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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Appulonappa, 2015 CSC 59, [2015] 3 R.C.S. 754

Date : 20151127

Dossier : 35958

 

Entre :

Francis Anthonimuthu Appulonappa

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

Et entre :

Hamalraj Handasamy

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

Et entre :

Jeyachandran Kanagarajah

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

Et entre :

Vignarajah Thevarajah

Appelant

et

Sa Majesté la Reine

Intimée

- et -

Procureur général de l’Ontario, Amnesty International (Canadian Section, English Branch), Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique, Association canadienne des libertés civiles, Conseil canadien pour les réfugiés et Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés

Intervenants

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 86)

La juge en chef McLachlin (avec l’accord des juges Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon)

 

 

 


R. c. Appulonappa, 2015 CSC 59, [2015] 3 R.C.S. 754

Francis Anthonimuthu Appulonappa                                                           Appelant

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée

‑ et ‑

Hamalraj Handasamy                                                                                     Appelant

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée

‑ et ‑

Jeyachandran Kanagarajah                                                                           Appelant

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée

‑ et ‑

Vignarajah Thevarajah                                                                                  Appelant

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                            Intimée

et

Procureur général de l’Ontario,

Amnesty International (Canadian Section, English Branch),

Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique,

Association canadienne des libertés civiles,

Conseil canadien pour les réfugiés et

Association canadienne des avocats et avocates

en droit des réfugiés                                                                                   Intervenants

Répertorié : R. c. Appulonappa

2015 CSC 59

No du greffe : 35958.

2015 : 17 février; 2015 : 27 novembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Rothstein, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Droit à la liberté — Justice fondamentale — Portée excessive — Passage de clandestins — Migrants demandant l’asile au Canada accusés de l’infraction d’avoir organisé l’entrée au Canada de personnes non munies de documents valides ou d’avoir incité, aidé ou encouragé de telles personnes à entrer au Canada — Le juge du procès a conclu que la disposition créant l’infraction avait une portée excessive et était donc inconstitutionnelle parce qu’elle criminalisait non seulement le passage organisé de clandestins, mais également le fait d’aider un proche parent à entrer au Canada ainsi que le fait de fournir de l’aide humanitaire à des demandeurs d’asile — La disposition créant l’infraction viole‑t‑elle l’art. 7  de la Charte canadienne des droits et libertés ? — Dans l’affirmative, cette violation peut‑elle être justifiée au regard de l’article premier de la Charte ? — Si elle ne peut l’être, quelle est la réparation convenable à l’égard de l’inconstitutionnalité? — Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, art. 117 .

                    Immigration Infractions Passage de clandestins Migrants demandant l’asile au Canada accusés de l’infraction d’avoir organisé l’entrée au Canada de personnes non munies de documents valides ou d’avoir incité, aidé ou encouragé de telles personnes à entrer au Canada La disposition créant l’infraction est‑elle inconstitutionnelle? Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, art. 117 .

                    En 2009, un navire a été intercepté au large de la côte ouest de l’île de Vancouver, en Colombie‑Britannique. Ce navire avait à son bord 76 personnes, dont A, H, K et T (les « migrants »). Tous des Tamouls du Sri Lanka, ils ont affirmé avoir fui leur pays parce que leur vie était en danger. Ils ont demandé l’asile au Canada. Aucun d’eux n’était muni des documents juridiques requis. Les migrants auraient été les hommes de terrain d’une opération transnationale à but lucratif visant à faire passer des sans‑papiers de l’Asie du Sud‑Est au Canada. La majorité des passagers avait payé, ou promis de payer, entre 30 000 $ et 40 000 $ chacun pour la traversée. Les migrants auraient organisé les demandeurs d’asile en Indonésie et en Thaïlande avant leur embarquement et auraient constitué les membres d’équipage principaux du navire pendant la traversée vers le Canada — H à titre de capitaine, T à titre de chef mécanicien et K et A à titre de membres clés de l’équipage.

                    Les migrants ont été accusés en vertu de l’art. 117  de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés  (« LIPR  »), selon lequel commet une infraction quiconque « organise » l’entrée au Canada d’une personne en contravention à la LIPR  « ou incite, aide ou encourage » une telle personne à entrer au Canada. Un verdict de culpabilité peut, entre autres conséquences, emporter une longue peine d’emprisonnement et faire obstacle à une demande d’asile. Avant leur procès, les migrants ont contesté la constitutionnalité de l’art. 117  de la LIPR , au motif qu’il viole le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garanti par l’art. 7  de la Charte canadienne des droits et libertés . Le juge du procès a déclaré l’art. 117 inconstitutionnel. La Cour d’appel a infirmé cette décision, a déclaré que la disposition était constitutionnelle et a renvoyé l’affaire pour qu’elle soit jugée en première instance. L’article 117, tel qu’il était à l’époque des infractions en cause, n’est plus en vigueur et la Cour n’est pas saisie de la question de la constitutionnalité de l’art. 117 actuel.

                    Arrêt : Les pourvois sont accueillis et les accusations sont renvoyées au tribunal de première instance pour être jugées. L’article 117 est inconstitutionnel dans la mesure où il permet que soient intentées des poursuites reprochant des actes d’aide humanitaire à des sans‑papiers, d’assistance mutuelle entre demandeurs d’asile ou d’aide fournie par une personne à des membres de sa famille.

                    Participer à l’entrée non autorisée d’autres personnes au Canada peut entraîner des poursuites en vertu de l’art. 117  de la LIPR , et une déclaration de culpabilité risque de se traduire par une peine d’emprisonnement, des amendes substantielles ou les deux. Les migrants font valoir que l’art. 117  viole l’art. 7  de la Charte  parce qu’il fait entrer dans son champ d’application deux catégories de personnes qui ne sont pas visées par son objet — les personnes qui assistent des parents proches à entrer au Canada et les travailleurs humanitaires qui aident des personnes fuyant la persécution à entrer au Canada, dans les deux cas sans les documents requis. Ils affirment que l’art. 117 a donc une portée excessive. Ils affirment également que la disposition enfreint les principes de justice fondamentale parce que son effet sur la liberté est exagérément disproportionné par rapport à la conduite qu’elle sanctionne, parce qu’elle est inconstitutionnelle pour cause d’imprécision et parce qu’elle perpétue l’inégalité.

                    Dans la mesure où l’art. 117 permet que soient intentées des poursuites reprochant des actes d’aide humanitaire à des sans‑papiers, d’assistance mutuelle entre demandeurs d’asile ou d’aide fournie par une personne à des membres de sa famille, il est inconstitutionnel. L’article 117 a pour objet de criminaliser le passage de clandestins au Canada lié à la criminalité organisée, et non des actes constituant simplement de l’entraide familiale, de l’assistance mutuelle entre sans-papiers qui entrent au Canada ou encore de l’aide humanitaire à de telles personnes. Un objectif punitif général qui permettrait que soient poursuivies des personnes qui sont dépourvues de lien avec le crime organisé et ne font rien pour favoriser le crime organisé est contredit par l’intention du législateur qui se dégage du libellé de l’art. 117, interprétée à la lumière des engagements internationaux du Canada, du rôle de l’art. 117 au sein de la LIPR , des objets de la LIPR , de l’historique de l’art. 117  et des débats parlementaires.

                    La portée de l’art. 117 est excessive et empiète sur un comportement sans lien avec son objectif. Il n’est pas possible de contourner le problème de la portée excessive en donnant au par. 117(1) une interprétation qui soustrairait de son champ d’application les personnes qui fournissent de l’aide humanitaire, s’assistent mutuellement ou aident des membres de leur famille. Une telle interprétation obligerait la Cour à faire fi du sens ordinaire des mots employés au par. 117(1), qui prévoit sans la moindre ambiguïté que commet une infraction quiconque « organise [. . .] ou incite, aide ou encourage » des sans‑papiers à entrer au Canada. Faire droit à cette proposition contreviendrait à la règle d’interprétation des lois portant que les termes employés dans la disposition doivent être interprétés en suivant leur sens grammatical et ordinaire. Il faudrait également ne pas tenir compte des déclarations tenues lors des débats législatifs, qui tendaient à indiquer que le législateur savait que la disposition avait une portée excessive.

                    Le législateur savait, lorsqu’il a promulgué l’art. 117, que la portée de cette disposition excédait son objet parce qu’elle faisait entrer dans son champ d’application les personnes qui accomplissent des actes d’aide humanitaire, d’assistance mutuelle ou d’entraide familiale en faveur de demandeurs d’asile entrant au Canada. Il a affirmé que cette portée excessive ne posait aucun problème parce que le procureur général du Canada n’autoriserait pas la poursuite de ces personnes. Le paragraphe 117(4), qui exige que le procureur général autorise des poursuites, ne règle pas le problème de portée excessive que crée le par. 117(1). Le pouvoir discrétionnaire du ministre, qu’il soit exercé consciencieusement ou non, n’empêche pas que le par. 117(1) criminalise un comportement que le législateur ne visait pas, ni que des personnes que le législateur ne voulait pas poursuivre risquent d’être poursuivies, déclarées coupables et emprisonnées. Dans la mesure où cette disposition est encore susceptible d’application, et dans la mesure où il n’est pas impossible que le procureur général consente à intenter des poursuites, les personnes qui aident un membre de leur famille, celles qui fournissent de l’aide humanitaire à un demandeur d’asile entrant au Canada ou encore les demandeurs d’asile qui s’assistent mutuellement risquent l’emprisonnement.

                    L’article 117 de la LIPR a une portée excessive et cette portée excessive n’est pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte . Bien que l’objectif de l’art. 117 soit clairement urgent et réel et qu’il existe un lien rationnel entre l’objectif poursuivi par le législateur et certaines applications de cette disposition, celle‑ci ne satisfait pas au volet de l’atteinte minimale de l’analyse fondée sur l’article premier. Par conséquent, l’art. 117 est inopérant dans la mesure de son incompatibilité avec la Charte . L’incompatibilité qui a été démontrée concerne la portée excessive de l’art. 117 relativement à trois catégories d’actes, soit (1) l’aide humanitaire à des sans‑papiers, (2) l’assistance mutuelle entre demandeurs d’asile et (3) l’aide fournie par une personne à un membre de sa famille qui entre au Canada sans être muni des documents requis. En l’espèce, il est préférable de donner à l’art. 117  de la LIPR  — tel qu’il était libellé au moment des infractions reprochées — une interprétation atténuée qui exclut de son champ d’application les personnes qui fournissent de l’aide humanitaire à des demandeurs d’asile ou les demandeurs d’asile qui s’assistent mutuellement (y compris en aidant des membres de leur famille), en vue d’assurer la conformité de la disposition avec la Charte . Cette réparation permet de concilier l’ancien art. 117 avec les impératifs de la Charte  et de conserver, pendant la période pertinente, l’interdiction applicable au passage de clandestins.

                    Compte tenu de la conclusion selon laquelle l’art. 117 a une portée excessive, il est inutile d’examiner l’argument voulant que l’art. 117 contrevienne à l’art. 7  de la Charte  parce qu’il prive des personnes de leur liberté d’une manière qui viole les principes de justice fondamentale interdisant le caractère totalement disproportionné et l’imprécision.

Jurisprudence

                    Arrêts mentionnés : B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704; Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.‑B.), [1985] 2 R.C.S. 486; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331; R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773; R. c. Chartrand, [1994] 2 R.C.S. 864; R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281; Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431; Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248; Global Securities Corp. c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2000 CSC 21, [2000] 1 R.C.S. 494; R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783; R. c. Anderson, 2014 CSC 41, [2014] 2 R.C.S. 167; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679.

Lois et règlements cités

Acte modifiant l’Acte d’immigration, S.C. 1902, c. 14, art. 2.

Charte canadienne des droits et libertés , art. 1 , 7 .

Loi constitutionnelle de 1982 , art. 52 .

Loi de l’immigration, S.R.C. 1906, c. 93, art. 65, 66.

Loi modifiant la Loi de l’Immigration, S.C. 1919, c. 25, art. 12(4).

Loi modifiant la Loi sur l’immigration et apportant des modifications corrélatives au Code criminel, L.R.C. 1985, c. 29 (4e suppl.), art. 1, 9.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés , L.C. 2001, c. 27, art. 3 , 37(1) b), partie 3, 117 [mod. 2012, c. 17, art. 41], 118, 121, 133.

Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus , L.C. 2011, c. 10 .

Loi sur les conventions de Genève , L.R.C. 1985, c. G‑3 .

Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre , L.C. 2000, c. 24 .

Loi sur les mesures économiques spéciales , L.C. 1992, c. 17 .

Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères , L.R.C. 1985, c. F‑29 .

Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, c. 17, art. 41(1), (4).

Traités et autres instruments internationaux

Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, 2225 R.T.N.U. 209, art. 1, 5, 34.

Convention relative au statut des réfugiés, 189 R.T.N.U. 150, art. 31(1), 33.

Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, 2237 R.T.N.U. 319.

Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, 2241 R.T.N.U. 480, art. 2, 3a), 6(1), (3), (4), 19(1).

Doctrine et autres documents cités

Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. Témoignages, no 27, 1re sess., 37e lég., 17 mai 2001 (en ligne : http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Mode=1&Parl=37&Ses=1&DocId=1040838&File=0&Language=F), 10 h 35.

Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. VII, 2e sess., 33e lég., 12 août 1987, p. 8002.

Canada. Chambre des communes. Procès‑verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C‑84 : Loi modifiant la Loi sur l’Immigration de 1976 et apportant des modifications corrélatives au Code criminel, no 9, 2e sess., 33e lég., 25 août 1987, p. 24.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6th ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2014.

                    POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Neilson, Bennett et Hinkson), 2014 BCCA 163, 355 B.C.A.C. 98, 607 W.A.C. 98, 373 D.L.R. (4th) 1, 310 C.C.C. (3d) 193, 11 C.R. (7th) 154, 308 C.R.R. (2d) 293, 25 Imm. L.R. (4th) 1, [2014] B.C.J. No. 762 (QL), 2014 CarswellBC 1135 (WL Can.), qui a annulé les ordonnances du juge Silverman et ordonné la tenue d’un nouveau procès, 2013 BCSC 31, 358 D.L.R. (4th) 666, 275 C.R.R. (2d) 1, 99 C.R. (6th) 245, 13 Imm. L.R. (4th) 207, [2013] B.C.J. No. 35 (QL), 2013 CarswellBC 15 (WL Can.); et 2013 BCSC 198, [2013] B.C.J. No. 217 (QL), 2013 CarswellBC 299 (WL Can.). Pourvois accueillis et accusations renvoyées au tribunal de première instance pour être jugées.

                    Fiona Begg et Maria Sokolova, pour l’appelant Francis Anthonimuthu Appulonappa.

                    Peter H. Edelmann et Jennifer Ellis, pour l’appelant Hamalraj Handasamy.

                    Micah B. Rankin et Phillip C. Rankin, pour l’appelant Jeyachandran Kanagarajah.

                    Gregory P. DelBigio, c.r., et Lisa Sturgess, pour l’appelant Vignarajah Thevarajah.

                    W. Paul Riley, c.r., et Banafsheh Sokhansanj, pour l’intimée.

                    Hart Schwartz et Padraic Ryan, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    Chantal Tie, Laïla Demirdache et Michael Bossin, pour l’intervenante Amnesty International (Canadian Section, English Branch).

                    Marlys A. Edwardh et Daniel Sheppard, pour l’intervenante l’Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique.

                    Andrew I. Nathanson et Gavin Cameron, pour l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles.

                    Angus Grant, Catherine Bruce, Laura Best et Fadi Yachoua, pour l’intervenant le Conseil canadien pour les réfugiés.

                    Andrew J. Brouwer, Jennifer Bond et Erin Bobkin, pour l’intervenante l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés.

                     Version française du jugement de la Cour rendu par

                     La Juge en chef —

I.              Introduction

[1]                              Le 17 octobre 2009, l’Ocean Lady a été intercepté au large de la côte ouest de l’île de Vancouver, en Colombie‑Britannique, avec à son bord 76 personnes, dont les appelants. Tous des Tamouls du Sri Lanka, ils ont affirmé avoir fui leur pays parce que leur vie était en danger au lendemain de la guerre civile. Ils ont demandé l’asile au Canada. Aucun d’eux n’était muni des documents juridiques requis.

[2]                              Selon le ministère public, les quatre appelants — le capitaine et les principaux membres de l’équipage du bateau — avaient organisé l’affaire. Le ministère public fait valoir que la majorité des passagers avait payé, ou promis de payer, entre 30 000 $ et 40 000 $ chacun pour la traversée.

[3]                              Les appelants ont été accusés en vertu de l’art. 117  de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés , L.C. 2001, c. 27  (« LIPR  »), selon lequel commet une infraction quiconque « organise » l’entrée au Canada d’une personne en contravention à la LIPR  « ou incite, aide ou encourage » une telle personne à entrer au Canada. Un verdict de culpabilité peut, entre autres conséquences, emporter une longue peine d’emprisonnement et faire obstacle à une demande d’asile.

[4]                              Avant leur procès, les appelants ont contesté la constitutionnalité de l’art. 117  de la LIPR , au motif qu’il viole le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garanti par l’art. 7  de la Charte canadienne des droits et libertés . Selon le juge du procès, l’art. 117 est inconstitutionnel parce qu’il criminalise non seulement le passage organisé de clandestins, mais également le fait d’aider un proche parent à entrer au Canada ainsi que le fait de fournir de l’aide humanitaire à des demandeurs d’asile. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a infirmé cette décision, jugeant la disposition constitutionnelle.

[5]                              Pour les motifs qui suivent, je conclus que, dans la mesure où l’art. 117 permet que soient intentées des poursuites reprochant des actes d’aide humanitaire en faveur de sans‑papiers, d’assistance mutuelle entre demandeurs d’asile ou d’aide fournie par une personne à des membres de sa famille, il est inconstitutionnel. 

II.           Les faits et les décisions des tribunaux inférieurs

A.           Les faits

[6]                              Les autorités canadiennes ont intercepté l’Ocean Lady, un cargo, au large des côtes de l’île de Vancouver. Elles y ont trouvé 76 passagers; tous étaient des demandeurs d’asile tamouls du Sri Lanka qui avaient embarqué en Asie du Sud‑Est : 24 en Indonésie entre juin et août 2009 et 52 en Thaïlande en septembre 2009. Aucun n’était muni des documents requis pour entrer au Canada. La plupart avaient accepté de payer entre 30 000 $ et 40 000 $ pour venir au Canada. Généralement, un versement initial de 5 000 $ avait été exigé avant l’embarquement, ainsi qu’un engagement pour le paiement d’une dette de 25 000 $ à 35 000 $ dont les passagers devaient s’acquitter après leur arrivée au Canada.

[7]                              Les quatre appelants, Francis Anthonimuthu Appulonappa, Hamalraj Handasamy, Jeyachandran Kanagarajah et Vignarajah Thevarajah, auraient été les hommes de terrain d’une opération transnationale à but lucratif visant à faire passer des sans‑papiers de l’Asie du Sud‑Est au Canada. Ils auraient organisé les demandeurs d’asile en Indonésie et en Thaïlande avant leur embarquement et auraient constitué les membres d’équipage principaux du navire pendant la traversée vers le Canada — M. Handasamy à titre de capitaine, M. Thevarajah à titre de chef mécanicien et MM. Kanagarajah et Appulonappa à titre de membres clés de l’équipage.

[8]                              Les appelants ont été accusés d’« entrée illégale » en vertu de l’art. 117  de la LIPR , lequel disposait, à la date pertinente :

                        117. (1) Commet une infraction quiconque sciemment organise l’entrée au Canada d’une ou plusieurs personnes non munies des documents — passeport, visa ou autre — requis par la présente loi ou incite, aide ou encourage une telle personne à entrer au Canada.

[9]                              La LIPR a été modifiée par la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, c. 17, par. 41(1) et (4), en vertu desquels le par. 117(1) a été remplacé et deux autres paragraphes ont été ajoutés à cet article. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 15 décembre 2012. L’article 117, tel qu’il était à l’époque des infractions que l’on reproche aux appelants, n’est donc plus en vigueur. La question de la constitutionnalité de l’art. 117 actuel ne nous a pas été soumise.

B.            Cour suprême de la Colombie‑Britannique, 2013 BCSC 31, 358 D.L.R. (4th) 666

[10]                          Dans le cadre d’un voir‑dire, les appelants ont demandé au juge Silverman de déclarer que l’art. 117  de la LIPR  était inconstitutionnel en raison de sa portée excessive. Ils n’ont pas fait valoir que cette disposition était inconstitutionnelle dans la mesure où elle s’appliquait aux faits qui leur sont reprochés, à savoir qu’ils faisaient partie d’une opération de passage de clandestins à des fins lucratives. Ils ont plutôt avancé que l’art. 117 était inconstitutionnel parce qu’il pouvait entraîner la condamnation de travailleurs humanitaires ayant aidé par altruisme des demandeurs d’asile ou de personnes ayant fait de même pour des membres de leur famille. À leur avis, incriminer de telles personnes outrepasse l’intention du législateur relativement à l’art. 117 et viole la garantie de liberté en contrevenant au principe de justice fondamentale qui interdit la portée excessive. Cette atteinte à la liberté garantie par l’art. 7  de la Charte  n’était pas, affirment‑ils, justifiée au regard de l’article premier.

[11]                          Le ministère public a convenu que l’objet de l’art. 117 ne consistait pas à condamner des personnes qui aident des proches parents à entrer au Canada ou qui fournissent légitimement de l’aide humanitaire à des gens qui entrent au Canada. Il a cependant affirmé que l’art. 117 n’avait pas une portée excessive pour autant, étant donné que le par. 117(4)  de la LIPR  exige que le procureur général du Canada autorise les poursuites, ce qui permet d’écarter les personnes qui appartiennent à ces catégories.

[12]                          Le juge Silverman a conclu, comme le soutenait le ministère public, que l’objet de l’art. 117 ne s’étendait pas à la poursuite de véritables travailleurs humanitaires ou de membres d’une famille qui s’entraident. Or, puisque l’art. 117 permet que ces personnes soient poursuivies, il viole la liberté garantie par l’art. 7 d’une manière excessive et, partant, contraire aux principes de justice fondamentale. Le juge Silverman a estimé qu’on ne pouvait donner à l’art. 117 une interprétation atténuée qui serait conforme à la Charte  et que le consentement préalable du procureur général prévu au par. 117(4) et auquel toute poursuite est subordonnée n’empêchait pas l’art. 117 d’être inconstitutionnel pour cause de portée excessive. Cette portée excessive n’était pas non plus, à son avis, justifiée au regard de l’article premier de la Charte . Le juge Silverman a donc déclaré l’art. 117  de la LIPR  incompatible avec l’art. 7  de la Charte  et inopérant en vertu de l’art. 52  de la Loi constitutionnelle de 1982 . Il a ordonné l’annulation des actes d’accusation formulés contre les appelants (2013 BCSC 198).

C.            Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, 2014 BCCA 163, 355 B.C.A.C. 98

[13]                          Devant la Cour d’appel, le ministère public a modifié son argument concernant l’objet de l’art. 117  de la LIPR . Il a fait valoir que cette disposition avait été adoptée afin d’interdire toute organisation d’entrée illégale au Canada et toute aide à l’entrée illégale au Canada, y compris l’aide humanitaire et l’assistance fournie par une personne à de proches parents, ce qui, selon le ministère public, permettait de favoriser la réalisation des objectifs suivants du Canada : (1) le droit de regard sur les entrées sur son territoire; (2) la protection de la santé des Canadiens et la garantie de leur sécurité; (3) le maintien de l’intégrité et de l’efficacité des régimes légitimes d’immigration et d’asile du Canada et (4) la promotion de la justice et de la coopération à l’échelle internationale relativement aux questions de sécurité.

[14]                          La Cour d’appel a accepté cet argument modifié concernant l’objet de l’art. 117 de la LIPR et, sur ce fondement, a conclu à la constitutionnalité de la disposition. Selon la juge Neilson (avec l’accord des juges Bennett et Hinkson), historiquement, les lois canadiennes qui ont criminalisé l’aide aux sans‑papiers n’ont jamais prévu d’exception fondée sur le mobile du contrevenant ou d’autres caractéristiques. En 1988, à l’époque de l’adoption de la disposition en cause, la création d’une exception visant les travailleurs humanitaires a été envisagée, mais le législateur, soucieux [traduction] « des difficultés que présentent les définitions » et des « failles », l’a rejetée (par. 107). La cour estimait que l’objet de l’art. 117 s’accordait avec sa portée, et que cette disposition n’avait pas une portée excessive. 

[15]                          La cour a ajouté que le consentement du procureur général exigé au par. 117(4) préalablement à une poursuite permettait d’éviter des poursuites injustifiées contre des personnes ayant agi pour des raisons d’ordre humanitaire, familial ou autre. Si le procureur général autorisait la poursuite de quiconque a aidé des parents proches ou fourni de l’aide humanitaire, le défaut serait attribuable, non pas à la portée excessive du par. 117(1), mais à l’exercice irrégulier du pouvoir discrétionnaire que le par. 117(4) accorde au ministre.

[16]                          En conséquence, la Cour d’appel a accueilli l’appel, infirmé la déclaration d’invalidité, annulé les acquittements et renvoyé l’affaire pour qu’elle soit jugée en première instance.

III.        Le régime législatif

[17]                          La LIPR  (dont les dispositions pertinentes figurent à l’annexe A) est un instrument complexe qui encadre l’entrée au Canada de ressortissants étrangers par deux filières : celle de l’immigration et celle de la protection des réfugiés. Le présent pourvoi porte principalement sur la seconde. La LIPR  vise à mettre en place à l’intention des réfugiés « une procédure équitable et efficace qui soit respectueuse, d’une part, de l’intégrité du processus canadien d’asile et, d’autre part, des droits et des libertés fondamentales reconnus à tout être humain » (al. 3(2)e)). Ces deux objectifs reposent sur l’adhésion du Canada à des conventions et protocoles internationaux que nous examinerons davantage plus loin.

[18]                          Un important risque pour l’intégrité du processus canadien de protection des réfugiés est l’entrée au Canada de personnes non autorisées qui contournent ce régime légitime. Pour lutter contre une telle menace, la LIPR  prévoit deux dispositions qui sanctionnent les personnes qui en aident d’autres à entrer au Canada sans être munies des documents requis par les autorités frontalières.

[19]                          L’alinéa 37(1)b) de la LIPR a pour effet d’interdire une personne de territoire si elle s’est livrée, « dans le cadre de la criminalité transnationale », au passage de clandestins et fait obstacle à l’examen au fond de sa demande d’asile. L’article 117, placé sous la note marginale « Entrée illégale », crée une infraction. Il était ainsi rédigé à la date pertinente :

                        117. (1) Commet une infraction quiconque sciemment organise l’entrée au Canada d’une ou plusieurs personnes non munies des documents — passeport, visa ou autre — requis par la présente loi ou incite, aide ou encourage une telle personne à entrer au Canada[1].

[20]                          Les paragraphes 117(2) et (3) prévoient des peines d’emprisonnement et des amendes. À l’époque des accusations, aux termes de l’al. 121(1) c) de la LIPR , dont la note marginale indiquait « Infliction de la peine », le tribunal devait tenir compte, pour la détermination de la peine visée à l’art. 117, du fait que l’infraction avait été perpétrée en vue d’en tirer un profit[2].

[21]                          Le paragraphe 117(4) prévoit un mécanisme de filtrage : les poursuites sont subordonnées au consentement du procureur général.

[22]                          Bref, participer à l’entrée non autorisée d’autres personnes au Canada peut entraîner deux conséquences sous le régime de la LIPR . Premièrement, l’acte est susceptible de mener à des poursuites, et une déclaration de culpabilité sur le fondement de l’art. 117 risque de se traduire par une peine d’emprisonnement ou des amendes substantielles ou les deux. Deuxièmement, la personne qui se livre à certaines activités prohibées risque d’être interdite de territoire au Canada en vertu de l’al. 37(1)b). La première conséquence — les poursuites intentées en vertu du l’art. 117 — est l’objet du présent pourvoi. La deuxième conséquence — l’interdiction de territoire au Canada — est l’objet des pourvois connexes B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704.

IV.        Les questions en litige

[23]                          La Charte s’applique aux ressortissants étrangers qui entrent au Canada sans documents (Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177). L’article 7  de la Charte  dispose :

                        7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Comme l’art. 117  de la LIPR  prévoit des peines pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement à perpétuité, il constitue une menace à la liberté qui fait manifestement entrer en jeu l’art. 7  de la Charte  (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.‑B.), [1985] 2 R.C.S. 486, p. 492).

[24]                          La principale question dont nous sommes saisis est de savoir si l’art. 117  de la LIPR  menace la liberté garantie par l’art. 7  de la Charte  d’une manière qui est contraire aux principes de justice fondamentale. Dans l’affirmative, une deuxième question se pose : cette atteinte est‑elle justifiée au regard de l’article premier de la Charte ? Si la réponse à cette deuxième question est négative, une dernière question se pose : quelle est la réparation qu’il convient d’appliquer à l’égard de l’inconstitutionnalité de l’art. 117?

[25]                          Les appelants font valoir que l’art. 117 viole l’art. 7  de la Charte  parce qu’il fait entrer dans son champ d’application deux catégories de personnes qui ne sont pas visées par son objet — les personnes qui assistent des parents proches à entrer au Canada et les travailleurs humanitaires qui aident des personnes fuyant la persécution à entrer au Canada, dans les deux cas sans les documents requis. Selon les appelants, l’art. 117 a donc une portée excessive, ce qui est contraire aux principes de justice fondamentale. Ils affirment également que la disposition enfreint les principes de justice fondamentale parce que son effet sur la liberté est exagérément disproportionné par rapport à la conduite qu’elle sanctionne, parce qu’elle est inconstitutionnelle pour cause d’imprécision et parce qu’elle perpétue l’inégalité.

V.           Discussion

A.           L’article 117  de la LIPR  enfreint‑il l’art. 7  de la Charte ?

(1)           La portée excessive

[26]                          On dira d’une loi qu’elle viole nos valeurs fondamentales du fait de sa portée excessive lorsqu’elle « va trop loin et empiète sur un comportement sans lien avec son objectif » (Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, par. 101). Comme la Cour l’indique dans l’arrêt Bedford, « [l]’application de la notion de portée excessive permet au tribunal de reconnaître qu’une disposition est rationnelle sous certains rapports, mais que sa portée est trop grande sous d’autres » (par. 113; voir également Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331, par. 85).

[27]                          Dans l’analyse de la portée excessive, le premier volet sert à définir l’objet de la loi attaquée. Le deuxième vise à déterminer si la loi prive une personne de son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne dans les cas où la réalisation de cet objet n’est pas favorisée. Dans la mesure où c’est le cas, la loi prive alors la personne de ses droits garantis par l’art. 7 d’une manière qui porte atteinte aux principes de justice fondamentale.

[28]                          Les appelants affirment que la portée de l’art. 117 est excessive, non pas dans son application à la conduite qui leur est reprochée, mais parce qu’il peut s’appliquer à d’autres situations raisonnablement prévisibles. Selon un principe bien établi, le tribunal peut tenir compte de « situations hypothétiques raisonnables » afin de déterminer si une loi est conforme à la Charte  (voir R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773).

[29]                          Le premier scénario que les appelants nous demandent d’examiner est celui d’une personne qui aide un proche parent à se réfugier au Canada. Les appelants donnent l’exemple d’une mère qui porte son jeune enfant dans ses bras et celui d’un père de famille qui fait monter les personnes à sa charge avec lui à bord d’un bateau. Ce scénario pourrait s’étendre aussi aux demandeurs d’asile sans lien de parenté qui s’assistent mutuellement. En effet, la situation de demandeurs d’asile qui s’entraident au cours de leur fuite collective vers la sécurité ne diffère pas de manière significative de celle de membres d’une famille qui s’aident l’un l’autre et, comme le démontre l’arrêt connexe B010, c’est une situation raisonnablement prévisible.

[30]                          Le second scénario mis de l’avant par les appelants est celui d’une personne qui, pour des raisons d’ordre humanitaire, en aide d’autres à fuir la persécution. L’histoire regorge d’exemples de ce genre. Il arrive qu’une telle personne agisse en son nom propre. Il arrive aussi qu’elle soit membre d’une organisation qui se charge d’aider des gens à fuir des pays où ils sont exposés à des menaces et à la persécution. Il arrive que des congrégations aident des sans‑papiers à obtenir l’asile au Canada (Débats de la Chambre des communes, vol. VII, 2e sess., 33e lég., 12 août 1987, p. 8002 (l’hon. Gerry Weiner, ministre d’État (Immigration))). L’aide humanitaire aux personnes qui fuient la persécution n’appartient pas à l’hypothétique; il s’agit d’une réalité tant historique que contemporaine.

a)      L’objet de l’art. 117  de la LIPR 

[31]                          Comme nous l’avons vu, l’analyse de la portée excessive cherche à déterminer si la portée de la loi dépasse son objet. La première étape consiste donc à circonscrire l’objet de l’art. 117.

[32]                          Le ministère public prétend que l’objet de l’art. 117 consiste à faire tomber sous le coup de la loi tout acte qui aide de quelque façon que ce soit des sans‑papiers à entrer au Canada. Selon cette interprétation, la portée de l’art. 117 ne peut être excessive. Les appelants, en revanche, affirment que l’infraction de passage de clandestins a un objet plus restreint que celui qu’avance le ministère public, ce qui signifie que la disposition a une portée excessive du fait qu’elle criminalise tous les actes d’aide.

[33]                          Tout comme en matière d’interprétation législative, pour déterminer l’objet d’une loi, on doit tenir compte des énoncés faits quant à son objet, de son libellé, du contexte législatif et d’autres facteurs pertinents (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), p. 268‑287; R. c. Chartrand, [1994] 2 R.C.S. 864, p. 879‑882). Il peut également être utile de consulter le droit international dans les cas où la loi est adoptée à la suite d’engagements internationaux.

[34]                          Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec les appelants pour dire que l’objet de l’art. 117 est plus restreint que ne l’entend le ministère public. Certes, le libellé de l’art. 117 ratisse large. Or, on peut dégager un objet restreint des éléments suivants : (1) les instruments internationaux auxquels est partie le Canada; (2) le rôle de l’art. 117 à la lumière de la loi dans son ensemble et, plus particulièrement, du par. 37(1); (3) les énoncés quant à l’objet de la LIPR ; (4) l’évolution de l’art. 117 et (5) les débats parlementaires. Il ressort de ces indices que l’objet véritable de l’art. 117 constitue la lutte contre le passage de clandestins. Le sens du terme « passage de clandestins », qui figure à l’al. 37(1) b) de la LIPR , est le sujet de l’affaire connexe B010. Il ne vise pas de simples actes humanitaires, ni l’assistance mutuelle ou l’aide fournie par une personne à des membres de sa famille. Je conclus que l’art. 117 contrevient à la Charte  parce qu’il fait entrer dans son champ d’application ces catégories d’actes qui outrepassent son objet.

(i)            Le libellé de la disposition

[35]                 À l’époque pertinente, l’art. 117 était ainsi libellé :

                        117. (1) [Entrée illégale] Commet une infraction quiconque sciemment organise l’entrée au Canada d’une ou plusieurs personnes non munies des documents — passeport, visa ou autre — requis par la présente loi ou incite, aide ou encourage une telle personne à entrer au Canada.

                        (2) [Peines] L’auteur de l’infraction visant moins de dix personnes est passible, sur déclaration de culpabilité :

                          a) par mise en accusation :

                               (i) pour une première infraction, d’une amende maximale de cinq cent mille dollars et d’un emprisonnement maximal de dix ans, ou de l’une de ces peines,

                               (ii) en cas de récidive, d’une amende maximale de un million de dollars et d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, ou de l’une de ces peines;

                          b) par procédure sommaire, d’une amende maximale de cent mille dollars et d’un emprisonnement maximal de deux ans, ou de l’une de ces peines.

                        (3) [Peines] L’auteur de l’infraction visant un groupe de dix personnes et plus est passible, sur déclaration de culpabilité par mise en accusation, d’une amende maximale de un million de dollars et de l’emprisonnement à perpétuité, ou de l’une de ces peines.

                        (4) [Consentement du procureur général du Canada] Il n’est engagé aucune poursuite pour une infraction prévue au présent article sans le consentement du procureur général du Canada.

[36]                          Tous conviennent que le par. 117(1) est libellé en termes suffisamment larges pour s’appliquer à l’aide humanitaire ainsi qu’à l’assistance fournie par une personne à des parents proches. On pourrait faire valoir que le législateur l’entendait ainsi puisqu’il a choisi cette formulation. Or, suivant la doctrine de la portée excessive, il se peut que « dans un but légitime, l’État utilise des moyens excessifs pour atteindre cet objectif » (R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761, p. 792; Bedford, par. 101; Carter, par. 85). La possibilité d’un « manque de logique fonctionnelle », soit qu’une disposition donnée ne permette pas logiquement de réaliser l’objet de la loi, commande aux tribunaux de ne pas s’en tenir uniquement au libellé et de se demander si d’autres considérations donnent à penser que l’intention du législateur était plus restreinte (Bedford, par. 107).

[37]                          Avant de conclure mes observations concernant le libellé, je signale que, malgré les termes généraux du paragraphe qui prévoit les éléments de l’infraction (par. 117(1)), d’autres parties de l’art. 117 étayent le point de vue selon lequel l’intention du législateur n’était pas de criminaliser l’entraide familiale ou l’aide humanitaire. La note marginale de l’art. 117, « Entrée illégale », envisagée à la lumière de la rubrique intitulée « Organisation d’entrée illégale au Canada », bien qu’il ne faille pas y accorder beaucoup de poids (voir Sullivan, p. 465‑468), donne à penser que la disposition vise les activités liées au passage de clandestins dans le contexte du crime organisé, plutôt que l’aide humanitaire apportée à quelqu’un cherchant à entrer au pays sans être muni des documents requis ou l’assistance fournie par une personne dans ce but à des parents proches[3].

[38]                          Les paragraphes 117(2) et (3) étayent également le point de vue selon lequel le législateur entendait que la disposition s’applique au passage de clandestins dans le contexte du crime organisé, et non à des actes d’aide humanitaire, d’assistance mutuelle ou d’entraide familiale. En effet, ces dispositions prévoient des peines alourdies pour l’auteur de l’infraction qui a fait entrer au Canada plus d’un certain nombre de personnes, ce qui suggère que l’infraction qui intéressait particulièrement le législateur était le passage organisé de clandestins à grande échelle.  

[39]                          Enfin, le fait que le par. 117(4) subordonne toute poursuite au consentement du procureur général laisse entendre que l’art. 117 n’est pas censé donner lieu à la condamnation de tous ceux à qui les termes très généraux de son par. (1) s’appliquent, ainsi que nous le verrons plus en détail.

(ii)          Les obligations internationales du Canada

[40]                          Suivant les règles d’interprétation des lois, la loi est présumée respecter les obligations internationales du Canada, et les tribunaux devraient éviter les interprétations inconciliables avec celles‑ci. Les tribunaux doivent également interpréter la loi d’une manière qui reflète les valeurs et les principes du droit international coutumier et conventionnel (R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292, par. 53; Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281, par. 34). L’article 3  de la LIPR  exige en outre que l’interprétation de cette loi ait pour effet de respecter les obligations internationales du Canada, notamment les « instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire » (al. 3(3)f); voir également l’al. 3(2)b)). Les instruments internationaux pertinents auxquels le Canada est partie devraient donc faire la lumière sur l’intention du législateur lorsqu’il a adopté l’art. 117  de la LIPR .

[41]                          Les dispositions de la LIPR  qui concernent la lutte contre l’aide à l’entrée non autorisée au Canada font écho aux engagements internationaux que le Canada a pris à cet égard en adhérant à la Convention relative au statut des réfugiés, 189 R.T.N.U. 150 (« Convention relative aux réfugiés »), la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, 2225 R.T.N.U. 209, le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, 2241 R.T.N.U. 480 (« Protocole contre le trafic illicite »), et le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, 2237 R.T.N.U. 319.

[42]                          La Convention relative aux réfugiés répond à des préoccupations d’ordre humanitaire. Elle précise que les États ne doivent pas appliquer de sanctions pénales, du fait de leur entrée irrégulière, aux réfugiés qui arrivent directement d’un territoire où leur vie ou leur liberté est menacée et qui se trouvent sur leur territoire sans autorisation, « sous la réserve qu’ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières » (par. 31(1)).

[43]                          Conformément à cette disposition de la Convention, l’art. 133  de la LIPR  prévoit que les sans‑papiers qui entrent au Canada ne peuvent, tant qu’il n’est pas statué sur leur demande d’asile, être accusés d’entrée ou de présence irrégulières. Ainsi que je l’explique dans l’arrêt B010, le par. 31(1) de la Convention relative aux réfugiés cherche à protéger les véritables réfugiés qui entrent illégalement au pays pour y demander l’asile. Pour qu’ils soient effectivement protégés, il faut que la loi reconnaisse que souvent les demandeurs d’asile se regroupent et s’entraident pour entrer illégalement dans un pays. L’État qui respecte le par. 31(1) ne peut infliger de sanctions pénales aux demandeurs d’asile simplement parce qu’ils en ont aidé d’autres à entrer illégalement dans un pays au cours de leur fuite collective vers la sécurité.

[44]                          Le Protocole contre le trafic illicite vise à mettre fin à la criminalité organisée dans le passage de clandestins. Il cherche à la prévenir et à la combattre, ainsi qu’à favoriser la coopération entre les États à cette fin, tout en protégeant les droits des migrants qui sont l’objet d’un tel trafic (art. 2). L’alinéa 6(1)a) exige que les États signataires adoptent des mesures pour conférer le caractère d’infraction pénale au trafic illicite de migrants. Le Protocole contre le trafic illicite prévoit minimalement que cette infraction consiste à assurer l’entrée illégale dans un État d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État « afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel » (al. 3a)). J’explique dans l’arrêt B010 que le Protocole contre le trafic illicite ne vise pas les activités de membres d’une famille ou de travailleurs humanitaires (par. 60 et 68). Par ailleurs, bien que le Protocole contre le trafic illicite permette aux États signataires d’adopter des lois nationales qui criminalisent les infractions liées à la migration, il prévoit une « clause de sauvegarde » selon laquelle aucune de ses dispositions « n’a incidences sur les autres droits, obligations et responsabilités des États et des particuliers en vertu du droit international, y compris du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme » (par. 19(1)). En permettant que soient intentées des poursuites visant des actes d’assistance mutuelle entre demandeurs d’asile, des actes d’entraide familiale et de réunification des familles ou encore des actes d’aide humanitaire, on romprait l’équilibre établi par le Protocole contre le trafic illicite. Ainsi, on peut penser que l’interprétation libérale de l’objet de l’art. 117 avancée par le ministère public est inconciliable avec l’objet du Protocole contre le trafic illicite, qui est de protéger les droits des migrants objet de trafic illicite.

[45]                          Lorsque les tribunaux doivent examiner des énoncés contradictoires quant à l’objet d’une loi, la solution consiste dans une interprétation de cette dernière qui s’harmonise avec les obligations prévues dans les instruments internationaux auxquels le Canada est partie afin d’éviter les conflits et de donner effet à chacun des différents engagements. À mon avis, il ressort des engagements internationaux du Canada, dont l’interprétation éclaire celle de la loi, que l’objet de l’art. 117 est de lutter vigoureusement contre le passage de clandestins dans le contexte de la criminalité organisée, et non de criminaliser les actes qui constituent uniquement de l’aide humanitaire, de l’assistance mutuelle ou de l’entraide familiale.

(iii)        Le rôle de l’art. 117 dans la LIPR 

[46]                          L’article 117  de la LIPR  doit en outre s’harmoniser avec les autres dispositions de la loi.

[47]                          Il figure à la partie 3 de la LIPR , intitulée « Exécution ». L’article 117 et les dispositions suivantes paraissent sous la rubrique « Organisation d’entrée illégale au Canada ». Étant donné que l’art. 118 crée l’infraction de trafic de personnes, il s’ensuit, comme je l’ai expliqué précédemment, que l’art. 117 crée l’infraction de passage de clandestins. La seule autre mention dans la LIPR du passage de clandestins ou du trafic de personnes figure à l’al. 37(1)b), lequel interdit de territoire au Canada quiconque se livre à l’une ou l’autre de ces activités.

[48]                          Ainsi que je l’explique dans l’arrêt B010, la conduite visée par l’al. 37(1)b) est celle que prévoit le Protocole contre le trafic illicite. Dans ce contexte, il y a passage de clandestins seulement lorsqu’« un avantage financier ou un autre avantage matériel » est obtenu « dans le cadre de la criminalité transnationale ». En interprétant les dispositions de la LIPR  relatives à l’inadmissibilité et à l’exécution harmonieusement et en tenant compte du fait qu’elles s’inscrivent dans un régime intégré, on peut conclure que l’objet de l’art. 117 est de sanctionner quiconque organise l’entrée illégale de personnes au Canada ou les encourage à y entrer illégalement par des actes qu’il ou elle sait liés à la criminalité transnationale organisée ou dans un but criminel ou favorisant de telles activités en vue d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel. Ne sont pas visés les actes d’aide humanitaire, d’assistance mutuelle ou d’entraide familiale.

(iv)        Les énoncés de l’objet de la loi

[49]                          La [traduction] « preuve la plus directe et la plus digne de foi » de l’objet d’une disposition législative se trouve dans l’énoncé même de cet objet, placé soit au début de la loi, soit dans la partie où s’insère la disposition, soit dans les parties qui fournissent des directives interprétatives (Sullivan, p. 274‑276).

[50]                          Dans l’arrêt Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431, par. 29‑30, la Cour conclut que la Convention relative aux réfugiés poursuit l’objectif général d’ordre humanitaire d’accorder l’asile à ceux qui fuient la persécution, tout en reconnaissant le besoin des États de protéger leurs frontières.

[51]                          Comme je le précise dans l’arrêt B010, les dispositions énonçant les objets de la LIPR  établissent que ces deux grands objectifs sont importants aussi dans la LIPR . Il s’ensuit que l’art. 117 devrait recevoir une interprétation équilibrée tenant compte tant des préoccupations liées à la sécurité que des objectifs humanitaires de la LIPR . Or, si l’interprétation de l’art. 117 permettait qu’il vise toute forme d’aide à des sans‑papiers, les premières l’emporteraient alors sur les seconds.

[52]                          Le point de vue du ministère public selon lequel l’art. 117 vise toute forme d’aide apportée à des sans‑papiers se fonde largement sur le fait que l’un des objets de la LIPR  se rapporte au contrôle frontalier visant à empêcher l’entrée illégale de clandestins au Canada, pour des raisons de sécurité et de santé. Certes, il s’agit d’un objet important de la LIPR , énoncé à l’al. 3(2)h), soit de « promouvoir, à l’échelle internationale, la sécurité et la justice par l’interdiction du territoire aux personnes et demandeurs d’asile qui sont de grands criminels ou constituent un danger pour la sécurité » (voir aussi l’al. 3(1)i)). Il se trouve également dans l’objet qui consiste à « protéger la santé des Canadiens et [à] garantir leur sécurité » (al. 3(2)g); voir aussi l’al. 3(1)h)).

[53]                          Une préoccupation en matière de sécurité ressort en outre des objets exprès de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et apportant des modifications corrélatives au Code criminel, L.R.C. 1985, c. 29 (4e suppl.), laquelle a créé la disposition qui est devenue l’art. 117  de la LIPR  (les « modifications de 1988 ») :

                        1. La Loi sur l’immigration est modifiée par insertion, après l’article 2, de ce qui suit :

Objet des modifications

2.1 . . .

                    a) de préserver pour les personnes qui ont véritablement besoin de protection l’accès à la procédure de détermination des revendications du statut de réfugié;

                    b) de contrôler les fréquents abus de la procédure de détermination des revendications du statut de réfugié en raison notamment d’incidents délibérés impliquant l’introduction à grande échelle au Canada de personnes cherchant à se prévaloir de cette procédure;

                    c) de décourager ceux qui aident à l’introduction illégale de personnes au Canada afin de minimiser l’exploitation des personnes désireuses d’entrer au Canada et les risques qu’elles courent;

                    d) de répondre aux préoccupations en matière de sécurité et, notamment, de remplir les obligations du Canada à l’égard des personnes jouissant de la protection internationale.

[54]                          Or, cette même loi reconnaissait aussi les engagements d’ordre humanitaire, dont l’objet « de préserver pour les personnes qui ont véritablement besoin de protection l’accès à la procédure de détermination des revendications du statut de réfugié », et les préoccupations liées à « l’exploitation » des personnes désireuses d’entrer au Canada et des risques courus par celles‑ci (l’art. 1 a ajouté les al. 2.1a) et c)).

[55]                          Les objets généraux de la LIPR  révèlent également l’importance accordée à ses grands principes humanitaires. L’alinéa 3(2)c) fait état des « idéaux humanitaires du Canada ». Les énoncés parlent notamment de « sauver des vies et [de] protéger les personnes de la persécution », d’offrir « l’asile à ceux qui craignent avec raison d’être persécutés » (al. 3(2)a) et d)) et de voir à se conformer aux « instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire » (al. 3(3)f); voir également l’al. 3(2)b)).

[56]                          La LIPR  révèle en outre un engagement envers la famille, car faciliter la réunification des familles au Canada compte au nombre de ses objets énoncés (al. 3(2)f)).

[57]                          Pour résumer, même si les objets en matière de sécurité de la LIPR et de la modification qui deviendra l’art. 117 importent, ils ne supplantent pas l’engagement du Canada à l’égard de l’aide humanitaire et de la réunification des familles. Ces deux objectifs généraux doivent être respectés. Pour ce faire, il faut donner à l’art. 117 une interprétation qui fait entrer dans son champ d’application le passage de clandestins lié à la criminalité organisée, mais en exclut les actes d’aide humanitaire, d’assistance mutuelle ou d’entraide familiale. Suivant l’interprétation du ministère public, le père qui entoure son enfant grelottant d’une couverture ou des amis qui partagent de la nourriture à bord d’un navire transportant des clandestins pourraient être poursuivis. Un tel résultat est inconciliable avec les objets en matière de protection des réfugiés de la LIPR et de la modification qui deviendra l’art. 117.

(v)          L’évolution législative de l’art. 117

[58]                          L’historique législatif d’une disposition peut être utile lorsqu’il s’agit d’arrêter son objet (Sullivan, p. 286‑287).

[59]                          Depuis 1902, le Canada a adopté des lois qui criminalisent le fait d’aider des sans‑papiers à entrer au Canada. Les premières versions de l’infraction concernaient surtout l’organisation d’arrivées illégales, par train ou par navire, et ne s’attachaient guère au sort des migrants, qui étaient généralement expulsés (Acte modifiant l’Acte d’immigration, S.C. 1902, c. 14, art. 2; Loi de l’immigration, S.R.C. 1906, c. 93, art. 65 et 66).

[60]                          En 1919, aux termes du par. 12(4) de la Loi modifiant la Loi de l’Immigration, S.C. 1919, c. 25, quiconque débarquait au Canada ou hébergeait tout immigrant à qui l’entrée était interdite ou en dissimulait l’entrée au Canada commettait une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et assortie d’une peine maximale de six mois d’emprisonnement, d’une amende ou des deux. Des infractions largement similaires ont été reprises dans les versions de 1952 et de 1976 de la loi régissant l’immigration.

[61]                          En 1988, « en raison [. . .] d’incidents délibérés impliquant l’introduction à grande échelle au Canada de personnes », des modifications apportées à la loi ont créé une nouvelle infraction qui, sauf pour quelques changements mineurs, constitue l’infraction que prévoit actuellement l’art. 117  de la LIPR  (l’art. 1 des modifications de 1988 a ajouté l’al. 2.1b)). Cette disposition criminalisait l’aide fournie par des tiers à des sans‑papiers. Elle prévoyait des peines maximales dans les cas où les sans‑papiers étaient peu nombreux : un emprisonnement de six mois et une amende de 2 000 $ ou l’une de ces peines, par procédure sommaire, et un emprisonnement de cinq ans et une amende de 10 000 $ ou l’une de ces peines, par mise en accusation. Par comparaison, dans les cas où le nombre de sans‑papiers était de 10 ou plus, les poursuites devaient obligatoirement être intentées par mise en accusation, et la peine maximale prévue était un emprisonnement de 10 ans et une amende d’au plus 500 000 $ ou l’une de ces peines (l’art. 9 des modifications de 1988 a ajouté les art. 94.1 et 94.2). Par conséquent, au moment de la création de la disposition qui allait devenir l’art. 117, des peines alourdies s’appliquaient déjà à la perpétration à grande échelle, en phase avec des activités démontrant un niveau élevé d’organisation de la part de l’accusé ou des personnes qui agissaient de concert avec lui. L’infraction créée en 1988 comportait également un nouveau mécanisme de filtrage, qui subordonnait au consentement du procureur général toute poursuite intentée à l’égard d’une infraction prévue aux art. 94.1 ou 94.2 (l’art. 9 des modifications de 1988 a ajouté l’art. 94.3).

[62]                          L’actuel art. 117 a été intégré à une nouvelle loi générale régissant l’immigration et la protection des réfugiés — la LIPR  —, adoptée en 2001. L’infraction est essentiellement demeurée la même, et la disposition qui la prévoit maintient le barème des peines ainsi que le mécanisme de filtrage pré‑inculpation. Cependant, la sévérité des sanctions maximales a été considérablement haussée, et une nouvelle disposition sur la détermination de la peine a été adoptée. Aux termes de l’art. 121, au moment de déterminer la peine visée à l’art. 117, le tribunal devait tenir compte des éléments suivants : (1) infliction de blessures ou mort; (2) association avec une organisation criminelle; (3) profit tiré de l’opération; (4) infliction de blessures ou traitement dégradant des clandestins. Ces modifications sont survenues après l’adoption du Protocole contre le trafic illicite, lequel oblige les États parties à criminaliser le trafic illicite de migrants commis pour un avantage financier ou un autre avantage matériel et à prévoir expressément dans leurs lois des circonstances aggravantes, par exemple le préjudice aux migrants ou le traitement dégradant de ceux‑ci (par. 6(1) et (3)). Le deuxième élément énuméré à l’art. 121 révèle un lien étroit entre l’acte reproché et le crime organisé. Les premier et quatrième dénotent des crimes graves. Le troisième indique l’un ou l’autre ou les deux.

[63]                          De ce bref historique de l’évolution des dispositions prohibant le fait d’aider des sans‑papiers à entrer au Canada, je tire les conclusions suivantes : a) depuis plus d’un siècle, les interdictions intéressent les activités de passage de clandestins liées à l’organisation et au soutien de l’entrée illégale, et non simplement l’aide accessoire à celle‑ci; b) les modifications successives de la disposition ont à la fois alourdi les peines et précisé son champ d’application — le passage de clandestins lié au crime organisé —, plus particulièrement la modification de 2001, qui a traduit une importante évolution en droit international; c) l’art. 117, depuis sa création en 1988 jusqu’à sa modification en 2001 dans la LIPR , prévoit un mécanisme de filtrage qui empêche que soit criminalisée l’aide qui n’est pas associée au passage de clandestins lié au crime organisé, c’est‑à‑dire des actes innocents d’aide humanitaire, d’assistance mutuelle ou d’entraide familiale.

(vi)        Les débats parlementaires

[64]                          Les déclarations faites dans le cadre d’une assemblée législative avant l’adoption d’une disposition peuvent permettre d’établir l’objet de cette dernière (Sullivan, p. 277; Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248, par. 37; Global Securities Corp. c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2000 CSC 21, [2000] 1 R.C.S. 494, par. 25; R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, par. 45; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783, par. 17).

[65]                          Selon les débats parlementaires, la promulgation initiale, en 1988, de la disposition créant l’infraction était motivée par des incidents de passage organisé à grande échelle de sans‑papiers au Canada par voie maritime. Les débats ont porté sur la nécessité de protéger la santé et la sécurité des Canadiens et de la société canadienne, l’intégrité et l’efficacité des processus légitimes d’immigration et d’asile et la capacité du Canada de contrôler ses frontières ainsi que les intérêts du Canada sur les plans intérieur et international qui s’y rattachent. Des préoccupations ont également été exprimées à propos de la sécurité et de la protection des véritables réfugiés ainsi que du risque que des groupes humanitaires soient exposés à des poursuites. Le ministre de l’époque, Benoît Bouchard, a résumé en ces termes l’intention du législateur lors de la réunion du comité du 25 août 1987 :

                    Ces mesures nous permettront de mettre un terme aux activités de ceux qui amènent de nombreux immigrants clandestins au Canada. La possibilité d’amender ces articles a été longuement discutée. Nous avons tous insisté auprès des avocats et des rédacteurs de loi pour qu’ils essaient de trouver un autre libellé. Nous nous sommes aussi penchés sur les termes tels que groupe confessionnel, profit, récompense, fraude ou entrée clandestine. Mais chaque tentative de changement réduisait notre capacité de poursuivre les gens sans scrupule. Nous ne pouvons permettre à ces individus d’échapper aux sanctions en ajoutant des termes qui créeraient des problèmes insurmontables quand viendrait le temps d’établir des preuves et qui constitueraient des échappatoires pour les gens sans scrupule.

(Chambre des communes, Procès‑verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C‑84, no 9, 2e sess., 33e lég., p. 24)

[66]                          Par conséquent, il ressort des débats de 1987 que le par. 117(1)  de la LIPR  permet de poursuivre des personnes qui fournissent de l’aide humanitaire aux demandeurs d’asile fuyant la persécution ou qui prêtent assistance à des parents proches, non pas parce que le législateur voulait que ces personnes soient visées, mais en raison d’un dilemme relatif au libellé : on craignait qu’une exception fondée sur une certaine catégorie de personnes ne convienne pas compte tenu de la nature multidimensionnelle et complexe des activités réelles de passage de clandestins. Le législateur a reconnu que les personnes qui fournissent de l’aide humanitaire et celles qui s’entraident n’étaient pas censées être poursuivies en vertu de l’art. 117  de la LIPR . Toutefois, au lieu de soustraire à la responsabilité criminelle ces personnes par voie législative, le législateur a prévu les écarter à l’étape de la poursuite en subordonnant toute poursuite au consentement du procureur général. 

[67]                          Les débats ayant précédé l’adoption de la LIPR  en 2001 évoquent ces préoccupations. Là encore, les députés craignaient que l’art. 117 incrimine les personnes qui aident des membres de leur famille à entrer au Canada ou celles qui fournissent de l’aide humanitaire aux demandeurs d’asile. Le gouvernement a répondu que ces craintes n’étaient pas fondées parce qu’elles concernaient exclusivement le par. 117(1) et ne tenaient pas compte du par. 117(4) qui visait à prévenir ce type de poursuites et toute autre poursuite non désirée. L’extrait suivant des débats parlementaires résume bien ces discussions :

                    M. John McCallum : . . . nous avons, dans le cadre de nos audiences, entendu de nombreux témoignages de personnes qui se consacrent à du travail humanitaire, des religieux et des personnes pleines de bonté, si vous voulez, et ce sont les dernières personnes que nous voudrions jamais poursuivre. Or, si vous lisez attentivement le texte, il semble, littéralement, que certaines de ces personnes qui aident les réfugiés pourraient se faire poursuivre. Ou encore, si ma sœur se trouve dans un mauvais pays et que je lui viens en aide, j’ai bien l’impression que je pourrais, moi, être poursuivi. Comment cela fonctionne‑t‑il?

                    M. Daniel Therrien [avocat général] : La protection contre ce genre de poursuites est explicitée au paragraphe 117(4), qui prévoit qu’aucune poursuite pour une infraction de trafic de personnes ne peut être engagée sans le consentement du procureur général . . .

. . .

                    Mme Joan Atkinson [sous‑ministre adjointe] : . . . Le paragraphe 117(4) correspond à ce qui est déjà dans la loi. [. . .] [Il s’agit d’une mesure] en place [. . .] dans l’actuelle loi et, comme l’a dit Daniel, on n’a jamais poursuivi qui que ce soit pour avoir essayé d’aider des réfugiés à venir au Canada. C’est là la garantie. Toutes les circonstances doivent être examinées par le procureur général, qui devra se pencher sur les considérations humanitaires sans qu’on les définisse. Cela veut dire que le procureur général dispose de toute la marge de manœuvre voulue pour être en mesure d’examiner les circonstances au cas par cas, avant toute décision de poursuivre.

(Chambre des communes, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, no 27, 1re sess., 37e lég., 17 mai 2001 (en ligne), 10 h 35)

[68]                          Ces extraits des débats parlementaires démontrent clairement que le législateur savait que le par. 117(1) criminalisait l’aide humanitaire et l’assistance fournie par une personne à des membres de sa famille, et qu’il comptait sur le pouvoir discrétionnaire du ministre pour éviter les poursuites dans ces cas. L’avocat général, Me Therrien, et la sous‑ministre adjointe, Mme Atkinson, n’ont pas nié que ces cas tombaient sous le coup de l’art. 117, mais ils ont justifié la portée excessive de cette disposition, débordant toute définition raisonnable de l’infraction ciblée de passage de clandestins, en disant que le consentement du procureur général exigé par le par. 117(4) constituerait une « garantie » suffisante contre les poursuites injustifiées. 

[69]                          Bref, nous pouvons légitimement inférer ce qui suit du débat ayant précédé l’adoption de l’art. 117  de la LIPR  : dès le départ, le gouvernement a reconnu que le par. 117(1) avait été formulé de manière suffisamment large pour criminaliser l’aide fournie à des sans‑papiers par des membres de leur famille et des travailleurs humanitaires. Or, il a clairement indiqué que son intention n’était pas de faire tomber sous le coup de l’art. 117 les personnes qui assistent des membres de leur famille, celles qui fournissent de l’aide humanitaire ou celles qui s’assistent mutuellement. Selon le gouvernement, le risque était atténué par l’exigence subordonnant toute poursuite à l’autorisation du procureur général, prévue au par. 117(4)  de la LIPR .

(vii)      Conclusion sur l’objet de l’art. 117  de la LIPR 

[70]                          Ces considérations démontrent que l’art. 117 a pour objet de criminaliser le passage de clandestins au Canada lié à la criminalité organisée, et non des actes constituant simplement de l’entraide familiale, de l’assistance mutuelle entre sans‑papiers qui entrent au Canada ou encore de l’aide humanitaire à de telles personnes. Un objectif punitif général qui permettrait que soient poursuivies des personnes qui sont dépourvues de lien avec le crime organisé et ne font rien pour favoriser le crime organisé est contredit par l’intention du législateur qui se dégage du libellé de l’art. 117, interprétée à la lumière des engagements internationaux du Canada, du rôle de l’art. 117 au sein de la LIPR , des objets de la LIPR , de l’historique de l’art. 117 et des débats parlementaires.

b) La portée de l’art. 117  de la LIPR 

[71]                          J’examine maintenant la portée de l’art. 117  de la LIPR  afin de vérifier s’il « va trop loin et empiète sur un comportement sans lien avec son objectif » (Bedford, par. 101).

[72]                          La portée du par. 117(1) est claire. La disposition ne comporte aucune ambiguïté. Le législateur savait, lorsqu’il a promulgué l’art. 117, que la portée de cette disposition excédait son objet parce qu’elle faisait entrer dans son champ d’application les personnes qui accomplissent des actes d’aide humanitaire, d’assistance mutuelle ou d’entraide familiale en faveur de demandeurs d’asile entrant au Canada. Il a affirmé que cette portée excessive ne posait aucun problème parce que le procureur général n’autoriserait pas la poursuite de ces personnes. Or, il n’est pas possible de contourner le problème de la portée excessive en donnant au par. 117(1) une interprétation qui soustrairait de son champ d’application les personnes qui fournissent de l’aide humanitaire, s’assistent mutuellement ou aident des membres de leur famille. Une telle interprétation obligerait la Cour à faire fi du sens ordinaire des mots employés au par. 117(1), qui prévoit sans la moindre ambiguïté que commet une infraction quiconque « organise [. . .] ou incite, aide ou encourage » des sans‑papiers à entrer au Canada. En faisant droit à cette proposition, nous contreviendrions à la règle d’interprétation des lois portant que les termes employés dans la disposition doivent être interprétés [traduction] « en suivant leur sens grammatical et ordinaire » (Sullivan, p. 28). Il nous faudrait également ne pas tenir compte des déclarations tenues lors des débats législatifs, qui tendaient à indiquer que le législateur savait que la disposition avait une portée excessive.

[73]                          Je conclus que le par. 117(1) semble criminaliser des comportements sans lien avec son objectif, ce qui pourrait indiquer, pour l’art. 117 dans son ensemble, une portée excessive. Reste à déterminer si l’exigence prévue au par. 117(4), qui subordonne toute poursuite au consentement du procureur général, permet de faire échec à une conclusion de portée excessive en restreignant effectivement la portée du par. 117(1).

[74]                          J’estime que le par. 117(4) ne règle pas le problème de portée excessive que crée le par. 117(1). Le pouvoir discrétionnaire du ministre, qu’il soit exercé consciencieusement ou non, n’empêche pas que le par. 117(1) criminalise un comportement que le législateur ne visait pas, ni que des personnes que le législateur ne voulait pas poursuivre risquent d’être poursuivies, déclarées coupables et emprisonnées. Dans la mesure où cette disposition est encore susceptible d’application, et dans la mesure où il n’est pas impossible que le procureur général consente à intenter des poursuites, les personnes qui aident un membre de leur famille, celles qui fournissent de l’aide humanitaire à un demandeur d’asile entrant au Canada ou encore les demandeurs d’asile qui s’assistent mutuellement risquent l’emprisonnement. Si le procureur général autorise qu’une telle personne soit poursuivie, en dépit de l’objet restreint de l’art. 117, la disposition ne prévoit aucune autre protection pour éviter une déclaration de culpabilité ou une peine d’emprisonnement. Cette possibilité, à elle seule, fait intervenir l’art. 7  de la Charte . En outre, comme la Cour le dit à l’unanimité dans l’arrêt R. c. Anderson, 2014 CSC 41, [2014] 2 R.C.S. 167, sous la plume du juge Moldaver, « le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas la solution au manquement à une obligation constitutionnelle » (par. 17). Voir également Nur.

[75]                          Il ressort implicitement de la position de la Cour d’appel que la possibilité que des travailleurs humanitaires ou des membres d’une famille soient poursuivis en vertu de l’art. 117  de la LIPR  est un problème de droit administratif et qu’en cas de contestation constitutionnelle, c’est l’exercice irrégulier, par le procureur général, de l’obligation qui découle du par. 117(4) de ne pas intenter de poursuites contre ces personnes qui devrait être contesté. Je ne suis pas de cet avis. Comme je le souligne précédemment, s’il est vrai que l’art. 117  de la LIPR  n’était pas censé viser ces personnes, rien dans la disposition qui a effectivement été adoptée ne l’interdit. En conséquence, il serait difficile pour la personne accusée de l’infraction prévue à l’art. 117 de contester la décision. Qui plus est, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, et ce pour de bonnes raisons. Ainsi que le fait remarquer la Cour dans l’arrêt Anderson, la surveillance judiciaire des décisions du ministère public d’engager ou non des poursuites brouille les rôles distincts des différents acteurs de notre système accusatoire :

                    Il existe depuis longtemps une réticence fortement enracinée à permettre le contrôle judiciaire automatique de l’exercice d[u] pouvoir discrétionnaire [en matière de poursuites]. [. . .] L’imposition d’une obligation très générale qui donne ouverture à la révision automatique de toutes les décisions susmentionnées va à l’encontre de nos traditions constitutionnelles. [par. 32] 

[76]                          Il importe également de souligner que le contrôle judiciaire de la décision du procureur général d’autoriser une poursuite en vertu du par. 117(4) peut avoir un effet non souhaitable sur d’autres lois fédérales comportant une disposition semblable (voir, p. ex., Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus , L.C. 2011, c. 10 ; Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères , L.R.C. 1985, c. F‑29 ; Loi sur les mesures économiques spéciales , L.C. 1992, c. 17 ; Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre , L.C. 2000, c. 24 ; Loi sur les conventions de Genève , L.R.C. 1985, c. G‑3 ). Il suffit de souligner, à ce stade‑ci, que le contrôle judiciaire ne permet pas de remédier à la non‑conformité constitutionnelle du par. 117(1).

[77]                          Je conclus que l’art. 117 de la LIPR a une portée excessive. La question qu’il reste à trancher est celle de savoir si la portée excessive est justifiée au regard de l’article premier de la Charte  comme étant une mesure raisonnable dans une société libre et démocratique.

(2)           Caractère totalement disproportionné, imprécision et égalité

[78]                          Outre son argument sur la portée excessive, certains appelants affirment que l’art. 117 contrevient à l’art. 7 parce qu’il prive des personnes de leur liberté d’une manière qui viole les principes de justice fondamentale interdisant le caractère totalement disproportionné et l’imprécision. Ils font également valoir que l’égalité devant la loi est un principe de justice fondamentale au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’art. 7, et que l’art. 117 y porte atteinte. Compte tenu de ma conclusion selon laquelle l’art. 117 a une portée excessive, j’estime qu’il est inutile d’examiner ces arguments.

B.            L’incompatibilité avec l’art. 7 est‑elle justifiée au regard de l’article premier de la Charte ?

[79]                          Le critère qui permet de déterminer si l’atteinte à un droit est justifiée sur le plan constitutionnel au regard de l’article premier de la Charte  a été établi dans l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Dans le premier volet de l’analyse que commande l’article premier, il faut se demander si le ministère public a démontré l’existence d’un objectif urgent et réel (Oakes, p. 138‑139). L’objet général de l’art. 117  de la LIPR  concerne la lutte contre le passage de clandestins lié au crime organisé, et ne vise pas à criminaliser les actes d’entraide familiale, d’assistance mutuelle ou d’aide humanitaire en faveur de demandeurs d’asile entrant au Canada. Il s’agit clairement d’un objectif urgent et réel.

[80]                          Dans le deuxième volet, il faut se demander s’il existe un lien rationnel entre l’objectif poursuivi par le législateur et la restriction que la loi impose au droit en cause. Ce lien rationnel n’est pas démontré à l’égard de toutes les applications de l’art. 117  de la LIPR  : comme nous l’avons vu, cette disposition fait entrer dans son champ d’application les actes d’assistance mutuelle, d’entraide familiale et d’aide humanitaire, et j’ai conclu précédemment que le législateur n’avait pas l’intention de les viser. Or, comme il existe un lien rationnel entre l’objectif poursuivi par le législateur et d’autres applications de l’art. 117, il est satisfait à ce volet de l’analyse (Heywood, p. 803). Ce volet du critère établi dans l’arrêt Oakes ne requiert que l’existence d’un lien rationnel et non une parfaite correspondance.

[81]                          Dans le troisième volet de l’analyse que commande l’article premier, il faut se demander si la loi contestée est adaptée à son objet (R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713). À l’évidence, lorsqu’une loi va trop loin, il sera difficilement satisfait au critère de l’atteinte minimale. Dans l’arrêt Heywood, le juge Cory conclut à la p. 803 que « pour les mêmes motifs qui font que [la loi] a une portée excessive, [elle] ne satisfait pas au volet de l’atteinte minimale de l’analyse fondée sur l’article premier ». En l’espèce, le dossier démontre pourquoi ce ne sera pas nécessairement toujours le cas.

[82]                          Le ministère public semble dire que si la disposition a une portée excessive, son atteinte est néanmoins minimale, car malgré son caractère imparfait, elle se présentait comme la meilleure des solutions. Nous avons vu que le gouvernement avait reconnu avant l’adoption de la loi que la disposition ferait entrer dans son champ d’application des actes qu’il n’avait pas voulu criminaliser. Le législateur a néanmoins adopté une disposition d’une portée excessive parce qu’il craignait qu’une exception applicable à ces actes crée des failles inacceptables. L’article premier de la Charte  ne permet pas que les droits soient restreints sur le fondement de simples affirmations; il exige du ministère public une justification qui puisse se démontrer lorsqu’il y a incompatibilité avec les droits garantis par la Charte  (Oakes, p. 136‑137). Le ministère public ne s’est pas déchargé du fardeau que lui impose l’article premier.

VI.        Réparation

[83]                          Le paragraphe 52(1)  de la Loi constitutionnelle de 1982  dispose :

                        52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Par conséquent, l’art. 117 est inopérant dans la mesure de son incompatibilité avec la Charte .

[84]                          En l’espèce, l’incompatibilité qui a été démontrée concerne la portée excessive de l’art. 117 relativement à trois catégories d’actes, soit (1) l’aide humanitaire à des sans‑papiers, (2) l’assistance mutuelle entre demandeurs d’asile et (3) l’aide fournie par une personne à un membre de sa famille qui entre au Canada sans être muni des documents requis.

[85]                          Les appelants demandent à la Cour d’invalider l’art. 117 au complet. La version de cette disposition qui était en vigueur au moment de la perpétration des infractions reprochées a été remplacée. Dans les circonstances particulières de la présente espèce, je conclus qu’il est préférable de donner à l’art. 117 une interprétation atténuée qui exclurait de son champ d’application les actes d’aide humanitaire, d’assistance mutuelle ou d’entraide familiale. Cette réparation permet de concilier l’ancien art. 117 avec les impératifs de la Charte  et de conserver, pendant la période pertinente, l’interdiction applicable au passage de clandestins. La réparation respecte les précisions énoncées par la Cour dans l’arrêt Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679.

VII.     Conclusion

[86]                          Je suis d’avis d’accueillir les pourvois et de donner à l’art. 117  de la LIPR  — tel qu’il était libellé au moment des infractions reprochées — une interprétation atténuée qui exclut de son champ d’application les personnes qui fournissent de l’aide humanitaire à des demandeurs d’asile ou les demandeurs d’asile qui s’assistent mutuellement (y compris en aidant des membres de leur famille), en vue d’assurer la conformité de la disposition avec la Charte . Les accusations sont renvoyées au tribunal de première instance pour être jugées sur la base de ces conclusions.

ANNEXE A

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés , L.C. 2001, c. 27  (version en vigueur à l’époque)

                   37. (1) [Activités de criminalité organisée] interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

                    a)   être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

                    b)   se livrer, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité.

. . .

PARTIE 3

EXÉCUTION

            Organisation d’entrée illégale au Canada

                        117. (1) [Entrée illégale] Commet une infraction quiconque sciemment organise l’entrée au Canada d’une ou plusieurs personnes non munies des documents — passeport, visa ou autre — requis par la présente loi ou incite, aide ou encourage une telle personne à entrer au Canada.

(2) [Peines] L’auteur de l’infraction visant moins de dix personnes est passible, sur déclaration de culpabilité :

                    a)   par mise en accusation :

                          (i)    pour une première infraction, d’une amende maximale de cinq cent mille dollars et d’un emprisonnement maximal de dix ans, ou de l’une de ces peines,

                          (ii)   en cas de récidive, d’une amende maximale de un million de dollars et d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, ou de l’une de ces peines;

                    b)   par procédure sommaire, d’une amende maximale de cent mille dollars et d’un emprisonnement maximal de deux ans, ou de l’une de ces peines.

(3) [Peines] L’auteur de l’infraction visant un groupe de dix personnes et plus est passible, sur déclaration de culpabilité par mise en accusation, d’une amende maximale de un million de dollars et de l’emprisonnement à perpétuité, ou de l’une de ces peines.

(4) [Consentement du procureur général du Canada] Il n’est engagé aucune poursuite pour une infraction prévue au présent article sans le consentement du procureur général du Canada.

118. (1) [Trafic de personnes] Commet une infraction quiconque sciemment organise l’entrée au Canada d’une ou plusieurs personnes par fraude, tromperie, enlèvement ou menace ou usage de la force ou de toute autre forme de coercition.

(2) [Sens de « organisation »] Sont assimilés à l’organisation le recrutement des personnes, leur transport à destination du Canada et, après l’entrée, à l’intérieur du pays, ainsi que l’accueil et l’hébergement de celles‑ci.

121. (1) [Infliction de la peine] Le tribunal tient compte, dans l’infliction de la peine visée aux paragraphes 117(2) et (3) et à l’article 120, des facteurs suivants :

                    a)   la mort est survenue ou des blessures ont été infligées;

                    b)   l’infraction a été commise au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle ou en association avec elle;

                    c)   l’infraction a été commise en vue de tirer un profit, que celui‑ci ait été ou non réalisé;

                    d)   la personne est soumise à tout traitement dégradant ou attentatoire à la dignité humaine, notamment en ce qui touche les activités professionnelles, la santé ou l’exploitation sexuelle.

(2) [Définition de « organisation criminelle »] On entend par organisation criminelle l’organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction.

133. [Immunité] L’auteur d’une demande d’asile ne peut, tant qu’il n’est statué sur sa demande, ni une fois que l’asile lui est conféré, être accusé d’une infraction visée à l’article 122, à l’alinéa 124(1)a) ou à l’article 127 de la présente loi et à l’article 57 , à l’alinéa 340 c )  ou aux articles 354 , 366 , 368 , 374  ou 403  du Code criminel , dès lors qu’il est arrivé directement ou indirectement au Canada du pays duquel il cherche à être protégé et à la condition que l’infraction ait été commise à l’égard de son arrivée au Canada.

ANNEXE B

Convention relative au statut des réfugiés, 189 R.T.N.U. 150

Article 31

réfugiés en situation irrégulière dans le pays d’accueil

                    1. Les États Contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l’article premier, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu’ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières.

. . .

Article 33

défense d’expulsion et de refoulement

                    1. Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

                    2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays.

Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, 2225 R.T.N.U. 209

Article premier. Objet

                             L’objet de la présente Convention est de promouvoir la coopération afin de prévenir et de combattre plus efficacement la criminalité transnationale organisée.

Article 5. Incrimination de la participation à un groupe criminel organisé

                           1. Chaque État Partie adopte les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale, lorsque commis intentionnellement :

                           a) À l’un ou l’autre des actes suivants ou aux deux, en tant qu’infractions pénales distinctes de celles impliquant une tentative d’activité criminelle ou sa consommation :

                           i) Au fait de s’entendre avec une ou plusieurs personnes en vue de commettre une infraction grave à une fin liée directement ou indirectement à l’obtention d’un avantage financier ou autre avantage matériel et, lorsque le droit interne l’exige, impliquant un acte commis par un des participants en vertu de cette entente ou impliquant un groupe criminel organisé;

                           ii) À la participation active d’une personne ayant connaissance soit du but et de l’activité criminelle générale d’un groupe criminel organisé soit de son intention de commettre les infractions en question :

                           a. Aux activités criminelles du groupe criminel organisé;

                           b. À d’autres activités du groupe criminel organisé lorsque cette personne sait que sa participation contribuera à la réalisation du but criminel susmentionné;

                           b) Au fait d’organiser, de diriger, de faciliter, d’encourager ou de favoriser au moyen d’une aide ou de conseils la commission d’une infraction grave impliquant un groupe criminel organisé.

                           2. La connaissance, l’intention, le but, la motivation ou l’entente visés au paragraphe 1 du présent article peuvent être déduits de circonstances factuelles objectives.

                           3. Les États Parties dont le droit interne subordonne l’établissement des infractions visées à l’alinéa a) i) du paragraphe 1 du présent article à l’implication d’un groupe criminel organisé veillent à ce que leur droit interne couvre toutes les infractions graves impliquant des groupes criminels organisés. Ces États Parties, de même que les États Parties dont le droit interne subordonne l’établissement des infractions visées à l’alinéa a) i) du paragraphe 1 du présent article à la commission d’un acte en vertu de l’entente, portent cette information à la connaissance du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies au moment où ils signent la présente Convention ou déposent leurs instruments de ratification, d’acceptation ou d’approbation ou d’adhésion.

Article 34. Application de la Convention

                           1. Chaque État Partie prend les mesures nécessaires, y compris législatives et administratives, conformément aux principes fondamentaux de son droit interne, pour assurer l’exécution de ses obligations en vertu de la présente Convention.

                           2. Les infractions établies conformément aux articles 5, 6, 8 et 23 de la présente Convention sont établies dans le droit interne de chaque État Partie indépendamment de leur nature transnationale ou de l’implication d’un groupe criminel organisé comme énoncé au paragraphe 1 de l’article 3 de la présente Convention, sauf dans la mesure où, conformément à l’article 5 de la présente Convention, serait requise l’implication d’un groupe criminel organisé.

                           3. Chaque État Partie peut adopter des mesures plus strictes ou plus sévères que celles qui sont prévues par la présente Convention afin de prévenir et de combattre la criminalité transnationale organisée.

Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, 2241 R.T.N.U. 480

 

Article 2. Objet

                           Le présent Protocole a pour objet de prévenir et combattre le trafic illicite de migrants, ainsi que de promouvoir la coopération entre les États Parties à cette fin, tout en protégeant les droits des migrants objet d’un tel trafic.

Article 3. Terminologie

                           Aux fins du présent Protocole :

                           a) L’expression « trafic illicite de migrants » désigne le fait d’assurer, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l’entrée illégale dans un État Partie d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État;

. . .

Article 6. Incrimination

                           1. Chaque État Partie adopte les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale, lorsque les actes ont été commis intentionnellement et pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou autre avantage matériel :

                           a) Au trafic illicite de migrants;

. . .

                           3. Chaque État Partie adopte les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère de circonstance aggravante des infractions établies conformément aux alinéas a), b) i) et c) du paragraphe 1 du présent article et, sous réserve des concepts fondamentaux de son système juridique, des infractions établies conformément aux alinéas b) et c) du paragraphe 2 du présent article :

                           a) Au fait de mettre en danger ou de risquer de mettre en danger la vie ou la sécurité des migrants concernés; ou

                           b) Au traitement inhumain ou dégradant de ces migrants, y compris pour l’exploitation.

                           4. Aucune disposition du présent Protocole n’empêche un État Partie de prendre des mesures contre une personne dont les actes constituent, dans son droit interne, une infraction.

 

                    Pourvois accueillis.

                    Procureurs de l’appelant Francis Anthonimuthu Appulonappa : Fiona Begg, Vancouver; Maria Sokolova, Vancouver.

                    Procureurs de l’appelant Hamalraj Handasamy : Edelmann & Co. Law Offices, Vancouver.

                    Procureurs de l’appelant Jeyachandran Kanagarajah : Rankin & Bond, Vancouver.

                    Procureurs de l’appelant Vignarajah Thevarajah : Gregory P. DelBigio, c.r., Vancouver; Lisa Sturgess, Vancouver.

                    Procureur de l’intimée : Service des poursuites pénales du Canada, Vancouver.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante Amnesty International (Canadian Section, English Branch) : Services juridiques communautaires du Sud d’Ottawa, Ottawa; Services juridiques communautaires du Centre d’Ottawa, Ottawa.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique : Sack Goldblatt Mitchell, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des libertés civiles : Fasken Martineau DuMoulin, Vancouver.

                    Procureurs de l’intervenant le Conseil canadien pour les réfugiés : Angus Grant, Toronto; Refugee Law Office, Toronto; Laura Best & Fadi Yachoua, Vancouver.

                    Procureurs de l’intervenante l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés : Refugee Law Office, Toronto; Université d’Ottawa, Ottawa.

 



[1] Le libellé de la version actuelle est le suivant : « Il est interdit à quiconque d’organiser l’entrée au Canada d’une ou de plusieurs personnes ou de les inciter, aider ou encourager à y entrer en sachant que leur entrée est ou serait en contravention avec la présente loi ou en ne se souciant pas de ce fait. »

[2] Dans la version actuelle de la LIPR , cette disposition et ses modifications sont intégrées à l’art. 117.

[3]  Bien que la rubrique du texte français — « Organisation d’entrée illégale au Canada » — ne renvoie ni au passage de clandestins ni à une autre activité criminelle, elle traduit la même notion que la note marginale de la version anglaise « Organizing entry into Canada », qui figure sous la rubrique « Human Smuggling and Trafficking ». Par conséquent, la règle d’interprétation des lois selon laquelle une loi bilingue exige la recherche du sens commun aux deux versions (Sullivan, p. 118-119) commande que l’organisation d’entrée illégale soit une composante du passage de clandestins et du trafic de personnes. L’interprétation la plus large de la disposition serait qu’elle s’applique soit au passage de clandestins, soit au trafic de personnes. Vu qu’il est acquis aux débats que l’art. 118 s’applique au trafic de personnes, l’art. 117 est vraisemblablement la disposition qui s’applique au passage de clandestins.

 

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