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Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] 2 R.C.S. 193

 

Apotex Inc.                                                                                         Appelante

 

c.

 

Merck Frosst Canada Inc. et Merck & Co. Inc.                             Intimées

 

et

 

Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et

Kyorin Pharmaceutical Co., Ltd.                                                       Intimés

 

Répertorié:  Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)

 

No du greffe:  25419.

 

1998:  21 janvier; 1998:  9 juillet.

 

Présents:  Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major et Bastarache.

 

en appel de la cour d’appel fédérale

 

Brevets -- Avis d’allégation (ADA) -- Date pertinente pour évaluer l’ADA -- Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 , art. 39.11, 39.14 -- Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, art. 5(1), (3), 6, 7.


 

Brevets ‑‑ Contrefaçon ‑‑ Sous-licence ‑‑ Titulaire d’une licence acceptant de fournir un médicament breveté à un tiers non titulaire d’une licence ‑‑ Licence interdisant expressément d’accorder une sous-licence -- Violation des conditions de la licence justifiant son annulation ‑‑ L’accord d’approvisionnement intervenu entre le titulaire d’une licence et un tiers constitue-t-il une sous-licence ou a-t-il pour effet juridique de créer une sous-licence?

 

Kyorin était titulaire d’un brevet canadien concernant l’antibiotique norfloxacine.  Merck & Co. était titulaire exclusif d’une licence pour le Canada, et Merck Canada était son unique titulaire de sous‑licence.  Apotex a présenté au commissaire aux brevets une demande d’avis de conformité (ADC) pour la préparation et la vente de comprimés de 400 mg de norfloxacine.   La demande ne précisait pas où les comprimés seraient vendus. Dans l’avis d’allégation (ADA), il était allégué que l’utilisation qu’Apotex ferait du médicament ne violerait pas le brevet de Kyorin car elle obtiendrait la norfloxacine en vrac de Novopharm ou par l’intermédiaire de celle‑ci, en vertu d’un accord d’approvisionnement.  Novopharm était titulaire d’une licence obligatoire délivrée avant les modifications de 1993 de la Loi sur les brevets , qui ont éliminé le régime de licences obligatoires.

 


En vertu de sa licence obligatoire, Novopharm avait le droit de fabriquer ou d’importer la norfloxacine en vrac et de la combiner à d’autres ingrédients en vue de la préparer sous des formes posologiques définitives destinées à la vente à l’extérieur du Canada après le 15 octobre 1991.  Toutefois, en vertu de certaines dispositions de la Loi sur les brevets , elle ne pourrait pas produire la norfloxacine pour la vendre à des fins de consommation au Canada jusqu’au 2 juillet 1993, ni l’importer jusqu’au 2 juillet 1996.  De plus, la licence obligatoire interdisait expressément l’attribution de sous‑licences et stipulait que toute violation des conditions de la licence pourrait justifier son annulation par Kyorin.

 

Les intimées Merck Frosst Canada Inc. et Merck & Co. ont demandé à la Cour fédérale, Section de première instance, de rendre une ordonnance interdisant au Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer à Apotex l’ADC demandé jusqu’à l’expiration, en 2001, du brevet de Kyorin relatif à la norfloxacine.  La demande a été accueillie parce que l’allégation d’Apotex était considérée comme prématurée du fait qu’aucune activité n’emportant pas contrefaçon n’était possible ni à la date de la signification de l’ADA ni à la première date à laquelle un ADC aurait pu être délivré en vertu de celui‑ci.  La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel d’Apotex, mais seulement parce qu’elle a jugé que l’accord d’approvisionnement était une sous‑licence et qu’il était donc invalide:  la question du caractère prématuré n’a pas été examinée.

 

Il s’agit en l’espèce de savoir (1) si la Cour d’appel fédérale a commis une erreur en considérant que l’accord d’approvisionnement était une sous‑licence et qu’il ne pouvait donc pas servir de fondement à l’allégation de non‑contrefaçon d’Apotex, (2) si, à supposer que l’accord soit une sous-licence, l’allégation d’Apotex ne visait que l’acquisition de la norfloxacine auprès de Novopharm conformément à l’accord d’approvisionnement, et (3) si, à supposer que l’accord ne soit pas une sous-licence, l’allégation de non‑contrefaçon d’Apotex était toujours non fondée pour le motif qu’elle était prématurée, de sorte que l’ordonnance d’interdiction a été accordée à juste titre.  Cette question comporte deux sous‑questions:  a) Quelle était la date pertinente pour évaluer si un ADA était fondé?  Et b) l’allégation de non‑contrefaçon d’Apotex était-elle non fondée à la date pertinente?

 

Arrêt:  Le pourvoi est accueilli.


L’accord d’approvisionnement n’était pas une sous‑licence à première vue.  De plus, la preuve n’établissait pas que l’accord a été exécuté de manière à entraîner l’attribution d’une sous-licence; en fait, il n’avait pas encore été exécuté au moment de l’audition.  À première vue, l’accord fournit à Apotex un moyen valide et n’emportant pas contrefaçon de se procurer la norfloxacine en vrac pour fabriquer le produit décrit dans l’ADA.  Ainsi, il n’aurait pas dû  être interdit au Ministre, du moins pour ce seul motif, de délivrer un ADC à Apotex.  Compte tenu de cette conclusion, il n’était pas nécessaire de décider si l’ADA prévoyait qu’il était possible d’obtenir le médicament autrement qu’auprès de Novopharm, conformément à l’accord d’approvisionnement.  Toutefois, le texte de l’ADA ne semblait pas compatible avec cette possibilité.

 

Il n’est pas opportun qu’une cour autorise la délivrance prématurée d’un ADC lorsque les conditions prévues par la loi n’ont pas été remplies.  La cour ne devrait pourtant pas interdire au Ministre de délivrer un ADC lorsqu’elle est convaincue que ces conditions sont remplies à la date de l’audition.  Lorsque le fabricant de génériques peut prévoir exactement à quelle date l’exercice des droits conférés par un ADC n’emportera pas violation des brevets en cause et choisit le moment de présenter sa demande d’ADC en conséquence, cette demande ne devrait pas être rejetée seulement parce que l’allégation présentée à son appui n’était pas fondée au moment où l’ADA a été produit, même s’il n’y avait aucune possibilité que l’ADC soit délivré à cette date.

 


De même, la date pertinente n’est pas la première date à laquelle l’ADC peut être délivré si la Cour fédérale n’est saisie d’aucune objection.  Le Règlement n’oblige pas le Ministre à délivrer un ADC immédiatement, mais même s’il l’obligeait à le faire, il s’agirait d’une possibilité essentiellement théorique vu la nature de l’industrie pharmaceutique.  Le Règlement prévoit ce qui constitue, dans les faits, une injonction interdisant de délivrer un ADC qui peut s’appliquer jusqu’à pendant 30 mois.  Cette injonction entre en vigueur dès le dépôt d’une objection à l’ADA, indépendamment du bien-fondé de l’un ou l’autre point de vue.  Il serait manifestement injuste d’assujettir les fabricants de génériques à un régime aussi draconien sans leur permettre de se protéger et de diminuer la durée de cette injonction de fait en engageant une procédure d’obtention d’ADC dès que possible, en prévision de la possibilité qu’une objection soit soulevée.  La Cour fédérale pourrait, à juste titre, rejeter une demande pour le motif qu’elle est prématurée si l’allégation présentée à son appui n’est pas fondée à la date de l’audition.  Cela suffit à décourager les demandes trop prématurées.

 

La date appropriée pour évaluer la demande d’ADC présentée par Apotex était celle de l’audition devant la Cour fédérale, Section de première instance.  Dès cette date, Novopharm était autorisée, aux termes de sa licence obligatoire, à fabriquer la norfloxacine pour la vendre à des fins de consommation au Canada, et Apotex disposait ainsi d’un moyen valable et n’emportant pas contrefaçon de se procurer le médicament en vrac nécessaire à la fabrication du produit sous forme posologique définitive, pour lequel l’ADC était demandé.  On ne saurait donc dire que l’allégation d’Apotex n’était pas fondée.  Vu cette conclusion, il n’était pas nécessaire d’étudier la question de la possibilité pour Apotex d’effectuer des ventes à l’exportation n’emportant pas contrefaçon.

 

Jurisprudence

 


Arrêts examinés:  Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 132 F.T.R. 60; Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100; arrêts mentionnés: Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129; David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588; Smithkline Beecham Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 138 F.T.R. 310; Glaxo Wellcome Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 75 C.P.R. (3d) 129; Karavos c. Toronto & Gillies, [1948] 3 D.L.R. 294.

 

Lois et règlements cités

 

Loi sur les brevets , L.R.C. (1985), ch. P-4 , art. 39.11 [aj. ch. 33 (3e suppl.), art. 15], 39.14 [idem].

 

 Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, art. 5(1), (3), 6, 7.

 

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (1996), 67 C.P.R. (3d) 455, 197 N.R. 294, [1996] A.C.F. no 595 (QL), qui a rejeté l’appel d’un jugement de la Cour fédérale, Section de première instance (1995), 65 C.P.R. (3d) 483, 106 F.T.R. 294, [1995] A.C.F. no 1720 (QL).  Pourvoi accueilli.

 

Harry B. Radomski, Richard Naiberg et David Scrimger, pour l’appelante.

 

Robert P. Charlton, J. Nelson Landry et Judith Robinson, pour les intimées Merck Frosst Canada Inc. et Merck & Co. Inc.

 

//Le juge Iacobucci//

 

Version française du jugement de la Cour rendu par

 


1.                       Le juge Iacobucci ‑‑ Le présent pourvoi, que j’appellerai «Apotex n2», a été entendu en même temps que les pourvois Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd.Novopharm»), et Eli Lilly & Co. c. Apotex Inc. Apotex n1»), [1998] 2 R.C.S. 129, dont les motifs de jugement sont déposés en même temps que ceux‑ci.  Comme les événements et les procédures à l’origine du présent pourvoi diffèrent quelque peu de ceux examinés dans les deux autres cas, je vais traiter le présent pourvoi séparément.  Toutefois, parce que les faits en cause dans les trois pourvois sont néanmoins étroitement liés, il sera nécessaire de se référer abondamment aux deux pourvois connexes dans les présents motifs.

 

2.                       À l’instar des pourvois Novopharm et Apotex n1, notre Cour doit examiner en l’espèce si un accord d’approvisionnement intervenu entre l’appelante, Apotex Inc. («Apotex»), et une concurrente, Novopharm Ltd. («Novopharm»), représentait une attribution mutuelle de sous‑licences, et justifiait donc l’annulation par la brevetée intimée, Kyorin Pharmaceutical Co. Ltd. («Kyorin»), d’une licence obligatoire dont Novopharm est titulaire pour un médicament appelé norfloxacine.  Dans la négative, Apotex allègue que la Cour d’appel fédérale a commis une erreur en concluant que l’avis d’allégation («ADA») qu’elle a produit à l’appui de sa demande d’avis de conformité («ADC») pour la préparation et la mise en marché de norfloxacine sous certaines formes posologiques définitives n’était pas fondé, et qu’il n’aurait donc pas dû être interdit au ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social (le «Ministre») de délivrer l’ADC demandé.

 


3.                       D’autres arguments, non soulevés dans les pourvois connexes, sont toutefois avancés en l’espèce.  Plus particulièrement, et subsidiairement, Apotex soutient que la Cour d’appel fédérale a commis une erreur en statuant que l’annulation de la licence a nécessairement fait en sorte que l’allégation contenue dans l’ADA n’était pas fondée.  On soutient que l’ADA ne précisait pas comment la norfloxacine en vrac serait acquise, et qu’il existait d’autres moyens d’obtenir le médicament en vrac sans l’acheter à Novopharm dans le cas où cette façon de l’acquérir invaliderait la licence de Novopharm.  Subsidiairement encore, on fait valoir que la Cour d’appel fédérale a commis une erreur en statuant que la date pertinente pour évaluer si l’ADA était fondé était celle de la signification ou le 46e jour suivant celle‑ci, plutôt que la date de l’audition.  Quoi qu’il en soit, on prétend que, même à la date de la signification, il existait d’autres moyens pour Apotex de fabriquer et de vendre légalement le produit pour lequel l’ADC était demandé sans violer le brevet de Kyorin.

 

I.  Les faits

 

4.                       Les questions en litige dans le présent pourvoi découlent, dans une large mesure, du même cadre factuel que celui examiné dans les pourvois Novopharm et Apotex no 1.  Kyorin est titulaire d’un brevet canadien concernant l’antibiotique norfloxacine.  Le brevet, qui a été délivré le 12 avril 1984, expirera en l’an 2001.  Le 19 avril 1993, Apotex a présenté au commissaire aux brevets, comme l’exigent la Loi sur les brevets , L.R.C. (1985), ch. P‑4 , et, plus précisément, le par. 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, une demande d’ADC pour la préparation et la vente de comprimés de 400 mg de norfloxacine.  La demande ne précisait pas où les comprimés seraient vendus.

 


5.                       Dans l’ADA qu’elle a déposé à l’appui de sa demande, conformément au par. 5(3) du Règlement, Apotex alléguait que l’utilisation qu’elle ferait du médicament ne violerait pas le brevet de Kyorin.  Apotex fondait son allégation sur le fait qu’elle obtiendrait la norfloxacine en vrac de Novopharm, qui était titulaire d’une licence obligatoire valide pour le médicament, ou par l’intermédiaire de celle‑ci.  Cette licence a été délivrée avant l’entrée en vigueur des modifications importantes apportées au droit régissant les médicaments brevetés au Canada, dont j’ai donné une description détaillée dans mes motifs concernant les pourvois connexes et qui ont complètement éliminé le régime des licences obligatoires.  Suivant l’ADA, Apotex avait le droit, en vertu d’un accord d’approvisionnement intervenu entre elle‑même et Novopharm le 27 novembre 1992, d’acheter la norfloxacine en vrac à Novopharm, et cette façon d’acquérir le produit ne violerait donc pas le brevet.  Le texte intégral de cet accord d’approvisionnement figure dans les motifs que j’ai rendus dans les affaires Novopharm et Apotex n1.

 

6.                       Conformément aux art. 6 et 7 du Règlement, les intimées Merck Frosst Canada Inc. («Merck Canada») et Merck & Co. Inc. («Merck & Co.») (appelées collectivement «Merck») ont demandé à la Cour fédérale, Section de première instance, de rendre une ordonnance interdisant au Ministre de délivrer à Apotex l’ADC demandé jusqu’à l’expiration, en 2001, du brevet de Kyorin relatif à la norfloxacine.  Merck & Co. est titulaire exclusif d’une licence pour le médicament breveté au Canada, et Merck Canada est son unique titulaire de sous‑licence.  Le 2 juillet 1986, Merck Canada avait reçu un ADC relativement aux comprimés de 400 mg de norfloxacine.

 


7.                       En vertu de sa licence obligatoire, Novopharm avait le droit de fabriquer ou d’importer la norfloxacine en vrac et de la combiner à d’autres ingrédients en vue de la préparer sous des formes posologiques définitives destinées à la vente pour fins de consommation à l’extérieur du Canada après le 15 octobre 1991.  Toutefois, en vertu des art. 39.11 et 39.14 de la Loi sur les brevets , cette licence faisait aussi l’objet de certaines interdictions.  Plus précisément, Novopharm n’avait le droit ni de produire la norfloxacine pour la vendre à des fins de consommation au Canada jusqu’au 2 juillet 1993, soit sept ans après la délivrance du premier ADC à Merck Canada, ni de l’importer pour la vendre à ces mêmes fins au Canada jusqu’au 2 juillet 1996, soit 10 ans après la délivrance de cet ADC.  De plus, la licence obligatoire interdisait expressément l’attribution de sous‑licences et stipulait que toute violation des conditions de la licence pourrait justifier son annulation par la brevetée, Kyorin.

 

8.                       Merck a soutenu que l’ADA déposé par Apotex était prématuré puisque, le 19 avril 1993, date à laquelle il a été produit, aucune activité n’emportant pas contrefaçon et pour laquelle un ADC était requis n’était possible; Novopharm ne pouvait pas, à l’époque, produire ou importer la norfloxacine pour fins de consommation au Canada.  On a fait valoir subsidiairement que, dans l’hypothèse où l’ADA ne serait pas prématuré, il manquait certains détails nécessaires, savoir des précisions sur les restrictions légales auxquelles la licence de Novopharm était assujettie et un engagement de se conformer à ces restrictions.  Il a, en outre, été allégué que l’accord d’approvisionnement constituait en réalité une sous‑licence et qu’il violait donc les conditions de la licence de Novopharm et justifiait son annulation par Kyorin, ou subsidiairement, que l’entente était essentiellement un mandat en vertu duquel Novopharm agirait comme mandataire d’Apotex, de sorte que les deux sociétés exerceraient des activités non autorisées.

 


9.                       Au procès, le juge Simpson de la Cour fédérale, Section de première instance, a accueilli la demande de Merck et a statué qu’aucune activité n’emportant pas contrefaçon n’était possible ni à la date de la signification de l’ADA ni à la première date à laquelle un ADC aurait pu être délivré en vertu de celui‑ci.  L’allégation était donc prématurée et non fondée, et l’ADC ne pouvait pas être accordé.  La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel d’Apotex, mais pour des raisons différentes.  Elle a choisi de trancher l’affaire en recourant au même raisonnement que dans son arrêt antérieur Apotex no 1, précité, à savoir que l’accord d’approvisionnement était une sous‑licence et était donc invalide.  Par conséquent, la seule façon dont Apotex proposait d’obtenir le médicament en vrac constituait en soi une contrefaçon, ce qui signifiait que l’ADA ne pouvait pas être fondé puisqu’il n’y aurait aucun moyen n’emportant pas contrefaçon de fabriquer le produit projeté.  La question du caractère prématuré n’a pas été débattue en appel.

 

II.  Les dispositions législatives pertinentes

 

10.              Loi sur les brevets , L.R.C. (1985), ch. P‑4 

 

39.11 (1)  Sous réserve des autres dispositions du présent article et par dérogation à l’article 39 ou à toute licence délivrée sous son régime, il est interdit de se prévaloir d’une licence, peu importe la date de délivrance, accordée sous son régime relativement à un brevet portant sur une invention liée à un médicament pour revendiquer ou exercer le droit, si l’invention est un procédé, d’importer pour vente au Canada le médicament dans la préparation ou la production duquel l’invention a été utilisée, ou, si elle n’est pas un procédé, d’importer l’invention pour des médicaments ou pour la préparation ou la production de médicaments pour vente à la consommation au Canada.

 

(2)  L’interdiction est levée à l’expiration des délais suivants:

 

                                                                   . . .

 

c)  dix ans après la délivrance du premier avis de conformité, si elle survient après le 27 juin 1986.

39.14 (1)  Par dérogation à l’article 39 ou à toute licence délivrée sous son régime, lorsque le premier avis de conformité pour le médicament est délivré après le 27 juin 1986, il est interdit de se prévaloir d’une licence accordée sous le régime de cet article relativement à un brevet portant sur une invention liée à un médicament pour revendiquer ou exercer le droit d’utiliser l’invention si elle est un procédé, pour la préparation ou la production de médicaments pour vente à la consommation au Canada ou, si elle n’est pas un procédé, de réaliser ou d’utiliser celle‑ci pour des médicaments ou pour la préparation ou la production de médicaments pour telle vente.  L’interdiction est levée à l’expiration des sept ans qui suivent la délivrance du premier avis de conformité en cause.

 

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133

5. (1)  Lorsqu’une personne dépose ou, avant la date d’entrée en vigueur du présent règlement, a déposé une demande d’avis de conformité à l’égard d’une drogue et souhaite comparer cette drogue à une drogue qui a été commercialisée au Canada aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard duquel une liste de brevets a été soumise ou qu’elle souhaite faire un renvoi à la drogue citée en second lieu, elle doit indiquer sur sa demande, à l’égard de chaque brevet énuméré dans la liste:

 


a)  soit une déclaration portant qu’elle accepte que l’avis de conformité ne sera pas délivré avant l’expiration du brevet;

 

b)  soit une allégation portant que, selon le cas:

 

(i)  la déclaration faite par la première personne aux termes de l’alinéa 4(2)b) est fausse,

 

(ii)  le brevet est expiré,

 

(iii)  le brevet n’est pas valide,

 

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l’objet de la demande d’avis de conformité.

 

(2)  Lorsque, après le dépôt par la seconde personne d’une demande d’avis de conformité mais avant la délivrance de cet avis, une liste de brevets est soumise ou modifiée aux termes du paragraphe 4(5) à l’égard d’un brevet, la seconde personne doit modifier la demande pour y inclure, à l’égard de ce brevet, la déclaration ou l’allégation exigée par le paragraphe (1).

 

(3)  Lorsqu’une personne fait une allégation visée à l’alinéa (1)b) ou au paragraphe (2), elle doit:

 

a)  fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde;

 

b)  signifier un avis d’allégation à la première personne et une preuve de cette signification au ministre.

 

6. (1)  La première personne peut, dans les 45 jours suivant la signification d’un avis d’allégation aux termes de l’alinéa 5(3)b), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l’expiration de un ou plusieurs des brevets visés par une allégation.

 

(2)  Le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1) à l’égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle (sic) conclut qu’aucune des allégations n’est fondée.

 

(3)  La première personne signifie au ministre, dans la période de 45 jours visée au paragraphe (1), la preuve que la demande visée à ce paragraphe a été faite.

 

(4) Lorsque la première personne n’est pas le propriétaire de chaque brevet visé dans la demande mentionnée au paragraphe (1), le propriétaire de chaque brevet est une partie à la demande.

 


7. (1)  Le ministre ne peut délivrer un avis de conformité à la seconde personne avant la plus tardive des dates suivantes:

 

a)  la date qui suit de 30 jours la date d’entrée en vigueur du présent règlement;

 

b)  la date à laquelle la seconde personne se conforme à l’article 5;

 

c)  sous réserve du paragraphe (3), la date d’expiration de tout brevet énuméré dans la liste de brevets qui n’est pas visé par une allégation;

 

d)  sous réserve du paragraphe (3), la date qui suit de 45 jours la réception de la preuve de signification de l’avis d’allégation visé à l’alinéa 5(3)b) à l’égard de tout brevet énuméré dans la liste de brevets;

 

e)  sous réserve des paragraphes (2), (3) et (4), la date qui suit de 30 mois la date à laquelle est faite une demande au tribunal visée au paragraphe 6(1);

 

f)  la date d’expiration de tout brevet faisant l’objet d’une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 6(1).

 

(2)  L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si, à l’égard de chaque brevet visé par une demande au tribunal aux termes du paragraphe 6(1):

 

a)  soit le brevet est expiré;

 

b)  soit le tribunal a déclaré que le brevet n’est pas valide ou qu’aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites.

 

(3)  Les alinéas (1)c), d) et e) ne s’appliquent pas à l’égard d’un brevet si le propriétaire de celui‑ci a consenti à ce que la seconde personne utilise, fabrique, construise ou vende la drogue au Canada.

 

(4)  L’alinéa (1)e) cesse de s’appliquer à l’égard de la demande visée au paragraphe 6(1) si celle‑ci est retirée ou est rejetée par le tribunal de façon définitive.

 

(5)  Le tribunal peut abréger ou proroger le délai visé à l’alinéa (1)e) à l’égard d’une demande lorsqu’elle (sic) n’a pas encore rendu d’ordonnance aux termes du paragraphe 6(1) à l’égard de cette demande et qu’elle (sic) constate qu’une partie à la demande n’a pas collaboré de façon raisonnable au traitement expéditif de celle‑ci.

 


III.  Historique des procédures judiciaires

 

A.  Cour fédérale, Section de première instance (1995), 65 C.P.R. (3d) 483

 

11.                     Le juge Simpson a tout d’abord fait remarquer que l’ADA joue deux rôles:  il constitue une demande d’ADC destinée au Ministre et il confère le droit d’action lorsque des procédures d’interdiction sont engagées.  À ce titre, il ne peut pas être modifié.  Elle a aussi dégagé de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, que les procédures d’interdiction ne constituent pas des actions touchant la validité ou la violation d’un brevet, mais visent plutôt à établir si le Ministre peut délivrer un ADC.  La question qui se pose est donc celle de savoir si la mise en marché du produit pour lequel un ADC est demandé violerait le brevet du requérant.  Comme un ADC est délivré pour permettre la mise en marché au Canada, le juge Simpson a considéré que la question pertinente est de savoir si sa délivrance entraînera la violation du brevet sur le marché canadien.

 


12.                     Le juge Simpson a souscrit au point de vue de Merck selon lequel l’ADA était prématuré du fait que, le 46e jour suivant sa signification, qui est la première date à laquelle l’ADC aurait pu théoriquement être délivré conformément au Règlement, aucune activité n’emportant pas contrefaçon n’était possible en raison des restrictions légales auxquelles la licence obligatoire de Novopharm était assujettie.  Apotex a fait valoir que, même s’il n’était pas requis, l’ADC pouvait néanmoins se révéler utile pour les ventes à l’exportation étant donné que les États étrangers sont plus disposés à permettre l’importation d’un médicament dont la mise en marché a été approuvée au Canada.  Le juge Simpson n’a toutefois pas voulu admettre que les allégations de non‑contrefaçon pouvaient être fondées du seul fait de la présence d’activités n’emportant pas contrefaçon pour lesquelles un ADC serait utile sur le plan commercial, sans être strictement requis.  À son avis, la contrefaçon ne devait être prise en considération qu’à l’égard d’activités pour lesquelles la délivrance d’un ADC serait nécessaire, à savoir la vente de norfloxacine au Canada.

 

13.                     Apotex a également soutenu que le redressement demandé, une ordonnance d’interdiction, serait particulièrement draconien étant donné qu’il s’appliquerait pendant le reste de la période de validité du brevet qui, au moment du procès, était de six ans.  Par contre, l’interdiction de produire le médicament pour fins de consommation au Canada, en application de la licence, n’aurait expiré qu’un mois après la première date à laquelle l’ADC aurait pu être délivré.  Le juge Simpson n’était toutefois pas convaincue qu’elle devait adopter une méthode «prospective» relativement à l’ADA et a décidé de refuser l’ordonnance d’interdiction pour le motif que l’allégation en cause, quoique prématurée, était «presque» fondée.  Elle a aussi refusé d’appliquer la décision Apotex no 1, précitée, rendue en première instance, dans laquelle le juge McGillis n’a pas conclu que l’ADA était prématuré même si la vente au Canada était interdite en vertu de la loi au moment où l’ADC aurait pu être délivré.  Le juge Simpson a conclu que le juge McGillis n’avait pas eu à examiner cette question et n’avait pas été invitée à le faire.

 


14.                     Le juge Simpson a donc accueilli la demande en raison du caractère prématuré de l’allégation.  Même si, en conséquence, il n’était pas nécessaire de trancher les autres questions en litige, le juge Simpson a entrepris de les examiner à titre incident.  Elle a indiqué qu’elle n’aurait pas rejeté l’ADA simplement parce qu’il ne mentionnait pas les restrictions légales auxquelles était assujettie la licence obligatoire de Novopharm, vu qu’en réalité il en divulguait l’existence lorsqu’il précisait que la licence n’avait pas été annulée.  Elle a, en outre, considéré que l’engagement d’Apotex, dans l’ADA, de n’acheter la norfloxacine qu’en application de la licence suffisait pour constituer un engagement à respecter les restrictions auxquelles elle était assujettie.  Elle a aussi indiqué qu’elle aurait suivi la décision du juge McGillis dans Apotex no 1, précité, selon laquelle l’accord d’approvisionnement n’était pas une sous‑licence.  Enfin, elle aurait statué qu’il n’y avait aucun mandat en vertu duquel Novopharm était mandataire d’Apotex.  À son avis, à la p. 489, Novopharm «demeure le mandant lorsqu’elle contracte en application de [l’accord] avec un tiers pour la fabrication du médicament visé par la licence».

 

B.   Cour d’appel fédérale (1996), 67 C.P.R. (3d) 455

 

15.                     Dans des motifs prononcés oralement à l’audience, le juge Strayer (avec l’appui des juges Décary et McDonald) a rejeté l’appel pour les mêmes raisons que dans Apotex no 1 et Novopharm, précités, à savoir que l’accord d’approvisionnement intervenu entre Apotex et Novopharm constituait une sous‑licence qui violait les conditions de la licence obligatoire de Novopharm et justifiait son annulation par Kyorin.  L’accord a donc été jugé invalide.  La cour n’a pas été convaincue par les arguments avancés par Apotex pour expliquer pourquoi ces décisions ne devraient pas être appliquées, et elle a statué qu’elle ne pouvait pas considérer l’accord comme étant valide aux fins d’étayer l’allégation d’Apotex selon laquelle son «entente mutuelle» avec Novopharm était le moyen n’emportant pas contrefaçon qu’elle comptait utiliser pour obtenir la norfloxacine en vrac.

 


16.                     Le juge Strayer a rejeté l’argument selon lequel l’ADA laissait supposer qu’il y avait d’autres façons d’obtenir le médicament de Novopharm indépendamment de l’accord, étant donné que l’allégation précisait l’existence de l’accord et qu’Apotex avait fait part à Novopharm de son intention d’obtenir la norfloxacine par son entremise, et reprenait alors (à la p. 457) la phrase suivante tirée de l’ADA:  [traduction] «En conséquence, Apotex Inc. s’engage à n’obtenir, à n’utiliser et à ne vendre que la norfloxacine obtenue par l’intermédiaire de Novopharm Limited [. . .] jusqu’à l’expiration du brevet.»  Selon le juge Strayer, l’emploi des mots «[e]n conséquence» établissait un lien entre cet engagement et l’accord d’approvisionnement, lequel accord représentait donc, a‑t‑on allégué, le seul moyen d’obtenir le médicament.  Ainsi, vu que l’accord était invalide, l’appel a été rejeté pour ces motifs seulement.  Les autres questions soulevées au procès n’ont pas été examinées.

 

IV.  Les questions en litige

 

17.                     Les questions soulevées par le présent pourvoi peuvent être ramenées à trois:

 

(1)               La Cour d’appel fédérale a‑t‑elle commis une erreur en considérant que l’accord d’approvisionnement était une sous‑licence et qu’il ne pouvait donc pas servir de fondement à l’allégation de non‑contrefaçon d’Apotex?

 

(2)               Si la réponse à la première question est négative, la Cour d’appel fédérale a‑t‑elle commis une autre erreur en statuant que l’allégation d’Apotex ne visait que l’acquisition de la norfloxacine auprès de Novopharm conformément à l’accord d’approvisionnement?

 

(3)               Si la réponse à la première question est affirmative, l’allégation de non‑contrefaçon d’Apotex était‑elle toujours non fondée pour le motif qu’elle était prématurée, de sorte que le juge du procès a eu raison d’accorder l’ordonnance d’interdiction?  Cette question comporte deux sous‑questions:

 

a)  Quelle est la date pertinente pour évaluer si un ADA était fondé?


b) Les intimées ont‑elles réussi à démontrer que l’allégation de non‑contrefaçon d’Apotex n’était pas fondée à la date pertinente?

 

V.  Analyse

 

(1)  La nature de l’accord d’approvisionnement

 

18.                     L’accord d’approvisionnement intervenu entre Apotex et Novopharm a été examiné en détail dans les motifs que j’ai rédigés dans Apotex no 1 et Novopharm.  J’y ai exprimé l’avis que l’accord d’approvisionnement était non pas une sous‑licence à première vue, mais plutôt, essentiellement, un engagement à conclure un accord, c’est‑à‑dire une entente en vertu de laquelle une partie pourrait ultérieurement contraindre l’autre partie à conclure un contrat de vente d’un certain médicament breveté.  Plus précisément, il y a absence de la caractéristique essentielle d’une sous‑licence, soit la cession à un tiers ou au preneur de la sous‑licence des droits conférés par la licence à son titulaire ou au donneur de la sous‑licence.

 

19.                     Après avoir examiné le texte de l’accord et les faits de chacune des affaires, j’ai conclu dans les pourvois Novopharm et Apotex no 1 que non seulement les parties ont voulu créer un accord d’approvisionnement et non une sous‑licence, mais encore qu’elles sont parvenues à le faire:  l’effet juridique de l’accord d’approvisionnement était incompatible avec l’attribution d’une sous‑licence.  Par contre, j’ai précisé que, même si l’accord n’était pas à première vue une sous‑licence, il n’en demeurait pas moins possible que son exécution par les parties pourrait, d’après les faits, entraîner l’attribution de facto d’une sous‑licence.  Cependant, l’accord n’avait pas encore été exécuté dans ces pourvois et, par conséquent, rien ne permettait de conclure qu’une sous‑licence avait été accordée de cette manière.


 

20.                     De même, la preuve produite dans le présent pourvoi ne montre pas, et cela n’a pas été allégué par les intimées, que l’accord a été exécuté de manière à entraîner l’attribution d’une sous‑licence.  En fait, la seule mesure qui a été prise pour l’exécuter semble avoir consisté en la notification par Apotex à Novopharm de son intention future de demander qu’une certaine quantité de norfloxacine lui soit fournie aux termes de l’accord d’approvisionnement, mais que les détails de l’entente ne puissent être finalisés que lorsque l’ADC demandé serait délivré.  Rien ne porte à croire, que ce soit dans l’ADA ou ailleurs, qu’Apotex a conclu un contrat avec un fournisseur de norfloxacine, indépendamment de Novopharm,  ou qu’il a l’intention de le faire.  Au contraire, l’ADA indique clairement que Novopharm doit vendre la norfloxacine à Apotex, vraisemblablement après l’avoir achetée à un fournisseur désigné, comme sa licence obligatoire l’autorise à le faire.

 

21.                     Ainsi, les faits du présent pourvoi ne diffèrent pas sensiblement de ceux des pourvois connexes, pas plus, à mon avis, que le résultat.  Je conclus donc que la Cour d’appel fédérale a commis une erreur en jugeant que l’accord d’approvisionnement était invalide parce qu’il s’agissait en fait d’une sous‑licence.  À première vue, l’accord fournit à Apotex un moyen valide et n’emportant pas contrefaçon de se procurer la norfloxacine en vrac pour fabriquer le produit décrit dans l’ADA.  Ainsi, il ne devrait pas être interdit au Ministre, du moins pour ce seul motif, de délivrer un ADC à Apotex.

 

(2)  Acquisition autrement qu’en vertu de l’accord d’approvisionnement

 


22.                     En Cour d’appel fédérale, Apotex a soutenu que son ADA ne l’obligeait pas à se procurer la norfloxacine dont elle avait besoin seulement auprès de Novopharm et en conformité avec l’accord d’approvisionnement, et que, même si ce dernier constituait une sous‑licence et était par conséquent invalide, il existait d’autres moyens n’emportant pas contrefaçon d’obtenir le médicament.  Cet argument ne semble pas avoir été avancé sérieusement devant nous et, quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur son bien‑fondé, étant donné ma conclusion que l’accord d’approvisionnement n’était pas une sous‑licence.  Toutefois, je tiens à signaler que je partage l’avis de la Cour d’appel fédérale à cet égard.  Rien dans l’ADA ne peut être interprété comme indiquant qu’il existe une possibilité réelle que la norfloxacine soit obtenue autrement qu’en conformité avec l’accord d’approvisionnement.  En fait, je suis d’accord avec le juge Strayer pour dire que le texte de l’allégation, en particulier les mots «[e]n conséquence» intercalés entre la description de l’accord d’approvisionnement et l’engagement à se procurer la norfloxacine exclusivement auprès de Novopharm et en conformité avec sa licence obligatoire, mène inexorablement à la conclusion contraire.

 

(3)  L’avis d’allégation était‑il prématuré?

 


23.                     Après avoir conclu que la Cour d’appel fédérale a commis une erreur en statuant que l’ADA d’Apotex n’était pas fondé en raison de la façon erronée dont l’accord d’approvisionnement y était qualifié, je dois maintenant examiner les motifs exposés par le juge Simpson à l’appui de ses conclusions en première instance.  Elle a statué que la date pertinente pour évaluer si l’allégation était fondée était soit celle à laquelle l’allégation est faite, c’est‑à‑dire la date du dépôt de l’ADA, soit le 46e jour suivant celle‑ci, qui, selon le par. 7(1) du Règlement, est la première date à laquelle le Ministre aurait pu théoriquement délivrer un ADC, à la condition que ni le breveté ni le titulaire d’un ADC délivré antérieurement (appelé «première personne» dans le Règlement) n’aient présenté une demande d’ordonnance d’interdiction.  Le juge Simpson a estimé que l’allégation d’Apotex n’était fondée à ni l’une ni l’autre de ces dates puisqu’elle avait été faite le 19 avril 1993, alors que la licence obligatoire de Novopharm ne lui permettait pas de fabriquer ou d’importer la norfloxacine pour vente à des fins de consommation au Canada avant le 2 juillet 1993.

 

24.                     Apotex prétend que le juge Simpson a commis une erreur à deux égards:  premièrement, elle a conclu à tort que la date pertinente pour évaluer l’allégation n’était pas celle de l’audition de la demande d’ordonnance d’interdiction; deuxièmement, elle a tenu pour acquis que l’intention d’Apotex était de vendre des comprimés de norfloxacine à des fins de consommation au Canada, alors que l’ADA ne le prévoie et qu’Apotex aurait pu exporter légalement les comprimés même au moment où l’allégation a été produite.  Je vais examiner chacune de ces prétentions à tour de rôle.

 

a)  Date d’évaluation

 

25.                     Comme je l’ai déjà signalé, le juge Simpson a conclu en première instance que la date pertinente pour évaluer si une allégation était fondée était soit la date à laquelle elle était faite, soit le 46e jour suivant celle‑ci.  Comme elle a décidé qu’à l’une ou l’autre de ces dates aucune activité n’emportant pas contrefaçon n’était possible aux termes de l’ADC, elle a rendu l’ordonnance d’interdiction demandée.  Cependant, elle n’a exposé aucune raison particulière à l’appui de sa conclusion relative à la date pertinente.

 


26.                     Dans Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale du Bien-être social) (1997), 132 F.T.R. 60, le juge Muldoon a rejeté expressément le raisonnement du juge Simpson et a plutôt conclu que la date appropriée pour évaluer si un ADA était fondé est la date de l’audition.  Pour tirer cette conclusion, le juge Muldoon a mis en doute la pertinence du 46e jour suivant le dépôt de l’ADA, étant donné que, dans la plupart des cas, aucun ADC ne peut être délivré avant qu’il ne soit statué sur la demande d’ordonnance d’interdiction ou que n’ait expiré la «suspension de nature législative» de 30 mois découlant de cette demande.  À son avis, à la p. 71, de tels «délais connus et prévisibles» devraient être pris en considération pour évaluer le bien‑fondé d’une allégation.  En outre, il s’est demandé si le Ministre serait en fait tenu de délivrer l’ADC demandé le 46e jour suivant le dépôt de l’ADA, même si aucune demande d’ordonnance d’interdiction n’était présentée et même s’il était alors illégal pour la partie requérante de se prévaloir de l’ADC.  Selon lui, à la p. 71, «le Ministre n’est pas un robot», et le Règlement lui confère le pouvoir discrétionnaire de ne pas délivrer l’ADC immédiatement.

 

27.                     Le juge Muldoon a fait remarquer, à la p. 73, que, aux termes du par. 6(2) du Règlement, la cour doit rendre une ordonnance d’interdiction «si elle conclut qu’aucune des allégations [c.‑à‑d. celles contenues dans l’ADA] n’est fondée» (je souligne).  Il ajoute, à la p. 73:

 

À quelle date la cour arrive‑t‑elle ou peut‑elle arriver à une telle conclusion?  Pas avant l’audition de la demande d’interdiction, telle est cette date.  Il y a lieu de noter que le règlement ne dit pas:  «elle conclut qu’aucune des allégations n’était fondée», c.‑à‑d. «à la date de l’avis d’allégation et à la date à laquelle un ADC aurait pu être délivré sur le fondement de l’avis d’allégation» [. . .]  Il est clair toutefois que si le temps est l’élément crucial à considérer, la date relative au caractère «prématuré» ou à la «maturité» des allégations est celle où la cour «conclut qu’aucune des allégations n’est fondée», ce qui correspond au plus tôt à la date de l’audition de la demande d’interdiction et, au plus tard, à celle de l’ordonnance du tribunal et de ses motifs, si tant est qu’il y en ait.  Après tout, n’est‑ce pas là précisément la date que prévoit textuellement le paragraphe 6(2) et non une date antérieure quelconque?  Comme on l’a montré ci‑dessus, ce paragraphe du règlement aurait pu exiger ce que la distinguée juge a conclu au sujet du caractère «prématuré», mais il ne l’a pas fait. [Souligné dans l’original.]

 


Ce point de vue a été adopté dans les décisions Smithkline Beecham Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1997), 138 F.T.R. 310, et Glaxo Wellcome Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1997), 75 C.P.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.).  J’estime qu’il s’agit d’un énoncé correct du droit applicable.

 

28.                     À l’appui de son argumentation en ce sens, Apotex a également invoqué l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, confirmé par notre Cour, Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100, où le juge Robertson affirme ce qui suit, aux pp. 771 et 772:

 

Comme principe général, il n’est pas difficile d’accepter une règle qui vise à éliminer les demandes prématurées de mandamus.  Une personne intimée peut certes chercher à obtenir le rejet d’une demande lorsque l’obligation d’agir n’est pas encore née.  Toutefois, le fait qu’elle ait été présentée trop tôt ne devrait pas faire échouer une demande d’ordonnance de mandamus à moins que des raisons sérieuses ne soient données.  La demande devrait être appréciée quant au fond pourvu que les conditions préalables à l’exercice de l’obligation aient été satisfaites au moment de l’audience.

 

29.                     Dans l’arrêt Apotex c. Canada (Procureur général), il était question d’une procédure d’une nature quelque peu différente de celle qui est ici en cause.  Dans cette affaire, Apotex demandait une ordonnance de mandamus enjoignant au Ministre de lui délivrer un ADC.  En l’espèce, c’est l’inverse car on demande une ordonnance interdisant au Ministre de délivrer un ADC.  Il est bien établi en droit, et un simple coup d’{oe}il à la citation permet de le constater, que des considérations particulières sous‑tendent l’attribution d’une ordonnance de mandamus; par exemple, il faut établir que le fonctionnaire que l’on veut contraindre à agir a effectivement une obligation envers le requérant au moment où le redressement est demandé:  voir Karavos c. Toronto & Gillies, [1948] 3 D.L.R. 294 (C.A. Ont.).  Il serait donc incorrect de prétendre que cet énoncé établit une règle générale concernant la date d’évaluation dans toutes les affaires de contrôle judiciaire.

 


30.                     Toutefois, la logique qui sous‑tend cette conclusion fournit certaines indications.  Il s’agit selon moi d’une simple question de bon sens.  Certes, il ne serait pas opportun que notre Cour ou une autre cour autorise la délivrance prématurée d’un ADC lorsque les conditions prévues par la loi n’ont pas été remplies.  Par contre, j’ai du mal à concevoir que, lorsque la cour est convaincue que ces conditions sont remplies à la date de l’audition, elle doit néanmoins interdire au Ministre de délivrer un ADC.  Le Règlement vise simplement à empêcher la contrefaçon en retardant la délivrance de l’ADC jusqu’à ce qu’aucune contrefaçon ne puisse en résulter.  Il n’a pas pour objet, selon moi, de punir le fabricant de médicaments génériques qui fait valoir ses droits prématurément.  Lorsque le fabricant de génériques peut prévoir exactement à quelle date l’exercice des droits conférés par un ADC n’emportera pas violation des brevets en cause et choisit le moment de présenter sa demande d’ADC en conséquence, je ne vois pas pourquoi cette demande devrait être rejetée seulement parce que l’allégation présentée à son appui n’était pas fondée au moment où l’ADA a été produit, même s’il n’y avait aucune possibilité que l’ADC soit délivré à cette date.

 

31.                     Cependant, cela ne règle pas complètement la question.  Qu’en est‑il de la conclusion subsidiaire du juge Simpson que la date pertinente est le 46e jour qui suit le dépôt de l’ADA, soit la première date à laquelle l’ADC peut, aux termes de l’al. 7(1)d) du Règlement, être délivré si la Cour fédérale n’est saisie d’aucune objection?  Tout d’abord, je suis d’accord avec Apotex et avec le juge Muldoon dans la décision Merck Frosst Canada Inc., précitée, pour dire que rien dans le Règlement n’oblige le Ministre à délivrer un ADC dès l’expiration du délai de 45 jours suivant le dépôt de l’ADA.  Le paragraphe 7(1) prévoit plutôt que le Ministre «ne peut délivrer» un ADC avant cette date; il ne lui impose aucune obligation de délivrer un ADC à cette date précise.  Toute autre conclusion reviendrait à interpréter le Règlement comme s’il renfermait une restriction qui n’y figure pas.


 

32.                     Même si une telle exigence existait, je ne conclurais pas que la date d’évaluation pertinente est le 46e jour suivant le dépôt de l’ADA.  Vu la nature de l’industrie pharmaceutique, un tel point de vue semble trop restrictif et quelque peu détaché de la réalité commerciale.  Comme l’a fait observer astucieusement le juge Muldoon dans Merck Frosst Canada Inc.,  précité, l’idée qu’un ADC puisse être accordé le 46e jour suivant le dépôt d’un ADA est en fait, comme le dit le juge Simpson, essentiellement «théorique».  Le Règlement prévoit ce qui constitue, dans les faits, une interdiction légale de délivrer un ADC, ou une injonction interdisant de le faire, qui entre en vigueur dès qu’une «première personne» présente une demande d’ordonnance d’interdiction judiciaire, et qui prend fin lorsque survient le premier des événements suivants:  la prise d’une décision judiciaire concernant la demande, ou l’expiration d’un délai de 30 mois.  L’interdiction s’applique automatiquement, indépendamment du bien‑fondé de la demande; même les conditions habituelles d’une injonction interlocutoire n’ont pas à être remplies.  Dans ces circonstances et à défaut de toute indication contraire préalable, je crois qu’il serait acceptable qu’un fabricant de génériques prévoie que le breveté ou le titulaire d’un ADC délivré antérieurement, ou les deux, tenteront vraisemblablement de protéger ou de maintenir aussi longtemps que possible leurs droits jusque‑là exclusifs en se prévalant de la procédure énoncée dans le Règlement.

 


33.                     Il peut y avoir de bonnes raisons de principe d’appliquer de cette manière le régime réglementaire.  Cependant, il serait manifestement injuste d’assujettir les fabricants de génériques à un régime aussi draconien sans au moins leur permettre de se protéger et de diminuer la durée de l’injonction de fait en engageant une procédure d’obtention d’ADC dès que possible.  Je le répète, cela n’est pas incompatible avec le par. 6(2) du Règlement, qui prévoit seulement que la cour rend une ordonnance d’interdiction «si elle conclut qu’aucune des allégations n’est fondée», une conclusion qui ne peut être tirée, au plus tôt, qu’à la date de l’audition.  Ainsi, la Cour fédérale pourrait, à juste titre, rejeter une demande pour le motif qu’elle est prématurée si l’allégation présentée à son appui n’est pas fondée à ce moment‑là.  Cela suffit, selon moi, à décourager les demandes trop prématurées.  Par contre, adopter l’interprétation du Règlement préconisée par les intimées reviendrait, en fait, à obliger les fabricants de génériques à remplir toutes les conditions de l’art. 5, et à attendre ensuite jusqu’à 30 mois avant de mettre en marché le produit souhaité.  Ce ne saurait être l’objet du Règlement.

 

34.                     Je conclus donc que la date appropriée pour évaluer la demande d’ADC présentée par Apotex était celle de l’audition devant la Cour fédérale, Section de première instance, soit le 14 novembre 1995.  Dès cette date, Novopharm était autorisée, aux termes de sa licence obligatoire, à fabriquer la norfloxacine pour la vendre à des fins de consommation au Canada, et Apotex disposait ainsi d’un moyen valable et n’emportant pas contrefaçon de se procurer le médicament en vrac nécessaire à la fabrication du produit sous forme posologique définitive, pour lequel l’ADC était demandé.  On ne saurait donc dire que l’allégation d’Apotex n’était pas fondée.

 

b)  Ventes à l’exportation n’emportant pas contrefaçon

 


35.                     Apotex soutient subsidiairement que, même si la date pertinente pour évaluer si l’ADA était fondé était celle à laquelle celui‑ci a été produit, et non la date de l’audition, Novopharm était autorisée à importer ou à fabriquer la norfloxacine en vrac pour la vendre à des fins de consommation à l’extérieur du Canada dès le 15 octobre 1993.  Même si Apotex avait pu acheter ce médicament et le préparer sous une autre forme pour la vente à l’exportation même sans ADC, on fait valoir que le respect de certaines exigences liées à l’exportation aurait été facilité si un ADC avait été délivré.  On soutient donc que l’ADA était fondé, du moins en ce qui concerne les ventes à l’exportation, même à la date de son dépôt.

 

36.                     Toutefois, puisque je conclus que la date de l’audition était la date pertinente pour évaluer si l’ADA était fondé, il n’est pas nécessaire d’examiner cette question.  Dès cette date, l’allégation de non‑contrefaçon était sûrement amplement fondée, même indépendamment de la possibilité d’exportation.

 

VI.  Dispositif

 

37.                     En définitive, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel fédérale et de rejeter la demande d’ordonnance d’interdiction visant à empêcher le Ministre de délivrer l’ADC demandé par Apotex.  Le Ministre n’est nullement empêché d’accorder l’ADC requis.  L’appelante a droit à ses dépens dans toutes les cours.

 

Pourvoi accueilli avec dépens.

 

Procureurs de l’appelante:  Goodman, Phillips & Vineberg, Toronto.

 

Procureurs des intimées Merck Frosst Canada Inc. et Merck & Co. Inc.:  Ogilvy Renault, Montréal.

 

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