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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Simpson, 2015 CSC 40, [2015] 2 R.C.S. 827

Date : 20150730

Dossier : 35971

 

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

et

Andrew Simpson et Kizzy-Ann Farrell

Intimés

- et -

Ville de Montréal

Intervenante

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : Les juges Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 55)

Le juge Moldaver (avec l’accord des juges Rothstein, Cromwell, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté)

 

 

 

 


R. c. Simpson, 2015 CSC 40, [2015] 2 R.C.S. 827

Sa Majesté la Reine                                                                                        Appelante

c.

Andrew Simpson et

Kizzy‑Ann Farrell                                                                                              Intimés

et

Ville de Montréal                                                                                        Intervenante

Répertorié : R. c. Simpson

2015 CSC 40

No du greffe : 35971.

2015 : 12 février; 2015 : 30 juillet.

Présents : Les juges Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté.

en appel de la cour d’appel du québec

                    Droit criminel — Moyens de défense — Apparence de droit — Preuve — Occupation illégale d’un espace commercial par les coaccusés — Acquittements prononcés par la juge du procès pour diverses infractions d’introduction par effraction et de voies de fait et quant à d’autres infractions relatives aux drogues — Mention par la juge du procès d’éléments de preuve qui, selon elle, étayaient l’existence d’une apparence du droit d’occuper les lieux — La juge du procès a-t-elle commis une erreur en concluant à la vraisemblance de la défense d’apparence de droit? — Si oui, l’erreur de la juge du procès a-t-elle eu une incidence significative sur les verdicts?

                    Après avoir été légalement évincés de leur appartement situé à l’étage d’un édifice, S et F ont élu domicile dans l’espace commercial vacant du rez-de-chaussée du même édifice en contravention de règlements municipaux. Le 1er février 2011, le chef inspecteur de l’arrondissement, accompagné de trois policiers par mesure de sécurité, a décidé d’inspecter les lieux. Durant cette inspection, S et F ont attaqué deux des policiers. Ils ont tous les deux été mis en état d’arrestation pour voies de fait. Un policier a fouillé S accessoirement à son arrestation et découvert sur lui des comprimés de méthamphétamine et d’ecstasy. S et F ont été accusés d’introduction par effraction et de voies de fait contre un agent de la paix. S a aussi été accusé d’un chef d’agression armée et de deux chefs de possession de drogue. Le 18 février, des inspecteurs ont réalisé que S et F occupaient de nouveau le rez‑de‑chaussée, en dépit d’une ordonnance qui en interdisait l’utilisation. S et F ont été arrêtés une seconde fois et à nouveau accusés d’introduction par effraction. La juge du procès a acquitté S et F quant à tous les chefs d’accusation. Elle a conclu que les droits de S et F protégés par l’art. 8 de la Charte avaient été violés et a exclu tous les éléments de preuve concernant ce qui s’est produit à l’intérieur de l’espace commercial. La juge du procès a aussi conclu à la vraisemblance de la défense d’apparence de droit invoquée par S et F et jugé que le ministère public ne l’avait pas réfutée hors de tout doute raisonnable. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont confirmé les acquittements.

                    Arrêt : L’appel est accueilli, les acquittements sont annulés et la tenue d’un nouveau procès est ordonnée quant à tous les chefs d’accusation.

                    Le terme « apparence de droit » désigne une croyance honnête quant à un état de fait qui, s’il avait existé, aurait en droit justifié ou excusé le geste posé. Un accusé a le fardeau de démontrer la « vraisemblance » de ce moyen de défense invoqué — c.‑à‑d. de démontrer qu’il existe certains éléments de preuve susceptibles de soulever un doute raisonnable quant à l’apparence de droit dans l’esprit d’un juge des faits qui a reçu des directives appropriées et qui agit raisonnablement.

                    En l’espèce, la conclusion de la juge du procès quant à la vraisemblance de la défense d’apparence de droit relativement aux chefs d’accusation d’introduction par effraction relatifs aux événements qui se seraient déroulés le 1er février a été viciée du fait qu’elle s’est fondée, à tort, sur certains éléments de preuve qui, en fait, ne soutenaient pas la vraisemblance. Plus particulièrement, la juge du procès a commis une erreur en se fondant sur la reconnaissance par le propriétaire en contre‑interrogatoire qu’il est possible que son père, qui avait déjà eu le contrôle de l’édifice, ait conclu un accord verbal avec S et F pour qu’ils utilisent l’espace commercial et leur ait remis les clés pour qu’ils y accèdent. Une affirmation faite à un témoin durant son contre‑interrogatoire ne constitue pas une preuve de l’affirmation, à moins que le témoin ne la tienne pour véridique. L’incapacité du propriétaire de nier les suggestions qui lui étaient faites ne nous éclaire en rien quant à la véracité ou non de ces suggestions. Son témoignage ne peut être utilisé pour évaluer si la défense d’apparence de droit alléguée franchit le seuil de la vraisemblance. On pourrait raisonnablement penser que cette erreur de la juge du procès dans son évaluation de la vraisemblance a eu une incidence significative sur l’ensemble de la question de l’apparence de droit, et donc sur les acquittements qui en ont résulté en ce qui a trait aux chefs d’accusation d’introduction par effraction relatifs aux événements qui se seraient déroulés le 1er février.

                    Quant au chef d’accusation de voies de fait contre un agent de la paix portée contre F, la juge du procès a acquitté cette dernière jugeant qu’elle avait agi en légitime défense. L’acquittement était tributaire de la conclusion de la juge du procès selon laquelle F croyait sincèrement qu’il était illégal que les policiers maîtrisent S et le mettent en état d’arrestation pour les avoir attaqués dans l’espace commercial. Une telle conclusion impliquait en outre que F croyait sincèrement qu’elle et S avaient le droit d’occuper l’espace commercial et, par voie de conséquence, le droit de repousser les policiers. Sans apparence de droit, la croyance présumée de S et F voulant qu’ils aient eu le droit de repousser les policiers n’avait aucun fondement. L’erreur de la juge du procès quant à l’apparence de droit a teinté sa conclusion selon laquelle F a agi en légitime défense et on peut raisonnablement penser que cette erreur a eu une incidence significative sur l’acquittement de cette dernière quant au chef de voies de fait.

                    L’erreur commise par la juge du procès quant à la question de l’apparence de droit a également eu une incidence sur les acquittements de S quant aux accusations de voies de fait et de possession de drogue. Ces acquittements étaient fondés sur la conclusion de la juge du procès selon laquelle les droits de S et F protégés par l’art. 8 avaient été violés et sur l’exclusion d’éléments de preuve qui en a découlé. L’article 8 de la Charte ne confère une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives que dans la mesure où un individu fait la preuve selon la prépondérance des probabilités d’une attente raisonnable en matière de respect de sa vie privée. Compte tenu des faits de la présente affaire, l’erreur de la juge du procès quant à la question de l’apparence de droit sème un doute relativement à l’existence d’une attente subjective de respect de la vie privée, et encore plus quant à l’existence d’une attente raisonnable. Dans la mesure où l’application de l’art. 8 de la Charte n’a pas été régulièrement enclenchée, la juge du procès n’était pas autorisée à exclure quelque élément de preuve que ce soit. Ainsi, on peut raisonnablement penser que l’erreur de la juge du procès a eu une incidence significative sur sa décision d’acquitter S quant aux chefs d’accusation relatifs aux voies de fait et à la possession de drogue.

                    Ni la juge du procès ni la Cour d’appel n’ont fait de distinction entre la première et la seconde série d’accusations d’introduction par effraction. Il aurait fallu analyser séparément les chefs d’accusation d’introduction par effraction relatifs aux événements qui seraient déroulés le 18 février de ceux relatifs aux événements qui se seraient déroulés le 1er du même mois. Selon la preuve non contredite, il est difficile de concevoir que S et F aient cru sincèrement qu’ils avaient le droit d’occuper l’espace commercial le 18 février. Cela dit, puisque le ministère public n’a pas demandé une autre mesure de réparation, il y a lieu de renvoyer les accusations d’introduction par effraction relatives aux événements qui se seraient déroulés le 18 février au tribunal de première instance pour qu’il en soit jugé dans le cadre d’un nouveau procès en même temps que des autres accusations.

Jurisprudence

                    Arrêts mentionnés : R. c. DeMarco (1973), 13 C.C.C. (2d) 369; R. c. Adgey, [1975] 2 R.C.S. 426; R. c. Charters, 2007 NBCA 66, 319 R.N.‑B. (2e) 179; R. c. Cinous, 2002 CSC 29, [2002] 2 R.C.S. 3; R. c. Skedden, 2013 ONCA 49; R. c. Zebedee (2006), 81 O.R. (3d) 583; R. c. M.B.M., 2002 MBCA 154, 170 Man. R. (2d) 131; R. c. Rojas, 2008 CSC 56, [2008] 3 R.C.S. 111; R. c. Graveline, 2006 CSC 16, [2006] 1 R.C.S. 609; Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128; R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432; R. c. Lauda, [1998] 2 R.C.S. 683; R. c. Belnavis, [1997] 3 R.C.S. 341.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés , art. 7 , 8 , 24 .

Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 267 a ) , 270(1) a), 322 , 348(1) b), e), 677 , 693(1) a).

Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, c. 19 .

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (la juge en chef Duval Hesler et les juges Thibault et Dalphond), 2014 QCCA 1143, [2014] AZ‑51079184, [2014] Q.J. No. 5425 (QL), 2014 CarswellQue 5384 (WL Can.), qui a confirmé les acquittements des intimés. Pourvoi accueilli.

                    Dennis Galiatsatos et Christian Jarry, pour l’appelante.

                    Andrew Simpson, en personne.

                    Kizzy‑Ann Farrell, en personne.

                    Walid Hijazi, en qualité d’amicus curiae.

                    Éric Couture, pour l’intervenante.

                    Version française du jugement de la Cour rendu par

[1]                              Le juge Moldaver — Le présent pourvoi a été interjeté de plein droit contre un jugement de la Cour d’appel du Québec qui a confirmé les acquittements prononcés lors du procès des intimés, M. Andrew Simpson et Mme Kizzy‑Ann Farrell, quant à diverses infractions d’introduction par effraction et de voies de fait, mais aussi quant à d’autres infractions relatives aux drogues. À l’instar de la juge Thibault, dissidente en Cour d’appel, mais pour les motifs plus détaillés qui suivent, je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler les acquittements et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès quant à tous les chefs d’accusation.

I.              Faits

[2]                              En l’espèce, la plupart des chefs d’accusation découlent de l’inspection d’un édifice menée par la ville le 1er février 2011. Cet édifice, situé dans l’arrondissement de Lachine à Montréal, comprenait deux appartements à l’étage ainsi que trois unités commerciales vacantes au rez‑de‑chaussée. Le propriétaire, Marius Arcand, était âgé et sa santé déclinait. Un mandat en cas d’inaptitude avait été homologué en avril 2010, donnant à son fils, Jean‑Marc Arcand, le pouvoir de gérer la propriété.

[3]                              M. Simpson et Mme Farrell ont été locataires d’un des appartements situés à l’étage de l’édifice. Le 10 novembre 2010, une ordonnance d’éviction a toutefois été prononcée contre eux pour non‑paiement de loyer. Un mois plus tard, soit le 6 décembre, Jean‑Marc Arcand s’est rendu sur les lieux accompagné d’un serrurier et il a constaté que les intimés avaient quitté l’appartement. Il avait cependant l’impression qu’ils s’étaient installés dans les unités commerciales situées au rez‑de‑chaussée.

[4]                              Comme il soupçonnait que les intimés avaient élu domicile dans l’espace commercial, Jean‑Marc Arcand a contacté Pierre Dubois, chef inspecteur de l’arrondissement de Lachine, pour l’informer de la situation. L’inspecteur Dubois s’est renseigné au sujet des unités du rez‑de‑chaussée afin de savoir si elles étaient équipées pour servir de résidence. Il a conclu que, si le rez‑de‑chaussée était utilisé comme résidence, la situation contrevenait aux règlements municipaux. Il a donc décidé d’inspecter les lieux avec la permission et la coopération de Jean‑Marc Arcand.

[5]                              L’inspection s’est déroulée durant le jour, le 1er février 2011. L’inspecteur Dubois ainsi que quatre inspecteurs plus novices étaient présents. Ils étaient accompagnés de trois policiers, le sergent Pierre Barbeau ainsi que les agents Andre Troke et Sandra Fournier. L’inspecteur Dubois avait sollicité la présence des policiers par mesure de sécurité, parce qu’il avait déjà dû faire face à une attitude agressive de la part des intimés.

[6]                              Les portes du rez‑de‑chaussée de l’édifice étaient verrouillées et les fenêtres recouvertes de tissu opaque. L’inspecteur Dubois a frappé à plusieurs reprises, sans obtenir de réponse.

[7]                              Un serrurier a été appelé pour déverrouiller la porte arrière. Le sergent Barbeau et l’agent Troke sont entrés les premiers dans l’édifice pour vérifier si quelqu’un s’y trouvait. Ils ont crié à plusieurs reprises « police » pour signaler leur présence.

[8]                              L’inspecteur Dubois, l’agente Fournier et les inspecteurs novices sont restés à l’extérieur. Peu après que le sergent Barbeau et l’agent Troke eurent pénétré dans l’édifice, Mme Farrell en est sortie par une porte différente de celle qu’ils avaient empruntée. Elle s’est approchée de l’inspecteur Dubois et lui a intimé de quitter les lieux. Celui‑ci a affirmé qu’il devait inspecter l’édifice et a tenté de montrer à Mme Farrell une copie du règlement applicable relatif aux normes de sécurité et d’hygiène pour les résidences. Mme Farrell a toutefois refusé de regarder le document et est retournée dans l’édifice.

[9]                              À l’intérieur, le sergent Barbeau et l’agent Troke ont continué leur fouille de l’espace commercial. Après avoir monté les escaliers, le sergent Barbeau a ouvert une porte et vu une ombre bouger devant lui. Il s’est avéré qu’il s’agissait de celle de M. Simpson. Ce dernier, s’adressant aux policiers, a crié qu’ils n’avaient rien à faire là et il leur a dit [traduction] « sortez » : d.a., vol. V, p. 24. Le sergent Barbeau a répondu en criant lui aussi et a ordonné à M. Simpson de se mettre « à terre » : ibid.

[10]                          Dans les secondes qui ont suivies, M. Simpson a commencé à donner des coups sur le mur de la cage d’escalier avec un objet — semblant être une planche de « deux par quatre » — qui a traversé le mur et est passé à moins d’un pouce du visage du sergent Barbeau. L’agent Troke a réagi en aspergeant du gaz poivré en direction de M. Simpson.

[11]                          Les policiers ont alors vu une porte ouverte à proximité qu’a empruntée M. Simpson pour sortir de l’édifice. L’agent Troke a couru pour rattraper ce dernier, avant de le clouer au sol. Puisque M. Simpson résistait à son arrestation, le sergent Barbeau a prêté main‑forte à l’agent Troke et les deux policiers ont tenté de le maîtriser.

[12]                          C’est alors que Mme Farrell a sauté sur le dos du sergent Barbeau et l’a frappé à la tête. Ce dernier l’a repoussée et lui a intimé de reculer. Mme Farrell n’a pas obtempéré et a de nouveau foncé sur le policier qui a réagi en la frappant au cou, et en la faisant tomber sur le sol. Ensuite, il l’a menottée.

[13]                          Les intimés ont tous les deux été mis en état d’arrestation pour voies de fait. L’agent Troke a fouillé M. Simpson accessoirement à son arrestation et découvert sur lui 14 comprimés de méthamphétamine et d’ecstasy.

[14]                          Par suite des événements du 1er février 2011, des accusations ont été portées tant contre M. Simpson que contre Mme Farrell, soit un chef chacun d’introduction par effraction et d’avoir commis un méfait — infraction décrite aux al. 348(1) b) et e) du Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46  (« Code  ») — et un chef chacun de voies de fait contre un agent de la paix, infraction décrite à l’al. 270(1) a) du Code . En outre, M. Simpson a été accusé d’un chef d’agression armée — infraction décrite à l’al. 267 a )  du Code  — et de deux chefs de possession de drogue en application de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, c. 19 .

[15]                          Le 9 février 2011, l’inspecteur Dubois a rendu une ordonnance interdisant l’utilisation du rez‑de‑chaussée de l’édifice parce qu’il était dangereux et insalubre. Des avis de non‑utilisation ont été placardés sur chaque porte, indiquant de ce fait clairement l’interdiction.

[16]                          Le 18 février, les inspecteurs ont réalisé que les avis avaient été retirés de l’édifice et que les intimés occupaient de nouveau le rez‑de‑chaussée. Ils ont informé l’inspecteur Dubois de la situation et ce dernier a immédiatement communiqué avec la police. Les intimés ont été arrêtés une seconde fois puis, à cette occasion, ont été accusés chacun d’un chef d’introduction par effraction et de méfait — infraction visée par les al. 348(1) b) et e) du Code .

II.           Jugements des instances inférieures

A.           Cour du Québec (la juge Ouimet; motifs de jugement prononcés à l’audience)

[17]                          Les intimés ont révoqué le mandat de leurs avocats après le premier jour de procès et ils n’ont plus été représentés par la suite. L’avocat du ministère public a présenté des éléments de preuve; les intimés ont choisi pour leur part de ne pas témoigner. Ils ont toutefois présenté diverses requêtes alléguant que la ville, les policiers, la poursuite et leur ancien propriétaire avaient agi de manière abusive, des requêtes que la juge du procès a estimé être du type de celles présentées en application des art. 7 , 8  et 24  de la Charte canadienne des droits et libertés .

[18]                          La juge du procès a prononcé les motifs de son jugement à l’audience. Après avoir exposé les faits pertinents, elle a traité de la requête présentée en application de l’art. 8  de la Charte  relativement aux événements survenus le 1er février. Elle a conclu que l’entrée par la force des policiers dans l’espace commercial avait constitué une violation du droit des intimés d’être à l’abri des fouilles, des perquisitions ou des saisies abusives.

[19]                          Appliquant ensuite le par. 24(2)  de la Charte , la juge du procès a conclu qu’il [traduction] « s’agit assurément d’un cas où je dois écarter les éléments de preuve qui ont été obtenus par suite de l’atteinte aux droits des intimés » : d.a., vol. I, p. 14. Plus précisément, elle a écarté « tout ce qui a été vu par les policiers après qu’ils soient entrés sur les lieux », y compris le fait que M. Simpson avait attaqué le sergent Barbeau : ibid. Elle a en outre écarté la drogue qui a été trouvée sur M. Simpson après son arrestation. Elle a donc acquitté ce dernier quant aux chefs de possession de drogue de même que quant à ceux de voies de fait armées et de voies de fait contre un agent de la paix.

[20]                          Quant au chef de voies de fait contre un agent de la paix porté contre Mme Farrell, la juge du procès a conclu que cette dernière avait réagi pour protéger M. Simpson d’avoir été illégalement agressé par les policiers. Cela suffisait, selon elle, pour soulever un doute raisonnable quant à savoir si Mme Farrell avait agi en légitime défense lorsqu’elle a frappé le sergent Barbeau. En conséquence, elle a acquitté Mme Farrell quant à ce chef d’accusation.

[21]                          Au sujet des chefs d’introduction par effraction, l’analyse de la juge du procès est, au mieux, obscure. Tout d’abord, elle n’a pas fait de distinction entre les chefs d’introduction par effraction découlant de l’arrestation menée le 1er février et ceux découlant de l’arrestation subséquente menée le 18 février. Elle semble plutôt avoir tenu pour acquis que la même analyse était applicable aux deux événements, même si les circonstances entourant les infractions présumément commises à ces deux dates étaient très différentes.

[22]                          La juge du procès a par ailleurs procédé à une analyse remarquablement courte. Elle a tout simplement relevé deux éléments de preuve, dont je parlerai en temps et lieu, qui suggèrent que les intimés [traduction] « croyaient raisonnablement » avoir le droit de se trouver dans l’espace commercial : d.a., vol. I, p. 18. Puisqu’ils avaient à tout le moins « une apparence de droit », elle les a acquittés quant aux chefs d’introduction par effraction relatifs aux événements qui se seraient déroulés tant le 1er février que le 18 du même mois.

B.            Cour d’appel du Québec (la juge en chef Duval Hesler et le juge Dalphond; la juge Thibault, dissidente)

[23]                          Les motifs de la Cour d’appel sont extrêmement courts. En voici le libellé complet :

                          [traduction] Il incombait au ministère public d’établir hors de tout doute raisonnable que les intimés n’avaient pas l’apparence du droit d’occuper les lieux. La juge du procès a conclu qu’il avait failli à la tâche. Selon les juges majoritaires, l’appelante n’a pas fait la preuve de l’existence d’une erreur susceptible de révision en ce qui a trait aux verdicts d’acquittement quant à tous les chefs d’accusation et l’appel doit être rejeté.

                          Pour sa part, la juge Thibault, dissidente, est d’avis d’accueillir l’appel et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès puisque, selon elle, l’absence d’un droit d’occuper les lieux avait été démontrée hors de tout doute raisonnable et que la visite de l’inspecteur en compagnie des policiers était légale ([Chabotar] c. Ville de Laval, [2004] J.Q. 149).

(2014 QCCA 1143, par. 1-2 (CanLII))

III.        Questions en litige

[24]                          Le présent appel a été interjeté de plein droit vu la dissidence de la juge Thibault. Les intimés ont comparu en personne. Me Walid Hijazi a été nommé amicus curiae pour aider la Cour et nous lui sommes reconnaissants d’avoir assumé ce rôle.

[25]                          Pour examiner les questions en litige dans le présent appel et pour en traiter, la Cour ne dispose malheureusement pas de motifs de jugement plus détaillés ni de la part des juges majoritaires ni de celle de la juge dissidente en Cour d’appel. Manifestement, des motifs plus complets auraient été utiles, particulièrement dans un cas comme celui de la présente espèce où le litige est présenté à la Cour de plein droit. L’article 677  du Code  prévoit que le juge d’une cour d’appel qui exprime une opinion opposée au jugement du tribunal « énonce, le cas échéant, les motifs de toute dissidence fondée en tout ou en partie sur une question de droit ». Lorsqu’il précise clairement et explicitement ses motifs en droit et qu’il les motive suffisamment afin d’expliquer le fondement de sa dissidence, il aide énormément la Cour. Les motifs qui expliquent la position des juges majoritaires sont tout aussi utiles. En l’espèce, la brièveté du jugement d’instance inférieure nous a obligés à déduire les questions de droit précises qui nous ont été soumises régulièrement ainsi que les motifs sur lesquels était fondée la dissidence.

[26]                          Suivant l’al. 693(1) a) du Code , le droit d’interjeter appel conféré au ministère public se limite aux questions de droit quant auxquelles la juge Thibault a exprimé une dissidence. En l’espèce, il semblerait qu’elle n’était pas d’accord avec les juges majoritaires à deux égards. Tout d’abord, elle a conclu que [traduction] « l’absence d’un droit d’occuper les lieux avait été démontrée hors de tout doute raisonnable ». Ensuite, elle a affirmé que « la visite de l’inspecteur en compagnie des policiers était légale ». Elle aurait donc accueilli l’appel et ordonné la tenue d’un nouveau procès pour tous les chefs d’accusation.

[27]                          S’il est vrai qu’il peut exister une certaine ambiguïté quant à la question de droit précise que soulève le premier élément de la dissidence de la juge Thibault, le ministère public fait valoir qu’elle faisait référence à la défense d’apparence de droit — soit, plus particulièrement, à la question de savoir si ce moyen de défense avait un fondement probant suffisant pour satisfaire au test de la vraisemblance. Ni les intimés ni l’amicus curiae n’ont contesté cette interprétation de la question. Après avoir examiné la question, je suis convaincu que la première question dont la Cour est régulièrement saisie est celle de la vraisemblance de la défense d’apparence de droit et de savoir si l’erreur (ou les erreurs), le cas échéant, commise par la juge du procès dans son examen de cette question a eu une incidence significative telle sur les verdicts qu’elle justifie d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.

[28]                          Le second élément soulevé par la juge Thibault dans sa dissidence concerne la légalité de l’entrée dans l’espace commercial par l’inspecteur et les policiers. Il s’agit d’une question de droit dont la Cour est aussi régulièrement saisie. Cela dit, compte tenu de mes conclusions quant à la question relative à l’apparence de droit, j’estime qu’il est préférable que cette seconde question soit tranchée par le juge qui présidera le nouveau procès, si le ministère public choisissait de reprendre le processus.

IV.        Analyse

A.           Défense d’apparence de droit quant aux chefs d’accusation d’introduction par effraction relatifs aux événements qui se seraient déroulés le 1er février

[29]                          La juge du procès a conclu à la vraisemblance de la défense d’apparence de droit invoquée par les intimés et jugé que le ministère public ne l’avait pas réfutée. Elle a donc acquitté M. Simpson et Mme Farrell quant aux chefs d’introduction par effraction découlant de la première arrestation survenue le 1er février. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont estimé que rien ne justifiait d’interférer avec la conclusion de la juge du procès selon laquelle le ministère public avait échoué à réfuter la défense d’apparence de droit. La juge Thibault n’était pas de cet avis.

[30]                          Comme je vais l’expliquer, la conclusion de la juge du procès quant à la vraisemblance de la défense d’apparence de droit est viciée du fait que cette dernière s’est fondée, à tort, sur certains éléments de preuve qui, en fait, ne soutenaient pas la vraisemblance. En l’absence de ces éléments de preuve, il n’est pas certain que la juge du procès aurait conclu à l’existence d’une preuve pour étayer le moyen de défense. Il en découle que, soit dit en tout respect, je ne suis pas d’accord avec la conclusion des juges majoritaires de la Cour d’appel pour dire que l’analyse de la défense d’apparence de droit faite par la juge du procès n’était pas entachée d’une erreur susceptible de contrôle judiciaire. S’il est vrai que la juge Thibault n’a pas donné d’explications détaillées, je suis d’accord avec sa conclusion implicite selon laquelle la juge du procès a commis une erreur lorsqu’elle a analysé la question de la vraisemblance de la défense d’apparence de droit et que cette erreur a entaché ses conclusions quant à tous les chefs d’accusation.

[31]                          La défense d’apparence de droit est le plus souvent invoquée quant à l’infraction de vol décrite à l’art. 322  du Code  qui interdit de prendre un objet ou de le détourner « frauduleusement et sans apparence de droit ». Dans R. c. DeMarco (1973), 13 C.C.C. (2d) 369 (C.A. Ont.), p. 372, le juge Martin a décrit comme suit le terme « apparence de droit » qui figure dans cette disposition :

                        [traduction] Même s’il peut viser autre chose, le terme « apparence de droit », réfère habituellement à une situation où un droit de propriété ou de possession est revendiqué quant à l’objet du vol présumé. On ne peut prétendre de celui qui affirme en toute honnêteté une chose qu’il croit être une revendication légitime qu’il agit sans « apparence de droit », même si cela peut n’être fondé ni en droit ni en fait [. . .] Le terme « apparence de droit » sert aussi à désigner une croyance honnête quant à un état de fait qui, s’il avait effectivement existé, aurait en droit justifié ou excusé le geste posé [. . .] Lorsqu’il est utilisé dans ce dernier sens, le terme n’est que l’application de la doctrine de l’erreur de fait. [Références omises.]

La défense d’apparence de droit semble également s’appliquer à d’autres infractions relatives à des biens immobiliers, dont celle d’introduction par effraction : R. c. Adgey, [1975] 2 R.C.S. 426, p. 432-433; R. c. Charters, 2007 NBCA 66, 319 R.N.‑B. (2e) 179, par. 12.

[32]                          Pour qu’il puisse déclencher l’application de la défense d’apparence de droit, un accusé a le fardeau de démontrer la « vraisemblance » de ce moyen de défense invoqué — c.‑à‑d. de démontrer qu’il existe certains éléments de preuve susceptibles de soulever un doute raisonnable quant à l’apparence de droit dans l’esprit d’un juge des faits qui a reçu des directives appropriées et qui agit raisonnablement : R. c. Cinous, 2002 CSC 29, [2002] 2 R.C.S. 3, par. 49‑53 et 83. Une fois cet obstacle franchi, il revient au ministère public de réfuter le moyen de défense hors de tout doute raisonnable. Si on applique ces principes à la présente espèce, les intimés avaient donc le fardeau de présenter des éléments de preuve qui pouvaient soulever un doute raisonnable dans l’esprit de la juge des faits quant à leur prétention selon laquelle ils avaient une apparence de droit d’occuper l’espace commercial.

[33]                          Les intimés n’ont pas témoigné lors du procès. Le dossier ne contient donc aucun élément de preuve directe faisant état de leur croyance subjective. Cela étant dit, la juge du procès a mentionné deux éléments de preuve qui, à son avis, étayaient l’existence d’une apparence de droit. La reconnaissance par Jean‑Marc Arcand en contre‑interrogatoire qu’il est possible que son père, Marius, ait conclu un accord verbal avec les intimés pour qu’ils utilisent l’espace commercial et qu’il leur ait donné les clés pour y accéder constitue le premier de ces deux éléments de preuve. Le deuxième est une demande à la Cour des petites créances déposée par les intimés le 14 janvier 2011 contre Jean‑Marc et Marius Arcand dans laquelle ils ont allégué qu’ils avaient été [traduction] « incit[és] à conclure un accord commercial [. . .] sous de faux prétextes » : d.a., vol. XI, p. 21. Bien que la nature précise des allégations est difficile à cerner, certaines affirmations dans la demande sous‑entendent qu’un bail a pu être conclu avec les intimés pour l’espace commercial.

[34]                          Devant la Cour, l’amicus curiae a présenté un troisième élément de preuve tiré du témoignage du sergent Barbeau soit, plus précisément, une mention dans les notes de ce dernier quant à l’existence possible d’un bail conclu par les intimés relativement aux espaces commerciaux. La juge du procès n’a pas tenu compte de cet élément de preuve dans le contexte de son examen de la question de l’apparence de droit; il ne semble pas non plus qu’il lui a été demandé de le faire. Quoi qu’il en soit, rien ne suggère que les intimés connaissaient l’existence de ces notes en date des 1er et 18 février 2011 ou qu’ils se sont alors fondés sur elles. En outre, en tant que preuve de la véracité de leur contenu, ces notes constituaient un cas classique de ouï‑dire et elles étaient donc inadmissibles pour cette raison. Cet élément de preuve n’aide donc en rien la cause des intimés.

[35]                          Je vais maintenant me pencher sur les deux éléments de preuve sur lesquels s’est fondée la juge du procès lors de son examen de la défense d’apparence de droit.

(1)           Le témoignage de Jean‑Marc Arcand

[36]                          Durant le contre‑interrogatoire, à au moins deux occasions, la juge du procès est intervenue et a demandé à Jean‑Marc Arcand s’il était « possible » que son père ait conclu un accord verbal avec les intimés relativement à l’espace commercial. La juge du procès a en outre demandé s’il était « possible » que Marius Arcand ait donné les clés des locaux en question aux intimés durant l’été 2010. Jean‑Marc Arcand a reconnu qu’il était possible qu’un accord ait été conclu par son père et que les clés aient été remises aux intimés. Cependant, à aucun moment durant son témoignage, n’a‑t‑il admis que ces événements étaient bel et bien survenus. Il était tout simplement incapable de nier les suggestions qui lui étaient faites, puisqu’il n’était pas au courant des interactions entre son père et les intimés, M. Simpson et Mme Farrell.

[37]                          La juge du procès s’est fondée sur les réponses de Jean‑Marc Arcand pour conclure à l’existence d’une preuve d’apparence de droit. Soit dit en tout respect, ce faisant, elle a commis une erreur. Comme le ministère public l’a fait remarquer à bon droit, une affirmation faite à un témoin durant son contre‑interrogatoire ne constitue pas une preuve de celle‑ci, à moins que le témoin ne la tienne pour véridique : voir R. c. Skedden, 2013 ONCA 49, par. 12; R. c. Zebedee (2006), 81 O.R. (3d) 583 (C.A.), par. 114; R. c. M.B.M., 2002 MBCA 154, 170 Man. R. (2d) 131, par. 25‑27. Cette règle s’applique même lorsque l’affirmation a été suggérée par le juge du procès.

[38]                          L’incapacité de Jean‑Marc Arcand de nier les suggestions qui lui étaient faites ne nous éclaire en rien quant à la véracité ou non de ces suggestions. Prises isolément, ses réponses se limitent à faire savoir qu’il ne connaissait pas personnellement les interactions précises, le cas échéant, que pouvait avoir eues son père avec les intimés. La juge du procès n’était donc pas autorisée à se fonder sur ces réponses comme preuve de quelque chose de plus — par exemple, du fait que les intimés pourraient avoir conclu un accord avec Marius Arcand. Ainsi, le témoignage de son fils Jean‑Marc ne peut être utilisé pour évaluer si la défense d’apparence de droit alléguée franchit le seuil de la vraisemblance. Soit dit en tout respect, la juge du procès a commis une erreur de droit en concluant autrement.

(2)           La demande présentée à la Cour des petites créances

[39]                          Le 14 janvier 2011, les intimés ont intenté un recours devant la Cour des petites créances. Ils demandaient que Jean‑Marc et Marius Arcand soient condamnés à leur verser la somme de 7 000 $ en dommages‑intérêts (« la demande »). Dans la demande en question, les intimés ont allégué, entre autres, que les Arcand les avaient incités à conclure un accord commercial sous de faux prétextes et que Jean‑Marc [traduction] « [avait] sciemment et consciemment permis [. . .] que Marius continue à louer les espaces résidentiels et commerciaux, sachant parfaitement que ce dernier n’[était] plus en mesure de s’acquitter de telles obligations juridiques, en raison de sa santé mentale » : d.a., vol. XI, p. 17. Les intimés ont également soutenu que les Arcand avaient failli « à l’obligation qui leur incombait en application de la loi et conformément à la réglementation en matière de santé de mettre la propriété en bon état de fonctionnement » et « [d]e remplacer [. . .] les biens et produits » qui avaient été endommagés par l’eau : ibid. Ils sollicitaient un dédommagement pour les pertes « subies par le commerce » de même que pour « la détresse psychologique et le stress qu’ils ont subis » : ibid.

[40]                          Les allégations ne fournissent que peu de détails. Elles ne révèlent pas le type d’entente commerciale que les intimés soutiennent avoir conclue avec les Arcand. Elles ne précisent pas non plus la nature de quelque soi‑disant accord quant aux locaux commerciaux du rez‑de‑chaussée. Malgré cela, la juge du procès s’est fondée sur les affirmations contenues dans la demande comme preuve que les intimés croyaient sincèrement avoir le droit d’occuper l’espace commercial sur la foi d’un accord verbal conclu avec Marius Arcand.

[41]                          Les déclarations extrajudiciaires d’un accusé invoquées pour leur valeur disculpatoire sont sujettes à la règle générale d’exclusion du ouï‑dire : voir R. c. Rojas, 2008 CSC 56, [2008] 3 R.C.S. 111, par. 36-37. Typiquement, elles sont inadmissibles pour prouver la véracité de leur contenu parce qu’elles sont considérées comme intéressées et dépourvues de valeur probante : ibid. Dans la présente affaire, toutefois, c’est le ministère public, et non les intimés, qui a produit en preuve la demande aux petites créances et donc, suivant Rojas, tant le ministère public que les intimés pouvaient se fonder sur elle pour prouver la véracité de son contenu.

[42]                          En l’espèce, pour juger de l’existence du fondement probant requis pour étayer une défense d’apparence de droit, la juge du procès s’est fondée sur deux éléments de preuve. Un d’entre eux — soit que Jean‑Marc Arcand ignorait ce que son père avait pu faire — n’avait manifestement aucune valeur et n’aurait pas dû être pris en considération. Ce faisant, la juge du procès a commis une erreur de droit. On pourrait raisonnablement penser que cette erreur de la juge du procès dans son évaluation de la vraisemblance a eu une incidence significative sur l’ensemble de la question de l’apparence de droit, et donc sur les acquittements qui en ont résulté en ce qui a trait aux chefs d’accusation d’introduction par effraction relatifs aux événements qui se seraient déroulés le 1er février : R. c. Graveline, 2006 CSC 16, [2006] 1 R.C.S. 609, par. 14. Le ministère public s’est donc acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’il y a lieu de tenir un nouveau procès quant à ces chefs d’accusation. Je suis donc d’accord avec la conclusion de la juge Thibault à cet égard.

B.            L’accusation portée contre Mme Farrell pour voies de fait contre un agent de la paix qui seraient survenues le 1er février

[43]                          La juge du procès a affirmé que Mme Farrell avait agi en légitime défense lorsqu’elle a frappé le sergent Barbeau. Malheureusement, ses propos sur le sujet sont laconiques. Elle n’a fait référence à aucune des dispositions du Code criminel  relatives à la légitime défense. Elle n’a pas non plus fourni d’analyse détaillée. En dépit des lacunes de son analyse, il est évident que la conclusion de la juge du procès s’articule autour de son autre conclusion selon laquelle Mme Farrell [traduction] « a réagi pour protéger M. Simpson » qui, « selon elle, [. . .] avait été illégalement attaqué par le policier » : d.a., vol. I, p. 19. Les motifs de la Cour d’appel sont muets quant à cette conclusion. La juge Thibault a conclu, pour sa part, qu’il y aurait lieu d’ordonner la tenue d’un nouveau procès quant à tous les chefs d’accusation et je suis d’accord avec elle. Comme je l’expliquerai, l’erreur de la juge du procès quant à la question de l’apparence de droit se reporte sur l’acquittement de Mme Farrell quant à l’accusation de voies de fait sur un agent de la paix et le teinte.

[44]                          L’acquittement de Mme Farrell quant à l’accusation de voies de fait était tributaire de la conclusion selon laquelle elle croyait sincèrement que M. Simpson se faisait illégalement attaquer. Pour la juge du procès, Mme Farrell a eu le sentiment qu’il était illégal que les policiers maîtrisent M. Simpson et le mettent en état d’arrestation pour les avoir attaqués dans l’espace commercial, et c’est ce qui l’a incitée à frapper le sergent Barbeau. Une telle conclusion impliquait en outre que Mme Farrell croyait sincèrement qu’elle et M. Simpson avaient le droit d’occuper l’espace commercial et, par voie de conséquence, le droit de repousser les policiers — et que lorsque M. Simpson a attaqué le sergent Barbeau et ensuite résisté à son arrestation, qu’il était en droit d’agir ainsi. Or, comme je l’ai mentionné, il n’est pas certain que la conclusion relative à l’apparence de droit puisse s’appuyer sur la preuve dont la juge du procès a été dûment saisie[1].

[45]                          Dans le contexte de la présente affaire, il suffit de mentionner que la conclusion relative à l’apparence de droit était inextricablement liée à celle selon laquelle Mme Farrell a agi en légitime défense. Sans apparence de droit, la croyance présumée des intimés voulant qu’ils avaient le droit de repousser les policiers n’aurait eu aucun fondement. Ainsi, l’erreur de la juge du procès quant à l’apparence de droit a, à tout le moins, teinté sa conclusion selon laquelle Mme Farrell a agi en légitime défense. Puisqu’on peut raisonnablement penser que cette erreur a eu une incidence significative sur l’acquittement de cette dernière quant au chef de voies de fait, je suis d’avis d’ordonner la tenue d’un nouveau procès également quant à celui‑ci.

C.            Les accusations portées contre M. Simpson pour voies de fait et possession de drogue quant aux événements qui seraient survenus le 1er février

[46]                          La juge du procès a conclu que les droits des intimés protégés par l’art. 8 avaient été violés. Elle a exclu tous les éléments de preuve concernant ce qui s’est produit à l’intérieur de l’espace commercial, y compris le fait que M. Simpson avait attaqué le sergent Barbeau. Elle a également exclu la preuve concernant la drogue que M. Simpson avait en sa possession. Elle a donc acquitté ce dernier quant aux chefs d’agression armée et de voies de fait contre un agent de la paix ainsi que quant aux deux chefs de possession de drogue. La Cour d’appel n’a pas traité explicitement de la question de l’art. 8. Cela dit, puisque les juges majoritaires ont confirmé les acquittements quant à ces chefs d’accusation, j’en déduis qu’ils ont conclu que la juge du procès n’a pas commis d’erreur quant à sa conclusion relative à l’art. 8 ou quant à l’exclusion d’éléments de preuve qui en a découlé. Soit dit en tout respect, je ne suis pas d’accord. Je suis convaincu que l’erreur commise par la juge du procès quant à la question de l’apparence de droit a également eu une incidence sur les acquittements de M. Simpson quant aux accusations de voies de fait et de possession de drogue et nécessite, comme l’a conclu la juge Thibault, que nous ordonnions la tenue d’un nouveau procès aussi pour ces chefs d’accusation.

[47]                          L’article 8  de la Charte  ne confère une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives que dans la mesure où un individu fait la preuve d’une attente raisonnable en matière de respect de sa vie privée : Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, p. 159. C’est à celui qui invoque la violation de la Charte  qu’incombe le fardeau d’établir selon la prépondérance des probabilités l’existence de l’attente en question : R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128, par. 45. Pour déterminer si l’accusé s’est acquitté de ce fardeau, la cour doit examiner l’ensemble des circonstances, en portant une attention particulière sur l’existence d’une attente subjective en matière de respect de la vie privée et du caractère raisonnable de l’attente, sur le plan objectif : R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432, par. 19; Edwards, par. 45.

[48]                          La juge du procès n’a pas procédé à une analyse exhaustive fondée sur l’art. 8. Elle n’a pas traité, notamment, de la question de savoir si les intimés avaient une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée lorsqu’ils se trouvaient dans l’espace commercial, ce qui aurait mis en jeu la protection garantie par l’art. 8. En concluant à la violation de l’art. 8, elle semble plutôt avoir tenu pour acquis que cette protection avait été déclenchée régulièrement. Il semble que la Cour d’appel était d’accord, mais on peut tenir pour acquis que, à cet égard, la juge Thibault pourrait ne pas l’avoir été.

[49]                       Faute de ces analyses par les tribunaux d’instances inférieures, la Cour se retrouve dans la position difficile d’examiner, pour la première fois, le fondement de la conclusion de la juge du procès selon laquelle la garantie prévue à l’art. 8 s’appliquait. Bien qu’il me répugne d'avancer des hypothèses sur le raisonnement de la juge du procès, il semble que sa conclusion implicite quant à l’existence d’une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée a été influencée par l’analyse qu’elle a faite de l’apparence de droit. Comme je l’ai déjà souligné, dans le cadre de cette brève analyse, la juge du procès a affirmé que les intimés avaient à tout le moins [traduction] « une apparence de droit » ou « croyaient raisonnablement » qu’ils avaient le droit d’occuper l’espace commercial. Or, comme je l’ai expliqué, cette conclusion peut être remise en question à la lumière du fait que la juge du procès s’est fondée, à tort, sur le témoignage de Jean‑Marc Arcand. Dans la mesure où le fondement probant de la défense d’apparence de droit est remis en question, toute conclusion implicite quant à l’existence d’une attente raisonnable en matière de vie privée est également suspecte.

[50]                          Je dois en outre insister sur le fait que, même si la juge du procès avait eu un doute raisonnable quant à l’existence d’une apparence de droit, cela ne signifie pas que les intimés se seraient déchargés de leur fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils avaient une attente raisonnable sur le plan de la vie privée lorsqu’ils se trouvaient dans l’espace commercial. Cela découle du fait que le fardeau de preuve quant à la démonstration de la vraisemblance d’une apparence de droit est moins exigeant que le fardeau de persuasion qui incombe à celui qui cherche à démontrer que la protection prévue à l’art. 8 est enclenchée. En outre, une conclusion selon laquelle les intimés avaient une apparence de droit ne pourrait les aider qu’à faire la preuve qu’ils avaient une attente subjective en matière de respect de la vie privée. Or, pour que l’art. 8 s’applique, les intimés devaient franchir un pas de plus — ils devaient démontrer que cette attente était raisonnable sur le plan objectif.

[51]                          Même si un individu n’a pas à démontrer un droit de propriété ou de possession quant à un endroit pour faire la preuve d’une attente raisonnable en matière de respect de sa vie privée, la Cour a déjà affirmé que le fait pour un accusé d’être intrus dans l’endroit en cause ou d’avoir autrement un lien ténu avec lui peut, compte tenu de l’ensemble des circonstances, miner considérablement toute attente raisonnable quant au respect de sa vie privée : Edwards, par. 43; R. c. Lauda, [1998] 2 R.C.S. 683, par. 1; R. c. Belnavis, [1997] 3 R.C.S. 341, par. 20‑22.

[52]                          Pour les besoins du présent pourvoi, je n’ai pas à tirer de conclusion définitive quant à la preuve ou non d’une attente raisonnable quant au respect de la vie privée en l’espèce. Comme je l’ai mentionné, compte tenu des faits de la présente affaire, l’erreur de la juge du procès quant à la question de l’apparence de droit sème un doute relativement à l’existence d’une attente subjective de respect de la vie privée, et encore plus quant à l’existence d’une attente raisonnable. Dans la mesure où l’application de l’art. 8 n’a pas été régulièrement enclenchée, la juge du procès n’était pas autorisée à exclure quelque élément de preuve que ce soit. Ainsi, on peut raisonnablement penser que l’erreur de la juge du procès a eu une incidence significative sur la décision d’acquitter les intimés et je suis d’avis d’ordonner la tenue d’un nouveau procès quant aux accusations de voies de fait et de possession de drogue portées contre M. Simpson.

[53]                          Dans les circonstances, j’estime qu’il convient de laisser en suspens les questions de savoir, d’une part, si l’inspecteur était autorisé par les règlements municipaux à entrer sur les lieux et, d’autre part, si les policiers avaient, eux, le droit d’accompagner l’inspecteur et de fouiller et perquisitionner les lieux, pour qu’elles soient tranchées à l’issue du nouveau procès. Ces questions de droit importantes n’ont été traitées de manière exhaustive ni par la juge du procès ni par la Cour d’appel. Or, elles sont de celles qui devraient être examinées sur la base d’un dossier monté en bonne et due forme ainsi qu’au terme d’une présentation complète des arguments de droit à faire valoir et d’une analyse exhaustive des enjeux.

D.           Défense d’apparence de droit quant aux chefs d’introduction par effraction relatifs aux événements qui se seraient déroulés le 18 février

[54]                          Comme je l’ai déjà mentionné, ni la juge du procès ni la Cour d’appel n’ont fait de distinction entre la première et la seconde série d’accusations d’introduction par effraction. Cependant, comme la juge Thibault aurait ordonné la tenue d’un nouveau procès relativement à tous les chefs d’accusation, je vais traiter spécifiquement des accusations d’introduction par effraction qui seraient survenues le 18 février. Soit dit en tout respect, la juge du procès aurait dû faire des analyses séparées des événements du 1er février et de ceux du 18 du même mois. En effet, j’estime qu’il est difficile de concevoir que les intimés aient cru sincèrement qu’ils avaient le droit d’occuper l’espace commercial le 18 février. Selon la preuve non contredite, le 9 février, des avis de non‑utilisation ont été placardés sur les entrées de l’espace commercial. Ces avis indiquaient clairement que personne ne pouvait entrer sur les lieux. Or, malgré cela, les intimés se sont réinstallés au rez‑de‑chaussée de l’édifice pour y résider. Cela dit, puisque le ministère public n’a pas demandé une autre mesure de réparation, je suis d’avis de renvoyer les accusations d’introduction par effraction relatives aux événements qui se seraient déroulés le 18 février au tribunal de première instance pour qu’il en soit jugé dans le cadre d’un nouveau procès en même temps que des autres accusations.

V.           Conclusion

[55]                          Je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler les acquittements et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès quant à tous les chefs d’accusation.

                    Pourvoi accueilli.

                    Procureur de l’appelante : Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec, Montréal.

                    Andrew Simpson, pour son propre compte.

                    Kizzy-Ann Farrell, pour son propre compte.

                    Procureurs nommés par la Cour en qualité d’amicus curiae : Desrosiers, Joncas, Nouraie, Massicotte, Montréal.

                    Procureurs de l’intervenante : Dagenais Gagnier Biron, Montréal.

 



[1]   En passant, je me demande si « l’apparence de droit » pourrait, en droit, fonder la légitime défense si les policiers étaient autorisés par la loi à entrer sur les lieux et à les fouiller. Si elle devait être soulevée, il convient que cette question soit examinée dans le cadre du nouveau procès.

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