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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Musqueam Indian Band c. Musqueam Indian Band (Board of Review), 2016 CSC 36, [2016] 2 R.C.S. 3

Appel entendu : 26 avril 2016

Jugement rendu : 9 septembre 2016

Dossier : 36478

 

Entre :

Musqueam Indian Band

Appelante

 

et

 

Musqueam Indian Band Board of Review,

Assessor for the Musqueam Indian Band et

Shaughnessy Golf and Country Club

Intimés

 

- et –

 

Council for the Advancement of Native Development Officers

Intervenant

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Côté et Brown

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 34)

Le juge Brown (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Côté)

 

 

 


Musqueam Indian Band c. Musqueam Indian Band (Board of Review), 2016 CSC 36, [2016] 2 R.C.S. 3

Musqueam Indian Band                                                                                Appelante

c.

Musqueam Indian Band Board of Review,

Assessor for the Musqueam Indian Band et

Shaughnessy Golf and Country Club                                                              Intimés

et

Council for the Advancement of Native Development Officers              Intervenant

Répertorié : Musqueam Indian Band c. Musqueam Indian Band (Board of Review)

2016 CSC 36

No du greffe : 36478.

2016 : 26 avril; 2016 : 9 septembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Côté et Brown.

en appel de la cour d’appel de la colombie‐britannique

                    Droit des Autochtones — Réserves indiennes — Fiscalité — Évaluation foncière — Évaluation, à des fins de taxation, de terres de réserve louées — Bande indienne cédant une partie des terres de la réserve à Sa Majesté pour que celle‐ci les loue à un tiers — Bail restreignant l’utilisation des terres à l’exploitation d’un terrain de golf — Le règlement de la bande applicable en matière d’évaluation foncière permet‐il à l’évaluateur de tenir compte de la restriction quant à l’utilisation prévue au bail pour déterminer la valeur des terres à des fins de taxation? — Musqueam Indian Band Property Assessment Bylaw, PR‐96‐01, art. 26(3.2).

                    Depuis 1991, la Musqueam Indian Band (les « Musqueams ») a compétence en matière de taxation de ses terres de réserve en vertu du règlement intitulé Musqueam Indian Band Property Assessment Bylaw. En 1996, les Musqueams ont modifié le par. 26(3.2) du règlement afin d’autoriser un évaluateur à tenir compte, pour déterminer la valeur du bien‐fonds à des fins de taxation, de « toute restriction imposée par la bande quant à l’utilisation du bien‐fonds et ses améliorations » plutôt que des restrictions imposées par « le détenteur d’un intérêt ». En 1957, les Musqueams ont cédé une partie de leurs terres de réserve à Sa Majesté pour que celle‐ci les loue au club de golf Shaughnessy Golf and Country Club. Puisque le bail restreint l’utilisation des terres à l’exploitation d’un terrain de golf, l’évaluateur des Musqueams a, pour les besoins d’évaluation fiscale, systématiquement évalué la valeur des terres en fonction de cette utilisation. En 2011, les Musqueams ont contesté cette évaluation devant une commission de révision, affirmant que les terres devaient être évaluées en tant que terrain résidentiel et que la restriction quant à l’utilisation prévue au bail n’avait pas été imposée « par la bande », car les parties au bail étaient Sa Majesté et le club de golf. La commission de révision a saisi la Cour suprême de la Colombie‐Britannique d’un exposé de cause. La juge siégeant en cabinet et la Cour d’appel ont conclu que l’évaluateur pouvait tenir compte de la restriction quant à l’utilisation.

                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

                    Comme l’ont conclu les instances inférieures, le règlement autorise l’évaluateur à tenir compte de la restriction quant à l’utilisation prévue au bail conclu entre Sa Majesté et le club de golf pour déterminer, aux fins d’évaluation, la valeur des terres de réserve cédées à bail. La solution du problème repose sur l’interprétation du par. 26(3.2) du règlement, et il faut en dégager le sens en examinant ses termes dans leur contexte global et suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie et l’objet du règlement. En l’espèce, le sens ordinaire du par. 26(3.2), interprété en fonction de son objet et de son contexte, confère à l’évaluateur le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de la restriction quant à l’utilisation pour établir la valeur des terres louées pour les besoins d’évaluation fiscale.

                    Les arguments des Musqueams — soit que la modification apportée en 1996 au règlement visait à tenir compte des pouvoirs que lui conférait l’Accord‐Cadre relatif à la Gestion des Terres de Premières Nations, et que les termes « imposée par la bande » empêchent qu’il soit tenu compte du bail conclu avec le club de golf puisque le bail a été conclu avec Sa Majesté — ne sont pas convaincants. La seule modification de fond importante apportée au par. 26(3.2) du règlement en 1996 visait à limiter la portée des restrictions quant à l’utilisation qu’un évaluateur est expressément autorisé à prendre en compte, substituant celles qu’imposent les Musqueams eux‐mêmes à celles qu’impose le détenteur d’un intérêt (et notamment un locataire). En outre, s’il est vrai que le bail a été conclu entre le club de golf et Sa Majesté, l’intervention de Sa Majesté était rendue nécessaire par la Loi sur les Indiens, laquelle prévoyait alors que les terres d’une réserve ne pouvaient être louées que si elles étaient d’abord cédées à Sa Majesté. Le règlement doit être interprété à la lumière de ce rôle conféré par la loi à Sa Majesté. L’acte de cession ne comporte aucune mention du bail ni du club de golf, mais le contexte dans lequel la cession a eu lieu et les terres ont été cédées à bail montre clairement que les Musqueams voulaient que les terres soient louées au club de golf. Compte tenu de ce contexte, la restriction quant à l’utilisation prévue au bail était imposée « par la bande ».

Jurisprudence

                    Arrêts mentionnés : Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335; Vancouver Assessor, Area 9 c. Bramalea Ltd. (1990), 52 B.C.L.R. (2d) 218; Petro‐Canada Inc. c. Coquitlam Assessor, Area No. 12 (1991), 61 B.C.L.R. (2d) 86; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; British Columbia (Assessment Commissioner) c. Ryan, [1979] B.C.J. No. 1966 (QL); Burnaby/New Westminster Assessor, Area No. 10 c. Central Park Citizen Society (1993), 86 B.C.L.R. (2d) 24; Westbank Holdings Ltd. c. Westgate Shopping Centre Ltd., 2001 BCCA 268, 155 B.C.A.C. 1; Guerin c. La Reine, [1982] 2 C.F. 385.

Lois et règlements cités

Assessment Act, R.S.B.C. 1979, c. 21.

Assessment Act, S.B.C. 1974, c. 6.

Assessment and Taxation (Miscellaneous Amendments) Act, 1985, S.B.C. 1985, c. 20, art. 5.

Loi d’interprétation , L.R.C. 1985, c. I‐21, art. 12 .

Loi sur les Indiens , L.R.C. 1985, c. I‐5, art. 83(1) a).

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, c. 149, art. 37.

Musqueam Indian Band Assessment By‐law (1991), art. 26(3.2).

Musqueam Indian Band Property Assessment Bylaw, PR‐96‐01, art. 1(1) « band », 26(1), (3), (3.2).

Ententes

Accord‐Cadre relatif à la Gestion des Terres de Premières Nations, 1996 (en ligne : http://labrc.com/wp-content/uploads/2014/03/Framework-Agreement-Amendment-5.pdf).

Doctrine et autres documents cités

Colombie‐Britannique. Assemblée législative. Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard), 3rd Sess., 33rd Parl., May 3, 1985, p. 5934.

Eaton, J. D. Real Estate Valuation in Litigation, 2nd ed., Chicago, Appraisal Institute, 1995.

Institut canadien des évaluateurs. The Appraisal of Real Estate, 3rd Canadian ed., Vancouver, Sauder School of Business (Real Estate Division), 2010.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‐Britannique (le juge en chef Bauman et les juges Lowry et Goepel), 2015 BCCA 158, 76 B.C.L.R. (5th) 285, 370 B.C.A.C. 239, 635 W.A.C. 239, [2015] 12 W.W.R. 421, [2015] B.C.J. No. 696 (QL), 2015 CarswellBC 964 (WL Can.), qui a infirmé en partie une décision de la juge Maisonville, 2013 BCSC 1362, [2013] B.C.J. No. 1672 (QL), 2013 CarswellBC 2336 (WL Can.). Pourvoi rejeté.

                    Maria Morellato, c.r., James I. Reynolds et Aaron Wilson, pour l’appelante.

                    Personne n’a comparu pour l’intimée Musqueam Indian Band Board of Review.

                    R. Bruce E. Hallsor et Greer Jacks, pour l’intimé Assessor for the Musqueam Indian Band.

                    John J. L. Hunter, c.r., et Ludmila B. Herbst, c.r., pour l’intimé Shaughnessy Golf and Country Club.

                    Argumentation écrite seulement par Avnish Nanda, pour l’intervenant.

                    Version française du jugement de la Cour rendu par

                    Le juge Brown —

I.              Introduction

[1]                              Le présent pourvoi constitue la plus récente étape des relations difficiles qu’ont entretenues la Musqueam Indian Band (les « Musqueams ») et le club de golf Shaughnessy Golf and Country Club. Ainsi que la Cour l’indique dans l’arrêt Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, p. 345-346, les Musqueams ont cédé en 1957 une partie de leurs terres de réserve à Sa Majesté pour que celle‐ci les loue au club de golf. Puisque les conditions du bail consenti par Sa Majesté étaient moins favorables que celles approuvées par les Musqueams et que Sa Majesté n’avait pas consulté les Musqueams avant de louer les terres à des conditions défavorables, la Cour a conclu dans l’arrêt Guerin que Sa Majesté avait manqué à son obligation de fiduciaire et lui a ordonné de verser une indemnité aux Musqueams. Depuis l’arrêt Guerin, le bail est toujours en vigueur.

[2]                              La question litigieuse en l’espèce concerne l’évaluation, à des fins de taxation, de ces terres de réserve louées. Les Musqueams ont compétence en matière de taxation de leurs terres de réserve excédentaires en vertu du Musqueam Indian Band Property Assessment Bylaw, PR‐96‐01 (le « Règlement »). Bien que le par. 26(1) du Règlement dispose que la valeur réelle d’un bien‐fonds dans une réserve doive être calculée en fonction de la valeur marchande d’un intérêt en fief simple sur un bien‐fonds situé hors réserve, le par. 26(3.2) autorise un évaluateur qui applique le Règlement à tenir compte de [traduction] « toute restriction imposée par la bande quant à l’utilisation du bien‐fonds et ses améliorations » pour déterminer la valeur du bien‐fonds en matière de taxation. Puisqu’en l’espèce le bail en question restreint l’utilisation des terres à l’exploitation d’un terrain de golf, l’intimé Assessor for the Musqueam Indian Band (l’« évaluateur de la bande indienne des Musqueams ») a systématiquement évalué la valeur réelle des terres en fonction de leur utilisation comme terrain de golf. En 2011, les Musqueams ont contesté cette évaluation, affirmant plutôt que les terres devaient être évaluées en tant que terrain résidentiel.

[3]                              La question précise qui doit être tranchée est donc de savoir si le Règlement autorise l’évaluateur à tenir compte de la restriction quant à l’utilisation prévue au bail pour déterminer la valeur des terres aux fins d’évaluation fiscale. La juge de la Cour suprême de la Colombie‐Britannique siégeant en cabinet et la Cour d’appel de la Colombie‐Britannique ont conclu que l’évaluateur pouvait tenir compte de la restriction quant à l’utilisation : voir 2013 BCSC 1362 et 2015 BCCA 158, 76 B.C.L.R. (5th) 285. Pour les motifs qui suivent, je suis du même avis. Le sens ordinaire des dispositions pertinentes du Règlement, interprétées en fonction de leur objet et de leur contexte, confère à l’évaluateur le pouvoir discrétionnaire de tenir compte de la restriction quant à l’utilisation pour établir la valeur des terres louées. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

II.           Aperçu des faits et des procédures

A.           Contexte

(1)           La cession et le bail

[4]                              Devant la juge siégeant en cabinet, les parties se sont entendues sur un ensemble de faits, notamment [traduction] « les conclusions de fait [. . .] tirées dans les décisions Guerin »[1] (par. 11). Quant à ces conclusions de fait, il suffit de rappeler ici que le 6 octobre 1957, les membres des Musqueams ont approuvé, par un vote majoritaire, la cession à Sa Majesté la Reine du chef du Canada (« Sa Majesté ») de 162 acres de terres de réserve; et que le 22 janvier 1958, un bail relatif à ces terres a été conclu entre Sa Majesté et le club de golf, sous son ancien nom de Shaughnessy Heights Golf Club, pour une durée de 75 ans. Le bail est entré en vigueur le 1er janvier 1958, et il n’a été ni résilié ni modifié. Les Musqueams n’ont pas signé le bail.

[5]                              Selon les conditions du bail, le club de golf a convenu qu’il [traduction] « utiliser[a] les lieux cédés à bail uniquement pour un terrain de golf, sur lequel le locataire pourra aménager les installations qu’il juge appropriées ».

(2)           Évaluation fiscale des terres de réserve des Musqueams

[6]                              Jusqu’en 1991, l’Assessment Act, R.S.B.C. 1979, c. 21, a régi l’évaluation fiscale des terres de réserve des Musqueams. Après que la Loi sur les Indiens , L.R.C. 1985, c. I‐5 , eut été modifiée afin de conférer aux bandes les pouvoirs de taxation des biens‐fonds (sous réserve de l’approbation du ministre), les Musqueams ont adopté en 1990 le Musqueam Indian Band Assessment By‐law, qui a été approuvé par le ministre en 1991. Le paragraphe 26(3.2) du Règlement autorisait un évaluateur à tenir compte de [traduction] « toute restriction quant à l’utilisation du bien‐fonds et ses améliorations imposée par le détenteur d’un intérêt sur le bien‐fonds » (italiques ajoutés). Le Règlement prévoyait également la constitution, par le conseil de bande des Musqueams, de commissions de révision chargées d’entendre les appels de l’évaluation foncière.

[7]                              En 1996, les Musqueams ont modifié le Règlement afin d’obliger un évaluateur à évaluer les terres de réserve de la même manière qu’il évaluerait un intérêt en fief simple sur un bien‐fonds situé hors réserve : par. 26(1). Ils ont en même temps modifié le par. 26(3.2) afin de prévoir que [traduction] « [l]’évaluateur [puisse] inclure, dans les facteurs dont il tient compte [. . .], toute restriction imposée par la bande quant à l’utilisation du bien‐fonds et ses améliorations » (italiques ajoutés). En juillet 1996, le ministre a approuvé le Règlement modifié et les Musqueams ont chargé la British Columbia Assessment Authority de mener, en qualité d’évaluateur de la bande indienne des Musqueams, les évaluations prévues au Règlement.

[8]                              La même année, les Musqueams et 12 autres Premières Nations ont conclu avec le Canada l’Accord‐Cadre relatif à la Gestion des Terres de Premières Nations (en ligne)[2]. L’Accord‐Cadre donnait aux Premières Nations signataires, dont les Musqueams, la possibilité de gérer leurs terres de réserve sans être liées par les restrictions imposées par la Loi sur les Indiens. Plus précisément, il permettait à ces Premières Nations d’élaborer des codes fonciers.

[9]                              Bien qu’en application du Règlement les terres louées aient toujours été évaluées en tant que terrain de golf, en 2011, les Musqueams ont contesté cette évaluation devant une commission de révision. Ils ont plaidé que la restriction quant à l’utilisation prévue au bail n’avait pas été imposée [traduction] « par la bande », conformément au par. 26(3.2) du Règlement, car les parties au bail étaient Sa Majesté et le club de golf, et non les Musqueams et le club de golf. Les Musqueams ont affirmé que les terres devraient en conséquence être évaluées en tant que bien‐fonds résidentiel. Le club de golf a affirmé pour sa part que l’évaluateur pouvait tenir compte de la restriction quant à l’utilisation pour apprécier la valeur foncière. La commission de révision a saisi la Cour suprême de la Colombie‐Britannique d’un exposé de cause en lui demandant de trancher le litige.

B.            Dispositions législatives et réglementaires

[10]                          Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, c. 149

                                    37.       Sauf dispositions contraires de la présente loi, les terres dans une réserve ne doivent être vendues, aliénées ni louées, ou il ne doit en être autrement disposé, que si elles ont été cédées à Sa Majesté par la bande à l’usage et au profit communs de laquelle la réserve a été mise de côté.

Musqueam Indian Band Assessment By‐law, 1991

[traduction]

                     26. . . .

 

. . .

 

                    (3.2)  Lorsque le [bien‐fonds] et les améliorations sont assujettis à l’évaluation [. . .], l’évaluateur inclut dans les facteurs dont il tient compte aux termes du paragraphe (3) toute restriction quant à l’utilisation du bien‐fonds et ses améliorations imposée par le détenteur d’un intérêt sur le bien‐fonds.

Musqueam Indian Band Property Assessment Bylaw, PR‐96‐01

[traduction]

                    26.(1)    Au présent règlement, « valeur réelle » s’entend de la valeur marchande de l’intérêt en fief simple sur le bien‐fonds et ses améliorations, comme si le détenteur de l’intérêt détenait un intérêt en fief simple sur un bien‐fonds situé hors réserve.

                    . . .

                       (3)         Pour déterminer la valeur réelle, l’évaluateur peut, sauf si le présent règlement prévoit une exigence différente, tenir compte de l’utilisation actuelle, du lieu, du coût initial, du coût de remplacement, du revenu ou de la valeur locative, du prix de vente du bien‐fonds et ses améliorations ainsi que des biens‐fonds et améliorations comparables situés dans la réserve ou hors réserve, de la désuétude économique ou fonctionnelle, de la valeur marchande des biens‐fonds et améliorations comparables situés dans la réserve ou hors réserve, de la juridiction, des installations communautaires et des services publics, et de toute autre circonstance ayant une incidence sur la valeur du bien‐fonds et ses améliorations, pourvu que ces facteurs ne soient pas incompatibles avec le paragraphe (1).

. . .

                       (3.2)      L’évaluateur peut inclure, dans les facteurs dont il tient compte aux termes du paragraphe (3), toute restriction imposée par la bande quant à l’utilisation du bien‐fonds et ses améliorations.

C.            Historique judiciaire

(1)           Cour suprême de la Colombie‐Britannique (la juge Maisonville)

[11]                          La juge siégeant en cabinet a conclu que l’évaluateur pouvait tenir compte de la restriction quant à l’utilisation prévue au bail. Après avoir appliqué le raisonnement retenu dans Vancouver Assessor, Area 9 c. Bramalea Ltd. (1990), 52 B.C.L.R. (2d) 218 (C.A.), et Petro‐Canada Inc. c. Coquitlam Assessor, Area No. 12 (1991), 61 B.C.L.R. (2d) 86 (C.S.), la juge a conclu qu’une évaluation calculée en fonction de l’utilisation optimale du terrain devrait tenir compte de ce qui est légalement autorisé (par. 63 (CanLII)). Quant à l’argument des Musqueams selon lequel la restriction avait été imposée par Sa Majesté et non [traduction] « par la bande », elle a fait remarquer que l’art. 37 de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, c. 149 (qui régissait la location de terres de réserve à la date où le bail a été conclu entre Sa Majesté et le club de golf), prévoyait que seule Sa Majesté pouvait louer des terres de réserve, et que les Musqueams devaient d’abord céder les terres à Sa Majesté (par. 80‐82). C’est donc « en qualité de fiduciaire de la bande » que Sa Majesté a conclu le bail avec le club de golf (par. 87), et, de ce fait, il faut considérer que les Musqueams ont eux‐mêmes conclu cette entente (par. 88). Par conséquent, et suivant le sens ordinaire des termes du Règlement, la restriction quant à l’utilisation prévue au bail constitue une restriction imposée par les Musqueams, et l’évaluateur peut en tenir compte (par. 92).

(2)           Cour d’appel de la Colombie‐Britannique (le juge en chef Bauman et les juges Lowry et Goepel)

[12]                          La Cour d’appel a accueilli en partie l’appel interjeté par les Musqueams de manière à modifier certaines des réponses aux questions soulevées dans l’exposé de cause (lesquelles n’ont aucune incidence sur les questions litigieuses soumises à la Cour dans le présent pourvoi), mais elle a convenu avec la juge siégeant en cabinet que l’évaluateur pouvait tenir compte de la restriction quant à l’utilisation prévue au bail pour apprécier la valeur des terres. La seule limite au pouvoir discrétionnaire qui autorise l’évaluateur à tenir compte de la restriction quant à l’utilisation est la condition portant que la restriction soit [traduction] « imposée par la bande » — et cette condition est respectée en l’espèce (par. 14).

[13]                          La Cour d’appel a ajouté que l’historique législatif pertinent confirme cette conclusion. Le Règlement, dans sa version initiale adoptée en 1990, était [traduction] « essentiellement semblable » aux dispositions de l’Assessment Act, laquelle avait été modifiée en 1985 afin de permettre qu’il soit tenu compte des restrictions quant à l’utilisation dans l’évaluation des biens‐fonds exempts de taxation (par. 15). Or, il y a une importante distinction entre le Règlement et l’Assessment Act : le premier permettait qu’il soit tenu compte des restrictions imposées par « le détenteur d’un intérêt », tandis que dans la seconde, il s’agissait de restrictions imposées par le propriétaire (par. 19). Ainsi, sous le régime du Règlement, un locataire de terres de réserve, en sa qualité de « détenteur d’un intérêt », pouvait unilatéralement réduire la valeur réelle du terrain loué aux fins d’évaluation fiscale (et de ce fait alléger son fardeau fiscal) en restreignant sa propre utilisation du terrain. Selon la modification apportée au par. 26(3.2) du Règlement en 1996, la substitution des termes « par la bande » aux termes « par le détenteur d’un intérêt » visait à harmoniser le texte de cette disposition à celui de l’Assessment Act en empêchant un locataire de terres de réserve d’alléger unilatéralement son fardeau fiscal en restreignant l’utilisation des terres louées, et à autoriser un évaluateur à tenir compte des restrictions quant à l’utilisation que les Musqueams eux‐mêmes imposent au locataire (par. 21).

[14]                          En outre, selon la Cour d’appel, le fait que Sa Majesté — et non les Musqueams — avait conclu le bail avec le club de golf n’empêchait pas l’évaluateur de considérer que la restriction quant à l’utilisation prévue au bail avait été imposée [traduction] « par la bande ». Bien que, dans les circonstances (notamment la décision des Musqueams de céder le bien‐fonds à Sa Majesté pour que celle‐ci le loue au club de golf), Sa Majesté [traduction] « agissait manifestement ‟pour le compteˮ [des Musqueams] lorsqu’elle a conclu le bail », il n’était pas nécessaire en plus que l’on ajoute par interprétation les mots « pour le compte » au par. 26(3.2) pour établir que la restriction quant à l’utilisation était imposée « par la bande » (par. 28). Ce sont plutôt les Musqueams eux‐mêmes qui « ont imposé au club de golf une restriction quant à l’utilisation du bien‐fonds au moment où ils l’ont cédé à Sa Majesté » (par. 28). De plus, une interprétation du par. 26(3.2) exigeant que les Musqueams imposent eux‐mêmes la restriction sur le bien‐fonds — c’est‐à‐dire sans que Sa Majesté intervienne — rendrait la disposition vide de sens puisque les Musqueams ne pouvaient agir que par l’entremise de Sa Majesté (par. 29).

III.        Analyse

[15]                          J’ai déjà énoncé la question précise que soulève le présent pourvoi, soit celle de savoir si le Règlement permet à l’évaluateur de tenir compte de la restriction quant à l’utilisation que le bail impose au club de golf. Il convient de faire remarquer qu’aucune des parties ne conteste le pouvoir des Musqueams de lever une taxe foncière sur ses terres de réserve ou de les gérer. Ces pouvoirs sont manifestement toujours siens. La question soumise à la Cour ne concerne que l’effet permissif, s’il en est, que peut avoir une disposition précise du Règlement sur l’appréciation, à des fins de taxation par les Musqueams, de la valeur réelle des terres de réserve louées au club de golf.

[16]                          La réponse à cette question repose sur l’interprétation du par. 26(3.2) du Règlement, et il faut donc en dégager le sens en examinant ses termes dans leur contexte global et suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie et l’objet du Règlement : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21. Comme le Règlement a été pris en vertu du pouvoir délégué aux Musqueams conformément à l’al. 83(1) a) de la Loi sur les Indiens, il doit être interprété « de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet » : Loi d’interprétation , L.R.C. 1985, c. I‐21, art. 12 .

[17]                          Toutes les parties s’entendent pour dire que l’historique législatif de l’Assessment Act fait partie du contexte dans lequel le Règlement a été adopté. Depuis son adoption en 1974[3] jusqu’en 1985, l’évaluation en Colombie‐Britannique des biens‐fonds situés dans une réserve ou hors réserve reposait sur [traduction] « la valeur foncière réelle », sans qu’il ne soit tenu compte des restrictions quant à l’utilisation. En 1985, cette loi a été modifiée afin d’obliger l’évaluateur à tenir compte de  « toute restriction imposée par le propriétaire quant à l’utilisation du bien‐fonds et ses améliorations »[4]. Cette modification a été adoptée en réponse à la décision British Columbia (Assessment Commissioner) c. Ryan, [1979] B.C.J. No. 1966 (QL), dans laquelle la Cour suprême de la Colombie‐Britannique a jugé (au par. 14) que [traduction] « les intérêts à bail sur des terres domaniales doivent être évalués en fonction de la valeur réelle des terres et leurs améliorations comme si l’occupant de ces terres les détenait en fief simple au lieu de simplement les louer ». La modification de 1985 visait donc principalement à éviter l’iniquité qui découlerait par ailleurs du fait d’imposer au locataire un fardeau fiscal fondé sur une valeur associée à une utilisation dont celui‐ci ne pourrait jamais jouir en raison des restrictions prévues au bail. L’explication fournie par le ministre des Finances à l’étape de la deuxième lecture confirme que cette modification [traduction] « précise que les biens‐fonds visés par un bail consenti par Sa Majesté [. . .] doivent être évalués en fonction de la valeur rattachée à l’utilisation autorisée dans le bail » : Colombie‐Britannique, Assemblée législative, Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard), 3e sess., 33e lég., 3 mai 1985, p. 5934.

[18]                          Les Musqueams et les intimés reconnaissent que le Règlement, dans sa forme initiale édictée en 1991, autorisait un évaluateur à tenir compte des conditions du bail qui exigent que le club de golf limite l’utilisation des terres à un terrain de golf. Et, dans les faits, l’évaluation des terres n’a pas changé lorsque les Musqueams ont obtenu le pouvoir de prélever des impôts fonciers — c’est‐à‐dire que l’on a continué d’évaluer ces terres en tant que terrain de golf. Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur la signification de la modification apportée en 1996 au par. 26(3.2) du Règlement. Le club de golf et l’évaluateur souscrivent au raisonnement de la Cour d’appel sur ce point. Selon eux, en autorisant un évaluateur à tenir compte des restrictions imposées [traduction] « par la bande » plutôt que celles imposées « par le détenteur d’un intérêt », les Musqueams empêchaient simplement le locataire de limiter l’utilisation du terrain loué et ainsi d’en réduire unilatéralement la valeur réelle telle qu’évaluée. Les Musqueams affirment cependant que la modification de 1996 visait à tenir compte des pouvoirs d’établir des codes fonciers que l’Accord‐Cadre lui avait conférés.

[19]                          Les Musqueams soulèvent également deux arguments qui établissent un lien entre le texte modifié du par. 26(3.2) et les par. 26(1) et 26(3) du Règlement. Selon le par. 26(1), [traduction] « valeur réelle » s’entend de la valeur marchande de l’intérêt en fief simple sur le bien‐fonds et ses améliorations « comme si le détenteur de l’intérêt détenait un intérêt en fief simple sur un bien‐fonds situé hors réserve ». Le paragraphe 26(3) énumère divers facteurs dont un évaluateur peut tenir compte et mentionne « toute autre circonstance ayant une incidence sur la valeur du bien‐fonds et ses améliorations, pourvu que ces facteurs ne soient pas incompatibles avec le paragraphe (1) ». Le paragraphe 26(3.2) prévoit expressément que les facteurs prévus au par. 26(3) dont un évaluateur peut tenir compte incluent « toute restriction imposée par la bande quant à l’utilisation du bien‐fonds et ses améliorations ». Les Musqueams plaident, en premier lieu, que les « restriction[s] » visées au par. 26(3.2) sont assujetties à la condition énoncée au par. 26(3) selon laquelle elles ne doivent pas être « incompatibles avec le paragraphe (1) ». C’est‐à‐dire que la prise en compte des restrictions quant à l’utilisation prévue au par. 26(3.2) ne doit pas déroger à l’obligation prévue au par. 26(1) d’établir la valeur réelle en fonction de la valeur marchande d’un intérêt en fief simple sur un bien‐fonds situé hors réserve. Dans leur deuxième argument, les Musqueams se fondent sur le texte du par. 26(3.2) qui permet à un évaluateur de prendre en compte, parmi les facteurs énoncés au par. 26(3), toute « restriction » quant à l’utilisation imposée « par la bande ». Selon l’argument des Musqueams, la restriction renvoie aux clauses restrictives imposées par les Musqueams eux‐mêmes, et non pas aux restrictions imposées par Sa Majesté agissant pour leur compte.

[20]                          Le sens ordinaire et grammatical du texte du par. 26(3.2) du Règlement appuie les arguments présentés par le club de golf et l’évaluateur. Hormis la directive prévue au par. 26(1) qui impose à un évaluateur d’évaluer les terres de réserve comme s’agissant d’un intérêt en fief simple sur un bien‐fonds situé hors réserve, la seule modification de fond importante apportée au Règlement en 1996 visait à limiter la portée des restrictions quant à l’utilisation que le par. 26(3.2) autorise expressément un évaluateur à prendre en compte, substituant celles qu’imposent les Musqueams eux‐mêmes à celles qu’impose le détenteur d’un intérêt (et notamment un locataire). La conclusion irrésistible qu’il faut tirer de ce texte, interprété à la lumière de l’historique législatif de l’Assessment Act, est que la modification apportée en 1996 au par. 26(3.2) visait à régler le problème qui, selon la Cour d’appel, a motivé son adoption.

[21]                          Qui plus est, j’estime qu’aucun des arguments présentés par les Musqueams n’est convaincant.

[22]                          Premièrement, si l’on envisageait dans l’Accord‐Cadre d’accorder de nouveaux pouvoirs permettant de restreindre l’utilisation des terres de réserve des Musqueams, ces pouvoirs ne rendaient pas nécessaire la modification apportée au Règlement en 1996. Suivant les principes généraux en matière d’évaluation, les restrictions quant à l’utilisation des propriétés à bail étaient déjà prises en compte dans l’évaluation de l’utilisation optimale : J. D. Eaton, Real Estate Valuation in Litigation (2e éd. 1995), p. 133; voir également Institut canadien des évaluateurs, The Appraisal of Real Estate (3e éd. canadienne 2010), p. 12.4‐12.5; Burnaby/New Westminster Assessor, Area No. 10 c. Central Park Citizen Society (1993), 86 B.C.L.R. (2d) 24 (C.S.), par. 28.

[23]                          De plus, même si l’Accord-Cadre signalait la possibilité d’un changement dans la gestion des terres des Premières Nations, ce changement n’était ni immédiat, ni inévitable. Trois années se sont écoulées avant l’adoption par le Parlement d’une loi de mise en œuvre de cet Accord‐Cadre, et comme la Cour d’appel l’a fait remarquer, le code foncier des Musqueams n’a été rédigé qu’en 2012. Ces faits tendent à miner la prétention des Musqueams quant à l’existence d’un lien entre la modification de 1996 et l’Accord‐Cadre.

[24]                          Quant à l’argument des Musqueams concernant le lien entre le par. 26(3.2) et les par. 26(1) et 26(3), et plus particulièrement le lien avec la condition énoncée au par. 26(3) ([traduction] « pourvu que ces facteurs ne soient pas incompatibles avec le paragraphe (1) »), cette condition doit être interprétée dans son contexte global. Elle s’applique à la mention, au par. 26(3), de toute « autre circonstance ayant une incidence sur la valeur du bien‐fonds », et non à tous les facteurs qui peuvent s’avérer importants dans le contexte de l’évaluation fiscale. En particulier, l’argument selon lequel les par. 26(1) et 26(3), considérés ensemble, empêchent un évaluateur de tenir compte, conformément au par. 26(3.2), de l’effet des intérêts à bail sur la valeur réelle est compromis par l’inclusion, au par. 26(3), des facteurs que sont « l’utilisation actuelle » et « [le] revenu ou [. . .] la valeur locative », qui seraient probablement « incompatibles avec le paragraphe (1) ». Par conséquent, cette condition est manifestement censée s’appliquer, comme le suggère l’endroit où elle se trouve dans le texte du par. 26(3), uniquement à « toute autre circonstance ayant une incidence sur la valeur du bien‐fonds et ses améliorations », et non aux autres facteurs énumérés au par. 26(3) ni aux facteurs additionnels que le par. 26(3.2) permet de prendre en compte.

[25]                          Pour ce qui est de l’argument des Musqueams qui repose sur la mention, au par. 26(3.2), de toute [traduction] « restriction imposée par la bande », il convient de signaler que le texte complet de cette partie du par. 26(3.2) est le suivant : « toute restriction imposée [. . .] quant à l’utilisation du bien‐fonds » (italiques ajoutés). À mon avis, le sens ordinaire et grammatical de ce texte n’est pas aussi limité que le prétendent les Musqueams. Il n’est simplement pas possible que les termes « toute restriction » renvoient exclusivement à une clause restrictive. Rien dans le par. 26(3.2), ni ailleurs dans le texte du Règlement, n’étaye un tant soit peu un sens aussi circonscrit. Il faut également se rappeler que les termes « toute restriction » ont toujours fait partie du texte du par. 26(3.2), ce qui indique fortement que le fait qu’ils aient été repris dans la modification apportée au par. 26(3.2) ne permet pas de dire qu’ils réduisent la portée des restrictions qui peuvent être prises en compte.

[26]                          Les Musqueams citent deux décisions de la Colombie‐Britannique — Central Park Citizen Society et Westbank Holdings Ltd. c. Westgate Shopping Centre Ltd., 2001 BCCA 268, 155 B.C.A.C. 1. Ces décisions ne sont toutefois d’aucun secours. Central Park Citizen Society concerne la règle de common law selon laquelle les restrictions quant à l’utilisation ne seront utiles pour les évaluations que si elles se rattachent au bien‐fonds. Westbank Holdings énonce les critères auxquels il faut satisfaire pour établir l’existence d’une clause restrictive. Aucune de ces décisions n’étaye l’argument des Musqueams selon lequel la mention, au par. 26(3.2), de [traduction] « toute restriction » ne visait que les clauses restrictives.

[27]                          Les Musqueams affirment en outre que les termes [traduction] « imposée par la bande » qui figurent au par. 26(3.2) empêchent qu’il soit tenu compte du bail conclu avec le club de golf. Selon le par. 1(1) du Règlement, la « bande » (band) s’entend des Musqueams. Et comme le bail a été conclu avec Sa Majesté (et non les Musqueams), la restriction quant à l’utilisation contenue dans le bail n’a pas été « imposée par la bande ». Les Musqueams affirment que la Cour d’appel a eu tort d’ajouter par interprétation au par. 26(3.2) les mots [traduction] « pour le compte de », autorisant ainsi l’évaluateur à tenir compte de restrictions quant à l’utilisation que les Musqueams n’avaient pas imposées.

[28]                          Je suis d’accord avec les Musqueams pour dire que, si l’évaluateur doit tenir compte d’une restriction visée au par. 26(3.2), il doit s’agir d’une restriction que les Musqueams ont eux‐mêmes imposée, et non d’une restriction imposée par Sa Majesté. Cela dit, le mécanisme juridique par lequel les terres de réserve pouvaient être louées à l’époque où le bail en cause a été conclu appuie la conclusion suivant laquelle la restriction quant à l’utilisation prévue au bail a, en réalité, été imposée par les Musqueams, et par conséquent, l’évaluateur peut en tenir compte. Il est vrai que le bail a été conclu entre le club de golf et Sa Majesté, et non entre le club de golf et les Musqueams, mais l’intervention de Sa Majesté était rendue nécessaire par la Loi sur les Indiens, laquelle, comme l’a fait remarquer la juge siégeant en cabinet, prévoyait alors que les terres d’une réserve ne pouvaient être louées que si elles étaient d’abord cédées à Sa Majesté. Le paragraphe 26(3.2) du Règlement doit être interprété à la lumière de ce rôle conféré par la loi à Sa Majesté qui l’obligeait à acquérir le titre sur les terres de réserve devant être louées. Sans aucun autre élément, l’existence de ce rôle n’empêche pas de conclure que la restriction quant à l’utilisation prévue au bail était imposée « par la bande ». Seule une intervention de Sa Majesté pouvait permettre aux Musqueams d’inclure au bail une restriction quant à l’utilisation des terres louées.

[29]                          L’exposé conjoint des faits, et plus particulièrement les conclusions de fait tirées dans la décision Guerin c. La Reine, [1982] 2 C.F. 385 (1re inst.), — auxquelles toutes les parties aux présentes se sont ralliées pour les besoins du présent pourvoi —, confirme lui aussi que ce sont les Musqueams, et non Sa Majesté, qui ont inscrit dans le bail la restriction quant à l’utilisation.

[30]                          Dans l’affaire Guerin, le juge de première instance a conclu que le manquement de Sa Majesté à son obligation de fiduciaire découlait de sa décision de louer les terres à des conditions qui ne correspondaient pas à la volonté des Musqueams. Il a en outre conclu que les Musqueams avaient voulu louer les terrains au club de golf :

                        Comme je l’ai dit, la Couronne savait, à ce stade, qu’elle pouvait devenir fiduciaire. Elle savait que la bande avait l’intention de céder les terrains. La résolution précitée ne parle pas d’une cession sans condition pour location à qui l’on voudra. L’ensemble de la résolution sous‐entend que la cession est faite pour location, à certaines conditions, au club de golf.

                        . . . À compter du 7 avril 1957, toutes les discussions avec le conseil de bande se rapportent à la location envisagée de ces terrains au club de golf.

. . .

                        La défenderesse, par son personnel et les fonctionnaires de la Direction des affaires indiennes, a manqué à ses obligations de fiduciaire. Les 162 acres n’ont pas été louées au club de golf aux conditions que la bande indienne avait autorisées. [p. 417‐418]

[31]                          Les Musqueams soulignent que rien dans la décision en première instance dans Guerin, ni dans le dossier ou l’acte de cession, n’étaye la conclusion selon laquelle la restriction quant à l’utilisation des terres a été imposée par les Musqueams eux‐mêmes. Ils signalent en particulier les termes généraux de l’acte de cession — lequel ne comporte aucune mention du bail ni du club de golf — qui indique simplement que les terres sont cédées à Sa Majesté, en fiducie, pour être louées [traduction] « aux conditions, que le gouvernement du Canada jugera les plus favorables à notre bien‐être et à celui de notre peuple » (cité dans Guerin (C.F.), p. 407).

[32]                          Ironiquement, c’est Sa Majesté qui, dans l’affaire Guerin, s’appuyait sur les termes généraux de l’acte de cession pour affirmer qu’elle pouvait louer les terres aux conditions qu’elle jugeait indiquées. Après avoir reconnu l’importance des conditions posées par les Musqueams et du contexte législatif dans lequel la cession a été réalisée, le juge de première instance dans Guerin — comme je l’ai fait remarquer — a spécifiquement rejeté cet argument, signalant que « [l]’ensemble de la résolution sous‐entend que la cession est faite pour location, à certaines conditions, au club de golf. » La Cour à l’unanimité a reconnu l’importance de ces conditions (voir Guerin, p. 388, le juge Dickson (plus tard Juge en chef); p. 354, la juge Wilson; et p. 393, le juge Estey).

[33]                          Or, il est vrai que l’acte de cession ne comporte aucune mention du bail ni du club de golf, mais le contexte dans lequel la cession a eu lieu et les terres ont été cédées à bail montre clairement que les Musqueams voulaient que les terres soient louées au club de golf. Il n’était pas nécessaire que les Musqueams aient prévu une clause précise pour restreindre l’utilisation, puisqu’il était implicite dans ce contexte que les terres seraient utilisées comme terrain de golf. Compte tenu de ce contexte, la restriction quant à l’utilisation prévue au bail était imposée « par la bande ». Tirer une conclusion différente irait à l’encontre des effets inévitables des conclusions de fait sur lesquelles reposait la décision prise par la Cour dans l’arrêt Guerin d’ordonner à Sa Majesté d’indemniser les Musqueams pour sa conduite inéquitable.

IV.        Conclusion et dispositif

[34]                          Le paragraphe 26(3.2) autorise l’évaluateur à tenir compte de la restriction quant à l’utilisation prévue au bail conclu entre Sa Majesté et le club de golf pour déterminer, aux fins d’évaluation, la valeur des terres de réserve cédées à bail. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi, avec dépens.

                    Pourvoi rejeté avec dépens.

                    Procureurs de l’appelante : Mandell Pinder, Vancouver.

                    Procureurs de l’intimé Assessor for the Musqueam Indian Band : Crease Harman, Victoria.

                    Procureurs de l’intimé Shaughnessy Golf and Country Club : Hunter Litigation Chambers, Vancouver; Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver.

                    Procureurs de l’intervenant : Nanda & Company, Edmonton.

 



[1]   Il était indiqué dans l’avis d’exposé de cause produit par l’intimée Musqueam Indian Band Board of Review (la « commission de révision de la bande indienne des Musqueams ») que les parties avaient [traduction] « accepté les conclusions de fait tirées dans l’une ou l’autre des décisions [Guerin] et convenu de n’en contester aucune ».

[2]   Une autre Première Nation a signé l’Accord‐Cadre en 1997.

[3]   Assessment Act, S.B.C. 1974, c. 6.

[4]   Assessment and Taxation (Miscellaneous Amendments) Act, 1985, S.B.C. 1985, c. 20, art. 5.

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