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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Brine c. Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc., 2016 CSC 9, [2016] 1 R.C.S. 72

Requête entendue : 25 février 2016

Ordonnance : 25 février 2016

Dossier : 36809

 

 

Entre :

Bruce Brine

Demandeur/Intimé à la requête

 

et

 

Industrielle Alliance, Assurance et

services financiers inc.

Intimée/Requérante

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge Côté

 

Motifs de l’ordonnance :

(par. 1 à 11)

La juge Côté

 

 

 

 

 

 


Brine c. Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc., 2016 CSC 9, [2016] 1 R.C.S. 72

 

 

 

Bruce Brine                                                                   Demandeur/Intimé à la requête

c.

Industrielle Alliance, Assurance et

services financiers inc.                                                                    Intimée/Requérante

 

 

 

Répertorié : Brine c. Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc.

 

 

 

2016 CSC 9

 

 

 

No du greffe : 36809.

 

 

 

2016 : 25 février.

 

 

 

Présente : La juge Côté.

 

 

 

requête en radiation

 

                    Procédure civile — Requête en radiation d’un affidavit au soutien d’une demande d’autorisation d’appel — Témoignage d’opinion non fondé et par conséquent inadmissible — Témoignage composé en grande partie d’arguments présentés sous serment sur les questions ultimes visées par le pourvoi projeté et constituant une attaque collatérale de la décision de la Cour d’appel — Preuve par affidavit rarement pertinente et utile pour la Cour pour décider si une demande d’autorisation d’appel soulève des questions importantes pour le public — Requête accordée — Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002-156, règle 89.

 

Jurisprudence

 

                    Arrêt appliqué : Aecon Buildings c. Stephenson Engineering Ltd., 2011 CSC 33, [2011] 2 R.C.S. 560; arrêts mentionnés : Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595; Ballard Estate c. Ballard Estate, C.S.C., no 22499, 2 juillet 1991 (reproduit dans Bulletin des procédures de la Cour suprême du Canada, 1991, p. 1998).

Lois et règlements cités

Loi sur la Cour suprême , L.R.C. 1985, c. S‑26, art. 40(1) .

 

Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002-156, règle 89.

 

 

 

                    REQUÊTE en radiation d’un affidavit déposé au soutien de la demande d’autorisation d’appel et en radiation de certaines parties du mémoire du demandeur. Requête accordée.

 

                    Argumentation écrite par Barry J. Mason, c.r., et Glenn E. Jones, pour le demandeur/intimé à la requête.

 

                    Argumentation écrite par Michelle Awad, c.r., et Kevin Gibson, pour l’intimée/requérante.

 

                    Version française de l’ordonnance rendue par

[1]               La juge Côté — L’intimée, Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc. (« Industrielle »), a présenté une requête en radiation de l’affidavit souscrit par le professeur Bruce Feldthusen et déposé par le demandeur, Bruce Brine, au soutien de sa demande d’autorisation d’appel devant la Cour.

[2]               Le demandeur sollicite l’autorisation d’interjeter appel d’une décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse relative à un litige en matière d’assurance invalidité qui l’oppose à son assureur, Industrielle. Le juge du procès a conclu qu’Industrielle avait manqué à ses obligations contractuelles et son devoir de bonne foi. Il a accordé au demandeur des dommages-intérêts de nature contractuelle, 30 000 $ à titre de dommages moraux, 150 000 $ à titre de dommages-intérêts majorés et 500 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs (2014 NSSC 219, 346 N.S.R. (2d) 315). La Cour d’appel a accueilli en partie l’appel d’Industrielle et réduit le montant total des dommages-intérêts majorés et à titre de dommages moraux à 90 000 $ et celui à titre de dommages-intérêts punitifs à 60 000 $ (2015 NSCA 104).

[3]               Selon le demandeur, la présente affaire soulève une question d’importance pour le public qui justifie que la Cour autorise l’appel, soit la question de savoir si les tribunaux canadiens devraient condamner les assureurs à payer des dommages-intérêts punitifs plus élevés afin de les dissuader d’agir de mauvaise foi. Plus particulièrement, il soutient que le montant réduit de dommages-intérêts punitifs accordé par la Cour d’appel dans la présente affaire est nettement insuffisant et fera bien peu pour dissuader Industrielle ou d’autres assureurs d’adopter une conduite répréhensible. Au soutien de ses prétentions, le demandeur joint à sa demande l’affidavit contesté du professeur Feldthusen.

[4]               Industrielle sollicite la radiation de l’affidavit, de même que des extraits du mémoire du demandeur qui y font référence. Pour justifier sa demande, elle soutient que l’affidavit n’est pas pertinent lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a lieu ou non d’accorder l’autorisation d’interjeter appel en application du par. 40(1)  de la Loi sur la Cour suprême , L.R.C. 1985, c. S-26 , et que son contenu comporte des arguments et constitue une preuve inadmissible aux termes de la règle 89 des Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002-156.

[5]               La règle 89 énonce les exigences auxquelles doivent satisfaire les affidavits déposés au soutien d’une procédure devant la Cour, y compris les demandes d’autorisation d’appel :

89 (1) Les faits dont la preuve n’est pas au dossier de la Cour doivent être attestés par affidavit.

 

(2) L’affidavit présenté dans le cadre d’une procédure se limite à l’énoncé des faits dont le déposant a connaissance. Toutefois, la Cour, un juge ou le registraire peut admettre une déclaration fondée sur des renseignements ou une opinion pourvu que le déposant y indique la source des renseignements ou les motifs à l’appui de son opinion.

[6]               Dans son affidavit, le professeur Feldthusen fait un certain nombre de déclarations relatives à des actes répréhensibles qu’auraient commis des assureurs et il affirme que le problème est exacerbé du fait de l’octroi par les tribunaux de montants de dommages-intérêts punitifs excessivement bas. Il dresse la liste de 12 causes dans lesquelles des assureurs ont été condamnés à payer des dommages-intérêts punitifs depuis la décision de la Cour dans Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595, et il précise le montant de ces dommages-intérêts. Il conclut, sur ce fondement, que les assureurs adoptent [traduction] « très fréquemment au Canada » une conduite répréhensible et qu’ils considèrent les montants modestes de dommages-intérêts punitifs comme « de simples redevances qui constituent un faible prix à payer pour poursuivre leurs activités ». Le professeur Feldthusen ne présente aucun autre fait ou analyse quant aux causes auxquelles il renvoie. Il ne fournit pas non plus d’autres statistiques ou éléments de preuve qui pourraient corroborer sa croyance que la mauvaise foi et la conduite répréhensible des assureurs sont liées aux montants de dommages-intérêts punitifs « modestes et conservateurs » auxquels ils sont condamnés et qui n’ont pas pour effet de les dissuader « d’adopter une conduite “malveillante” et “abusive” ». Ce témoignage d’opinion est inadmissible, car il n’est pas fondé.

[7]               En outre, l’affidavit n’est aucunement utile pour permettre à la Cour de décider si l’autorisation devrait ou non être accordée suivant les principes établis dans l’arrêt Aecon Buildings c. Stephenson Engineering Ltd., 2011 CSC 33, [2011] 2 R.C.S. 560. Même si cette décision portait sur une requête pour permission de produire une nouvelle preuve et non sur une requête en radiation, les observations du juge Binnie quant aux situations dans lesquelles les affidavits sont utiles pour permettre à la Cour de trancher une demande d’autorisation d’appel trouvent application en l’espèce :

Règle générale, notre Cour considère que l’importance d’une question de droit pour le public au sens de l’art. 43  de la Loi sur la Cour suprême , L.R.C. 1985, c. S-26 , n’est pas une question à l’égard de laquelle une preuve par affidavit peut être utile. Cette règle n’est toutefois pas immuable. Dans certains cas, il se peut que les autres éléments de la demande d’autorisation ne révèlent pas pourquoi, par exemple, la décision visée par la demande d’autorisation d’appel créerait un précédent inapplicable en pratique, ou risquerait d’avoir des répercussions négatives ou des conséquences jurisprudentielles insoupçonnées. Toutefois, dans le présent dossier, les questions en litige sont claires. . .

 

      . . . [La preuve qu’on désire déposer]  ne révèle aucune discordance dans la jurisprudence, ni aucun motif de politique générale ou jurisprudentiel valable, qui ne ressorte pas manifestement des documents déjà déposés, démontrant que la demande soulève une question de droit d’importance pour le public. [par. 4-5]

[8]               Même en tenant pour acquis que la demande d’autorisation soulève les questions que formule le demandeur, ce qu’il appartiendra à la formation de juges chargés de trancher la demande d’autorisation de décider et ce sur quoi je n’exprime aucun commentaire ni aucune opinion, l’affidavit n’est pas non plus utile pour permettre à la Cour de déterminer si ces questions sont d’importance pour le public, par exemple, en soulignant l’existence de décisions contradictoires ou de principes juridiques inapplicables découlant de la décision de la Cour d’appel. L’affidavit ne fournit pas non plus à la Cour de renseignements quant au contexte pertinent pour juger de l’importance générale de la cause, ce qui, dans certains cas, pourrait s’avérer utile. Il s’agit plutôt en grande partie d’arguments faits sous serment et portant sur les questions que le demandeur souhaite ultimement soulever dans le pourvoi projeté. Comme le juge Binnie l’a suggéré dans Aecon, rares sont les cas où une preuve par affidavit présentée au soutien d’une demande d’autorisation d’appel sera utile pour la Cour. Dans la très grande majorité des cas, comme en l’espèce, cette preuve n’aura aucune pertinence pour décider de l’importance de la cause pour le public.

[9]               Enfin, l’affidavit constitue en quelque sorte une attaque collatérale de la décision de la Cour d’appel en l’espèce : voir Ballard Estate c. Ballard Estate, C.S.C., no 22499, 2 juillet 1991 (reproduit dans Bulletin des procédures de la Cour suprême du Canada, 1991, p. 1998), une décision dans laquelle le juge Cory, qui a accueilli une requête en radiation, a conclu que [traduction] « les affidavits déposés en l’espèce tentent, en utilisant l’opinion d’experts, d’attaquer les décisions qui font l’objet de la demande d’autorisation d’appel ».

[10]             Je souligne qu’une autre possibilité aurait été d’autoriser le demandeur à déposer un affidavit modifié qui aurait corrigé les défauts de celui en cause ici, plutôt que de voir ce dernier totalement radié sans qu’il puisse être modifié. Or, comme il appert en l’espèce que la preuve par affidavit n’est d’aucune utilité pour permettre à la Cour de trancher la question de l’importance pour le public, il n’aurait pas été approprié de conclure ainsi. Il en est de même quant à la possibilité d’offrir à l’intimée l’occasion de contre-interroger et de déposer un affidavit de son propre expert en assurance pour contrer celui déposé par le demandeur.

[11]             La requête est donc accordée, avec dépens en faveur de l’intimée quelle que soit l’issue de la cause. L’affidavit souscrit par le professeur Feldthusen et les extraits pertinents du mémoire du demandeur qui y réfèrent sont radiés, sans autorisation d’en présenter des versions modifiées. L’intimée a 30 jours à compter de la présente ordonnance pour signifier et déposer sa réponse à la demande d’autorisation d’appel.

                    Requête accordée avec dépens.

 

                    Procureurs du demandeur/intimé à la requête : Pressé Mason, Bedford (N.-É.).

 

                    Procureurs de l’intimée/requérante : McInnes Cooper, Halifax.

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