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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Oland, 2017 CSC 17, [2017] 1 R.C.S. 250

Appel entendu : 31 octobre 2016

Jugement rendu : 23 mars 2017

Dossier : 36986

 

Entre :

Dennis James Oland

Appelant

 

et

 

Sa Majesté la Reine

Intimée

 

- et -

 

Procureur général de l’Ontario, procureur général de la Colombie-Britannique, procureur général de l’Alberta et Criminal Lawyers’ Association (Ontario)

Intervenants

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 70)

Le juge Moldaver (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe)

 

 

 


R. c. Oland, 2017 CSC 17, [2017] 1 R.C.S. 250

Dennis James Oland                                                                                        Appelant

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                           Intimée

et

Procureur général de l’Ontario,

procureur général de la Colombie‑Britannique,

procureur général de l’Alberta et

Criminal Lawyers’ Association (Ontario)                                                  Intervenants

Répertorié : R. c. Oland

2017 CSC 17

No du greffe : 36986.

2016 : 31 octobre; 2017 : 23 mars.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe.

en appel de la cour d’appel du nouveau‑brunswick

                    Droit criminel — Mise en liberté provisoire — Appels — Rejet par le juge d’appel d’une demande de mise en liberté en attendant l’issue de l’appel au motif que le demandeur n’a pas établi que sa détention n’est « pas nécessaire dans l’intérêt public » suivant l’art. 679(3) c) du Code criminel  — Considérations de politique générale et principes qui devraient guider les cours d’appel lorsqu’elles sont appelées à décider si une personne qui a été déclarée coupable d’un crime grave et condamnée à une longue peine d’emprisonnement devrait être mise en liberté sous caution en attendant qu’il soit statué sur son appel — Interprétation et application appropriées de l’art. 679(3) c) du Code criminel Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 679(3) c).

                    Droit criminel — Mise en liberté provisoire — Audience de révision — Norme de contrôle — Rejet par le juge d’appel d’une demande de mise en liberté en attendant l’issue de l’appel — Juge en chef de la Cour d’appel ordonnant la révision de cette décision par une formation de trois juges conformément à l’art. 680(1)  du Code criminel  — Critère applicable par le juge en chef lorsqu’il est appelé à décider s’il convient ou non d’ordonner une révision par une formation — Norme de contrôle applicable par la formation de révision — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 680(1) .

                    Appels — Caractère théorique — Rejet d’une demande de mise en liberté en attendant l’issue de l’appel — Appel de la déclaration de culpabilité subséquemment accueilli et nouveau procès ordonné — Accusé mis en liberté en attendant l’issue de son nouveau procès — Pourvoi formé contre la décision refusant une mise en liberté sous caution en attendant l’issue de l’appel devenu théorique — La Cour devrait‑elle exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre le pourvoi?

                    O a présenté une demande de mise en liberté en attendant qu’il soit statué sur l’appel qu’il a interjeté contre sa déclaration de culpabilité pour le meurtre au deuxième degré de son père. Sa demande a été rejetée en raison du troisième critère énoncé à l’al. 679(3) c) du Code criminel , qui oblige le demandeur à établir que « sa détention n’est pas nécessaire dans l’intérêt public ». Bien que la sécurité du public n’ait pas été en cause en l’espèce, le juge d’appel n’était pas convaincu que la confiance du public serait préservée si O était libéré. Il a par conséquent rejeté la demande de O. La révision de cette décision, effectuée par une formation de trois juges sur l’ordre du Juge en chef de la Cour d’appel en application du par. 680(1)  du Code criminel , n’a pas été favorable à O. La Cour d’appel a subséquemment accueilli l’appel de la déclaration de culpabilité de O, et a ordonné la tenue d’un nouveau procès. Comme O a ensuite été libéré en attendant l’issue de son nouveau procès, le présent pourvoi qu’il a formé devant la Cour contre la décision de la formation de révision est devenu théorique. Cependant, conformément à l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, la Cour a décidé d’entendre le pourvoi sur le fond en raison de la position unanime des parties et des intervenants selon laquelle celle‑ci se devait de fournir des indications qui permettent de résoudre les contradictions de la jurisprudence sur la question de la mise en liberté sous caution en attendant l’issue de l’appel, question par ailleurs non susceptible de révision en appel.

                    Arrêt : Le pourvoi est accueilli.

                    Suivant l’arrêt R. c. Farinacci (1993), 86 C.C.C. (3d) 32, le critère de l’intérêt public énoncé à l’al. 679(3) c) du Code criminel  comporte deux volets : la sécurité publique et la confiance du public envers l’administration de la justice. Le volet relatif à la confiance du public suppose la mise en balance de deux intérêts opposés : la force exécutoire des jugements et le caractère révisable de ceux‑ci. Bien que le cadre établi par l’arrêt Farinacci ait résisté à l’épreuve du temps et demeure valable en droit, les juges d’appel continuent d’éprouver de la difficulté à résoudre la tension entre le principe de la force exécutoire des jugements et celui de leur caractère révisable, particulièrement dans des affaires comme celle en l’espèce où ils sont en présence, d’une part, d’un crime grave et, d’autre part, d’un bon candidat à une mise en liberté sous caution en attendant l’issue de l’appel.

                    À l’alinéa 679(3) c) du Code criminel , le législateur n’a donné aux juges d’appel aucune indication sur la manière dont une ordonnance de mise en liberté sous caution en attendant l’issue de l’appel pourrait porter atteinte à la confiance du public envers l’administration de la justice. Heureusement, il l’a toutefois fait à l’al. 515(10)c) dans le contexte, certes différent mais connexe, de la mise en liberté sous caution en attendant l’issue du procès. Avec les adaptations qui s’imposent, les facteurs énumérés à l’al. 515(10)c) sont également utiles dans le contexte d’un appel.

                    La gravité du crime pour lequel une personne a été reconnue coupable joue un rôle important lorsqu’il s’agit d’apprécier, en vertu de l’al. 515(10)c), la confiance du public dans le contexte antérieur au procès. La gravité du crime est déterminée au moyen de trois facteurs : la gravité de l’infraction, les circonstances entourant sa perpétration et la durée possible de l’emprisonnement. En ce qui concerne le volet de l’al. 679(3)c) relatif à la confiance du public, la gravité du crime devrait jouer un rôle équivalent dans l’appréciation de l’intérêt relatif à la force exécutoire des jugements. Le dernier facteur que le législateur reconnaît, à l’al. 515(10)c), comme facteur qui sous‑tend la confiance du public est la solidité du dossier du poursuivant. Dans le contexte d’un appel, cela correspond à l’existence de moyens d’appel solides, lesquels jouent un rôle dans l’appréciation de l’intérêt relatif au caractère révisable des jugements. Lors de cette appréciation, les juges d’appel devraient examiner les moyens d’appel en tenant compte de leur plausibilité générale en droit et des éléments au dossier sur lesquels ils reposent afin de déterminer s’ils vont clairement au delà des exigences minimales requises pour qu’il soit satisfait au critère de « non‑futilité ».

                    Lorsqu’ils effectuent la mise en balance finale des facteurs qui sous‑tendent la confiance du public, notamment la solidité des moyens d’appel, la gravité de l’infraction, la sécurité du public et les risques que l’accusé s’enfuie, les juges d’appel devraient garder à l’esprit que la confiance du public doit être mesurée du point de vue d’un membre raisonnable du public. Il s’agit d’une personne réfléchie, impartiale, bien informée sur les circonstances de l’affaire et respectueuse des valeurs fondamentales de la société. Il n’existe pas de formule précise qui puisse être appliquée pour résoudre la tension entre le principe de la force exécutoire des jugements et celui du caractère révisable de ceux‑ci. L’application d’une approche qualitative et contextuelle est requise. Lorsque le demandeur a été déclaré coupable de meurtre ou d’un autre crime très grave, l’intérêt du public relatif à la force exécutoire des jugements sera élevé et l’emportera souvent sur l’intérêt lié au caractère révisable de ceux‑ci, particulièrement dans les cas où il existe des préoccupations persistantes en matière de sécurité publique ou de risques de fuite, où les moyens d’appel semblent faibles, ou les deux. En revanche, lorsque les préoccupations en matière de sécurité publique ou de risques de fuite sont négligeables, et que les moyens d’appel vont clairement au delà des exigences du critère de « non‑futilité », l’intérêt du public lié au caractère révisable des jugements peut très bien l’emporter sur l’intérêt lié à la force exécutoire de ceux‑ci, même en cas de meurtre ou d’une autre infraction très grave.

                    La révision effectuée par une formation en vertu du par. 680(1)  du Code criminel  devrait être guidée par les trois principes suivants. Premièrement, en l’absence d’erreur manifeste et dominante, la formation doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du juge. Deuxièmement, elle peut intervenir et substituer sa décision à celle du juge lorsqu’elle est convaincue que celui‑ci a commis une erreur de droit ou de principe, et que cette erreur était importante quant à l’issue de l’affaire. Troisièmement, en l’absence d’une erreur de droit, la formation peut intervenir et substituer sa décision à celle du juge dans les cas où elle conclut que celle‑ci était clairement injustifiée. Il s’ensuit que le juge en chef devrait envisager d’ordonner une révision fondée sur le par. 680(1) dans les cas où il est possible de soutenir que le juge a commis des erreurs importantes de fait ou de droit lorsqu’il a rendu la décision contestée, ou que celle‑ci était clairement injustifiée dans les circonstances.

                    En l’espèce, le juge d’appel était convaincu qu’il n’existait aucune préoccupation importante en matière de sécurité publique ou de risques de fuite et que les moyens d’appel pouvaient « nettement être soutenus », ce qui signifie qu’ils allaient clairement au delà des exigences du critère de « non‑futilité ». En outre, comme l’a conclu le juge du procès, le crime commis par O se rapprochait davantage de l’infraction d’homicide involontaire coupable que de celle de meurtre au premier degré, ce qui atténuait la gravité du crime et, partant, l’intérêt lié à la force exécutoire des jugements. Cumulativement, ces considérations rendaient la détention de O clairement injustifiée. Le juge d’appel a commis une erreur de droit en recherchant des moyens d’appel qui auraient garanti pour ainsi dire la tenue d’un nouveau procès ou un acquittement. La formation de révision a commis une erreur en n’intervenant pas.

Jurisprudence

                    Arrêts appliqués : Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; R. c. Farinacci (1993), 86 C.C.C. (3d) 32; arrêts mentionnés : R. c. McNeil, 2009 CSC 3, [2009] 1 R.C.S. 66; R. c. Ponak, [1972] 4 W.W.R. 316; R. c. Iyer, 2016 ABCA 407; R. c. D’Amico, 2016 QCCA 183; R. c. Gill, 2015 SKCA 96, 465 Sask. R. 253; R. c. Xanthoudakis, 2016 QCCA 1809; R. c. Manasseri, 2013 ONCA 647, 312 C.C.C. (3d) 132; R. c. Passey, 1997 ABCA 343, 121 C.C.C. (3d) 444; R. c. Matteo, 2016 QCCA 2046; R. c. Sidhu, 2015 ABCA 308, 607 A.R. 395; R. c. Porisky, 2012 BCCA 467, 293 C.C.C. (3d) 100; R. c. Parsons (1994), 117 Nfld. & P.E.I.R. 69; R. c. Hall, 2002 CSC 64, [2002] 3 R.C.S. 309; R. c. Rhyason, 2006 ABCA 120, 208 C.C.C. (3d) 193; R. c. Roussin, 2011 MBCA 103, 275 Man. R. (2d) 46; R. c. Allen, 2001 NFCA 44, 158 C.C.C. (3d) 225; R. c. Delisle, 2012 QCCA 1250; R. c. Meda (1981), 23 C.R. (3d) 174; R. c. Olsen (1996), 94 O.A.C. 62; R. c. Roe, 2008 BCCA 253, 256 B.C.A.C. 308; R. c. Lees, 1999 BCCA 441, 127 B.C.A.C. 280; R. c. St‑Cloud, 2015 CSC 27, [2015] 2 R.C.S. 328; R. c. Baltovich (2000), 47 O.R. (3d) 761; R. c. Mapara, 2001 BCCA 508, 158 C.C.C. (3d) 312.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés , art. 11 e ) .

Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 469 , 515(1) , (10) c), 520 , 521 , 679(3) , (4) a), (10) , 680(1) .

Doctrine et autres documents cités

Trotter, Gary T. « Bail Pending Appeal : The Strength of the Appeal and the Public Interest Criterion » (2001), 45 C.R. (5th) 267.

Trotter, Gary T. The Law of Bail in Canada, 3rd ed., Toronto, Carswell, 2010 (loose‑leaf updated 2016, release 1).

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick (le juge en chef Drapeau et les juges Larlee et Quigg), 2016 NBCA 15, 446 R.N.‑B. (2e) 325, 1168 A.P.R. 325, [2016] A.N.‑B. no 70 (QL), 2016 CarswellNB 127 (WL Can.), qui a confirmé la décision du juge Richard refusant à l’appelant une mise en liberté sous caution en attendant la décision sur l’appel de sa déclaration de culpabilité, 2016 CanLII 7428, [2016] A.N.‑B. no 25 (QL), 2016 CarswellNB 42 (WL Can.). Pourvoi accueilli.

                    Alan D. Gold, Gary A. Miller, c.r., et James R. McConnell, pour l’appelant.

                    Kathryn A. Gregory et Derek Weaver, pour l’intimée.

                    Gavin MacDonald et Leslie Paine, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    John M. Gordon, c.r., pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

                    Christine Rideout, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

                    Michael W. Lacy, Susan M. Chapman et Andrew Menchynski, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).

                    Version française du jugement de la Cour rendu par

                    Le juge Moldaver —

I.               Aperçu

[1]                              Le présent pourvoi donne à la Cour l’occasion d’examiner et de clarifier le régime légal établi par le Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46 , à l’égard de la mise en liberté sous caution en attendant l’issue de l’appel. Nous nous intéresserons en particulier aux considérations de politique générale et aux principes qui devraient guider les cours d’appel lorsqu’elles sont appelées à décider si une personne qui, comme l’appelant Dennis James Oland, a été déclarée coupable d’un crime grave et condamnée à une longue peine d’emprisonnement devrait être mise en liberté sous caution en attendant qu’il soit statué sur l’appel qu’elle a interjeté contre sa déclaration de culpabilité.

[2]                              Dans le présent pourvoi, le litige porte principalement sur l’interprétation et l’application de deux dispositions relativement brèves du Code, les par. 679(3) et 680(1), qui sont rédigées ainsi :

                    679 . . .

                    (3) Dans le cas d’un appel [d’une déclaration de culpabilité], le juge de la cour d’appel peut ordonner que l’appelant soit mis en liberté en attendant la décision de son appel, si l’appelant établit à la fois :

                        a) que l’appel [. . .] n’est pas futile;

                        b) qu’il se livrera en conformité avec les termes de l’ordonnance;

                        c) que sa détention n’est pas nécessaire dans l’intérêt public.

. . .

                    680 (1) Une décision rendue par un juge en vertu de l’article [. . .] 679 peut, sur l’ordre du juge en chef ou du juge en chef suppléant de la cour d’appel, faire l’objet d’une révision par ce tribunal et celui‑ci peut, s’il ne confirme pas la décision :

                        a) ou bien modifier la décision;

                    b) ou bien substituer à cette décision telle autre décision qui, à son avis, aurait dû être rendue.

[3]                              En l’espèce, après avoir été déclaré coupable du meurtre au deuxième degré de son père, M. Oland a présenté une demande de mise en liberté sous caution en attendant qu’il soit statué sur l’appel. Sa demande a été rejetée en raison du critère de l’intérêt public énoncé à l’al. 679(3)c). Bien que la sécurité du public n’ait pas été en cause, le juge d’appel n’était pas convaincu que la confiance du public envers l’administration de la justice serait préservée si M. Oland était libéré. La révision de cette ordonnance effectuée sur l’ordre du Juge en chef du Nouveau‑Brunswick en application du par. 680(1) n’a pas été favorable à M. Oland. Selon la formation de trois juges qui a siégé en révision, la décision du juge d’appel de garder M. Oland en détention n’était « ni déraisonnable, ni le produit d’une erreur importante de fait, de droit, ou mixte de droit et de fait » (2016 NBCA 15, 446 R.N.‑B. (2e) 325, par. 15).

[4]                              Pour les motifs qui suivent et, soit dit en tout respect, j’estime que le fait de fonder la détention de M. Oland sur le critère de l’intérêt public était clairement injustifié dans les circonstances. De plus, dans ses motifs, le juge d’appel a commis une erreur importante de droit qui a eu une incidence sur l’issue de l’affaire. Il s’ensuit, à mon avis, que la formation de révision a commis une erreur en n’intervenant pas.

[5]                              Il s’avère qu’avant même que le pourvoi de M. Oland ne soit débattu devant notre Cour, la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick a entendu et accueilli l’appel qu’il a interjeté de sa déclaration de culpabilité, et a ordonné la tenue d’un nouveau procès. M. Oland a donc été mis en liberté sous caution en attendant l’issue de son nouveau procès. Par conséquent, le pourvoi qu’il a formé devant notre Cour contre la décision de la formation de révision de confirmer son ordonnance de détention est devenu théorique. Toutefois, pour des raisons que j’expliquerai plus loin, nous avons décidé d’entendre l’appel sur le fond et, après l’avoir fait, nous sommes d’avis de l’accueillir, mais de ne rendre aucune autre ordonnance.

II.            Contexte factuel

[6]                              Le 7 juillet 2011, le père de M. Oland, Richard Oland, a été trouvé battu à mort dans son bureau à Saint John, au Nouveau‑Brunswick. Lors de l’enquête policière qui a suivi, M. Oland est devenu le suspect principal. Le 12 novembre 2013, il a finalement été arrêté et accusé de meurtre au deuxième degré.

[7]                              Le 18 novembre 2013, à l’issue d’une audience contestée et après avoir contracté un engagement de caution de 50 000 $ assorti de conditions, M. Oland a été mis en liberté sous caution en attendant l’issue de son procès. Au terme d’un procès de trois mois devant juge et jury, il a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré le 19 décembre 2015. Le 11 février 2016, le juge du procès l’a condamné à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans.

[8]                              Dans ses motifs de détermination de la peine, le juge du procès a conclu que, mis à part l’infraction dont il venait d’être reconnu coupable, M. Oland était [traduction] « un époux et un père de 47 ans dévoué, instruit et sans antécédents judiciaires », ainsi « [qu’]un homme aimant et attentionné; une figure centrale au sein de sa famille et une personne active au sein de sa collectivité » (2016 NBQB 43, 447 R.N.‑B. (2e) 7, par. 14 et 18). À son avis, M. Oland ne présentait aucun risque réaliste de dangerosité future et avait d’excellentes chances de réussir sa réintégration dans la société après avoir purgé sa peine. Quant à l’infraction, le juge du procès l’a qualifiée de « brutale », faisant remarquer que quelque 40 blessures contondantes et pénétrantes avaient été infligées à la tête de la victime. Il a toutefois souligné que le crime avait été commis lors d’un emportement spontané qui découlait d’une dynamique familiale dysfonctionnelle de longue date et d’un stress énorme. Pour cette raison, le juge du procès a conclu que le crime se situait à « [l’]extrémité inférieure » du continuum de la culpabilité morale pour un meurtre au deuxième degré, et qu’il s’apparentait davantage à un homicide involontaire coupable qu’à un meurtre au premier degré.

[9]                              Le 20 janvier 2016, M. Oland a déposé un avis d’appel de la déclaration de culpabilité devant la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick. Il a invoqué de nombreux moyens d’appel portant sur trois points principaux : erreurs dans l’exposé au jury, erreurs liées à l’admission de certains éléments de preuve et caractère raisonnable du verdict. Parallèlement, il a demandé, en vertu du par. 679(3) du Code, sa mise en liberté sous caution en attendant qu’il soit statué sur son appel. Le présent pourvoi porte sur l’issue de cette demande.

III.          Décisions des juridictions inférieures

A.            Décision du juge d’appel, 2016 CanLII 7428 (le juge Richard)

[10]                          La demande de mise en liberté en attendant la décision sur l’appel présentée par M. Oland a été entendue devant un juge de la Cour d’appel siégeant seul. À l’appui de sa demande, M. Oland a déposé de nombreux affidavits témoignant de sa bonne moralité, de son respect antérieur des conditions de sa mise en liberté et de son enracinement dans la collectivité. Il a en outre déposé des affidavits de deux membres de sa famille qui étaient disposés à se porter caution et à risquer de perdre des sommes importantes d’argent en cas de manquement aux conditions de l’ordonnance de mise en liberté. Enfin, il a présenté des extraits de la transcription du procès qu’il estimait pertinents pour étayer ses moyens d’appel.

[11]                          Dans sa décision sur la demande, le juge d’appel a conclu que M. Oland s’était acquitté de son fardeau relativement aux deux premiers critères de la mise en liberté prévus aux al. 679(3)a) et b) du Code : son appel n’était pas futile et il se livrerait au besoin. Le juge d’appel a ensuite examiné le critère de l’intérêt public énoncé à l’al. 679(3)c), et l’a divisé en deux volets : la sécurité du public et la confiance du public envers l’administration de la justice.

[12]                          Tout d’abord, en ce qui concerne la sécurité publique, le juge d’appel a estimé que M. Oland ne présentait pas de « danger pour le public » (par. 15). À cet égard, il a souscrit aux conclusions du juge ayant statué sur la peine, à savoir que M. Oland avait eu jusque‑là une bonne conduite, qu’il n’avait pas d’antécédents judiciaires et que l’infraction était en grande partie le fruit de difficultés singulières existant entre lui et son père, difficultés imputables à leurs relations et à la situation.

[13]                          Pour ce qui est de la confiance du public, le juge d’appel a conclu que la gravité et la brutalité de l’infraction militaient en faveur de la détention de M. Oland. En outre, même si les moyens d’appel qu’il avait présentés pouvaient « nettement être soutenus », ils n’étaient pas à ce point solides qu’ils « garanti[ssaient] » pour ainsi dire « un acquittement ou la tenue d’un nouveau procès » (par. 30 et 32). Tout bien considéré, le juge d’appel n’était pas convaincu que la confiance du public envers l’administration de la justice serait préservée si M. Oland était libéré. Il a par conséquent rejeté la demande de mise en liberté en attendant la décision sur l’appel.

B.            Décision de la formation de révision, 2016 NBCA 15, 446 R.N.‑B. (2e) 325 (le juge en chef Drapeau et les juges Larlee et Quigg)

[14]                          À la suite d’une demande présentée par M. Oland en vertu du par. 680(1) du Code, le Juge en chef du Nouveau‑Brunswick a ordonné la révision de son ordonnance de détention devant une formation de trois juges de la cour.

[15]                          La formation a pris sa décision en appliquant une approche empreinte de déférence, considérant que la décision du juge d’appel de détenir M. Oland découlait d’un « jugement personnel », autrement dit qu’il s’agissait d’une question d’appréciation. Bien qu’elle ait reconnu que les moyens d’appel présentés par M. Oland étaient « sérieux », elle a rappelé que M. Oland avait néanmoins été reconnu coupable d’un meurtre brutal pour lequel il s’était vu imposer une peine obligatoire d’emprisonnement à perpétuité. Dans les circonstances, le fait de lui refuser une mise en liberté sous caution ne rendrait pas son appel vain. Une importance primordiale a été accordée au fait que M. Oland n’avait pas su démontrer l’existence, dans les motifs du juge d’appel, d’erreurs justifiant une intervention, et qu’il n’avait pas non plus convaincu la formation que sa détention était clairement déraisonnable dans les circonstances. Par conséquent, la demande de révision a été rejetée.

IV.         Analyse

A.            Caractère théorique

[16]                          Le 24 octobre 2016, la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick a accueilli l’appel de la déclaration de culpabilité de M. Oland, et a ordonné la tenue d’un nouveau procès. Le 25 octobre 2016, M. Oland a obtenu une mise en liberté sous caution en attendant l’issue de son nouveau procès. Dans ces circonstances, les parties ont été averties qu’elles devraient être prêtes à débattre de la question du caractère théorique.

[17]                          Au début de l’audience, notre Cour a soulevé la question du caractère théorique, et les parties comme les intervenants nous ont demandé instamment d’entendre le pourvoi sur le fond. M. Oland et le ministère public intimé ont fait valoir que la décision que nous rendrions pourrait revêtir une certaine importance pour eux, car M. Oland risquait de se retrouver dans la même situation à l’issue de son nouveau procès. De plus, tous les intéressés ont soutenu que notre Cour se devait de fournir des indications qui permettent de trancher parmi les approches contradictoires adoptées par des cours d’appel dans les diverses régions du pays à l’égard de la mise en liberté sous caution. En outre, étant donné que, du fait de sa nature temporaire, la mise en liberté sous caution en attendant la décision sur l’appel ne peut être révisée en appel, la présente affaire constituait une occasion propice pour résoudre les contradictions de la jurisprudence (voir Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; R. c. McNeil, 2009 CSC 3, [2009] 1 R.C.S. 66, par. 2).

[18]                          Vu la position unanime des parties et des intervenants, et étant donné que le pourvoi satisfait aux critères établis dans l’arrêt Borowski, notre Cour a décidé d’entendre le pourvoi sur le fond.

B.            Mise en liberté sous caution en attendant la décision sur l’appel prévue au par. 679(3)  du Code criminel 

(1)           Les trois critères établis par la loi

[19]                          Les trois critères pour la mise en liberté sous caution en attendant la décision sur l’appel sont énoncés au par. 679(3) du Code :

679 . . .

(3) Dans le cas d’un appel [d’une déclaration de culpabilité], le juge de la cour d’appel peut ordonner que l’appelant soit mis en liberté en attendant la décision de son appel, si l’appelant établit à la fois :

                           a) que l’appel [. . .] n’est pas futile;

                           b) qu’il se livrera en conformité avec les termes de l’ordonnance;

                           c) que sa détention n’est pas nécessaire dans l’intérêt public.

Il incombe au demandeur qui sollicite une mise en liberté sous caution d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que chacun de ces critères est respecté (R. c. Ponak, [1972] 4 W.W.R. 316 (C.A. C.-B.), p. 317‑318; R. c. Iyer, 2016 ABCA 407, par. 7 (CanLII); R. c. D’Amico, 2016 QCCA 183, par. 10 (CanLII); R. c. Gill, 2015 SKCA 96, 465 Sask. R. 253, par. 14).

[20]                          Le premier critère requiert du juge d’appel qu’il examine les moyens d’appel en vue de s’assurer qu’ils ne sont « pas futile[s] » (al. 679(3)a)). Les tribunaux ont utilisé des termes différents pour décrire ce critère. Bien que cette question ne soit pas en litige dans le présent pourvoi, il est largement reconnu que le critère exigeant que l’appel ne soit « pas futile » (ci‑après le critère de « non‑futilité ») est très peu exigeant (voir R. c. Xanthoudakis, 2016 QCCA 1809, par. 4‑7 (CanLII); R. c. Manasseri, 2013 ONCA 647, 312 C.C.C. (3d) 132, par. 38; R. c. Passey, 1997 ABCA 343, 121 C.C.C. (3d) 444, par. 6‑8; G. T. Trotter, The Law of Bail in Canada (3e éd. (feuilles mobiles)), p. 10‑13 à 10‑15).

[21]                          Suivant le deuxième critère, le demandeur doit démontrer « qu’il se livrera en conformité avec les termes de l’ordonnance [de mise en liberté] » (al. 679(3)b)). Le juge d’appel doit être convaincu que le demandeur ne fuira pas le ressort du tribunal et qu’il se livrera au besoin.

[22]                          Le troisième critère oblige le demandeur à établir que « sa détention n’est pas nécessaire dans l’intérêt public » (al. 679(3)c)). C’est le critère sur lequel se fonde le rejet de la demande de mise en liberté sous caution de M. Oland en attendant la décision sur l’appel, et le critère à l’égard duquel on a demandé à notre Cour de fournir des précisions. En particulier, les parties demandent à la Cour de donner des indications sur la façon dont il convient d’examiner la solidité des moyens invoqués pour interjeter appel d’une déclaration de culpabilité lorsqu’il s’agit de déterminer si la détention est nécessaire dans l’intérêt public.

(2)           Le critère de l’intérêt public selon l’arrêt Farinacci

[23]                          Dans R. c. Farinacci (1993), 86 C.C.C. (3d) 32 (C.A. Ont.), la juge Arbour, qui siégeait alors à la Cour d’appel, a examiné la signification des mots « intérêt public » dans le contexte de l’al. 679(3)c). Dans sa minutieuse analyse, elle a statué que le critère de l’intérêt public comportait deux volets : la sécurité publique et la confiance du public envers l’administration de la justice (p. 47‑48).

[24]                          La juge Arbour ne s’est pas attardée au volet de la sécurité publique. Elle a conclu qu’il avait trait à la protection et à la sécurité du public et reprenait essentiellement les exigences bien connues de ce qu’on appelle le « motif secondaire » qui régit la mise en liberté d’un accusé en attendant l’issue de son procès (p. 45 et 47‑48). Le volet relatif à la confiance du public était quant à lui plus nuancé et requérait des précisions. Il supposait la mise en balance de deux intérêts opposés : la force exécutoire des jugements et le caractère révisable de ceux‑ci.

[25]                          Selon la juge Arbour, l’intérêt basé sur la force exécutoire des jugements reflétait la nécessité de respecter la règle générale du caractère exécutoire immédiat des jugements. L’intérêt fondé sur le caractère révisable des jugements traduisait quant à lui la reconnaissance par la société que notre système de justice n’est pas infaillible et que les personnes qui contestent la légalité de leurs déclarations de culpabilité devraient avoir droit à un processus véritable de révision, à savoir à un processus qui ne les oblige pas à purger l’ensemble ou une partie appréciable de leur peine d’emprisonnement, pour se rendre compte au terme de l’appel que la déclaration de culpabilité sur laquelle cette peine reposait était illégale (p. 47‑49).

[26]                          Presque un quart de siècle s’est écoulé depuis l’arrêt Farinacci. Le cadre qu’il a établi relativement à l’intérêt public a résisté à l’épreuve du temps. Il a été universellement adopté par des cours d’appel de diverses régions du pays (voir, p. ex., R. c. Matteo, 2016 QCCA 2046, par. 20 (CanLII); R. c. Sidhu, 2015 ABCA 308, 607 A.R. 395, par. 5‑6; R. c. Porisky, 2012 BCCA 467, 293 C.C.C. (3d) 100, par. 8 et 14‑15; R. c. Parsons (1994), 117 Nfld. & P.E.I.R. 69 (C.A.), par. 30‑34). De plus, toutes les parties et tous les intervenants au présent pourvoi sont satisfaits du cadre établi dans Farinacci. Personne ne l’a contesté ni ne nous a demandé de le revoir, et je ne vois aucune raison de le faire. Cet arrêt continue d’exposer valablement le droit selon moi.

[27]                          En concluant ainsi, je ne veux pas dire — et je ne considère pas non plus qu’il ressort de l’arrêt Farinacci — que le volet de la sécurité publique et celui de la confiance du public doivent être considérés isolément. Il y aura assurément des cas où des considérations de sécurité publique seront à elles seules suffisantes pour justifier une ordonnance de détention dans l’intérêt public. Toutefois, comme je vais l’expliquer plus loin, lorsque la personne qui sollicite sa mise en liberté en attendant la décision sur l’appel satisfait au critère préliminaire de la sécurité publique, l’existence de préoccupations résiduelles en matière de sécurité du public ou l’absence de telles préoccupations demeurent des considérations pertinentes, dont il convient de tenir compte dans l’analyse relative à la confiance du public.

[28]                          Le problème que pose Farinacci ne tient pas à son cadre, mais à son application dans des affaires où la confiance du public est invoquée. Les juges d’appel continuent d’éprouver de la difficulté à résoudre la tension entre le principe de la force exécutoire des jugements et celui de leur caractère révisable, particulièrement dans des affaires comme celle qui nous occupe où ils sont en présence, d’une part, d’un crime grave et, d’autre part, d’un bon candidat à une mise en liberté sous caution en attendant l’issue de l’appel.

[29]                          Heureusement, les affaires de cette nature relèvent davantage de l’exception que de la règle. Même si des juges d’appel de partout au pays entendent régulièrement des demandes de mise en liberté sous caution en attendant l’issue de l’appel, une fraction seulement de celles‑ci est susceptible de mettre en cause la confiance du public. Cette question joue rarement un rôle — et encore moins un rôle central — dans la décision d’accorder ou de refuser une telle demande. Comme l’a fait remarquer le juge d’appel Donald dans l’arrêt Porisky, par. 47 :

                    [traduction] Les infractions ne sont pas toutes suffisamment graves pour justifier un examen au fond. Dans les affaires qui ne sont pas susceptibles de soulever une préoccupation relative à la confiance du public, il n’est pas nécessaire d’aller au delà du critère préliminaire de non‑futilité. [. . .] [I]l est permis de penser que les avocats du ministère public sont conscients que le continuum va du menu larcin au meurtre au premier degré et font preuve de jugement en ne soulevant la question de la confiance du public que dans le cas des infractions les plus graves.

[30]                          Cela dit, il survient effectivement à l’occasion des cas difficiles où se pose la question de la confiance du public. Dans l’espoir d’aider les juges d’appel, je propose d’apporter quelques précisions sur les intérêts opposés mentionnés dans Farinacci, à savoir la force exécutoire des jugements et le caractère révisable de ceux‑ci. Je soulignerai en particulier certains des facteurs clés qui sous‑tendent ces intérêts et qui fournissent aux juges d’appel des indications sur la façon de les soupeser dans un cas donné.

(3)           L’alinéa 515(10) c) du Code criminel  fait état de facteurs susceptibles de guider l’analyse relative à la confiance du public

a)              Les raisons d’examiner l’al. 515(10)c)

[31]                          À l’alinéa 679(3)c) du Code, le législateur n’a donné aux juges d’appel aucune indication sur la manière dont une ordonnance de mise en liberté en attendant l’issue de l’appel pourrait porter atteinte à la confiance du public envers l’administration de la justice. Heureusement, il l’a toutefois fait dans le contexte, certes différent mais connexe, de la mise en liberté sous caution en attendant l’issue du procès. À l’alinéa 515(10)c), le législateur a énuméré quatre facteurs dont les juges peuvent tenir compte lorsqu’ils décident si une ordonnance de détention est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice :

                    515 . . .

                    (10) Pour l’application du présent article, la détention d’un prévenu sous garde n’est justifiée que dans l’un des cas suivants :

. . .

                        c) sa détention est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice, compte tenu de toutes les circonstances, notamment les suivantes :

                                (i) le fait que l’accusation paraît fondée,

                                (ii) la gravité de l’infraction,

                                (iii) les circonstances entourant sa perpétration, y compris l’usage d’une arme à feu,

                                (iv) le fait que le prévenu encourt, en cas de condamnation, une longue peine d’emprisonnement ou, s’agissant d’une infraction mettant en jeu une arme à feu, une peine minimale d’emprisonnement d’au moins trois ans.

[32]                          Bien que ces facteurs soient adaptés au contexte qui précède le procès, l’intérêt qui sous‑tend chacun d’eux a son corollaire dans le contexte de l’appel. À mon avis, ces mêmes facteurs doivent être pris en considération — avec les adaptations qui s’imposent pour tenir compte du contexte postérieur à la déclaration de culpabilité — afin de déterminer de quelle manière, si tant est qu’elle ait un tel effet, une ordonnance de mise en liberté en attendant l’issue de l’appel pourrait porter atteinte à la confiance du public envers l’administration de la justice.

[33]                          Le fait d’examiner la question de cette façon favorise une considération de politique générale importante. Cette approche a en effet l’avantage de promouvoir l’uniformité et l’harmonie des règles applicables dans le contexte du procès et dans celui de l’appel, afin qu’il soit possible de considérer que, conjointement, elles énoncent de façon cohérente et exhaustive le droit régissant la mise en liberté sous caution au Canada. Facteur important, cette façon de faire est compatible avec le principe fondamental selon lequel, en règle générale, la mise en liberté sous caution ne devrait pas être plus facile à obtenir par une personne qui a été déclarée coupable d’un crime que par une personne qui attend son procès et qui est présumée innocente. Envisager les deux contextes de cette manière ne peut que favoriser les objectifs d’équité et de cohérence, et accroître la confiance de la société envers l’administration de la justice.

[34]                          La possibilité accrue d’obtenir une mise en liberté sous caution en attendant l’issue du procès repose sur la présomption d’innocence. Les personnes accusées d’une infraction au Canada sont présumées innocentes et elles le demeurent tant et aussi longtemps que leur culpabilité n’a pas été prouvée hors de tout doute raisonnable. Dans cette optique, les auteurs de la Charte canadienne des droits et libertés  ont jugé bon de prévoir, à l’al. 11e) de ce texte, que tout inculpé a le droit « de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable » (R. c. Hall, 2002 CSC 64, [2002] 3 R.C.S. 309, par. 13).

[35]                          En revanche, une fois la déclaration de culpabilité inscrite, la présomption d’innocence est écartée et l’al. 11 e )  de la Charte  cesse de s’appliquer. C’est ce qui ressort du déplacement du fardeau de la preuve qui se produit lorsqu’une personne ayant été déclarée coupable et condamnée à une peine sollicite sa mise en liberté sous caution en attendant l’issue de son appel. Contrairement à ce qu’il a fait dans le contexte antérieur au procès — étape où il incombe généralement au ministère public de démontrer que l’accusé devrait être détenu sous garde —, le législateur a jugé bon, dans le cas des appels, de faire porter ce fardeau au demandeur dans tous les cas[1].

[36]                          C’est avec ces considérations à l’esprit que je vais maintenant examiner les intérêts liés à la force exécutoire des jugements et au caractère révisable de ceux‑ci afin d’expliquer comment, avec les adaptations qui s’imposent, les facteurs relatifs à la confiance du public énumérés à l’al. 515(10)c) sont utiles dans la détermination des facteurs qui composent le volet de l’al. 679(3)c) relatif à la confiance du public.

b)             L’intérêt lié à la force exécutoire des jugements

[37]                          La gravité du crime joue un rôle important lorsqu’il s’agit de déterminer si les préoccupations relatives à la confiance du public justifient une ordonnance de détention avant le procès en vertu de l’al. 515(10)c). Plus grave est le crime, plus grand est le risque que la confiance du public envers l’administration de la justice soit minée par la mise en liberté sous caution de l’accusé en attendant l’issue de son procès. Il en va de même pour la mise en liberté sous caution jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’appel. En ce qui concerne le volet de l’al. 679(3)c) relatif à la confiance du public, je ne vois pas pourquoi la gravité du crime pour lequel une personne a été reconnue coupable ne devrait pas jouer un rôle équivalent dans l’appréciation de l’intérêt relatif à la force exécutoire des jugements.

[38]                          Gardant cela à l’esprit, je reviens à l’al. 515(10)c), où le législateur a énoncé trois facteurs qui permettent de déterminer la gravité d’un crime : la gravité de l’infraction, les circonstances entourant sa perpétration et la durée possible de l’emprisonnement (sous‑al. 515(10)c)(ii), (iii) et (iv)). À mon avis, ces facteurs sont facilement transposables à l’al. 679(3)c), à la seule différence que, contrairement à ce qui se passe dans le contexte antérieur au procès, le juge d’appel bénéficiera généralement des motifs exposés par le juge du procès lors de la détermination de la peine, motifs dans lesquels ce dernier aura examiné les trois facteurs relatifs à la gravité du crime. En règle générale, le juge d’appel n’a pas besoin de refaire cet exercice.

[39]                          Je m’arrête ici pour souligner que, bien que la gravité du crime pour lequel le délinquant a été reconnu coupable joue un rôle important dans l’appréciation de l’intérêt lié à la force exécutoire des jugements, d’autres facteurs devraient aussi être pris en considération lorsque cela est indiqué. Par exemple, des préoccupations relatives à la sécurité du public ne constituant pas un risque important — risque qui ferait obstacle à une ordonnance de mise en liberté — demeureront pertinentes à l’égard du volet de la confiance du public et pourront, dans certains cas, faire pencher la balance en faveur de la détention (R. c. Rhyason, 2006 ABCA 120, 208 C.C.C. (3d) 193, par. 15; R. c. Roussin, 2011 MBCA 103, 275 Man. R. (2d) 46, par. 34). Il en va de même pour les risques de fuite persistants qui ne correspondent pas au risque important visé à l’al. 679(3)b). Dans le même ordre d’idées, l’absence de risques de fuite ou de risques pour la sécurité du public atténuera l’intérêt lié à la force exécutoire des jugements.

c)              L’intérêt lié au caractère révisable des jugements

[40]                          Le dernier facteur que le législateur reconnaît, à l’al. 515(10)c), comme facteur qui sous‑tend la confiance du public est la solidité du dossier du poursuivant (« le fait que l’accusation paraît fondée »; sous‑al. 515(10)c)(i)). Dans le contexte d’un appel, cela correspond à l’existence de moyens d’appel solides et, comme je l’expliquerai plus loin, la solidité de l’appel joue un rôle central dans l’appréciation de l’intérêt relatif au caractère révisable des jugements. Je dis cela en étant conscient que, dans certains jugements, des réserves ont été exprimées en ce qui concerne une appréciation du mérite de l’appel qui serait plus exigeante que le critère de « non‑futilité » énoncé à l’al. 679(3)a) (voir R. c. Allen, 2001 NFCA 44, 158 C.C.C. (3d) 225, par. 31‑52; Parsons, par. 55‑59). En toute déférence, je ne vois aucun problème à de telles appréciations.

[41]                          À mon avis, le fait de permettre un examen plus poussé de la solidité de l’appel pour l’appréciation de l’intérêt relatif au caractère révisable des jugements ne vide pas de son sens le critère de « non‑futilité » énoncé à l’al. 679(3)a). Au contraire, ce critère constitue une première étape qui aboutit à un « oui » ou à un « non » catégorique, ce qui permet de refuser immédiatement une ordonnance de mise en liberté lorsque l’appel est dénué de fondement[2].

[42]                          Le juge d’appel Donald a présenté la question de manière succincte et à mon avis correcte dans l’arrêt Porisky, par. 37 :

                         [traduction] L’utilisation expresse des termes « pas futile » à l’al. 679(3)a) et « suffisamment justifié » à l’al. 679(4)a) n’empêche pas selon moi de considérer le mérite de l’appel dans un autre but que l’application du critère préliminaire. Une fois qu’il a satisfait à ce critère, le demandeur doit répondre à la question de l’intérêt public, expression non définie dans la loi, mais que l’on doit circonscrire si l’on veut qu’elle résiste à un examen constitutionnel. C’est ce qui a été fait dans l’arrêt Farinacci. En assortissant de limites le critère de l’intérêt public — en particulier l’élément relatif à la confiance du public — dans cet arrêt, le tribunal a apprécié le mérite de l’appel dans un but différent de l’application du critère préliminaire. Il n’y a donc à mon avis aucune redondance, et je ne doute pas non plus que nous ayons compétence pour considérer le mérite de l’appel dans l’examen de la question de la confiance du public.

Voir aussi : R. c. Delisle, 2012 QCCA 1250, par. 4 et 52 (CanLII).

[43]                          Gary T. Trotter, maintenant juge à la Cour d’appel de l’Ontario, est parvenu à une conclusion analogue dans son article « Bail Pending Appeal : The Strength of the Appeal and the Public Interest Criterion » (2001), 45 C.R. (5th) 267, dans lequel il a donné les explications suivantes :

                    [traduction] . . . de façon réaliste, la plupart des affaires ne donnent pas lieu à la présentation d’arguments solides basés sur l’intérêt public, à tout le moins d’arguments qui débordent le souci général que tous les jugements en matière criminelle soient exécutés. [. . .] Toutefois, en présence d’une infraction grave, par exemple dans une affaire de meurtre, qui fait naître chez le public des préoccupations en ce qui a trait à l’exécution du jugement, il devrait y avoir un examen plus poussé des chances de succès de l’appel. C’est dans ce contexte que la mise en balance requise par Farinacci exige qu’on apprécie dans une certaine mesure le mérite de l’appel, indépendamment de la question de savoir si l’appel est futile ou non. [Notes en bas de page omises; p. 270.]

[44]                          En effectuant une appréciation plus poussée de la solidité de l’appel, les juges d’appel examineront les moyens mentionnés dans l’avis d’appel en tenant compte de leur plausibilité générale en droit et des éléments au dossier sur lesquels ils reposent. Lors de cette appréciation, ils se demanderont si les moyens d’appel vont clairement au delà des exigences minimales requises pour qu’il soit satisfait au critère de « non‑futilité ». À mon avis, il faut éviter de créer des catégories et des systèmes de classification. Des expressions comme « des chances de succès », « des chances modérées de succès » ou « des chances réelles de succès » ne sont généralement pas utiles. Elles ne constituent souvent guère plus qu’un exercice sémantique. Pire encore, elles risquent d’évoluer en une série de règles complexes que les juges d’appel seront obligés d’appliquer pour déterminer la catégorie à laquelle appartient un appel donné.

[45]                          En fin de compte, on peut s’en remettre aux juges d’appel pour qu’ils effectuent leur propre « appréciation préliminaire » de la solidité d’un appel sur la base de leurs connaissances et de leur expérience. Cette appréciation, il convient de le souligner, n’est pas le fruit de conjectures. Elle se fonde généralement sur les documents que les avocats ont fournis, notamment des éléments du dossier qui sont pertinents relativement aux moyens d’appel soulevés, ainsi que sur la jurisprudence et d’autres sources pertinentes. En procédant à cet exercice, les juges d’appel garderont bien sûr à l’esprit que notre système de justice n’est pas infaillible et qu’un processus véritable de révision est essentiel pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice. Il existe donc un intérêt public plus large en faveur du caractère révisable des jugements qui transcende l’intérêt de l’individu concerné à cet égard dans un cas donné.

[46]                          Pour terminer, je tiens à souligner que la réparation sollicitée en appel peut aussi jouer un rôle dans l’appréciation de l’intérêt relatif au caractère révisable des jugements. Si, par exemple, un appel fructueux aura uniquement pour effet de réduire la déclaration de culpabilité pour meurtre à une déclaration de culpabilité pour homicide involontaire coupable, ce facteur amoindrira l’intérêt relatif au caractère révisable des jugements, et ce, même si les moyens d’appel paraissent solides (R. c. Meda (1981), 23 C.R. (3d) 174 (C.A. C.‑B.); R. c. Olsen (1996), 94 O.A.C. 62, par. 5; R. c. Roe, 2008 BCCA 253, 256 B.C.A.C. 308, par. 14; R. c. Lees, 1999 BCCA 441, 127 B.C.A.C. 280, par. 4‑5).

d)             La mise en balance finale

[47]                          Les juges d’appel sont indubitablement tenus de se fonder sur leur expertise et leur expérience en droit pour apprécier les facteurs qui sous‑tendent la confiance du public, notamment la solidité des moyens d’appel, la gravité de l’infraction, la sécurité du public et les risques que l’accusé s’enfuie. Toutefois, lorsqu’ils effectuent la mise en balance finale de ces facteurs, les juges d’appel devraient garder à l’esprit que la confiance du public doit être mesurée du point de vue d’un membre raisonnable du public. Il s’agit d’une personne réfléchie, impartiale, bien informée sur les circonstances de l’affaire et respectueuse des valeurs fondamentales de la société (R. c. St‑Cloud, 2015 CSC 27, [2015] 2 R.C.S. 328, par. 74‑80). En ce sens, la confiance du public envers l’administration de la justice ne saurait être mesurée à l’aune d’une opinion publique mal informée à l’égard du dossier, une telle opinion publique n’ayant aucun rôle à jouer dans la décision d’accorder ou non une mise en liberté sous caution.

[48]                          Pour résoudre la tension entre le principe de la force exécutoire des jugements et celui de leur caractère révisable, les juges d’appels doivent aussi garder à l’esprit le délai prévu pour que soit tranché l’appel par rapport à la durée de la peine (R. c. Baltovich (2000), 47 O.R. (3d) 761 (C.A.), par. 41‑42). Lorsqu’il appert que la totalité de la peine, ou une partie appréciable de celle‑ci, sera purgée avant que l’appel soit entendu et tranché, la mise en liberté sous caution revêt une plus grande importance si l’on veut que l’intérêt lié au caractère révisable des jugements ait une signification. Toutefois, dans de telles circonstances, lorsqu’il est hors de question d’ordonner une mise en liberté sous caution, les juges d’appel doivent envisager la possibilité de rendre, en vertu du par. 679(10) du Code, une ordonnance visant à hâter l’appel. Cette solution n’est peut‑être pas parfaite, mais elle permet de préserver, du moins dans une certaine mesure, l’intérêt relatif au caractère révisable des jugements.

[49]                          En dernière analyse, il n’existe pas de formule précise qui puisse être appliquée pour résoudre la tension entre le principe de la force exécutoire des jugements et celui du caractère révisable de ceux‑ci. Une appréciation qualitative et contextuelle est requise. Sur cette question, je rejetterais l’application d’une approche par catégories à l’égard des meurtres ou d’autres infractions graves, approche que proposent certains intervenants. Au contraire, j’estime que les principes que j’ai examinés précédemment devraient être appliqués uniformément.

[50]                          Cela dit, lorsque le demandeur a été déclaré coupable de meurtre ou d’un autre crime très grave, l’intérêt du public relatif à la force exécutoire des jugements sera élevé et l’emportera souvent sur l’intérêt lié au caractère révisable de ceux‑ci, particulièrement dans les cas où il existe des préoccupations persistantes en matière de sécurité publique ou de risques de fuite, où les moyens d’appel semblent faibles, ou les deux (R. c. Mapara, 2001 BCCA 508, 158 C.C.C. (3d) 312, par. 38; Baltovich, par. 20; Parsons, par. 44).

[51]                          En revanche, lorsque les préoccupations en matière de sécurité publique ou de risques de fuite sont négligeables, et que les moyens d’appel vont clairement au delà des exigences du critère de « non‑futilité », l’intérêt du public lié au caractère révisable des jugements peut très bien l’emporter sur l’intérêt lié à la force exécutoire de ceux‑ci, même en cas de meurtre ou d’une autre infraction très grave.

[52]                          Avant d’appliquer ces principes à l’affaire qui nous occupe, je propose d’examiner les principes qui régissent l’audience de révision prévue au par. 680(1) du Code.

C.            L’audience de révision prévue au par. 680(1)  du Code criminel 

[53]                          En l’espèce, le par. 680(1) du Code prévoit un mécanisme de révision pour les ordonnances rendues en vertu du par. 679(3) par un juge de la Cour d’appel siégeant seul. Je note toutefois que la disposition s’applique également à certaines ordonnances relatives à la mise en liberté sous caution rendues avant le procès par un juge d’une cour supérieure pour diverses infractions, dont le meurtre. Pour plus de commodité, je reproduis ci‑après le par. 680(1) :

                    680 (1) Une décision rendue par un juge en vertu de l’article 522 ou des paragraphes 524(4) ou (5) ou une décision rendue par un juge de la cour d’appel en vertu des articles 261 ou 679 peut, sur l’ordre du juge en chef ou du juge en chef suppléant de la cour d’appel, faire l’objet d’une révision par ce tribunal et celui‑ci peut, s’il ne confirme pas la décision :

                        a) ou bien modifier la décision;

                    b) ou bien substituer à cette décision telle autre décision qui, à son avis, aurait dû être rendue.

[54]                          Comme l’indique clairement cette disposition, le processus de révision comporte deux étapes : premièrement, un filtrage initial par le juge en chef, et, deuxièmement, une révision par la cour, si le juge en chef en donne l’ordre. En pratique, la révision sera généralement effectuée par une formation de trois juges, comme cela a été le cas en l’espèce.

[55]                          La nature de la révision et la norme qui doit être appliquée par la formation pour décider s’il convient ou non de modifier l’ordonnance contestée sont des facteurs que le juge en chef est susceptible de prendre en compte dans l’exercice de sa fonction de filtrage initial. Par conséquent, il est utile à mon avis d’examiner le mandat de la formation de révision avant de se pencher sur la fonction de filtrage du juge en chef.

(1)           Révision par la formation

[56]                          Les parties ne s’entendent pas sur les principes qui régissent la révision effectuée par la formation en vertu du par. 680(1). M. Oland et l’intervenante la Criminal Lawyers’ Association (Ontario) (« CLA ») soutiennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, à savoir que la formation devrait procéder à un examen rigoureux du dossier et parvenir à sa propre décision de façon indépendante, que la décision rendue par le juge siégeant seul soit ou non viciée par une erreur de droit. Le ministère public intimé et les procureurs généraux de l’Ontario et de l’Alberta affirment pour leur part qu’il convient d’appliquer une norme plus déférente — une norme selon laquelle l’intervention n’est justifiée qu’en présence d’une erreur de droit ou de principe.

[57]                          À l’appui de leur thèse, M. Oland et la CLA présentent deux arguments principaux. Premièrement, ils renvoient aux art. 520 et 521 du Code, les dispositions qui s’appliquent, à l’étape du procès, à la révision des ordonnances relatives à la mise en liberté sous caution. Contrairement au par. 680(1), ces dispositions obligent la personne qui demande à un juge de réviser une telle ordonnance à « fai[re] valoir des motifs justifiant de le faire » pour que sa demande soit accueillie. Dans l’arrêt St‑Cloud, notre Cour a souligné que les mots « fait valoir des motifs justifiant de le faire » traduisent la volonté que l’approche soit moins interventionniste et plus déférente pour la révision des ordonnances relatives à la mise en liberté sous caution au stade du procès. Ce faisant, elle a fait remarquer que le libellé du par. 680(1) ne renfermait pas de termes semblables (par. 97‑104). Par conséquent, il faudrait, plaident‑ils, considérer que le par. 680(1) requiert l’application d’une norme moins déférente que celle applicable à l’étape du procès.

[58]                          Je ne puis accepter cet argument. Bien que les mots « fait valoir des motifs justifiant de le faire » ne figurent pas au par. 680(1), je ne suis pas convaincu que leur absence soit aussi importante que M. Oland et la CLA le prétendent. Dans le contexte d’une disposition en matière de révision, je me serais attendu à un texte plus explicite que celui figurant au par. 680(1) si le législateur avait voulu établir un processus de révision dans lequel la formation pourrait, sans plus, simplement substituer son opinion à celle du juge. En concluant ainsi, je souligne que, dans l’arrêt St‑Cloud, le juge Wagner, qui s’exprimait alors au nom de la Cour, a précisé au par. 104 que ses observations n’étaient pas déterminantes quant au type de révision que prévoit le par. 680(1).

[59]                          Deuxièmement, M. Oland et la CLA font valoir que la constitutionnalité de l’al. 679(3)c) tient à l’existence d’un examen rigoureux fondé sur la norme de la décision correcte. Ils fondent cet argument sur un extrait de l’arrêt Farinacci, où la juge Arbour a écrit ceci à la p. 47 :

                    [traduction] Bien que son application ne soit souvent pas exempte de difficultés et qu’elle puisse différer en fonction du juge, cette norme permet d’évaluer le caractère correct de décisions individuelles. En revanche, si le contrôle s’effectuait sans recours à une norme, il ne pourrait y avoir de débat sur le caractère correct d’une décision prise sous le régime de cette norme, puisque les juges se verraient autorisés à faire prévaloir leurs préférences personnelles. [Je souligne.]

[60]                          Je ne trouve pas cet extrait convaincant. Dans Farinacci, la Cour d’appel s’est attachée à la constitutionnalité de l’al. 679(3)c), une question qui ne nous intéresse pas en l’espèce. De plus, l’argument suppose qu’une révision selon la norme de la décision correcte est la seule forme d’examen valable pour contrer l’imprécision. Bien que l’existence d’un recours en révision ait pu être un facteur important pour la Cour d’appel dans son examen de la constitutionnalité de l’al. 679(3)c), il ne s’ensuit pas que la nature de cette révision exige l’application d’une norme de la décision correcte conforme à celle que suggèrent M. Oland et la CLA. Quoi qu’il en soit, en l’absence de contestation constitutionnelle, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de se prononcer sur cette question, si ce n’est pour conclure que les observations de la Cour d’appel ne permettent pas de trancher la question de la nature de la révision visée au par. 680(1).

[61]                          En dernière analyse, je suis d’avis que les trois principes suivants devraient guider la formation chargée de réviser, en vertu du par. 680(1), la décision rendue par un juge siégeant seul. Premièrement, en l’absence d’erreur manifeste et dominante, la formation de révision doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du juge. Deuxièmement, elle peut intervenir et substituer sa décision à celle du juge lorsqu’elle est convaincue que celui‑ci a commis une erreur de droit ou de principe, et que cette erreur était importante quant à l’issue de l’affaire. Troisièmement, en l’absence d’une erreur de droit, la formation de révision peut intervenir et substituer sa décision à celle du juge dans les cas où elle conclut que celle‑ci était clairement injustifiée.

[62]                          Cette approche permet une véritable révision tout en prévoyant qu’une certaine déférence s’impose à l’égard de la décision du juge. Elle assure aussi une symétrie avec le processus de révision applicable au stade du procès, sauf en ce qui concerne les infractions mentionnées à l’art. 469 du Code, pour lesquelles ce processus est régi par le par. 680(1). Cette symétrie est importante parce que, comme Gary T. Trotter l’explique dans son ouvrage intitulé The Law of Bail in Canada, elle permet d’éviter une anomalie :

                         [traduction] Si l’on s’attache à la révision des ordonnances relatives à la mise en liberté sous caution rendues avant le procès, le fait d’adopter la norme de la décision correcte pour les besoins de l’art. 680 se traduit par l’application de normes de révision différentes pour les infractions visées à l’art. 469 et pour celles qui ne le sont pas. Cela aura pour effet d’autoriser une révision de portée plus large à l’égard des infractions les plus graves du Code criminel . [. . .] Aucune raison logique ne justifie une situation où une personne détenue par suite d’une accusation de meurtre jouirait d’une révision de portée plus large en vertu de l’art. 680 qu’une personne accusée d’homicide involontaire coupable ou de tentative de meurtre (deux infractions non visées à l’art. 469), personne relevant du régime plus étroit de l’art. 520. [p. 8‑31]

(2)           Le pouvoir discrétionnaire du juge en chef d’ordonner une révision

[63]                          Le Code ne prévoit aucune procédure précise en ce qui concerne la décision du juge en chef d’ordonner une révision par une formation. On nous rapporte que les cours d’appel ont adopté différentes approches et différents degrés de formalisme. On ne nous a pas demandé de nous prononcer sur les aspects procéduraux de la fonction de gardien du processus judiciaire qu’exerce le juge en chef, et je n’entends pas le faire. Il est cependant possible de donner certaines précisions sur le critère que ce dernier devrait appliquer pour décider s’il convient ou non d’ordonner une révision par une formation.

[64]                          À mon sens, ce critère devrait être relativement simple à appliquer. Il découle des principes que la formation doit appliquer pour effectuer une révision. En résumé, le juge en chef devrait envisager d’ordonner une révision dans les cas où il est possible de soutenir que le juge a commis des erreurs importantes de fait ou de droit lorsqu’il a rendu la décision contestée, ou que celle‑ci était clairement injustifiée dans les circonstances.

V.            Application à l’espèce

[65]                          Mis à part la gravité de l’infraction pour laquelle il a été déclaré coupable, M. Oland paraissait, de l’avis général, un candidat idéal pour une mise en liberté sous caution. C’est à juste titre que le juge d’appel a fait abstraction de la notoriété de l’affaire — laquelle découlait en grande partie du fait que M. Oland était une personne bien en vue dans la collectivité — et de toute opinion publique mal informée au sujet de celle‑ci. Je tiens à souligner que M. Oland avait le droit d’être traité de la même manière qu’une personne moins connue que lui.

[66]                          Dans les circonstances, un mérite considérable doit être accordé à l’argument de M. Oland selon lequel si lui ne satisfait pas aux critères de la mise en liberté sous caution, aucune personne déclarée coupable d’une infraction d’une gravité semblable ne sera jamais libérée sous caution en l’absence de moyens d’appel hors du commun ou exceptionnellement solides. Une telle situation ne serait pas acceptable. Le législateur n’a pas restreint la possibilité pour les personnes reconnues coupables de meurtre ou de tout autre crime grave d’obtenir une mise en liberté sous caution en attendant l’issue de leur appel, et les tribunaux devraient respecter cela. En conséquence, pour l’application de l’al. 679(3)c) et même dans le cas d’infractions très graves, lorsqu’il n’existe pas de préoccupations en matière de sécurité publique ou de risques de fuite et que les moyens d’appel vont clairement au delà des exigences du critère de « non‑futilité », un tribunal peut fort bien conclure que l’intérêt relatif au caractère révisable des jugements l’emporte sur l’intérêt lié à la force exécutoire de ceux‑ci et que, pour cette raison, la détention ne sera pas nécessaire dans l’intérêt public.

[67]                          Chaque cas est différent et il pourrait y avoir des facteurs clés dans d’autres affaires, par exemple l’existence d’antécédents judiciaires, des préoccupations en matière de sécurité publique et de risques de fuite, ou encore un plan de libération peu solide, qui pourraient susciter des inquiétudes justifiant une détention. Il est évident qu’une analyse contextuelle permettant de tenir compte de ces différences est nécessaire.

[68]                          En l’espèce, le juge d’appel était convaincu qu’il n’existait aucune préoccupation importante en matière de sécurité publique ou de risques de fuite et que les moyens d’appel pouvaient « nettement être soutenus », ce qui, à mon avis, signifie qu’ils allaient clairement au delà des exigences du critère de « non‑futilité ». Ces conclusions ne sont pas contestées en appel. En outre, le juge d’appel a fait abstraction de ce que je considère être une conclusion importante tirée par le juge du procès, à savoir que, dans les circonstances, le crime commis par M. Oland se rapprochait davantage de l’infraction d’homicide involontaire coupable que de celle de meurtre au premier degré. Cette conclusion était importante parce qu’elle contribuait à réduire le degré de culpabilité morale de M. Oland, et qu’elle atténuait par le fait même la gravité du crime et, partant, l’intérêt lié à la force exécutoire des jugements. Cumulativement, ces considérations auraient dû, à mon avis, faire pencher la balance du côté de la libération. Autrement dit, la détention de M. Oland était clairement injustifiée et la Cour d’appel a commis une erreur en n’intervenant pas.

[69]                          Bien que cela suffise pour trancher le présent pourvoi, il me faut relever une erreur de droit dans l’analyse effectuée par le juge d’appel. Plus particulièrement, ses motifs indiquent que celui‑ci n’a pas appliqué le critère approprié pour apprécier la solidité de l’appel de M. Oland et les conséquences qui en découlent. Même s’il était convaincu que M. Oland avait soulevé des moyens d’appel qui pourraient « nettement être soutenus », cela ne suffisait pas. Comme le montre l’extrait suivant de ses motifs, il a exigé quelque chose de plus, telles des circonstances uniques qui auraient garanti pour ainsi dire la tenue d’un nouveau procès ou un acquittement :

                    En définitive, le membre raisonnable du public porterait sur l’affaire un regard impartial et mettrait dans la balance, d’une part la gravité du crime dont M. Oland a été déclaré coupable, qui compte parmi les plus terribles du Code criminel , la perpétration brutale du crime et la peine d’emprisonnement à perpétuité prononcée par le juge du procès, d’autre part les facteurs favorables à la mise en liberté. À mon respectueux avis, il conclurait que, s’il se peut que les moyens d’appel puissent nettement être soutenus, aucun ne ressortit aux circonstances uniques qui garantiraient pratiquement un acquittement ou la tenue d’un nouveau procès. En somme, je suis contraint de conclure que, sachant tout cela, le membre raisonnable du public verrait sa confiance dans l’administration de la justice criminelle minée si M. Oland était mis en liberté dans les circonstances. [Je souligne; par. 32.]

En toute déférence, il a commis une erreur à cet égard. Le fait que les moyens invoqués par M. Oland pouvaient « nettement être soutenus » suffisait pour établir qu’ils allaient clairement au delà des exigences du critère de « non‑futilité ».

[70]                          Par conséquent, si les événements survenus dans l’intervalle n’avaient pas rendu le pourvoi théorique, j’aurais annulé l’ordonnance de détention de M. Oland et ordonné sa mise en liberté en attendant qu’il soit statué sur l’appel. Toutefois, comme le pourvoi est théorique, je suis d’avis de simplement accueillir celui‑ci et de ne rendre aucune autre ordonnance.

                    Pourvoi accueilli.

                    Procureurs de l’appelant : Alan D. Gold Professional Corporation, Toronto; Gary A. Miller Professional Corporation, Upper Kingsclear, Nouveau‑Brunswick; Cox & Palmer, Saint John.

                    Procureur de l’intimée : Procureur général du Nouveau‑Brunswick, Fredericton.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Vancouver.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Procureur général de l’Alberta, Calgary.

                    Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario) : Brauti Thorning Zibarras, Toronto; Ursel Phillips Fellows Hopkinson, Toronto; Presser Barristers, Toronto.



[1]   Alors que le par. 679(3) oblige le demandeur à « établi[r] » que les trois critères prévus par la loi sont remplis, le par. 515(1) impose généralement au ministère public le fardeau de « fa[ire] valoir [. . .] des motifs justifiant la détention du prévenu sous garde ».

[2]   Bien que nous ne soyons pas saisis de cette question, il convient de noter que l’exigence prévue à l’al. 679(4)a) du Code — selon laquelle, pour pouvoir obtenir une mise en liberté sous caution en attendant qu’il soit statué sur l’appel d’une sentence, l’appel doit être « suffisamment justifié » — pourrait jouer un rôle semblable. Cette disposition est libellée comme suit :

679 . . .

(4) Dans le cas d’un appel [d’une sentence], le juge de la cour d’appel peut ordonner que l’appelant soit mis en liberté en attendant la décision de son appel ou jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné par un juge de la cour d’appel, si l’appelant établit à la fois :

a) que l’appel est suffisamment justifié pour que, dans les circonstances, sa détention sous garde constitue une épreuve non nécessaire;

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