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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Krayzel Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 18, [2016] 1 R.C.S. 273

Appel entendu : 12 novembre 2015

Jugement rendu : 6 mai 2016

Dossier : 36123

Entre :

Krayzel Corporation

Appelante

 

et

 

L’Équitable, Compagnie de fiducie

(prorogée depuis sous le nom de Banque Équitable)

Intimée

 

Et entre :

Lougheed Block Inc., Neil John Richardson,

Hugh Daryl Richardson et Heritage Property Corporation

Appelants

 

et

 

L’Équitable, Compagnie de fiducie

(prorogée depuis sous le nom de Banque Équitable)

Intimée

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 38)

 

Motifs dissidents :

(par. 39 à 61)

Le juge Brown (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Cromwell, Karakatsanis, Wagner et Gascon)

 

La juge Côté (avec l’accord des juges Abella et Moldaver)

 

 

 


Krayzel Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 18, [2016] 1 R.C.S. 273

Krayzel Corporation                                                                                     Appelante

c.

L’Équitable, Compagnie de fiducie

(prorogée depuis sous le nom de Banque Équitable)                                      Intimée

‑ et ‑

Lougheed Block Inc.,

Neil John Richardson,

Hugh Daryl Richardson et

Heritage Property Corporation                                                                    Appelants

c.

L’Équitable, Compagnie de fiducie

(prorogée depuis sous le nom de Banque Équitable)                                      Intimée

Répertorié : Krayzel Corp. c. Équitable, Cie de fiducie

2016 CSC 18

No du greffe : 36123.

2015 : 12 novembre; 2016 : 6 mai.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown.

en appel de la cour d’appel de l’alberta

                    Hypothèques — Intérêts — Taux d’intérêt — Paiements en souffrance — Conditions hypothécaires prévoyant un escompte — Mesure législative interdisant au créancier hypothécaire d’imposer des conditions qui ont pour effet d’exiger, sur des arrérages, un taux d’intérêt supérieur à celui payable sur le principal non arriéré — Est‑ce que certaines conditions d’une convention hypothécaire contreviennent à cette mesure législative du fait qu’elles imposent un « taux d’intérêt » ne prenant effet que si le débiteur hypothécaire est en défaut de paiement soit parce qu’il n’effectue pas les paiements d’intérêt prévus suivant un « taux payable » inférieur, soit parce qu’il ne rembourse pas le prêt à l’échéance? — Existe‑t‑il une distinction entre (1) des conditions qui imposent, en guise de pénalité, un taux plus élevé en cas de défaut de paiement et (2) des conditions qui réservent, en guise d’escompte, un taux plus bas en l’absence de défaut de paiement? — Loi sur l’intérêt, L.R.C. 1985, c. I‑15, art. 2 , 8 .

                    La débitrice hypothécaire, Lougheed Block Inc. (« Lougheed »), était propriétaire d’un édifice à bureaux et a consenti à L’Équitable, Compagnie de fiducie (« Équitable ») une hypothèque afin de garantir un emprunt de 27 millions de dollars. Le taux d’intérêt annuel convenu correspondait au taux préférentiel majoré de 2,875 pour 100. Lougheed a été incapable de rembourser l’hypothèque lorsqu’elle est venue à échéance le 30 juin 2008. Équitable a accepté de prolonger de sept mois la condition hypothécaire en cause. La convention qui en a découlé (la « Première convention de renouvellement ») a pris effet le 1er août 2008, et elle prévoyait d’abord un taux d’intérêt annuel égal au taux préférentiel majoré de 3,125 pour 100 applicable durant les premiers six mois, puis un taux de 25 pour 100 applicable au cours du septième mois.

                    Lorsque la Première convention de renouvellement est venue à échéance le 1er mars 2009, Lougheed a une fois de plus été incapable de rembourser l’hypothèque. Le 28 avril 2009, elle a signé une deuxième hypothèque (la « Seconde convention de renouvellement ») qui modifiait la convention conclue avec Équitable et qui prenait effet rétroactivement le 1er février 2009 (c’est‑à‑dire un mois avant l’expiration de la Première convention de renouvellement). La Seconde convention de renouvellement prévoyait ce qui suit : un « taux d’intérêt » annuel de 25 pour 100 sur le prêt; l’obligation pour Lougheed d’effectuer des paiements d’intérêts mensuels suivant un « taux payable » (« Pay Rate ») correspondant au plus élevé des taux suivants : 7,5 pour 100 ou le taux préférentiel majoré de 5,25 pour 100; l’ajout au prêt de la somme représentant la différence entre le montant payable par Lougheed selon le taux d’intérêt indiqué de 25 pour 100 et celui payable suivant le taux plus bas; la renonciation par la créancière aux intérêts accumulés en l’absence de défaut de paiement par Lougheed.

                    Le 15 mai 2009, Lougheed n’a pas effectué le paiement exigible et Équitable a exigé le remboursement du prêt au taux indiqué de 25 pour 100. La protonotaire de la Cour du Banc de la Reine a conclu que les deux conventions de renouvellement contrevenaient à l’art. 8  de la Loi sur l’intérêt . La juge en cabinet du même tribunal a infirmé la décision de la protonotaire, estimant que les deux renouvellements respectaient l’art. 8 . À l’unanimité, la Cour d’appel a jugé que la Première convention de renouvellement ne contrevenait pas à l’art. 8 . À la majorité, elle a fait sienne l’opinion de la juge en cabinet selon laquelle la Seconde convention de renouvellement respectait également l’art. 8 .

                    Arrêt (les juges Abella, Moldaver et Côté sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli.

                    La juge en chef McLachlin et les juges Cromwell, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Brown : L’article 8 de la Loi fait état de trois catégories de charges — amendes, pénalités ou taux d’intérêt — qui ne peuvent être stipulées, retenues, réservées ou exigées dans une convention hypothécaire si elles ont pour effet d’élever les charges sur les arrérages au‑dessus de celles imposées sur le principal non arriéré. L’article 2 préserve la liberté générale des parties de convenir du taux d’intérêt ou d’escompte applicable, sous réserve de l’existence dans la Loi d’une disposition à l’effet contraire.

                    Le sens ordinaire des mots que le Parlement a choisi d’ajouter à l’art. 8 — lus en corrélation avec l’art. 2 et considérés à la lumière des objets de la Loi — étaye la conclusion que l’art. 8 s’applique à la fois aux escomptes (incitatifs à l’exécution) et aux pénalités pour inexécution chaque fois qu’une telle mesure a pour effet d’élever les charges sur les arrérages au‑dessus du taux d’intérêt payable sur le principal non arriéré. En précisant que l’analyse devait porter sur l’effet de la condition hypothécaire attaquée, le législateur entendait clairement indiquer que les conditions hypothécaires déguisées en « boni », « escompte » ou « avantage » ne seraient pas, en tant que telles, conformes à l’art. 8. Le fond, et non la forme, doit l’emporter. Ce qui compte, c’est la manière dont la condition attaquée s’applique et les conséquences qu’elle entraîne, peu importe le nom qu’on lui donne. Si la condition a pour effet d’imposer sur les arrérages un taux plus élevé que celui payable sur la somme non arriérée, elle contrevient à l’art. 8.

                    Il est possible de trancher le présent pourvoi en analysant seulement la Seconde convention de renouvellement, puisque son application a été fixée rétroactivement à la date (le 1er février 2009) à laquelle a pris effet la majoration du taux d’intérêt prévue par la Première convention de renouvellement. Toutefois, il est évident qu’une hausse du taux d’intérêt déclenchée par le seul écoulement du temps (et non par suite d’un défaut de paiement), telle la hausse imposée en vertu de la Première convention de renouvellement, ne contrevient pas à l’art. 8.

                    Pour ce qui est de la Seconde convention de renouvellement, elle a pour effet de réserver une charge plus élevée (25 pour 100) sur les arrérages que celle imposée sur le principal non arriéré (7,5 pour 100 ou le taux préférentiel plus 5,25 pour 100). Le fait de qualifier une charge de « taux d’intérêt » et l’autre charge de « taux payable » est sans conséquence, étant donné que l’art. 8 met explicitement l’accent sur le fond plutôt que sur la forme. Le taux d’intérêt annuel de 25 pour 100 fixé par la Seconde convention de renouvellement est donc annulé. Le taux d’intérêt en vigueur à compter du 1er février 2009 en vertu de la Seconde convention de renouvellement est établi au plus élevé des taux suivants : 7,5 pour 100 ou le taux préférentiel plus 5,25 pour 100.

                    Les juges Abella, Moldaver et Côté (dissidents) : Les clauses de la Seconde convention de renouvellement sont limpides. Le « taux d’intérêt payable sur le principal non arriéré » qui a été convenu a été fixé à 25 pour 100 pour toute la durée de la convention et il devait s’appliquer de façon uniforme à la fois au principal non arriéré et aux arrérages de principal ou d’intérêt. Le taux d’intérêt était payable mensuellement, par voie de décaissements effectifs effectués par la débitrice et au moyen de fonds additionnels avancés par le prêteur. En d’autres termes, le montant d’intérêt calculé au taux de 25 pour 100 devait être payé mensuellement et non simplement « retenu, réservé ou exigé » en cas de défaut. Ainsi, la Seconde convention de renouvellement n’a pas eu pour « effet » d’augmenter les charges sur les arrérages et l’art. 8 n’entre pas en jeu.

                    Subsidiairement, le pourvoi peut être rejeté au motif que l’art. 8  de la Loi sur l’intérêt  ne prohibe pas les escomptes libératoires — c’est‑à‑dire les escomptes qui libèrent dans une certaine mesure l’emprunteur des obligations découlant de l’application du taux d’intérêt exigible aux termes d’une convention, comme c’est le cas de la Seconde convention de renouvellement en l’espèce.

                    L’article 8 constitue une exception au principe fondamental de la liberté contractuelle lorsqu’il prohibe la majoration des charges sur les arrérages. Cependant, cet article n’interdit pas expressément les escomptes. L’absence du mot « escompte » à l’art. 8 — et, à l’inverse, sa présence à l’art. 2 — doivent guider l’interprétation de la Cour. De plus, l’art. 8 étant une exception à la règle générale selon laquelle les escomptes sont permis, il doit être interprété étroitement et son champ d’application doit être limité à ce qui est nécessaire à la réalisation de son objet. Ce ne sont pas tous les escomptes qui, si on les considère dans leur contexte commercial particulier, affaiblissent la protection dont sont censés bénéficier les débiteurs en difficulté. Les escomptes « libératoires » ou « exonérateurs » sous forme de réductions du taux d’intérêt permettent généralement aux débiteurs hypothécaires en difficulté de s’acquitter plus facilement de leurs obligations financières. Interpréter l’art. 8 comme ayant pour effet de prohiber ce genre d’escomptes risque de décourager les prêteurs d’alléger le fardeau que constitue le paiement des intérêts pour des débiteurs en difficulté, une troublante ironie compte tenu de l’objectif visé par l’adoption de l’art. 8. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a conclu qu’un escompte de ce genre ne contrevenait pas à l’art. 8 dans l’affaire North West Life Assur. Co. of Can. c. Kings Mount Hldg. Ltd. (1987), 15 B.C.L.R. (2d) 376, décision qui, comme en convient la majorité, était bien fondée.

                    Considérée à la lumière des circonstances dans lesquelles elle a été conclue, la Seconde convention de renouvellement contestée en l’espèce procurait à Lougheed une solution moins onéreuse pour s’acquitter des obligations financières que lui imposait la Première convention de renouvellement. Conclure à l’invalidité du taux d’intérêt de 25 pour 100 convenu dans la Seconde convention de renouvellement ne permettrait pas de réaliser l’objectif de protection visé par le législateur fédéral; une telle conclusion aurait plutôt pour résultat de faire bénéficier Lougheed d’un avantage qu’elle n’a pas mérité, alors qu’Équitable serait privée de paiements d’intérêt exigibles et dus suivant la convention, sans avoir bénéficié pour autant d’un prompt remboursement.

Jurisprudence

Citée par le juge Brown

                    Distinction d’avec l’arrêt : North West Life Assur. Co. of Can. c. Kings Mount Hldg. Ltd. (1987), 15 B.C.L.R. (2d) 376; arrêts mentionnés : Re Weirdale Investments Ltd. and Canadian Imperial Bank of Commerce (1981), 32 O.R. (2d) 183; Dillingham Construction Ltd. c. Patrician Land Corp. (1985), 37 Alta. L.R. (2d) 193; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157; Goodyear Tire & Rubber Co. of Canada c. T. Eaton Co., [1956] R.C.S. 610; Wallingford c. Mutual Society (1880), 5 App. Cas. 685; Reliant Capital Ltd. c. Silverdale Development Corp., 2006 BCCA 226, 270 D.L.R. (4th) 717; Thompson c. Hudson (1869), L.R. 4 H.L. 1; P.A.R.C.E.L. Inc. c. Acquaviva, 2015 ONCA 331, 126 O.R. (3d) 108; Immeubles Fournier Inc. c. Construction St‑Hilaire Ltée, [1975] 2 R.C.S. 2; Tomell Investments Ltd. c. East Marstock Lands Ltd., [1978] 1 R.C.S. 974; Beauchamp c. Timberland Investments Ltd. (1983), 44 O.R. (2d) 512; TD Trust Co. c. Guinness (1995), 12 B.C.L.R. (3d) 102; Langley Lo‑Cost Builders Ltd. c. 474835 B.C. Ltd., 2000 BCCA 365, 140 B.C.A.C. 182; Société Radio‑Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615.

Citée par la juge Côté (dissidente)

                    Fonds de développement économique local c. Canadian Pickles Corp., [1991] 3 R.C.S. 388; Inland Revenue Commissioners c. Hinchy, [1960] A.C. 748; Air Canada c. Colombie‑Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161; McDiarmid Lumber Ltd. c. Première Nation de God’s Lake, 2006 CSC 58, [2006] 2 R.C.S. 846; Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2009 CAF 187, [2010] 2 R.C.F. 389; Montréal (Ville) c. 2952‑1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141; Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533; Reliant Capital Ltd. c. Silverdale Development Corp., 2006 BCCA 226, 270 D.L.R. (4th) 717; P.A.R.C.E.L. Inc. c. Acquaviva, 2015 ONCA 331, 126 O.R. (3d) 108; Langley Lo‑Cost Builders Ltd. c. 474835 B.C. Ltd., 2000 BCCA 365, 140 B.C.A.C. 182; York Ventures Ltd. c. 0775740 B.C. Ltd., 2015 BCSC 1105; North West Life Assur. Co. of Can. c. Kings Mount Hldg. Ltd. (1987), 15 B.C.L.R. (2d) 376; Strode c. Parker (1694), 2 Vern. 316, 23 E.R. 804; Jory c. Cox (1701), Prec. Ch. 160, 24 E.R. 77.

Lois et règlements cités

Acte concernant l’intérêt sur les deniers garantis par hypothèque sur propriété foncière, S.C. 1880, c. 42, art. 3.

Acte des Compagnies par actions en Canada, 1877, S.C. 1877, c. 43, art. 97.

Loi d’interprétation , L.R.C. 1985, c. I‑21, art. 12 .

Loi sur l’intérêt , L.R.C. 1985, c. I‑15, art. 2 , 8 .

Doctrine et autres documents cités

Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. VIII, 2e sess., 4e lég., 31 mars 1880, p. 972.

Halsbury’s Laws of Canada : Mortgages/Motor Vehicles, « Mortgages », contributed by Joseph E. Roach, Markham (Ont.), LexisNexis, 2011.

Meredith, Arthur C. « A Nicety in the Law of Mortgage » (1916), 32 L.Q.R. 420.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6th ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2014.

Telfer, Thomas G. W. « Document d’information sur la Loi canadienne sur l’intérêt », rapport préparé pour la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, réunion annuelle de Charlottetown, septembre 2007 (en ligne : www.ulcc.ca/fr/reunions‑annuelles/217‑2007‑charlottetown‑pe‑reunions‑annuelles/documents‑de‑la‑section‑civile‑2007/579‑canadienne‑sur‑linteret‑document‑dinformation‑2007).

Waldron, Mary Anne. « The Federal Interest Act  : It Sure is Broke, But is it Worth Fixin’? » (1997), 29 Rev. can. dr. comm. 161.

Waldron, Mary Anne. The Law of Interest in Canada, Scarborough (Ont.), Carswell, 1992.

Waldron, Mary Anne. « The “Legitimate Commercial Purpose” Test Revisited — Case Comment on Reliant Capital Ltd. v. Silverdale Development Corporation » (2008), 41 U.B.C. L. Rev. 101.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Hunt et Berger et la juge Nation (ad hoc)), 2014 ABCA 234, 577 A.R. 179, 613 W.A.C. 179, 1 Alta. L.R. (6th) 68, 31 B.L.R. (5th) 1, 16 C.B.R. (6th) 121, 376 D.L.R. (4th) 539, 45 R.P.R. (5th) 187, [2014] 10 W.W.R. 705, [2014] A.J. No. 747 (QL), 2014 CarswellAlta 1180 (WL Can.), qui a confirmé une décision de la juge Romaine, 2012 ABQB 411, 550 A.R. 316, 70 Alta. L.R. (5th) 1, 5 B.L.R. (5th) 79, 95 C.B.R. (5th) 171, 25 R.P.R. (5th) 245, [2013] 2 W.W.R. 186, [2012] A.J. No. 1143 (QL), 2012 CarswellAlta 1876 (WL Can.), laquelle avait infirmé une décision de la protonotaire Hanebury, 2011 ABQB 193, 512 A.R. 136, 44 Alta. L.R. (5th) 35, 81 B.L.R. (4th) 333, 77 C.B.R. (5th) 198, [2011] 7 W.W.R. 773, [2011] A.J. No. 332 (QL), 2011 CarswellAlta 467 (WL Can.). Pourvoi accueilli, les juges Abella, Moldaver et Côté sont dissidents.

                    G. Scott Watson et Megan V. Stoker, pour les appelants.

                    Francis Price, c.r., et Daina Young, pour l’intimée.

                    Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Cromwell, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Brown rendu par

                    Le juge Brown —

I.               Introduction

[1]                              L’article 8  de la Loi sur l’intérêt , L.R.C. 1985, c. I-15 , interdit aux créanciers hypothécaires d’imposer dans un contrat d’hypothèque des conditions ayant pour effet d’exiger, sur des arrérages de principal ou d’intérêt, un taux d’intérêt supérieur à celui payable sur le principal non arriéré. Dans le présent pourvoi, notre Cour est pour la première fois appelée à décider si certaines conditions d’une convention hypothécaire contreviennent à cet article du fait qu’elles imposent un « taux d’intérêt » ne prenant effet que si le débiteur hypothécaire est en défaut de paiement soit parce qu’il n’effectue pas les paiements d’intérêts prévus suivant un « taux payable » inférieur, soit parce qu’il ne rembourse pas le prêt à l’échéance. La considération en jeu est la portée, pour l’application de l’art. 8, d’une possible distinction entre (1) des conditions qui imposent, en guise de pénalité, un taux plus élevé en cas de défaut de paiement et (2) des conditions qui réservent, en guise d’escompte, un taux plus bas en l’absence de défaut de paiement. Bien que la protonotaire en chambre ait conclu que les deux types d’arrangement sont contraires à l’art. 8, la juge en cabinet et les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Alberta ont conclu que le deuxième ne l’est pas.

[2]                              La Cour est également appelée en l’espèce à décider si contreviennent à l’art. 8 des conditions hypothécaires qui fixent un taux d’intérêt supérieur et dont l’entrée en vigueur est déclenchée du seul fait de l’écoulement du temps.

[3]                              Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’une hausse du taux d’intérêt déclenchée par le seul fait de l’écoulement du temps ne contrevient pas à l’art. 8. Cependant, une hausse déclenchée par un défaut de paiement va à l’encontre de cette disposition, peu importe que la condition attaquée se présente comme une modalité imposant un taux supérieur en guise de pénalité pour cause de défaut de paiement ou consentant un taux inférieur en guise de récompense pour l’absence de défaut de paiement. En conséquence, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi.

II.            Survol des faits et des procédures

A.            Contexte

[4]                              En 2003, l’appelante Lougheed Block Inc. était propriétaire d’un édifice à bureaux situé à Calgary et sur lequel elle avait enregistré diverses hypothèques, notamment des hypothèques consenties à l’appelante Krayzel Corporation et à Heritage Capital Corporation. Par la suite, le 8 novembre 2006, Lougheed a consenti une hypothèque à l’intimée L’Équitable, Compagnie de fiducie (« Équitable »), par l’entremise de la mandataire de cette dernière, Trez Capital Corporation, afin de garantir un emprunt de 27 millions de dollars. Le taux d’intérêt annuel convenu correspondait au taux préférentiel majoré de 2,875 pour 100.

[5]                              Lougheed a été incapable de rembourser l’hypothèque consentie à Équitable lorsqu’elle est venue à échéance le 30 juin 2008. Cette dernière a accepté de prolonger de sept mois la condition hypothécaire en cause. La convention qui en a découlé, enregistrée sur le titre de la propriété (la « Première convention de renouvellement »), a pris effet le 1er août 2008, et elle prévoyait d’abord un taux d’intérêt annuel égal au taux préférentiel majoré de 3,125 pour 100 applicable durant les premiers six mois, puis un taux de 25 pour 100 applicable au cours du septième mois. Krayzel et Heritage Capital ont accepté de différer l’exercice des droits que leur conférait leur hypothèque respective en faveur de l’intérêt accordé à Équitable par la Première convention de renouvellement.

[6]                              Lorsque la Première convention de renouvellement est venue à échéance le 1er mars 2009, Lougheed a une fois de plus été incapable de rembourser l’hypothèque. Le 28 avril 2009, elle a signé une deuxième hypothèque (la « Seconde convention de renouvellement ») qui modifiait la convention conclue avec Équitable et qui prenait effet rétroactivement le 1er février 2009 (c’est‑à‑dire un mois avant l’expiration de la Première convention de renouvellement). Voici ce que prévoyait la Seconde convention de renouvellement :

1.         Un « taux d’intérêt » annuel de 25 pour 100 sur le prêt.

2.         Lougheed devait effectuer des paiements d’intérêts mensuels non pas au taux indiqué de 25 pour 100 par année, mais suivant un « taux payable » (appelé « Pay Rate » dans la Seconde convention de renouvellement) correspondant au plus élevé des taux suivants : 7,5 pour 100 ou le taux préférentiel majoré de 5,25 pour 100.

3.         La somme représentant la différence entre le montant payable par Lougheed selon le taux d’intérêt indiqué de 25 pour 100 et celui payable suivant le taux plus bas s’ajouterait au prêt.

4.         En l’absence de défaut de paiement par Lougheed (que ce soit au titre des paiements d’intérêts mensuels, des versements sur le capital ou encore d’autres coûts et frais dus et payables à l’échéance), il y aurait renonciation par la créancière aux intérêts accumulés. Autrement dit, si Lougheed effectuait tous les versements en entier et à temps, en plus de rembourser le prêt à l’échéance, elle serait dispensée de payer la somme représentant la différence entre les intérêts payables au taux de 25 pour 100 et ceux payés au taux plus bas.

[7]                              Le 15 mai 2009, Lougheed n’a pas effectué le premier paiement exigible aux termes de la Seconde convention de renouvellement. Équitable a exigé, entre autres, le remboursement du prêt au taux indiqué de 25 pour 100.

B.            Dispositions législatives

[8]                              Voici les dispositions pertinentes de la Loi :

                    2   Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, une personne peut stipuler, allouer et exiger, dans tout contrat ou convention quelconque, le taux d’intérêt ou d’escompte qui est convenu.

(1) Il ne peut être stipulé, retenu, réservé ou exigé, sur des arrérages de principal ou d’intérêt garantis par hypothèques sur immeubles ou biens réels, aucune amende, pénalité ou taux d’intérêt ayant pour effet d’élever les charges sur ces arrérages au‑dessus du taux d’intérêt payable sur le principal non arriéré.

                    (2) Le présent article n’a pas pour effet de prohiber un contrat pour le paiement d’intérêt, sur des arrérages d’intérêt ou de principal, à un taux ne dépassant pas celui payable sur le principal non arriéré.

C.            Historique des procédures

(1)          Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (la protonotaire Hanebury) — 2011 ABQB 193, 512 A.R. 136

[9]                              Bien que la protonotaire ait souligné que la validité d’une hypothèque violant à première vue l’art. 8 peut néanmoins être sauvegardée si la transaction révèle que la majoration du taux d’intérêt reposait sur un motif commercial valable (invoquant de ce fait le [traduction] « critère de la fin commerciale légitime », sur lequel je reviendrai plus loin), elle a conclu que les deux conventions de renouvellement contrevenaient à l’art. 8 de la Loi. Aucune fin commerciale légitime ne justifiait la majoration du taux d’intérêt prévue par l’une et l’autre des conventions. Lougheed était certes une emprunteuse avisée, mais elle se trouvait dans une situation de vulnérabilité qui était exacerbée par les conventions de renouvellement. La protonotaire a substitué au taux attentatoire de 25 pour 100 le « taux payable » correspondant au plus élevé des taux suivants : 7,5 pour 100 ou le taux préférentiel majoré de 5,25 pour 100.

(2)          Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (la juge Romaine) — 2012 ABQB 411, 550 A.R. 316

[10]                          La juge en cabinet a infirmé la décision de la protonotaire, estimant que les deux renouvellements respectaient l’art. 8. Contrairement à la protonotaire, elle a considéré que la fin commerciale sous‑tendant les conventions de renouvellement n’avait aucune pertinence. Selon elle, comme l’art. 8 constitue une exception à la règle générale de la liberté contractuelle protégée par l’art. 2, il doit être interprété [traduction] « stricte[ment] ou étroite[ment] » (par. 45), dans la mesure où cette interprétation ne va pas à l’encontre de l’objet de la Loi ou n’entrave pas la réalisation de celui‑ci. En l’espèce, une emprunteuse avisée a choisi d’adhérer aux conventions de renouvellement, « misant sur sa capacité de trouver d’autres sources de financement si on lui donnait une année et demie de plus pour le faire » (par. 59). De conclure la juge Romaine, il ne s’agissait pas d’une situation de prêt usuraire du genre de celles qui, suivant une interprétation stricte de l’art. 8, seraient visées par cette disposition.

[11]                          Plus particulièrement en ce qui concerne la Seconde convention de renouvellement, la juge en cabinet a en outre expressément rejeté l’argument d’Heritage Capital, s’appuyant pour ce faire sur la décision rendue par le juge Henry dans Re Weirdale Investments Ltd. and Canadian Imperial Bank of Commerce (1981), 32 O.R. (2d) 183 (H.C.J.), selon laquelle l’adoption de l’art. 8 avait aboli [traduction] « la règle d’equity antérieure » qui prohibait les pénalités prenant la forme de majoration du taux d’intérêt en cas de défaut de paiement, mais permettait les escomptes en cas de remboursement ponctuel de l’emprunt (par. 18). Bien que l’art. 2 autorise les parties à une convention hypothécaire à négocier tout « taux d’intérêt ou [. . .] escompte », la juge a fait observer que l’art. 8 est muet à l’égard des escomptes. En conséquence, cet article ne peut être invoqué pour écarter des escomptes dont ont librement convenu des parties. La stipulation contestée de la Seconde convention de renouvellement avait uniquement pour effet de permettre à Équitable de consentir à Lougheed un avantage si celle‑ci remboursait sa dette conformément aux conditions de leur accord, et non de la pénaliser d’une manière qui déclencherait l’application de l’art. 8.

(3)          Cour d’appel de l’Alberta (la juge Hunt et la juge Nation (ad hoc) ainsi que le juge Berger (dissident)) — 2014 ABCA 234, 577 A.R. 179

[12]                          La Cour d’appel a conclu à l’unanimité que la Première convention de renouvellement ne contrevenait pas à l’art. 8. Elle a également fait sienne l’opinion de la juge en cabinet selon laquelle les motivations du prêteur et le niveau de connaissances de l’emprunteur ne sont pas des considérations pertinentes pour déterminer si une condition contrevient à l’art. 8.

[13]                          C’est à l’égard de la Seconde convention de renouvellement que les juges de la Cour d’appel ont divergé d’opinions. S’exprimant pour les juges majoritaires, la juge Hunt s’est dite d’accord avec la juge en cabinet pour affirmer que cette convention respectait l’art. 8, s’estimant liée par Dillingham Construction Ltd. c. Patrician Land Corp. (1985), 37 Alta. L.R. (2d) 193 (C.A.). Suivant l’interprétation que donne la juge Hunt de cette décision, Dillingham confirme que l’art. 8 vise les pénalités pour inexécution, et non les mesures incitatives à la ponctualité dans les paiements. Par conséquent, constituait une mesure incitative autorisée le fait pour les parties de s’entendre pour réduire la somme due de la différence entre les montants payables suivant le taux d’intérêt annuel indiqué de 25 pour 100 et les déboursés d’intérêts que le débiteur hypothécaire était concrètement tenu d’effectuer selon le « taux payable » stipulé.

[14]                          Dans ses motifs dissidents, le juge Berger a affirmé que l’art. 8 prohibe autant les mesures non pénales que les mesures pénales lorsque de telles mesures ont pour effet d’imposer, en cas de défaut de paiement, un taux d’intérêt supérieur à celui qui est payable pendant la durée de l’hypothèque avant que survienne un défaut de paiement. Selon lui, il est possible de distinguer la présente espèce de l’affaire Dillingham (parce que dans la seconde, aucun intérêt n’était payable, sauf à l’échéance du prêt et après défaut de paiement). En outre, même si le juge Berger a reconnu que l’art. 2 n’écartait pas la liberté contractuelle, la Seconde convention de renouvellement demeurait, suivant les termes mêmes de l’art. 2, assujettie aux dispositions contraires de la Loi (y compris l’art. 8) ou de toute autre loi fédérale. Sur la base de cette interprétation de la portée de l’art. 8 et de son application par rapport à l’art. 2, le juge Berger a conclu que, lorsque Lougheed a manqué à ses obligations et qu’Équitable a réclamé le remboursement du prêt, cette dernière s’est fondée sur une condition de la Seconde convention de renouvellement qui avait pour effet d’élever les charges sur les arrérages de principal au‑delà du taux d’intérêt autrement payable sur le principal non arriéré. Une telle situation, a‑t‑il conclu, [traduction] « va à l’encontre » de l’art. 8 (par. 74).

III.         Analyse

A.            Article 8  de la Loi sur l’intérêt 

[15]                          Le processus d’interprétation législative consiste à dégager l’intention du législateur en examinant les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi et son objet (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21). Tout au long de ce processus, il importe de se rappeler que tout texte de loi est censé apporter une solution de droit et « s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet » (Loi d’interprétation , L.R.C. 1985, c. I‑21, art. 12 ).

[16]                          Quant à l’objet de l’art. 8, les appelants soutiennent principalement que, en adoptant en 1880 la disposition qui a précédé l’art. 8 (Acte concernant l’intérêt sur les deniers garantis par hypothèque sur propriété foncière, S.C. 1880, c. 42, art. 3), le législateur entendait abolir la règle d’equity qui permettait les escomptes sous forme de réduction du taux d’intérêt en cas d’exécution ponctuelle par un débiteur hypothécaire de ses obligations, mais qui interdisait les pénalités sous forme de majoration du taux d’intérêt en cas de défaut de paiement. D’après les appelants, l’art. 8 prohibe donc autant les escomptes que les pénalités. Pour sa part, l’intimée affirme que cet argument va à l’encontre de la présomption — réfutable uniquement par une loi formulée de façon « incontestablement claire » — que le législateur n’entend pas s’écarter des principes, politiques ou pratiques établis (Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157, par. 39, citant Goodyear Tire & Rubber Co. of Canada c. T. Eaton Co., [1956] R.C.S. 610, p. 614).

[17]                          La règle d’equity en question, qui semble remonter à la fin du dix‑septième siècle (A. C. Meredith, « A Nicety in the Law of Mortgage » (1916), 32 L.Q.R. 420), a été résumée ainsi par lord Hatherley dans Wallingford c. Mutual Society (1880), 5 App. Cas. 685, p. 702 :

                        [traduction] L’autre question qui a été abondamment débattue devant vos Seigneuries était celle de la pénalité. J’estime que, là encore, l’affaire est très claire. La démarche adoptée dans les hypothèques constitue, je crois, une très bonne illustration de ce qu’est le véritable principe. La façon de faire retenue depuis longtemps — j’ignore si elle a toujours cours ou pas — dans les hypothèques est que, si vous souhaitez en fait réserver un taux d’intérêt de 4 pour 100, vous réservez par contrat un taux de 5 pour 100, mais vous atténuez la sévérité de ce contrat si l’argent est payé à une date donnée ou avant. Nous ne sommes pas en présence d’une pénalité pour défaut de paiement (quoique cela semble une distinction subtile) si le contrat stipule un taux d’intérêt de 5 pour 100 qui, en cas de paiement ponctuel, sera réduit à 4 pour 100; il s’agit plutôt d’un assouplissement des conditions du contrat initial, dans lequel on ne procède non pas par voie de pénalité, mais par voie d’un assouplissement des conditions qui se mérite et s’obtient en remboursant la dette à une date précise et déterminée. [Je souligne.]

[18]                          L’observation de lord Hatherley selon laquelle la règle repose sur [traduction] « une distinction subtile » tend à indiquer que sa validité n’était pas incontestée. Comme l’a expliqué le juge en chef Finch dans Reliant Capital Ltd. c. Silverdale Development Corp., 2006 BCCA 226, 270 D.L.R. (4th) 717, par. 38‑39, la règle était déjà tombée en défaveur dès 1802. Bien qu’il ait également souligné (au par. 39) que [traduction], « [d]ans des décisions subséquentes, les tribunaux semblent avoir reconnu la distinction décrite précédemment », il appert que seule une décision rendue avant l’édiction de l’art. 8 soit fondée sur la règle (Thompson c. Hudson (1869), L.R. 4 H.L. 1).

[19]                          Cette jurisprudence anglaise oscillante semble une assise fragile pour asseoir la conclusion que la règle d’equity mentionnée par les parties a subsisté en droit canadien lorsque la première version de l’art. 8 a été adoptée. On ne trouve aucune indication dans l’évolution législative de l’art. 8 ou dans la jurisprudence pertinente qu’il s’applique autant aux pénalités qu’aux escomptes. Ainsi que l’a fait remarquer la professeure M. A. Waldron, [traduction] « [c]omme bien d’autres articles de la Loi sur l’intérêt , l’objet premier de l’article 8 est quelque peu obscur » (The Law of Interest in Canada (1992), p. 86). Dans Reliant Capital (par. 48), le juge en chef Finch a étudié les débats parlementaires qui ont précédé l’adoption de l’art. 8 en 1880 et il a souligné que cette disposition découlait de préoccupations que soulevait la situation des agriculteurs qui, à cette époque, se retrouvaient [traduction] « emprisonnés » dans des contrats d’emprunt assortis de pénalités pour arriérés qui étaient incertaines ou dont ils ne connaissaient pas l’existence.

[20]                          Cette conclusion a amené le juge en chef Finch à énoncer en ces termes l’objet de l’art. 8 :

                           [traduction] Le législateur a décidé de réserver aux hypothèques sur immeubles un traitement particulier, ou du moins un traitement différent de celui appliqué aux prêts qui ne sont pas garantis par des biens immeubles. J’en déduis qu’au moins un des objectifs poursuivis par le législateur consistait à protéger les propriétaires fonciers des frais d’intérêt ou autres charges qui les empêcheraient de libérer leur bien ou de protéger leur avoir propre. Si un propriétaire est déjà en défaut de paiement en raison du taux d’intérêt imposé sur les sommes non arriérées, un taux encore plus élevé ou une charge encore plus grande sur les arrérages rendra la forclusion pratiquement inévitable. [Je souligne.]

(Reliant Capital, par. 53)

[21]                          Je souscris à l’opinion du juge en chef Finch selon laquelle l’objet de l’art. 8 consiste à protéger les propriétaires fonciers contre les charges [traduction] « qui les empêcheraient de libérer leur bien ou de protéger leur avoir propre ». Cette interprétation est en outre conforme à la jurisprudence récente sur la question (P.A.R.C.E.L. Inc. c. Acquaviva, 2015 ONCA 331, 126 O.R. (3d) 108, par. 51).

[22]                          Cet objectif ne permet pas à lui seul d’établir une distinction entre une majoration du taux d’intérêt présentée comme une pénalité pour défaut de paiement et une réduction du taux d’intérêt présentée comme un escompte pour paiement ponctuel. Dans les deux cas, la mesure a pour effet d’imposer un taux d’intérêt plus élevé sur les arrérages d’intérêt ou de principal que celui payable sur le principal non arriéré, et de ce fait d’accroître la difficulté qu’ont les emprunteurs déjà en défaut de paiement de libérer leur bien ou de protéger leur avoir propre.

[23]                          La distinction qui, avance‑t‑on, existerait entre les pénalités et les escomptes ne résiste pas non plus à une analyse du sens ordinaire des mots employés par le législateur à l’art. 8, lus en corrélation avec ceux de l’art. 2 et à la lumière des divers objets de la Loi.

[24]                          Le paragraphe 8(1) fait état de trois catégories de charges — amendes, pénalités ou taux d’intérêt — qui ne peuvent être « stipulé[es], retenu[es], réservé[es] ou exigé[es] » si elles ont « pour effet » d’élever les charges sur les arrérages au‑dessus de celles imposées sur le principal non arriéré. Le paragraphe 8(2) précise que le par. (1) ne prohibe pas les contrats exigeant le paiement d’intérêts sur des arrérages d’intérêt ou de principal à un taux équivalent ou inférieur à celui payable sur le principal non arriéré.

[25]                          Si le législateur avait eu l’intention d’interdire uniquement les pénalités (et non les escomptes), il n’aurait pas utilisé les mots « amende » et « taux d’intérêt », en sus du mot « pénalité », pour décrire les sortes de charges qui pourraient également être interdites (Immeubles Fournier Inc. c. Construction St‑Hilaire Ltée, [1975] 2 R.C.S. 2, p. 16; Tomell Investments Ltd. c. East Marstock Lands Ltd., [1978] 1 R.C.S. 974, p. 983‑984, 987, le juge Pigeon, et p. 977, le juge en chef Laskin). De plus, en précisant que l’analyse devait porter sur l’effet de la condition hypothécaire attaquée, le législateur entendait clairement indiquer que les conditions hypothécaires déguisées en « boni », « escompte » ou « avantage » ne seraient pas, en tant que telles, conformes à l’art. 8. Le fond, et non la forme, doit l’emporter. Ce qui compte, c’est la manière dont la condition attaquée s’applique et les conséquences qu’elle entraîne, peu importe le nom qu’on lui donne. Si la condition a pour effet d’imposer sur les arrérages un taux plus élevé que celui payable sur la somme non arriérée, elle contrevient à l’art. 8 (Waldron, p. 86; Halsbury’s Laws of Canada : Mortgages/Motor Vehicles (2011), « Mortgages », contribution de J. E. Roach, par. HMO‑198; Re Weirdale Investments Ltd., p. 190; Beauchamp c. Timberland Investments Ltd. (1983), 44 O.R. (2d) 512 (C.A.), p. 516).

[26]                          L’article 8 doit aussi être interprété à la lumière de l’art. 2 et en harmonie avec celui‑ci. Comme l’a souligné la juge en cabinet (au par. 35), l’art. 2 préserve la liberté générale des parties de convenir du « taux d’intérêt ou d’escompte » applicable, sous réserve de l’existence d’une « disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale ». La faculté énoncée à l’art. 2 est donc assujettie à la restriction qu’impose l’art. 8 à l’égard du taux d’intérêt sur un prêt garanti par hypothèque (Tomell Investments, p. 983; Reliant Capital, par. 34 et 37; P.A.R.C.E.L., par. 51).

[27]                          Tant la juge en cabinet que les juges majoritaires de la Cour d’appel considèrent que l’insertion par le législateur du mot « escompte » à l’art. 2 et son omission à l’art. 8 signifient que les restrictions prévues à l’art. 8 ne s’appliquent pas aux escomptes. Autrement dit, ils estiment que l’art. 8 confirme la règle d’equity proscrivant les pénalités pour inexécution tout en autorisant les escomptes. Je ne suis pas d’accord. Comme l’art. 8 cible les charges — y compris les taux d’intérêt — qui sont « réservées » pour cause de défaut de paiement, son champ d’application est au moins aussi large que celui de l’art. 2. Vu ce libellé, le législateur n’avait pas à mentionner explicitement les « escomptes » à l’art. 8 pour qu’ils soient visés par cette disposition.

[28]                          Au soutien de son opinion selon laquelle certains escomptes sont permis par l’art. 8, ma collègue invoque l’art. 97 de l’Acte des Compagnies par actions en Canada, 1877, S.C. 1877, c. 43. Toutefois, cette loi constituait un texte distinct, qui imposait un ensemble de restrictions plus limité à un éventail plus large de transactions. En effet, il s’appliquait à tous les types de prêts, non pas uniquement à ceux garantis par hypothèque. Étant donné que l’art. 8  de la Loi sur l’intérêt  vise le crédit immobilier, il est difficile d’établir un rapprochement direct entre l’objet de cette disposition et les protections figurant à l’art. 97. Qui plus est, l’art. 97 interdisait uniquement l’imposition d’une « amende » ou d’une « pénalité » sur les arrérages, alors que l’art. 8  ajoute aux catégories de charges prohibées le fait de « réserv[er] » un « taux d’intérêt ». Quoique l’art. 97 mentionne effectivement les escomptes, le nombre plus limité de restrictions qu’il prévoit, par comparaison avec l’art. 8, n’appuie pas la proposition selon laquelle certains escomptes sont permis en vertu de l’art. 8.

[29]                          L’arrêt Dillingham sur lequel s’appuient les juges majoritaires de la Cour d’appel ne permet pas non plus de conclure que l’art. 8 vise uniquement les pénalités pour inexécution (et non les mesures incitatives à l’exécution). Dans Dillingham, le juge Stevenson (plus tard juge de notre Cour) a conclu que ne contrevenait pas à l’art. 8 une condition hypothécaire fixant à 14 pour 100 le taux d’intérêt payable en cas de défaut de paiement et après l’échéance, dans un cas où aucun autre taux n’était stipulé. Bien qu’il ait affirmé que l’art. 8 mettait en œuvre la règle d’equity ([traduction] « [à] mon avis, l’article vise à mettre en œuvre le principe d’equity qui interdit les pénalités pour inexécution » (p. 196)), le juge Stevenson a ajouté ceci :

                    [traduction] Une stipulation prévoyant une majoration du taux d’intérêt constitue à première vue une telle pénalité. Il s’agit d’une mesure qui, de prime à bord, sert à menacer un débiteur défaillant. Par conséquent, l’augmentation du taux d’intérêt stipulé va à l’encontre du principe pertinent et du texte de loi. En l’espèce, où l’on est en présence d’une transaction qui n’est pas un prêt commercial, le bon sens commande de conclure à l’existence non pas d’une opération à taux d’intérêt nul, mais d’une opération ne comportant pas de dispositions précises quant aux intérêts. Si je dis cela, c’est qu’il est inconcevable que, lorsqu’elles ont arrêté les conditions de leur arrangement, les parties n’ont pas songé aux coûts d’emprunt de l’argent ou n’y ont pas pourvu d’une certaine manière. Il se peut, par exemple, que — en tant que vendeur — le créancier hypothécaire ait calculé de façon précise la somme payable à l’échéance. Je ne peux affirmer que la stipulation imposant un intérêt à l’échéance a pour effet d’augmenter la partie correspondant aux intérêts. Je suis incapable de conclure que la stipulation particulière en cause revêt un caractère pénal et qu’elle est en conséquence visée par le principe qu’exprime l’article de la loi. [p. 196]

[30]                          Dans Dillingham, l’arrangement en cause respectait l’art. 8 non pas parce qu’il prenait la forme d’un escompte par opposition à une pénalité, mais plutôt parce qu’on a considéré que les parties avaient convenu de fixer, à l’égard des coûts de l’emprunt, un taux d’intérêt unique (14 pour 100), qui devait s’appliquer en cas de défaut de paiement ou à l’échéance. Interprété ainsi, le raisonnement du juge Stevenson clarifie la remarque qu’il fait à la fin relativement à la question de savoir si la stipulation avait un caractère « pénal ». Là encore, au lieu de confirmer l’existence d’une possible distinction entre les pénalités et les escomptes pour les besoins de l’art. 8, le juge Stevenson se référait tout simplement (pour reprendre les termes de l’art. 8) à l’effet de la condition attaquée (Waldron, p. 90). La stipulation n’avait pas un caractère « pénal », étant donné qu’elle n’avait pas pour effet d’imposer sur les arrérages une charge plus élevée que celle imposée sur le principal non arriéré.

[31]                          En résumé, le sens ordinaire des mots que le Parlement a choisi d’ajouter à l’art. 8 — lus en corrélation avec l’art. 2 et considérés à la lumière des objets de la Loi — étaye la conclusion que l’art. 8 s’applique à la fois aux escomptes (des incitatifs à l’exécution) et aux pénalités pour inexécution chaque fois qu’une telle mesure a pour effet d’élever les charges sur les arrérages au‑dessus du taux d’intérêt payable sur le principal non arriéré. À cet égard, je suis en désaccord avec la majorité de la Cour d’appel et la juge en cabinet.

[32]                          Je souscris toutefois au refus de la juge en cabinet d’examiner la question de savoir si les arrangements contestés reposaient sur une [traduction] « fin commerciale légitime » (par. 61). On peut comprendre que des tribunaux décident d’élaborer un tel critère afin d’intégrer à l’analyse fondée sur l’art. 8 une approche reflétant ce qu’ils considèrent comme des attentes raisonnables en matière commerciale (M. A. Waldron, « The “Legitimate Commercial Purpose” Test Revisited — Case Comment on Reliant Capital Ltd. v. Silverdale Development Corporation » (2008), 41 U.B.C. L. Rev. 101; TD Trust Co. c. Guinness (1995), 12 B.C.L.R. (3d) 102 (C.S.), par. 17‑21; Langley Lo‑Cost Builders Ltd. c. 474835 B.C. Ltd., 2000 BCCA 365, 140 B.C.A.C. 182, par. 95‑96). Cette approche est cependant incompatible avec l’art. 8. Comme l’a indiqué le juge en chef Finch dans Reliant Capital (par. 87), la difficulté que crée le critère de la fin commerciale légitime découle en partie du fait qu’il entraîne de l’incertitude en matière commerciale et une application arbitraire de l’art. 8. Plus fondamentalement encore, le fait de s’interroger sur la « légitimité » de l’objet à la base d’un arrangement qui contrevient à l’art. 8 non de par son objet mais de par son effet s’oppose à l’intention clairement exprimée par le législateur. Cette même objection vaut également pour toute tentative de la part des tribunaux — que ce soit en recourant à une interprétation « stricte », ou en s’attachant à d’autres considérations non pertinentes pour l’application de l’art. 8, par exemple le degré d’expertise ou le rapport de force respectifs des parties — de déroger à l’analyse purement axée sur les résultats que requiert expressément l’art. 8. Notre Cour a récemment fait observer qu’elle ne peut « faire “en interprétant” la loi ce que le législateur a choisi de ne pas faire en l’adoptant » (Société Radio‑Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615, par. 53). Mais l’inverse est également vrai : les tribunaux ne peuvent « en interprétant » une loi faire ce que le législateur a choisi de faire en l’adoptant. Si l’art. 8 reflète une politique générale mauvaise ou désuète, la solution relève du législateur, et non des tribunaux.

B.            Application aux première et deuxième conventions de renouvellement

[33]                          Pour trancher le présent pourvoi, je considère qu’il suffit d’analyser la Seconde convention de renouvellement, puisque son application a été fixée rétroactivement à la date (le 1er février 2009) à laquelle a pris effet la majoration du taux d’intérêt prévue par la Première convention de renouvellement. Cela dit, une hausse du taux d’intérêt déclenchée par le seul écoulement du temps (et non par suite d’un défaut de paiement), telle la hausse imposée en vertu de la Première convention de renouvellement, ne contrevient manifestement pas à l’art. 8.

[34]                          Ma collègue et moi divergeons d’opinions en ce qui a trait à la signification des conditions de la Seconde convention de renouvellement. Elle considère que le taux d’intérêt effectif en vertu de cette convention était de 25 pour 100, parce qu’il devait « être payé chaque mois » (par. 45). Elle ajoute que le fait que les sommes représentant la différence entre le taux payable et le taux d’intérêt stipulé s’accumulent est indicatif de l’application d’un taux d’intérêt effectif de 25 pour 100, étant donné que ce taux « n’était pas retenu, réservé ou exigé en cas de défaut de paiement uniquement » (par. 45).

[35]                          Je ne suis pas d’accord. L’article 1 de la Seconde convention de renouvellement fixe le taux d’intérêt à 25 pour 100 par année. L’article 3 établit le « taux payable » (en l’occurrence le taux annuel applicable aux paiements mensuels d’intérêt que devait effectuer Lougheed) au plus élevé des taux suivants : 7,5 pour 100 ou le taux préférentiel plus 5,25 pour 100. Par l’effet des art. 4 et 5, la différence entre les intérêts calculés selon le taux d’intérêt de 25 pour 100 et ceux calculés suivant le taux payable s’ajoute au capital du prêt, mais le créancier renonce à cette somme s’il y a absence de défaut de paiement et s’il y a remboursement intégral à l’échéance. Cette formule a donc pour effet de réserver une charge plus élevée (25 pour 100) sur les arrérages que celle imposée sur le principal non arriéré (7,5 pour 100 ou le taux préférentiel plus 5,25 pour 100). Le fait de qualifier une charge de « taux d’intérêt » et l’autre charge de « taux payable » est sans conséquence, puisque l’art. 8 met explicitement l’accent sur le fond plutôt que sur la forme.

[36]                          Ma collègue s’appuie également sur une lecture corrélative de l’art. 2 et de l’art. 8 pour conclure que la seconde disposition doit être interprétée étroitement, de façon à permettre certains escomptes — plus précisément « un escompte [. . .] en vue d’atténuer les obligations financières découlant de l’application d’un taux d’intérêt plus élevé en vertu duquel des paiements sont déjà exigibles » (par. 54). Au soutien de cette conclusion, elle invoque l’arrêt North West Life Assur. Co. of Can. c. Kings Mount Hldg. Ltd. (1987), 15 B.C.L.R. (2d) 376 (C.A.).

[37]                          Bien que je reconnaisse que l’arrangement dont il était question dans North West ne contrevient pas à l’art. 8, il peut néanmoins être distingué d’avec la Seconde convention de renouvellement. Dans North West, le taux initial imposé dans l’arrangement était de 19 pour 100. Lorsque l’emprunteur a manqué à ses obligations, les parties ont prolongé la durée de la convention et stipulé que le taux d’intérêt applicable serait réduit à 13 pour 100 si le prêt était remboursé dans le délai imparti. En l’espèce, toutefois, le taux d’intérêt a grimpé à 25 pour 100 pendant la durée du prêt, puis, dans le cadre de la Seconde convention de renouvellement, il a fait l’objet d’un « assouplissement » sous forme d’une réduction conditionnelle l’abaissant à un taux qui demeurait néanmoins presque trois fois supérieur au taux convenu originalement.

IV.         Conclusion et dispositif

[38]                          Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, avec dépens devant notre Cour et devant les juridictions inférieures. L’article 8  de la Loi sur l’intérêt  s’applique avec autant de force aux conditions hypothécaires imposant un taux plus élevé en guise de pénalité applicable en cas de défaut de paiement, qu’aux conditions réservant un taux plus bas en guise d’escompte applicable en l’absence de défaut de paiement. Le taux d’intérêt annuel de 25 pour 100 fixé par la Seconde convention de renouvellement est donc annulé. Le taux d’intérêt en vigueur à compter du 1er février 2009 en vertu de la Seconde convention de renouvellement est établi au plus élevé des taux suivants : 7,5 pour 100 ou le taux préférentiel plus 5,25 pour 100.

                    Version française des motifs des juges Abella, Moldaver et Côté rendus par

                    La juge Côté (dissidente)

I.             Introduction

[39]                          Je ne peux me rallier à l’opinion de mon collègue le juge Brown, car je suis d’avis que le « taux d’intérêt payable sur le principal non arriéré » prévu à la Seconde convention de renouvellement est en fait de 25 pour 100. Ainsi, la Seconde convention de renouvellement n’a pas eu pour « effet » d’augmenter les charges sur les arrérages et l’art. 8  de la Loi sur l’intérêt ,   L.R.C. 1985, c. I‑15 , n’entre pas en jeu. Ce motif constitue à lui seul une raison suffisante pour rejeter le pourvoi.

[40]                          Quoi qu’il en soit, j’estime que l’art. 8  de la Loi sur l’intérêt  ne prohibe pas les « escomptes libératoires » — c’est‑à‑dire les escomptes qui libèrent dans une certaine mesure l’emprunteur des obligations découlant de l’application du taux d’intérêt exigible aux termes d’une convention. L’article 2  de la Loi sur l’intérêt  énonce la règle générale précisant que « le taux d’intérêt ou d’escompte qui est convenu » est permis. L’article 8 étant une exception à cette règle fondamentale, il doit être interprété étroitement et son champ d’application doit être limité à ce qui est nécessaire à la réalisation de son objet, à savoir la protection des débiteurs hypothécaires en difficulté. En l’espèce, la Seconde convention de renouvellement offrait à Lougheed Block Inc. un moyen moins onéreux de s’acquitter de ses obligations financières et de protéger son avoir propre. En conséquence, la Seconde convention de renouvellement ne contrevient pas à l’art. 8.

II.          La Seconde convention de renouvellement n’a pas eu pour « effet » d’augmenter les charges sur les arrérages

[41]                          De l’avis de mon collègue, la seule question à laquelle il faut répondre lorsqu’il s’agit d’appliquer l’art. 8 consiste à se demander si la clause contractuelle contestée avait pour « effet » d’augmenter les charges sur les arrérages. Cependant, avant de répondre à cette question, il faut au préalable déterminer quel est le « taux d’intérêt payable sur le principal non arriéré ».

[42]                          Selon moi, la réponse est simple. Les clauses de la Seconde convention de renouvellement sont limpides. Le « taux d’intérêt payable sur le principal non arriéré » qui a été convenu a été fixé à 25 pour 100 pour toute la durée de la convention et il devait s’appliquer de façon uniforme à la fois au principal non arriéré et aux arrérages de principal ou d’intérêt.

[43]                          La Seconde convention de renouvellement comporte notamment les clauses suivantes :

                    [traduction]

1.   L’intérêt doit être calculé sur l’ensemble du solde impayé du prêt, au taux de 25 pour 100 par année, composé mensuellement, du 1er février 2009 jusqu’à la date du remboursement intégral

. . .

3.   [Lougheed] doit effectuer mensuellement, au plus tard le 15e jour de chaque mois à partir du 15 mai 2009 jusqu’au 15 janvier 2010, des paiements correspondant au montant établi en appliquant le plus élevé des taux suivants : 7,5 pour 100 par année, composé et payable mensuellement, ou le taux préférentiel consenti par L’Équitable, Compagnie de fiducie, + 5,25 pour 100 par année, composé et payable mensuellement (le « Montant payé » (« Pay Rate » dans le texte original)).

4.   La différence entre les intérêts payables sur le prêt conformément au paragraphe 1 et les intérêts effectivement payés suivant le Montant payé s’ajoute au prêt (les « Intérêts accumulés » (« Accrued Interest » dans le texte original)).

. . .

                    En signant la présente lettre, vous reconnaissez également ce qui suit :

. . .

2.   Le taux d’intérêt payable est de 25 pour 100 par année, calculé et payable mensuellement; [Je souligne.]

[44]                          Selon les termes expressément convenus entre les parties, le taux d’intérêt payable était de 25 pour 100. Ce taux ne devenait pas applicable uniquement en cas de défaut de paiement ou à l’échéance; il constituait plutôt le taux qui était en vigueur pendant toute la durée de la convention et qui était payable mensuellement, par voie de décaissements effectifs effectués par la débitrice et au moyen de fonds additionnels avancés par le prêteur. Le montant de ces décaissements effectifs était défini à la clause 3 et qualifié de « Montant payé ». La différence entre ces décaissements effectifs et les paiements d’intérêt au taux de 25 pour 100 devait être ajoutée chaque mois au capital du prêt en application de la clause 4. En d’autres termes, cette somme était payable mensuellement au moyen de fonds additionnels avancés à titre intérimaire. Je tiens à souligner que le montant d’intérêt calculé au taux de 25 pour 100 devait être payé mensuellement et non simplement « retenu, réservé ou exigé » en cas de défaut. Selon le texte clair des clauses de la Seconde convention de renouvellement, l’intérêt était payable chaque mois sur la totalité du capital du prêt, y compris sur les sommes ajoutées au prêt en raison du financement intérimaire consenti pour permettre d’acquitter la différence entre les paiements calculés au taux d’intérêt convenu de 25 pour 100 et ceux correspondant au « Montant payé ».

[45]                          Mon collègue conclut que l’« effet » de la Seconde convention de renouvellement était de réserver des charges plus élevées sur les arrérages (au taux de 25 pour 100) que celles imposées sur le principal non arriéré (en vertu de ce qu’il appelle le « taux payable » (« Pay Rate »)). Avec égards, je suis en désaccord. Le taux de 25 pour 100 n’était pas « retenu, réservé ou exigé » en cas de défaut de paiement uniquement; il devait être payé chaque mois pendant toute la durée de la Seconde convention de renouvellement. C’est ainsi que les intérêts calculés suivant ce taux étaient comptabilisés et considérés par les parties. La possibilité que le débiteur puisse être libéré d’une partie de ces paiements d’intérêt n’a pas eu pour « effet » de réduire l’intérêt qui était payable mensuellement sur le principal non arriéré. En conséquence, l’art. 8 n’entre pas en jeu. Je rejetterais le pourvoi sur la base de ce seul motif.

III.       L’article 8 ne prohibe pas tout escompte

[46]                          Subsidiairement, je conclus que le pourvoi aurait pu également être rejeté au motif que l’art. 8 ne prohibe pas les escomptes visant à libérer dans une certaine mesure le débiteur d’obligations découlant de l’application d’un taux d’intérêt plus élevé par ailleurs exigible, comme c’est le cas de la Seconde convention de renouvellement en l’espèce.

[47]                          Tel que je l’ai mentionné plus tôt, mon collègue est d’avis que la seule question à laquelle il faut répondre dans le cadre de l’analyse requise sous l’art. 8 consiste à se demander si la clause contractuelle contestée a pour « effet » d’augmenter les charges sur les arrérages. Selon lui, il n’y a pas place pour des considérations d’ordre commercial dans cette analyse. Je suis d’accord avec mon collègue pour dire que les tribunaux ne devraient pas prendre l’initiative d’adapter l’art. 8 en fonction de préférences commerciales modernes; c’est le rôle du Parlement. Toutefois, l’analyse téléologique et contextuelle effectuée sous l’art. 8 requiert la prise en compte du contexte commercial. Considéré à la lumière des circonstances dans lesquelles il a été convenu, l’escompte contesté en l’espèce procurait à Lougheed une solution moins onéreuse pour s’acquitter des obligations financières que lui imposait la Première convention de renouvellement. Conclure à l’invalidité du taux d’intérêt de 25 pour 100 convenu dans la Seconde convention de renouvellement ne permettrait pas de réaliser l’objectif de protection visé par le législateur fédéral, tel que l’interprète mon collègue. Une telle conclusion aurait plutôt pour résultat de faire bénéficier Lougheed d’un avantage qu’elle n’a pas mérité.

[48]                          L’article 2  de la Loi sur l’intérêt  confirme la liberté contractuelle en droit du financement et, ce faisant, il autorise expressément les escomptes : « . . . une personne peut stipuler [. . .] le taux d’intérêt ou d’escompte qui est convenu ». L’article 8 constitue une exception au principe fondamental de la liberté contractuelle lorsqu’il prohibe la majoration des charges sur les arrérages. Cependant, comme le fait remarquer mon collègue, cet article n’interdit pas expressément les escomptes. L’absence du mot « escompte » à l’art. 8 — et, à l’inverse, sa présence à l’art. 2 — doivent guider notre interprétation, étant donné que chaque mot d’une loi doit se voir attribuer un sens et une fonction (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), p. 211; Fonds de développement économique local c. Canadian Pickles Corp., [1991] 3 R.C.S. 388, p. 408), et que, selon un principe bien établi, chaque disposition d’une loi est présumée avoir été rédigée en fonction des autres (Sullivan, p. 211, 405‑406; Inland Revenue Commissioners c. Hinchy, [1960] A.C. 748, p. 766, lord Reid).

[49]                          À cet égard, l’historique de la Loi sur l’intérêt  est révélateur. La toute première version législative de ce que sont les art. 2 et 8 actuels de la Loi sur l’intérêt , en l’occurrence l’art. 97 de l’Acte des Compagnies par actions en Canada, 1877, S.C. 1877, c. 43, mentionnait et prohibait expressément les escomptes ayant pour effet d’augmenter les charges sur les arrérages :

                        97. La compagnie pourra stipuler, prendre, retenir et exiger tout intérêt ou escompte qui pourra être légalement pris par les particuliers ou, dans la Province de Québec, par ces compagnies incorporées, dans les mêmes circonstances, et elle pourra aussi recevoir sur ses prêts un paiement annuel à titre de fonds d’amortissement pour l’extinction graduelle de ce prêt, aux conditions et de la manière que les règlements de la compagnie établiront; pourvu toujours qu’aucune amende ou pénalité ne sera stipulée, prise, retenue ou exigée à l’égard des arrérages de principal ou d’intérêt, qui aurait l’effet d’accroître les charges à l’égard des arrérages au‑delà du taux d’intérêt ou d’escompte sur le prêt.

[50]                          L’article 8 étant une exception à la règle générale selon laquelle les escomptes sont permis, il doit être interprété étroitement et son champ d’application doit être limité à ce qui est nécessaire à la réalisation de son objet (Air Canada c. Colombie‑Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161, p. 1207; voir aussi McDiarmid Lumber Ltd. c. Première Nation de God’s Lake, 2006 CSC 58, [2006] 2 R.C.S. 846, par. 39).

[51]                          Dans le contexte de la présente affaire, cette interprétation étroite est appropriée. Ainsi que le souligne la professeure Ruth Sullivan, comme [traduction] « [i]l est impossible pour les rédacteurs de prévoir toute réserve ou limite qui pourrait à juste titre s’appliquer dans une situation donnée », il peut être indiqué de restreindre le champ d’application d’une disposition législative afin de demeurer fidèle à l’intention du législateur (p. 195‑196; Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2009 CAF 187, [2010] 2 R.C.F. 389, par. 88‑89). Cette approche semble avoir déjà été suivie par notre Cour (Montréal (Ville) c. 2952‑1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141; Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533).

[52]                          L’objet de l’art. 8 peut être dégagé de l’historique de l’Acte concernant l’intérêt sur les deniers garantis par hypothèque sur propriété foncière, S.C. 1880, c. 42, ainsi que des débats qui ont précédé son adoption. Dans Reliant Capital Ltd. c. Silverdale Development Corp., 2006 BCCA 226, 270 D.L.R. (4th) 717, par. 48, le juge en chef Finch de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a dit ce qui suit à cet égard :

                    [traduction] Pendant la majeure partie des débats, les prêteurs étaient perçus sous un jour défavorable et ils étaient dans une large mesure tenus pour responsables de la ruine de nombreux agriculteurs et de l’exode de fermiers canadiens vers les États‑Unis qui en a résulté. Les députés se sont dits préoccupés par le fait que, dans bien des cas, le taux d’intérêt véritable n’était pas clair pour les emprunteurs; que les taux d’intérêt étaient exorbitants; que fréquemment les emprunteurs ignoraient l’existence de pénalités à l’égard des arrérages ou n’y étaient pas attentifs; et que ces emprunteurs se retrouvaient souvent emprisonnés dans des prêts de longue durée.

[53]                          Le législateur a répondu à certaines de ces préoccupations dans différentes dispositions de la loi qui en a découlé. Pour les besoins du présent pourvoi, il semble qu’une situation préjudiciable en particulier ait incité le législateur à édicter l’art. 3 de cette loi, disposition dont le texte subsiste encore pour l’essentiel de nos jours et constitue l’art. 8  de la Loi sur l’intérêt . Plus précisément, on considérait abusif de la part des prêteurs d’imposer une amende, une pénalité ou un taux d’intérêt plus élevé à des débiteurs défaillants qui éprouvaient déjà de la difficulté à s’acquitter de leurs obligations financières. Les rédacteurs semblaient craindre que, en raison de ces charges plus élevées, il soit pratiquement impossible pour les débiteurs de rembourser leurs dettes, de protéger leur avoir propre et d’éviter la forclusion (Reliant Capital, par. 48‑55; P.A.R.C.E.L. Inc. c. Acquaviva, 2015 ONCA 331, 126 O.R. (3d) 108, par. 51; T. G. W. Telfer, « Document d’information sur la Loi canadienne sur l’intérêt » (en ligne), par. 31, citant les Débats de la Chambre des communes, vol. VIII, 2sess., 4lég., 31 mars 1880, p. 972; M. A. Waldron, « The Federal Interest Act  : It Sure is Broke, But is it Worth Fixin’? » (1997), 29 Rev. can. dr. comm. 161, p. 164‑165).

[54]                          Bien que mon collègue le juge Brown conclue que les escomptes ont généralement pour « effet » d’augmenter les charges sur les arrérages, je tiens à souligner que ce ne sont pas tous les escomptes qui, si on les considère dans leur contexte commercial particulier, affaiblissent la protection dont sont censés bénéficier les débiteurs en difficulté. En effet, dans certains cas un escompte peut être convenu dans une convention de renouvellement en vue d’atténuer les obligations financières découlant de l’application d’un taux d’intérêt plus élevé en vertu duquel des paiements sont déjà exigibles. De telles conventions peuvent difficilement être qualifiées d’inéquitables ou d’abusives, ou encore de pénalités ou de mesures de coercition, de contrainte ou d’intimidation (Langley Lo‑Cost Builders Ltd. c. 474835 B.C. Ltd., 2000 BCCA 365, 140 B.C.A.C. 182, par. 100; York Ventures Ltd. c. 0775740 B.C. Ltd., 2015 BCSC 1105, par. 43 (CanLII)).

[55]                          La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a examiné un escompte de ce genre dans North West Life Assur. Co. of Can. c. Kings Mount Hldg. Ltd. (1987), 15 B.C.L.R. (2d) 376. Dans cette affaire, la convention hypothécaire initiale prévoyait un taux d’intérêt de 19 pour 100. L’emprunteur éprouvant de la difficulté à respecter ses obligations financières, les parties ont convenu d’un renouvellement. Cette convention de renouvellement fixait le taux d’intérêt à 19 pour 100 — reconduisant ainsi le taux stipulé dans la convention initiale intervenue entre les parties — mais prévoyait également, à titre d’escompte, la réduction du taux d’intérêt à 13 pour 100 en cas de remboursement ponctuel. La Cour d’appel a déclaré [traduction] « ne pas être persuadée que le fait d’accorder un avantage au débiteur en l’exonérant de certaines obligations en contrepartie du remboursement ponctuel de sa dette hypothécaire contrevient au texte de la loi » (p. 380). Quoique mon collègue le juge Brown insiste sur le fait que l’art. 8 prohibe les escomptes « chaque fois qu’une telle mesure a pour effet d’élever les charges sur les arrérages » (par. 31) et que le fait de s’attacher au contexte commercial déroge « à l’analyse purement axée sur les résultats que requiert expressément l’art. 8 » (par. 32), il n’en conclut pas moins que l’escompte libératoire en cause dans North West ne contrevient pas à l’art. 8.

[56]                          Ces escomptes « libératoires » ou « exonérateurs » sous forme de réductions du taux d’intérêt permettent généralement aux débiteurs hypothécaires en difficulté de s’acquitter plus facilement de leurs obligations financières. Dans le pire des cas, ils les laissent simplement dans la même situation où ils se trouvaient suivant les conditions de leur convention initiale. Interpréter l’art. 8 comme ayant pour effet de prohiber ce genre d’escomptes risque de décourager les prêteurs d’alléger le fardeau que constitue le paiement des intérêts pour des débiteurs en difficulté, une troublante ironie compte tenu de l’objectif visé par l’adoption de l’art. 8.

[57]                          Qui plus est, en raison de l’importance qu’attache mon collègue à une « analyse purement axée sur les résultats », les emprunteurs se trouvant dans cette situation bénéficieraient de taux d’intérêt réduits peu importe les conditions de leur convention respective ou le fait qu’ils paient ou non promptement leur dette, alors que les prêteurs seraient pour leur part privés de sommes que des emprunteurs auraient accepté auparavant de leur payer, sans avoir bénéficié pour autant d’un remboursement ponctuel. Ce sont des préoccupations de cette nature qui ont amené les tribunaux d’equity, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, à déclarer valides certains escomptes, même s’il était interdit d’imposer des charges plus élevées sur les arrérages de prêts hypothécaires (le Lord Keeper Somers dans Strode c. Parker (1694), 2 Vern. 316, 23 E.R. 804; le Lord Keeper Wright dans Jory c. Cox (1701), Prec. Ch. 160, 24 E.R. 77, cité dans A. C. Meredith, « A Nicety in the Law of Mortgage » (1916), 32 L.Q.R. 420, p. 421‑422).

[58]                          La Seconde convention de renouvellement est le genre d’escompte « libératoire » ou « exonérateur » dont j’ai parlé. Comme la juge Romaine a conclu, à la fin de la période visée par la Première convention de renouvellement, Lougheed n’était pas en mesure de rembourser le capital du prêt, lequel était alors assujetti à un taux d’intérêt de 25 pour 100 (2012 ABQB 411, 550 A.R. 316). Bien que ce taux convenu dans la Première convention de renouvellement ait subséquemment été contesté, la Cour d’appel l’a à l’unanimité jugé valide et cette conclusion n’est pas modifiée par mon collègue. Lougheed, un emprunteur avisé, aurait pu consentir à la forclusion, mais elle a plutôt négocié la Seconde convention de renouvellement dans l’espoir que sa situation s’améliorerait. Équitable a accepté de renoncer à l’exécution de la convention et a prolongé la durée du prêt en contrepartie d’un intérêt au taux de 25 pour 100, taux déjà prévu par la Première convention de renouvellement. À la condition que les paiements mensuels soient effectués régulièrement et que le capital soit remboursé à l’échéance, Équitable a accepté d’accorder à Lougheed la possibilité de se libérer d’une partie de son fardeau au titre des intérêts. En définitive, la Seconde convention de renouvellement fournissait à Lougheed une solution moins onéreuse pour s’acquitter de ses obligations financières et protéger son avoir propre.

[59]                          En pratique, la Seconde convention de renouvellement ne se distingue pas de l’escompte relatif à une réduction du taux d’intérêt dont la validité a été confirmée dans l’affaire North West, arrangement qui, comme l’a reconnu mon collègue, « ne contrevient pas » à l’art. 8 (par. 37). Dans cette affaire, tout comme dans celle qui nous occupe, une convention de renouvellement accordait au débiteur, à la condition qu’il rembourse promptement sa dette, un certain allégement du taux d’intérêt qui était jusque‑là payable et exigible. Nous reconnaissons tous que le taux d’intérêt de 25 pour 100 qui était payable et exigible au moment de la signature de la Seconde convention de renouvellement était valide. Cette convention avait donc un caractère véritablement libératoire. Se plaindre de l’écart entre le taux d’intérêt original et le taux d’intérêt réduit prévu par la Seconde convention de renouvellement équivaut à faire abstraction du fait que le taux d’intérêt avait été validement haussé à 25 pour 100 durant le dernier mois d’application de la Première convention de renouvellement.

IV.       Conclusion et dispositif

[60]                          En somme, si le taux d’intérêt de 25 pour 100 stipulé dans la Seconde convention de renouvellement est déclaré invalide, Lougheed profitera d’un avantage qu’elle n’a pas mérité, alors qu’Équitable sera privée de paiements d’intérêt exigibles et dus suivant la convention, sans avoir bénéficié pour autant d’un prompt remboursement. L’article 8 ne peut être appliqué d’une manière qui produirait un résultat aussi éloigné de son objectif initial, à savoir la protection des débiteurs en difficulté.

[61]                          Pour ces motifs, je rejetterais le pourvoi.

                    Pourvoi accueilli avec dépens, les juges Abella, Moldaver et Côté sont dissidents.

                    Procureurs des appelants : Parlee McLaws, Calgary.

                    Procureurs de l’intimée : Reynolds, Mirth, Richards & Farmer, Edmonton.

 

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