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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Heritage Capital Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 19, [2016] 1 R.C.S. 306

Appel entendu : 22 janvier 2016

Jugement rendu : 6 mai 2016

Dossier : 36301

 

Entre :

Heritage Capital Corporation

Appelante

 

et

 

L’Équitable, Compagnie de fiducie (prorogée

depuis sous le nom de Banque Équitable),

Lougheed Block Inc., Neil John Richardson,

Hugh Daryl Richardson, Heritage Property Corporation,

604 1st Street S.W. Inc. et Krayzel Corp.

Intimés

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown

 

Motifs de jugement conjoints :

(par. 1 à 64)

Les juges Gascon et Côté (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Brown)

 

 

 


Heritage Capital Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 19, [2016] 1 R.C.S. 306

Heritage Capital Corporation                                                                       Appelante

c.

L’Équitable, Compagnie de fiducie (prorogée

depuis sous le nom de Banque Équitable),

Lougheed Block Inc.,

Neil John Richardson, Hugh Daryl Richardson,

Heritage Property Corporation,

604 1st Street S.W. Inc. et

Krayzel Corp.                                                                                                     Intimés

Répertorié : Heritage Capital Corp. c. Équitable, Cie de fiducie

2016 CSC 19

No du greffe : 36301.

2016 : 22 janvier; 2016 : 6 mai.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown.

en appel de la cour d’appel de l’alberta

                    Biens — Biens réels — Vente — Droit à des paiements incitatifs découlant d’un contrat incitatif enregistré par voie de caveat sur le titre du bien‑fonds — Adoption par la Ville d’un arrêté désignant un édifice ressource historique municipale en application de la Historical Resources Act — Conclusion par la Ville avec le propriétaire de l’édifice d’un contrat qui prévoit le versement sur une période de 15 ans de paiements annuels visant à indemniser le propriétaire pour la diminution de la valeur économique de l’édifice en raison de sa désignation et pour les frais des travaux de restauration, et qui impose certaines restrictions quant à l’utilisation de l’édifice — Contrat enregistré par voie de caveat sur le titre du bien‑fonds — Édifice vendu lors d’une vente sous contrôle de justice — Les paiements incitatifs constituent‑ils un engagement positif qui se rattache au bien‑fonds soit par l’effet de la Historical Resources Act, soit en vertu du contrat entre la Ville et le propriétaire de l’édifice? — Les paiements incitatifs faisaient‑ils partie des éléments d’actif vendus lors de la vente sous contrôle de justice? — Historical Resources Act, R.S.A. 2000, c. H‑9, art. 29.

                    Sûretés mobilières — Conclusion par la Ville avec le propriétaire d’un édifice d’un contrat qui prévoit le versement de paiements incitatifs visant à indemniser le propriétaire pour la diminution de la valeur économique de l’édifice en raison de sa désignation comme ressource historique et pour les frais des travaux de restauration — Cession par le propriétaire de l’édifice à deux prêteurs successifs du droit aux paiements incitatifs en guise de garantie des prêts — Édifice vendu lors d’une vente sous contrôle de justice — Cession par le premier prêteur d’un intérêt sur les paiements à l’acheteur après la clôture de la vente — L’ordre de priorité quant aux paiements est‑il régi par la Personal Property Security Act, R.S.A. 2000, c. P‑7?

                    Lougheed Block Inc. (« Lougheed ») était le propriétaire de l’édifice appelé « Lougheed Building » (l’« Édifice »), situé au centre‑ville de Calgary, au moment où celui‑ci a été désigné « ressource historique municipale » en vertu de la Historical Resources Act (« HRA ») en 2004. Afin d’indemniser Lougheed pour toute diminution de la valeur économique de l’Édifice en raison de sa désignation et pour des dépenses engagées afin de réaliser les travaux de restauration de l’Édifice, la Ville de Calgary (la « Ville ») a accepté de payer à Lougheed la somme de 3,4 M$ répartie en 15 versements annuels (« Paiements incitatifs »). Le contrat (« Contrat incitatif ») intervenu entre Lougheed et la Ville, qui imposait également au propriétaire de l’Édifice certaines restrictions quant à l’utilisation de celui‑ci, a été enregistré par voie de caveat sur le titre du bien‑fonds.

                    En novembre 2006, Lougheed a emprunté des fonds à L’Équitable, Compagnie de fiducie (« Équitable »). Le prêt a été garanti notamment par la cession du Contrat incitatif. En mai 2007, Lougheed a obtenu du financement additionnel d’Heritage Capital Corporation et lui a cédé à elle aussi, en guise de garantie du prêt, son droit aux Paiements incitatifs. Lougheed a fait défaut de rembourser le prêt consenti par Équitable en mai 2009. Cette dernière a alors intenté une action visant l’exécution d’une partie de sa garantie. Par suite de cette action, l’Édifice a été mis en vente sous contrôle de justice. La société mère de 604 1st Street S.W. Inc. (« 604 ») a présenté une offre (l’« Offre de 604 ») qui a été acceptée en juillet 2010.

                    Peu avant la date de clôture de la vente, Lougheed a demandé à un protonotaire de la Cour du Banc de la Reine de rendre une décision déclarant que les Paiements incitatifs ne constituaient pas un intérêt foncier et ne faisaient pas partie des éléments d’actif vendus à 604 lors de la vente sous contrôle de justice. Le protonotaire a rendu la décision déclaratoire demandée. 604 a interjeté appel et un juge en cabinet du même tribunal a confirmé la décision déclaratoire du protonotaire, estimant que le par. 29(3) de la HRA n’avait pas pour effet de permettre le rattachement des Paiements incitatifs au bien‑fonds en tant qu’engagement positif. Au terme d’un appel formé subséquemment par 604, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont accueilli l’appel, statuant que la HRA crée des engagements sui generis qui écartent la règle de common law selon laquelle des engagements positifs ne se rattachent pas au bien‑fonds.

                    Arrêt : Le pourvoi est accueilli.

                    La décision correcte est la norme applicable pour examiner l’interprétation par le juge en cabinet de la common law, ainsi que de la HRA étant donné que l’interprétation d’une loi est une question de droit. C’est la norme de l’erreur manifeste et déterminante qui s’applique à l’interprétation par le juge en cabinet du Contrat incitatif et de l’Offre de 604, car l’interprétation contractuelle est une question mixte de fait et de droit.

                    L’article 29 de la HRA n’écarte pas complètement la règle de common law selon laquelle des engagements positifs ne se rattachent pas au bien‑fonds. L’article 29 limite plutôt les engagements positifs susceptibles de rattachement au bien‑fonds aux seuls engagements de cette nature énoncés en faveur de la personne ou des organisations mentionnées au par. 29(1), à savoir : le ministre, le conseil de la municipalité dans laquelle se trouve le bien‑fonds, l’Alberta Historical Resources Foundation ou encore une organisation de conservation du patrimoine agréée par le ministre. Il n’autorise pas le rattachement au bien‑fonds d’engagements positifs énoncés en faveur d’une entité qui n’est pas énumérée au par. 29(1). L’application des principes d’interprétation des lois pertinents mène à la conclusion que la portée de l’exception établie à l’art. 29 de la HRA à l’égard de la règle de common law doit être limitée par le langage exprès utilisé dans la disposition et par l’objet qui sous‑tend la HRA. Si le législateur avait voulu écarter complètement les règles de common law relatives aux engagements positifs et créer des conditions et engagements sui generis dont l’exécution peut être demandée tant par la Ville que par le propriétaire foncier, il l’aurait dit en termes exprès. L’article 29 vise à permettre aux gouvernements ou entités à caractère public qui ne possèdent aucun intérêt dans le bien‑fonds ou l’immeuble concerné de demander l’exécution des conditions et engagements énoncés en leur faveur. Le juge en cabinet a bien interprété la HRA.

                    Dans la présente affaire, le droit aux Paiements incitatifs n’est pas devenu un intérêt rattaché au bien‑fonds par l’effet de la HRA. Bien que la Ville fasse partie des organisations mentionnées au par. 29(1), l’engagement de verser les Paiements incitatifs n’a pas été souscrit en sa faveur. Par conséquent, les Paiements incitatifs ne se rattachent pas au bien‑fonds au sens de la HRA. De plus, aucune intention de rattacher les Paiements incitatifs au bien‑fonds ne ressort du Contrat incitatif lui‑même. Le Contrat incitatif ne confirme d’aucune manière que les parties à ce contrat entendaient que les paiements puissent être versés à un futur propriétaire. Au contraire, une façon raisonnable d’interpréter le contrat consiste plutôt à considérer que tous les Paiements incitatifs étaient censés être versés à Lougheed. Par conséquent, même s’il était possible d’éviter l’application de la règle de common law en l’espèce, la demande de 604 visant les paiements devrait néanmoins être rejetée. Il n’y a aucune raison de modifier les conclusions du juge en cabinet relativement à l’interprétation du Contrat incitatif.

                    Les Paiements incitatifs n’ont pas été inclus dans la vente sous contrôle de justice de l’Édifice à 604. La conclusion du juge en cabinet à ce sujet est amplement étayée par la preuve et il n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante dans son interprétation de l’Offre de 604. Aucun des documents relatifs à la vente n’indique, expressément ou autrement, que les Paiements incitatifs font partie de la vente, ou que 604 entendait les acheter.

                    Les Paiements incitatifs ont été cédés à titre de garantie et l’ordre de priorité est en conséquence régi par la Personal Property Security Act (« PPSA »). Comme l’indique l’al. 3(1)(a), la PPSA s’applique à toute opération qui crée essentiellement une sûreté, indépendamment de sa forme et de l’identité de la personne qui possède le titre relatif au bien grevé. Les Paiements incitatifs sont une chose non possessoire, car le droit aux paiements a simplement un caractère contractuel et n’est pas un intérêt rattaché au bien‑fonds ou accessoire à l’immeuble. En conséquence, aucune cession relative à ces paiements n’échappe à l’application de la PPSA. Si les parties ne s’entendent pas sur l’ordre de priorité régi par la PPSA, cette seule question devrait être renvoyée à un protonotaire pour décision.

Jurisprudence

                    Arrêts mentionnés : Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633; King c. Operating Engineers Training Institute of Manitoba Inc., 2011 MBCA 80, 270 Man. R. (2d) 63; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135; Austerberry c. Corporation of Oldham (1885), 29 Ch. D. 750; Rhone c. Stephens, [1994] 2 A.C. 310; Amberwood Investments Ltd. c. Durham Condominium Corp. No. 123 (2002), 58 O.R. (3d) 481; Westbank Holdings Ltd. c. Westgate Shopping Centre Ltd., 2001 BCCA 268, 155 B.C.A.C. 1; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Untel c. Ontario (Finances), 2014 CSC 36, [2014] 2 R.C.S. 3; Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157; Procureur général du Québec c. Carrières Ste‑Thérèse Ltée, [1985] 1 R.C.S. 831; R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61; Krayzel Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 18, [2016] 1 R.C.S. 273.

Lois et règlements cités

Historical Resources Act, R.S.A. 2000, c. H‑9, art. 1(e) « historic resource », 2, 26, 28, 29.

Personal Property Security Act, R.S.A. 2000, c. P‑7, art. 3(1)(a), 4(f), (g).

Doctrine et autres documents cités

Côté, Pierre‑André, avec la collaboration de Stéphane Beaulac et de Mathieu Devinat. Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Thémis, 2009.

Di Castri, Victor. Registration of Title to Land, vol. 1, Toronto, Carswell, 1987 (loose‑leaf updated 2010, release 6).

Hall, Geoff R. Canadian Contractual Interpretation Law, 2nd ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2012.

Halsbury’s Laws of England, vol. 36, 3rd ed., London, Butterworth & Co., 1961.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6th ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2014.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges O’Brien, Slatter et Wakeling), 2014 ABCA 427, 588 A.R. 258, 7 Alta. L.R. (6th) 285, 3 P.P.S.A.C. (4th) 69, 49 R.P.R. (5th) 19, 626 W.A.C. 258, [2015] 3 W.W.R. 139, [2014] A.J. No. 1397 (QL), 2014 CarswellAlta 2280 (WL Can.), qui a infirmé une décision du juge Jeffrey, 2013 ABQB 209, 550 A.R. 337, 77 Alta. L.R. (5th) 276, 1 P.P.S.A.C. (4th) 38, 31 R.P.R. (5th) 253, [2013] A.J. No. 362 (QL), 2013 CarswellAlta 457 (WL Can.), laquelle avait confirmé une décision du protonotaire Laycock, 2011 ABQB 269, 512 A.R. 200, 52 Alta. L.R. (5th) 414, [2011] A.J. No. 463 (QL), 2011 CarswellAlta 682 (WL Can.). Pourvoi accueilli.

                    Jeffrey E. Sharpe et Paul G. Chiswell, pour l’appelante.

                    Personne n’a comparu pour l’intimée L’Équitable, Compagnie de fiducie.

                    Toby D. Schultz, pour les intimés Lougheed Block Inc., Neil John Richardson, Hugh Daryl Richardson et Heritage Property Corporation.

                    Derrick S. Pagenkopf et Peter Morrison, pour l’intimée 604 1st Street S.W. Inc.

                    Personne n’a comparu pour l’intimée Krayzel Corp.

                     Version française du jugement de la Cour rendu par

                     Les juges Gascon et Côté —

I.              Aperçu

[1]                              L’édifice appelé « Lougheed Building » (l’« Édifice »), situé au centre‑ville de Calgary, est au cœur du présent pourvoi. Il a été désigné [traduction] « ressource historique municipale » en application de la Historical Resources Act, R.S.A. 2000, c. H‑9 (« HRA »). Le propriétaire au moment de la désignation, Lougheed Block Inc. (« LBI »), a accepté de le restaurer et de respecter certaines restrictions quant à son utilisation moyennant 15 paiements annuels (« Paiements incitatifs ») totalisant 3,4 millions de dollars par la Ville de Calgary (« Ville »). Les Paiements incitatifs, dus aux termes du « Lougheed Building Rehabilitation Incentive Agreement » (« Contrat incitatif »), visaient à indemniser LBI pour les frais de restauration et pour toute diminution de la valeur économique de l’Édifice en raison de sa désignation comme ressource historique. Ce contrat a été enregistré par voie de caveat (mise en garde) sur le titre du bien‑fonds conformément à la HRA.

[2]                              Le présent pourvoi porte sur un différend entre l’une des créancières de LBI, Heritage Capital Corporation (« Heritage »), et la propriétaire actuelle de l’Édifice, 604 1st Street S.W. Inc. (« 604 »), qui prétendent toutes deux avoir droit aux Paiements incitatifs. Il s’agit de décider si ces paiements constituent un engagement positif (engagement de faire) se rattachant au bien‑fonds par application de la HRA, s’ils ont été inclus dans la vente sous contrôle de justice de l’Édifice et quel est l’effet actuel d’un certain nombre de contrats de cession d’un intérêt sur les Paiements incitatifs.

[3]                              Le protonotaire en chambre et le juge en cabinet ont tous deux conclu que les Paiements incitatifs ne se rattachaient pas au bien‑fonds par l’effet de la HRA et qu’ils n’ont pas été vendus à 604 lors de la vente sous contrôle de justice. Le protonotaire et le juge ont refusé de statuer sur la question de la priorité. Les juges majoritaires de la Cour d’appel n’ont pas souscrit à ces conclusions, estimant que la HRA crée des engagements sui generis qui écartent la règle de common law selon laquelle des engagements positifs ne se rattachent pas au bien‑fonds. Ils ont en conséquence jugé que les Paiements incitatifs se rattachaient au bien‑fonds. Le juge O’Brien, dissident, aurait fait sienne l’interprétation qu’a adoptée le juge en cabinet de la HRA.

[4]                              Nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi. Même si le par. 29(3) de la HRA prévoit qu’une condition ou un engagement lié à la préservation ou à la restauration d’un bien‑fonds ou d’un immeuble et enregistré sur le titre en application du par. 29(2) se rattache au bien‑fonds et est susceptible d’exécution, que cette condition ou cet engagement soit de nature positive ou négative, nous concluons que les seuls engagements se rattachant au bien‑fonds qui sont visés par la HRA sont ceux énoncés en faveur de la personne ou des organisations mentionnées au par. 29(1). En l’espèce, bien que la Ville fasse partie des organisations mentionnées, l’engagement de verser les Paiements incitatifs n’a pas été souscrit en sa faveur. Par conséquent, les Paiements incitatifs ne se rattachent pas au bien‑fonds au sens de la HRA. Par ailleurs, le Contrat incitatif intervenu entre LBI et la Ville n’indique d’aucune façon que celles‑ci avaient l’intention que les Paiements incitatifs se rattachent au bien‑fonds.

[5]                              Nous concluons aussi que les Paiements incitatifs n’ont pas été inclus dans la vente sous contrôle de justice de l’Édifice. Aucun des documents relatifs à la vente n’indique, expressément ou autrement, que les Paiements incitatifs font partie de la vente, ou que 604 entendait les acheter. Accorder ces Paiements à 604 en sa qualité de propriétaire actuelle lui procurerait un avantage auquel elle n’a pas droit et n’aurait aucune logique sur le plan commercial. Enfin, nous estimons que les Paiements incitatifs ont été cédés à titre de garantie et que l’ordre de priorité est en conséquence régi par la Personal Property Security Act, R.S.A. 2000, c. P‑7 (« PPSA »). Dans la mesure où les parties ne s’entendent pas sur l’effet de la PPSA, nous sommes d’avis de renvoyer l’affaire à un protonotaire en chambre à la seule fin de trancher la question de la priorité.

II.           Faits

[6]                              LBI a acquis l’Édifice en 2003. Elle en était la propriétaire au moment où il a été désigné « ressource historique municipale » en vertu de l’art. 26 de la HRA au moyen d’un arrêté adopté par la Ville en 2004. Après la désignation, LBI et la Ville ont conclu en 2006 le Contrat incitatif. Ce contrat prévoyait que LBI procéderait à des travaux de restauration de l’immeuble et qu’une fois les travaux achevés, la Ville commencerait à lui verser, au titre des Paiements incitatifs, la somme de 3,4 M$ répartie en 15 versements annuels. Ces paiements visaient un double objectif : satisfaire, en conformité avec l’art. 28 de la HRA, l’ensemble des droits de LBI d’être indemnisée par la Ville pour toute perte de valeur économique résultant de l’arrêté municipal de désignation et pour des dépenses engagées afin de réaliser les travaux de restauration. Ces travaux étaient nécessaires pour réparer l’Édifice et le restaurer afin de lui redonner l’apparence qu’il avait à l’origine, en 1912. LBI a terminé les travaux de restauration en 2007 et a commencé à recevoir les Paiements incitatifs peu de temps après.

[7]                              Le Contrat incitatif imposait également à la propriétaire de l’Édifice certaines restrictions :

                    [traduction]

8.4      L’immeuble et le bien‑fonds doivent être utilisés exclusivement à des fins commerciales jusqu’à ce que tous les versements annuels aient été effectués conformément au présent contrat.

8.5      La propriétaire doit mettre tout en œuvre pour assurer la préservation de la salle de spectacle dans la partie de l’immeuble appelée présentement Grand Theatre.

[8]                              Comme le prévoyait la clause 8.3, le Contrat incitatif a été enregistré par voie de caveat sur le titre du bien‑fonds. Le Contrat complet a été joint en annexe au caveat.

[9]                              En novembre 2006, LBI a emprunté des fonds à L’Équitable, Compagnie de fiducie, prorogée depuis sous le nom de Banque Équitable (« Équitable »). Le prêt a été garanti par une hypothèque, un contrat général de sûreté et la cession de divers contrats, y compris le Contrat incitatif (collectivement appelés la « Cession en faveur d’Équitable »). Équitable a alors déposé un état financier au bureau d’enregistrement des sûretés mobilières. En mai 2007, LBI a obtenu du financement additionnel d’Heritage et lui a cédé son droit aux Paiements incitatifs en guise de garantie du prêt (la « Cession en faveur d’Heritage »). LBI ayant fait défaut de rembourser le prêt consenti par Équitable en mai 2009, cette dernière a intenté une action visant l’exécution d’une partie de sa garantie en juin 2009. L’Édifice a été mis en vente sous contrôle de justice en mars 2010. En juin 2010, la société mère de 604 a présenté une offre d’achat (l’« Offre de 604 ») qui a été acceptée en juillet 2010 par le biais d’une [traduction] « Ordonnance de confirmation de la vente » rendue par la Cour du Banc de la Reine.

[10]                          Vers la fin d’août 2010, peu avant la date de clôture de la vente, LBI a demandé à un protonotaire en chambre de rendre une décision déclarant que les Paiements incitatifs ne constituaient pas un intérêt foncier et ne faisaient pas partie des éléments d’actif vendus à 604. Après avoir entendu les plaidoiries des parties, le protonotaire a ajourné la séance sans trancher la question litigieuse, à la condition que la vente soit conclue comme prévu le 1er septembre 2010, sans préjudice aux droits des parties relativement aux Paiements incitatifs. Après la clôture de la vente, Équitable a signé en faveur de 604 un contrat de cession spécifique de son intérêt dans le Contrat incitatif (la « Cession en faveur de 604 »). La Cession en faveur d’Heritage a seulement été enregistrée au bureau d’enregistrement des sûretés mobilières en octobre 2010. Il n’y a au dossier dont dispose notre Cour aucun élément de preuve indiquant que la Cession en faveur de 604 a été enregistrée au bureau d’enregistrement des sûretés mobilières avant la Cession en faveur d’Heritage.

[11]                          Personne ne conteste qu’à titre de propriétaire de l’Édifice, 604 est assujettie aux engagements stipulés en faveur de la Ville aux clauses 8.4 et 8.5 du Contrat incitatif restreignant l’utilisation qui peut être faite de l’immeuble. 604 prétend que, par suite de l’enregistrement du Contrat incitatif complet sur le titre conformément à l’art. 29 de la HRA, les Paiements incitatifs constituent eux aussi un engagement positif qui se rattache au bien‑fonds et au bénéfice duquel a droit 604 en qualité de nouvelle propriétaire de l’Édifice. Subsidiairement, 604 soutient que les Paiements incitatifs faisaient partie des éléments d’actif visés par la vente sous contrôle de justice. 

[12]                          Heritage prétend, avec l’appui de LBI, que la HRA ne permet pas le rattachement des Paiements incitatifs au bien‑fonds, que le droit à ces paiements est simplement de nature contractuelle et que l’intention des parties au Contrat incitatif n’a jamais été que ces paiements soient rattachés au bien‑fonds. Toujours selon Heritage, les Paiements incitatifs ne faisaient pas partie des éléments d’actif vendus lors de la vente sous contrôle de justice. En conséquence, elle fait valoir qu’en qualité de créancière de LBI, ces paiements lui ont été cédés à titre de garantie et qu’elle a priorité à leur égard étant donné que c’est sa sûreté qui a été enregistrée la première en vertu de la PPSA.

III.        Décisions des juridictions inférieures

A.           Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, 2011 ABQB 269, 512 A.R. 200

[13]                          Le protonotaire Laycock a rendu l’ordonnance demandée par LBI et déclaré que les Paiements incitatifs ne constituaient pas un intérêt foncier. À son avis, suivant le régime établi par la HRA, la Ville était tenue d’indemniser la propriétaire des lieux au moment où le bien‑fonds ou l’immeuble ont été désignés ressource historique. Il a conclu que les parties au Contrat incitatif avaient l’intention que les Paiements incitatifs constituent un avantage purement contractuel réservé à LBI. Il a aussi déclaré que ces paiements ne faisaient pas partie des éléments d’actif vendus à 604 lors de la vente sous contrôle de justice. Il a conclu que ni la déclaration d’Équitable, ni l’ordonnance de vente de l’Édifice, ni l’avis de vente sous contrôle de justice n’indiquaient que le tribunal entendait que les paiements soient inclus dans cette vente.

[14]                          Le protonotaire a ajouté qu’il n’a aucunement été fait mention des Paiements incitatifs dans l’Offre de 604 ou dans l’acceptation de cette offre. Dans sa déclaration, Équitable se réfère à son contrat général de sûreté, qui incluait les biens meubles [traduction] « se trouvant sur la propriété ou utilisés à l’égard de celle‑ci », mais de l’avis du protonotaire les Paiements incitatifs n’étaient pas inclus dans cette description de la propriété. En ce qui concerne la Cession en faveur de 604, qui a été conclue après la vente de l’Édifice, le protonotaire a jugé que, comme les Paiements incitatifs n’étaient qu’accessoires à la créance et que celle‑ci n’avait pas été transférée, le transfert de l’intérêt sur les Paiements incitatifs était inopérant.

B.            Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, 2013 ABQB 209, 550 A.R. 337 

[15]                          Le juge en cabinet, le juge Jeffrey, a rejeté l’appel formé par 604 contre l’ordonnance du protonotaire, déclarant que c’est LBI qui, au 30 août 2010, avait droit aux Paiements incitatifs. Selon lui, le par. 29(3) de la HRA n’avait pas pour effet de permettre le rattachement de ces paiements au bien‑fonds en tant qu’engagement positif, puisque seuls les engagements énoncés en faveur de la Ville peuvent se rattacher au bien‑fonds suivant cette disposition. Le juge Jeffrey a souscrit à la conclusion du protonotaire selon laquelle, conformément au régime instauré par la HRA, la Ville doit indemniser le propriétaire du bien au moment d’une désignation faite en vertu de l’art. 26. De l’avis du juge Jeffrey, la conclusion que l’engagement de payer pris par la Ville ne se rattachait pas au bien‑fonds concordait avec l’intention évidente des parties au Contrat incitatif. Quant à la vente sous contrôle de justice, il a conclu que, si le droit de recevoir les Paiements incitatifs avait été un élément d’actif visé par la vente sous contrôle de justice, l’Offre de 604 en aurait fait état expressément. Il a refusé de statuer sur la détermination de l’ordre de priorité en vertu de la PPSA, estimant que, comme la Cession en faveur de 604 avait été conclue après le 30 août 2010, elle débordait le cadre des questions dont il était régulièrement saisi.

C.            Cour d’appel de l’Alberta, 2014 ABCA 427, 588 A.R. 258

(1)           Majorité (les juges Slatter et Wakeling)

[16]                          Les juges majoritaires ont conclu que la norme de contrôle applicable à l’interprétation du juge en cabinet concernant la HRA, le Contrat incitatif et l’Offre de 604 était la norme de la décision correcte. Ils ont statué que la HRA crée en matière de ressource historique un engagement sui generis qui se rattache entièrement au bien‑fonds. Selon eux, l’art. 29 doit être interprété comme ayant pour effet d’écarter toutes les restrictions de common law qui empêchent le rattachement au bien‑fonds d’engagements positifs; il ne faut pas considérer que cet article autorise uniquement les engagements positifs énoncés en faveur de la Ville. Les juges majoritaires ont également conclu qu’il était impossible de scinder le Contrat incitatif de manière à ce que ses parties concernant directement l’immeuble puissent se rattacher au bien‑fonds, mais non celles concernant les paiements.

[17]                          Les juges majoritaires ont statué que l’absence de mention du Contrat incitatif dans la déclaration d’Équitable n’implique pas que cette dernière avait décidé de renoncer à une partie de sa garantie. Ils ont souligné que ce contrat était inclus dans l’ordonnance de mise sous séquestre rendue sur consentement par la cour. À leur avis, 604 avait clairement accepté d’assumer les obligations du Contrat incitatif — elle avait acquis le titre qui était assujetti au caveat relatif aux engagements de protection de la ressource historique — et rien dans le Contrat incitatif ne tendait à indiquer que les paiements pouvaient être séparés des obligations imposées par le contrat ou qu’ils le seraient. Les juges majoritaires ont en conséquence conclu que les paiements dépendaient clairement de l’exécution des obligations prévues par le contrat et, à tout bien considérer, il n’était pas logique de prétendre que les obligations du Contrat incitatif avaient été transférées lors de la vente, mais non ses avantages.

(2)           Dissidence (le juge O’Brien)

[18]                          Le juge O’Brien a statué que l’interprétation par le juge en cabinet de la HRA et des principes de common law était une question de droit à laquelle il convenait d’appliquer la norme de la décision correcte, tandis que son application des principes juridiques et son interprétation des contrats constituaient des questions mixtes de fait et de droit auxquelles s’appliquait la norme de l’erreur manifeste et déterminante, ce qui, de ce fait, commandait déférence. Selon lui, la HRA a pour objectif de faire en sorte que les engagements pris par un propriétaire foncier en faveur de la Ville — qu’il s’agisse d’engagements de nature positive ou négative — se rattachent au bien‑fonds et sont susceptibles d’exécution contre tous les propriétaires subséquents. Par contre, cette loi ne permet pas le rattachement au bien‑fonds d’engagements positifs en faveur du propriétaire foncier. Le juge O’Brien a également estimé que les parties au Contrat incitatif n’avaient pas eu l’intention de rattacher les Paiements incitatifs au bien‑fonds.

[19]                          Le juge O’Brien a conclu que le Contrat incitatif n’était pas inclus dans l’Offre de 604. Il a fait remarquer que celle‑ci ne mentionnait pas expressément que les paiements prévus par ce contrat faisaient partie de la propriété et des éléments d’actif visés par la vente et qu’aucune indication d’une intention à cet effet ne ressortait des documents liés à la vente. Pour ce qui est de l’ordre de priorité, le juge O’Brien a statué que, vu l’objet de la demande initiale et la preuve au dossier, la Cour d’appel n’était pas en mesure de décider qui avait droit aux Paiements incitatifs.

IV.        Questions en litige

[20]                          Le présent pourvoi soulève quatre questions :

(1)     Quelle est la norme de contrôle applicable à l’interprétation adoptée par le juge en cabinet du Contrat incitatif et de l’Offre de 604?

(2)     Les Paiements incitatifs se rattachaient‑ils au bien‑fonds? La réponse à cette question dépend des réponses à deux autres questions :

a)   L’article 29 de la HRA écarte‑t‑il la règle de common law suivant laquelle des engagements positifs ne se rattachent pas au bien‑fonds?

b)   Le Contrat incitatif enregistré sur le titre démontre‑t‑il que les parties à ce contrat entendaient que les Paiements incitatifs soient rattachés au bien‑fonds?

(3)     Les Paiements incitatifs ont‑ils été vendus en tant qu’éléments d’actif lors de la vente sous contrôle de justice?

(4)     Est‑ce que l’ordre de priorité quant aux Paiements incitatifs est régi par la PPSA?

V.           Analyse

A.           Quelle est la norme de contrôle applicable?

[21]                          Comme l’affirme le juge Rothstein dans Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, « [l]’interprétation contractuelle soulève des questions mixtes de fait et de droit, car il s’agit d’en appliquer les principes aux termes figurant dans le contrat écrit, à la lumière du fondement factuel » (par. 50). Dans un tel contexte, faire montre de déférence envers les conclusions du juge des faits contribue à réduire le nombre, la durée et le coût des appels tout en favorisant l’autonomie du procès et son intégrité. Ces principes militent en faveur de la déférence à l’endroit des décideurs de première instance à l’égard de l’interprétation contractuelle et appuient la proposition selon laquelle l’interprétation en cette matière est une question mixte de fait et de droit (Sattva, par. 50‑52).

[22]                          Cependant, le juge Rothstein conclut que, dans les cas où il est possible d’isoler une question de droit, la norme de la décision correcte s’applique. Parmi les questions de droit susceptibles d’être isolées, mentionnons le fait d’« appliquer le mauvais principe ou [de] négliger un élément essentiel d’un critère juridique ou un facteur pertinent » (Sattva, par. 53, citant King c. Operating Engineers Training Institute of Manitoba Inc., 2011 MBCA 80, 270 Man. R. (2d) 63, par. 21).

[23]                          Selon 604, le juge en cabinet a commis une erreur dans son interprétation de la HRA. Cette erreur a vicié son interprétation du Contrat incitatif et de l’Offre de 604. Pour cette raison, la norme de contrôle applicable à cette dernière serait la décision correcte. Nous sommes en désaccord. Bien que la décision correcte soit effectivement la norme applicable pour examiner l’interprétation de la HRA par le juge en cabinet puisque l’interprétation d’une loi est une question de droit (Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135, par. 33), nous estimons que cette norme ne s’applique pas à son interprétation du Contrat incitatif et de l’Offre de 604. Comme le juge en cabinet a correctement interprété la HRA, cette interprétation n’a pu vicier son interprétation des contrats.

[24]                          À notre avis, le juge O’Brien a eu raison de conclure que la norme de la décision correcte s’applique à l’interprétation de la HRA et de la common law, mais que c’est la norme de l’erreur manifeste et déterminante qui s’applique à l’interprétation par le juge en cabinet du Contrat incitatif et de l’Offre de 604.

B.            Les Paiements incitatifs se rattachaient‑ils au bien‑fonds?

(1)           L’article 29 de la HRA écarte‑t‑il la règle de common law selon laquelle les engagements positifs ne se rattachent pas au bien‑fonds?

[25]                          L’idée qu’une obligation de payer puisse se rattacher au bien‑fonds est, de par sa nature même, insolite. En fait, personne ne conteste qu’en common law un engagement positif ne peut se rattacher au bien‑fonds (Austerberry c. Corporation of Oldham (1885), 29 Ch. D. 750). Cette règle repose sur le principe selon lequel, en common law, nul ne peut être lié par un contrat à moins d’être partie à celui‑ci (Rhone c. Stephens, [1994] 2 A.C. 310 (H.L.)). D’ailleurs, la règle qui interdit le rattachement des engagements positifs au bien‑fonds s’applique même si un contrat exprime l’intention contraire (Amberwood Investments Ltd. c. Durham Condominium Corp. No. 123 (2002), 58 O.R. (3d) 481 (C.A.)). Par conséquent, la règle de common law a été énoncée ainsi : [traduction] « Aucun engagement personnel ou positif requérant une dépense ou un acte ne peut être rattaché au bien‑fonds, sauf si une loi le prévoit » (V. Di Castri, Registration of Title to Land (feuilles mobiles), vol. 1, p. 10‑4 (nous soulignons), cité dans Westbank Holdings Ltd. c. Westgate Shopping Centre Ltd., 2001 BCCA 268, 155 B.C.A.C. 1, par. 16). En l’espèce, il s’agit de décider si l’art. 29 de la HRA écarte la règle de common law en permettant que des engagements positifs se rattachent au bien‑fonds, et dans quelle mesure elle l’écarte.

[26]                          À notre avis, le juge O’Brien et le juge en cabinet ont bien interprété la HRA. Nous estimons que l’art. 29 de la HRA limite les engagements positifs susceptibles de rattachement au bien‑fonds aux seuls engagements de cette nature énoncés en faveur de la Ville ou de la personne ou des autres organisations mentionnées au par. 29(1) et dont cette entité peut demander l’exécution. La HRA n’autorise pas le rattachement au bien‑fonds d’engagements positifs énoncés en faveur d’une entité qui n’est pas énumérée au par. 29(1).

[27]                          Appliquant la méthode moderne d’interprétation des lois largement reconnue, nous sommes d’avis que, considérés dans leur contexte global, selon le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur, les termes de l’art. 29 de la HRA mènent à la conclusion suivante : seuls les engagements énoncés en faveur d’une [traduction] « personne ou organisation » mentionnée au par. 29(1), qu’il s’agisse d’engagements de nature positive ou négative, se rattachent au bien‑fonds (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), p. 7; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26‑30; Untel c. Ontario (Finances), 2014 CSC 36, [2014] 2 R.C.S. 3, par. 18; Compagnie des chemins de fer nationaux, par. 36). En conséquence, dans la présente affaire, le droit aux Paiements incitatifs n’est pas devenu un intérêt rattaché au bien‑fonds par l’effet de la HRA.

[28]                          En matière d’interprétation législative, il faut présumer que les dispositions d’une loi forment un ensemble cohérent et fonctionnent en harmonie [traduction] « comme les diverses parties d’un tout » (Sullivan, p. 337). Autrement dit, « l’ensemble [contribue] au sens de chacun des éléments » et « chaque disposition légale doit être envisagée, relativement aux autres, comme la fraction d’un ensemble complet » (P.‑A. Côté, avec la collaboration de S. Beaulac et de M. Devinat, Interprétation des lois (4e éd. 2009), p. 352).

[29]                          De plus, lorsque le législateur crée explicitement dans une loi une exception à un principe de common law, cette exception doit être interprétée restrictivement, car le législateur est présumé ne pas avoir eu l’intention de modifier la common law à moins de l’avoir fait de façon claire et non ambiguë. Dans Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157, par. 39, s’exprimant au nom de la majorité, le juge Iacobucci a déclaré ce qui suit :

                          Tout d’abord, je pense qu’il est utile d’insister sur la présomption que le législateur n’a pas l’intention de modifier le droit existant ni de s’écarter des principes, politiques ou pratiques établis. Dans Goodyear Tire & Rubber Co. of Canada c. T. Eaton Co., [1956] R.C.S. 610, p. 614, par exemple, le juge Fauteux (plus tard Juge en chef) écrit : [traduction] « le législateur n’est pas censé s’écarter du régime juridique général sans exprimer de façon incontestablement claire son intention de le faire, sinon la loi reste inchangée ». Dans Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1077, le juge Lamer (plus tard Juge en chef) écrit que « le législateur n’est pas censé, à défaut de disposition claire au contraire, avoir l’intention de modifier les règles de droit commun pré‑existantes ».

[30]                          La professeure Sullivan affirme elle aussi que, pour écarter une règle de common law, la loi doit exprimer clairement l’intention du législateur de ce faire. Citant Halsbury’s Laws of England (3e éd. 1961), vol. 36, p. 412, par. 625, elle écrit que, [traduction] « [s]auf dans la mesure où il est clair et non ambigu qu’elles ont été conçues à cette fin, les lois n’ont pas pour effet de modifier la common law ou quelque principe de droit établi » (p. 538).

[31]                          Appliquant ces principes d’interprétation des lois, nous concluons que la portée de l’exception établie à l’art. 29 de la HRA à l’égard de la règle de common law est limitée par le langage exprès utilisé dans la disposition et par l’objet qui sous‑tend la HRA. L’article 29 ne doit pas recevoir une interprétation plus large que nécessaire. Suivant les termes exprès du texte de loi, bien que les engagements positifs puissent se rattacher au bien‑fonds, ils sont susceptibles d’exécution uniquement par les entités mentionnées au par. 29(1) en faveur desquelles ils ont été pris. Il ressort d’une analyse téléologique et contextuelle de la HRA — et plus particulièrement de l’art. 29 — que cette loi n’a pas une portée plus large par voie d’implication nécessaire.

[32]                          Aux termes de l’art. 2 de la HRA, le Ministre est chargé de [traduction] « (a) coordonner la mise en valeur ordonnée des ressources historiques de l’Alberta, (b) de préserver ces ressources, (c) de les étudier et de les interpréter, (d) de promouvoir l’intérêt à leur égard ». Le terme « ressource historique » est défini ainsi : « une œuvre de la nature ou de l’être humain qui revêt une importance essentiellement paléontologique, archéologique, préhistorique, historique, culturelle, naturelle, scientifique ou esthétique, notamment un site, une construction ou un objet paléontologique, archéologique, préhistorique, historique ou naturel » (al. 1(e)).

[33]                          Le paragraphe 26(2) de la HRA édicte qu’une municipalité peut, au moyen d’un arrêté, désigner « ressource historique municipale » toute ressource historique située sur son territoire. Le paragraphe  28(1) précise ensuite que, si un arrêté pris en vertu de l’art. 26 entraîne une diminution de la valeur économique de l’immeuble ou du bien‑fonds qu’il désigne, le propriétaire de cet immeuble ou bien‑fonds a le droit d’être indemnisé de cette diminution de valeur :

                    [traduction]

                    28(1) Si un arrêté pris en vertu de l’article 26 ou 27 entraîne une diminution de la valeur économique d’un immeuble, d’une construction ou d’un bien‑fonds situé dans l’aire désignée par l’arrêté, le conseil doit, par voie d’arrêté, verser au propriétaire de ce bien une indemnité pour la diminution de la valeur économique de celui‑ci.

L’article 28 ne précise pas que le droit à indemnisation est ouvert à un futur propriétaire, ni ne mentionne l’art. 29, facteurs qui étayent l’interprétation du juge en cabinet selon laquelle le bénéficiaire visé par l’indemnité prévue à l’art. 28 est celui qui est propriétaire au moment de la désignation.

[34]                          L’article 29, qui est au cœur du présent pourvoi, est rédigé ainsi :

                    [traduction]

                    29(1)  Peut être enregistré auprès du registrateur des titres immobiliers une condition ou un engagement lié à la préservation ou à la restauration d’un bien‑fonds ou d’un immeuble et dont ont convenu le propriétaire du bien‑fonds et, selon le cas

(a)     le Ministre,

(b)     le conseil de la municipalité dans laquelle se trouve le bien‑fonds,

(c)     la Fondation,

(d)    une organisation de conservation du patrimoine agréée par le Ministre.

                    (2)      Lorsqu’une condition ou un engagement visé au paragraphe (1) est présenté pour enregistrement, le registrateur des titres immobiliers inscrit une mention de la condition ou de l’engagement sur tout certificat de titre lié à ce bien‑fonds.

                    (3)      Une condition ou un engagement enregistré en vertu du paragraphe (2) se rattache au bien‑fonds et la personne ou l’organisation visée au paragraphe (1) qui en a convenu avec le propriétaire peut en demander l’exécution, que la condition ou l’engagement soit de nature positive ou négative et nonobstant le fait que cette personne ou organisation ne possède pas d’intérêt sur quelque bien‑fonds qui serait desservi par la condition ou l’engagement, ou en bénéficierait.

                    (4)      Une condition ou un engagement enregistré en vertu du paragraphe (2) peut être cédé par la personne ou l’organisation qui en a convenu avec le propriétaire à toute autre personne ou organisation mentionnée au paragraphe (1), et le cessionnaire peut en demander l’exécution au même titre que s’il en avait convenu avec le propriétaire.

                    (5)      Si le Ministre estime qu’il est dans l’intérêt public de le faire, il peut, par voie d’arrêté, lever ou modifier une condition ou un engagement enregistré en vertu du paragraphe (2), qu’il soit ou non lui‑même partie à la condition ou à l’engagement.

[35]                          Nous souscrivons à l’interprétation adoptée par le juge en cabinet de la disposition précitée et qui a été retenue par le juge O’Brien. Les différents paragraphes de l’art. 29 sont assimilables aux pièces d’un casse‑tête et, lorsqu’on les considère globalement, ils forment un tout cohérent. Le paragraphe 29(1) précise qu’il est possible d’enregistrer une condition ou un engagement [traduction] « lié à la préservation ou à la restauration d’un bien‑fonds ou d’un immeuble » et dont ont convenu un propriétaire foncier et le Ministre ou l’une des organisations énumérées à cette disposition. Suivant le par. 29(3), une condition ou un engagement enregistré en vertu du par. 29(2) se rattache au bien‑fonds et, que cette condition ou cet engagement soit de nature négative ou positive, « la personne ou l’organisation » mentionnée au par. 29(1) peut en demander l’exécution. Les paragraphes (1) et (3) sont nécessaires aux fins de préservation ou de restauration des ressources historiques municipales, car, sans ces dispositions, la Ville ne serait pas en mesure de faire exécuter une telle condition ou un tel engagement en vertu de la common law, étant donné qu’elle ne possède aucun intérêt dans le bien‑fonds ou dans l’immeuble auquel s’applique la condition ou l’engagement.

[36]                          Il convient de noter que le par. 29(3) ne confère pas expressément à un propriétaire foncier la capacité de demander l’exécution d’une condition ou d’un engagement constituant une obligation pour la Ville. Selon 604, une disposition explicite à cet effet est inutile, étant donné que le propriétaire foncier est déjà en mesure de demander l’exécution de conditions et d’engagements en raison de l’intérêt qu’il possède dans le bien‑fonds ou l’immeuble. À notre avis, si le législateur avait voulu écarter complètement les règles de common law relatives aux engagements positifs et créer des conditions et engagements sui generis dont l’exécution peut être demandée tant par la Ville que par le propriétaire foncier, il l’aurait dit en termes exprès.

[37]                          604 soumet également que le fait que le texte même du par. 29(2) n’empêche pas le propriétaire d’enregistrer une condition ou un engagement sur le titre démontre que le propriétaire peut enregistrer des engagements et qu’il lui est donc possible d’en demander l’exécution en vertu de la HRA, malgré l’absence de disposition expresse à cet effet au par. 29(3). Cet argument ne nous convainc pas. À notre avis, il faut interpréter le par. 29(3) globalement et considérer que le mot « et » (« and » dans le texte original) a un caractère conjonctif plutôt que disjonctif. Aux termes de ce paragraphe, « [u]ne condition ou un engagement enregistré en vertu du paragraphe (2) se rattache au bien‑fonds et la personne ou l’organisation visée au paragraphe (1) qui en a convenu avec le propriétaire peut en demander l’exécution, que cette condition ou cet engagement soit de nature positive ou négative ». L’engagement dont il est question au par. 29(3) est clairement le même partout dans cette disposition — ce paragraphe énonce qui peut demander l’exécution de l’engagement enregistré en vertu du par. 29(2), que cet engagement soit de nature positive ou négative, et il s’agit de la personne ou d’une organisation énumérée au par. 29(1). En conséquence, le par. 29(3) ne peut être interprété d’une manière qui permettrait d’affirmer que tout engagement — de nature positive ou négative — énoncé en faveur du propriétaire peut faire l’objet d’une demande d’exécution par celui‑ci et est visé par l’exception prévue à ce paragraphe.

[38]                          Les deux paragraphes qui suivent immédiatement le par. 29(3) viennent renforcer davantage notre interprétation.

[39]                          Premièrement, le par. 29(4) dispose qu’une condition ou un engagement enregistré en vertu du par. 29(2) peut être cédé par « la personne ou l’organisation » à toute autre « personne ou organisation » mentionnée au par. 29(1). Ici encore, le par. 29(4) n’indique aucunement que le propriétaire foncier peut céder quelque « condition ou engagement ».

[40]                          À notre avis, il s’agit d’une preuve supplémentaire que l’art. 29 vise à permettre aux gouvernements ou entités à caractère public qui ne possèdent aucun intérêt dans le bien‑fonds ou l’immeuble concerné de demander l’exécution des conditions et engagements énoncés en leur faveur. Le législateur est présumé [traduction] « ne pas utiliser de mots superflus ou dénués de sens, ne pas se répéter inutilement ni s’exprimer en vain » (Sullivan, p. 211, citant Procureur général du Québec c. Carrières Ste-Thérèse Ltée, [1985] 1 R.C.S. 831, p. 838). Chaque disposition d’une loi doit être interprétée de manière à lui donner un sens et un rôle, et [traduction] « les tribunaux devraient éviter autant que possible d’adopter une interprétation qui dépouille une partie d’une loi de tout son sens ou qui la rend redondante » (Sullivan, p. 211; voir aussi R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, par. 28). Le paragraphe 29(4) fait en sorte que la Ville peut céder une condition ou un engagement enregistré en vertu du par. 29(2) à toute personne ou organisation mentionnée au par. 29(1), de telle sorte que le cessionnaire peut en demander l’exécution au même titre que si c’était lui qui en avait convenu avec le propriétaire. 

[41]                          Deuxièmement, le par. 29(5) précise que le Ministre peut en tout temps écarter ou modifier un engagement ou une condition enregistré en vertu du par. 29(2) s’il est dans l’intérêt public de prendre une telle mesure. Nous sommes d’avis que cette disposition n’a de sens que si l’engagement mentionné au par. 29(3) est énoncé en faveur d’une « personne ou organisation » mentionnée au par. 29(1). En effet, il serait injuste que le Ministre puisse écarter unilatéralement un engagement de payer énoncé en faveur d’un propriétaire foncier, tout simplement parce que, selon le Ministre, il est dans l’intérêt public de le faire.

[42]                          Le dénominateur commun entre les par. 29(3), (4) et (5) est le fait qu’ils mènent tous à la conclusion que les conditions et engagements susceptibles d’exécution en vertu du par. 29(3) sont ceux dont l’exécution peut effectivement être demandée par les « personne ou organisations » énumérées au par. 29(1), soit les conditions et engagements énoncés en leur faveur.

(2)           Le Contrat incitatif enregistré sur le titre démontre‑t‑il que les parties à ce contrat entendaient que les Paiements incitatifs se rattachent au bien‑fonds?

[43]                          Outre notre conclusion découlant de notre interprétation de la HRA, nous estimons qu’aucune intention de rattacher les Paiements incitatifs au bien‑fonds ne ressort du Contrat incitatif lui‑même. Même s’il était possible d’éviter l’application de la règle de common law en l’espèce, la demande de 604 visant les paiements devrait néanmoins être rejetée. Nous ne voyons aucune raison de modifier les conclusions du juge en cabinet, qu’a retenues le juge O’Brien, relativement à l’interprétation du Contrat incitatif.

[44]                          Les principales clauses litigieuses du Contrat incitatif sont les clauses 5.3, 8.3 et 8.8. La clause 5.3 prévoit ce qui suit :

                    [traduction] Si, à un moment donné, le propriétaire, The Lougheed Block Inc., et tout futur propriétaire n’a pas payé des taxes et prélèvements de cette nature à l’échéance, la Ville peut — sans toutefois y être tenue — opérer compensation entre la somme due par le propriétaire, The Lougheed Block Inc., ou tout futur propriétaire, et les sommes dues au propriétaire par la Ville, ou qui pourraient lui être dues dans le futur, en application du présent contrat. [Nous soulignons.]

[45]                          Le juge en cabinet a conclu qu’on ne peut considérer que la clause 5.3 signifie que les parties au Contrat incitatif entendaient qu’un futur propriétaire puisse recevoir les Paiements incitatifs. La clause ne fait pas état d’un futur propriétaire lorsqu’elle décrit le bénéficiaire des paiements à être effectués par la Ville en vertu du contrat. Les seules mentions concernant de futurs propriétaires se rapportent au paiement à la Ville des taxes et prélèvements. Nous estimons que cette interprétation n’est entachée d’aucune erreur manifeste et déterminante.

[46]                          Le juge en cabinet a également examiné la clause 8.3, laquelle prévoit ce qui suit : [traduction] « En vertu de l’article 29 de la Loi et conformément à cette disposition, le présent contrat est enregistré par voie de caveat sur le titre des biens‑fonds et les conditions et engagements prévus au présent contrat se rattachent au bien‑fonds et lient le propriétaire — ainsi que les propriétaires subséquents et les successeurs en titre du propriétaire. » Selon le juge en cabinet, cette clause ne fait que répéter ce que prévoit déjà l’art. 29 de la HRA (le droit de la Ville de demander l’exécution d’engagements de nature positive ou négative énoncés en sa faveur). Encore une fois, nous estimons que cette interprétation ne comporte aucune erreur manifeste et déterminante. La mention de l’art. 29 n’établit pas que les parties au contrat entendaient que les Paiements incitatifs se rattachent au bien‑fonds. 

[47]                          Enfin, la clause 8.8 précise que [traduction] « [t]out ce qui est prévu au présent contrat bénéficie aux parties au présent contrat ainsi qu’à leurs administrateurs, successeurs et ayants droit respectifs et les lie. » Selon l’interprétation du protonotaire, 604 — qui était simplement un propriétaire subséquent — ne peut être considérée comme un administrateur, un successeur ou ayant droit de LBI. Nous sommes d’accord. Le mot « successeur » doit s’entendre au sens d’une personne morale qui lui succéderait (« corporate successor »), vu la présence des mots « successeurs en titre » (« successors in title ») et « propriétaires subséquents » (« subsequent owners ») à la clause 8.3, catégories auxquelles appartient de toute évidence 604, et l’utilisation du mot « successeurs » à la clause 8.8. [traduction] « Les parties à un contrat sont présumées vouloir les conséquences juridiques des mots qu’elles emploient » (G. R. Hall, Canadian Contractual Interpretation Law (2e éd. 2012), p. 91). Il faut donner un sens à la décision d’employer un terme donné dans une clause et un terme différent dans une autre clause figurant dans le même contrat, et encore plus, comme c’est le cas en l’espèce, dans une même section d’un contrat (section 8 — Généralités). À l’instar du juge en cabinet, nous sommes d’avis que l’intention des parties contractantes était que seule LBI, après avoir terminé les travaux de restauration, aurait droit aux Paiements incitatifs, lesquels devaient être versés sur une période de 15 ans.

[48]                          604 fait valoir qu’il serait illogique de dissocier les avantages conférés par le Contrat incitatif au propriétaire (avantages qu’elle désigne comme étant les Paiements incitatifs) des obligations qui lui sont imposées par ce contrat (c’est‑à‑dire les efforts requis de sa part relativement au Grand Theatre, ainsi qu’une restriction concernant l’utilisation qui peut être faite de l’immeuble). Selon nous, il n’y a rien d’inhabituel à dissocier les Paiements incitatifs, un avantage conféré par le Contrat incitatif, des obligations liées à certaines restrictions découlant de la désignation de l’immeuble comme ressource historique municipale.

[49]                          Comme nous l’avons expliqué plus haut, la clause 5.3 ne confirme d’aucune manière que les parties au Contrat incitatif entendaient que les paiements puissent être versés à un futur propriétaire. Au contraire, une façon raisonnable d’interpréter le Contrat incitatif consiste plutôt à considérer que tous les Paiements incitatifs étaient censés être versés à LBI. Une lecture d’ensemble des différents attendus avec les clauses 3 (Travaux de restauration), 4 (Paiement de l’incitatif à la restauration) et 5.4 du Contrat incitatif mène à la conclusion que LBI avait le droit de recevoir tous les Paiements incitatifs. 

[50]                          De plus, nous faisons nôtre le raisonnement du juge en cabinet selon lequel c’est LBI qui était propriétaire de l’Édifice au moment de sa désignation et qui a mené à bien tous les travaux de restauration dont profite maintenant 604 en tant que nouvelle propriétaire. C’est LBI qui a subi la perte de valeur et payé les travaux de restauration. Qui plus est, la désignation de l’Édifice était un facteur que 604 pouvait prendre en compte lorsqu’elle l’a acheté. Par conséquent, conclure maintenant que l’intention des parties était que les Paiements incitatifs seraient versés à un futur propriétaire n’aurait aucune logique d’un point de vue commercial et aurait essentiellement pour effet de procurer à 604 un avantage auquel elle n’a pas droit. 

C.            Les Paiements incitatifs ont‑ils été vendus en tant qu’éléments d’actif lors de la vente sous contrôle de justice?

[51]                          Un autre argument que fait valoir 604 est qu’elle a acquis le droit aux Paiements incitatifs à l’occasion de la vente sous contrôle de justice. Une fois de plus, nous ne sommes pas d’accord. La preuve étaye amplement la conclusion du juge en cabinet selon laquelle les Paiements incitatifs n’ont pas été vendus lors de cette vente.

[52]                          Dans l’Offre de 604, la « propriété » visée par l’offre d’achat est définie uniquement au moyen de la description cadastrale de l’Édifice (l’immeuble). L’Offre de 604 énumère ensuite d’autres biens accessoires devant être inclus dans la vente :

                    [traduction]

                    10. Tous les accessoires fixes, équipements et biens meubles qui se trouvent sur la propriété et qui appartiennent au vendeur sont inclus dans le prix d’achat. L’acheteur reconnaît que certains de ces accessoires fixes, équipements et biens meubles appartiennent aux locataires de la propriété et ne sont pas inclus dans la vente visée aux présentes.

[53]                          L’Offre de 604 précise en outre, au par. 6, que [traduction] « [t]ous les baux et contrats cessibles sont cédés à l’acheteur à la date de clôture et ce dernier assume toutes les obligations en découlant. » 604 prétend que le Contrat incitatif constituait un « contrat cessible » visé au par. 6 et qu’il lui a en conséquence été cédé à l’occasion de la vente sous contrôle de justice.

[54]                          Le juge en cabinet a retenu la prétention selon laquelle le Contrat incitatif était un [traduction] « contrat cessible », mais il a conclu que ce contrat n’avait pas été cédé à 604, étant donné que le par. 6 ne vise que les contrats « accessoires à la propriété » (par. 62). Selon lui, le par. 6 n’élargit pas la définition de la « propriété » acquise; il ne porte que sur les modalités de l’opération. Le juge en cabinet a souligné que, si 604 avait eu l’intention d’acheter les Paiements incitatifs, son offre aurait fait expressément état de ceux‑ci soit dans la définition initiale de la « propriété », soit dans la liste des biens accessoires, au par. 10.

[55]                          Selon nous, le juge en cabinet n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante dans son interprétation de l’Offre de 604. Il a avec raison limité la portée du par. 6 aux « contrats cessibles » accessoires à l’immeuble. Comme le prétend Heritage, il est possible que LBI ait été partie à d’autres contrats — par exemple des contrats de location de voiture ou des contrats d’adhésion à un club — mais on ne saurait affirmer que 604 les a tous acquis du seul fait qu’ils constituaient des « contrats cessibles ». Étant donné la valeur considérable des Paiements incitatifs, si 604 avait eu l’intention de les acquérir, elle l’aurait vraisemblablement mentionné expressément dans son offre. Au contraire, il n’y a aucune indication, expresse ou autre, que 604 entendait acheter ces paiements.

[56]                          De plus, les circonstances de l’Offre de 604 appuient la conclusion du juge en cabinet. Comme l’a fait remarquer le juge O’Brien, la déclaration à l’origine de la procédure de vente ne faisait pas état du Contrat incitatif ou des Paiements incitatifs. En outre, ni la fiche descriptive de la propriété mise en vente sous contrôle de justice ni la brochure publicitaire publiée conformément à l’ordonnance de vente ne précisaient que les Paiements incitatifs faisaient partie de la propriété et des éléments d’actif inclus dans la vente sous contrôle de justice.

D.           L’ordre de priorité quant aux Paiements incitatifs est‑il régi par la PPSA?

[57]                          Comme nous avons conclu que les Paiements incitatifs ne constituent pas un intérêt qui se rattachait au bien‑fonds et qu’ils n’ont pas été vendus à 604 lors de la vente sous contrôle de justice, nous devons maintenant décider si les cessions des Paiements incitatifs sont régies par la PPSA. Ainsi que nous l’avons mentionné précédemment, LBI a cédé le Contrat incitatif successivement à Équitable et à Heritage avant de faire défaut à l’égard du remboursement du prêt que lui avait consenti Équitable. La Cession en faveur de 604 a été conclue après la vente de l’Édifice. Cette cession semble avoir été enregistrée au bureau d’enregistrement des sûretés mobilières, mais seulement après l’enregistrement de la Cession en faveur d’Heritage en octobre 2010.

[58]                          Le protonotaire Laycock a jugé que la Cession en faveur de 604 était inopérante, parce qu’aucune contrepartie n’avait été payée à son égard. Le juge Jeffrey de la Cour du Banc de la Reine a refusé de trancher cette question ou d’examiner celles des cessions et des rachats. D’après lui, toute question liée à la demande de 604 visant les Paiements incitatifs dépassait le cadre de la question soumise à la cour. Ayant conclu que les Paiements incitatifs se rattachaient au bien‑fonds, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont décidé que la PPSA ne s’appliquait pas. Le juge O’Brien a quant à lui estimé que, [traduction] « eu égard à l’objet de la demande initiale et à la preuve au dossier », la Cour d’appel n’était pas en mesure de décider quelle partie avait droit aux Paiements incitatifs (par. 93).

[59]                          Devant notre Cour, Heritage prétend que la cession en sa faveur a été enregistrée avant la Cession en faveur de 604 et que l’intérêt qu’elle possède à l’égard des Paiements incitatifs devrait en conséquence avoir priorité suivant la PPSA. De son côté, 604 réplique que la Cession en faveur d’Équitable était déjà enregistrée en vertu de la PPSA au moment de la Cession en faveur de 604. Enfin, Heritage soutient que, si notre Cour refuse de statuer sur la question de la PPSA, elle devrait à tout le moins décider si les Paiements incitatifs constituent une chose non possessoire afin de faciliter le déroulement de procédures ultérieures entre les parties.

[60]                          La PPSA s’applique à [traduction] « toute opération qui crée essentiellement une sûreté, indépendamment de sa forme et de l’identité de la personne qui possède le titre relatif au bien grevé » (al. 3(1)(a)). Nous concluons que les Paiements incitatifs sont une chose non possessoire. Le droit aux Paiements incitatifs a simplement un caractère contractuel et n’est pas un intérêt rattaché au bien‑fonds ou accessoire à l’immeuble. Contrairement à ce que prétend 604, il s’ensuit qu’aucune cession relative à ces paiements n’échappe à l’application de la PPSA par l’effet de l’al. 4(f) ou (g) de cette loi. La PPSA régit l’ordre de priorité des Paiements incitatifs.

[61]                          La clause 7 de la Cession en faveur d’Équitable précise que la cession a été consentie par LBI pour garantir le remboursement de son hypothèque à Équitable. Le juge Jeffrey a statué que cette cession ne constituait qu’une sûreté. Le juge O’Brien a fait sienne cette conclusion du juge Jeffrey, étant lui aussi d’avis que [traduction] « la cession visait à garantir la créance hypothécaire » et qu’elle « avait uniquement créé une sûreté » (par. 87).

[62]                          Contrairement à ce qui aurait été le cas s’il s’était agi, par exemple, de paiements découlant d’un bail foncier, le droit aux Paiements incitatifs a pris naissance uniquement lorsque LBI a terminé les travaux de restauration. Ces paiements visaient la satisfaction de l’ensemble des droits à une indemnisation par la Ville pour la désignation de l’Édifice comme ressource historique et pour la restauration de celui‑ci. Les paiements constituaient une offre globale à la seule intention du propriétaire d’un édifice récemment désigné et ils n’étaient aucunement censés suivre la propriété. Cette conclusion est confirmée par le fait que les parties s’accordent pour dire que, si les Paiements incitatifs avaient été versés sous forme de somme forfaitaire, 604 n’aurait eu droit à aucune partie de cette somme. Nous sommes donc convaincus que la PPSA s’applique aux Paiements incitatifs.

[63]                          Cela dit, dans la mesure où les parties ne s’entendent pas sur l’effet des cessions et sur l’ordre de priorité en découlant, nous sommes d’avis de renvoyer ce seul aspect à un protonotaire en chambre pour décision conformément aux conclusions que nous énonçons. Nous tenons toutefois à signaler que, vu notre conclusion selon laquelle la Cession en faveur d’Équitable a simplement créé une sûreté, la seule chose qu’Équitable aurait pu transférer à 604 était sa sûreté. À cet égard, les motifs exposés par notre Cour dans le pourvoi connexe Krayzel Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 18, [2016] 1 R.C.S. 273, qui est décidé en même temps que le présent appel, devront être pris en compte dans toutes procédures ultérieures portant sur les Paiements incitatifs.

VI.        Conclusion

[64]                          Nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir l’ordonnance du protonotaire en chambre, avec dépens payables par 604 en faveur d’Heritage et de LBI devant toutes les cours. Les Paiements incitatifs prévus par le Contrat incitatif ne constituent pas un intérêt foncier par l’effet de la HRA et ils ne font pas partie des éléments d’actif vendus à 604. Si les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si c’est la Cession en faveur d’Heritage ou la Cession en faveur de 604 qui a priorité en vertu de la PPSA, nous sommes d’avis de renvoyer cette seule question à un protonotaire en chambre pour qu’elle soit tranchée conformément aux conclusions que nous énonçons.

                    Pourvoi accueilli avec dépens.

                    Procureurs de l’appelante : Burnet, Duckworth & Palmer, Calgary.

                    Procureurs des intimés Lougheed Block Inc., Neil John Richardson, Hugh Daryl Richardson et Heritage Property Corporation : Willow Park Law Office, Calgary.

                    Procureurs de l’intimée 604 1st Street S.W. Inc. : Gowling WLG (Canada) Inc., Calgary.

 

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