Jugements de la Cour suprême

Informations sur la décision

Contenu de la décision

  

 

COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Saskatchewan (Procureur général) c. Lemare Lake Logging Ltd., 2015 CSC 53, [2015] 3 R.C.S. 419

Date : 20151113

Dossier : 35923

 

Entre :

Procureur général de la Saskatchewan

Appelant

et

Lemare Lake Logging Ltd.

Intimée

- et -

Procureur général de l’Ontario et

procureur général de la Colombie-Britannique

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : Les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté

 

Motifs de jugement conjoints :

(par. 1 à 74)

 

Motifs dissidents :

(par. 75 à 129)

Les juges Abella et Gascon (avec l’accord des juges Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner)

 

 

La juge Côté

 

 

 


Saskatchewan (Procureur général) c. Lemare Lake Logging Ltd., 2015 CSC 53, [2015] 3 R.C.S. 419

Procureur général de la Saskatchewan                                                         Appelant

c.

Lemare Lake Logging Ltd.                                                                               Intimée

et

Procureur général de l’Ontario et

procureur général de la Colombie‑Britannique                                      Intervenants

Répertorié : Saskatchewan (Procureur général) c. Lemare Lake Logging Ltd.

2015 CSC 53

No du greffe : 35923.

2015 : 21 mai; 2015 : 13 novembre.

Présents : Les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté.

en appel de la cour d’appel de la saskatchewan

                    Droit constitutionnel — Fédéralisme coopératif — Partage des compétences — Faillite et insolvabilité — Propriété et droits civils — Séquestre — Prépondérance fédérale — Loi fédérale autorisant le tribunal à nommer, à la demande d’un créancier garanti, un séquestre capable d’agir partout au Canada — Loi provinciale imposant d’autres exigences de fond et de procédure avant qu’une action à l’égard d’une terre agricole soit intentée — Lorsque la nomination d’un séquestre national est demandée en vertu de la loi fédérale, la loi provinciale est‑elle constitutionnellement inopérante en raison de la doctrine de la prépondérance fédérale? — Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B‑3, art. 243  — The Saskatchewan Farm Security Act, S.S. 1988‑89, c. S‑17.1, art. 9 à 22.

                    Un créancier garanti a demandé au tribunal, en application du par. 243(1)  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , de nommer un séquestre à l’égard de la quasi‑totalité de l’actif de son débiteur, un « agriculteur » au sens de la Saskatchewan Farm Security Act. Le débiteur a contesté cette demande, soutenant que le créancier devait se conformer à la partie II de la Saskatchewan Farm Security Act, qui exige d’une personne, avant d’intenter une action à l’égard d’une terre agricole, qu’elle donne un avis d’intention, attende l’expiration du délai d’avis de 150 jours et participe à un processus obligatoire d’examen et de médiation. La juge en cabinet a conclu qu’il n’y avait pas de conflit entre les dispositions de la partie II de la Saskatchewan Farm Security Act et le par. 243(1)  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité . La Cour d’appel a conclu que la partie II de la Saskatchewan Farm Security Act entravait la réalisation de l’objet du par. 243(1)  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  et qu’elle était en conséquence inopérante dans le cas d’une demande de nomination d’un séquestre.

                    Arrêt (la juge Côté est dissidente) : La conclusion de la Cour d’appel, selon laquelle la partie II de la Saskatchewan Farm Security Act est constitutionnellement inopérante lorsqu’une demande de nomination d’un séquestre est présentée en application du par. 243(1)  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , est infirmée.

                    Les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon : Dans le cadre de l’analyse fondée sur la doctrine de la prépondérance, il faut déterminer si le chevauchement qui existe entre les lois fédérale et provinciale constitue un conflit suffisamment grave pour rendre inopérante la loi provinciale. Deux types de conflit sont en jeu : (1) un conflit d’application, lorsqu’il est impossible de respecter simultanément la loi fédérale et la loi provinciale; et (2) une incompatibilité d’objet, lorsque la loi provinciale entrave la réalisation de l’objet de la loi fédérale. Le volet relatif au conflit d’application de la doctrine de la prépondérance requiert l’existence d’un « conflit véritable » entre la loi fédérale et la loi provinciale. En l’espèce, il n’y a pas de conflit d’application, parce qu’il est possible pour une personne de se conformer aux deux lois. La question est donc de savoir si la loi provinciale entrave la réalisation de l’objet de la loi fédérale.

                    Compte tenu du principe directeur du fédéralisme coopératif, qui permet une certaine interaction et le chevauchement entre les lois fédérales et provinciales, la doctrine de la prépondérance doit recevoir une interprétation restrictive. Les tribunaux doivent adopter une approche restrictive et favoriser une interprétation harmonieuse des lois provinciale et fédérale. S’il est légitimement possible d’interpréter une loi fédérale de manière qu’elle n’entre pas en conflit avec une loi provinciale, il faut appliquer cette interprétation de préférence à toute autre qui entraînerait un conflit entre les deux lois. En l’absence d’une preuve claire de l’intention du législateur d’élargir l’objectif de la loi, les tribunaux doivent s’abstenir de donner à l’objet de la loi fédérale une interprétation large qui aboutira à un conflit avec la loi provinciale. Il faut une preuve claire de l’objet. Le fardeau incombant à la partie qui invoque la doctrine de la prépondérance est par conséquent élevé; la preuve qu’une loi provinciale restreint la portée d’une loi fédérale permissive ne suffit pas.

                    En l’espèce, la preuve ne démontre à l’égard de l’art. 243  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  qu’un objet simple et restreint : la création d’un régime permettant la nomination d’un séquestre national, éliminant de ce fait la nécessité de demander la nomination d’un séquestre aux tribunaux de plusieurs ressorts.

                    Le paragraphe 243(1)  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  permet au tribunal, sur demande d’un créancier garanti, de nommer un séquestre s’il est convaincu que cela est « juste ou opportun ». Suivant le par. 244(1), le créancier garanti qui se propose de mettre à exécution une garantie portant sur la totalité ou la quasi‑totalité des stocks, des comptes à recevoir ou des autres biens d’un débiteur insolvable acquis ou utilisés dans le cadre des affaires de ce dernier, doit généralement lui en donner préavis. Selon le par. 243(1.1), lorsqu’un préavis doit être donné aux termes du par. 244(1), la nomination d’un séquestre national ne peut être faite avant l’expiration d’un délai de 10 jours après l’envoi de ce préavis. Le régime relatif au séquestre national prévu au par. 243(1) n’a pas pour effet d’écarter le pouvoir du créancier garanti de faire nommer un séquestre, à titre privé ou aux termes d’une ordonnance judiciaire rendue sous le régime d’une loi provinciale ou de toute autre loi fédérale.

                    La partie II de la Saskatchewan Farm Security Act vise à protéger les agriculteurs contre la perte de leurs terres agricoles. Sous réserve de ses art. 11 à 21, l’al. 9(1)(d) de cette loi proscrit l’introduction de toute « action » relative à des terres agricoles, ce qui inclut la demande de nomination d’un séquestre prévue au par. 243(1)  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité . Toutefois, suivant l’al. 11(1)(a), lorsqu’un créancier hypothécaire présente une demande relative à une hypothèque grevant une terre agricole, le tribunal peut, par ordonnance, selon les modalités qu’il estime justes et équitables, le soustraire à l’application de l’al. 9(1)(d). Avant de présenter une demande en application de l’art. 11, le créancier hypothécaire doit respecter plusieurs conditions; il doit notamment se soumettre à une période d’attente obligatoire de 150 jours, un délai auquel il ne peut renoncer et pendant lequel il est astreint à un processus obligatoire d’examen et de médiation. À l’expiration de la période d’attente de 150 jours, le créancier hypothécaire peut solliciter une ordonnance autorisant l’introduction de l’action. Lorsqu’il instruit la demande, le tribunal doit présumer qu’il existe une possibilité raisonnable que l’agriculteur s’acquitte de ses obligations hypothécaires et qu’il déploie des efforts sincères et raisonnables pour s’acquitter de ces obligations.

                    En raison de l’application concurrente du par. 243(1)  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  et de la partie II de la Saskatchewan Farm Security Act, le créancier garanti qui souhaite exécuter sa garantie grevant une terre agricole doit attendre 150 jours plutôt que les 10 jours requis par la loi fédérale. Le créancier doit également satisfaire à diverses autres exigences de la Saskatchewan Farm Security Act, telles les présomptions légales indiquées précédemment. Or, cette interférence avec le par. 243(1) ne constitue pas en soi un conflit. Ce n’est que si cette interférence entrave la réalisation de l’objet du régime fédéral qu’il y aura conflit.

                    L’article 243 a simplement pour objet l’établissement d’un régime qui permet la nomination d’un séquestre national, ce qui élimine la nécessité de demander la nomination d’un séquestre aux tribunaux de plusieurs ressorts. Les éléments de preuve ne sont pas suffisants pour que l’on donne une portée plus large à l’objet de l’art. 243.

                    Rien dans le libellé de l’art. 243 ne laisse croire que la période d’attente de 10 jours qu’impose cet article devrait être considérée comme une période maximale plutôt que minimale. Le caractère discrétionnaire du recours prévu à l’art. 243 — comme en témoigne le fait que, aux termes de la disposition, le tribunal « peut » nommer un séquestre si cela est « juste ou opportun » — vient appuyer une interprétation plus étroite de l’objet de cette disposition. Le créancier garanti n’a pas droit à la nomination d’un séquestre. L’article 243 constitue plutôt une disposition permissive en permettant au tribunal de nommer un séquestre si cela est juste ou opportun. L’atteinte à un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi fédérale ne suffit pas en soi pour établir l’existence d’une entrave à la réalisation d’un objectif fédéral. Ni la disposition en cause, ni la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  dans son ensemble, ne permettent de conclure que l’art. 243 se veut un recours exhaustif qui exclut l’application des lois provinciales.

                    Tout doute quant à savoir si l’art. 243 était censé écarter une loi provinciale comme la Saskatchewan Farm Security Act est encore atténué par le par. 72(1)  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , lequel reconnaît explicitement que les lois provinciales continuent à s’appliquer dans un contexte de faillite et d’insolvabilité, sauf dans la mesure où elles sont incompatibles avec la Loi sur la faillite et l’insolvabilité . En outre, d’autres dispositions de cette loi viennent appuyer une interprétation plus étroite de l’objet de l’art. 243. Notamment, l’art. 47 établit un mécanisme permettant la nomination d’un séquestre intérimaire lorsqu’il est urgent de nommer un séquestre.

                    L’historique législatif de l’art. 243  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  vient par ailleurs étayer une interprétation étroite de l’objet de cette disposition, soit éviter la multiplicité des procédures et l’inefficacité qui en résulte. Les notions vagues et imprécises que sont la possibilité d’agir en temps opportun ou l’efficacité ne peuvent constituer un objectif fédéral général tel qu’il empêcherait la coexistence avec les lois provinciales.

                    Fait à noter, le législateur fédéral a reconnu que la nomination d’un séquestre au titre de l’art. 243 peut être assujettie à des délais possiblement plus longs prescrits par d’autres lois fédérales (notamment la Loi sur la médiation en matière d’endettement agricole ). Compte tenu de la présomption selon laquelle le Parlement n’édicte pas de lois connexes incompatibles, les tribunaux doivent s’abstenir de donner à une loi fédérale une interprétation qui n’est pas compatible avec des restrictions semblables imposées par une loi provinciale. Par conséquent, le législateur fédéral n’entendait pas écarter tous les délais de préavis dépassant les 10 jours prescrits par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  ni les lois visant à favoriser la médiation entre les créanciers et les agriculteurs.

                    En outre, au vu du dossier, il n’y a tout simplement aucun élément de preuve à l’appui de l’argument selon lequel le délai de 150 jours, ou les autres conditions de la Saskatchewan Farm Security Act, font échec à toute préoccupation en matière d’efficacité ou de possibilité d’agir en temps opportun. Il incombe à la partie qui invoque la doctrine de la prépondérance fédérale de démontrer non seulement qu’il s’agit en fait des objectifs de l’art. 243, mais aussi que la preuve permet de conclure que la loi provinciale entrave, d’une façon ou d’une autre, la réalisation de ces objectifs. Le dossier ne révèle rien à cet égard. Les conditions de fond et de procédure prescrites par la loi provinciale n’entravent pas la réalisation de l’objectif du législateur fédéral consistant à habiliter les tribunaux en matière de faillite à nommer un séquestre national.

                    Rien dans la preuve ne permet donc de conclure que l’art. 243 devait faire échec aux exigences de fond et de procédure énoncées dans les lois en vigueur dans la province où la demande de nomination est présentée. Les objectifs généraux des processus de faillite ou de mise sous séquestre ne peuvent servir à écarter l’objet précis de l’art. 243 et à étendre artificiellement son objet pour créer un conflit avec une loi provinciale. Interpréter plus largement l’objet de l’art. 243 en l’absence d’une preuve claire est incompatible avec l’approche restrictive qu’il convient d’adopter à l’égard de la doctrine de la prépondérance.

                    La conclusion selon laquelle la partie II de la Saskatchewan Farm Security Act est constitutionnellement inopérante lorsqu’une demande de nomination d’un séquestre est présentée en application du par. 243(1)  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  est par conséquent infirmée.

                    La juge Côté (dissidente) : Le souhait d’une interprétation harmonieuse des lois fédérale et provinciale ne saurait conduire les tribunaux à ignorer les objectifs évidents que vise la loi fédérale. Avec l’art. 243  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité  (« LFI  »), le législateur fédéral avait l’intention d’établir un processus de nomination d’un séquestre national qui permette d’agir avec célérité, qui tienne compte de l’ensemble des circonstances et qui soit susceptible de répondre aux situations urgentes. Ces objectifs fédéraux sont clairement évidents à l’art. 243  de la LFI , considéré à la lumière de la réalité et des exigences des procédures en matière d’insolvabilité, du contexte législatif de cet article et de son historique législatif. Dans la mesure où l’application de la Saskatchewan Farm Security Act (« SFSA ») compromet ces objectifs, il y a entrave à la réalisation de l’objet de la loi fédérale.

                    Compte tenu de la frénésie qui caractérise souvent le déroulement des procédures d’insolvabilité, les créanciers garantis ont fréquemment le besoin pressant d’obtenir sans délai la nomination d’un séquestre. La notion même d’urgence se dégage de la période d’avis de 10 jours prévue à l’art. 243.

                    De plus, le législateur fédéral a permis aux créanciers garantis de demander, dans certaines circonstances, la nomination d’un séquestre avant l’expiration du préavis de 10 jours. Cela témoigne de l’intention du législateur de fournir aux créanciers garantis un recours susceptible de s’adapter aux circonstances souvent dramatiques de l’insolvabilité. Le pouvoir discrétionnaire considérable conféré aux tribunaux indique que le législateur souhaitait qu’ils répondent à chaque demande au cas par cas en tenant compte de toutes les circonstances et du contexte factuel porté à leur connaissance. En outre, le régime de nomination du séquestre intérimaire prévu par la LFI  confirme l’importance cruciale que revêt la célérité pour la nomination d’un séquestre national.

                    On peut aussi constater l’existence de cet objectif fédéral de célérité en retraçant l’historique législatif du préavis prescrit par la loi. Une analyse téléologique complète doit prendre en compte les objectifs fédéraux auxquels ce régime législatif a donné effet à l’origine. Alors que l’adoption de l’art. 243  de la LFI  était motivée par la nécessité de prévoir la nomination d’un séquestre national, cette disposition est le fruit d’une évolution graduelle. Les objectifs fondamentaux qui ont animé l’évolution du droit fédéral en matière de mise sous séquestre depuis 1992 doivent être pris en compte si l’on veut dresser un portrait fidèle de l’objet fédéral visé à l’art. 243 actuel. Si notre Cour ignore ces objectifs fondamentaux dans son analyse visant à déterminer s’il y a entrave à la réalisation de l’objet fédéral, les provinces pourront modifier à leur gré le régime de mise sous séquestre.

                    Au sujet de l’argument voulant qu’il faille, dans toute analyse téléologique de l’art. 243  de la LFI , tenir compte du traitement spécial que la LFI  réserve aux agriculteurs, comme le législateur a expressément soustrait les agriculteurs aux procédures de faillite involontaire, on aurait pu s’attendre à ce qu’il adopte une disposition semblable dans le cas de la nomination d’un séquestre national en vertu de la partie XI de la LFI. Or, on ne trouve aucune disposition en ce sens à la partie XI. De plus, il existe des différences marquées entre la Loi sur la médiation en matière d’endettement agricole  (« LMEA  ») et la SFSA, tant en ce qui concerne leurs modalités d’application que les grands principes que chacune incarne. Par conséquent, l’existence de la première ne saurait être considérée comme une preuve que le législateur souhaitait que la LFI  coexiste avec la seconde. L’économie de la LMEA  va dans le sens de l’équilibre établi à l’art. 243  de la LFI ; si la loi provinciale reflétait la LMEA , la conclusion quant à l’entrave à la réalisation de l’objet de la loi fédérale aurait été différente.

                    Bien que la partie XI de la LFI permette un certain degré d’interaction et de chevauchement avec les lois provinciales, la question essentielle reste, à savoir si l’application de la partie II de la SFSA porte suffisamment atteinte aux objectifs fédéraux que vise l’art. 243  de la LFI . En l’espèce, si on le conçoit de façon plus générale, cet objet fédéral a manifestement été dessiné à grandes lignes, notamment afin d’instaurer un processus de demande de nomination d’un séquestre national qui soit rapide, qui s’adapte aux situations d’urgence et qui tienne compte de l’ensemble des circonstances. Si une province souhaite légiférer d’une façon susceptible d’avoir une incidence sur le régime fédéral de nomination de séquestre, elle doit le faire d’une manière cohérente avec l’objet fédéral en question.

                    En l’espèce, il y a eu entrave à la réalisation de l’objet fédéral en raison des obstacles importants que la province a délibérément mis en place. Le délai d’avis prévu à la SFSA est beaucoup plus long, et il est absolu. Également, la SFSA crée au niveau de la preuve une série d’obstacles incompatibles avec l’objectif du Parlement. Il est évident que la loi provinciale ne peut s’appliquer en temps réel et qu’elle est en fait conçue pour décourager la nomination en temps opportun d’un séquestre. La doctrine de la prépondérance fédérale doit donc s’appliquer.

Jurisprudence

Citée par les juges Abella et Gascon

                    Distinction d’avec l’arrêt : Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121; arrêts mentionnés : Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; Renvoi : Opposition du Québec à une résolution pour modifier la Constitution, [1982] 2 R.C.S. 793; R. c. Laba, [1994] 3 R.C.S. 965; Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, 2005 CSC 13, [2005] 1 R.C.S. 188; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3; Nation Tsilhqot’in c. Colombie‑Britannique, 2014 CSC 44, [2014] 2 R.C.S. 257; Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3; Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, [2010] 2 R.C.S. 536; Québec (Procureur général) c. Canada (Ressources humaines et Développement social), 2011 CSC 60, [2011] 3 R.C.S. 635; Marine Services International Ltd. c. Ryan (Succession), 2013 CSC 44, [2013] 3 R.C.S. 53; Banque de Montréal c. Marcotte, 2014 CSC 55, [2014] 2 R.C.S. 725; Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161; M & D Farm Ltd. c. Société du crédit agricole du Manitoba, [1999] 2 R.C.S. 961; Law Society of British Columbia c. Mangat, 2001 CSC 67, [2001] 3 R.C.S. 113; Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307; Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837; SEFPO c. Ontario (Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2; General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641; Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134; Québec (Procureur général) c. Lacombe, 2010 CSC 38, [2010] 2 R.C.S. 453; Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, [2015] 1 R.C.S. 693; 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), 2001 CSC 40, [2001] 2 R.C.S. 241; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Lafarge Canada Inc., 2007 CSC 23, [2007] 2 R.C.S. 86; Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379; Cadillac Fairview Inc., Re (1995), 30 C.B.R. (3d) 17; Edgewater Casino Inc., Re, 2009 BCCA 40, 265 B.C.A.C. 274; Transglobal Communications Group Inc., Re, 2009 ABQB 195, 4 Alta. L.R. (5th) 157; Société de crédit commercial GMAC — Canada c. T.C.T. Logistics Inc., 2006 CSC 35, [2006] 2 R.C.S. 123; Gentra Canada Investments Inc. c. Lehndorff United Properties (Canada) (1995), 169 A.R. 138.

Citée par la juge Côté (dissidente)

                    Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379; Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3; Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, [2010] 2 R.C.S. 536; Law Society of British Columbia c. Mangat, 2001 CSC 67, [2001] 3 R.C.S. 113; Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837; Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, [2015] 1 R.C.S. 693; Railside Developments Ltd., Re, 2010 NSSC 13, 62 C.B.R. (5th) 193; Société de crédit commercial GMAC — Canada c. T.C.T. Logistics Inc., 2006 CSC 35, [2006] 2 R.C.S. 123; Jacob’s Hold Inc. c. Canadian Imperial Bank of Commerce (2000), 52 O.R. (3d) 776; Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121; Marine Services International Ltd. c. Ryan (Succession), 2013 CSC 44, [2013] 3 R.C.S. 53; Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, 2005 CSC 13, [2005] 1 R.C.S. 188.

Lois et règlements cités

Loi constitutionnelle de 1867 , art. 91(21) , 92(13) .

Loi édictant la Loi sur le Programme de protection des salariés et modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et d’autres lois en conséquence, projet de loi C-55, 1re sess., 38e lég., 2005 (sanctionné le 25 novembre 2005), L.C. 2005, c. 47, art. 30 à 33, 115, 141.

Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies  et la Loi de l’impôt sur le revenu, L.C. 1997, c. 12, art. 114.

Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la Loi sur le Programme de protection des salariés et le chapitre 47 des Lois du Canada (2005), projet de loi C-12, 2e sess., 39e lég., 2007 (sanctionné le 14 décembre 2007), L.C. 2007, c. 36.

Loi modifiant la Loi sur la faillite et la Loi de l’impôt sur le revenu en conséquence, L.C. 1992, c. 27, art. 89, 92.

Loi sur la Cour suprême , L.R.C. 1985, c. S‑26, art. 40 .

Loi sur la faillite et l’insolvabilité , L.R.C. 1985, c. B‑3, art. 43  à 46 , 47 , 48 , 72(1) , partie XI, 243, 244.

Loi sur la médiation en matière d’endettement agricole , L.C. 1997, c. 21, art. 5  à 14 , 7(1) b), 12 , 13(1) , 14(2) , 16 , 20(1) , 21 .

Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies , L.R.C. 1985, c. C‑36 .

Règlement sur la médiation en matière d’endettement agricole, DORS/98‑168, art. 3.

Saskatchewan Farm Security Act, S.S. 1988‑89, c. S‑17.1, partie II, art. 3, 4, 9 à 22, 11 à 21, 12, 13(a), (b), 18(1), 19, 20.

Doctrine et autres documents cités

Ben‑Ishai, Stephanie, and Anthony Duggan, eds. Canadian Bankruptcy and Insolvency Law : Bill C‑55, Statute c.47 and Beyond, Markham (Ont.), LexisNexis, 2007.

Bennett, Frank. Bennett on Receiverships, 3rd ed., Toronto, Carswell, 2011.

Canada. Bibliothèque du Parlement. Service d’information et de recherche parlementaires. Projet de loi C‑12 : Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la Loi sur le Programme de protection des salariés et le chapitre 47 des Lois du Canada (2005), Résumé législatif LS‑584F, par Marcia Jones, Division du droit et du gouvernement, 14 décembre 2007.

Canada. Chambre des communes. Comité permanent de l’industrie, des ressources naturelles, des sciences et de la technologie. Témoignages, no 064, 1re sess., 38e lég., 17 novembre 2005, p. 7.

Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. IV, 3e sess., 34e lég., 29 octobre 1991, p. 4177‑4178 et 4180.

Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. 140, no 128, 1re sess., 38e lég., 29 septembre 2005, p. 8215.

Canada. Chambre des communes. Procès‑verbaux et témoignages du Comité permanent des Consommateurs et Sociétés et Administration gouvernementale, no 7, 3e sess., 34e lég., 4 septembre 1991, p. 12.

Canada. Comité consultatif en matière de faillite et d’insolvabilité. Propositions d’amendements à la Loi sur la faillite : Rapport du Comité consultatif en matière de faillite et d’insolvabilité, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1986.

Canada. Industrie Canada. Bureau du surintendant des faillites Canada. Projet de loi C‑12 : analyse article par article (en ligne : www.ic.gc.ca).

Canada. Industrie Canada. Bureau du surintendant des faillites Canada. Sommaire des modifications législatives : Sommaire des principales modifications législatives apportées au chapitre 47 des Lois du Canada (2005) et au chapitre 36 des Lois du Canada (2007) (en ligne : www.ic.gc.ca).

Canada. Industrie Canada. Direction de l’entreprise, de la concurrence et de l’insolvabilité. Projet de loi C‑55 : analyse article par article (en ligne : www.ic.gc.ca).

Canada. Industrie Canada. Direction générale des politiques‑cadres du marché, Secteur de la politique. Rapport sur la mise en application de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, Ottawa, Direction des politiques du droit corporatif et de l’insolvabilité, 2002.

Canada. Sénat. Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Les débiteurs et les créanciers doivent se partager le fardeau : Examen de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, Ottawa, Sénat du Canada, 2003.

Canada. Sénat. Délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, no 2, 2e sess., 39e lég., 29 novembre 2007, p. 25.

Canada. Sénat. Délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, no 19, 1re sess., 38e lég., 23 novembre 2005, p. 55.

Canada. Sénat. Journaux du Sénat, no 12, 2e sess., 37e lég., 29 octobre 2002, p. 122.

Canada. Sénat. Journaux du Sénat, no 57, 2e sess., 37e lég., 15 mai 2003, p. 841.

Farley, J. M. « A Judicial Perspective on International Cooperation in Insolvency Cases » (March 1998), 17 Am. Bankr. Inst. J. 12 (available on WL Can.).

Jones, Richard B. « The Evolution of Canadian Restructuring : Challenges for the Rule of Law », in Janis P. Sarra, ed., Annual Review of Insolvency Law 2005, Toronto, Thomson Carswell, 2006, 481.

Layh, Donald H. A Legacy of Protection : The Saskatchewan Farm Security Act : History, Commentary & Case Law, Langenburg (Sask.), Twin Valley Books, 2009.

Myers, Fred. « Justice Farley in Real Time », in Janis P. Sarra, ed., Annual Review of Insolvency Law 2006, Toronto, Thomson Carswell, 2007, 19.

Nations Unies. Commission des Nations Unies pour le droit commercial international. Guide législatif sur le droit de l’insolvabilité, New York, Nations Unies, 2005.

Sarra, Janis P., Geoffrey B. Morawetz and L. W. Houlden. The 2015 Annotated Bankruptcy and Insolvency Act, Toronto, Carswell, 2015.

Walton, Luanne A. « Paramountcy : A Distinctly Canadian Solution » (2003‑2004), 15 R.N.D.C. 335.

Wood, Roderick J. Bankruptcy and Insolvency Law, Toronto, Irwin Law, 2009.

                    POURVOI concernant une décision de la Cour d’appel de la Saskatchewan (le juge en chef Richards et les juges Ottenbreit et Whitmore), 2014 SKCA 35, 433 Sask. R. 266, 371 D.L.R. (4th) 663, 11 C.B.R. (6th) 245, [2014] 6 W.W.R. 440, 602 W.A.C. 266, [2014] S.J. No. 164 (QL), 2014 CarswellSask 179 (WL Can.), qui a confirmé une décision de la juge Rothery, 2013 SKQB 278, [2013] 12 W.W.R. 176, [2013] S.J. No. 477 (QL), 2013 CarswellSask 531 (WL Can.). La conclusion de la Cour d’appel, selon laquelle la partie II de la Saskatchewan Farm Security Act, S.S. 1988‑89, c. S‑17.1, est constitutionnellement inopérante lorsqu’une demande de nomination d’un séquestre est présentée en application du par. 243(1)  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , L.R.C. 1985, c. B‑3 , est infirmée, la juge Côté est dissidente.

                    Thomson Irvine et Katherine Roy, pour l’appelant.

                    Personne n’a comparu pour l’intimée.

                    Michael S. Dunn et Daniel Huffaker, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    Argumentation écrite seulement par R. Richard M. Butler et Jean M. Walters, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

                    Jeffrey M. Lee, c.r., et Kristen MacDonald, pour l’amicus curiae.

                    Version française du jugement des juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon rendu par

[1]                              Les juges Abella et Gascon — Avant 2005, la nécessité de nommer différents séquestres dans différents ressorts compliquait le déroulement des procédures de mise sous séquestre relatives à des biens se trouvant dans plus d’une province. En raison de l’inefficacité découlant de cette multiplicité de procédures, le gouvernement fédéral a modifié sa législation en matière de faillite afin de favoriser leur regroupement par le biais de la nomination d’un séquestre national. Ce pourvoi concerne une contestation constitutionnelle d’une loi provinciale relative aux terres agricoles au motif qu’elle entre en conflit avec ce régime de séquestre national. Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’avis qu’il n’y a pas de conflit.

Contexte

[2]                              Lemare Lake Logging Ltd., une créancière garantie, a demandé au tribunal, en application du par. 243(1)  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , L.R.C. 1985, c. B‑3  (LFI ), de nommer un séquestre à l’égard de la quasi‑totalité de l’actif (à l’exclusion du bétail) de son débiteur, 3L Cattle Company Ltd., un [traduction] « agriculteur » au sens de la Saskatchewan Farm Security Act, S.S. 1988‑89, c. S‑17.1 (SFSA). 3L Cattle a contesté cette demande, soutenant que Lemare Lake devait se conformer à la partie II de la SFSA avant de demander la nomination d’un séquestre aux termes du par. 243(1).

[3]                              Selon la partie II de la SFSA, avant d’intenter une action à l’égard d’une terre agricole, un créancier est tenu de signifier un [traduction] « avis d’intention », de participer à un processus de médiation obligatoire et de démontrer qu’il n’existe aucune possibilité raisonnable que le débiteur s’acquitte de ses obligations, ou que celui‑ci ne déploie aucun effort sincère et raisonnable pour s’acquitter de ses obligations. Ces mesures s’imposent aussi dans le cas d’une demande d’ordonnance de mise sous séquestre fondée sur le par. 243(1)  de la LFI .

[4]                              Lemare Lake a plaidé que la doctrine de la prépondérance fédérale rendait certaines dispositions de la SFSA constitutionnellement inopérantes lorsqu’une demande visant la nomination d’un séquestre est présentée en application du par. 243(1)  de la LFI .

[5]                              Lemare Lake et 3L Cattle ont été constituées en société par David Dutcyvich dans les années 1980. À la suite de différends survenus entre M. Dutcyvich et ses deux fils à partir de janvier 2010, les entreprises ont fait l’objet d’une restructuration. M. Dutcyvich a conservé un intérêt unique dans la société 3L Cattle, alors que ses deux fils ont conservé un intérêt unique dans la société Lemare Lake.

[6]                              Dans le cadre de la restructuration, 3L Cattle s’est engagée principalement à rembourser à Concentra Financial Services Association un emprunt de 10 millions de dollars. Lemare Lake demeurait toutefois éventuellement responsable de la dette. Aux termes d’une entente écrite en date du 21 décembre 2010, 3L Cattle s’est engagée à indemniser Lemare Lake pour toute responsabilité à l’égard du prêt obtenu de Concentra.

[7]                              Afin de garantir le paiement et l’exécution de ses obligations envers Lemare Lake, 3L Cattle lui a consenti, le 21 janvier 2011, une hypothèque grevant ses droits sur 120 parcelles de terrain situées en Saskatchewan, ainsi qu’une garantie à l’égard de la totalité de ses biens, autres que les stocks, et de son équipement, notamment le matériel, les accessoires fixes et les outils, au moyen d’un contrat de garantie daté du 19 janvier 2011.

[8]                              Lorsque 3L Cattle a fait défaut de rembourser le prêt consenti par Concentra à son échéance, le 29 janvier 2013, Concentra a demandé à 3L Cattle et Lemare Lake de la rembourser. Cette dernière, qui éprouvait elle‑même des difficultés financières et avait obtenu une ordonnance de protection en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies , L.R.C. 1985, c. C‑36 , a tenté de réaliser sa garantie sur les actifs de 3L Cattle. Elle a donc demandé à la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan de nommer, en application du par. 243(1)  de la LFI , un séquestre national à l’égard de la quasi‑totalité de l’actif de 3L Cattle, à l’exclusion du bétail.

[9]                              3L Cattle a plaidé que, parce qu’elle était un « agriculteur » au sens de la SFSA, Lemare Lake devait se conformer à la partie II de la SFSA avant de demander la nomination d’un séquestre national. La partie II de la SFSA prévoit notamment que, avant d’intenter une action à l’égard d’une terre agricole, le demandeur doit donner un avis d’intention, attendre l’expiration du délai d’avis de 150 jours et participer à un processus obligatoire d’examen et de médiation.

[10]                          La juge en cabinet a conclu qu’il n’y avait pas de conflit entre les dispositions de la partie II de la SFSA et le par. 243(1) de la LFI et a rejeté la demande de Lemare Lake : [2013] 12 W.W.R. 176. À son avis, il n’y avait aucun conflit d’application entre les lois fédérale et provinciale parce qu’un créancier garanti peut se conformer aux deux lois en obtenant, sous le régime de la SFSA, une ordonnance lui permettant d’introduire une action avant de demander la nomination d’un séquestre en application du par. 243(1)  de la LFI . En outre, la juge a conclu qu’il n’y avait pas non plus d’entrave à la réalisation de l’objet de la loi fédérale. Selon elle, le par. 243(1) avait pour objet de permettre la nomination d’un séquestre national, et le respect de la partie II de la SFSA n’empêchait pas la réalisation de cet objet. Cela signifie qu’un créancier garanti doit se conformer aux dispositions de la partie II de la SFSA avant de présenter une demande en application du par. 243(1)  de la LFI , ce que Lemare Lake n’avait pas fait. Subsidiairement, la juge a estimé que, même si elle avait été d’avis que la partie II de la SFSA était inopérante, elle n’aurait pas nommé un séquestre.

[11]                          La Cour d’appel a rejeté l’appel de Lemare Lake et s’est dite d’avis, comme la juge en cabinet, qu’il n’y avait pas lieu de nommer un séquestre : (2014), 433 Sask. R. 266. Néanmoins, même si ce n’était pas nécessaire compte tenu de ses conclusions sur l’opportunité de nommer un séquestre, la Cour d’appel a examiné l’argument constitutionnel, non seulement parce qu’il avait fait l’objet d’un débat exhaustif, mais aussi parce que la question pourrait être soulevée de nouveau devant les tribunaux.

[12]                          La Cour d’appel s’est dite d’accord avec la juge en cabinet pour conclure qu’il n’y avait pas de conflit d’application entre les lois fédérale et provinciale : un créancier pourrait se conformer aux deux lois en obtenant une ordonnance en vertu de la SFSA avant de demander la nomination d’un séquestre national aux termes de la LFI . La Cour d’appel a cependant dit être en désaccord avec la juge quant à savoir si la partie II de la SFSA entravait la réalisation de l’objet du par. 243(1)  de la LFI . La Cour d’appel a donc affirmé ce qui suit :

 

                         [traduction] . . . la partie II de la SFSA minerait l’objet de l’art. 243  de la LFI  ou entraverait sa réalisation, au moins à deux égards importants. Premièrement, la partie II aurait pour effet de repousser de beaucoup le délai de 10 jours prévu par la LFI  en obligeant un créancier comme Lemare Lake à attendre au moins 150 jours avant de demander une ordonnance de mise sous séquestre. . . 

                        Deuxièmement, la partie II de la SFSA aurait concrètement pour effet d’imposer de nouveaux critères pour accorder une ordonnance de mise sous séquestre aux termes de la LFI . [En italique dans l’original; par. 55‑56.]

Selon la Cour d’appel, l’art. 243  de la LFI  avait pour objet non seulement de permettre la nomination d’un séquestre national, mais aussi de veiller à ce que celui‑ci soit en mesure d’agir efficacement, compte tenu du contexte de sa nomination — l’insolvabilité —, alors que les événements évoluent rapidement et que les procédures sont assujetties à des contraintes de temps. La cour a donc conclu que « la partie II de la SFSA est inopérante dans le cas d’une demande de nomination d’un séquestre présentée en application du par. 243(1)  de la LFI  » : par. 67.

[13]                          Le procureur général de la Saskatchewan a obtenu l’autorisation de se pourvoir devant notre Cour. À la suite de la décision de la Cour d’appel, Lemare Lake et 3L Cattle ont toutefois réglé leur différend. La Cour a désigné l’ancien avocat de Lemare Lake à titre d’amicus curiae afin qu’il réponde aux observations présentées par le procureur général. L’amicus curiae ne s’est pas opposé à ce que notre Cour entende l’affaire malgré son caractère théorique. À notre avis, l’importance que cette question continue de revêtir en Saskatchewan vient appuyer notre décision de trancher le présent pourvoi : voir Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, p. 353 et 358‑363; Renvoi : Opposition du Québec à une résolution pour modifier la Constitution, [1982] 2 R.C.S. 793, p. 806. De plus, il convient de noter que l’appel est formé contre les motifs, et non contre le dispositif, de la décision de la Cour d’appel, ce que permet pleinement l’art. 40  de la Loi sur la Cour suprême , L.R.C. 1985, c. S‑26  : voir R. c. Laba, [1994] 3 R.C.S. 965. Ni le procureur général du Canada ni le surintendant des faillites ne sont intervenus.

[14]                          Devant notre Cour, les observations ont essentiellement porté sur la question de savoir si, en raison de la doctrine de la prépondérance fédérale, les art. 9 à 22 figurant dans la partie II de la SFSA sont constitutionnellement inopérants lorsque la nomination d’un séquestre national est demandée en application du par. 243(1)  de la LFI . Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’accord avec la juge en cabinet pour dire qu’il n’y a aucun conflit, et en conséquence, que les art. 9 à 22 de la SFSA ne sont pas constitutionnellement inapplicables.

Analyse

[15]                          Selon le mantra invoqué pour l’analyse fondée sur la doctrine de la prépondérance, « en cas de conflit entre une loi fédérale et une loi provinciale qui sont validement adoptées, mais qui se chevauchent, la loi provinciale devient inopérante dans la mesure de l’incompatibilité » : Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, [2005] 1 R.C.S. 188, par. 11; voir également Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3, par. 98; Luanne A. Walton, « Paramountcy : A Distinctly Canadian Solution » (2003‑2004), 15 R.N.D.C. 335, p. 335.

[16]                          La première étape de l’analyse consiste à déterminer si la loi provinciale et la loi fédérale sont validement adoptées. Il faut examiner le caractère véritable de la loi afin de déterminer si la matière visée relève de la compétence du législateur qui l’a adoptée. Si les deux lois ont été validement adoptées, il faut ensuite déterminer si le chevauchement qui existe entre elles constitue un conflit suffisamment grave pour rendre inopérante la loi provinciale. Une loi provinciale sera réputée inopérante dans la mesure du conflit ou de l’incompatibilité avec la loi fédérale : voir Nation Tsilhqot’in c. Colombie‑Britannique, [2014] 2 R.C.S. 257, par. 128‑130; Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, [2007] 2 R.C.S. 3, par. 25‑26 et 32.

[17]                          Deux types de conflit sont en jeu : (1) un conflit d’application, lorsqu’il est impossible de respecter simultanément la loi fédérale et la loi provinciale; et (2) une incompatibilité d’objet, lorsque la loi provinciale entrave la réalisation de l’objet de la loi fédérale (Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, [2010] 2 R.C.S. 536 (COPA), par. 64; Rothmans, Benson & Hedges Inc., par. 11‑12; Québec (Procureur général) c. Canada (Ressources humaines et Développement social), [2011] 3 R.C.S. 635, par. 17; Marine Services International Ltd. c. Ryan (Succession), [2013] 3 R.C.S. 53, par. 68‑69; Banque de Montréal c. Marcotte, [2014] 2 R.C.S. 725, par. 80).

[18]                          Le volet relatif au conflit d’application de la doctrine de la prépondérance requiert l’existence d’un « conflit véritable » entre la loi fédérale et la loi provinciale, c’est‑à‑dire qu’« on demande aux mêmes citoyens d’accomplir des actes incompatibles » : Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, p. 191. Autrement dit, le conflit d’application survient lorsqu’« une loi dit “oui” et l’autre dit “non”, de sorte que “l’observance de l’une entraîne l’inobservance de l’autre” » : COPA, par. 64, citant Multiple Access Ltd., p. 191; voir également Ryan (Succession), par. 68; Rothmans, Benson & Hedges Inc., par. 11. Par exemple, dans M & D Farm Ltd. c. Société du crédit agricole du Manitoba, [1999] 2 R.C.S. 961, une ordonnance accordait l’autorisation d’intenter une action en forclusion en vertu d’une loi provinciale alors qu’une suspension des recours avait été décrétée en vertu d’une loi fédérale. La Cour a conclu à l’incompatibilité opérationnelle parce que l’ordonnance rendue en vertu de la loi provinciale visait à autoriser le litige même que la suspension ordonnée conformément à la loi fédérale interdisait : par. 39‑42.

[19]                          Selon le deuxième volet de l’analyse fondée sur la doctrine de la prépondérance, la loi provinciale sera jugée inopérante lorsqu’elle entrave la réalisation de l’objet d’une loi fédérale : Banque canadienne de l’Ouest, par. 73. Dans Law Society of British Columbia c. Mangat, [2001] 3 R.C.S. 113, par exemple, notre Cour a statué qu’il existait un conflit entre une loi provinciale interdisant aux non‑avocats d’exercer le droit devant un tribunal moyennant rétribution, et la loi fédérale autorisant des non‑avocats à représenter une partie devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, et ce même contre rémunération. Tout en reconnaissant que le respect de ces deux lois n’était pas absolument impossible puisqu’une personne pouvait devenir membre du Barreau ou renoncer à une rétribution, la Cour a néanmoins conclu que la loi provinciale allait « à l’encontre de l’intention du Parlement » : par. 72.

[20]                          Fait important à signaler, après avoir exposé les deux paradigmes de la doctrine de la prépondérance, le conflit d’application et l’entrave à la réalisation de l’objet d’une loi fédérale, la Cour a précisé dans Banque canadienne de l’Ouest que « [l]e fait que le législateur fédéral ait légiféré sur une matière n’entraîne pas la présomption qu’il a voulu, par là, exclure toute possibilité d’intervention provinciale sur le sujet » : par. 74. La règle d’interprétation constitutionnelle fondamentale veut plutôt que « [c]haque fois qu’on peut légitimement interpréter une loi fédérale de manière qu’elle n’entre pas en conflit avec une loi provinciale, il faut appliquer cette interprétation de préférence à toute autre qui entraînerait un conflit » : Banque canadienne de l’Ouest, par. 75, citant Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307, p. 356; voir également Ryan (Succession), par. 69.

[21]                          Compte tenu du principe directeur du fédéralisme coopératif, la doctrine de la prépondérance doit recevoir une interprétation restrictive. Que l’analyse fondée sur la doctrine de la prépondérance porte sur le conflit d’application ou sur l’entrave à l’objet d’une loi fédérale, les tribunaux doivent adopter une « approche restrictive » et donner aux lois provinciale et fédérale une interprétation harmonieuse plutôt qu’une interprétation qui donne lieu à une incompatibilité : Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, [2011] 3 R.C.S. 837, par. 59‑60, citant SEFPO c. Ontario (Procureur général), [1987] 2 R.C.S. 2, p. 18, le juge en chef Dickson (motifs concordants); voir également Banque canadienne de l’Ouest, par. 37 et 75.

[22]                          Les doctrines constitutionnelles doivent accorder au principe du fédéralisme coopératif toute la place qui lui revient : Banque canadienne de l’Ouest, par. 24. Ce principe permet une certaine interaction, et même le chevauchement, entre les lois fédérales et provinciales : voir SEFPO, p. 18; voir également General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, p. 669; Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134, par. 18. Par conséquent, « sauf conflit réel, le fédéralisme coopératif favorise normalement l’application des normes valides édictées par les deux ordres de gouvernement plutôt que le recours à un principe d’inapplicabilité relative visant à protéger les compétences exclusives attribuées au fédéral ou aux provinces » : Québec (Procureur général) c. Lacombe, [2010] 2 R.C.S. 453, par. 118, la juge Deschamps (dissidente).

[23]                          Bien que l’on ne puisse considérer que le principe du fédéralisme coopératif impose des limites à l’exercice par ailleurs valide de la compétence législative, ce principe peut être invoqué « pour faciliter l’intégration des régimes législatifs fédéraux et provinciaux et éviter l’imposition de contraintes inutiles aux interventions législatives provinciales » : Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 693, par. 17‑19. Conformément à ce principe, en l’absence d’une preuve claire de l’intention du législateur d’élargir l’objectif de la loi, les tribunaux doivent s’abstenir de donner à l’objet de la loi fédérale une interprétation large qui aboutira à un conflit avec la loi provinciale. Ainsi que l’a affirmé la Cour dans l’arrêt Marcotte, « il faut prendre garde de ne pas conférer à cette doctrine une portée trop large dès qu’il y a entrave à l’objectif fédéral » : par. 72; voir également Banque canadienne de l’Ouest, par. 74. Ainsi, il ne faut pas étendre artificiellement la portée de l’objet de la loi fédérale au‑delà de la portée que le législateur entendait lui donner. L’élargissement indu de l’objet que vise une loi fédérale est incompatible avec le principe du fédéralisme coopératif. D’aucuns pourraient éventuellement faire valoir que les deux volets de l’analyse fondée sur la doctrine de la prépondérance ne sont plus nécessaires ou utiles au plan analytique, mais nous ne sommes pas saisis de cette question dans le cadre de ce pourvoi.

[24]                          En l’espèce, on a tenu pour acquis que l’art. 243 de la LFI et la partie II de la SFSA avaient été validement adoptés. L’article 243  de la LFI  relève du pouvoir exclusif du Parlement de légiférer en matière de banqueroute et de faillite, alors que la partie II de la SFSA relève du pouvoir de la province de la Saskatchewan de légiférer en matière de propriété et de droits civils : Loi constitutionnelle de 1867 , par. 91(21)  et 92(13) .

[25]                          Les parties ont accepté pour l’essentiel les conclusions de la juge en cabinet et de la Cour d’appel quant à l’absence de conflit d’application, parce qu’il est possible pour une personne de se conformer aux deux lois en obtenant une ordonnance en application de la SFSA avant de demander la nomination d’un séquestre en vertu de l’art. 243  de la LFI . Le créancier peut se conformer aux deux lois en observant les périodes plus longues que prescrit la loi provinciale. À cet égard, la loi fédérale est permissive alors que la loi provinciale est plus restrictive. La Cour a régulièrement considéré que cela ne constituait pas un conflit d’application : Ryan (Succession), par. 76; COPA, par. 65; Banque canadienne de l’Ouest, par. 100; Rothmans, Benson & Hedges Inc., par. 22‑24; 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), [2001] 2 R.C.S. 241, par. 35; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, p. 964. Notre Cour est donc appelée à trancher la seule question de savoir si la Cour d’appel a eu raison de conclure que la loi provinciale entrave la réalisation de l’objet de la loi fédérale.

[26]                          Afin de prouver que la loi provinciale entrave la réalisation de l’objet d’une loi fédérale, la partie qui invoque la doctrine de la prépondérance « doit d’abord établir l’objet de la loi fédérale pertinente et ensuite prouver que la loi provinciale est incompatible avec cet objet » : COPA, par. 66; Marcotte, par. 73; voir également Banque canadienne de l’Ouest, par. 75; Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Lafarge Canada Inc., [2007] 2 R.C.S. 86, par. 77. Il faut une preuve claire de l’objet : COPA, par. 68. Le fardeau incombant à la partie qui invoque la doctrine de la prépondérance est par conséquent élevé; une loi provinciale qui restreint la portée d’une loi fédérale permissive ne suffit pas en soi pour établir une entrave : COPA, par. 66; voir également Ryan (Succession), par. 69.

[27]                          En outre, comme nous l’avons vu, la doctrine de la prépondérance doit être appliquée avec retenue. En l’absence d’un texte législatif « clair à cet effet », les tribunaux ne devraient pas supposer que le Parlement entendait « occuper tout le champ » et rendre inopérante la loi provinciale en la matière : Banque canadienne de l’Ouest, par. 74, citant Rothmans, Benson & Hedges Inc., par. 21. Comme la Cour l’a expliqué en préconisant une telle retenue à l’égard de l’exclusivité des compétences dans Banque canadienne de l’Ouest, par. 37 :

                        Le fondement logique du « courant dominant » [qui permet passablement d’interaction et même de chevauchement en ce qui concerne les pouvoirs fédéraux et provinciaux] tient à la volonté que les tribunaux privilégient, dans la mesure du possible, l’application régulière des lois édictées par les deux ordres de gouvernement. En l’absence de textes législatifs conflictuels de la part de l’autre ordre de gouvernement, la Cour devrait éviter d’empêcher l’application de mesures considérées comme ayant été adoptées en vue de favoriser l’intérêt public. Le professeur Paul Weiler a écrit ce qui suit il y a plus de 30 ans :

                                    [traduction] [L]a cour devrait refuser d’essayer de protéger les possibles enclaves, encore inoccupées, du pouvoir gouvernemental contre les ingérences d’une autre assemblée législative représentative qui s’est aventurée dans le domaine. La cour devrait plutôt chercher à s’en tenir au rôle plus modeste, mais néanmoins important qui consiste à interpréter les lois édictées par les différents ressorts dans un même domaine, dans un but d’éviter les conflits, et à appliquer la doctrine de la prépondérance dans les rares cas qui restent.

                    (« The Supreme Court and the Law of Canadian Federalism » (1973), 23 U.T.L.J. 307, p. 308) [En italique dans l’original.]

[28]                          C’est au regard des principes énoncés ci‑dessus que nous examinons les dispositions de la loi fédérale et de la loi provinciale en cause.

[29]                          Le paragraphe 243(1) se trouve dans la partie XI de la LFI, qui porte sur les créanciers garantis et les séquestres. Il permet au tribunal, sur demande d’un créancier garanti, de nommer un séquestre s’il est convaincu que cela est « juste ou opportun » :

                        243. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sur demande d’un créancier garanti, le tribunal peut, s’il est convaincu que cela est juste ou opportun, nommer un séquestre qu’il habilite :

                                    a) à prendre possession de la totalité ou de la quasi‑totalité des biens — notamment des stocks et comptes à recevoir — qu’une personne insolvable ou un failli a acquis ou utilisés dans le cadre de ses affaires;

                                    b) à exercer sur ces biens ainsi que sur les affaires de la personne insolvable ou du failli le degré de prise en charge qu’il estime indiqué;

                                    c) à prendre toute autre mesure qu’il estime indiquée.

[30]                          L’article 243 accorde au tribunal le pouvoir de nommer un séquestre capable d’agir partout au Canada, ce qui élimine la nécessité de demander la nomination d’un séquestre aux tribunaux de plusieurs ressorts.

[31]                          Suivant le par. 244(1), le créancier garanti qui se propose de mettre à exécution une garantie portant sur la totalité ou la quasi‑totalité des stocks, des comptes à recevoir ou des autres biens d’un débiteur insolvable acquis ou utilisés dans le cadre des affaires de ce dernier, doit généralement lui en donner préavis. Selon le par. 243(1.1), lorsqu’un préavis doit être donné aux termes du par. 244(1), la nomination d’un séquestre national ne peut être faite avant l’expiration d’un délai de 10 jours après l’envoi de ce préavis :

                        (1.1) Dans le cas d’une personne insolvable dont les biens sont visés par le préavis qui doit être donné par le créancier garanti aux termes du paragraphe 244(1), le tribunal ne peut faire la nomination avant l’expiration d’un délai de dix jours après l’envoi de ce préavis, à moins :

                                    a) que la personne insolvable ne consente, aux termes du paragraphe 244(2), à l’exécution de la garantie à une date plus rapprochée;

                                    b) qu’il soit indiqué, selon lui, de nommer un séquestre à une date plus rapprochée.

[32]                          Le régime relatif au séquestre national n’a pas pour effet d’écarter le pouvoir du créancier garanti de faire nommer un séquestre, à titre privé ou aux termes d’une ordonnance judiciaire rendue sous le régime d’une loi provinciale ou de toute autre loi fédérale. Cependant, lorsque la personne ainsi nommée prend en sa possession ou sous sa responsabilité la totalité ou la quasi‑totalité des stocks, des comptes à recevoir ou des autres biens d’un débiteur insolvable ou failli, elle a qualité de « séquestre » pour l’application de la partie XI de la LFI et elle doit respecter les dispositions de cette partie : voir le par. 243(2).

[33]                          Le régime provincial en cause, la SFSA, a été adopté en 1988 et puise ses origines dans les lois régissant les terres agricoles de la Saskatchewan qui remontent à plusieurs décennies : voir Donald H. Layh, A Legacy of Protection : The Saskatchewan Farm Security Act : History, Commentary & Case Law (2009), p. 54‑57.

[34]                          La partie II de la SFSA est intitulée [traduction] « Protection des terres agricoles » et elle a pour objet de « protéger les agriculteurs contre la perte de leurs terres agricoles » : art. 4.

[35]                          Sous réserve des art. 11 à 21, l’al. 9(1)(d) de la SFSA proscrit l’introduction de toute [traduction] « action » relative à des terres agricoles. Le terme « action » est défini à l’art. 3 et comprend l’action en justice intentée par un créancier hypothécaire en vue de la vente ou de la prise de possession de terres agricoles sur lesquelles il détient une hypothèque : sous‑al. 3(a)(ii). Est assimilée à une action la demande de nomination d’un séquestre prévue au par. 243(1)  de la LFI . Suivant l’al. 11(1)(a), lorsqu’un créancier hypothécaire présente une demande relative à une hypothèque grevant une terre agricole, le tribunal peut, par ordonnance, selon les modalités qu’il estime justes et équitables, le soustraire à l’application de l’al. 9(1)(d). Le créancier hypothécaire peut alors intenter ou poursuivre une action relative à l’hypothèque en question : par. 11(2). Le défaut de solliciter l’ordonnance visée à l’art. 11 a pour effet de rendre nulle toute action en justice : par. 11(3).

[36]                          Toutefois, l’art. 12 énonce plusieurs conditions que le créancier hypothécaire doit respecter avant de présenter une demande en application de l’art. 11. Il doit notamment signifier un avis d’intention à la Farm Land Security Board (la « Commission ») et à l’agriculteur : par. 12(1). Avant de présenter une demande, il est ensuite soumis à une période d’attente obligatoire de 150 jours, un délai auquel le débiteur ne peut renoncer : par. 12(1). Cet avis amorce entre le créancier hypothécaire et l’agriculteur un processus obligatoire d’examen et de médiation mené avec l’aide de la Commission : par. 12(2) à (5). Avant l’expiration de la période d’attente de 150 jours, la Commission doit préparer un rapport dont il sera tenu compte dans le cadre de la demande présentée par le créancier hypothécaire en vue d’introduire l’action : par. 12(12), (13) et al. 13(b). À l’expiration de la période d’attente de 150 jours, le créancier hypothécaire peut solliciter une ordonnance autorisant l’introduction de l’action : voir le par. 12(1).

[37]                          Lorsqu’il instruit la demande, le tribunal doit présumer qu’il existe une possibilité raisonnable que l’agriculteur s’acquitte de ses obligations hypothécaires et qu’il déploie des efforts sincères et raisonnables pour s’acquitter de ces obligations : al. 13(a). De son côté, le créancier hypothécaire a le fardeau légal de démontrer qu’il n’existe aucune possibilité raisonnable que l’agriculteur s’acquitte de ses obligations ou que celui‑ci ne déploie pas des efforts sincères et raisonnables pour s’acquitter de ses obligations : par. 18(1). En fin de compte, le tribunal doit rejeter la demande s’il est convaincu qu’il n’est pas [traduction] « juste et équitable », selon l’objet et l’esprit de la SFSA, de prononcer l’ordonnance demandée : art. 19. Si la demande est rejetée, l’hypothèque sur la terre agricole concernée ne peut faire l’objet d’aucune autre demande en application de l’art. 11 ni d’aucun avis suivant l’art. 12, et ce, pendant un an : art. 20.

[38]                          En raison de l’application concurrente du par. 243(1) de la LFI et de la partie II de la SFSA, le créancier garanti qui souhaite exécuter sa garantie grevant une terre agricole doit attendre 150 jours plutôt que les 10 jours requis par la loi fédérale. Le créancier doit également satisfaire à diverses autres exigences de la SFSA, telles les présomptions légales indiquées précédemment. Or, cette interférence avec le par. 243(1) ne constitue pas en soi un conflit. Ce n’est que si cette interférence entrave la réalisation de l’objet du régime fédéral qu’il y aura conflit. Il convient donc d’examiner l’objet du par. 243(1).

[39]                          En l’espèce, les parties ne s’entendent pas sur l’objet de l’art. 243  de la LFI  ni sur la question de savoir si la SFSA en entrave la réalisation. Selon le procureur général de la Saskatchewan, le pouvoir en matière de mise sous séquestre de l’art. 243 a pour objet principal de permettre la nomination d’un séquestre national. À son avis, la partie XI de la LFI a pour objet de permettre la nomination d’un séquestre unique habilité à agir dans l’ensemble du pays, plutôt que d’obliger le créancier à demander la nomination d’un séquestre dans chaque province, et d’établir un ensemble uniforme de règles applicables à tous les séquestres d’une personne insolvable, quel que soit le fondement de la nomination.

[40]                          Par contre, l’amicus curiae fait valoir que la nomination d’un séquestre national n’est qu’un aspect de l’objectif plus général de l’art. 243. Il ajoute qu’une loi efficace en matière d’insolvabilité nécessite une certaine souplesse et doit offrir un accès rapide et en temps opportun à des mesures de redressement comme la mise sous séquestre, sans égards aux particularités d’une loi provinciale. L’article 243 visait à accorder aux créanciers garantis le droit de demander la nomination d’un séquestre dans un délai précis, et d’obtenir cette nomination conformément aux seules exigences de fond de la loi fédérale.

[41]                          L’amicus curiae n’a pas invoqué les débats parlementaires ou les rapports relatifs aux modifications apportées à l’art. 243, qui ont créé le recours en nomination d’un séquestre national en 2005. Il s’appuie plutôt sur la jurisprudence et les sources secondaires traitant de l’importance d’agir en temps opportun dans les procédures d’insolvabilité de façon plus générale, pour étayer sa prétention selon laquelle le législateur fédéral aurait voulu conférer aux créanciers garantis le droit de demander au tribunal de nommer un séquestre national, sous réserve uniquement d’une période de préavis de 10 jours, un droit que les législateurs provinciaux ne sauraient assortir de conditions ou de restrictions : p. ex., Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), [2010] 3 R.C.S. 379, par. 58; Cadillac Fairview Inc., Re (1995), 30 C.B.R. (3d) 17 (C. Ont. (Div. gén.)), par. 7; le juge J. M. Farley, « A Judicial Perspective on International Cooperation in Insolvency Cases » (mars 1998), 17 Am. Bankr. Inst. J. 12; Fred Myers, « Justice Farley in Real Time », dans Janis P. Sarra, dir., Annual Review of Insolvency Law 2006 (2007), 19; Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, Guide législatif sur le droit de l’insolvabilité (2005), p. 12‑13. Nous faisons remarquer que ces décisions et ces sources ont trait, pour la plupart, aux réorganisations menées aux termes de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies . Ce sont les procédures en réorganisation en vertu de cette loi, et non les procédures en vertu de la législation canadienne en matière de faillite et d’insolvabilité en général, qui ont été qualifiées de [traduction] « foyer du contentieux en temps réel » : voir Richard B. Jones, « The Evolution of Canadian Restructuring : Challenges for the Rule of Law », dans Janis P. Sarra, dir., Annual Review of Insolvency Law 2005 (2006), 481, p. 484. L’expression « contentieux en temps réel » consacrée par les tribunaux est employée principalement dans les affaires de réorganisation : Edgewater Casino Inc., Re (2009), 265 B.C.A.C. 274, par. 21; Transglobal Communications Group Inc., Re (2009), 4 Alta. L.R. (5th) 157 (B.R.), par. 48. Il n’est guère possible d’affirmer que cette expression, si empreinte de magnétisme soit‑elle, qui décrit les pratiques judiciaires dans le contexte des réorganisations, puisse correspondre à l’un des objectifs que visait le législateur en créant le régime de séquestre national.

[42]                          L’amicus curiae cite également un rapport établi en 1986 par le Comité consultatif en matière de faillite et d’insolvabilité qui, dans le cadre de son analyse des recommandations spécifiques découlant d’une proposition plus générale d’apporter des modifications à la loi canadienne en matière de faillite, soulignait la nécessité de faciliter l’accès aux procédures judiciaires. On voulait à l’époque réglementer la nomination et la conduite du séquestre du débiteur insolvable : Propositions d’amendements à la Loi sur la faillite : Rapport du Comité consultatif en matière de faillite et d’insolvabilité (1986), p. 43‑44 et 46‑48. Ce rapport a été publié une vingtaine d’années avant que l’art. 243 ne soit modifié en 2005 et il ne traitait pas du séquestre national.

[43]                          Enfin, l’amicus curiae affirme que la possibilité d’agir en temps opportun est essentielle pour réaliser les objectifs précis de la mise sous séquestre en général, qui consistent non seulement à permettre au créancier garanti d’exécuter sa garantie, mais aussi à remplacer une direction inefficace et à faciliter la vente de l’entreprise en exploitation : voir Roderick J. Wood, Bankruptcy and Insolvency Law (2009), p. 467‑469. Dans son ouvrage toutefois, le professeur Wood n’indique pas que la possibilité d’agir en temps opportun soit un des objets de l’art. 243, que ce soit dans l’examen qu’il fait des origines de la mise sous séquestre en général (c. 17) ou dans les observations précises relatives aux réformes législatives de 2005 et 2007 qui ont mené aux modifications apportées à l’art. 243 : p. 466‑467.

[44]                          C’est dans ce contexte qu’il convient, selon l’amicus curiae, d’interpréter l’art. 243. À son avis, ces éléments de preuve démontrent que l’art. 243 a pour objet la création, par la nomination d’un séquestre national, d’un recours efficace qui soit à la fois souple, applicable au moment opportun et uniforme dans tout le pays.

[45]                          Avec égards, nous estimons que ces éléments de preuve ne sont pas suffisants pour que l’on donne une portée aussi large à l’objet de l’art. 243. Comme l’a expliqué la Cour dans COPA, au par. 68, pour invoquer avec succès la doctrine de la prépondérance fédérale parce que la réalisation de l’objet est entravée, il faut « une preuve claire de l’objet ». L’ensemble de la preuve présentée par l’amicus curiae n’atteint pas ce seuil élevé. Si les décisions et les sources secondaires peuvent de toute évidence s’avérer utiles pour cerner l’objet d’une disposition, les sources que cite l’amicus curiae établissent simplement que la célérité et la possibilité d’agir en temps opportun constituent des considérations générales dans les processus de faillite et de mise sous séquestre. L’absence d’éléments de preuve suffisants quant à la large portée de l’objet de l’art. 243 porte un coup fatal à la thèse de l’amicus curiae. Ce qui ressort de la preuve, c’est plutôt un objet simple et restreint : la création d’un régime permettant la nomination d’un séquestre national, éliminant de ce fait la nécessité de demander la nomination d’un séquestre aux tribunaux de plusieurs ressorts.

[46]                          Selon le par. 243(1.1), dans le cas d’une personne insolvable dont les biens sont visés par le préavis que doit donner le créancier garanti aux termes du par. 244(1), le tribunal ne peut faire la nomination d’un séquestre aux termes du par. 243(1) avant l’expiration d’un délai de 10 jours après l’envoi de ce préavis, à moins que la personne insolvable ne consente à la nomination d’un séquestre à une date plus rapprochée, ou que le tribunal estime indiqué de nommer un séquestre à une date plus rapprochée. Cette disposition a pour effet de fixer une période minimale d’attente, ce qui n’exclut pas des périodes d’attentes plus longues prévues par la loi provinciale. Rien dans le libellé de cette disposition ne laisse croire que cette période d’attente devrait être considérée comme une période maximale plutôt que minimale, et aucune source n’indique qu’il s’agirait d’une période maximale.

[47]                          En fait, le caractère discrétionnaire du recours prévu à l’art. 243 — comme en témoigne le fait que, aux termes de la disposition, le tribunal « peut » nommer un séquestre si cela est « juste ou opportun » — vient appuyer une interprétation plus étroite de l’objet de cette disposition. Le créancier garanti n’a pas droit à la nomination d’un séquestre. L’article 243 constitue plutôt une disposition permissive en permettant au tribunal de nommer un séquestre si cela est juste ou opportun. L’atteinte d’une province à un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi fédérale ne suffit pas en soi pour établir l’existence d’une entrave à la réalisation d’un objectif fédéral : COPA, par. 66; voir également 114957 Canada Ltée.

[48]                          La présente affaire se distingue donc nettement de l’affaire Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121, où la Cour a statué qu’une sûreté établie en vertu d’une loi fédérale ne pouvait pas, au point de vue constitutionnel, être assujettie aux procédures d’exécution des sûretés que prescrit une loi provinciale. Contrairement au recours automatique en exécution dont il était question dans cette affaire, qui permettait à la banque de saisir les biens meubles en cas de défaut de paiement sans devoir s’adresser au tribunal, la nomination d’un séquestre aux termes de l’art. 243 n’est pas obligatoire. Qui plus est, contrairement à ce qu’on a vu dans Hall, le recours en nomination d’un séquestre prévu à l’art. 243 ne saurait créer un « code complet » : p. 155. Ni la disposition en cause, ni la LFI  dans son ensemble, ne permettent de conclure que l’art. 243 se veut un recours exhaustif qui exclut l’application des lois provinciales. La disposition elle‑même prévoit qu’un séquestre peut être nommé aux termes d’un contrat de garantie ou sous le régime de toute autre loi fédérale ou provinciale; aucun droit à la nomination d’un séquestre national n’y est créé : al. 243(2)b). Comme l’a fait observer notre Cour dans l’arrêt COPA, au par. 66, « une loi fédérale permissive, sans plus, ne permettra pas d’établir l’entrave de son objet par une loi provinciale qui restreint la portée de la permissivité de la loi fédérale ».

[49]                          Tout doute quant à savoir si l’art. 243 était censé écarter une loi provinciale comme la SFSA est encore atténué par le par. 72(1)  de la LFI , lequel prévoit ce qui suit :

                        72. (1) La présente loi n’a pas pour effet d’abroger ou de remplacer les dispositions de droit substantif d’une autre loi ou règle de droit concernant la propriété et les droits civils, non incompatibles avec la présente loi, et le syndic est autorisé à se prévaloir de tous les droits et recours prévus par cette autre loi ou règle de droit, qui sont supplémentaires et additionnels aux droits et recours prévus par la présente loi.

Cette disposition démontre elle aussi que le Parlement a explicitement reconnu que les lois provinciales continuent à s’appliquer dans un contexte de faillite et d’insolvabilité, sauf dans la mesure où elles sont incompatibles avec la LFI  : voir Société de crédit commercial GMAC — Canada c. T.C.T. Logistics Inc., [2006] 2 R.C.S. 123, par. 46‑47.

[50]                          D’autres dispositions de la LFI  viennent appuyer une interprétation plus étroite de l’objet de l’art. 243. Notamment, l’art. 47  de la LFI  habilite le tribunal à nommer un séquestre intérimaire lorsqu’un préavis de l’intention de mettre à exécution une garantie a été envoyé aux termes du par. 244(1) ou est sur le point de l’être. Lorsqu’il est urgent de nommer un séquestre, la LFI  établit donc un mécanisme permettant la nomination d’un séquestre intérimaire. Comme le fait observer F. Bennett :

                    [traduction] En pratique, le créancier garanti peut demander, aux termes du par. 47(1), qu’un séquestre intérimaire soit nommé pour une courte période, puis il peut demander, en application de l’art. 243, la mise sous séquestre de la totalité des biens du débiteur et, avant l’expiration du mandat du séquestre intérimaire, ou subsidiairement, il peut demander une prorogation du délai précisé aux termes de l’alinéa 47(1)(c).

(Frank Bennett, Bennett on Receiverships (3e éd. 2011), p. 883)

L’article 48  de la LFI  prévoit que les art. 43 à 46 ne s’appliquent pas aux particuliers dont la principale activité est l’agriculture, mais n’exempte pas les agriculteurs de l’application de l’art. 47. Cela démontre que le Parlement estime que les agriculteurs méritent en général un traitement spécial, sauf dans le cas où la nomination d’un séquestre intérimaire aux termes de l’art. 47 est considérée comme étant justifiée. La célérité et la possibilité d’agir en temps opportun sont des préoccupations auxquelles le législateur semble avoir remédié précisément au moyen du régime de mise sous séquestre intérimaire. Or, le conflit potentiel, s’il en est, entre l’art. 47 de la LFI et la partie II de la SFSA n’est pas en cause dans le présent pourvoi.

[51]                          L’historique législatif de l’art. 243  de la LFI  vient par ailleurs étayer une interprétation étroite de l’objet de cette disposition axée sur l’établissement d’un régime national de mise sous séquestre. De façon générale, le séquestre nommé par le tribunal a pour rôle [traduction] « de conserver et de protéger les biens visés jusqu’à ce que les parties règlent leurs différends » : Bennett, p. 6, citant Gentra Canada Investments Inc. c. Lehndorff United Properties (Canada) (1995), 169 A.R. 138 (C.A.). Si, dans le passé, le droit en matière de mise sous séquestre offrait principalement un recours aux créanciers garantis, la réglementation législative de la mise sous séquestre a fait en sorte que plusieurs droits importants ont également été conférés au débiteur ainsi qu’à d’autres parties intéressées : Wood, p. 459.

[52]                          La partie XI a été ajoutée à la LFI  en 1992 et a introduit dans la loi fédérale divers aspects du droit en matière de mise sous séquestre qui s’appliquaient auparavant aux débiteurs insolvables en common law ou sous le régime des lois provinciales : L.C. 1992, c. 27, art. 89. En expliquant les raisons justifiant l’adoption de la partie XI, Pierre Blais, alors ministre des Consommateurs et des Sociétés et ministre d’État (Agriculture), a indiqué que la partie XI a été adoptée afin « d’imposer aux créanciers garantis et aux séquestres l’obligation de divulgation et de diligence et d’exiger des créanciers garantis qui se proposent de mettre à exécution une garantie qu’ils en donnent préavis au débiteur » : Débats de la chambre des communes, vol. IV, 3e sess., 34e lég., 29 octobre 1991, p. 4177‑4178. Il a ajouté, au sujet de la loi dans son ensemble, qu’il avait « tenu à avoir d’étroites consultations avec [ses] homologues provinciaux pour faire en sorte que [la] formule [fédérale] concorde avec les systèmes provinciaux existants ou prévus » : p. 4180.

[53]                          Bien que la loi de 1992 n’ait pas créé un recours en nomination de séquestre national, elle a modifié la LFI  à deux égards particulièrement importants pour le présent pourvoi. Premièrement, elle a codifié à l’art. 244 l’obligation de donner un préavis de 10 jours imposée au créancier garanti qui cherche à mettre à exécution une garantie portant sur la totalité ou la quasi‑totalité des biens, des stocks et des comptes à recevoir d’une entreprise débitrice. Comme l’explique le professeur Wood, l’exigence d’une période de préavis a été initialement établie en common law comme moyen de protection contre d’éventuels abus de pouvoir des créanciers garantis : p. 474. L’instauration dans la loi, en 1992, d’une période de préavis a eu en grande partie comme effet de dissiper l’incertitude au sujet de la règle de common law : Wood, p. 476. Le préavis prévu à l’art. 244 a pour objet [traduction] « de donner à la personne insolvable la possibilité de négocier et de réorganiser ses finances » : Janis P. Sarra, Geoffrey B. Morawetz et L. W. Houlden, The 2015 Annotated Bankruptcy and Insolvency Act (2015), p. 1054; voir également Chambre des communes, Procès‑verbaux et témoignages du Comité permanent des Consommateurs et Sociétés et Administration gouvernementale, no 7, 3e sess., 34e lég., 4 septembre 1991, p. 12, Ron MacDonald (vice‑président du Comité). Deuxièmement, les modifications apportées en 1992 conféraient aux tribunaux un pouvoir élargi lors de la nomination des séquestres intérimaires en vertu de la LFI  : Wood, p. 461‑462; Bennett, p. 841‑842. Ce nouveau régime visait à [traduction] « prévenir le préjudice que l’imposition [du] nouveau délai de préavis pourrait autrement causer » : Wood, p. 461.

[54]                          La loi de 1992 prévoyait qu’un examen parlementaire de la LFI  aurait lieu trois ans après son entrée en vigueur : art. 92. En 1993, un comité consultatif a été mis sur pied pour vérifier si d’autres modifications étaient nécessaires : Stephanie Ben‑Ishai et Anthony Duggan, dir., Canadian Bankruptcy and Insolvency Law : Bill C‑55, Statute c.47 and Beyond (2007), p. 3. Bien que l’art. 243 soit demeuré inchangé lorsque le Parlement a adopté une loi modifiant la LFI  en 1997, cette dernière loi prévoyait un autre examen parlementaire dans un délai de cinq ans : L.C. 1997, c. 12, art. 114.

[55]                          En prévision de cet examen, Industrie Canada a mené des consultations auprès des intéressés, suivies d’un rapport publié en 2002 qui résume plusieurs points que les intéressés ont qualifiés de préoccupants quant à l’application et à l’administration de la LFI  : Direction générale des politiques‑cadres du marché, Secteur de la politique, Rapport sur la mise en application de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Dans son rapport, Industrie Canada a noté que la partie XI de la LFI ne s’était pas révélée efficace et que, dans plusieurs régions du pays, on ne s’en était pas prévalu de la manière prévue : p. 25.

[56]                          Pour sa part, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, chargé en fin de compte d’examiner l’administration et l’application de la LFI et de faire rapport au Parlement[1], a décelé des problèmes liés à l’application des dispositions relatives à la mise sous séquestre intérimaire : Les débiteurs et les créanciers doivent se partager le fardeau : Examen de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (2003), p. 159‑160. Le Comité a fait observer que, dans plusieurs ressorts, les tribunaux avaient élargi les pouvoirs du séquestre intérimaire à un point tel qu’ils ressemblaient fortement à ceux d’un séquestre nommé par le tribunal. Le problème tenait au fait que, même s’il exerçait des pouvoirs similaires, le séquestre intérimaire n’était pas tenu aux devoirs et responsabilités d’un séquestre nommé par le tribunal. Le Comité a donc recommandé que le rôle et les pouvoirs du séquestre intérimaire ainsi que la durée de ses fonctions soient précisés, et a proposé que le séquestre intérimaire soit le « gardien temporaire » qu’il devait être à l’origine : p. 159‑160.

[57]                          Le professeur Wood a examiné, à la p. 462, ce qui avait motivé l’adoption d’une conception large du rôle du séquestre intérimaire dans certains ressorts :

                        [traduction] L’une des raisons de conférer au séquestre intérimaire des pouvoirs aussi vastes était qu’on avait ainsi un séquestre national. Le séquestre était auparavant nommé au titre d’une loi provinciale et il fallait s’adresser aux tribunaux des autres provinces pour pouvoir y faire exécuter l’ordonnance de nomination. La possibilité de nommer un séquestre national [au moyen du régime de nomination d’un séquestre intérimaire] signifiait que l’ordonnance de nomination s’appliquait intégralement dans chaque province et territoire au Canada.

[58]                          En 2005, le législateur a réagi en adoptant le projet de loi C‑55 : L.C. 2005, c. 47. Non seulement ce projet de loi précisait‑il la portée et la nature des pouvoirs conférés au séquestre intérimaire, mais il apportait aussi des modifications à la partie XI de la LFI et introduisait un recours en nomination d’un séquestre national : art. 30 à 33 et 115.

[59]                          Industrie Canada a expliqué que les modifications apportées en 2005 étaient justifiées par le fait que, dans certains ressorts, les tribunaux avaient miné l’objectif premier du recours en nomination d’un séquestre intérimaire en accordant à celui‑ci des pouvoirs élargis pour des périodes indéfinies. Les modifications apportées à l’art. 47 visaient à limiter la durée des fonctions du séquestre intérimaire ainsi que les pouvoirs qui pouvaient lui être accordés, alors que le par. 243(1) visait à habiliter « les tribunaux à nommer un séquestre capable d’agir dans tout le Canada, ce qui élimin[e] la nécessité de demander la nomination d’un séquestre aux tribunaux de plusieurs ressorts » : Industrie Canada, Projet de loi C‑55 : analyse article par article (en ligne), art. 30 et 115 du projet de loi.

[60]                          L’adoption du projet de loi C‑55 a suscité peu de débats. Même si son propos n’est pas en soi déterminant, le député Don Boudria a fait remarquer que le recours en nomination d’un séquestre national visait à « combler le vide » causé par les modifications apportées au régime relatif au séquestre intérimaire et qu’un séquestre national « pourrait travailler dans toutes les provinces » : Débats de la Chambre des communes, vol. 140, no 128, 1re sess., 38e lég., 29 septembre 2005, p. 8215. Le professeur Wood fait écho à ce propos et explique ce qui suit :

                        [traduction] Les modifications accordent aux tribunaux siégeant en matière de faillite le pouvoir de nommer un séquestre national, plutôt que de recourir au régime de nomination d’un séquestre intérimaire pouvant agir partout au Canada. Le tribunal peut conférer au séquestre le pouvoir de prendre possession des biens du débiteur, d’exercer un certain degré de prise en charge sur les affaires du débiteur, et de prendre toute autre mesure que le tribunal estime indiquée. Le tribunal est ainsi habilité à rendre le même éventail d’ordonnances autrefois rendues à l’égard d’un séquestre intérimaire, notamment pour autoriser le séquestre à vendre les biens du débiteur hors du cours ordinaire des affaires, que ce soit par vente en tant qu’entreprise en exploitation ou par voie de liquidation des actifs. Le tribunal ne peut procéder à la nomination d’un séquestre à l’égard d’un débiteur qui a reçu un avis d’intention de mise à exécution d’une garantie avant l’expiration du délai de dix jours, à moins que le débiteur ne consente à la nomination à une date plus rapprochée ou que le tribunal estime indiqué de le faire. S’il craint que le débiteur dilapide les actifs, le créancier garanti peut demander la nomination d’un séquestre intérimaire. [Nous soulignons; notes en bas de page omises; p. 466.]

(Voir également Bennett, p. 886.)

[61]                          Andrew Kent, qui était alors un directeur de l’Institut d’insolvabilité du Canada, a expliqué aux membres du comité d’examen du projet de loi que la création d’un recours en nomination d’un séquestre national serait « plus efficace » étant donné qu’« un grand nombre de nos entreprises sont maintenant implantées à l’échelle nationale » : Comité permanent de l’industrie, des ressources naturelles, des sciences et de la technologie, Témoignages, no 064, 1re sess., 38e  lég., 17 novembre 2005, p. 7. Dans le même ordre d’idées, Jerry Pickard, qui était alors secrétaire parlementaire du ministre de l’Industrie, a souligné que la « création proposée d’un poste de séquestre national, ayant le pouvoir d’agir partout au Canada », permettrait de « beaucoup mieux organiser » le processus de faillite : Délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, no 19, 1re sess., 38e lég., 23 novembre 2005, p. 55.

[62]                          Bien qu’il ait reçu la sanction royale le 25 novembre 2005, le projet de loi C‑55 n’est pas entré en vigueur tout de suite : art. 141; voir également Marcia Jones, Résumé législatif LS‑584F, Projet de loi C‑12 : Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la Loi sur le Programme de protection des salariés et le chapitre 47 des Lois du Canada (2005) (2007), p. 2. Dans l’intervalle, le Parlement a adopté le projet de loi C‑12 qui modifiait de nouveau la LFI  : L.C. 2007, c. 36.

[63]                          Pendant les débats législatifs au sujet du projet de loi C‑12, Colin Carrie, un député qui était alors secrétaire parlementaire du ministre de l’Industrie, a expliqué que les autres modifications apportées à l’art. 243 visaient en partie à corriger les lacunes du recours en nomination d’un séquestre national, qui « avait pour objectif d’accroître l’efficacité du régime d’insolvabilité en permettant à une seule personne de traiter tous les biens du failli, où que ceux‑ci soient situés au Canada » : Délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, no 2, 2e sess., 39e lég., 29 novembre 2007, p. 25.

[64]                          Suivant le Résumé législatif du projet de loi, un séquestre nommé en vertu de l’art. 243 peut « exercer ses pouvoirs partout au Canada » et le « tribunal ne peut pas nommer un séquestre avant l’expiration d’un délai de 10 jours après l’envoi de cet avis — à moins que le débiteur consente à l’exécution de la garantie à une date plus rapprochée ou qu’il soit indiqué, selon le tribunal, de nommer un séquestre plus tôt » : p. 46. Dans son analyse des mesures législatives, Industrie Canada ajoute que le recours en nomination d’un séquestre national vise à favoriser l’efficience, alors que la période de préavis a précisément pour objet d’offrir au débiteur la possibilité de rembourser la dette :

                    L’article 243 énonce les règles relatives à la nomination d’un séquestre. Le chapitre 47 a établi le pouvoir de nommer un séquestre en vertu de la Loi. La pratique actuelle est différente en ce que les séquestres sont nommés sous le régime des lois provinciales. Le séquestre nommé en vertu de la nouvelle LFI  pourra agir dans l’ensemble du Canada, ce qui favorise l’efficience puisque l’on supprime la nécessité de nommer un séquestre dans chacun des ressorts où se trouvent les biens du débiteur. Les créanciers pourront toujours se faire représenter par un séquestre nommé sous le régime des lois provinciales.

                    . . .

                    Le paragraphe 1.1 dispose qu’un préavis de l’intention de mettre à exécution une garantie (préavis prévu à l’article 244) doit être donné avant que le tribunal puisse nommer un séquestre. Le préavis prévu à l’article 244 a pour objet d’offrir au débiteur la possibilité de rembourser la dette sous‑jacente à la garantie visée par la mise à exécution. Il n’est pas nécessaire de respecter le délai d’attente si le débiteur y consent ou si, selon le tribunal, il est indiqué de nommer un séquestre. [Nous soulignons.]

(Projet de loi C‑12 : analyse article par article (en ligne), art. 58 du projet de loi)

[65]                          Dans le sommaire des principales modifications législatives apportées par les projets de loi C‑12 et C‑55, Industrie Canada a mis en évidence l’art. 243 comme suit :

                    Dans l’exercice des pouvoirs que leur confère la LFI , les juges peuvent, à la demande d’un créancier garanti, nommer un séquestre « national » en vertu de l’article 243  de la LFI  si « le tribunal est convaincu que cela est juste ou opportun ». Un séquestre nommé sous le régime de cet article sera autorisé à exercer ses activités partout au Canada. Cette nomination élimine ainsi la nécessité d’obtenir des nominations distinctes dans chaque province ou territoire où le débiteur a des actifs.

                    . . .

                    Dans les cas où un préavis pour mettre à exécution une garantie est requis en vertu du paragraphe 244(1)  de la LFI , le tribunal ne peut nommer un séquestre avant l’expiration d’un délai de 10 jours, à moins que le débiteur ne consente à une exécution à une date plus rapprochée ou que le tribunal n’estime qu’il est préférable d’en nommer un avant l’expiration dudit délai. [Nous soulignons.]

(Sommaire des modifications législatives : Sommaire des principales modifications législatives apportées au chapitre 47 des Lois du Canada (2005) et au chapitre 36 des Lois du Canada (2007) (en ligne), partie B)

[66]                          Le projet de loi C‑12 a reçu la sanction royale le 14 décembre 2007. Les modifications à l’art. 243 proposées dans les projets de loi C‑12 et C‑55 sont entrées en vigueur le 18 septembre 2009 : TR/2009‑68. L’article 243 n’a pas été modifié depuis lors.

[67]                          L’examen qui précède confirme que l’art. 243 a simplement pour objet l’établissement d’un régime qui permet la nomination d’un séquestre national, ce qui élimine la nécessité de demander la nomination d’un séquestre aux tribunaux de plusieurs ressorts : voir Wood, p. 466‑467. Les modifications apportées à la LFI  en 2005 et en 2007 ont établi clairement que le séquestre intérimaire est nommé à titre temporaire et jouit de pouvoirs plus restreints, comme il était prévu à l’origine, mais elles ont conféré au tribunal le pouvoir de nommer un séquestre habilité à agir à l’échelle nationale, ce qui favorise l’efficience et supprime la nécessité de nommer un séquestre dans chacun des ressorts où se trouvent les biens du débiteur. Sarra, Morawetz et Houlden expliquent ce qui suit :

                    [traduction] L’article 243 habilite le tribunal, auquel est assimilé, selon l’art. 2, tout juge qui exerce les pouvoirs conférés au titre de la LFI , à nommer un séquestre pouvant agir à l’échelle nationale, ce qui élimine la nécessité de demander la nomination d’un séquestre aux tribunaux de plusieurs ressorts. Le séquestre national nommé sous le régime de la LFI  est habilité à agir dans l’ensemble du Canada, ce qui favorise l’efficience puisque l’on supprime la nécessité de nommer un séquestre dans chacun des ressorts où se trouvent les biens du débiteur. [Nous soulignons; p. 1037.]

[68]                          L’article 243 visait ainsi l’établissement d’un régime national de mise sous séquestre. L’objectif consistait à éviter la multiplicité des procédures et l’inefficacité qui en résultait. Rien dans la preuve ne permet de conclure que cette disposition devait faire échec aux exigences de fond et de procédure énoncées dans les lois en vigueur dans la province où la demande de nomination est présentée. Des considérations générales de célérité et de possibilité d’agir en temps opportun, qui constituent certes une préoccupation valide dans tout processus de faillite ou de mise sous séquestre, ne peuvent servir à écarter l’objet précis de l’art. 243 et à étendre artificiellement son objet pour créer un conflit avec une loi provinciale. Interpréter plus largement l’objet de l’art. 243, en l’absence d’une preuve claire de l’intention du législateur d’élargir l’objectif de la loi, est incompatible avec l’approche restrictive qu’il convient d’adopter à l’égard de la doctrine de la prépondérance ainsi qu’avec la règle d’interprétation constitutionnelle fondamentale dont nous avons déjà fait état : par. 20‑21. Les notions vagues et imprécises que sont la possibilité d’agir en temps opportun ou l’efficacité ne peuvent constituer un objectif fédéral général tel qu’il empêcherait la coexistence d’une loi fédérale avec les lois provinciales telle la SFSA.

[69]                          Notre conclusion est en outre renforcée par l’application de la Loi sur la médiation en matière d’endettement agricole , L.C. 1997, c. 21  (LMEA ), une loi fédérale qui permet à l’agriculteur insolvable de présenter une demande de suspension des recours de ses créanciers contre lui en vue de la médiation et de l’examen de sa situation financière : art. 5 à 14. Aux termes de la LMEA , le créancier garanti doit donner à l’agriculteur un préavis d’au moins 15 jours ouvrables avant de se prévaloir d’un recours contre les biens de celui‑ci ou d’intenter toute action ou procédure, pour le recouvrement d’une dette, la réalisation d’une sûreté ou la prise de possession d’un bien de l’agriculteur : art. 21. Avant ou après avoir reçu le préavis en question, l’agriculteur peut présenter une demande visant la suspension des recours de ses créanciers contre lui pour une période de 30 jours, l’examen de sa situation financière et la médiation entre lui et tous ses créanciers en vue de la conclusion d’un arrangement acceptable pour les parties : al. 5(1)a) et 7(1)b); voir également Bennett, p. 135. Si une prorogation de la période de 30 jours est nécessaire pour que l’agriculteur et ses créanciers concluent un arrangement, la période de suspension peut être prolongée d’une période pouvant aller jusqu’à 90 jours : par. 13(1). Par dérogation à toute autre règle de droit, les créanciers ne peuvent, pendant la période de suspension des procédures, se prévaloir d’un recours contre les biens de l’agriculteur, ni intenter ni continuer une action ou autre procédure pour le recouvrement d’une dette, la réalisation d’une sûreté ou la prise de possession d’un bien de l’agriculteur : art. 12.

[70]                          En décrivant, dans l’arrêt M & D Farm, la loi ayant précédé la LMEA , notre Cour a expliqué que cette loi avait « pour but d’instaurer un temps d’arrêt ou moratoire de courte durée » pour que l’agriculteur dispose d’« une marge de manœuvre pour tenter de réorganiser sa situation financière » avec « l’aide d’un comité neutre qui agit comme médiateur entre lui et ses créanciers » : par. 18.

[71]                          Bien que les exigences de fond et de procédure de la LMEA  fédérale et de la SFSA provinciale soient différentes, ces deux lois poursuivent des objectifs semblables et visent à protéger les agriculteurs débiteurs. Il convient de souligner que le législateur fédéral a reconnu que la nomination d’un séquestre au titre de l’art. 243 peut être assujettie à des délais similaires prescrits par d’autres lois (dont une suspension de 120 jours aux termes de la LMEA , par rapport aux 150 jours prévus par la SFSA), afin de permettre la médiation et l’examen de la situation financière de l’agriculteur. Compte tenu de la présomption selon laquelle le Parlement n’édicte pas de lois connexes incompatibles, les tribunaux doivent s’abstenir de donner à une loi fédérale une interprétation qui n’est pas compatible avec des restrictions semblables imposées par une loi provinciale : Ryan (Succession), par. 80‑81. Par conséquent, eu égard à la LMEA , le législateur fédéral n’entendait pas écarter tous les délais de préavis dépassant les 10 jours prescrits par la LFI  ni les lois visant à favoriser la médiation entre les créanciers et les agriculteurs quant à la mise à exécution d’une garantie.

[72]                          Compte tenu de ces considérations et de cette analyse, nous ne partageons pas la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle l’art. 243 a pour objet d’offrir un recours en temps opportun aux créanciers garantis. Ce qui semblait [traduction] « aller de soi » pour la Cour d’appel (par. 51‑52), et qui l’a menée à conclure que le délai d’attente de 10 jours prévu au par. 243(1.1) était un délai maximal, n’était, en toute déférence, ni étayé par la preuve ni compatible avec une façon restrictive d’envisager la doctrine de la prépondérance. En outre, au vu du dossier, il n’y a tout simplement aucun élément de preuve à l’appui de l’argument de l’amicus curiae selon lequel le délai de 150 jours, ou les autres conditions de la SFSA, font échec à toute préoccupation en matière d’efficacité ou de possibilité d’agir en temps opportun. Il incombe à l’amicus curiae de démontrer non seulement qu’il s’agit en fait des objectifs de l’art. 243, mais aussi que la preuve permet de conclure que la loi provinciale entrave, d’une façon ou d’une autre, la réalisation de ces objectifs. Le dossier ne révèle rien à cet égard. Un délai plus long et des exigences supplémentaires n’ont pas pour effet de rendre d’emblée un recours inefficace ou inopportun, particulièrement lorsque les biens en jeu sont des terres agricoles.

Conclusion

[73]                          Avec égards, l’amicus curiae n’a pas été en mesure de s’acquitter du fardeau qui lui incombait de prouver que les art. 9 à 22 de la SFSA entrent en conflit avec l’objet de l’art. 243  de la LFI . Les conditions de fond et de procédure prescrites par la loi provinciale n’entravent pas la réalisation de l’objectif du législateur fédéral consistant à habiliter les tribunaux en matière de faillite à nommer un séquestre national. Bien que ces conditions obligent le créancier garanti à demander une autorisation avant de présenter une demande de nomination d’un séquestre en application de l’art. 243 — processus qui prend au moins 150 jours et qui comporte d’autres exigences de fond et de procédure —, elles n’entravent pas l’objectif consistant à permettre la nomination d’un séquestre national. L’objet d’une loi fédérale permissive n’est pas contrecarré du simple fait qu’une loi provinciale restreint la portée de cette permissivité : COPA, par. 66; Ryan (Succession), par. 69; voir également Rothmans, Benson & Hedges Inc. Par conséquent, il n’a pas été satisfait à la « norme élevée » requise pour que s’applique la doctrine de la prépondérance en raison d’une entrave à la réalisation d’un objectif fédéral : Ryan (Succession), par. 84.

[74]                          La conclusion de la Cour d’appel, selon laquelle la partie II de la SFSA est constitutionnellement inopérante lorsqu’une demande de nomination d’un séquestre est présentée en application du par. 243(1)  de la LFI , est par conséquent infirmée. Compte tenu de l’entente entre les parties, la Cour ne rendra aucune ordonnance relative aux dépens.

                    Version française des motifs rendus par

[75]                         La juge Côté (dissidente) — Peut‑être est‑ce un vieux cliché, mais en droit canadien de la faillite et de l’insolvabilité, sa sagesse est inévitable : le facteur temps est essentiel. Dans le passé, notre Cour a reconnu que les procédures en matière de restructuration constituent un « foyer du contentieux en temps réel » : Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379, par. 58, citant R. B. Jones, « The Evolution of Canadian Restructuring : Challenges for the Rule of Law », dans J. P. Sarra, dir., Annual Review of Insolvency Law 2005 (2006), 481, p. 484. Pour la nomination d’un séquestre — intérimaire ou non —, la célérité est tout aussi importante puisque le séquestre protège et gère les biens tout en permettant au créancier garanti d’exercer ses droits.

[76]                         Ayant cela à l’esprit, j’estime que le législateur a permis, avec l’art. 243  de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , L.R.C. 1985, c. B‑3  (« LFI  »), la mise en place d’un équilibre entre les intérêts divergents des créanciers garantis et ceux des débiteurs insolvables, dans la situation souvent dramatique que présente l’insolvabilité d’un débiteur. Je souscris à la conclusion de la majorité suivant laquelle le législateur fédéral entendait, à l’art. 243  de la LFI , permettre aux créanciers garantis de demander la nomination d’un séquestre national efficace, mais je dois me dissocier de mes collègues puisque je ne crois pas qu’une analyse téléologique complète de l’art. 243 puisse s’arrêter là. J’estime que le législateur fédéral avait également l’intention d’établir un processus de nomination d’un séquestre national qui permette d’agir avec célérité, qui tienne compte de l’ensemble des circonstances et qui soit susceptible de répondre aux situations urgentes qui se présentent en pratique. À mon avis, ces objectifs sont clairement en jeu à l’art. 243  de la LFI . Dans la mesure où l’application de la partie II de la Saskatchewan Farm Security Act, S.S. 1988‑89, c. S‑17.1 (« SFSA »), compromet ces objectifs et perturbe l’équilibre établi par le législateur fédéral à l’art. 243, j’estime qu’il y a entrave à la réalisation de l’objet de la loi fédérale.

I.               La doctrine de la prépondérance fédérale

[77]                         Il est maintenant bien établi que la doctrine de la prépondérance fédérale entre en jeu notamment lorsque l’application d’une loi provinciale validement adoptée entrave la réalisation de l’objet d’une loi fédérale : Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3, par. 73. Celui qui invoque cette doctrine doit établir clairement l’objet de la loi fédérale et doit alors démontrer que « la loi provinciale est incompatible avec cet objet » : Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association, 2010 CSC 39, [2010] 2 R.C.S. 536 (« COPA »), par. 66; voir aussi par. 68. Le fardeau de prouver qu’il y a eu entrave est un lourd fardeau.

[78]                         Après avoir rappelé l’importance du fédéralisme coopératif, mes collègues soulignent la nécessité d’adopter une « approche restrictive » dans le cadre de l’analyse de l’entrave à la réalisation de l’objet d’une loi fédérale. Je suis d’avis, malgré l’importance indiscutable du principe du fédéralisme coopératif, que le souhait d’une interprétation harmonieuse des lois fédérale et provinciale ne saurait conduire la Cour à ignorer les objectifs évidents que la loi fédérale vise et qui sont, suivant la jurisprudence de notre Cour, prépondérants. Dans l’arrêt Law Society of British Columbia c. Mangat, 2001 CSC 67, [2001] 3 R.C.S. 113, le juge Gonthier, s’exprimant au nom de la Cour, a souligné ce qui suit au par. 66 :

                         . . . j’estime qu’il n’y a pas lieu d’appliquer le principe d’interprétation selon lequel il convient d’interpréter la loi de façon à confirmer la constitutionnalité des dispositions législatives pertinentes. Ce principe s’applique uniquement lorsque la cour peut raisonnablement adopter les deux interprétations opposées : R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731, p. 771. En l’espèce, une interprétation conforme aux normes constitutionnelles applicables serait incompatible avec le texte et le contexte de la loi fédérale.

[79]                         Il convient également de rappeler la mise en garde formulée par notre Cour dans le Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837, par. 61‑62 :

                        Bien que les principes de flexibilité et de coopération soient importants pour le bon fonctionnement d’un État fédéral, ils ne peuvent l’emporter sur le partage des compétences ou le modifier. . . 

                        . . . Le « courant dominant » du fédéralisme souple, aussi fort soit‑il, ne peut autoriser à jeter des pouvoirs spécifiques par‑dessus bord, ni à éroder l’équilibre constitutionnel inhérent à l’État fédéral canadien.

Voir également Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, [2015] 1 R.C.S. 693, par. 19.

[80]                         Cela étant dit, je vais maintenant exposer ce que j’estime être l’objet de l’art. 243  de la LFI .

II.            L’objet fédéral de l’art. 243  de la LFI 

A.           L’équilibre voulu et atteint par le législateur : création d’un recours souple en faveur des créanciers garantis leur permettant d’agir en temps opportun

[81]                          D’entrée de jeu, il convient de reproduire les dispositions pertinentes de l’art. 243 :

(1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sur demande d’un créancier garanti, le tribunal peut, s’il est convaincu que cela est juste ou opportun, nommer un séquestre qu’il habilite :

                        a) à prendre possession de la totalité ou de la quasi‑totalité des biens — notamment des stocks et comptes à recevoir — qu’une personne insolvable ou un failli a acquis ou utilisés dans le cadre de ses affaires;

                        b) à exercer sur ces biens ainsi que sur les affaires de la personne insolvable ou du failli le degré de prise en charge qu’il estime indiqué;

                        c) à prendre toute autre mesure qu’il estime indiquée.

                        (1.1) Dans le cas d’une personne insolvable dont les biens sont visés par le préavis qui doit être donné par le créancier garanti aux termes du paragraphe 244(1), le tribunal ne peut faire la nomination avant l’expiration d’un délai de dix jours après l’envoi de ce préavis, à moins :

                        a) que la personne insolvable ne consente, aux termes du paragraphe 244(2), à l’exécution de la garantie à une date plus rapprochée;

                        b) qu’il soit indiqué, selon lui, de nommer un séquestre à une date plus rapprochée.

                        (2) Dans la présente partie, mais sous réserve des paragraphes (3) et (4), « séquestre » s’entend de toute personne qui :

a) soit est nommée en vertu du paragraphe (1);

b) soit est nommément habilitée à prendre — ou a pris — en sa possession ou sous sa responsabilité, aux termes d’un contrat créant une garantie sur des biens, appelé « contrat de garantie » dans la présente partie, ou aux termes d’une ordonnance rendue sous le régime de toute autre loi fédérale ou provinciale prévoyant ou autorisant la nomination d’un séquestre ou d’un séquestre‑gérant, la totalité ou la quasi‑totalité des biens — notamment des stocks et comptes à recevoir — qu’une personne insolvable ou un failli a acquis ou utilisés dans le cadre de ses affaires.

[82]                         Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’estime qu’en adoptant l’art. 243, le législateur fédéral avait l’intention d’établir pour la nomination de séquestres nationaux un processus efficace, rapide, qui permette de répondre aux situations urgentes (ou, en un mot, un processus souple) et de tenir compte de l’ensemble des circonstances. Cela représente l’équilibre qu’a établi le législateur entre l’intérêt qu’ont les créanciers garantis à exercer un recours en temps opportun et celui des débiteurs insolvables à se voir accorder suffisamment de temps, soit pour entamer des démarches de restructuration, soit pour mettre de l’ordre dans leurs affaires financières et payer leurs créanciers. J’estime que ces objectifs fédéraux sont clairement évidents à l’art. 243, considéré à la lumière de la réalité et des exigences des procédures en matière d’insolvabilité, de son contexte législatif et de son historique législatif.

[83]                         D’abord, la LFI  prescrit un délai de préavis de 10 jours entre le moment où le créancier garanti transmet un avis de son intention d’exécuter sa garantie et celui où le tribunal peut procéder à la nomination d’un séquestre national : par. 243(1.1). Ce délai coïncide avec la période de 10 jours qui suit l’envoi du préavis, durant laquelle le par. 244(2) empêche le créancier d’exécuter sa garantie.

[84]                         Les juges majoritaires estiment que le préavis de 10 jours prévu à l’art. 243 constitue simplement une période minimale, censée s’appliquer concurremment avec les périodes d’attente plus longues prévues par certaines lois provinciales. Avec égards, je ne crois pas que le contexte de la pratique en matière d’insolvabilité, contexte dans lequel le préavis de 10 jours a été instauré, appuie cette interprétation. Une telle interprétation compromettrait l’équilibre que le législateur a voulu instaurer en adoptant l’art. 243  de la LFI .

[85]                         À mon avis, c’est la notion même d’urgence qui, reliée à la nécessité d’une application efficace en temps réel du droit en matière de nomination de séquestre, se dégage de cette courte période d’avis de 10 jours. Les créanciers garantis ont souvent le besoin pressant d’obtenir sans délai la nomination d’un séquestre. Dans la frénésie qui caractérise souvent le déroulement des procédures d’insolvabilité, les séquestres nommés par le tribunal accomplissent d’importantes fonctions en prenant le contrôle des actifs du débiteur insolvable, en assumant la gestion des affaires du débiteur et en recouvrant des sommes d’argent par la vente de biens du débiteur : F. Bennett, Bennett on Receiverships (3e éd. 2011), p. 1 et 6. Il est important que le tout se fasse rapidement. Les créanciers garantis craignent souvent à juste titre que le débiteur insolvable ne dilapide ses biens : R. J. Wood, Bankruptcy and Insolvency Law (2009), p. 461. Le besoin d’agir rapidement revêt également une grande importance si les gestionnaires actuels du débiteur insolvable sont incompétents, s’ils agissent frauduleusement ou ont tendance à prendre des risques insensés, ou s’il est nécessaire de vendre l’entreprise en partie ou en totalité en tant qu’entreprise en exploitation : Wood, p. 467‑469. Comme le dit le juge en chef Richards dans le jugement dont appel, dans le contexte de l’insolvabilité, [traduction] « il est évident que les événements se déroulent rapidement, et les procédures, de par leur nature, commandent la rapidité » : 2014 SKCA 35, 433 Sask. R. 266, par. 51.

[86]                         Le facteur temps est d’une telle importance pour les créanciers qu’avant que le législateur n’introduise à l’art. 244 de la LFI un délai de 10 jours pendant lequel ils ne pouvaient commencer à exécuter leur garantie sur la totalité ou la quasi‑totalité des biens du débiteur, il arrivait fréquemment que les créanciers garantis déposent une demande de nomination d’un séquestre quelques heures à peine après avoir mis leur débiteur en demeure de les rembourser : Wood, p. 474. Pour empêcher les créanciers garantis de bafouer ainsi les intérêts des débiteurs insolvables, les tribunaux canadiens ont élaboré la doctrine du préavis raisonnable, laquelle a plus tard été remplacée par l’obligation, prévue par la LFI , de donner un préavis de 10 jours.

[87]                         Le facteur temps est à ce point critique que l’art. 47  de la LFI  permet aux créanciers garantis de demander la nomination sans délai d’un séquestre intérimaire afin de préserver les biens du débiteur. Et loin d’exprimer une intention de permettre que cette période d’attente soit prolongée en application d’une loi provinciale, le législateur fédéral a plutôt permis aux créanciers garantis de demander, dans certaines circonstances, la nomination d’un séquestre avant l’expiration du préavis de 10 jours. Aux termes de l’al. 243(1.1) b) de la LFI , il est loisible au tribunal de nommer un séquestre avant l’expiration du préavis, s’il est approprié de le faire. De plus, le débiteur insolvable peut, selon l’al. 243(1.1)a), consentir à la nomination d’un séquestre à une date plus rapprochée. Ces dispositions témoignent de l’intention du législateur de fournir aux créanciers garantis un recours susceptible de s’adapter aux circonstances souvent dramatiques de l’insolvabilité.

[88]                         On peut aussi constater l’existence de cet objectif fédéral de célérité en retraçant l’historique législatif du préavis prescrit par la loi. Comme l’expliquent mes collègues, ce préavis statutaire prévu à l’art. 244 de la LFI a été introduit en 1992 et visait les créanciers garantis qui cherchaient à réaliser leurs sûretés détenues en vertu d’une loi provinciale sur la totalité ou la quasi‑totalité des biens du débiteur insolvable. Puisque l’obligation de donner un préavis de 10 jours a depuis été intégrée au régime national de mise sous séquestre et qu’elle vise un objectif semblable, je suis d’avis qu’une analyse téléologique complète de ce régime doit prendre en compte les objectifs fédéraux initialement visés à l’art. 244.

[89]                         Il semble enfin que le législateur ait souhaité que, lorsqu’ils sont saisis d’une demande, les tribunaux prennent en considération l’ensemble des circonstances et qu’ils rendent une décision équitable en tenant compte de l’ensemble du contexte factuel. C’est ce qui ressort à l’évidence du par. 243(1)  de la LFI , qui prévoit que le tribunal peut nommer un séquestre « s’il est convaincu que cela est juste ou opportun ». Le créancier garanti n’est pas tenu de surmonter des obstacles majeurs en matière de preuve. La loi ne limite d’aucune façon le pouvoir discrétionnaire du tribunal. Il faut se rappeler que, historiquement, la nomination d’un séquestre était un remède d’equity qui visait à protéger les droits des parties et à préserver les biens, et que l’on appliquait cette mesure généreusement chaque fois qu’on le jugeait nécessaire : Bennett, p. 2. Le processus prévu au par. 243(1)  de la LFI  découle de cette origine et vise cet objectif; il correspond aux exigences et aux réalités concrètes du contentieux en temps réel.

[90]                         En somme, l’art. 243  de la LFI  est une disposition typique en matière d’insolvabilité et de faillite, et il est conçu pour s’appliquer en temps réel. Il vise à établir un équilibre entre les intérêts des créanciers garantis et ceux des débiteurs en prévoyant un processus de demande de nomination d’un séquestre national qui est souple, qui tient compte des circonstances et qui peut être enclenché rapidement au besoin.

B.            L’interprétation étroite de l’objet fédéral retenue par la majorité

[91]                         Selon les juges majoritaires, l’art. 243 ne vise qu’un seul objectif : permettre aux créanciers garantis de demander la nomination d’un séquestre national, les dispensant ainsi de la nécessité d’entreprendre le long et fastidieux processus les obligeant à demander la nomination d’un séquestre dans plusieurs provinces. Avec égards, je ne puis souscrire à une interprétation aussi étroite.

[92]                         Je suis d’accord avec mes collègues quant à l’analyse qu’ils font du problème qui a incité le législateur à instaurer, à ce qui est maintenant l’art. 243  de la LFI , le régime national de mise sous séquestre. Avant l’adoption de cet article, de nombreuses voix s’étaient élevées pour déplorer le fait que l’absence de régime de nomination d’un séquestre national obligeait les créanciers garantis à se plier au processus fastidieux qui les obligeait à demander la nomination d’un séquestre dans chaque province où le débiteur avait des actifs. De plus, on avait constaté, dans certaines provinces, l’apparition d’une pratique consistant à nommer un séquestre intérimaire en vertu de l’art. 47 de la LFI et à lui conférer des pouvoirs étendus à l’échelle nationale pour une période indéfinie. Cette période se prolongeait souvent jusqu’à la liquidation définitive des actifs du débiteur, faisant ainsi échec au rôle que l’on entendait faire jouer au séquestre nommé en vertu de la législation provinciale : J. P. Sarra, G. B. Morawetz et L. W. Houlden, The 2015 Annotated Bankruptcy and Insolvency Act (2015), p. 174; Railside Developments Ltd., Re, 2010 NSSC 13, 62 C.B.R. (5th) 193, par. 50‑51. D’ailleurs, en 2006, notre Cour s’est engagée dans cette controverse. S’exprimant au nom des juges majoritaires, la juge Abella avait alors formulé une mise en garde contre une interprétation de l’art. 47 qui aurait pour effet de donner une « portée illimitée » ou « d’attribuer des pouvoirs [. . .] larges » dans le contexte des jugements déclaratoires unilatéraux concernant les droits des tiers : Société de crédit commercial GMAC — Canada c. T.C.T. Logistics Inc., 2006 CSC 35, [2006] 2 R.C.S. 123, par. 45‑46.

[93]                         Les modifications adoptées en 2005 (c. 47) et en 2007 (c. 36), qui sont entrées en vigueur en 2009, visaient à apporter clarté et cohérence dans le régime de mise sous séquestre de la LFI . En premier lieu, les modifications ont eu pour effet de restreindre les pouvoirs des séquestres intérimaires nommés en vertu de l’art. 47 de la LFI et de limiter la durée de leur mandat, lequel a clairement pris un caractère « intérimaire ». En second lieu, le législateur fédéral a réaménagé la partie XI de la LFI en prévoyant à l’art. 243 la nomination d’un séquestre national à l’égard de la totalité ou la quasi‑totalité des biens du débiteur insolvable. Ce régime de mise sous séquestre n’est pas exclusif; le par. 243(2)  de la LFI  précise qu’un séquestre national peut également être nommé aux termes d’un contrat de garantie ou d’une autre loi fédérale ou provinciale.

[94]                         Je ne conteste pas que l’adoption de l’art. 243  de la LFI  était motivée par la nécessité de prévoir la nomination d’un séquestre national qui dispenserait les créanciers garantis de la nécessité de se soumettre au processus de demande de nomination d’un séquestre dans chaque province, réduisant d’autant le besoin de recourir à un séquestre intérimaire pour des périodes indéfinies. Je conviens également que les séquestres nommés en vertu de la partie XI sont assujettis à un ensemble de normes et d’obligations uniformes.

[95]                         Toutefois, dans l’interprétation qu’ils font de l’objet fédéral, mes collègues mettent principalement l’accent sur le problème précis qui a incité le législateur à modifier la partie XI de la LFI en 2005 et en 2007, mais ignorent de façon significative les objectifs fédéraux du droit en matière de mise sous séquestre auxquels le législateur a donné effet en édictant la partie XI en 1992, et qui ont été repris dans le libellé actuel de l’art. 243. Il faut se rappeler que l’art. 243 est le fruit d’une évolution graduelle. Le préavis de 10 jours que devaient respecter les créanciers garantis qui cherchaient à faire exécuter une garantie sur la totalité ou la quasi‑totalité des biens, des stocks et des comptes à recevoir d’une entreprise débitrice faisait partie des premières règles codifiées à la partie XI de la LFI en 1992. Il était censé s’appliquer aux séquestres régis par la common law ou par les lois provinciales. À mon avis, c’est à ce moment que le législateur fédéral a établi un équilibre entre l’intérêt des créanciers garantis de pouvoir exercer un recours en temps utile, et celui des débiteurs insolvables de bénéficier de suffisamment de temps pour mettre de l’ordre dans leurs affaires financières. Les modifications apportées en 2005 et en 2007 — correspondant à la dernière phase de cette évolution — visaient expressément à assurer aux créanciers garantis l’accès à un régime de nomination d’un séquestre national. Toutefois, je suis persuadée que les objectifs fondamentaux qui ont animé l’évolution du droit fédéral en matière de mise sous séquestre depuis 1992 doivent être pris en compte si l’on veut dresser un portrait fidèle de l’objet fédéral visé à l’art. 243 actuel. Je crains que, si notre Cour ignore ces objectifs fondamentaux dans son analyse visant à déterminer s’il y a entrave à la réalisation de l’objet fédéral, les provinces puissent modifier à leur gré le régime de mise sous séquestre, de sorte qu’il ne rencontre plus les objectifs visés par le législateur fédéral.

[96]                         Je vais maintenant tenter de répondre plus précisément à un certain nombre des arguments soulevés par mes collègues. En résumé, ils soutiennent que le libellé de la LFI , certains éléments de preuves extrinsèques concernant l’historique législatif de la LFI , de même que l’objet et l’application de la Loi sur la médiation en matière d’endettement agricole , L.C. 1997, c. 21  (« LMEA  »), appuient une interprétation étroite de l’art. 243. Avec égards, je ne puis me résoudre à souscrire à cette opinion.

(1)          La mise sous séquestre intérimaire

[97]                         L’on avance que, dans la mesure où la célérité est une préoccupation importante, cette question a été réglée par la mise en place du régime de nomination d’un séquestre intérimaire à l’art. 47  de la LFI , et que la question de déterminer s’il y a conflit constitutionnel entre la partie II de la SFSA et cet art. 47 devrait être reportée à plus tard.

[98]                         À vrai dire, le régime actuel de nomination du séquestre intérimaire prévu par la LFI  confirme l’importance cruciale que revêt la célérité pour la nomination d’un séquestre national. Il est généralement reconnu que la mise sous séquestre intérimaire a été [traduction] « créée pour protéger les intérêts des créanciers garantis au cours de la brève période qui s’écoule entre le moment où le créancier garanti envoie un avis de son intention d’exercer ses droits en vertu d’un contrat de garantie et celui où il peut exercer ce droit en vertu de l’art. 244 » : Sarra, Morawetz et Houlden, p. 174. Toutefois, ainsi que mes collègues le soulignent, à la suite des modifications apportées en 2005 et en 2007, la mise sous séquestre intérimaire n’était censée durer qu’un certain temps. La mise sous séquestre intérimaire expire maintenant après 30 jours, sauf si le tribunal précise une autre période : al. 47(1) c) de la LFI . Si la mise sous séquestre intérimaire est censée préserver les biens du débiteur jusqu’à la nomination d’un séquestre national, ce délai de 30 jours indique que le législateur souhaitait qu’un séquestre puisse être nommé rapidement.

[99]                         De plus, le séquestre intérimaire ne possède pas tous les pouvoirs du séquestre national. Par exemple, aux termes de l’al. 243(1)c), le tribunal peut habiliter un séquestre à « prendre toute autre mesure qu’il estime indiquée », notamment aliéner les biens du débiteur et en distribuer le produit. Même s’il est souvent important que des mesures de ce genre soient prises rapidement, la LFI  ne permet pas aux tribunaux de conférer ces pouvoirs au séquestre intérimaire : Wood, p. 477‑478. En outre, les séquestres intérimaires nommés en vertu de la partie II de la LFI ne sont pas assujettis à toutes les règles prévues à la partie XI. Par conséquent, je ne partage pas l’opinion de la majorité suivant laquelle l’existence du régime de mise sous séquestre intérimaire fait disparaître l’importance de la célérité quant à la nomination d’un séquestre en vertu de la partie XI.

[100]                     Enfin, je crains que la façon dont mes collègues interprètent le par. 243(1.1) n’affaiblisse l’effet que recherchait le législateur en modifiant la LFI  en 2005 et en 2007. Comme ils l’expliquent en détail, les modifications visaient notamment à faire en sorte que la mise sous séquestre intérimaire reprenne le rôle qui aurait toujours dû être le sien, tant en ce qui concerne les pouvoirs exercés que sa durée. L’interprétation que fait la majorité de l’art. 243  de la LFI  risque de provoquer le retour à des mises sous séquestre intérimaires pour des périodes indéfinies puisque, selon eux, la nomination d’un séquestre en vertu de l’art. 243 peut être suspendue pendant de très longues périodes en raison des délais excessifs imposés par une loi provinciale.

(2)          La nature discrétionnaire du régime de nomination d’un séquestre national

[101]                     Mes collègues s’appuient sur le fait que le recours prévu à l’art. 243 est discrétionnaire. Comme je l’ai déjà expliqué, cet article n’oblige pas les tribunaux à nommer un séquestre, mais reconnaît plutôt que les tribunaux ont le pouvoir discrétionnaire d’ordonner cette mesure s’ils estiment qu’il est « juste ou opportun » de le faire. Mes collègues en déduisent que le créancier garanti n’a pas un droit automatique à la nomination d’un séquestre national. Si les créanciers garantis n’ont pas ce droit automatique, on ne peut selon eux conclure qu’il y a eu entrave à la réalisation d’un objet fédéral lorsque la SFSA ajoute d’autres exigences avant de permettre aux créanciers garantis d’exercer le recours prévu à l’art. 243.

[102]                     Cette interprétation semble toutefois erronément représenter ce que le législateur avait l’intention de permettre aux créanciers garantis en cas d’insolvabilité d’un débiteur. Il est évident que, sous le régime de la LFI , les créanciers garantis n’ont pas automatiquement droit à la nomination d’un séquestre national. Le législateur souhaitait plutôt leur conférer le droit de demander la nomination d’un séquestre national à très bref préavis. Je ne vois pas comment ce pouvoir discrétionnaire résiduel contrecarre l’intention évidente du législateur de permettre l’obtention rapide d’une mise sous séquestre nationale. Le pouvoir discrétionnaire considérable conféré aux tribunaux indique plutôt que le législateur souhaitait qu’ils répondent à chaque demande au cas par cas en tenant compte de toutes les circonstances et du contexte factuel porté à leur connaissance.

(3)          Le cas spécial des agriculteurs

[103]                     Mes collègues soutiennent qu’il faut, dans toute analyse téléologique de l’art. 243  de la LFI , tenir compte du traitement spécial que la LFI  réserve aux agriculteurs. Plus précisément, l’art. 48  de la LFI  soustrait les agriculteurs aux procédures de faillite involontaire. En ce qui concerne cet argument, je partage l’opinion formulée en l’espèce par le juge en chef Richards de la Cour d’appel (voir par. 63). Comme le législateur a expressément soustrait les agriculteurs aux procédures de faillite involontaire, on aurait pu s’attendre à ce qu’il adopte une disposition semblable pour soustraire les agriculteurs à l’application de l’art. 243  de la LFI  s’il avait l’intention d’appliquer ce même traitement spécial aux agriculteurs dans le cas de la nomination d’un séquestre national. Or, on ne trouve aucune disposition en ce sens à la partie XI.

[104]                     Mes collègues prétendent également que le législateur fédéral a reconnu dans la LMEA  fédérale le fait que le régime de mise sous séquestre prévu à la partie XI de la LFI peut être assujetti aux délais supplémentaires prévus par la loi provinciale lorsqu’un agriculteur devient insolvable. Malheureusement, je ne puis discerner une telle déduction dans la LMEA . Tout d’abord, il existe des différences marquées entre la LMEA et la SFSA, tant en ce qui concerne leurs modalités d’application que les grands principes que chacune incarne. Par conséquent, l’existence de la première ne saurait être considérée comme une preuve que le législateur souhaitait que la LFI  coexiste avec la seconde.

[105]                     Ainsi, suivant la LMEA , le créancier garanti est seulement tenu de donner à l’agriculteur un préavis de 15 jours ouvrables avant de tenter d’obtenir quelque remède ou d’instituer un recours pour recouvrer sa dette ou pour prendre possession d’un bien de l’agriculteur : art. 21. Et s’il est vrai que l’agriculteur peut demander la suspension des recours de ses créanciers pour une période de 30 jours (al. 5(1)a)) et que cette suspension peut être renouvelée jusqu’à trois fois, ces renouvellements sont assujettis à des conditions strictes. La période de suspension ne peut être prolongée que si ce délai supplémentaire est nécessaire pour permettre à l’agriculteur et à ses créanciers de conclure un arrangement : par. 13(1). Sinon, la prolongation de la période de suspension ne sera accordée que si elle n’est pas susceptible de diminuer la valeur des actifs de l’agriculteur ou de porter indûment préjudice aux créanciers de l’agriculteur, et que rien ne laisse supposer de la mauvaise foi de la part de ce dernier : Règlement sur la médiation en matière d’endettement agricole, DORS/98‑168, art. 3. De plus, l’administrateur peut lever la suspension en tout temps pour diverses raisons, notamment s’il estime que la médiation ne se conclura pas par un arrangement entre les parties ou que l’agriculteur a porté atteinte à la conservation de ses actifs : par. 14(2).

[106]                     Contrairement à la SFSA, la LMEA  n’a pas pour effet d’imposer un moratoire automatique et absolu de 150 jours sur toute demande de nomination d’un séquestre. De plus, suivant la LMEA , les agriculteurs insolvables n’ont pas tous le droit de demander la suspension des procédures : par. 20(1). En outre, lorsqu’une suspension a été prononcée, l’administrateur doit nommer un gardien des actifs de l’agriculteur (art. 16) et la suspension n’empêche pas la nomination d’un séquestre intérimaire en vertu de la LFI  : Jacob’s Hold Inc. c. Canadian Imperial Bank of Commerce (2000), 52 O.R. (3d) 776 (C.S.J.). Les créanciers garantis ne bénéficient pas de cette protection sous le régime de la SFSA. De même, comme je l’ai déjà indiqué, l’administrateur peut lever la suspension en vertu de la LMEA  lorsqu’il est devenu évident que la médiation ne pourra se conclure par un arrangement entre l’agriculteur et la majorité des créanciers : par. 14(2). Et dès que la suspension a été levée ou a pris fin, les créanciers garantis ne sont plus obligés de demander une autorisation ni de s’acquitter d’un lourd fardeau de preuve.

[107]                     À mon avis, le traitement spécial que la LMEA  réserve aux agriculteurs présente bon nombre des mêmes caractéristiques — célérité, souplesse et prise en compte de l’ensemble des circonstances — que celles que l’on trouve à l’art. 243  de la LFI . En un mot, la nécessité d’agir rapidement joue également un rôle très important dans l’opération de la LMEA  : un préavis de 15 jours ouvrables seulement est exigé, et la suspension des recours ne dure que 30 jours et ne peut être renouvelée que si des conditions strictes sont respectées. La LMEA  exige également un degré remarquable de surveillance et peut être adaptée aux circonstances étant donné que la suspension des procédures peut être levée ou prolongée au besoin. Sur le plan de l’efficacité, la suspension ne peut être prolongée que si elle favorise la conclusion d’une entente entre les parties, et elle peut être levée si aucun arrangement n’est possible, si la valeur des actifs de l’agriculteur est compromise ou si la mauvaise foi est évidente.

[108]                     L’économie de la LMEA  va ainsi dans le sens de l’équilibre établi à l’art. 243  de la LFI  en offrant un recours rapide qui tient compte des circonstances et qui est adapté aux réalités commerciales de l’agriculture. Pour cette raison, si la loi provinciale reflétait la LMEA , ma conclusion quant à l’entrave à la réalisation de l’objet de la loi fédérale aurait été différente.

(4)          L’exhaustivité

[109]                     Je suis d’accord avec mes collègues pour dire que la partie XI de la LFI permet un certain degré d’interaction et de chevauchement avec les lois provinciales, comme le démontre à l’évidence le par. 243(2) qui, dans la définition de « séquestre », inclut tous séquestres d’un débiteur insolvable. De façon plus générale, le par. 72(1) précise que les dispositions de la LFI  « n’[ont] pas pour effet d’abroger ou de remplacer les dispositions de droit substantif d’une autre loi ou règle de droit concernant la propriété et les droits civils, non incompatibles avec la présente loi ».

[110]                     Cette conclusion s’accorde non seulement avec la preuve relative au contexte de la loi, mais également avec la jurisprudence de notre Cour. Le fait que le législateur fédéral ait légiféré sur une matière ne permet pas de présumer qu’il a voulu, par là, occuper tout le champ : Banque canadienne de l’Ouest, par. 74.

[111]                     Mes collègues semblent toutefois conclure que, puisque le régime fédéral n’est pas exhaustif, il faut par conséquent envisager la possibilité qu’il puisse être complété par la partie II de la SFSA. Poursuivant le raisonnement, les juges Abella et Gascon distinguent le présent pourvoi de l’arrêt Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121, en faisant observer qu’à la différence de l’affaire Hall, le recours en nomination d’un séquestre prévu par la LFI  ne constitue pas un code complet ou exhaustif qui exclut nécessairement la législation provinciale. Avec égards, leur raisonnement gagnerait à être plus nuancé.

[112]                     La question essentielle en l’espèce n’est pas de savoir si le législateur entendait être exhaustif ou non, mais bien si l’application de la partie II de la SFSA porte suffisamment atteinte aux objectifs fédéraux que vise l’art. 243  de la LFI .

[113]                     Il convient de signaler que l’objectif fédéral auquel l’art. 243 donne effet n’impose pas une ligne de démarcation que les provinces ne doivent en aucun cas franchir. Je ne crois pas que le législateur fédéral avait l’intention d’accorder aux créanciers garantis le droit de demander la nomination d’un séquestre national sous réserve uniquement d’un préavis de 10 jours de sorte que toute réserve ou restriction apportée par une loi provinciale, aussi mineure soit‑elle, constituerait une entrave à la réalisation de l’objet de la loi fédérale. Raisonner ainsi signifierait que le législateur fédéral entendait occuper tout le champ, une idée que je ne suis pas prête à accepter.

[114]                     À mon avis, l’objet fédéral a pu être dessiné à grandes lignes, notamment afin d’instaurer un processus de demande de nomination d’un séquestre national qui soit rapide, qui s’adapte aux situations d’urgence et qui tienne compte de l’ensemble des circonstances. Si une province souhaite légiférer d’une façon susceptible d’avoir une incidence sur le régime fédéral de nomination de séquestre — lequel, suivant la jurisprudence de notre Cour, a la préséance en cas de conflit —, elle doit le faire d’une manière cohérente avec l’objet fédéral en question. Si la province légifère ainsi, son régime s’imbriquera parfaitement avec le régime fédéral et il n’y aura pas d’entrave à la réalisation de son objet.

[115]                     Une telle situation s’est déjà produite. Dans l’affaire Marine Services International Ltd. c. Ryan (Succession), 2013 CSC 44, [2013] 3 R.C.S. 53, une loi fédérale sur la responsabilité en matière maritime conférait un droit d’action aux personnes à charge des personnes décédées lors d’accidents du travail. Le libellé de la loi n’était pas exhaustif et la question était de savoir si le régime provincial, qui niait le droit d’action mais établissait un régime d’indemnisation sans égard à la responsabilité, entravait la réalisation de l’objet de la loi fédérale. S’exprimant au nom de la Cour, les juges LeBel et Karakatsanis ont estimé que le texte de loi fédéral avait été « édicté en vue d’élargir la catégorie des personnes admises à intenter une action en négligence fondée sur le droit maritime » et que, comme la loi provinciale instaurait tout simplement un « régime d’indemnisation distinct », elle n’entravait pas la réalisation de l’objectif fédéral : par. 84. La province avait donc respecté l’objet fédéral tout en instaurant son propre régime, évitant ainsi l’application de la doctrine de la prépondérance fédérale.

[116]                     En l’espèce, l’objet fédéral que je viens d’exposer laisse une vaste latitude aux provinces pour légiférer. Par exemple, j’ai déjà indiqué que si la loi provinciale reflétait la LMEA , elle n’entraverait pas la réalisation de l’objet de la loi fédérale. Cette situation s’explique par le fait que la LMEA  matérialise dans une large mesure l’objet de la LFI  consistant à offrir aux créanciers un recours rapide, efficace et souple dans le contexte spécifique de l’insolvabilité de l’agriculteur.

[117]                     Toutefois, lorsqu’une province s’écarte de cet objet fédéral, il arrive un moment où l’on ne peut tout simplement plus ignorer l’entrave à la réalisation de l’objet de la loi fédérale. Cette façon de voir est conforme à la jurisprudence de notre Cour suivant laquelle le fardeau incombant à la partie qui invoque l’entrave à la réalisation d’un objet est un lourd fardeau : COPA, par. 66. Lorsqu’une loi fédérale n’est pas exclusive, l’entrave à la réalisation de son objet doit être particulièrement flagrante pour que la partie qui l’invoque puisse se décharger de ce fardeau de preuve.

[118]                     C’est là où je crois me dissocier de mes collègues. Au nom du fédéralisme coopératif, ils ont opté pour une interprétation très étroite de l’objet fédéral. Mes collègues semblent craindre que, si l’on interprète l’objet fédéral comme conférant expressément aux créanciers garantis le droit de demander la nomination d’un séquestre sous réserve uniquement d’un préavis de 10 jours, toute réserve ou restriction apportée à ce droit par les provinces serait considérée comme une entrave à la réalisation de l’objet fédéral. Toutefois, si l’on conçoit cet objet fédéral de façon plus générale — comme je crois le faire —, il demeurera difficile pour quiconque de se décharger du lourd fardeau de prouver une entrave à la réalisation de l’objet de la loi fédérale, à moins que la loi provinciale ne s’écarte de façon marquée de l’objet de la loi fédérale en question.

[119]                     Pour les motifs que je vais maintenant exposer, j’estime que ce lourd fardeau de preuve a été rencontré en l’espèce : il y a eu entrave à la réalisation de l’objet fédéral consistant à permettre aux créanciers garantis d’exercer un recours rapide, souple et adapté au contexte, en raison des obstacles importants que la province a délibérément mis en place sur la voie des créanciers garantis.

(5)          Le rôle de la preuve extrinsèque lorsqu’il s’agit de déterminer l’objet fédéral

[120]                     Avant d’entamer l’analyse finale de la question de l’entrave à la réalisation d’un objet fédéral, une remarque s’impose quant au fait que mes collègues se fondent sur des éléments de preuve extrinsèques — notamment les propos tenus par certains députés fédéraux — pour appuyer leur interprétation étroite de l’objet de l’art. 243. Il n’est certainement pas nécessaire de recourir à des éléments de preuve extrinsèques. D’ailleurs, pour autant que je sache, dans ses décisions relatives à l’entrave à l’objet d’une loi fédérale, notre Cour n’a généralement pas recours à de tels éléments de preuve lorsqu’elle cherche à discerner l’objet fédéral. Ainsi, dans l’arrêt Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Saskatchewan, 2005 CSC 13, [2005] 1 R.C.S. 188, le juge Major, s’exprimant au nom de la Cour, a interprété l’objet fédéral de l’art. 30  de la Loi sur le tabac , L.C. 1997, c. 13 , en se référant simplement au « contexte de l’ensemble de la Loi sur le tabac  », y compris l’énoncé par le législateur de l’objet de la loi : par. 17; voir aussi par. 18-21. La Cour n’a pas non plus eu recours à des éléments de preuve extrinsèques dans l’arrêt Mangat, largement reconnu comme un arrêt fondamental en ce qui concerne le volet relatif à l’entrave à un objectif fédéral sous la doctrine de la prépondérance.

[121]                     Dans certaines circonstances, le recours à la preuve extrinsèque peut s’avérer judicieux. Dans d’autres cas, l’image obtenue par cette méthode risque d’être incomplète comme en offre peut‑être un bon exemple l’affaire dont nous sommes saisis. Bien que les propos que mes collègues citent extensivement expliquent les circonstances à l’origine des modifications de 2005 et de 2007, ils n’expliquent pas quelle était l’intention générale du législateur à l’égard de la mise sous séquestre prévue à la partie XI. Même mes collègues reconnaissent qu’en ce qui concerne le projet de loi C‑55 (les modifications apportées en 2005), « [son] adoption [. . .] a suscité peu de débats » : par. 60.

III.         L’application de la partie II de la SFSA et l’entrave à la réalisation de l’objet de la loi fédérale

[122]                     Je passe maintenant à l’examen de la façon dont l’application de la partie II de la SFSA entrave la réalisation de l’objet de l’art. 243. Dans son ouvrage A Legacy of Protection : The Saskatchewan Farm Security Act : History, Commentary & Case Law (2009), D. H. Layh (maintenant juge à la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan) écrit ce qui suit, à la p. 43 :

                    [traduction] Dans la partie II de la SFSA, qui s’inspire du principe fondamental de la Farm Land Security Act adoptée quatre ans auparavant, le législateur a fait en sorte que les mesures prises avant l’introduction de l’instance en cas de non‑paiement de prêts hypothécaires exigent une telle somme de temps, et que les démarches à accomplir pour obtenir une ordonnance du tribunal avant d’introduire l’action soient à ce point fastidieuses, que les créanciers hypothécaires soient contraints de trouver des solutions de rechange aux procédures judiciaires pour résoudre le remboursement de leurs prêts hypothécaires grevant des terres agricoles. Et la partie II offrait une solution extrajudiciaire plutôt pratique : une médiation obligatoire assortie de pénalités en cas de refus d’y participer de bonne foi.

[123]                      La partie II de la SFSA a pour effet d’empêcher le créancier hypothécaire d’introduire toute « action » — terme auquel elle donne une définition large — relative à une terre agricole grevée d’une hypothèque avant d’avoir obtenu l’autorisation du tribunal : art. 9 et 11. Avant de demander cette autorisation, le créancier hypothécaire doit d’abord signifier un avis d’intention au Farm Land Security Board (la « commission ») et à l’agriculteur, et doit obligatoirement attendre l’expiration d’une période de 150 jours (par. 12(1)), pendant laquelle les parties sont tenues de participer de bonne foi à un processus obligatoire de médiation : par. 12(5) à (10). À l’issue du processus de médiation, la commission prépare un rapport dans lequel elle détermine notamment s’il existe une possibilité raisonnable que l’agriculteur s’acquitte de ses obligations, et si l’agriculteur déploie des efforts sincères et raisonnables pour s’en acquitter : par. 12(12). Une fois que le créancier peut demander l’autorisation, la loi lui impose le fardeau de démontrer qu’il n’existe aucune possibilité raisonnable que l’agriculteur s’acquitte de ces obligations, ou que ce dernier ne déploie pas des efforts sincères et raisonnables pour s’acquitter de ces obligations; le tribunal doit rejeter la demande si le créancier ne s’acquitte pas de ce fardeau : par. 18(1). Même si le créancier s’acquitte de ce fardeau, le tribunal doit rejeter la demande s’il est convaincu qu’il n’est pas juste et équitable, selon l’objet et l’esprit de la SFSA, de rendre l’ordonnance demandée : art. 19. Cet objet de la loi est précisé comme suit à l’art. 4 : [traduction] « protéger les agriculteurs contre la perte de leurs terres agricoles ». Enfin, si la demande est rejetée, la loi interdit au créancier hypothécaire de signifier un autre avis d’intention pendant un an : art. 20.

[124]                     Pour ce qui est de l’application de la partie II de la SFSA, je ne crois pas que l’amicus curiae fasse usage d’hyperboles lorsqu’il qualifie les dispositions en question de [traduction] « résolument favorables aux débiteurs » : mémoire, par. 59. Bien que, dans le cadre de l’analyse de l’entrave à la réalisation de l’objet fédéral, on ne tienne normalement pas compte des objectifs de la loi provinciale, dans le cas de la SFSA, cet objet — protéger les agriculteurs — est élevé au rang de norme fondamentale par les art. 4 et 19. En d’autres termes, la loi provinciale impose un équilibre fort différent entre les intérêts des débiteurs et des créanciers que celui que vise la LFI , et ce, même si l’on tient compte des facteurs spéciaux applicables à l’égard des agriculteurs que la LMEA  vient ajouter à ceux de la loi fédérale. La question qui se pose est de savoir si la loi provinciale peut s’appliquer rapidement en temps réel et respecter l’objectif fédéral, s’imbriquant ainsi dans le régime fédéral. J’estime qu’elle ne le peut pas.

[125]                     Lorsque j’examine l’application de la partie II de la SFSA à la lumière de l’objet de l’art. 243  de la LFI , soit celui d’instaurer un processus de nomination d’un séquestre qui est rapide, qui s’adapte aux situations urgentes et qui tient compte de l’ensemble des circonstances, je ne puis m’empêcher de constater ce que j’estime être une entrave flagrante à la réalisation de l’objet fédéral. Compte tenu du fait que l’art. 243 n’est pas exhaustif, et qu’il laisse aux provinces la possibilité de légiférer sur un large éventail de questions, j’estime néanmoins que l’écart entre les deux régimes est à ce point marqué qu’il y a lieu de conclure que la SFSA entrave la réalisation de l’objet visé par le législateur fédéral. Tout d’abord, le délai d’avis de 150 jours prévu à la partie II de la SFSA est beaucoup plus long que le bref délai de 10 jours prévu à l’art. 243  de la LFI , ou même que la période d’attente de 15 jours ouvrables prévue à l’art. 21  de la LMEA  en faveur des agriculteurs. Compte tenu de la course effrénée qui caractérise habituellement les procédures d’insolvabilité, la différence entre quelques semaines et cinq mois est abyssale. Il y a donc entrave à la réalisation de l’objet fédéral consistant à instaurer un recours rapide, efficace et souple pour obtenir la nomination d’un séquestre national. 

[126]                     Deuxièmement, le délai de 150 jours prévu à la partie II de la SFSA est absolu. En aucun cas l’agriculteur ne peut y renoncer, ni le tribunal le raccourcir. En supprimant toute possibilité de souplesse ou de surveillance pour une période aussi longue, la partie II de la SFSA entrave la réalisation de l’objet fédéral consistant à offrir un recours susceptible de s’adapter aux situations urgentes qui, on le sait, surviennent à l’occasion dans les affaires d’insolvabilité. Par contre, l’art. 243  de la LFI  permet la nomination d’un séquestre avant l’expiration du préavis de 10 jours, si une telle mesure est indiquée, et aux termes des art. 13  et 14  de la LMEA , la suspension des procédures prévue à cette loi peut être révoquée en tout temps ou être prolongée au besoin.

[127]                     Enfin, la partie II de la SFSA crée au niveau de la preuve une série d’obstacles incompatibles avec l’intention du législateur fédéral de faire du régime de nomination d’un séquestre national un recours équitable qui tienne compte des différentes circonstances. L’obstacle le plus problématique, à mon avis, est le fardeau imposé au créancier hypothécaire qui doit démontrer soit qu’il n’existe aucune possibilité raisonnable que l’agriculteur s’acquitte de ses obligations, soit que ce dernier ne déploie pas des efforts sincères et raisonnables pour s’acquitter de ses obligations : par. 18(1) de la SFSA. Compte tenu du fait qu’historiquement la mise sous séquestre était un remède en equity, le fait d’imposer au créancier un fardeau de preuve aussi lourd détonne singulièrement avec les objectifs et l’application efficace de l’art. 243  de la LFI . Qui plus est, même si le créancier s’acquitte de ce fardeau, un juge doit encore être convaincu que le fait de prononcer l’ordonnance de mise sous séquestre constituera une mesure [traduction] « juste et équitable selon l’objet et l’esprit » de la SFSA : art. 19. La SFSA précise que cela a pour objet de protéger les agriculteurs contre la perte de leurs terres agricoles : art. 4. Je tiens à ajouter qu’on ne trouve pas d’obstacles de ce genre dans la LMEA . L’effet produit est manifestement d’entraver la réalisation de l’objet fédéral qui consiste à faire en sorte que les demandes présentées par des créanciers en vue de la nomination d’un séquestre national soient tranchées par un tribunal en se fondant sur l’équité et en tenant compte des circonstances.

[128]                     Je tiens à souligner que je ne considère aucun de ces facteurs, pris individuellement, comme déterminant pour trancher la question. Toutefois, considérant globalement l’application de la partie II de la SFSA, il m’apparaît évident que la loi provinciale ne peut s’appliquer en temps réel et qu’elle est en fait conçue pour décourager la nomination en temps opportun d’un séquestre sur des terres agricoles grevées d’une hypothèque. Il est en conséquence évident que la partie II de la SFSA entrave la réalisation de l’objet de l’art. 243  de la LFI , et la doctrine de la prépondérance fédérale doit donc s’appliquer.

IV.         Dispositif

[129]                     Je conclus donc que l’application de la partie II de la SFSA entrave la réalisation de l’objet de l’art. 243  de la LFI . Je suis donc d’avis de déclarer la partie II de la SFSA inopérante dans la mesure où elle est incompatible avec le régime fédéral de mise sous séquestre prévu à l’art. 243  de la LFI .

                    Jugement en conséquence, la juge Côté est dissidente.

                    Procureur de l’appelant : Procureur général de la Saskatchewan, Regina.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.

                    Procureurs nommés par la Cour en qualité d’amicus curiae : MacPherson Leslie & Tyerman, Saskatoon.



[1] Canada, Sénat, Journaux du Sénat, no 12, 2e sess., 37e lég., 29 octobre 2002, p. 122, et no 57, 15 mai 2003, p. 841.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.