Cour d’appel, « [v]u le peu de détails fournis par M. Hinse, ces nouvelles allégations fondées sur de vagues irrégularités commises par les policiers, les avocats et le juge du procès pouvaient paraître de peu de poids aux yeux du ministre » : par. 181. Quant à la quatrième demande (1990), la Ministre a justifié sa décision par la possibilité que la Cour d’appel accepte de se saisir elle-même de la demande sans son intervention. Il s’agit là d’une attitude raisonnable, d’autant plus que la Ministre n’a pas opposé un refus ferme à M. Hinse et lui a demandé de la recontacter advenant un refus de la Cour d’appel. Faut-il le rappeler, la demande de clémence constitue un recours extraordinaire, qui ne peut être exercé qu’après l’épuisement des recours légaux : Thatcher, par. 9.

[121]                      Somme toute, lorsque nous analysons le comportement des Ministres correctement en fonction de l’obligation qui s’imposait à eux et de la norme de faute applicable, nous ne pouvons conclure que M. Hinse s’est acquitté du fardeau qui lui incombait, à savoir établir que les Ministres avaient fait preuve de mauvaise foi ou d’insouciance grave lors du traitement de ses demandes de clémence. Vu ce constat, notre analyse pourrait s’arrêter ici, mais, à l’instar de la Cour d’appel, nous estimons que des remarques sur le lien de causalité et les dommages s’imposent.

C.       Le lien de causalité

[122]                      La première juge a conclu que M. Hinse avait prouvé le lien causal là encore par présomption de fait. Selon elle, « [u]ne étude nourrie, concertée, fouillée, compétente et contemporaine de ses premières démarches aurait, à coup sûr, fait découvrir la méprise au PGC » : par. 75. La juge a fondé sa conclusion sur la causalité principalement sur le mémoire de la Commission de police de 1990 : puisque celle-ci avait conclu qu’il y avait eu erreur judiciaire, une enquête sérieuse du Ministre aurait logiquement dû mener au même résultat. Tenant compte des neuf années écoulées entre le moment où M. Hinse a contacté la Commission de police (1988) et la date de son acquittement par notre Cour (1997), la juge a estimé que M. Hinse aurait pu être acquitté dès le milieu des années 1970, n’eût été la faute du PGC : par. 77 et 97.

[123]                      Tout comme la Cour d’appel, nous sommes d’avis que, même en supposant que le Ministre ait omis d’effectuer un examen sérieux entre 1967 et 1972, il n’était pas possible de conclure qu’un tel examen aurait inévitablement mené à la découverte des irrégularités mises en lumière en 1990 par le mémoire de la Commission de police. Une comparaison entre l’information relatée dans ce mémoire et celle disponible lors de la demande initiale de M. Hinse au Ministre révèle en effet que deux éléments cruciaux n’auraient pu, en toute vraisemblance, être découverts à l’époque.

[124]                      Selon la preuve au dossier, ce n’est qu’en novembre 1988, lorsqu’il écrit à la Commission de police, que M. Hinse fournit « pour la première fois certains détails cruciaux qui orienteront le travail du commissaire Fourcaudot » : décision C.A., par. 65. Le mémoire de la Commission de police montre que les éléments les plus significatifs qui ressortent de l’enquête menée sont la rétractation du témoignage de l’agent Scott et, dans une moindre mesure, la volonté des auteurs véritables du crime de collaborer avec l’enquêteur en 1989 et 1990.

[125]                      En ce qui concerne les auteurs du crime, il convient de rappeler qu’après avoir signé leur déclaration sous serment en 1966, MM. Beausoleil, Savard et Levasseur refusent par la suite de collaborer avec la police. Dans la deuxième série de déclarations sous serment de 1971, MM. Pressé et Beausoleil attestent simplement leur présence et l’absence de MM. Lavoie et Hinse dans la voiture ayant fait l’objet de la fouille effectuée par l’agent Scott à Mont-Laurier le 10 septembre 1961. Ils ne disent rien quant au vol commis en décembre de la même année et pour lequel M. Hinse a été déclaré coupable. En 1989, à l’occasion de l’enquête menée par M. Fourcaudot, M. Beausoleil ajoute « maints détails » sur les événements, et M. Véronneau, même s’il refuse de signer une déclaration, finit par préciser que M. Hinse « n’était même pas là » : d.a., vol. XI, p. 54 et 53.

[126]                      Plus important encore, en 1990, l’enquêteur reçoit un appel de M. Duval, qui demeure désormais en République dominicaine. Ce dernier révèle pour la première fois plusieurs détails au sujet du complot et du vol, déclarant que M. Hinse n’était aucunement impliqué. M. Duval envoie par la suite à l’enquêteur une lettre confirmant ces informations. Pourtant, le rapport de police du 12 septembre 1966, rédigé par l’agent Bourgeois (responsable du poste de la Sûreté du Québec à Mont-Laurier), indiquait que M. Duval avait fourni des renseignements à la police concernant le vol, et qu’il devait être questionné davantage. M. Duval n’a jamais été interrogé par la suite.

[127]                      Cet « oubli » s’explique peut-être par l’affirmation de M. Duval, durant sa conversation avec l’enquêteur en 1990, selon laquelle il connaissait bien à l’époque l’agent Bourgeois qui participait à ses entreprises de chaînes de lettres. Ainsi, M. Duval « ne fut jamais inquiété par la police, bien qu’il croit qu’elle le savait être l’instigateur du vol » : d.a., vol. XI, p. 56. L’agent Bourgeois avait joué un rôle important lors de l’enquête initiale, notamment pour l’identification de M. Hinse par les victimes du vol.

[128]                      Par contre, la preuve ne permet pas de soutenir que M. Duval aurait été prêt à s’incriminer de cette façon ou à collaborer avec la police (ou le Ministre) à l’époque de l’enquête policière initiale ou de la première demande de clémence de M. Hinse. En effet, il s’agissait d’informations hautement incriminantes. Comme le souligne le PGC, ces déclarations ont en définitive été faites en République dominicaine, un pays avec lequel le Canada n’a pas conclu de traité d’extradition.

[129]                      Par ailleurs, la pièce maîtresse du mémoire de la Commission de police est la rétractation par l’agent Scott de son témoignage. Cela ressort autant du langage utilisé que du nombre de pages consacrées à cette question. Des 35 pages du mémoire, le rôle joué par l’agent Scott en occupe environ 9, tandis que l’analyse de chacun des autres facteurs disculpatoires dépasse rarement 2 pages. Le témoignage de l’agent avait « fait lourde impression » dans l’esprit du juge du procès, car il avait déclaré sous serment, sans aucune hésitation, avoir vu M. Hinse parmi les personnes à bord de la voiture interceptée le 10 septembre 1961 : d.a., vol. XI, p. 56. Cette déclaration contredisait la version des faits de M. Hinse. L’agent a témoigné qu’il connaissait M. Hinse depuis longtemps et il a juré, catégoriquement, que ce dernier était à Mont-Laurier à cette date. Ce n’est que lors de sa troisième rencontre avec l’enquêteur de la Commission de police, le 31 juillet 1990, que l’agent Scott a admis qu’il s’était peut-être trompé.

[130]                      Il convient de signaler que l’agent Scott a éprouvé de la difficulté à indiquer l’année précise où il s’est mis à douter de son témoignage. Il avance que ce ne serait que vers 1974 ou 1975, après qu’un ami de M. Duval (Yves Chalifoux) et M. Duval lui-même lui aient tous deux affirmé qu’il s’était trompé. Ce sont ces conversations qui ont vraisemblablement semé un doute dans son esprit, doute qui a finalement fait surface lors de l’enquête de la Commission de police. Là encore, on ne peut présumer que l’agent Scott aurait renié son témoignage plus tôt.

[131]                      En conséquence, même si le Ministre avait décidé de mener une enquête plus poussée lors de la première demande de M. Hinse, il n’y a aucune preuve démontrant qu’à cette époque l’agent Scott aurait fait la même rétractation ou que les personnes impliquées dans le vol auraient été disposées à répondre aux questions du Ministre. Il est fort probable que, 20 ans après les événements, ces personnes ont accepté de collaborer avec les autorités parce qu’elles avaient moins à craindre, ou encore parce qu’elles n’avaient plus rien à perdre.

[132]                      Aussi, lorsque la juge Poulin affirme que l’enquête du Ministre aurait dû mener « à coup sûr » au même résultat que le mémoire de la Commission de police, cela relève de suppositions et d’inférences qu’aucune analyse n’appuie. Il est acquis que, même en présence d’une faute, l’auteur de l’acte fautif ne peut être tenu responsable d’un dommage sans relation avec cette faute : le dommage doit avoir été la conséquence logique, directe et immédiate de la faute (art. 1053 C.c.B.-C.; Parrot c. Thompson, [1984] 1 R.C.S. 57, p. 71; Dallaire c. Paul-Émile Martel Inc., [1989] 2 R.C.S. 419; Baudouin, Deslauriers et Moore, no  1-683).

[133]                      Du reste, comme l’explique la Commission de police dans une lettre adressée à M. Hinse, cet organisme « peut, sur demande écrite d’un citoyen, enquêter sur la conduite de policiers municipaux ou de la Sûreté du Québec, si celui-ci donne des raisons suffisantes à l’appui de sa demande » : d.a., vol. XI, p. 23. Ici, la Commission de police a confié à un enquêteur le mandat d’enquêter conformément à la Loi sur l’organisation policière, L.R.Q., c. O-8.1, art. 64 à 88 (par la suite remplacée par la Loi sur la police, RLRQ, c. P-13.1 (L.Q. 2000, c. 12, art. 353)). En vertu de cette loi, l’enquêteur avait le pouvoir de pénétrer dans un poste de police et d’y examiner les documents et effets reliés à la plainte. Il pouvait aussi requérir de toute personne tout renseignement et tout document qu’il estimait nécessaire. Il était interdit d’entraver son travail de quelque façon que ce soit, de le tromper par réticence ou fausse déclaration, de refuser de lui fournir un renseignement ou document relatif à la plainte ou de refuser de lui laisser prendre copie de ce document, de cacher ou détruire un tel document : art. 71, 84 et 85 de la Loi sur l’organisation policière.

[134]                      En l’espèce, le mémoire de la Commission de police indique que l’enquêteur a

[p]endant plusieurs mois, [. . .] consacré ses énergies à la constitution d’un dossier fort volumineux : il a rencontré de nombreuses personnes et recueilli leurs versions; il a effectué des recherches dans les archives de plusieurs Palais de justice et scruté tous les documents sur lesquels il avait pu mettre la main; enfin, il a fait rapport à la Commission.

 

(d.a., vol. XI, p. 35)

[135]                      Or, il est clair que le Ministre ne possédait pas ces mêmes pouvoirs à l’époque pertinente. Ce n’est qu’en 2002 qu’il a obtenu les pouvoirs d’un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes , dont celui d’assigner des témoins et de les contraindre à témoigner et à produire des documents : par. 696.2(2) C. cr.; art. 4  et 5  de la Loi sur les enquêtes . Ces nouveaux pouvoirs ont été jugés nécessaires à la lumière de l’inefficacité du processus de révision existant : Débats de la Chambre des communes, vol. 137, no 054, 1re sess., 37e lég., 3 mai 2001, p. 3583; Débats du Sénat, vol. 139, no 66, 1re sess., 37e lég., 1er novembre 2001, p. 1612.

[136]                      Il faut donc faire une distinction entre l’enquête de la Commission de police de 1988 à 1990 et l’examen sérieux d’une demande de clémence auquel le Ministre était tenu à la fin des années 1960. Ce dernier n’avait alors ni le pouvoir ni l’obligation de contraindre des personnes à témoigner, d’exiger la production de documents ou d’examiner des dossiers de la police ou du poursuivant, ce qui lui aurait permis de constituer un dossier aussi volumineux et exhaustif que celui de la Commission de police. Sur ce point, nous ne pouvons retenir l’argument de M. Hinse selon lequel l’agent Scott aurait pu rétracter son témoignage plus tôt si le Ministre l’avait confronté à certains éléments de preuve qui discréditaient son témoignage. Le Ministre n’avait pas l’obligation d’effectuer de telles démarches; il avait simplement l’obligation d’examiner de bonne foi la demande de M. Hinse et d’évaluer, à la lumière du dossier présenté, la nécessité d’obtenir des renseignements supplémentaires ou l’opportunité d’intervenir. La preuve n’établit pas que le Ministre aurait probablement découvert, à l’époque de la première demande, les éléments clés découverts par l’enquêteur de la Commission de police 20 ans plus tard. Le fardeau de démontrer que le Ministre aurait probablement trouvé ces éléments reposait sur les épaules de M. Hinse et il lui appartenait de s’en acquitter.

[137]                      À ce chapitre, la juge Poulin explicite peu son raisonnement sur la causalité; elle se contente d’affirmer que les faits soulevés dans son jugement — que M. Hinse a prouvés par présomption de fait — établissent le lien de causalité : par. 98. Or, il ressort de ses motifs que sa conclusion selon laquelle l’erreur judiciaire aurait rapidement été découverte si le PGC avait agi promptement et avec compétence (par. 97) est fondée sur la prémisse erronée que le Ministre avait l’obligation de mener une enquête approfondie, à l’instar de l’enquêteur de la Commission de police. Puisque, ce faisant, la juge a tiré des inférences et des conclusions factuelles non étayées par la preuve, l’intervention de la Cour d’appel était justifiée : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 22; H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401, par. 4. Il s’ensuit qu’il n’a pas été établi que l’omission reprochée, à savoir l’omission de faire un examen sérieux ou de procéder plus promptement à un tel examen, aurait constitué la cause probable du défaut de découvrir l’erreur judiciaire dont M. Hinse a été victime. Conclure autrement reviendrait à se fonder sur de simples conjectures ou des hypothèses lointaines. De telles spéculations ne sauraient justifier un tribunal de conclure à la responsabilité civile.

D.       Les dommages

[138]                      À notre avis, la Cour d’appel a aussi eu raison d’intervenir sur la question des dommages. L’analyse de la juge du procès était entachée d’une erreur déterminante. Elle a fait défaut de tenir compte de la solidarité et de fixer les montants accordés en fonction de la responsabilité respective de chacun des débiteurs solidaires. Comme le souligne la Cour d’appel, « dans toute la mesure où des postes de réclamation pouvaient relever de la responsabilité de plus d’un débiteur solidaire, les remises consenties par M. Hinse rendaient nécessaires l’examen des fautes causales et le partage des parts de responsabilité » : par. 189. M. Hinse aurait dû supporter la part des débiteurs solidaires qu’il a libérés : art. 1526 et 1690 C.c.Q.

[139]                      La juge de première instance a abordé la question des dommages comme si le Ministre était le seul fautif et que le préjudice de M. Hinse ne découlait que de son « inertie institutionnelle » : par. 75-77. De fait, au lieu de déterminer les montants des dommages-intérêts précisément imputables au PGC, la juge s’en est simplement remise aux revendications de M. Hinse :

Comme, de plus, à la suite de la transaction conclue entre le PGQ et Hinse, ce dernier a amendé sa procédure afin de ne réclamer au PGC que la portion qu’il lui attribue selon les différents chefs de dommages qu’il invoque, pour les fins du présent débat, respectant les dispositions plus haut citées, le Tribunal n’analysera que les demandes adaptées à cette nouvelle réalité et qui ne concernent que le PGC. [par. 22]

[140]                      À l’exception des dommages-intérêts punitifs, elle a ainsi accordé les sommes réclamées en supposant que M. Hinse les avait correctement limitées à ce qui concerne le PGC uniquement. Or, la part de responsabilité des divers codébiteurs de M. Hinse devait s’évaluer en fonction de la gravité de leur faute respective : art. 1478 C.c.Q. La juge ne pouvait pas s’en tenir simplement à la répartition suggérée par M. Hinse; son rôle d’arbitre des dommages-intérêts exigeait qu’elle fixe elle-même la part de responsabilité de chacun.

[141]                      Au-delà de cette erreur déterminante, qui fausse tous les chefs de dommages accordés, les fondements à l’appui de chacun étaient en outre déficients.

(1)      Dommages pécuniaires

[142]                      La juge Poulin a condamné le PGC à verser un total de 855 229,61 $ au titre des dommages pécuniaires. Ce montant paraît démesuré compte tenu de la somme de 1 100 000 $ déjà versée à ce chapitre par le PGQ aux termes de la transaction intervenue entre ce dernier et M. Hinse. Au minimum, il appartenait à M. Hinse de démontrer que les sommes visaient des compensations distinctes. Il ne l’a pas fait. La ventilation des sommes accordées révèle d’ailleurs que rien ne justifiait les montants réclamés.

[143]                      Le montant de 127 214 $ pour les pertes de revenus de M. Hinse en raison de son départ à la retraite à 60 au lieu de 65 ans est injustifié. En droit québécois, seul le préjudice qui est une suite immédiate et directe d’un acte fautif est susceptible de réparation : art. 1607 C.c.Q. Il s’agit ici d’une décision personnelle de M. Hinse. Il n’y a pas de lien direct entre la conduite des Ministres et cette décision. La juge Poulin a fait erreur en faisant droit à ce chef de réclamation.

[144]                      La juge Poulin a condamné le PGC à verser à M. Hinse un montant de 193 660,88 $ à l’égard du chef de réclamation lié aux honoraires et dépens engagés pour ses démarches en Cour d’appel et en Cour suprême de 1990 à 1997. Elle a eu tort. Même si le Ministre avait acquiescé à l’une des demandes de M. Hinse, il aurait soit ordonné un nouveau procès, soit renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel. Bref, M. Hinse aurait dû, de toute façon, payer ces honoraires. Ils ne constituent pas un dommage découlant des fautes reprochées.

[145]                      La juge Poulin a accordé 500 000 $ pour frais d’enquête, perte de temps, efforts, photocopies, transcriptions, déplacements, timbres, etc. La Cour d’appel a, à bon droit, estimé que la perte de temps et les efforts déployés pour obtenir justice sont des inconvénients inhérents aux efforts de quiconque est entraîné dans une démarche judiciaire : par. 215. À moins d’abus du droit d’ester en justice, ce ne sont pas des chefs de dommages pour lesquels M. Hinse peut demander l’indemnisation. Qui plus est, ils font partie des dommages non pécuniaires vu l’absence de preuve de pertes de revenus. Puisque la juge Poulin a accordé une indemnité séparée pour les dommages non pécuniaires, il y a eu double indemnisation à cet égard.

(2)      Dommages non pécuniaires

[146]                      Dans la trilogie Andrews, notre Cour a fixé un plafond de 100 000 $ pour les pertes non pécuniaires résultant d’un préjudice corporel important : Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., [1978] 2 R.C.S. 229; Thornton c. School District No. 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267; Arnold c. Teno, [1978] 2 R.C.S. 287. Ce plafond s’applique tant dans les provinces de common law qu’au Québec. En se fondant sur sa propre décision dans France Animation, la Cour d’appel a appliqué ce plafond en l’espèce. Or, lorsqu’elle s’est prononcée, la Cour d’appel n’avait pas eu le bénéfice de notre arrêt dans Cinar, dans lequel nous avons confirmé que le plafond ne s’applique pas aux pertes non pécuniaires qui découlent d’un préjudice autre que corporel : Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, [2013] 3 R.C.S. 1168, par. 97. Cela dit, même si la Cour d’appel a commis une erreur sur ce point, l’allocation d’un montant sous ce chef de dommages par la première juge était néanmoins mal fondée.

[147]                      Après avoir comparé le montant réclamé par M. Hinse au titre des dommages non pécuniaires, soit 1 900 000 $, aux sommes accordées dans les affaires Marshall, Proulx, Sophonow, Milgaard et Truscott, la juge Poulin a condamné le PGC à lui verser exactement le montant demandé, exprimant l’avis qu’il n’était « pas exagéré » : par. 198. Dans Cinar, notre Cour a réitéré que, pour évaluer adéquatement les sommes à accorder, le tribunal doit comparer l’affaire dont il est saisi à d’autres affaires analogues où des sommes ont été accordées au titre des dommages non pécuniaires : par. 105-106. Or, en l’espèce, les comparaisons retenues étaient boiteuses et ne justifiaient pas une somme de cette ampleur.

[148]                      Dans le cas de Donald Marshall, fils, une commission royale a été constituée en 1989 pour examiner l’affaire. Dans son rapport de 1990, le juge Evans a estimé le montant visant à compenser le préjudice moral à 225 000 $, auquel s’ajoutent des intérêts de 158 000 $, pour une indemnité totale de 383 000 $. M. Marshall, qui avait été déclaré coupable de meurtre en 1971, avait passé 11 ans en prison (de l’âge de 17 à 28 ans) et avait été acquitté en 1983 : G. T. Evans, Commission of Inquiry Concerning the Adequacy of Compensation Paid to Donald Marshall, Jr., Report of the Commissioner (1990); Dans l’affaire de Steven Truscott, p. 45; décision C.A., par. 221-222; décision C.S., par. 184.

[149]                      Dans l’affaire Proulx, M. Proulx avait été déclaré coupable de meurtre le 10 novembre 1991 puis acquitté le 20 août 1992 : Proulx c. Québec (Procureur général), [1997] R.J.Q. 2509 (C.S.). Il a poursuivi le PGQ en dommages-intérêts, réclamant la somme de 1 443 000 $. En 1997, le juge Letarte lui a accordé une indemnité de 250 000 $ pour les dommages non pécuniaires : [1997] R.J.Q. 2516 (C.S.), p. 2524.

[150]                      Dans l’enquête sur Thomas Sophonow, l’honorable Peter Cory a recommandé en 2001 une indemnité d’environ 2 600 000 $, incluant les intérêts, dont 1 750 000 $ au titre des dommages moraux. M. Sophonow avait subi trois procès et passé près de quatre années en prison, après avoir été accusé injustement de meurtre. La responsabilité à l’égard du paiement de l’indemnité devait être partagée entre la ville (Winnipeg), la province (Manitoba) et le gouvernement fédéral : P. deC. Cory, The Inquiry Regarding Thomas Sophonow : The Investigation, Prosecution and Consideration of Entitlement to Compensation (2001); décision C.A., par. 222; décision C.S., par. 184.

[151]                      Dans l’affaire Milgaard, un montant de 10 000 000 $ a été versé à M. Milgaard en 2008 au terme du règlement de deux poursuites en responsabilité civile. On ignore la part exacte de responsabilité supportée par les divers ordres de gouvernement. M. Milgaard avait été accusé de meurtre en 1970 et avait passé 23 ans en prison. Il avait été blessé par balle lors de l’une de ses deux tentatives d’évasion et avait subi de mauvais traitements pendant son incarcération : Dans l’affaire de Steven Truscott, p. 46.

[152]                      Enfin, dans l’affaire Truscott, le juge  Robins a recommandé en 2008 qu’un paiement de 6 500 000 $ soit versé à M. Truscott. Ce dernier avait été déclaré coupable de meurtre à l’âge de 14 ans et condamné à mort par pendaison. M. Truscott, qui a fait l’objet d’un renvoi sans précédent devant notre Cour, avait passé 10 ans en prison et avait finalement vécu en liberté conditionnelle pendant près de 40 ans sous un nom d’emprunt. Le juge Robins a estimé que, dans les circonstances, il convenait de verser à M. Truscott 250 000 $ par année d’incarcération et 100 000 $ par année en libération conditionnelle. Étant donné que les deux ordres de gouvernement étaient concernés pratiquement depuis le début, le juge Robins a considéré que les deux devaient assumer à parts égales le coût de l’indemnité : Dans l’affaire de Steven Truscott, p. 53.

[153]                      Comme le note la Cour d’appel, les sommes accordées dans les affaires Marshall, Sophonow et Truscott font suite aux recommandations d’organes consultatifs. Elles ne résultent pas de condamnations judiciaires et elles reposent sur des considérations très différentes de celles qui sont à la base de l’adjudication de dommages-intérêts : décision C.A., par. 222. Seule l’indemnité fixée dans Proulx découle d’un processus judiciaire. De surcroît, tous ces cas se distinguent de la présente affaire du fait qu’ils impliquent le crime beaucoup plus grave de meurtre et que, dans presque chacun d’eux, la période d’incarcération a été plus longue.

[154]                      Par ailleurs, nous constatons que, suivant les termes de la transaction, le PGQ n’a versé à M. Hinse qu’un montant de 1 100 000 $ pour ce chef de dommages, alors que celui-ci en réclamait 3 000 000 $ à ce titre du PGQ et du PGC, solidairement. Nous reconnaissons qu’il faut faire preuve de prudence en comparant les montants fixés à la suite de transactions à ceux résultant de condamnations judiciaires. Néanmoins, dans ce cas-ci, M. Hinse et le PGQ ont chiffré le montant lié à ce chef de dommages dans leur entente, et ce, une fois la preuve close de part et d’autre. Nous voyons mal pourquoi le gouvernement fédéral devrait être condamné à payer des dommages-intérêts en compensation du préjudice non pécuniaire plus élevés que ceux versés par la province dans les circonstances de ce dossier. Même s’il y avait eu faute du Ministre, il nous apparaît difficile de justifier en quoi cette faute serait de gravité égale ou même supérieure à celles commises par Mont-Laurier et le PGQ en ce qui concerne l’arrestation, l’enquête policière et la poursuite criminelle qui ont mené à la condamnation et l’incarcération injustifiée de M. Hinse. Tout au plus, cette faute n’aurait eu pour effet que de prolonger le préjudice déjà causé par la ville et le PGQ.

[155]                      Condamner le PGC à verser 1 900 000 $, alors que le PGQ a versé 1 100 000 $ pour ce même chef de dommages, nous apparaît en conséquence démesuré. L’objectif premier d’une décision judiciaire en matière de responsabilité civile est d’indemniser le demandeur pour le préjudice subi, non de punir le débiteur.

(3)      Dommages-intérêts punitifs

a)         Le renvoi au droit provincial dans la L.R.C.É. 

[156]                      La juge Poulin a condamné le PGC à verser 2 500 000 $ à M. Hinse à titre de dommages-intérêts punitifs en vertu de l’art. 49 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12 (« Charte »). En matière de responsabilité, l’art. 3  L.R.C.É.  assimile l’État fédéral à une personne aux fins d’évaluation du préjudice causé par la faute de ses préposés. Aux termes de l’art. 2 de cette loi, la « responsabilité » s’entend de la « responsabilité civile extracontractuelle » au Québec. Il faut donc déterminer si ce renvoi par la L.R.C.É.  englobe le recours en dommages-intérêts punitifs prévu par la Charte. Cette question ne semble pas avoir été tranchée par la jurisprudence. Nous sommes d’avis qu’il faut y répondre par l’affirmative.

[157]                      Premièrement, en 1953, le Parlement a adopté la Loi sur la responsabilité de la Couronne, l’ancêtre de la L.R.C.É. , avec l’objectif « de rendre la Couronne fédérale aussi pleinement responsable que peut l’être une personne qui, à titre de particulier, serait responsable sous le régime de la loi provinciale » : Débats de la Chambre des communes, vol. IV, 7e sess., 21e lég., 26 mars 1953, p. 3520; voir aussi le par. 3(1) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne. Suivant la L.R.C.É., en matière de responsabilité, l’État continue d’être assimilé à une personne pour le dommage causé par la faute de ses préposés, le mot « personne » s’entendant d’une personne physique majeure et capable : art. 3 et 2.1.

[158]                      Deuxièmement, comme en témoigne le libellé de la L.R.C.É. et sa formulation bijuridique, le législateur fédéral renvoie au droit provincial applicable en termes très généraux : il s’agit de la responsabilité civile extracontractuelle au Québec et de la responsabilité délictuelle dans les autres provinces. Même avant 1953, notre Cour « avait déjà jugé que le droit supplétif en matière délictuelle est celui du lieu où le droit d’action a pris naissance » : P. Garant, avec la collaboration de P. Garant et J. Garant, Droit administratif (6e éd. 2010), p. 913. Le droit provincial applicable auquel se réfère la L.R.C.É.  inclut non seulement les articles pertinents du C.c.Q., mais aussi toutes les lois provinciales modifiant le droit de la responsabilité de la province où la cause d’action est née, y compris la Charte : voir art. 8.1  de la Loi d’interprétation , L.R.C. 1985, c. I-21 ;  Hogg, Monahan et Wright, p. 436.

[159]                      Troisièmement, il est vrai que, selon une certaine vision « puriste », le droit civil traditionnel ne reconnaît pas les dommages-intérêts punitifs : voir, p. ex., Chaput c. Romain, [1955] R.C.S. 834, p. 841; Baudouin, Deslauriers et Moore, no 1-373. Par contre, le droit civil québécois permet depuis plusieurs années d’accorder de tels dommages-intérêts dans certaines circonstances : voir, notamment, la Loi sur la protection des arbres, RLRQ, c. P-37. De plus, lors de la réforme du C.c.Q., l’avant-projet du Code civil du Québec prévoyait que des dommages-intérêts punitifs pouvaient être attribués généralement en cas de faute lourde ou intentionnelle : Baudouin, Deslauriers et Moore, no 1-373. Même si le législateur a finalement abandonné cette idée, la notion de dommages-intérêts punitifs se retrouve dorénavant à l’art. 1621 C.c.Q., mais ils conservent un caractère exceptionnel puisqu’ils ne peuvent être accordés que si une loi l’autorise expressément : de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, [2010] 3 R.C.S. 64, par. 48; Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345, par. 20.

[160]                      À notre avis, le régime établi à cet égard par la Charte peut être considéré comme un complément des règles de responsabilité extracontractuelle. La Charte « a pour effet de compléter la protection offerte par le Code civil en créant un nouveau recours permettant à la victime de réclamer des dommages punitifs que n’offre pas le Code [civil] » : L. Perret, « De l’impact de la Charte des droits et libertés de la personne sur le droit civil des contrats et de la responsabilité au Québec » (1981), 12 R.G.D. 121, p. 170.

[161]                      Ainsi, le régime de dommages-intérêts punitifs prévu à l’art. 49 de la Charte n’est pas distinct du régime de la responsabilité civile extracontractuelle et incompatible avec celui-ci. Il contribue plutôt à ce droit, mais ne se confond pas totalement avec celui-ci. Les deux régimes se recoupent à plusieurs niveaux, mais le recours de l’art. 49 n’est pas entièrement subordonné aux conditions de la responsabilité civile. Il peut constituer un régime autonome donnant lieu à des réparations qui ne relèvent aucunement de la responsabilité civile : de Montigny, par. 44; Cinar, par. 124; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30, [2004] 1 R.C.S. 789, par. 26.

[162]                      Avant l’entrée en vigueur de la Charte en 1976, c’était le régime de la responsabilité civile du C.c.B.-C. qui protégeait les droits fondamentaux, et, « en droit civil, la notion de faute est une notion extrêmement flexible, qui permet d’assurer la protection des individus dans tous les domaines » : Perret, p. 124; L. LeBel, « La protection des droits fondamentaux et la responsabilité civile » (2004), 49 R.D. McGill 231, p. 235. En l’espèce, le comportement fautif allégué s’est déroulé pour l’essentiel avant l’entrée en vigueur du C.c.Q. Il est vrai que la disposition préliminaire du C.c.Q. prévoit maintenant expressément que ce dernier « régit, en harmonie avec la Charte [. . .] et les principes généraux du droit, les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les biens ». Néanmoins, nous sommes d’avis que l’absence d’équivalent de la disposition préliminaire ou de l’art. 1621 C.c.Q. dans le C.c.B.-C. n’affecte pas notre analyse. Bien qu’elles témoignent du rapport entre la Charte et le C.c.Q., ces dispositions ne le créent pas et ne sont donc pas essentielles à notre conclusion.

[163]                      Nous concluons de ce qui précède que le renvoi au droit provincial dans la L.R.C.É.  englobe le recours en dommages-intérêts punitifs prévu par la Charte. Nous ajoutons que, comme ces dommages-intérêts font partie du droit des provinces de common law, cette conclusion favorise une application plus uniforme du droit de la responsabilité de l’État à l’échelle du pays. Cette question préliminaire réglée, abordons maintenant celle de savoir si l’allocation de tels dommages-intérêts était appropriée en l’espèce.

b)         L’adjudication des dommages-intérêts punitifs

[164]                      L’article 49 de la Charte énonce qu’« [e]n cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. » Dans l’arrêt Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, notre Cour a précisé le sens d’une « atteinte illicite et intentionnelle » :

En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l’art. 49 de la Charte lorsque l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.  Ce critère est moins strict que l’intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence.  Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère. [Nous soulignons; par. 121.]

[165]                      En l’occurrence, puisque le comportement des Ministres ne saurait être assimilé à de la mauvaise foi ou à de l’insouciance grave, nous ne pouvons conclure à une atteinte intentionnelle. La preuve ne permet pas d’affirmer que les Ministres ont agi avec un état d’esprit démontrant une volonté de nuire à M. Hinse ou avec une connaissance des conséquences nuisibles à ce dernier. Ce critère exigeant n’a pas été satisfait et les dommages-intérêts punitifs n’auraient pas dû être accordés.

(4)      Les honoraires extrajudiciaires

[166]                      Enfin, la juge de première instance a conclu que le PGC avait abusé de son droit d’ester en justice et elle l’a condamné à verser à M. Hinse un montant de 100 000 $ pour les honoraires versés à ses premiers avocats : par. 230. Elle a également accordé une somme de 440 000 $ pour les services rendus par le cabinet ayant succédé aux premiers avocats et avec lequel M. Hinse avait conclu une entente pro bono : par. 240. Pour justifier sa décision d’accorder ce montant alors que M. Hinse n’avait pas dû payer ses avocats, la juge s’est appuyée sur un jugement ontarien : par. 236, citant 1465778 Ontario Inc. c. 1122077 Ontario Ltd. (2006), 82 O.R. (3d) 757 (C.A.). Elle s’est dite d’avis qu’il serait « injuste d’accorder à une personne fautive le bénéfice d’une convention intervenue dans le but de prêter main-forte à une victime » : par. 239. Elle a toutefois précisé qu’une entente prévoyant le paiement aux procureurs de la somme accordée à la partie était nécessaire pour éviter l’enrichissement injustifié : par. 237-239. Soulignons que le montant global de 5,3 millions de dollars de la transaction intervenue avec le PGQ incluait une somme de 800 000 $ distraite au bénéfice des avocats de M. Hinse.

[167]                      La Cour d’appel a infirmé cette conclusion, estimant que le PGC était en droit de se défendre compte tenu des montants réclamés et des principes juridiques en cause. Elle a jugé que la contestation judiciaire du PGC n’était pas empreinte de mauvaise foi et que ce dernier n’avait pas multiplié les procédures ni poursuivi inutilement et abusivement le débat judiciaire. La Cour d’appel a également formulé une mise en garde contre les « importations sans nuance des précédents de common law » et a affirmé que « [l]a juge a eu tort de se référer à une jurisprudence ontarienne pour accorder cette réclamation, les honoraires extrajudiciaires étant différents des costs » : par. 243-244.

[168]                      Dans l’arrêt Viel c. Entreprises Immobilières du Terroir ltée, [2002] R.J.Q. 1262, la Cour d’appel a confirmé qu’en droit québécois, ce n’est qu’exceptionnellement qu’une partie peut être tenue de payer les honoraires d’avocats engagés par la partie adverse. Cette indemnisation doit satisfaire aux règles générales de la responsabilité civile : par. 72-73. Il faut être en présence d’une faute commise par l’autre partie, d’un préjudice et d’un lien causal entre les deux. La Cour d’appel y traite de la distinction entre l’abus sur le fond et l’abus d’ester en justice, le second étant le seul qui permette l’adjudication d’honoraires extrajudiciaires à titre de dommages-intérêts :

En principe, et sauf circonstances exceptionnelles, les honoraires payés par une partie à son avocat ne peuvent, à mon avis, être considérés comme un dommage direct qui sanctionne un abus sur le fond.  Il n’existe pas de lien de causalité adéquat entre la faute (abus sur le fond) et le dommage.  La causalité adéquate correspond à ou aux événements ayant un rapport logique, direct et immédiat avec l’origine du préjudice subi. . .

 

. . .

 

À l’inverse, peu importe qu’il y ait abus ou non sur le fond, une partie qui abuse de son droit d’ester en justice causera un dommage à la partie adverse, qui, pour combattre cet abus, paie inutilement des honoraires judiciaires à son avocat.  Il y a, dans ce cas, un véritable lien de causalité entre la faute et le dommage. [Nous soulignons; italique dans l’original omis.]

 

(Viel, par. 77-79)

[169]                      Depuis cette décision, le législateur québécois a ajouté au Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25 (« C.p.c. »), certaines dispositions qui confirment le pouvoir des tribunaux de sanctionner les abus de procédure : voir art. 54.1 à 54.6. En vertu de l’art. 54.4 C.p.c., le tribunal peut notamment « condamner une partie à payer, outre les dépens, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et débours extrajudiciaires que celle-ci a engagés ».

[170]                      En conséquence, au Québec, en cas d’abus de procédure, des dommages-intérêts peuvent être accordés au titre des honoraires extrajudiciaires, dans le but d’indemniser la partie qui subit un préjudice résultant de la faute de l’autre partie. Dans les provinces de common law, les dépens (« costs ») sont traditionnellement accordés dans le but d’indemniser la partie gagnante des dépenses qu’elle a engagées soit pour se défendre contre une action sans fondement (si le défendeur obtient gain de cause), soit pour faire reconnaître un droit valide (si le demandeur obtient gain de cause) : voir, p. ex., Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 R.C.S. 371, par. 21; Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, p. 135. Notre Cour a reconnu qu’en common law les règles modernes d’attribution des dépens visent des objectifs qui ne se limitent pas à l’indemnisation. Une telle ordonnance peut par exemple pénaliser la partie qui a refusé une offre de règlement raisonnable. Elle peut aussi servir à sanctionner des conduites qui ont prolongé la durée du litige, qui en ont augmenté le coût ou qui sont par ailleurs déraisonnables ou vexatoires : Bande indienne Okanagan, par. 25. Ainsi, dans les provinces de common law, les dépens n’ont plus seulement un caractère indemnitaire mais aussi un objectif répressif. En ce sens, ils diffèrent de la condamnation au paiement des honoraires extrajudiciaires sous forme de dommages-intérêts en droit québécois. Il faut tenir compte de ces distinctions dans l’analyse des jugements des autres provinces sur ces questions.

[171]                      La juge de première instance n’a recensé aucune décision québécoise sur l’attribution d’honoraires extrajudiciaires en cas de représentation pro bono. Elle s’est tournée vers la jurisprudence de la Cour d’appel de l’Ontario, laquelle a affirmé à diverses reprises qu’une entente de représentation pro bono n’empêche pas l’adjudication de dépens : voir entre autres 1465778 Ontario Inc.; Human Rights Commission (Ont.) c. Brillinger (2004), 185 O.A.C. 366; Reynolds c. Kingston (Police Services Board), 2007 ONCA 375, 86 O.R. (3d) 43. Puisque la nature des dépens en common law diffère de celle des honoraires extrajudiciaires en droit québécois, la comparaison n’était pas appropriée.

[172]                      Devant notre Cour, l’appelant s’appuie sur l’art. 1608 C.c.Q. pour défendre l’adjudication d’honoraires extrajudiciaires en cas d’abus de procédure, et ce, même en présence d’une entente pro bono. C’est la première fois que cet article est invoqué dans ce contexte. Il prévoit ceci :

1608.  L’obligation du débiteur de payer des dommages-intérêts au créancier n’est ni atténuée ni modifiée par le fait que le créancier reçoive une prestation d’un tiers, par suite du préjudice qu’il a subi, sauf dans la mesure où le tiers est subrogé aux droits du créancier.

[173]                      Les intervenants Centre Pro Bono Québec et Pro Bono Law Ontario plaident que c’est exactement ce qui se produit dans la situation qui nous intéresse : l’avocat qui agit pro bono indemnise la victime d’un abus du droit d’ester en justice du préjudice qu’elle subit et cette intervention d’un tiers ne libère pas le débiteur de l’obligation de réparer ce préjudice. Le PGC conteste cette affirmation : le préjudice normalement indemnisable par une condamnation au paiement des honoraires extrajudiciaires en cas d’abus de procédure est inexistant lorsque la représentation est gratuite. La partie victime de l’abus ne peut être un « créancier » au sens de l’art. 1608 C.c.Q.

[174]                      À première vue, l’argument du PGC est séduisant. Dans Viel, la Cour d’appel a établi que le dommage subi par la partie victime d’un abus de procédure est l’obligation de payer inutilement des honoraires d’avocats : par. 79. S’il y a entente pro bono, la partie victime de l’abus de droit ne paie aucun honoraire à ses avocats (sous réserve des détails de l’entente dans chaque cas). Suivant ce raisonnement, comme la partie victime de l’abus de droit ne subit pas de dommage, elle ne saurait être créancière de la partie qui a commis l’abus.

[175]                      Toutefois, si on concluait de la sorte pour l’abus du droit d’ester en justice, il faudrait en faire de même pour les autres situations visées par l’art. 1608 C.c.Q. La personne qui subit un dommage par la faute d’une autre personne, mais reçoit une indemnité ou une prestation d’un tiers en vertu d’un contrat d’assurance ou d’un contrat de travail, ne subit pas réellement de préjudice non plus. Or, les commentaires du ministre de la Justice lors de l’adoption du C.c.Q. sont clairs; c’est notamment ce genre de situations que vise l’art. 1608 C.c.Q. :

[Cet article] vise à régler la question de savoir si l’obligation de réparer qui pèse sur le débiteur peut être atténuée ou modifiée par des prestations versées au créancier par un tiers, que ces versements soient à titre gratuit ou à titre onéreux. Telle serait la situation si, par exemple, l’employeur du créancier continuait, sans y être tenu, de lui verser son salaire pendant son incapacité; telle serait aussi la situation, si l’assureur du créancier lui versait, en sa qualité d’assuré, le produit d’une assurance qu’il a souscrite.

 

Donner une réponse négative à cette question peut parfois conduire à faire bénéficier le créancier d’une double indemnité — celle qu’il reçoit du tiers et celle que lui verse le débiteur — et donc à lui procurer un enrichissement; une telle réponse peut aussi paraître contraire au principe de la réparation du préjudice, puisque le préjudice risque, en certains cas, de ne plus exister, ayant déjà été indemnisé par le tiers.

 

En revanche, une réponse affirmative paraît contraire au rôle préventif de l’obligation de réparer et, de plus, peut conduire au résultat, assez choquant, d’exonérer le débiteur de toute obligation de réparation, uniquement par suite de la bienveillance d’un tiers ou de la prévoyance du créancier qui s’est prémuni, à ses frais, contre l’éventualité du préjudice.

 

L’article tranche en faveur d’une réponse négative à cette question de savoir si l’obligation de réparer du débiteur peut être atténuée ou modifiée par les prestations que reçoit le créancier de tiers; mais, afin d’éviter les principaux cas donnant ouverture à une double indemnisation, elle fait expressément la réserve des situations où le tiers est subrogé, légalement ou conventionnellement, aux droits du créancier.

 

Il s’agit là de la solution qui paraît la plus juste, dans les circonstances, d’autant plus que la plupart des prestations versées par des tiers — indemnités de sécurité sociale, d’assurance, ou résultant des conventions collectives de travail — ne présentent pas un caractère indemnitaire véritable et, en tout cas, ne sont pas destinées à réparer le préjudice subi par le créancier. [Nous soulignons.]

 

(Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice, t. I, Le Code civil du QuébecUn mouvement de société (1993), p. 994)

[176]                      Nous reconnaissons que la rédaction de l’art. 1608 C.c.Q. n’est peut-être pas des plus heureuses : « . . . que le créancier reçoive une prestation d’un tiers, par suite du préjudice qu’il a subi . . . » Mais l’intention du législateur ne fait aucun doute et nous devons lui donner effet. Cette interprétation est en outre conforme à l’art. 1440 C.c.Q. :

1440.  Le contrat n’a d’effet qu’entre les parties contractantes; il n’en a point quant aux tiers, excepté dans les cas prévus par la loi.

[177]                      Les parties à un litige sont tenues de ne pas commettre d’abus de procédures. Si elles manquent à cette obligation, elles commettent une faute et le tribunal peut les condamner à des dommages-intérêts. Suivant l’art. 1608 C.c.Q., leur obligation de payer des dommages-intérêts à l’autre partie n’est ni atténuée ni modifiée par le fait que celle-ci reçoive une prestation à titre gratuit de ses avocats. La raison d’être de l’art. 1608 C.c.Q., qui est explicitée dans les commentaires du ministre de la Justice, vaut tout autant dans les cas d’abus de procédure : il importe de permettre aux dommages-intérêts de jouer pleinement leur rôle préventif et de ne pas soustraire l’auteur d’un « préjudice » à sa responsabilité.

[178]                      L’article 1608 C.c.Q. témoigne par ailleurs de la volonté du législateur de ne pas décharger le débiteur de son obligation de réparation, même si cela peut entraîner une double indemnisation de la victime. Le législateur a choisi d’exclure les cas où il y a subrogation, car ceux-ci constituent les principales situations entraînant une double indemnisation. Les tribunaux doivent respecter ce choix. Il n’est donc pas nécessaire, contrairement à ce qu’a dit la première juge, que l’entente pro bono contienne une clause de versement aux avocats des honoraires extrajudiciaires susceptibles d’être obtenus. C’est aux parties et à leurs avocats qu’il appartient de négocier le détail de ces ententes. 

[179]                      Ces précisions apportées, examinons maintenant la conclusion de la première juge selon laquelle il y a eu abus de procédure de la part du PGC en l’espèce. En particulier, elle lui a reproché d’avoir

-     insisté pour que M. Hinse fasse sa preuve dans les moindres détails;

 

-     refusé de lui fournir certains documents;

 

 

-     reproché à M. Hinse de ne pas avoir convoqué devant le tribunal les décideurs qui ont joué un rôle dans son dossier;

 

-     répété que c’est à ce dernier qu’il appartient de remplir son fardeau de preuve;

 

-     épousé sans distinction la thèse que ses experts ont présentée;

 

-     reconnu le 2 novembre 2010 uniquement, soit au premier jour du procès, que M. Hinse a été victime d’une erreur judiciaire;

 

-     refusé que soit déposé au dossier le mémoire de la Commission de police; et

 

-     prétendu que les témoins, de qui proviennent la « preuve nouvelle » présentée devant la Cour d’appel qui a conduit à l’arrêt des procédures en juin 1994, devraient être entendus (par. 226).

[180]                      À l’instar de la Cour d’appel, nous ne décelons aucun abus de procédure dans le comportement du PGC. Il est vrai que la position de l’expert psychiatre Chamberland sur les effets soi-disant bénéfiques de l’incarcération de M. Hinse est malheureuse; le PGC aurait dû s’en dissocier. Cependant, cela n’est pas suffisant en soi pour constituer un abus de procédure. Le PGC n’a pas multiplié les actes de procédure de façon déraisonnable ou présenté des témoins inutilement. Il n’a pas utilisé les mécanismes procéduraux de manière excessive ou déraisonnable, ni agi de mauvaise foi ou fait preuve de témérité. L’état du droit sur la responsabilité de la Couronne fédérale en cas de faute du Ministre dans l’exercice de son pouvoir de clémence était loin d’être certain au moment du litige. Il était raisonnable et approprié pour le PGC de contester l’action de l’appelant et d’invoquer la défense qu’il a présentée. La juge a commis une erreur manifeste et déterminante en concluant à un abus de procédure dans le contexte de ce dossier. L’appelant n’avait pas droit aux honoraires extrajudiciaires accordés.

V.    Dispositif

[181]                      L’erreur judiciaire dont a été victime M. Hinse est certes des plus regrettables. Toutefois, en l’absence de mauvaise foi ou d’insouciance grave de la part du Ministre et de lien causal entre ses agissements et les dommages allégués, le recours de M. Hinse contre le PGC est mal fondé. Nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi, sans dépens comme a décidé la Cour d’appel.

ANNEXE

Code criminel, S.C. 1953-54, c. 51 (première demande)

 

596. [Pouvoirs du ministre de la Justice] Sur une demande de clémence de la Couronne, faite par ou pour une personne qui a été condamnée à la suite de procédures sur un acte d’accusation, le ministre de la Justice peut

 

a) prescrire, au moyen d’une ordonnance écrite, un nouveau procès devant une cour qu’il juge appropriée, si, après enquête, il est convaincu que, dans les circonstances, un nouveau procès devrait être prescrit;

 

b) à toute époque, déférer la cause à la cour d’appel pour audition et décision par cette cour comme s’il s’agissait d’un appel interjeté par la personne condamnée; ou

 

c) à toute époque, soumettre à la cour d’appel, pour connaître son opinion, toute question sur laquelle il désire l’assistance de cette cour, et la cour doit donner son opinion en conséquence.

Loi de 1968-69 modifiant le droit pénal, S.C. 1968-69, c. 38

 

62.  L’article 596 de ladite loi est abrogé et remplacé par ce qui suit :

 

596. [Pouvoirs du ministre de la Justice] Sur une demande de clémence de la Couronne, faite par ou pour une personne qui a été condamnée à la suite de procédures sur un acte d’accusation ou qui a été condamnée à la détention préventive en vertu de la Partie XXI, le ministre de la Justice peut

 

a) prescrire, au moyen d’une ordonnance écrite, un nouveau procès ou, dans le cas d’une personne condamnée à la détention préventive, une nouvelle audition devant toute cour qu’il juge appropriée si, après enquête, il est convaincu que, dans les circonstances, un nouveau procès ou une nouvelle audition, selon le cas, devraient être prescrits;

 

b) à toute époque, renvoyer la cause devant la cour d’appel pour audition et décision par cette cour comme s’il s’agissait d’un appel interjeté par la personne déclarée coupable ou par la personne condamnée à la détention préventive, selon le cas; ou

 

c) à toute époque, renvoyer devant la cour d’appel, pour connaître son opinion, toute question sur laquelle il désire l’assistance de cette cour, et la cour doit donner son opinion en conséquence.

Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34 (deuxième et troisième demandes)

 

617. [Pouvoirs du ministre de la Justice] Sur une demande de clémence de la Couronne, faite par ou pour une personne qui a été condamnée à la suite de procédures sur un acte d’accusation ou qui a été condamnée à la détention préventive en vertu de la Partie XXI, le ministre de la Justice peut

 

a) prescrire, au moyen d’une ordonnance écrite, un nouveau procès ou, dans le cas d’une personne condamnée à la détention préventive, une nouvelle audition devant toute cour qu’il juge appropriée si, après enquête, il est convaincu que, dans les circonstances, un nouveau procès ou une nouvelle audition, selon le cas, devraient être prescrits;

 

b) à toute époque, renvoyer la cause devant la cour d’appel pour audition et décision par cette cour comme s’il s’agissait d’un appel interjeté par la personne déclarée coupable ou par la personne condamnée à la détention préventive, selon le cas; ou

 

c) à toute époque, renvoyer devant la cour d’appel, pour connaître son opinion, toute question sur laquelle il désire l’assistance de cette cour, et la cour doit donner son opinion en conséquence.

Code criminel , L.R.C. 1985, c. C-46  (quatrième demande)

 

690. [Pouvoirs du ministre de la Justice] Sur une demande de clémence de la Couronne, faite par ou pour une personne qui a été condamnée à la suite de procédures sur un acte d’accusation ou qui a été condamnée à la détention préventive en vertu de la partie XXIV, le ministre de la Justice peut :

 

a) prescrire, au moyen d’une ordonnance écrite, un nouveau procès ou, dans le cas d’une personne condamnée à la détention préventive, une nouvelle audition devant tout tribunal qu’il juge approprié si, après enquête, il est convaincu que, dans les circonstances, un nouveau procès ou une nouvelle audition, selon le cas, devrait être prescrit;

 

b) à tout moment, renvoyer la cause devant la cour d’appel pour audition et décision comme s’il s’agissait d’un appel interjeté par la personne déclarée coupable ou par la personne condamnée à la détention préventive, selon le cas;

 

c) à tout moment, renvoyer devant la cour d’appel, pour connaître son opinion, toute question sur laquelle il désire son assistance, et la cour d’appel donne son opinion en conséquence. [abr. 2002, c. 13, art. 70]

                    Pourvoi rejeté.

                    Procureurs de l’appelant : Borden Ladner Gervais, Montréal.

                    Procureur de l’intimé : Procureur général du Canada, Ottawa.

                    Procureurs de l’intervenante Association in Defence of the Wrongly Convicted : Greenspan Humphrey Lavine, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenant le Centre Pro Bono Québec : Lavery, de Billy, Montréal.

                    Procureurs de l’intervenante Pro Bono Law Ontario : Bennett Jones, Toronto.



[*] Le juge LeBel n’a pas participé au jugement.

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