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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202

Appel entendu : 2 novembre 2016

Jugement rendu : 17 mars 2017

Dossier : 36472

 

Entre :

Brendan Paterson

Appelant

 

et

 

Sa Majesté la Reine

Intimée

 

- et –

 

Procureur général de l’Ontario, procureur général de l’Alberta et British Columbia Civil Liberties Association

Intervenants

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Brown

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 59)

 

Motifs dissidents :

(par. 60 à 99)

Le juge Brown (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Karakatsanis et Wagner)

 

Le juge Moldaver (avec l’accord du juge Gascon)

 

 

 


R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202

Brendan Paterson                                                                                             Appelant

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                           Intimée

et

Procureur général de l’Ontario,

procureur général de l’Alberta et

British Columbia Civil Liberties Association                                            Intervenants

Répertorié : R. c. Paterson

2017 CSC 15

No du greffe : 36472.

2016 : 2 novembre; 2017 : 17 mars.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Brown.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Fouilles, perquisitions et saisies — Exclusion de la preuve — Accusé ayant avoué aux policiers avoir de la marihuana chez lui — Accusé ayant autorisé les policiers à saisir des mégots après que ces derniers lui eurent dit qu’ils effectueraient une saisie « sans poursuite » — Entrée sans mandat ayant permis aux policiers de constater la présence d’autres drogues et d’une arme à feu dans la résidence puis ayant entraîné l’arrestation de l’accusé — L’« urgence de la situation », au sens de l’art. 11(7)  de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances , a-t-elle rendu « difficilement réalisable » l’obtention d’un mandat avant l’entrée et la perquisition dans la résidence? — Y a-t-il eu atteinte au droit constitutionnel de l’accusé à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives? — Dans l’affirmative, la preuve recueillie grâce à l’entrée et à la perquisition sans mandat devrait-elle être écartée? — Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19, art. 11(7) Charte canadienne des droits et libertés, art. 8 , 24(2) .

                    Droit criminel — Preuve — Admissibilité — Voir‑dire — Accusé ayant avoué aux policiers avoir de la marihuana chez lui — Le ministère public était-il tenu de prouver le caractère volontaire de la déclaration de l’accusé pour que celle‑ci puisse être admise en preuve lors du voir‑dire tenu sur la légalité de l’entrée et de la perquisition chez l’accusé? — La règle des confessions de la common law devrait‑elle s’appliquer aux déclarations considérées lors d’un voir‑dire constitutionnel?

                    Le litige fait suite à l’entrée sans mandat des policiers chez l’accusé, P, après que celui‑ci eut accepté de leur remettre quelques mégots de marihuana. Les policiers ont dit à P qu’ils allaient effectuer une saisie « sans poursuite », c’est‑à‑dire qu’ils saisiraient les mégots et qu’aucune accusation ne serait portée contre lui. Une fois à l’intérieur, ils ont constaté la présence d’un gilet pare‑balles, d’une arme à feu et de drogues. Ils ont arrêté P puis obtenu un télémandat les autorisant à perquisitionner l’appartement, ce qui a mené à la découverte d’autres armes à feu et d’autres drogues, puis à la formulation d’accusations. À l’issue de son procès, P a été déclaré coupable des infractions reprochées. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a confirmé les déclarations de culpabilité. Elle a rejeté la thèse de P selon laquelle la règle des confessions de la common law aurait dû, lors du voir‑dire, faire obstacle à l’admission de sa déclaration relative aux mégots puisque le ministère public n’avait pas prouvé son caractère volontaire hors de tout doute raisonnable.

                    Arrêt (les juges Moldaver et Gascon sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli, les déclarations de culpabilité sont annulées et des acquittements sont inscrits.

                    La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Karakatsanis, Wagner et Brown : La portée de la règle des confessions ne devrait pas être accrue de manière que la règle s’applique aux déclarations considérées lors d’un voir‑dire constitutionnel. Le ministère public doit prouver le caractère volontaire de la déclaration d’un accusé avant de l’invoquer au procès pour obtenir une déclaration de culpabilité. L’objet de l’examen auquel se livre le tribunal lors d’un voir‑dire constitutionnel se distingue de celui d’un procès criminel, lequel se soucie de la culpabilité ou de la non‑culpabilité de la personne accusée d’une infraction, alors que le voir‑dire constitutionnel ne s’attache pas à la culpabilité de l’accusé, mais plutôt au respect ou non de ses droits constitutionnels. Le voir‑dire constitutionnel suppose donc l’analyse de la totalité des circonstances connues du représentant de l’État et sur lesquelles ce dernier s’est fondé au moment de prendre la mesure en cause. Seuls sont considérés l’état d’esprit et la conduite du représentant de l’État à ce moment précis. La véracité de la déclaration à partir de laquelle il a agi ne l’est pas. C’est pourquoi la véracité d’une déclaration n’a pas d’incidence sur son admissibilité; l’examen s’attache plutôt à la question de savoir s’il était raisonnable que le représentant de l’État voie dans la déclaration un motif justifiant la mesure. L’admission en preuve de la déclaration d’un accusé afin de statuer sur la constitutionnalité d’une mesure de l’État, et non sur la culpabilité de l’accusé, ne fait pas entrer en jeu la raison d’être de la règle des confessions. Appliquer cette règle aux éléments de preuve présentés lors d’un voir‑dire constitutionnel reviendrait à dénaturer aussi bien la règle que sa raison d’être. Pareille application paralyserait les enquêtes policières et compromettrait la sécurité publique, sans compter que la durée et la complexité des voir‑dire s’accroîtraient inutilement.

                    L’entrée sans mandat des policiers chez P n’était pas justifiée par une « urgence de la situation » qui rendait « difficilement réalisable » l’obtention d’un mandat au sens du par. 11(7)  de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances  (« LRCDAS  »). Elle a donc porté atteinte au droit de P garanti à l’art. 8  de la Charte . L’« urgence de la situation » ne renvoie pas seulement à la commodité, à l’opportunité ou à l’économie de temps, mais bien à l’existence de circonstances pressantes. L’urgence de la situation ne justifie pas à elle seule la perquisition sans mandat d’une résidence sur le fondement du par. 11(7). Elle doit rendre l’obtention d’un mandat « difficilement réalisable ». Pour que l’entrée sans mandat réponde aux exigences du par. 11(7), le ministère public doit démontrer qu’elle s’imposait en raison du caractère pressant de la situation, que les policiers se devaient d’intervenir sans délai soit pour préserver la preuve, soit pour assurer leur sécurité ou celle du public. De plus, ce caractère pressant doit avoir été tel que prendre le temps d’obtenir un mandat aurait sérieusement compromis ces impératifs.

                    Aucune circonstance pressante ne commandait en l’espèce une intervention immédiate pour préserver la preuve. Qui plus est, les circonstances dans lesquelles P a reconnu avoir en sa possession quelques mégots en partie consumés, jumelées à la volonté des policiers de saisir ces mégots sans poursuite, n’ont pas non plus rendu l’obtention d’un mandat difficilement réalisable. C’est le caractère difficilement réalisable, non le caractère seulement inconvénient, qui satisfait à l’exigence du par. 11(7). Dans la présente affaire, les policiers auraient pu opter pour une mesure réalisable, soit arrêter P et obtenir un mandat les autorisant à entrer chez lui et saisir les mégots. Si la situation n’était pas suffisamment grave pour arrêter P et obtenir un mandat, elle ne l’était pas non plus pour entrer sans mandat dans une résidence privée. En outre, la crainte liée à la sécurité des policiers n’est pas à l’origine de la décision d’entrer sans mandat; c’est plutôt l’entrée sans mandat qui a fait naître cette crainte.

                    Il convient d’écarter, sous le régime du par. 24(2)  de la Charte , les éléments de preuve obtenus grâce à l’entrée chez P et à la perquisition des lieux, car leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Sans être flagrante, la conduite des policiers dénote un écart marqué à une norme constitutionnelle bien établie. Les policiers ne sont pas intervenus dans un contexte juridique inconnu : leur intention d’effectuer une saisie « sans poursuite » importait peu en droit compte tenu des principes juridiques bien établis qui régissent le pouvoir des policiers d’entrer sans mandat dans une résidence. La mise en balance des facteurs pertinents, à savoir la gravité de la conduite de l’État, la gravité de l’atteinte à un droit constitutionnel et l’incidence sur l’intérêt de la société dans l’instruction de l’affaire au fond, ne constituera jamais une entreprise tout à fait objective. La destruction concrète de la preuve du ministère public pèse fortement dans la balance, mais il en va de même de l’entrée sans mandat dans une résidence privée afin d’empêcher P de détruire trois mégots que les policiers comptaient de toute façon détruire. Il importe de ne pas permettre que le troisième facteur — l’intérêt de la société dans l’instruction de l’affaire au fond — l’emporte sur toutes les autres considérations, surtout lorsque, comme en l’espèce, la conduite reprochée est grave et a une grande incidence sur un droit constitutionnel de P. Après examen de ces facteurs séparément puis dans leur ensemble, l’importance de faire en sorte que pareille conduite ne soit pas cautionnée par les tribunaux milite en faveur de l’exclusion de la preuve.

                    Les juges Moldaver et Gascon (dissidents) : Il y a accord avec l’analyse et la conclusion des juges majoritaires concernant le caractère volontaire de la déclaration. Malgré les conclusions contraires du juge du procès et des trois juges de la Cour d’appel, l’entrée des policiers chez P était certes illégale et attentatoire à son droit à la protection de sa vie privée garanti par l’art. 8. Toutefois, les armes à feu et les drogues saisies chez P ont été admises en preuve à juste titre, de sorte que le pourvoi devrait être rejeté.

                    Dans ce genre de dossier, il incombe à la Cour de clarifier le droit applicable afin que policiers, avocats de la défense, procureurs de la Couronne, juges de première instance et d’appel, de même que citoyens en général, puissent savoir quel est le droit applicable et comment il s’appliquera à l’avenir. Il ne lui appartient pas de juger la conduite des policiers à l’aune d’une norme qui échappe au discernement et aux connaissances de juges de première instance et d’appel chevronnés. Pour les besoins de la clarification du droit applicable, il est concédé que les policiers ne pouvaient se prévaloir du par. 11(7)  de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances  au vu des faits de l’espèce. Trois possibilités s’offraient en fait à eux : (1) tenter d’obtenir le consentement légal de P à ce qu’ils entrent chez lui et saisissent les mégots, (2) arrêter P et obtenir un mandat les autorisant à perquisitionner chez lui et saisir les mégots ou (3) abandonner la partie et quitter les lieux, et manquer ainsi à leur devoir de saisir une substance illicite, ne serait-ce que pour la consigner puis la détruire. Cela dit, il est injuste de blâmer la conduite des policiers alors que, jusqu’à ce que la Cour se prononce aujourd’hui, les paramètres d’application du par. 11(7) dans le cas d’une saisie « sans poursuite » étaient au mieux flous. Il suffit de consulter les décisions des tribunaux inférieurs pour le constater.

                    Notre Cour a statué avec constance que les tribunaux peuvent tenir compte de l’incertitude juridique lorsqu’ils apprécient la gravité d’une atteinte policière à un droit garanti par la Charte . Lorsque le droit évolue ou qu’il est incertain, et lorsque l’on conclut que les policiers ont agi de bonne foi, sans méconnaissance ou mépris délibéré des droits constitutionnels de l’accusé, la gravité de l’atteinte peut en être atténuée.

                    Dans la présente affaire, la gravité de l’atteinte est nettement atténuée par la portée incertaine du par. 11(7)  de la LRCDAS  dans le cas d’une saisie « sans poursuite » et par les conclusions catégoriques du juge du procès selon lesquelles les policiers ont toujours agi de bonne foi. L’incidence de l’entrée des policiers sur l’intérêt de P en matière de respect de la vie privée est également atténuée par le fait que les éléments de preuve en cause auraient pu être découverts légalement si un mandat avait été obtenu.

                    Ainsi, malgré leur bonne foi, les policiers ont commis l’erreur de se croire autorisés par le par. 11(7) à entrer chez P dans le cadre d’une saisie « sans poursuite »; ils ont commis la même erreur que les tribunaux inférieurs. C’est le cumul de l’incertitude juridique, de la bonne foi des policiers, de la possibilité de découvrir une preuve essentielle à la tenue d’un procès au fond et de la fiabilité d’une telle preuve qui permet de conclure la mise en balance en statuant que la preuve est admissible. Dès lors, c’est l’exclusion d’éléments de preuve fiables et cruciaux susceptibles d’établir la perpétration par P d’infractions très graves en matière d’armes à feu et de drogues qui est beaucoup plus susceptible d’amener le public à perdre confiance dans notre système de justice criminelle. Néanmoins, dans un cas comme celui considéré en l’espèce, une autre réparation, telle la réduction de peine, pourrait être accordée sur le fondement du par. 24(1)  de la Charte  au lieu que la preuve soit écartée comme le prévoit le par. 24(2). Mais cette possibilité n’a pas été soulevée et il faudra statuer sur elle dans un dossier ultérieur.

Jurisprudence

Citée par le juge Brown

                    Arrêt appliqué : R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353; arrêts mentionnés : R. c. Hodgson, [1998] 2 R.C.S. 449; Ibrahim c. The King, [1914] A.C. 599; Boudreau c. The King, [1949] R.C.S. 262; Rothman c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 640; R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151; R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451; R. c. MacKenzie, 2013 CSC 50, [2013] 3 R.C.S. 250; R. c. Orbanski, 2005 CSC 37, [2005] 2 R.C.S. 3; R. c. Soules, 2011 ONCA 429, 105 O.R. (3d) 561; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Société Radio‑Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615; R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223; R. c. Feeney, [1997] 2 R.C.S. 13; R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297; R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, [2014] 1 R.C.S. 37; R. c. Macooh, [1993] 2 R.C.S. 802; R. c. Erickson, 2003 BCCA 693, 192 B.C.A.C. 203; R. c. Buhay, 2003 CSC 30, [2003] 1 R.C.S. 631; R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494; R. c. McGuffie, 2016 ONCA 365, 348 O.A.C. 365.

Citée par le juge Moldaver (dissident)

                    R. c. Erickson, 2003 BCCA 693, 192 B.C.A.C. 203; R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223; R. c. Feeney, [1997] 2 R.C.S. 13; R. c. M. (N.) (2007), 223 C.C.C. (3d) 417; R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34; R. c. Aucoin, 2012 CSC 66, [2012] 3 R.C.S. 408; R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657; R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212; R. c. Fearon, 2014 CSC 77, [2014] 3 R.C.S. 621.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés , art. 7 , 8 , 9 , 24(1) ,(2) .

Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 117.02(1) , 184.3(1) , 487.1 , 487.11 , 529.3 .

Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, c. 19, art. 11(1) , (2) , (7) .

Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, c. N‑1 [abr. 1996, c. 19, art. 94], art. 10.

Doctrine et autres documents cités

Canada. Groupe de travail fédéral‑provincial sur l’uniformisation des règles de preuve. La preuve au Canada : Rapport du groupe de travail fédéral‑provincial sur l’uniformisation des règles de preuve, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1983.

Lederman, Sidney N., Alan W. Bryant and Michelle K. Fuerst. The Law of Evidence in Canada, 4th ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2014.

Penney, Steven, Vincenzo Rondinelli and James Stribopoulos. Criminal Procedure in Canada, Markham (Ont.), LexisNexis, 2011.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Lowry, Frankel et Bennett), 2015 BCCA 205, 372 B.C.A.C. 148, 640 W.A.C. 148, 324 C.C.C. (3d) 305, 340 C.R.R. (2d) 41, [2015] B.C.J. No. 946 (QL), 2015 CarswellBC 1256 (WL Can.), qui a confirmé les déclarations de culpabilité de possession de substances désignées, de possession de substances désignées en vue d’en faire le trafic et de possession illégale d’armes à feu prohibées ou à autorisation restreinte inscrites par le juge Blok, 2012 BCSC 1680, [2012] B.C.J. No. 2343 (QL), 2012 CarswellBC 3519 (WL Can.). Pourvoi accueilli, déclarations de culpabilité annulées et acquittements inscrits, les juges Moldaver et Gascon sont dissidents.

                    Daniel J. Song, Kenneth S. Westlake, c.r., et Brent R. Anderson, pour l’appelant.

                    W. Paul Riley, c.r., et Janna Hyman, pour l’intimée.

                    Gillian Roberts, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    Argumentation écrite seulement par Jolaine Antonio, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

                    Roy Millen et Rebecca Spigelman, pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.

                    Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Karakatsanis, Wagner et Brown rendu par

                    Le juge Brown —

I.          Introduction

[1]                              Le pourvoi soulève les trois questions suivantes : (1) la règle des confessions de la common law s’applique‑t‑elle aux déclarations considérées lors d’un voir‑dire tenu au regard de la Charte canadienne des droits et libertés , (2) au vu des faits de l’espèce, l’urgence de la situation au sens du par. 11(7)  de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, c. 19  (« LRCDAS  »), a‑t‑elle rendu difficilement réalisable l’obtention d’un mandat avant d’entrer chez l’appelant et d’y effectuer une perquisition et (3) l’inobservation par les policiers des exigences relatives au rapport subséquent à la perquisition constitue‑t‑elle une atteinte au droit garanti à l’art. 8  de la Charte ? En outre, selon sa réponse aux deuxième et troisième questions, la Cour pourrait devoir décider si les éléments de preuve obtenus grâce à l’entrée et à la perquisition sans mandat chez l’appelant devraient être écartés ou non par application du par. 24(2)  de la Charte .

[2]                              Le litige fait suite à l’entrée sans mandat des policiers chez l’appelant, Brendan Paterson, après que celui‑ci eut accepté de leur remettre quelques « mégots » de marihuana. Une fois à l’intérieur, les policiers ont constaté la présence d’un gilet pare‑balles, d’une arme à feu et de drogues. Ils ont arrêté l’appelant puis obtenu un télémandat dont l’exécution a permis la découverte d’autres armes à feu et d’autres drogues ainsi que la formulation de neuf chefs d’accusation. Au procès, l’appelant a soutenu que l’entrée sans mandat dans sa résidence avait porté atteinte au droit à la protection que lui garantit l’art. 8  de la Charte  contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives en ce qu’aucune « urgence de la situation » n’avait rendu difficilement réalisable l’obtention d’un mandat comme l’exige le par. 11(7)  de la LRCDAS . Il a en outre allégué que le dépôt par les policiers d’un rapport tardif et incomplet auprès du greffier du tribunal relativement au télémandat avait emporté une autre atteinte au droit garanti à l’art. 8.

[3]                              Le juge du procès a estimé que l’urgence de la situation avait justifié l’entrée dans la résidence, mais aussi que le rapport tardif et incomplet avait porté atteinte au droit garanti à l’art. 8  de la Charte . Il a tout de même admis la preuve et déclaré l’appelant coupable. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a confirmé la décision. Selon la thèse avancée par l’appelant devant elle, la règle des confessions de la common law aurait dû, lors du voir‑dire tenu sur la légalité de l’entrée et de la perquisition, faire obstacle à l’admission de sa déclaration relative aux mégots puisque le ministère public n’avait pas prouvé hors de tout doute raisonnable son caractère volontaire. La Cour d’appel a rejeté la prétention et confirmé les déclarations de culpabilité.

[4]                              Pour les motifs qui suivent, je conviens avec la Cour d’appel que la règle des confessions ne trouve aucune application en l’espèce. J’arrive toutefois à une conclusion différente de la sienne en ce qui concerne l’entrée des policiers chez l’appelant car, soit dit en tout respect, elle n’était pas justifiée par une urgence de la situation qui rendait difficilement réalisable l’obtention d’un mandat. Comme je suis également d’avis que la preuve obtenue grâce à cette entrée devrait être écartée par application du par. 24(2)  de la Charte , point n’est besoin de décider si un rapport tardif et incomplet peut en soi permettre de conclure à une atteinte au droit garanti à l’art. 8  de la Charte , ni s’il y a eu une telle atteinte dans les faits. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler les déclarations de culpabilité et d’inscrire des acquittements.

II.            Aperçu des faits et historique judiciaire

A.            Contexte

[5]                              Le 30 novembre 2007, à Langley, en Colombie‑Britannique, les agents Warner, Bell et Dykeman de la Gendarmerie royale du Canada ont été dépêchés pour répondre à l’appel au service 9‑1‑1 de C.W., une femme en pleurs qui était apparemment blessée. Après avoir parlé à la mère de C.W., qui leur a communiqué les coordonnées de l’appelant (le copain de C.W.), les agents se sont rendus à la résidence de ce dernier. Le gérant de l’immeuble les a alors dirigés vers le bon appartement et les a informés que C.W. avait été emmenée à l’hôpital pour des blessures de nature indéterminée. (C.W. dira par la suite aux policiers qu’elle était tombée accidentellement et s’était blessée à l’arrière de la tête, et que l’appelant n’y était pour rien.) Après que les policiers eurent frappé maintes fois à sa porte et signalé leur présence, l’appelant leur a ouvert. C’est alors que l’agent Dykeman a perçu une odeur de marihuana fraîche et de marihuana fumée.

[6]                              Après avoir interrogé l’appelant au sujet de l’appel au service 9‑1‑1 et s’être assurés que personne n’avait besoin d’aide, les agents lui ont également posé des questions sur l’odeur. L’appelant a d’abord nié que les effluves provenaient de son appartement, mais il a ensuite reconnu avoir chez lui une certaine quantité de « mégots » de marihuana non consumés. Il n’a pas précisé le nombre exact de ces mégots, mais l’agent Dykeman a conclu qu’il y en avait trois. Les agents ont expliqué à l’appelant qu’ils allaient devoir saisir les mégots, mais qu’il s’agirait d’une saisie « sans poursuite », c’est‑à‑dire qu’ils saisiraient les mégots et qu’aucune accusation ne serait portée contre lui. (L’agent Dykeman a dit avoir pensé à demander un mandat, mais avoir décidé de n’en rien faire et de seulement saisir les mégots de sorte que ses collègues et lui‑même puissent quitter les lieux.) L’appelant a accepté de remettre les mégots, puis il a tenté de refermer la porte, mais l’agent Dykeman l’en a empêché avec son pied et a dit ne pas vouloir le perdre de vue. Il aurait agi ainsi de crainte que l’appelant ne détruise les mégots et pour assurer la « sécurité des policiers ». L’agent Dykeman a suivi l’appelant à l’intérieur, et l’agent Bell a suivi son collègue afin qu’il ne soit pas seul avec l’appelant, par crainte d’un danger (la mère de C.W. ayant dit aux policiers que l’appelant possédait un fusil de chasse).

[7]                              Une fois à l’intérieur, l’appelant a pris un sac contenant les mégots pour le remettre aux agents. L’agent Dykeman a alors aperçu une veste pare‑balles sur un canapé, une arme de poing sur une table basse et un sac de comprimés (qui lui ont semblé être de l’ecstasy) sur le support d’une enceinte acoustique. L’agent Bell et lui ont procédé sur‑le‑champ à l’arrestation et à la fouille de l’appelant et ont trouvé sur lui un téléphone portable et une forte somme d’argent. Un examen rapide des lieux a révélé la présence de deux grands sacs de comprimés (encore une fois de l’ecstasy, selon eux) et, sur la tablette d’un placard, un sac qui paraissait contenir du crack.

[8]                              Après s’être assuré de l’absence d’autres personnes dans la résidence, l’agent Dykeman est retourné à son détachement. Il a obtenu un télémandat en application des par. 11(1)  et (2)  de la LRCDAS et de l’art. 487.1  du Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46 . Les policiers ont exécuté le mandat le même jour; ils ont découvert de la cocaïne, de la métamphétamine, des comprimés d’ectasy, de la marihuana et de l’oxycodone, un attirail de consommation de drogues, quatre armes à feu chargées, un gilet pare‑balles ainsi qu’une importante somme d’argent. M. Paterson a finalement été reconnu coupable de quatre chefs de possession d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte, de trois chefs de possession d’une substance désignée en vue d’en faire le trafic et de deux chefs de possession simple d’une substance désignée.

[9]                              Le paragraphe 487.1(9)  du Code criminel  exige de l’agent de la paix à qui est décerné un mandat de perquisition qu’il dépose auprès du greffier du tribunal, « dans les plus brefs délais possible mais au plus tard dans les sept jours suivant l’exécution du mandat », un rapport (« rapport rédigé selon la formule 5.2 ») qui précise entre autres quelles choses ont été saisies et les motifs qui ont justifié la saisie de choses non mentionnées dans la dénonciation visant l’obtention d’un mandat de perquisition. En l’espèce, le mandat a été exécuté le 30 novembre 2007, mais le rapport rédigé selon la formule 5.2 n’a été déposé que le 13 février 2008. Qui plus est, le rapport était incomplet, bon nombre des objets saisis n’y figurant pas et aucun motif de saisie n’y étant précisé.

B.            Historique judiciaire

(1)           Cour suprême de la Colombie‑Britannique Le juge Blok (2011 BCSC 1728)

[10]                          Le juge du procès a présidé un voir‑dire afin de se prononcer sur l’admissibilité de la preuve recueillie par les policiers lors de la perquisition chez l’appelant. Il a conclu que le devoir fondamental du policier de protéger la vie et d’assurer la sécurité publique, jumelé à l’urgence de la situation au sens du par. 11(7)  de la LRCDAS , avait justifié l’entrée des policiers dans la résidence et la perquisition de celle‑ci. Même s’il conclut que le dépôt tardif du rapport incomplet rédigé selon la formule 5.2 constitue une atteinte au droit que l’art. 8  de la Charte  garantit à l’appelant d’être protégé contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, il refuse d’écarter la preuve sur le fondement du par. 24(2). Il estime en effet qu’il s’agit d’une atteinte involontaire et sans gravité, que son incidence sur les droits de l’appelant est circonscrite et que les éléments ainsi recueillis sont très fiables et sont indispensables à la preuve par le ministère public de la perpétration d’infractions graves. Le juge du procès reconnaît donc l’appelant coupable de tous les chefs d’accusation (2012 BCSC 1680).

(2)           Cour d’appel de la Colombie‑Britannique — Les juges Lowry, Frankel et Bennett (2015 BCCA 205, 372 B.C.A.C. 148)

[11]                          En appel, l’appelant a soutenu pour la première fois que le juge du procès avait eu tort de ne pas se prononcer sur le caractère volontaire de sa déclaration selon laquelle il avait des mégots chez lui avant de se fonder sur elle lors du voir‑dire. Il a également fait valoir que le juge avait conclu à tort que l’urgence de la situation avait justifié l’entrée des policiers dans sa demeure et que le dépôt tardif d’un rapport incomplet rédigé selon la formule 5.2 ne commandait pas d’écarter la preuve par application du par. 24(2)  de la Charte .

[12]                          L’appel a été rejeté. S’agissant du caractère volontaire de la déclaration de l’accusé, le ministère public n’était pas tenu de le prouver pour que la déclaration puisse être admise dans le cadre du voir‑dire. La Cour d’appel explique qu’il en est ainsi à cause de la raison d’être principale de la règle des confessions de la common law, à savoir assurer la fiabilité d’un aveu et l’équité du procès. Or, cette raison d’être ne vaut pas lorsque la preuve pourrait ne jamais être entendue par le juge des faits et que c’est la conduite de l’État, non la culpabilité de l’accusé, qui est en cause. Par ailleurs, les policiers devraient pouvoir se fonder sur une déclaration pour tenir une enquête, même lorsque cette déclaration n’est pas le fruit d’un état d’esprit conscient ou qu’elle est par ailleurs involontaire. Enfin, imputer le fardeau de la preuve au ministère public lors d’un voir‑dire constitutionnel entre en conflit avec l’obligation prédominante de l’accusé de démontrer l’existence d’une atteinte.

[13]                          Au sujet de l’entrée sans mandat chez l’appelant, la Cour d’appel convient avec le juge du procès que, puisque l’obtention d’un mandat était « difficilement réalisable », les policiers satisfaisaient au critère de l’urgence de la situation. L’entrée de l’agent Bell à la suite de son collègue Dykeman était également raisonnable puisqu’elle résultait d’un souci pour la sécurité d’un policier. Enfin, la déférence s’impose vis‑à‑vis de la décision du juge du procès fondée sur le par. 24(2) d’admettre en preuve les éléments obtenus par les policiers grâce à l’entrée sans mandat puis à la perquisition qui a suivi. La Cour d’appel ne juge donc pas nécessaire de se prononcer sur le bien‑fondé de la conclusion du juge du procès selon laquelle les irrégularités du rapport rédigé selon la formule 5.2 ont porté atteinte au droit garanti par l’art. 8.

III.          Analyse

A.       Le caractère volontaire

[14]                          La règle des confessions traduit le souci du droit pour le « caractère volontaire » d’une déclaration obtenue grâce à une technique d’enquête policière. Elle fait obstacle à l’admission en preuve au procès de la déclaration d’un suspect à un policier ou à une autre personne en situation d’autorité, sauf si le ministère public prouve hors de tout doute raisonnable que la déclaration était volontaire (S. Penney, V. Rondinelli et J. Stribopoulos, Criminal Procedure in Canada (2011), p. 272; R. c. Hodgson, [1998] 2 R.C.S. 449, par. 17). Identique à celui qui lui incombe en ce qui concerne la culpabilité même de l’accusé, le fardeau de preuve qui pèse sur le ministère public à cet égard fait ressortir le rattachement de la règle des confessions au principe juridique voulant qu’une déclaration involontaire [traduction] « ne soit pas une affirmation de culpabilité fiable » (S. N. Lederman, A. W. Bryant et M. K. Fuerst, The Law of Evidence in Canada (4e éd. 2014), §8.24; Ibrahim c. The King, [1914] A.C. 599 (C.P.), p. 609; Boudreau c. The King, [1949] R.C.S. 262; Rothman c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 640, p. 653‑654, le juge Estey, dissident)[1]. Comme le reconnaît la Cour dans l’arrêt Hodgson (par. 19), la déclaration obtenue par la force, par la menace ou grâce à des promesses est intrinsèquement non fiable.

[15]                          Toutefois, la Cour reconnaît également que la non‑fiabilité éventuelle d’un aveu involontaire n’explique qu’en partie l’exclusion de la preuve par application de la règle des confessions. Ainsi, dans R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, la Cour affirme que cette règle repose sur les notions fondamentales que sont l’équité procédurale et (p. 173) « l’idée qu’une personne assujettie au pouvoir de l’État en matière criminelle a le droit de décider librement de faire ou non une déclaration aux policiers », jumelée au « souci [. . .] de préserver l’intégrité du processus judiciaire et la considération dont il jouit ». Elle ajoute (à la p. 175) que ces préoccupations sous‑tendent le privilège de ne pas s’incriminer et appuient l’assimilation du droit de la personne détenue de garder le silence à un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7  de la Charte . En tant qu’exigence visant à limiter la portée des techniques d’enquête policière, le « caractère volontaire » est donc largement associé au principe voulant que, pour préserver l’intégrité du processus judiciaire et la considération dont il jouit, le ministère public doive établir la culpabilité sans l’aide de l’accusé (Hodgson, par. 23, citant le Rapport du groupe de travail fédéral‑provincial sur l’uniformisation des règles de preuve (1983), p. 195).

[16]                          Ces raisons d’être de la règle des confessions ne sont pas formulées clairement et, comme le fait observer la Cour dans plus d’un arrêt, « il n’a pas toujours été facile de justifier la règle des confessions par autre chose que la fiabilité des déclarations » (R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451, par. 73; Hodgson, par. 23). Il suffit de signaler en l’espèce que le ministère public doit prouver le caractère volontaire de la déclaration d’un accusé avant de l’invoquer au procès pour obtenir une déclaration de culpabilité et que cette règle intervient pour garantir l’équité procédurale et empêcher qu’un accusé soit déclaré coupable à partir d’un témoignage forcé et donc intrinsèquement non fiable. Même si cette règle vaut donc uniquement au procès, l’appelant soutient que son [traduction] « objectif général » devrait jouer de manière à obliger le ministère public à prouver, lors d’un voir‑dire, le caractère volontaire d’une déclaration à quelque fin que ce soit, « même simplement pour établir l’existence de motifs raisonnables d’effectuer une fouille ou une perquisition ». Selon lui, ne faire porter l’examen judiciaire du caractère volontaire de la déclaration que sur la preuve offerte au procès confère à la police « un avantage injuste [. . .] sur la personne handicapée ou atteinte de troubles mentaux », ce qui « crée un déséquilibre systémique au détriment de ceux qui ont besoin des protections juridiques les plus importantes ». En outre, l’appelant tient pour « incriminante » toute preuve susceptible d’aider le ministère public de quelque manière, de sorte qu’il faudrait selon lui démontrer que la déclaration invoquée pour justifier une fouille ou une perquisition a été faite volontairement. Dès lors, un élément de preuve non fiable comme un aveu involontaire ne pourrait être invoqué pour justifier une fouille ou une perquisition.

[17]                          En ce qui a trait à la procédure qui devrait être suivie, l’appelant soutient que le caractère volontaire d’une déclaration qui mène à une fouille ou à une perquisition policière — telle sa déclaration concernant les mégots — devrait être établi avant la tenue d’un voir‑dire sur la légalité de la mesure. À titre subsidiaire, il avance qu’un voir‑dire mixte portant sur plusieurs aspects pourrait avoir lieu. En l’espèce, puisque ni le juge du procès, ni les avocats n’abordent la question du caractère volontaire de sa déclaration et que celle‑ci aurait pu être jugée involontaire, il prétend qu’un nouveau procès s’impose.

[18]                          À mon avis, la portée de la règle des confessions ne devrait pas être accrue comme le préconise l’appelant. Plus particulièrement, et pour les raisons qui suivent, la règle ne devrait pas s’appliquer aux déclarations considérées lors d’un voir‑dire constitutionnel.

[19]                          Premièrement, les prétentions de l’appelant méconnaissent l’objet de l’examen auquel se livre le tribunal lors d’un voir‑dire constitutionnel et le fait que cet objet se distingue de celui d’un procès criminel, lequel se soucie de la culpabilité ou de la non‑culpabilité de la personne accusée d’une infraction, alors que le voir‑dire constitutionnel ne s’attache pas à la culpabilité de l’accusé, mais plutôt au respect ou non de ses droits constitutionnels. Le voir‑dire constitutionnel suppose donc l’analyse de la totalité des circonstances connues du représentant de l’État et sur lesquelles ce dernier s’est fondé au moment de prendre la mesure en cause. Plus précisément, seuls sont considérés l’état d’esprit et la conduite du représentant de l’État à ce moment précis, et la véracité de la déclaration à partir de laquelle il a agi ne l’est pas. C’est pourquoi la véracité d’une déclaration n’a pas d’incidence sur son admissibilité; l’examen s’attache plutôt à la question de savoir s’il était raisonnable que le représentant de l’État voie dans la déclaration un motif justifiant la mesure.

[20]                          L’importance de cette distinction entre l’objet du voir‑dire constitutionnel et celui du procès vaut également pour l’admissibilité d’autres types de preuve, dont le ouï‑dire, la preuve de mauvaise moralité ou de conduite antérieure indigne, le renseignement obtenu d’un indicateur anonyme, le renseignement protégé par un privilège ou, comme dans R. c. MacKenzie, 2013 CSC 50, [2013] 3 R.C.S. 250, par. 61‑62, l’opinion personnelle basée sur la formation et l’expérience. Ces types de preuve suscitent tous des craintes concernant soit la fiabilité, soit le respect de considérations de politique générale, de sorte qu’ils sont assujettis à des règles de preuve strictes qui font partiellement ou totalement obstacle à leur admissibilité au fond lors du procès. Cependant, de telles craintes n’entrent pas en jeu dans le cas d’un voir‑dire constitutionnel étant donné l’utilisation restreinte de l’élément de preuve, lequel ne porte en effet que sur l’état d’esprit et la conduite du représentant de l’État, non sur la fiabilité de l’élément de preuve pour statuer ultimement sur la culpabilité de l’accusé. Il s’ensuit qu’admettre en preuve une déclaration de l’accusé en vue d’une telle utilisation restreinte, sans établir au préalable son caractère volontaire, n’est pas contraire aux raisons d’être de la règle des confessions. Le souci qui sous‑tend celle‑ci, à savoir assurer l’équité du procès et éviter qu’une personne soit déclarée coupable à partir d’éléments de preuve intrinsèquement non fiables, n’entre tout simplement pas en jeu à l’étape du voir‑dire.

[21]                          En résumé, l’admission en preuve de la déclaration d’un accusé afin de statuer sur la constitutionnalité d’une mesure de l’État, et non sur la culpabilité de l’accusé, ne fait pas entrer en jeu la raison d’être de la règle des confessions. Appliquer cette règle aux éléments de preuve présentés lors d’un voir‑dire constitutionnel reviendrait à dénaturer aussi bien la règle que sa raison d’être.

[22]                          Deuxièmement, notre procédure pénale répond déjà à la crainte de l’appelant qu’un policier puisse obtenir un renseignement d’un témoin vulnérable par la contrainte. Permettre au ministère public de présenter une déclaration lors d’un voir‑dire constitutionnel sans en prouver le caractère volontaire diffère sensiblement de cautionner la conduite d’un policier qui obtient une déclaration involontaire sous la contrainte. Les prétentions de l’appelant créent une fausse dichotomie, car elles ne tiennent pas compte des autres protections juridiques contre les actes abusifs de l’État. Par exemple, l’obligation du ministère public de prouver que le policier s’est raisonnablement fondé sur la déclaration de l’accusé et qu’il a invoqué les motifs requis pour agir répond déjà à la crainte de l’appelant que les policiers puissent ne pas tenir compte de signes manifestes de non‑fiabilité, telle l’absence d’un état d’esprit conscient. De même, une technique policière coercitive ou par ailleurs abusive visant à soutirer un renseignement à l’accusé contre son gré serait soumise à un examen au regard de l’art. 7 , 8  ou 9  de la Charte . La preuve ainsi obtenue pourrait être écartée par application du par. 24(2) ou entraîner l’arrêt des procédures. En somme, la thèse de l’appelant ne justifie pas la crainte que les droits de l’accusé ne soient pas tout à fait conciliables avec le recours de l’État à une déclaration de l’accusé pour démontrer la constitutionnalité d’une étape de l’enquête.

[23]                          Enfin, appliquer la règle des confessions à la déclaration produite lors d’un voir‑dire constitutionnel aurait l’effet non souhaitable de faire obstacle aux pouvoirs d’enquête à la fois légitimes et nécessaires de la police. À titre d’exemple, et comme le fait remarquer l’intervenant le procureur général de l’Ontario, exiger des policiers qu’ils prouvent le caractère volontaire de la déclaration d’un accusé irait à l’encontre de l’arrêt R. c. Orbanski, 2005 CSC 37, [2005] 2 R.C.S. 3. Dans cet arrêt, la Cour opine que les policiers qui interceptent un conducteur sur la route peuvent, uniquement pour établir l’existence de motifs qui justifient l’ordre de fournir un échantillon dans un appareil de détection approuvé, s’appuyer sur les réponses obtenues de cet automobiliste sur sa consommation d’alcool. Un tel élément de preuve découle forcément, comme le dit la Cour, de la « participation directe et obligatoire » du conducteur (par. 58 (je souligne))[2] et serait inadmissible au procès pour prouver une capacité de conduite affaiblie. Néanmoins, l’objectif restreint de justifier une enquête plus approfondie, ainsi que l’absence de tout souci d’équité du procès et de fiabilité de la preuve, milite en faveur de l’admissibilité de l’élément lors d’un voir‑dire sur la constitutionnalité de l’enquête comme telle et, en particulier, sur le caractère raisonnable des motifs pour lesquels le policier a ordonné la fourniture d’un échantillon d’haleine.

[24]                          En effet, dans certains cas, l’application de la règle des confessions aux déclarations présentées dans le cadre d’un voir‑dire constitutionnel donnerait lieu à des situations absurdes. Les policiers devraient alors s’assurer du caractère volontaire des déclarations de pratiquement toutes les personnes qu’ils rencontrent lors d’une intervention d’urgence, que ce soit au moment de répondre à l’appel au service 9‑1‑1 ou à un autre moment au début d’une enquête, à un stade où l’on peut difficilement départager suspects et simples témoins. Lorsqu’une situation prend naissance et évolue rapidement, les policiers doivent pouvoir, dans les limites fixées par la Constitution, intervenir et enquêter avec diligence. La conséquence logique de la thèse de l’appelant serait la remise en question de pratiques policières élémentaires que nul ne conteste et qui sont tributaires des déclarations des suspects. Les enquêtes policières en seraient paralysées et la sécurité publique compromise, sans compter que la durée et la complexité des voir‑dire s’accroîtraient inutilement, tout cela uniquement, faut‑il le répéter, pour offrir à l’accusé des protections que notre procédure pénale prévoit déjà (comme je l’explique au par. 22).

[25]                          Au vu de ce qui précède, je suis d’avis que la Cour d’appel a raison de conclure que le ministère public n’avait pas à prouver le caractère volontaire de la déclaration de l’appelant selon laquelle il avait des mégots chez lui pour que cette déclaration puisse être admise en preuve lors du voir‑dire constitutionnel.

B.        L’urgence de la situation qui aurait rendu difficilement réalisable l’obtention d’un mandat justifiait‑elle l’entrée sans mandat dans la résidence de l’appelant?

(1)           Ce qu’il faut entendre par « urgence de la situation » et « difficilement réalisable »

[26]                          Nul ne conteste devant nous que l’entrée sans mandat des policiers chez l’appelant constituait une perquisition. Il nous faut toutefois décider si elle était justifiée par une « urgence de la situation » qui rendait « difficilement réalisable » l’obtention d’un mandat au sens du par. 11(7)  de la LRCDAS .

[27]                          Le texte du par. 11(7)  de la LRCDAS  est le suivant :

(7) L’agent de la paix peut exercer sans mandat les pouvoirs visés aux paragraphes (1), (5) ou (6) lorsque l’urgence de la situation rend son obtention difficilement réalisable, sous réserve que les conditions de délivrance en soient réunies.

 

(7) A peace officer may exercise any of the powers described in subsection (1), (5) or (6) without a warrant if the conditions for obtaining a warrant exist but by reason of exigent circumstances it would be impracticable to obtain one.

[28]                          Le paragraphe 11(1)  de la LRCDAS  autorise l’agent de la paix à exécuter une perquisition avec mandat en un lieu en vue notamment d’y saisir une substance désignée. Dans la présente affaire, le par. 11(7) a donc permis aux agents Dykeman et Bell d’effectuer une perquisition sans mandat chez l’appelant pour y rechercher une substance désignée dans la mesure où les conditions de délivrance du mandat étaient réunies (ce qui n’est pas contesté en l’espèce) et où l’urgence de la situation rendait difficilement réalisable l’obtention d’un mandat.

[29]                          En ce qui concerne la signification de l’expression « urgence de la situation », l’appelant invoque le par. 529.3(1)  du Code criminel , qui autorise un agent de la paix à pénétrer sans mandat dans une maison d’habitation pour y arrêter une personne s’il a des motifs raisonnables de croire que la personne s’y trouve, si « les conditions de délivrance du mandat [. . .] sont réunies et si l’urgence de la situation rend difficilement réalisable son obtention ». Suivant le par. 529.3(2), il y a notamment « urgence » lorsque l’agent de la paix, selon le cas :

                    a)   a des motifs raisonnables de soupçonner qu’il est nécessaire de pénétrer dans la maison d’habitation pour éviter à une personne des lésions corporelles imminentes ou la mort;

                    b)   a des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve relatifs à la perpétration d’un acte criminel se trouvent dans la maison d’habitation et qu’il est nécessaire d’y pénétrer pour éviter leur perte ou leur destruction imminentes.

[30]                          L’appelant soutient essentiellement qu’il faut recourir au par. 529.3(2)  du Code criminel  pour définir l’expression « urgence de la situation » employée au par. 11(7)  de la LRCDAS . Les policiers seraient dès lors tenus de démontrer qu’il était nécessaire de pénétrer dans les lieux soit pour éviter à une personne des lésions corporelles imminentes ou la mort, soit pour éviter la perte ou la destruction d’éléments de preuve relatifs à la perpétration d’un acte criminel. Or, les faits dont les agents Dykeman et Bell avaient connaissance avant leur entrée chez l’appelant ne leur permettaient pas de satisfaire à l’une ou l’autre de ces conditions.

[31]                          Je rejette la thèse de l’appelant. L’article 11  de la LRCDAS  ne comporte pas le libellé exprès du par. 529.3(2)  du Code criminel  qui rend la disposition applicable, lorsqu’il s’agit de préserver un élément de preuve, seulement en lien avec un acte criminel. Le Parlement, qui s’acquitte de sa fonction législative avec régularité et compétence dans l’exercice de son pouvoir en matière de droit criminel, aurait pu facilement assortir la perquisition sans mandat prévue au par. 11(7) des mêmes conditions que celles énoncées au par. 529.3(2). La décision de s’en abstenir n’a rien d’étonnant lorsque l’on compare le par. 529.3(2) aux autres dispositions du Code criminel  qui autorisent l’entrée sans mandat. Il s’agit là d’une considération importante, car interpréter une disposition législative revient à rechercher l’intention du législateur par l’examen des termes employés, considérés dans leur contexte global, en suivant le sens grammatical et ordinaire qui s’harmonise avec l’économie de la loi et son objet (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21). Par exemple, la disposition générale sur l’entrée sans mandat en raison de l’urgence de la situation (art. 487.11) et celle qui autorise l’entrée sans mandat dans un lieu pour y effectuer une perquisition et saisir des armes à feu ou d’autres armes lorsqu’il y a urgence de la situation (par. 117.02(1)) ne définissent pas l’expression « urgence de la situation ». Au vu de ces dispositions, aucune raison valable ne permet de conclure que le législateur a voulu que l’on recoure au par. 529.3(2)  du Code criminel  pour définir l’« urgence de la situation » visée au par. 11(7)  de la LRCDAS . Je refuse donc, malgré l’invitation de l’appelant en ce sens, à « faire “en interprétant” la loi ce que le législateur a choisi de ne pas faire en l’adoptant » (Société Radio‑Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615, par. 53).

[32]                          Cela dit, l’« urgence de la situation » a été reconnue dans des cas qui s’apparentaient beaucoup à ceux mentionnés dans la définition du par. 529.3(2). Les décisions de la Cour relatives à l’application de l’art. 10 de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, c. N‑1 (abrogée et remplacée par la LRCDAS ), lequel disposait qu’une perquisition pouvait être effectuée sans mandat, sauf dans une maison d’habitation, lorsque l’agent de la paix croyait, pour des motifs raisonnables, à la perpétration d’une infraction en matière de stupéfiants, est éclairante. Dans l’arrêt R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223 (« Grant 1993 »), la Cour statue que cette disposition respecte l’art. 8  de la Charte  lorsqu’elle fait l’objet d’une interprétation atténuée de façon à permettre la perquisition sans mandat seulement en situation d’urgence. La Cour opine qu’il y a situation d’urgence lorsqu’il existe « un risque imminent que les éléments de preuve soient perdus, enlevés, détruits ou qu’ils disparaissent si la fouille, la perquisition ou la saisie est retardée » (Grant 1993, p. 243; R. c. Feeney, [1997] 2 R.C.S. 13, par. 153, la juge L’Heureux‑Dubé, dissidente; R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297, par. 51, le juge La Forest, dissident). De même, elle estime par ailleurs qu’il y a « situation d’urgence quand une action immédiate est requise pour assurer la sécurité des policiers » (Feeney, par. 52; voir également, relativement aux fouilles et aux perquisitions visant à assurer la sécurité des policiers, R. c. MacDonald, 2014 CSC 3, [2014] 1 R.C.S. 37, par. 32, où la Cour affirme que ces fouilles et ces perquisitions constituent une réponse « à une situation dangereuse créée par une personne, situation à laquelle les policiers doivent réagir sous l’impulsion du moment »). Dans l’arrêt Feeney, la Cour ajoute au par. 47 qu’il peut y avoir situation d’urgence lorsqu’un policier prend un suspect « en chasse » (voir également R. c. Macooh, [1993] 2 R.C.S. 802, p. 820-821).

[33]                          Il appert de ce qui précède que l’« urgence de la situation » dont il est fait mention au par. 11(7) ne renvoie pas seulement à la commodité, à l’opportunité ou à l’économie de temps, mais bien à l’existence de circonstances pressantes propres à une situation qui requiert l’intervention immédiate des policiers soit pour préserver la preuve, soit pour assurer la sécurité des policiers ou celle du public. L’expression employée dans la version anglaise du par. 11(7) exigent circumstances — confirme cette interprétation.

[34]                          Par ailleurs, l’urgence de la situation ne justifie pas à elle seule la perquisition sans mandat d’une résidence sur le fondement du par. 11(7). Elle doit en effet rendre l’obtention d’un mandat « difficilement réalisable ». À cet égard, je ne puis malheureusement pas convenir avec la Cour d’appel que, pour l’application du par. 11(7), lorsque l’obtention d’un mandat est difficilement réalisable, il y a nécessairement urgence de la situation. Le libellé du par. 11(7) (« lorsque l’urgence de la situation rend [l’]obtention [d’un mandat] difficilement réalisable ») montre clairement que le caractère difficilement réalisable de l’obtention d’un mandat ne permet pas de conclure à l’urgence de la situation. L’urgence de la situation doit plutôt être établie pour que l’obtention d’un mandat puisse être jugée difficilement réalisable. Autrement dit, le caractère « difficilement réalisable », quel que soit le sens de l’expression, ne saurait justifier une perquisition sans mandat en application du par. 11(7) au motif qu’il en découle une urgence de la situation. Il faut plutôt établir que l’urgence de la situation a fait en sorte que l’obtention d’un mandat était difficilement réalisable.

[35]                          Selon l’appelant, la condition que l’« urgence de la situation » rende l’obtention d’un mandat « difficilement réalisable » commande en effet que [traduction] « les policiers n’aient alors d’autre choix que d’entrer dans une maison d’habitation ». En d’autres termes, il soutient que le caractère « difficilement réalisable » doit s’entendre de l’impossibilité. En revanche, le ministère public fait valoir que le critère applicable est beaucoup moins strict, de sorte que l’obtention d’un mandat ne doit être ni [traduction] « réaliste » (quoi que cela puisse vouloir dire) ni « pratique ».

[36]                          Les prétentions de l’appelant ne me convainquent pas que le qualificatif « difficilement réalisable » retenu par le législateur suppose l’application de la condition stricte de l’impossibilité. Celles du ministère public ne me convainquent pas non plus qu’il sera « difficilement réalisable » d’obtenir un mandat de perquisition du seul fait que ce sera « peu pratique ». Cependant, considéré dans le contexte du par. 11(7), dont le critère de l’urgence de la situation, le qualificatif « difficilement réalisable » suppose, tout bien considéré, l’application d’un critère plus strict voulant que l’obtention d’un mandat soit impossible dans les faits ou inenvisageable. Dans la version anglaise de la disposition, le terme correspondant à « difficilement réalisable » « impracticable » — se concilie également avec l’application d’une condition moins stricte que l’impossibilité mais plus stricte que celle du caractère « peu pratique »[3]. Dans cette optique, le qualificatif employé au par. 11(7) suppose que la nature urgente de la situation est telle que prendre le temps d’obtenir un mandat compromettrait sérieusement l’objectif de l’intervention policière, qu’il s’agisse soit de préserver la preuve, soit d’assurer la sécurité des policiers ou celle du public.

[37]                          Dès lors, pour que l’entrée sans mandat réponde aux exigences du par. 11(7), le ministère public doit démontrer qu’elle s’imposait en raison du caractère pressant de la situation, que les policiers se devaient d’intervenir sans délai soit pour préserver la preuve, soit pour assurer leur sécurité ou celle du public. De plus, ce caractère pressant doit avoir été tel que prendre le temps d’obtenir un mandat aurait sérieusement compromis ces impératifs.

(2)      La perquisition sans mandat effectuée sur le fondement du par. 11(7) était‑elle justifiée en l’espèce?

[38]                          Le juge du procès conclut que l’« urgence de la situation » tenait à deux choses en l’espèce. Premièrement, les policiers avaient [traduction] « des motifs raisonnables de croire à la présence d’une quantité quoique minime d’une substance désignée dans l’appartement de l’accusé » (par. 75). Deuxièmement, ils croyaient raisonnablement « que la substance désignée risquait d’être perdue, détruite ou consommée puisqu’ils ne comptaient pas arrêter l’accusé pour la possession de cette quantité de marihuana, de sorte que ce dernier serait demeuré dans l’appartement » (par. 75 (je souligne)). Le juge indique (au par. 76, citant R. c. Erickson, 2003 BCCA 693, 192 B.C.A.C. 203, par. 33) que cette situation a rendu l’obtention d’un mandat difficilement réalisable (à savoir, selon lui, « pas tout à fait impossible et assez pratique »), de sorte que l’intervention des policiers était justifiée au regard du par. 11(7). Arrivant à la même conclusion, la Cour d’appel fait remarquer que l’appelant a admis avoir de la marihuana chez lui, que les policiers ne comptaient pas l’arrêter mais seulement saisir les mégots puis quitter les lieux et que s’ils étaient allés chercher un mandat, [traduction] « l’appelant aurait pu aisément détruire les mégots » (par. 72).

[39]                          Soit dit en tout respect, le risque que l’appelant détruise des mégots que les policiers désiraient saisir « sans poursuite » et détruire eux‑mêmes, et ce, sans aucune conséquence juridique pour l’appelant, est loin de répondre au critère de l’urgence prévu au par. 11(7). Aucune circonstance pressante ne commandait une intervention immédiate pour préserver la preuve. Qui plus est, les circonstances dans lesquelles l’appelant a reconnu avoir en sa possession quelques mégots en partie consumés, jumelées à la volonté des policiers de saisir ces mégots sans poursuite, n’ont pas non plus rendu l’obtention d’un mandat difficilement réalisable. Obtenir un mandat était peut‑être inconvénient ou peu pratique, mais cela ne satisfaisait pas à l’exigence du par. 11(7). En l’espèce, les policiers auraient pu opter pour une mesure réalisable, soit arrêter l’appelant et obtenir un mandat les autorisant à entrer chez lui et saisir les mégots. Si, comme l’affirme le ministère public, la situation n’était pas suffisamment grave pour arrêter l’appelant et obtenir un mandat, elle ne l’était pas non plus pour entrer sans mandat dans une résidence privée.

[40]                          Reste la question de la sécurité des policiers. Comme le fait remarquer la Cour d’appel, l’agent Bell a suivi l’agent Dykeman à l’intérieur de l’appartement, car il se souciait de la sécurité de son collègue. Étant donné la possibilité évoquée par la mère de C.W. que l’appelant possède un fusil de chasse, la crainte de l’agent était fondée. Toutefois, ce n’est pas cette crainte qui a incité l’agent Dykeman à entrer chez l’appelant. Le policier a en effet témoigné qu’il se souciait de la sécurité de son collègue et qu’il craignait que l’appelant détruise les mégots, mais le juge du procès a estimé que la sécurité des policiers [traduction] « se rapportait en réalité à la tentative [des agents Dykeman et Bell] d’exécuter la saisie d’une façon moins attentatoire » (par. 80). Autrement dit, la crainte liée à la sécurité des policiers n’est pas à l’origine de la décision d’entrer sans mandat; c’est plutôt l’entrée sans mandat qui a fait naître cette crainte. Bien qu’elles soient fondées, la crainte de l’agent Dykeman et celle de l’agent Bell ne constituaient pas le fondement de la décision d’entrer dans la demeure, mais en étaient plutôt la conséquence. Il ne pouvait donc y avoir, à partir de ces faits, une urgence de la situation qui rendait l’obtention d’un mandat difficilement réalisable au sens du par. 11(7)  de la LRCDAS .

[41]                          Dès lors, l’entrée sans mandat des policiers chez l’appelant n’était pas autorisée au par. 11(7) de la LRCDAS et elle a porté atteinte à son droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives garanti par l’art. 8  de la Charte .

C.       Éléments de preuve écartés par application du par. 24(2)  de la Charte 

[42]                          Comme j’arrive à une conclusion différente de celle du juge du procès sur la constitutionnalité de l’entrée des policiers chez l’appelant, je ne défère pas à sa conclusion sur l’exclusion de la preuve par application du par. 24(2)  de la Charte  (R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353 (« Grant 2009 »), par. 129).

(1)      La gravité de l’atteinte de l’État à un droit constitutionnel

[43]                          Lorsqu’elle apprécie la gravité d’une mesure de l’État qui porte atteinte à un droit garanti par la Charte , la Cour doit situer cette conduite sur l’échelle de culpabilité. Comme elle l’explique dans Grant 2009, « l’utilisation d’éléments de preuve obtenus par suite de violations mineures ou commises par inadvertance peut ébranler minimalement la confiance du public à l’égard de la primauté du droit », alors que « celle d’éléments de preuve obtenus au mépris délibéré des droits garantis par la Charte  ou en ne s’en souciant pas aura nécessairement une incidence néfaste sur cette confiance et risquera de déconsidérer l’administration de la justice » (par. 74). Dans ses observations, le ministère public s’en remet implicitement à cette distinction, faisant valoir que [traduction] « les policiers comptaient entrer dans l’appartement uniquement pour saisir la marihuana et n’avaient pas de “dessein ultérieur” ».

[44]                          Mon collègue le juge Moldaver rappelle que, selon le juge du procès, les policiers ont agi de bonne foi (par. 66; motifs du juge du procès, par. 79). Certes, « le tribunal aura moins à se dissocier de la conduite de la police lorsque celle‑ci a agi de “bonne foi” » (Grant 2009, par. 75), mais les erreurs commises de bonne foi doivent être raisonnables (R. c. Buhay, 2003 CSC 30, [2003] 1 R.C.S. 631, par. 59). La Cour a bien dit qu’il ne peut y avoir de bonne foi en cas de négligence dans l’observation des normes constitutionnelles (Grant 2009, par. 75). Même lorsque l’atteinte à un droit garanti par la Charte  n’est pas le résultat d’un acte délibéré ou d’un abus systémique ou institutionnel, la Cour conclut qu’il est justifié d’écarter la preuve s’il y a eu violation manifeste d’une règle bien établie régissant la conduite de l’État (R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494, par. 24‑25).

[45]                          Mon collègue insiste aussi beaucoup (aux par. 78-92) sur le fait qu’il s’est agi d’une saisie « sans poursuite » et, plus particulièrement, sur le fait que cette caractéristique de la saisie est « cruciale [dans la décision des tribunaux inférieurs de] conclure à la légalité de l’entrée sans mandat des policiers chez l’appelant » (par. 76 et 80). C’est pourquoi, selon lui, nous serions saisis d’une affaire « sans précédent » (par. 77 et 88).

[46]                          Le juge du procès et la Cour d’appel relèvent effectivement l’intention des policiers d’effectuer une saisie « sans poursuite » lorsqu’ils examinent la bonne foi des policiers (motifs de première instance, par. 79) et le degré de l’atteinte qui a résulté de la perquisition par rapport à celui de l’atteinte qui aurait résulté d’une arrestation (motifs de la C.A., par. 72 et 74). Cela dit, ni le juge du procès ni la Cour d’appel n’y voient une question de droit inédite, et le ministère public n’allègue pas non plus qu’il s’agit d’une telle question, ce qui n’est guère étonnant. Là réside mon humble désaccord avec mon collègue : il ne s’agit tout simplement pas d’une affaire sans précédent. Les policiers ne sont pas intervenus dans un contexte juridique inconnu : leur intention d’effectuer une saisie « sans poursuite » importait peu en droit compte tenu des principes juridiques bien établis qui régissent le pouvoir des policiers d’entrer sans mandat dans une résidence. Le caractère déraisonnable présumé d’une perquisition sans mandat et l’attente élevée en matière de vie privée d’une personne à l’égard de sa résidence sous‑tendent depuis longtemps notre conception des justes rapports entre les citoyens et l’État. Qui plus est, la Cour exige depuis longtemps (voir les arrêts Grant 1993, Silveira et Feeney), en ce qui concerne l’urgence de la situation entraînant une entrée sans mandat, que le ministère public démontre l’existence d’une situation d’urgence, spécialement lorsque la perquisition est effectuée dans une résidence. Comme le fait observer la Cour dans l’arrêt Silveira, « [i]l n’existe aucun endroit au monde où une personne possède une attente plus grande en matière de vie privée que dans sa “maison d’habitation” » (par. 140). Dans le même ordre d’idées, le juge La Forest (dissident, mais non sur ce point) rappelle la grande valeur que la loi accorde à la protection de la maison d’une personne contre l’intrusion de l’État (par. 41) : il s’agit selon lui d’« un rempart assurant la protection du particulier contre l’État [qui] procure à l’individu une certaine mesure de vie privée et de tranquillité vis‑à‑vis du pouvoir atterrant de l’État ».

[47]                          Les faits de la présente affaire ne démontrent pas l’existence de circonstances pressantes ni même ne permettent de tirer une conclusion dans ce sens. Par conséquent, à supposer même que l’on fasse droit à la prétention du ministère public concernant l’absence de quelque [traduction] « dessein ultérieur », la conduite de l’État qui a intrinsèquement porté atteinte à un droit constitutionnel était, à mon avis et au vu de l’opinion exprimée antérieurement par la Cour sur le critère de l’urgence de la situation, suffisamment grave pour que l’on écarte les éléments de preuve obtenus grâce à elle.

(2)      L’incidence sur les droits constitutionnels de l’accusé

[48]                          Le deuxième examen que commande l’application du par. 24(2) porte sur la déconsidération de l’administration de la justice qui pourrait résulter de l’utilisation des éléments de preuve, sous l’angle de l’intérêt de la société dans le respect des droits garantis par la Charte . Il s’agit donc de déterminer le degré auquel l’atteinte a compromis le droit garanti par la Charte . Rappelons ce que dit la Cour dans Grant 2009, par. 76 :

                    [L’effet de l’atteinte à un droit constitutionnel] peut être passager ou d’ordre simplement formel comme il peut être profondément attentatoire. Plus il est marqué, plus l’utilisation des éléments de preuve risque de donner à penser que les droits garantis par la Charte , pour encensés qu’ils soient, ne revêtent pas d’utilité réelle pour les citoyens, ce qui engendrerait le cynisme et déconsidérerait l’administration de la justice.

[49]                          Par conséquent, lorsque le droit constitutionnel à la protection de la vie privée est en jeu (comme en l’espèce), l’atteinte qui se produit dans un contexte d’« attente [. . .] élevée en matière de vie privée » milite en faveur de l’exclusion de la preuve alors que, toutes les autres considérations étant par ailleurs égales, l’atteinte dans un contexte d’attente moindre en la matière ne milite pas autant dans ce sens. Comme le dit la Cour dans l’arrêt Grant 2009 : « La fouille ou perquisition abusive qui est effectuée dans un contexte d’attente raisonnablement élevée en matière de vie privée ou qui porte atteinte à la dignité individuelle est plus grave » (par. 78).

[50]                          Le ministère public reconnaît que l’entrée sans mandat chez l’appelant a constitué une [traduction] « atteinte relativement grave », mais il fait valoir que toute incidence sur les droits constitutionnels de l’appelant a été « atténuée par la relative brièveté de la perquisition initiale sans mandat et par la délimitation de son objet » puisque les policiers se sont retirés afin d’obtenir un mandat après avoir constaté la présence de l’arme à feu et des drogues. Je conviens avec lui que la décision des policiers d’obtenir un mandat avant de perquisitionner plus avant la résidence de l’appelant a empêché qu’une incidence sérieuse sur le droit à la protection de la vie privée ne s’aggrave encore, mais je conviens aussi qu’il s’est agi d’une « atteinte relativement grave » par rapport à d’autres. Il est bien établi qu’« [u]ne perquisition ou une fouille illégale dans un domicile sera donc considérée comme une violation plus grave à ce stade de l’analyse » (Grant 2009, par. 113). Je conclus dès lors que l’incidence de l’entrée sans mandat sur les droits de l’appelant garantis par l’art. 8  de la Charte  était grande, ce qui milite fortement en faveur de l’exclusion des éléments de preuve.

(3)      L’intérêt de la société dans l’instruction de l’affaire au fond

[51]                          Il nous faut encore examiner l’effet de l’utilisation des éléments de preuve sur l’intérêt public lié à l’instruction de l’affaire au fond. Il s’agit donc de se pencher sur la fiabilité des éléments et sur leur rôle dans la preuve exigée du poursuivant. Le ministère public soutient ce qui suit à cet égard :

                         [traduction] Enfin, l’intérêt de la société dans l’instruction de l’affaire au fond militait en faveur de l’utilisation des éléments de preuve. Écarter des éléments de preuve d’une si grande fiabilité, essentiels à la poursuite de l’auteur d’infractions graves en matière de drogues et d’armes à feu, compromettrait sérieusement la fonction de recherche de la vérité du procès et pourrait déconsidérer l’administration de la justice.

(m.i., par. 105)

[52]                          Les accusations portées contre l’appelant sont assurément graves. Aussi, je fais droit aux prétentions du ministère public : les éléments saisis sont d’une grande fiabilité et essentiels à la preuve du poursuivant, un constat qui milite fortement en faveur de leur admission en preuve malgré l’atteinte aux droits de l’appelant garantis à l’art. 8.

(4)           Les éléments de preuve devraient être écartés

[53]                          En résumé, sans être flagrante, la conduite des policiers dénote un écart marqué à une norme constitutionnelle bien établie. L’incidence de l’atteinte aux droits de l’appelant garantis à l’art. 8 est considérable puisqu’il y a eu intrusion là où l’appelant avait l’attente la plus élevée quant au respect de sa vie privée. Toutefois, la valeur probante des éléments de preuve aux fins de statuer sur la culpabilité de l’appelant est elle aussi considérable.

[54]                          Il s’agit d’un cas où il est difficile de trancher. Comme le souligne la Cour dans Grant 2009, « [l]a mise en balance requise par le par. 24(2) est de nature qualitative, la précision mathématique est donc impossible » (par. 140). En effet, puisque les facteurs énoncés dans l’arrêt Grant 2009 sont incommensurables l’un avec l’autre — il faut en effet soupeser la gravité de la conduite de l’État, la gravité de l’atteinte à un droit constitutionnel et l’incidence sur l’intérêt de la société dans l’instruction de l’affaire au fond —, la « mise en balance » ne constituera jamais une entreprise tout à fait objective. Il faut néanmoins arriver à une conclusion raisonnée. La destruction concrète de la preuve du ministère public pèse fortement dans la balance, mais il en va de même de l’entrée sans mandat dans une résidence privée afin d’empêcher l’appelant de détruire trois mégots que les policiers comptaient de toute façon détruire.

[55]                           Dans sa mise en balance de ces considérations, mon collègue invoque la gravité de l’infraction pour conclure qu’écarter la preuve est « beaucoup plus susceptible d’amener le public à perdre confiance dans notre système de justice criminelle » (par. 94). Il s’appuie toutefois sur une conception restrictive de la confiance du public que la Cour a déjà rejetée. Dans Grant 2009, la Cour signale en effet que « [la gravité de l’infraction] peut jouer dans les deux sens. [. . .][S]i la gravité d’une infraction accroît l’intérêt du public à ce qu’il y ait un jugement au fond, l’intérêt du public en l’irréprochabilité du système de justice n’est pas moins vital, particulièrement lorsque l’accusé encourt de lourdes conséquences pénales » (par. 84). Dans R. c. McGuffie, 2016 ONCA 365, 348 O.A.C. 365, par. 73, le juge Doherty explique de manière éclairante l’intérêt du public dans l’« irréprochabilité » du système de justice :

                    [traduction] D’une part, lorsque l’élément considéré est fiable et important quant à la preuve exigée du ministère public, on peut dire de la gravité de l’accusation qu’elle accroît l’intérêt de la société dans l’instruction de l’affaire au fond. D’autre part, le souci de la société de faire en sorte que les tribunaux ne paraissent pas cautionner l’inconduite policière et que les droits individuels soient pris au sérieux passe à l’avant‑plan lorsque les conséquences subies par ceux dont les droits ont été bafoués sont particulièrement graves . . . [Références omises.]

[56]                          Il importe donc de ne pas permettre que le troisième facteur de l’arrêt Grant 2009, à savoir l’intérêt de la société dans l’instruction de l’affaire au fond, l’emporte sur toutes les autres considérations, surtout lorsque (comme en l’espèce) la conduite reprochée est grave et a une grande incidence sur un droit constitutionnel de l’appelant. Dans la présente affaire, j’estime que l’importance de faire en sorte que pareille conduite ne soit pas cautionnée par les tribunaux milite en faveur de l’exclusion de la preuve. Comme le dit également le juge Doherty dans McGuffie, [traduction] « le tribunal ne peut dissocier convenablement le système de justice de l’inconduite policière et consolider l’engagement de la collectivité envers les droits individuels que protège la Charte  qu’en écartant la preuve. [. . .] Ce résultat malheureux est directement imputable à la manière dont les policiers ont décidé de se conduire » (par. 83).

[57]                          Après examen de ces facteurs séparément puis dans leur ensemble, j’estime qu’il convient d’écarter les éléments de preuve obtenus grâce à l’entrée chez l’appelant et à la perquisition des lieux, car leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

IV.         Conclusion

[58]                          Vu ma conclusion relative au par. 24(2), point n’est besoin de décider si le dépôt tardif d’un rapport incomplet rédigé selon la formule 5.2 pourrait constituer en soi une atteinte au droit garanti à l’art. 8  de la Charte  et si tel a été le cas en l’espèce.

[59]                          Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler les déclarations de culpabilité et d’inscrire des acquittements.

                    Version française des motifs des juges Moldaver et Gascon rendus par

[60]                          Le juge Moldaver — J’ai pris connaissance des motifs de mon collègue le juge Brown et je souscris à son analyse ainsi qu’à sa conclusion au sujet du caractère volontaire de la déclaration. Je conviens aussi avec lui que l’entrée des policiers chez l’appelant a porté atteinte au droit de ce dernier à la protection de sa vie privée garanti par l’art. 8  de la Charte canadienne des droits et libertés . En revanche, je ne peux malheureusement pas faire mienne son analyse, au regard du par. 24(2)  de la Charte , de l’admissibilité en preuve des armes à feu et des drogues saisies chez l’appelant. À mon avis, ces objets ont été admis en preuve à juste titre, et je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi. Par ailleurs, à l’instar de mon collègue, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de trancher les questions relatives au rapport rédigé selon la formule 5.2 et destiné à un juge de paix, sauf pour signaler que, même si le dépôt tardif d’un rapport incomplet avait effectivement porté atteinte au droit garanti à l’appelant par l’art. 8  de la Charte , cette atteinte aurait eu lieu par inadvertance et n’aurait eu aucune incidence sur son intérêt en matière de respect de la vie privée. Pareille atteinte n’aurait donc pu faire pencher la balance de manière à écarter la preuve par application du par. 24(2).

I.          Faits à l’origine du litige

[61]                          Mon collègue résume les faits à l’origine du pourvoi et je ne vois pas l’utilité de les exposer à mon tour. J’estime toutefois important de revenir sur les infractions précises dont l’appelant a été reconnu coupable, ainsi que sur les divers éléments de preuve que les policiers ont saisis à son appartement. Il me paraît également important de rappeler les observations et les conclusions de fait du juge du procès sur la conduite des policiers.

A.            Infractions reprochées et éléments de preuve saisis

[62]                          L’appelant a été accusé de neuf infractions, dont cinq en matière de drogues et quatre liées à la possession illégale d’une arme de poing. Les accusations ont toutes été portées à partir des éléments de preuve recueillis chez lui.

[63]                          Voici les éléments de preuve à l’origine des accusations en matière de drogues :

a)                 825 grammes de cocaïne d’une valeur de 31 200 $ sur le marché de gros (possession en vue d’en faire le trafic);

b)                200 grammes de méthamphétamine d’une valeur de 5 850 $ sur le marché de gros (possession en vue d’en faire le trafic);

c)                 9 000 comprimés d’ecstasy d’une valeur de 17 466 $ sur le marché de gros (possession en vue d’en faire le trafic);

d)                une petite quantité de marihuana (possession simple);

e)                 une petite quantité d’oxycodone (possession simple).

[64]                          Voici les éléments de preuve à l’origine des accusations relatives à une arme à feu :

a)                                 un revolver Smith & Wesson spécial de calibre 38 (arme à feu prohibée), chargé;

b)                                 un pistolet semi‑automatique Ruger P85 9 mm (arme à feu à autorisation restreinte), chargé;

c)                                 un pistolet semi‑automatique Ruger P90 de calibre 45 (arme à feu à autorisation restreinte), chargé;

d)                                 un pistolet semi‑automatique 1M1 Desert Eagle Remington Magnum de calibre 44 (arme à feu à autorisation restreinte), chargé.

[65]                          Outre ces objets, 4 655 $ en espèces ont été découverts sur l’appelant lors de son arrestation. Une somme supplémentaire de 30 000 $ a été trouvée dans une boîte sous un canapé du salon. Un gilet pare‑balles se trouvait sur le même canapé.

B.            Conduite des policiers

[66]                          Dans la décision rendue à l’issue du voir‑dire sur l’admissibilité des éléments de preuve saisis chez l’appelant, le juge du procès conclut que les policiers ont agi de bonne foi lorsqu’ils sont entrés dans la demeure. Il rejette expressément la thèse de la défense selon laquelle il s’agissait d’une ruse. Voici ce qu’il dit :

                    [traduction] Nul élément de la preuve offerte en l’espèce ne permet de conclure à la mauvaise foi ou à quelque dessein ultérieur comme lorsque l’intention déclarée des policiers n’est qu’un prétexte ou une ruse pour s’introduire dans les lieux et y jeter un coup d’œil. La preuve ne permet aucunement de tirer une conclusion en ce sens.

(2011 BCSC 1728, par. 79 (CanLII))

Le juge du procès estime plutôt que les policiers ont entrepris une saisie « sans poursuite », c’est‑à‑dire qu’ils comptaient seulement recueillir les mégots de marihuana et quitter les lieux sans arrêter l’appelant ou faire porter d’accusations contre lui.

[67]                          Pour conclure que les policiers ont toujours agi de bonne foi, le juge du procès fait observer que, dans leurs échanges avec l’appelant, ils se sont comportés d’une manière qui [traduction] « témoignait d’un certain respect pour son droit à la protection de sa vie privée », que, au départ, l’entrée a été « très brève et relativement peu attentatoire » et que, après avoir aperçu l’arme de poing et les comprimés d’ecstasy bien en vue, « ils ont mis fin à la perquisition (sauf pour s’assurer de l’absence d’autres personnes sur les lieux et pour les besoins de leur propre sécurité) afin d’aller demander un mandat » (par. 121). Enfin, le juge du procès ajoute foi aux témoignages des policiers suivant lesquels des préoccupations valables liées à la sécurité les empêchaient d’attendre dans le couloir, à l’extérieur, devant la porte, le temps que l’appelant récupère lui‑même les mégots de marihuana.

II.        Analyse

[68]                          En l’espèce, l’entrée sans mandat des policiers chez l’appelant est régie par le par. 11(7)  de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances , L.C. 1996, c. 19  (« LRCDAS  »), dont voici le libellé dans ses versions française et anglaise :

(7) L’agent de la paix peut exercer sans mandat les pouvoirs visés aux paragraphes (1), (5) ou (6) lorsque l’urgence de la situation rend son obtention difficilement réalisable, sous réserve que les conditions de délivrance en soient réunies.

 

(7) A peace officer may exercise any of the powers described in subsection (1), (5) or (6) without a warrant if the conditions for obtaining a warrant exist but by reason of exigent circumstances it would be impracticable to obtain one.

[69]                          Nul ne conteste que les policiers avaient le pouvoir légal de saisir les mégots et que les conditions de délivrance d’un mandat étaient réunies. La légalité de l’entrée sans mandat et l’admissibilité de la preuve saisie au regard du par. 24(2)  de la Charte  forment l’axe central du pourvoi.

[70]                          La légalité de l’entrée des policiers tient au respect des critères qui correspondent à l’« urgence de la situation » et au caractère « difficilement réalisable ». Contrairement à ce que concluent le juge du procès et les trois juges de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (2015 BCCA 205, 372 B.C.A.C. 148), le juge Brown estime — et j’en conviens avec lui — que ces critères n’ont pas été respectés et que l’entrée des policiers a porté atteinte au droit de l’appelant à la protection de sa vie privée garanti par l’art. 8. Toutefois, pour arriver à sa conclusion, mon collègue affirme non seulement que l’entrée était illégale, mais aussi que les policiers savaient ou auraient dû savoir qu’elle l’était, autrement dit qu’ils auraient dû savoir ce qu’ignoraient le juge du procès et les trois juges de la Cour d’appel.

[71]                          Mon collègue se penche ensuite sur le par. 24(2)  de la Charte  et conclut que les actes des policiers ayant porté atteinte au droit garanti à l’appelant par l’art. 8 ont été à ce point graves et que l’incidence sur son intérêt en matière de respect de la vie privée a été à ce point importante que l’administration de la justice serait susceptible d’être déconsidérée si les armes et les drogues, ainsi que les autres éléments saisis par les policiers, étaient admis en preuve, et ce, malgré les conclusions catégoriques du juge du procès — que nul ne conteste — selon lesquelles les policiers ont toujours agi de bonne foi et voulu éviter à l’appelant une arrestation pour quelques mégots de marihuana qu’ils comptaient saisir « sans poursuite ».

[72]                          Je considère l’affaire sous un angle bien différent. Dans ce genre de dossier, il incombe à la Cour de clarifier le droit applicable afin que policiers, avocats de la défense, procureurs de la Couronne, juges de première instance et d’appel, de même que citoyens en général, puissent savoir quel est le droit applicable et comment il s’appliquera à l’avenir. Il ne lui appartient pas de juger la conduite des policiers à l’aune d’une norme qui échappe au discernement et aux connaissances de juges de première instance et d’appel chevronnés.

[73]                          Pour les besoins de la clarification du droit applicable, je concède que les policiers ne pouvaient se prévaloir du par. 11(7)  de la LRCDAS  au vu des faits de l’espèce. Trois possibilités s’offraient en fait à eux : (1) tenter d’obtenir le consentement légal de l’appelant à ce qu’ils entrent chez lui et saisissent les mégots, (2) arrêter l’appelant et obtenir un mandat les autorisant à perquisitionner chez lui et saisir les mégots ou (3) abandonner la partie et quitter les lieux, et manquer ainsi à leur devoir de saisir une substance illicite, ne serait‑ce que pour la consigner puis la détruire.

[74]                          Cela dit, il est à mon humble avis injuste de blâmer la conduite des policiers alors que, jusqu’à ce que la Cour se prononce aujourd’hui, les paramètres d’application du par. 11(7) dans le cas d’une saisie « sans poursuite » étaient au mieux flous. Il suffit de consulter les décisions des tribunaux inférieurs pour le constater.

[75]                          Le juge Brown adopte un point de vue différent. Il ne considère pas que le recours à une saisie « sans poursuite » conférait quelque nouveauté à l’analyse juridique que commande le par. 11(7). Selon lui, les policiers « ne sont pas intervenus dans un contexte juridique inconnu » (par. 46). Il ajoute :

                         . . . le risque que l’appelant détruise des mégots que les policiers désiraient saisir « sans poursuite » et détruire eux‑mêmes, et ce, sans aucune conséquence juridique pour l’appelant, est loin de répondre au critère de l’urgence prévu au par. 11(7). [Je souligne; par. 39.]

[76]                          Je ne peux souscrire à l’analyse de mon collègue. Il recourt à un raisonnement a posteriori sur un sujet qui revêt une certaine complexité, à savoir l’interprétation du par. 11(7) dans le cas d’une saisie « sans poursuite », et il met à mal le raisonnement des tribunaux inférieurs dans lequel la caractéristique « sans poursuite » de la saisie est cruciale pour conclure à la légalité de l’entrée sans mandat des policiers chez l’appelant.

[77]                          Il n’est pas étonnant que les tribunaux inférieurs mettent l’accent sur la caractéristique « sans poursuite » de la saisie. Pour autant que je sache, c’est la première fois qu’une cour de justice était appelée à interpréter le par. 11(7) en lien avec une saisie « sans poursuite ». Autrement dit, il s’agit d’une affaire sans précédent. Les tribunaux inférieurs devaient, de même que la Cour aujourd’hui, se prononcer pour la première fois sur la signification et l’application des expressions « urgence de la situation » et « difficilement réalisable » employées au par. 11(7) dans le cas d’une saisie « sans poursuite ». Et comme je l’explique plus loin, leurs décisions sont à la fois réfléchies et bien étayées même si la Cour les juge aujourd’hui erronées.

A.            Motifs du juge du procès

[78]                          Pour conclure que le ministère public a établi l’urgence de la situation, le juge du procès examine quelques arrêts de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique et attribue à l’expression « urgence de la situation » une signification assez semblable à celle que retient mon collègue. Voici comment il explique ensuite que, selon lui, il y avait urgence de la situation au vu des faits de l’espèce :

                         [traduction] . . . dans la présente affaire, les policiers (1) avaient des motifs raisonnables de croire à la présence d’une quantité — quoique minime — d’une substance désignée dans l’appartement de l’accusé, en raison de l’odeur remarquée à l’ouverture d’une porte et de l’aveu de l’accusé, de sorte qu’ils disposaient de motifs pour obtenir un mandat de perquisition, et ils (2) avaient la croyance raisonnablement fondée que la substance désignée risquait d’être perdue, détruite ou consommée puisqu’ils ne comptaient pas arrêter l’accusé pour la possession de cette quantité de marihuana, de sorte que ce dernier serait demeuré dans l’appartement. Je suis donc convaincu que les conditions auxquelles il y a « urgence de la situation » sont réunies. [Je souligne; par. 75.]

[79]                          Le juge se penche ensuite sur le caractère difficilement réalisable de l’obtention d’un mandat dans les circonstances. Inspirée de l’arrêt R. c. Erickson, 2003 BCCA 693, 192 B.C.A.C. 203, sa définition de « difficilement réalisable » correspond à [traduction] « pas tout à fait impossible et assez pratique, qui relève du bon sens » (par. 76, citant Erickson, par. 33). Voici ce qu’il ajoute au par. 77 :

                         [traduction] . . . j’arrive à la conclusion que, vu l’urgence de la situation en l’espèce, l’obtention d’un mandat de perquisition était difficilement réalisable, si bien que la saisie de la substance désignée en application du par. 11(7)  de la LRCDAS  était justifiée.

[80]                          On constate que la caractéristique « sans poursuite » de la saisie joue un rôle crucial dans la conclusion du juge du procès selon laquelle il y avait urgence de la situation et celle‑ci rendait difficilement réalisable l’obtention d’un mandat par les policiers avant d’entrer chez l’appelant. Dire que cette caractéristique est sans importance pour trancher les points de droit en l’espèce comme le fait mon collègue revient à faire fi du raisonnement explicite du juge à l’effet contraire.

B.            Motifs de la Cour d’appel

[81]                          Les propos de mon collègue ne se concilient pas non plus avec le raisonnement de la Cour d’appel. Comme le juge du procès, la Cour d’appel s’interroge sur la signification des expressions « urgence de la situation » et « difficilement réalisable ». De fait, pour définir la première, elle invoque et cite deux des trois arrêts que mon collègue juge incontournables, soit R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223, et R. c. Feeney, [1997] 2 R.C.S. 13.

[82]                          Se rangeant à l’avis du juge du procès selon lequel il y avait urgence de la situation au vu des faits de l’espèce, la Cour d’appel examine la thèse de l’appelant selon laquelle les policiers, en agissant comme ils l’ont fait, ont créé de toutes pièces une urgence de la situation et rendu l’obtention d’un mandat difficilement réalisable. Elle rejette la prétention en s’appuyant sur la décision R. c. M. (N.) (2007), 223 C.C.C. (3d) 417 (C.S.J. Ont.), dans laquelle le juge Hill répertorie (au par. 232) tous les arrêts de principe, dont R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297, auquel renvoie d’ailleurs mon collègue, qui portent sur des situations pressantes créées de toutes pièces par les policiers.

[83]                          Puis, la Cour d’appel se demande s’il y avait urgence de la situation et, au par. 72, elle fait sienne la conclusion du juge du procès :

                         [traduction] Comme il existait nettement des motifs d’arrêter M. Paterson et d’obtenir un mandat, j’examine maintenant le par. 11(7)  de la LRCDAS . Pour décider de la justesse de la conclusion du juge du procès selon laquelle le par. 11(7)  de la LRCDAS  s’appliquait, je me demande d’abord s’il y avait urgence de la situation. À mon avis, il y en avait assurément une. Les policiers avaient perçu une odeur de marihuana, et M. Paterson avait reconnu avoir de la marihuana chez lui. M. Paterson se trouvait dans l’appartement, et les policiers ne comptaient pas l’arrêter. Je signale incidemment que le juge du procès est conscient de la possibilité que les policiers aient pu créer une situation qui leur aurait permis d’entrer dans l’appartement sans mandat et qu’il conclut que tel n’a pas été le cas. Il ajoute foi à leurs témoignages selon lesquels ils voulaient seulement saisir les « mégots » puis, s’agissant d’une saisie « sans poursuite », quitter les lieux. S’ils étaient allés chercher un mandat tandis que M. Paterson demeurait sur place, ce dernier aurait pu aisément détruire les mégots. [Je souligne.]

Il est donc manifeste que la caractéristique « sans poursuite » de la saisie a joué un rôle central dans l’analyse de la Cour d’appel relative à l’« urgence de la situation ».

[84]                          La Cour d’appel se penche ensuite sur l’expression « difficilement réalisable », qu’elle définit conformément à sa décision dans l’affaire Erickson. Puis elle revient sur la portée de la saisie « sans poursuite » pour formuler une remarque importante:

                         [traduction] Dans la présente affaire, les policiers auraient été contraints d’arrêter M. Paterson, ce qui aurait plus porté atteinte à ses droits à la liberté, puis d’obtenir un mandat les autorisant à saisir les mégots. Ils ont soupesé ces possibilités et conclu qu’il s’agissait d’une démarche peu pratique (ce terme est le mien) dans le cadre de ce qui devait constituer — croyaient‑ils — une saisie « sans poursuite ». Le juge du procès en conclut que l’obtention d’un mandat était difficilement réalisable, et rien ne justifie d’écarter sa conclusion. [Je souligne; par. 74.]

[85]                          En d’autres termes, la Cour d’appel estime que, en agissant comme ils l’ont fait, les policiers ont soupesé les possibilités qui s’offraient à eux dans le cas d’une saisie « sans poursuite » — (1) arrêter l’appelant ou (2) entrer chez lui sans mandat à une fin bien circonscrite — et retenu la seconde, qui leur paraissait moins attentatoire et plus respectueuse des droits constitutionnels de l’appelant que la première.

C.            L’admissibilité de la preuve au regard du par. 24(2)

[86]                          Au vu de ces observations du plus haut tribunal de la Colombie‑Britannique, je ne saurais convenir avec mon collègue que la caractéristique « sans poursuite » de la saisie n’ajoute aucun élément de nouveauté à l’analyse juridique. Je passe donc à la particularité du présent dossier — l’incertitude juridique — qui me paraît cruciale pour décider si la conduite des policiers a été si grave et si attentatoire au droit de l’appelant à la protection de sa vie privée qu’il faut écarter par application du par. 24(2)  de la Charte  la preuve constituée des drogues et des armes à feu chargées trouvées chez lui au motif que son admission serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[87]                          Je reconnais d’emblée que l’entrée des policiers chez l’appelant était illégale. Pour le dire en peu de mots, il n’y avait pas de risque immédiat de destruction des mégots auquel les policiers ne pouvaient faire obstacle sans recourir à une entrée sans mandat. En d’autres termes, il n’existait pas d’urgence de la situation. Selon moi, le mot « urgence » suppose l’existence de circonstances pressantes, sans plus, et il n’y en avait pas vraiment en l’espèce. Les policiers auraient pu arrêter l’appelant puis obtenir un mandat autorisant la perquisition de son appartement. La démarche aurait certes été peu commode et emporté une atteinte d’une certaine importance au droit de l’appelant à la liberté, d’autant plus qu’il devait s’agir d’une saisie « sans poursuite » et que les policiers ne comptaient pas faire porter d’accusations contre l’appelant. Cependant, le caractère peu commode de la démarche et la privation de liberté qui en aurait découlé ne sauraient donner lieu à une urgence de la situation alors qu’il n’y en a pas. Rappelons que trois possibilités s’offraient aux policiers dans les circonstances : (1) demander à l’appelant de consentir légalement à ce qu’ils entrent chez lui et saisissent les mégots, (2) arrêter l’appelant puis obtenir un mandat de perquisition ou (3) laisser tomber et partir sans les mégots, et manquer ainsi à leur devoir de saisir une substance illicite, ne serait‑ce que pour la consigner puis la détruire.

[88]                          Cela dit, l’analyse juridique de la notion d’urgence pour les besoins du par. 11(7) dans le cas d’une saisie « sans poursuite » ne me paraît pas du tout simple ou évidente. Je me suis d’ailleurs attaché à démontrer comment la caractéristique « sans poursuite » de la saisie occupe une grande place dans la décision du juge du procès et dans celle de la Cour d’appel, ce qui est d’ailleurs fort compréhensible. Je le répète, il s’agit d’une affaire sans précédent. Le droit applicable n’était pas établi lorsque les policiers sont entrés chez l’appelant. Il suffit pour s’en rendre compte de comparer l’analyse que notre Cour en fait avec celles qu’en font les tribunaux inférieurs.

[89]                          Mon collègue n’est pas d’accord. Il estime qu’il ne s’agit pas d’une affaire sans précédent. Aucune question de droit inédite ne se pose. Les policiers ne sont pas intervenus dans un « contexte juridique inconnu » (par. 46). Ils étaient bien au fait des principes juridiques qui régissaient leur entrée dans un lieu d’habitation pour y effectuer une saisie « sans poursuite » et, en s’introduisant chez l’appelant sans mandat, ils ont soit délibérément manqué à ces principes bien établis, soit fait abstraction de ceux‑ci (par. 45-46). Il ajoute que la caractéristique « sans poursuite » de la saisie n’occupe pas une grande place dans l’analyse juridique qui amène le juge du procès et la Cour d’appel à conclure à la légalité de l’entrée des policiers. Les deux tribunaux la « relèvent » plutôt, sans plus, « lorsqu’ils examinent la bonne foi des policiers [. . .] et le degré de l’atteinte qui a résulté de la perquisition par rapport à celui de l’atteinte qui aurait résulté d’une arrestation » (par. 46 (référence omise)). Comme les policiers, ils connaissaient parfaitement la teneur du droit applicable, lequel était clair et établi.

[90]                          En ce qui concerne les policiers, mon collègue s’appuie sur ce raisonnement pour montrer le caractère gravissime de leur inconduite : ils savaient ou auraient dû savoir qu’ils ne pouvaient entrer chez l’appelant sans mandat et ils sont quand même entrés chez lui en faisant preuve d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de son droit à la protection de sa vie privée. Toutefois, il n’explique pas (et ne peut expliquer) que les tribunaux inférieurs, qui étaient aussi très au fait du droit établi, n’ont pas appliqué celui‑ci.

[91]                          Soit dit en tout respect, la raison en est simple. Le droit applicable à une saisie « sans poursuite » dans le contexte de l’application du par. 11(7) n’était ni clair ni établi. Les décisions du juge du procès et de la Cour d’appel en font foi. Elles montrent de manière claire et concluante que les deux tribunaux accordent une grande importance à la caractéristique « sans poursuite » de la saisie pour conclure à la légalité de l’entrée des policiers chez l’appelant. Malgré ses prétentions à l’effet contraire, mon collègue ne peut citer à l’appui une seule décision portant ne serait‑ce que sur la caractéristique « sans poursuite » d’une saisie en pareil contexte, encore moins une décision qui établirait le droit applicable.

[92]                          Ainsi, contrairement à ce que conclut mon collègue, la présente affaire fait ressortir la signification incertaine des expressions « urgence de la situation » et « difficilement réalisable » employées au par. 11(7) dans le cas d’une saisie « sans poursuite ». J’insiste sur cette incertitude, car ces dernières années, notre Cour a statué avec constance que les tribunaux peuvent tenir compte de l’incertitude juridique lorsqu’ils apprécient la gravité d’une atteinte policière à un droit garanti par la Charte . Lorsque le droit évolue ou qu’il est incertain, et lorsque l’on conclut que les policiers ont agi de bonne foi, sans méconnaissance ou mépris délibéré des droits constitutionnels de l’accusé, la gravité de l’atteinte peut en être atténuée (voir R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34, par. 86‑89; R. c. Aucoin, 2012 CSC 66, [2012] 3 R.C.S. 408, par. 50; R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657, par. 69 et 71; R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212, par. 77; et R. c. Fearon, 2014 CSC 77, [2014] 3 R.C.S. 621, par. 93‑95).

[93]                          Cela correspond en tous points à la situation en l’espèce. La gravité de l’atteinte est selon moi nettement atténuée par la portée incertaine du par. 11(7)  de la LRCDAS  dans le cas d’une saisie « sans poursuite » et par les conclusions catégoriques du juge du procès selon lesquelles les policiers ont toujours agi de bonne foi.

[94]                          Et dès lors que la gravité de la conduite des policiers est dûment mise en balance avec la fiabilité incontestée des éléments de preuve saisis et avec l’intérêt de la société dans l’instruction de l’affaire au fond, l’analyse fondée sur le par. 24(2) aboutit selon moi à un résultat qui milite en faveur de l’admission en preuve des éléments en cause. Malgré leur bonne foi, les policiers ont commis l’erreur de se croire autorisés par le par. 11(7) à entrer chez l’appelant dans le cadre d’une saisie « sans poursuite »; ils ont commis la même erreur que le juge du procès et la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique. Partant, je ne vois pas comment l’admission des éléments de preuve recueillis chez l’appelant saperait la confiance du public dans le système de justice criminelle et déconsidérerait l’administration de la justice. En réalité, c’est plutôt l’exclusion d’éléments de preuve fiables et cruciaux susceptibles d’établir la perpétration par l’appelant d’infractions très graves en matière d’armes à feu et de drogues qui est beaucoup plus susceptible d’amener le public à perdre confiance dans notre système de justice criminelle.

[95]                          Pour arriver à cette conclusion, je reconnais que l’entrée des policiers chez l’appelant a eu une incidence importante sur son intérêt en matière de respect de la vie privée. Je signale toutefois que les éléments de preuve en cause pouvaient être découverts légalement. S’ils avaient obtenu un mandat les autorisant à saisir les mégots, les policiers auraient découvert les drogues et les armes à feu. Étant donné qu’ils ont toujours fait preuve de bonne foi et qu’ils n’ont pas délibérément porté atteinte aux droits constitutionnels de l’appelant, il y a atténuation de l’incidence de l’atteinte sur l’intérêt de l’appelant en matière de vie privée (Cole, par. 89 et 93). Je ne suis donc pas convaincu que cette incidence suffit à faire pencher la balance de manière à écarter les éléments de preuve en cause.

[96]                          En somme, c’est le cumul de l’incertitude juridique, de la bonne foi des policiers, de la possibilité de découvrir une preuve essentielle à la tenue d’un procès au fond et de la fiabilité d’une telle preuve qui permet de conclure la mise en balance en statuant que la preuve est admissible.

[97]                          Même si j’estime que les drogues et les armes saisies devraient être admises en preuve, je ne cautionne pas l’inconduite des policiers ni ne prends à la légère les droits individuels de l’appelant. Il faut certes faire preuve de vigilance dans la protection des citoyens contre l’inconduite policière délibérée et même, parfois, celle qui résulte de la négligence. Mais nous n’avons pas affaire à un tel cas. Écarter des éléments fiables requis pour prouver la perpétration d’infractions criminelles graves lorsque les policiers, malgré leur bonne foi, ont cru à tort qu’ils pouvaient entrer sans mandat chez l’appelant — ce qu’ont également cru à tort le juge du procès et la Cour d’appel — ne favorise en rien la confiance du public dans l’administration de la justice. Au contraire, c’est trahir cette confiance.

[98]                          Néanmoins, dans un cas comme celui dont nous sommes saisis où il y a eu atteinte importante à l’intérêt de l’appelant en matière de respect de la vie privée, malgré l’incertitude du droit et la bonne foi des policiers, je n’exclus pas la possibilité d’une autre réparation, fondée sur le par. 24(1)  de la Charte , que celle d’écarter la preuve prévue au par. 24(2)  de la Charte ; il pourrait par exemple y avoir réduction de la peine infligée. Mais l’appelant n’a pas fait valoir cette possibilité et il faudra statuer sur elle dans un dossier ultérieur.

III.          Conclusion

[99]                          Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

                    Pourvoi accueilli, déclarations de culpabilité annulées et acquittements inscrits, les juges Moldaver et Gascon sont dissidents.

                    Procureurs de l’appelant : Sprake Song & Konye, Vancouver; Kenneth S. Westlake, Vancouver; Anderson Criminal Law, Vancouver.

                    Procureur de l’intimée : Service des poursuites pénales du Canada, Vancouver.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Procureur général de l’Alberta, Calgary.

                    Procureurs de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association : Blake, Cassels & Graydon, Vancouver.

 



[1]  À ce sujet, je ne peux malheureusement souscrire à l’affirmation de la Cour d’appel (au par. 57) selon laquelle la règle des confessions [traduction] « permet de faire obstacle à l’admission de faux aveux ». La véracité de la déclaration en cause importe peu aux fins de l’examen.

[2]  Le procureur général de l’Ontario signale que, dans l’affaire R. c. Soules, 2011 ONCA 429, 105 O.R. (3d) 561, invoquée par l’appelant, les policiers ont été empêchés d’utiliser à quelque fin que ce soit les déclarations obtenues de l’accusé en vertu d’une obligation légale, y compris pour établir l’existence de motifs d’approfondir l’enquête. Sans me prononcer sur le bien‑fondé de l’arrêt Soules, je ferai remarquer que, dans Orbanski, la Cour est catégorique : les policiers peuvent utiliser une déclaration obtenue lors d’un contrôle routier à la fin susmentionnée.

[3]  Je précise toutefois que cette interprétation de l’expression « difficilement réalisable » ne vaut que pour l’application du par. 11(7) de la LRCDAS et les conditions auxquelles une perquisition peut être effectuée sans mandat. Elle ne vaut pas pour l’emploi du terme « impracticable » dans d’autres dispositions pénales, surtout lorsque la version française du terme est différente. Par exemple, le par. 184.3(1)  du Code criminel  permet d’obtenir un télémandat pour intercepter une communication privée si les circonstances rendent « peu commode » (et non « difficilement réalisable ») pour le demandeur de se présenter devant le juge. De même, le par. 487.1(4)  du Code criminel  exige que la dénonciation présentée en vue d’obtenir un télémandat comporte « un énoncé des circonstances qui rendent peu commode [et non “difficilement réalisable”] pour l’agent de paix de se présenter devant le juge de paix ». Dans ces trois dispositions, le terme correspondant de la version anglaise est « impracticable ».

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