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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Ostiguy c. Allie, 2017 CSC 22, [2017] 1 R.C.S. 402

Appel entendu : 7 octobre 2016

Jugement rendu : 6 avril 2017

Dossier : 36694

 

Entre :

Alain Ostiguy et

Valérie Savard

Appelants

 

et

 

Hélène Allie

Intimée

 

Traduction française officielle : Motifs de la juge Côté

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 96)

Le juge Gascon (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Brown)

 

Motifs dissidents :

(par. 97 à 164)

La juge Côté

 

 

 


Ostiguy c. Allie, 2017 CSC 22, [2017] 1 R.C.S. 402

Alain Ostiguy et

Valérie Savard                                                                                                Appelants

c.

Hélène Allie                                                                                                        Intimée

Répertorié : Ostiguy c. Allie

2017 CSC 22

No du greffe : 36694.

2016 : 7 octobre; 2017 : 6 avril.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown.

en appel de la cour d’appel du québec

                    Prescription — Prescription acquisitive — Biens immeubles — Publicité des droits — Possession utile d’un espace de stationnement situé sur le terrain voisin pendant plus de 10 ans — Demande d’injonction déposée par les nouveaux propriétaires afin que le possesseur cesse de stationner son véhicule sur leur terrain rejetée en Cour supérieure et en Cour d’appel — Disposition du Code civil prévoyant que celui qui a possédé un immeuble à titre de propriétaire pendant 10 ans « ne peut en acquérir la propriété qu’à la suite d’une demande en justice » — Un droit de propriété acquis par prescription mais n’ayant pas fait l’objet d’une demande en justice est‑il opposable au nouveau propriétaire de l’immeuble qui a inscrit son titre au registre foncier? — Rôles respectifs de la prescription acquisitive et du régime de la publicité des droits en droit civil québécois Nature d’un jugement résultant d’une demande de reconnaissance judiciaire du droit de propriété acquis par prescription — Code civil du Québec, art. 922, 2910, 2918.

                    Entre 1994 et 2011, A et sa famille utilisent sans objection, au vu et au su de tous, un ou deux espaces de stationnement situés sur le terrain de leur voisin de l’époque. Entre 2004 et 2011, une fois la prescription décennale acquise, A n’entreprend toutefois pas de recours judiciaire pour faire reconnaître son droit. En 2011, O et S acquièrent cet immeuble voisin par acte de vente. Quelques mois après avoir pris possession de leur immeuble, ils déposent une demande d’injonction afin que A cesse d’y stationner son véhicule. En réponse, celle‑ci soutient avoir acquis les espaces de stationnement par prescription décennale, laquelle aurait préséance sur le titre de O et S inscrit au registre foncier.

                    La Cour supérieure donne partiellement raison à A en confirmant que, selon la preuve entendue, cette dernière a acquis par prescription l’un des deux stationnements revendiqués. La majorité de la Cour d’appel rejette l’appel et conclut que le législateur n’a pas voulu, par le biais de l’art. 2918 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »), changer le régime de la prescription acquisitive qui existait lors de son adoption. Elle rappelle que la prescription acquisitive permet de prouver l’existence du droit de propriété, alors que la publicité foncière n’a pas pour fonction de garantir les titres. La possession de A est opposable au propriétaire inscrit au registre foncier. Le juge dissident aurait plutôt accueilli l’appel et confirmé le titre de propriété de O et S. Selon lui, le droit de prescrire acquis par A dès 2004 est distinct du droit réel convoité, lequel ne peut être obtenu qu’après la demande en justice visée à l’art. 2918 C.c.Q. À son avis, le jugement résultant de cette demande est une condition essentielle pour acquérir la propriété par prescription. A devait donc obtenir un tel jugement et publier son droit pour qu’il soit opposable à O et S.

                    Arrêt (la juge Côté est dissidente) : Le pourvoi est rejeté.

                    La juge en chef McLachlin et les juges Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Brown : Les parties au litige ont de part et d’autre un droit légitime à faire valoir. O et S ont acquis leur titre de façon régulière, par acte de vente. La possession utile de A d’un des stationnements du lot de ses voisins est reconnue et tout aussi légitime. Pour déterminer laquelle des parties doit avoir préséance, il faut cerner les rôles respectifs de la prescription acquisitive et de la publicité des droits en droit civil québécois, puis interpréter et appliquer les dispositions pertinentes du C.c.Q. en tenant compte de son économie générale et de sa cohérence.

                    Le C.c.Q. reconnaît la prescription acquisitive comme un « moyen d’acquérir le droit de propriété ou l’un de ses démembrements, par l’effet de la possession » (art. 2910 C.c.Q.). Le possesseur doit prouver l’exercice de fait du droit convoité et la volonté d’exercer ce droit en tant que titulaire, et ce pendant au moins 10 ans en matière immobilière. Sa possession doit être « paisible, continue, publique et non équivoque » pour produire ses effets (art. 922 C.c.Q.). Le possesseur qui revendique la propriété d’un immeuble doit également obtenir un jugement afin de confirmer le droit ainsi acquis.

                    En ce qui a trait au rôle de la publicité des droits, ce dernier n’a pas changé de façon significative à la suite de l’adoption du C.c.Q. En effet, bien que l’Office de révision du Code civil avait initialement suggéré en 1977 une modification substantielle de la procédure et de l’effet de la publication des droits immobiliers qui reposait sur le principe cardinal de la confiance absolue dans les titres, le législateur québécois n’a pas mené à terme cette réforme. Il l’a de fait abandonnée en 2000, consacrant le rôle traditionnel purement déclaratif de la publicité. Ce choix d’abandonner la majeure partie de la réforme du registre foncier confirme que, sous le C.c.Q. actuel, les droits acquis par prescription n’ont pas davantage besoin d’être publiés pour être opposés aux tiers que ce n’était le cas sous le Code civil du Bas‑Canada (« C.c.B.‑C. »).

                    Ainsi, force est de constater que les rôles distincts de la prescription acquisitive et de la publicité des droits font en sorte que les droits validement acquis par prescription opèrent sans égard aux droits inscrits au registre foncier. Cette solution est celle qui est la plus cohérente avec l’économie générale du C.c.Q. et avec les dispositions pertinentes relatives tant à la prescription, qu’à la publicité des droits et à la vente.

                    Cette solution concorde avec l’art. 2885 C.c.Q. qui requiert la publication de la renonciation à la prescription acquise de droits réels immobiliers. En effet, puisque la prescription acquise met en péril un droit autrement inscrit au registre, il est nécessaire d’en publier la renonciation afin que les tiers puissent en prendre connaissance. Elle s’harmonise aussi avec l’art. 2957 C.c.Q. qui prévoit que la « publicité n’interrompt pas le cours de la prescription ». Il serait en effet illogique de conclure que la publicité des droits ne peut interrompre la prescription qui court toujours, mais qu’elle peut annihiler les effets de la prescription déjà acquise.

                    Cette solution est en outre cohérente avec l’abrogation de l’art. 2962 C.c.Q., laquelle a eu pour effet de ne plus permettre aux tiers de se fier entièrement aux inscriptions contenues au registre foncier. Quant à la théorie des droits apparents, rien ne permet de croire que le législateur ait voulu que cette théorie s’applique de façon plus générale, au‑delà des situations pour lesquelles il a spécifiquement décidé de la reconnaître. De toute façon, si elle s’appliquait, il n’y aurait aucune raison pour que les apparences créées artificiellement par le registre foncier prévalent sur les apparences tangibles que crée la possession utile. Finalement, cette solution est tout aussi cohérente avec l’art. 1724 al. 2 C.c.Q. qui permet de préserver les droits de toutes les parties en cause. En effet, cet article prévoit que le vendeur se porte garant envers l’acheteur « de tout empiétement qu’un tiers aurait, à sa connaissance, commencé d’exercer avant la vente ». Ainsi, bien qu’en l’espèce O et S se voient privés d’une partie du droit de propriété que l’acte de vente prétendait leur transférer, en raison de la prescription acquisitive que leur oppose A, il leur est néanmoins possible de réclamer la perte correspondante auprès de leurs auteurs s’ils sont en mesure de prouver que ceux‑ci connaissaient l’empiétement exercé par A avant la vente et qu’ils ont omis de leur mentionner.

                    En ce qui a trait à la préinscription d’une demande en justice qui concerne un droit réel prévue aux art. 2966 et 2968 C.c.Q., elle est inutile à l’égard de la prescription acquisitive. En effet, la possession utile qui fonde cette prescription est déjà publique et opposable aux tiers. Puisque la prescription acquisitive produit ses effets sans égard aux droits inscrits au registre foncier, il n’est pas nécessaire que le possesseur préinscrive sa demande en justice pour protéger ses droits.

                    Enfin, la nature du jugement visé à l’art. 2918 C.c.Q. n’est pas déterminante pour résoudre la question soumise à la Cour. De toute façon, ce jugement vise uniquement à reconnaître les droits préexistants que confère la possession utile par l’écoulement du temps; en définitive, le législateur n’a voulu que rétablir à cet égard la situation qui prévalait sous le C.c.B.‑C. Il est vrai que lors de l’adoption du C.c.Q., en 1991, le législateur semblait avoir l’intention de subordonner l’acquisition de la propriété d’un immeuble par prescription à l’obtention d’un jugement. Toutefois, le rôle de l’art. 2918 C.c.Q. a été altéré par la suspension et l’abandon subséquents de la réforme du régime de publicité des droits. Cet article et les dispositions pertinentes du Code de procédure civile doivent plutôt s’interpréter en tenant compte de la réforme avortée et des multiples changements qui en ont découlé. Il en ressort que l’accomplissement de la prescription dépend de la possession utile, pas de l’obtention d’un jugement; c’est la prescription acquisitive qui attribue le droit et non le jugement. En réalité, celui‑ci constate l’existence du droit préexistant; il ne crée pas de droit nouveau. Sous ce rapport, l’exigence de l’art. 2918 C.c.Q. s’apparente plus à une condition procédurale que de fond. Or, ces diverses caractéristiques tiennent plus d’un caractère déclaratif qu’attributif ou constitutif.

                    En définitive, la solution retenue en l’espèce ne fragilise pas le registre foncier et n’introduit pas plus d’incertitude qu’auparavant dans les transactions immobilières au Québec. Elle reconnaît plutôt l’effet incontournable de la prescription acquisitive, une importante institution du droit civil québécois reconnue par le législateur, qui vise à conférer des conséquences juridiques à une possession qui est déjà paisible, continue, publique et non équivoque.

                    La juge Côté (dissidente) : Suivant l’art. 2918 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »), l’acquisition par prescription d’un droit réel immobilier est subordonnée à l’obtention d’un jugement faisant suite à une demande en justice. Ce jugement est constitutif du droit de propriété et n’a pas d’effet rétroactif. Donner une interprétation atténuée de cette disposition de sorte que le jugement soit déclaratif et rétroactif est impossible à concilier avec l’équilibre établi par la loi entre le droit de propriété et la mise en œuvre du régime de prescription. Une telle interprétation est également incompatible avec les livres du C.c.Q. sur les biens et la publicité, et avec la logique qui sous-tend la prescription acquisitive.

                    Le concept de prescription crée une tension en rapport avec les droits réels, y compris avec le droit réel primordial visé par le C.c.Q., le droit de propriété. Le régime de prescription est malgré tout fondé sur deux objets valides. D’abord, la prescription a pour effet de valider les titres, de sorte que la partie à un acte translatif de propriété n’a pas à prouver la validité de chaque maillon de la chaîne de titres. Ensuite, la prescription a pour effet de permettre au possesseur de fait d’acquérir le droit de propriété au détriment du véritable propriétaire, dont le droit est éteint. Dans les deux cas, la raison d’être du régime de prescription est claire : il vise à assurer l’efficacité, la stabilité et la sécurité des rapports de propriété.

                    À l’ère moderne, il ne peut être donné effet à cette raison d’être qu’en reconnaissant que les conditions relatives à la prescription acquisitive d’un immeuble ont bel et bien changé lors de l’adoption du C.c.Q. Auparavant, suivant l’art. 2242 du Code civil du Bas-Canada (« C.c.B.‑C. »), un possesseur de mauvaise foi et sans titre pouvait acquérir un immeuble seulement après en avoir eu possession pendant 30 ans. L’article 2251 C.c.B.‑C. prévoyait une prescription acquisitive de 10 ans, mais seulement si le possesseur de bonne foi pouvait fonder sa possession sur un titre translatif de propriété. L’article 2918 C.c.Q. a substitué à ces conditions une période unique de 10 ans, sans considération de la bonne ou de la mauvaise foi du possesseur, ni de la présence ou de l’absence d’un titre translatif de propriété.

                    Compte tenu de ces changements — et puisque la réduction de la période de prescription affecte de manière inhérente l’équilibre entre les droits du possesseur et ceux du véritable propriétaire —, l’art. 2918 impose une condition voulant que le possesseur ne puisse acquérir le droit de propriété qu’à la suite d’une demande en justice. Cette exigence n’a pas de précédent dans le C.c.B.‑C. et, en conséquence, elle ne peut être définie en fonction de pratiques qui avaient cours sous le régime du C.c.B.‑C.

                    L’abandon de la réforme du registre foncier n’a pas soustrait les possesseurs à l’exigence prévue par l’art. 2918 de présenter une demande en justice. Au contraire, un examen attentif de l’historique législatif de l’art. 2918 C.c.Q. et de l’art. 143 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil révèle que le législateur souhaitait que le jugement faisant suite à la demande en justice soit constitutif du droit de propriété et sans effet rétroactif. L’exigence relative à la demande en justice n’a pas simplement survécu aux modifications adoptées par le législateur à la suite de l’abandon de la réforme; elle a acquis une importance accrue puisque la réduction du délai de prescription à 10 ans — qui était initialement fondée sur la mise en place de la réforme du registre — a été conservée. Selon l’art. 2918 actuel, le temps écoulé à lui seul ne donne plus au possesseur un droit de propriété; seul un jugement peut le faire. Conclure autrement confondrait la possession de fait et la création ou le transfert de droits réels, et contrecarrerait donc fondamentalement l’équilibre établi par la loi entre les droits du possesseur et ceux du véritable propriétaire.

                    Donner effet au sens ordinaire du libellé de l’art. 2918 est compatible avec le régime de publication du C.c.Q. qui, suivant le premier alinéa de l’art. 2966, permet à un possesseur, avant qu’il obtienne le jugement nécessaire prévu à l’art. 2918, de préinscrire sa demande en justice. Selon le premier alinéa de l’art. 2968, la date de la préinscription est réputée être la date de publication. Par l’effet de ces articles, le possesseur prudent qui respecte les exigences énoncées à l’art. 2918 est incité à préinscrire sa demande en justice, ce qui concorde avec l’exigence générale prévue à l’art. 2938 C.c.Q., soit la publicité de « l’acquisition, la constitution, la reconnaissance, la modification, la transmission et l’extinction » des droits réels immobiliers. La possibilité que surviennent des litiges et des contestations de priorité de rang s’en trouve également réduite, et l’efficacité, la stabilité et la sécurité des rapports de propriété entre détenteurs de titres sont favorisées parce qu’ils sont encouragés à publier leur titre. Traiter le jugement rendu en application de l’art. 2918 comme s’il était déclaratif et rétroactif ne donne pas un tel encouragement.

                    En l’espèce, A n’a présenté la demande en justice visée par l’art. 2918 que bien après que O et S aient acquis le titre relatif à l’immeuble en cause et l’eurent publié. O et S sont ainsi premiers, non seulement sur le plan chronologique, mais aussi, comme le révèle le registre, sur celui de l’ordre de priorité. Il en résulte que la possession de A n’est pas opposable au titre de O et S.

Jurisprudence

Citée par le juge Gascon

                    Arrêts mentionnés : Deschesnes c. Boucher, [1961] B.R. 771; Noiseux c. Savio (1982), 27 R.P.R. 179; Dupuy c. Gauthier, 2013 QCCA 774, [2013] R.J.Q. 662; Medeiros c. St‑Louis, [2002] R.D.I. 352; Dupont c. Saint‑Arnaud, [1992] R.D.J. 88; Montréal (Ville) c. 2952‑1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Dion c. Ouellet‑Latulippe, 2008 QCCA 1812; Sylviculture et exploitation J.M.J. inc. c. Mayer Hill, 2012 QCCA 1377; De Repentigny c. Fortin (Succession), 2012 QCCS 905; Breton c. Fortin, 2016 QCCS 6149; Gosselin c. Turner, 2012 QCCS 388; Caron c. Gauthier, 2011 QCCS 2898; Beauséjour c. Centre de ski Le Relais, 2015 QCCS 127; Cabana c. Valiquette, 2013 QCCS 4710, conf. par 2015 QCCA 1520; Re Gagné, 2009 QCCS 6064; Re Montmagny (Ville), 2005 CanLII 11604; Re Béland, 2005 CanLII 24349.

Citée par la juge Côté (dissidente)

                    Croisetière c. Gélinas, [1977] C.A. 183; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Dupuy c. Gauthier, 2013 QCCA 774, [2013] R.J.Q. 662; Craig c. Béton Chevalier inc., 2012 QCCS 2888; Granby (Ville) c. Gestion Rainville ltée, 2011 QCCS 4259; Re Gagné, 2009 QCCS 6064; Re Montmagny (Ville), 2005 CanLII 11604; Re Béland, 2005 CanLII 24349; R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 R.C.S. 575.

Lois et règlements cités

Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C‑12, art. 6, 8.

Code civil du Bas‑Canada, art. 406, 1508, 2082, 2089, 2098, 2183, 2183a, 2206, 2242, 2251.

Code civil du Québec, art. 331, 627, 884, 912, 916, 921, 922, 928, 930, 947, 1037, 1559, 1643, 1724, 2163, 2847, 2875, 2879, 2885, 2910, 2911, 2912, 2917, 2918 [mod. 2000, c. 42, art. 10], 2938, 2941, 2943, 2944 [idem, art. 15], 2945, 2946, 2957, 2962 [abr. idem, art. 19], 2966, 2968, 3026, 3046 à 3053 [idem, art. 73], 3075.

Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25, art. 805 [mod. 1992, c. 57, art. 367], 806.

Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25.01, art. 468.

Code de procédure civile, S.Q. 1965, c. 80, art. 806.

Code Napoléon, art. 544.

Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (1789), art. II, XVII.

Loi d’interprétation, RLRQ, c. I‑16, art. 41.1, 50.

Loi modifiant, en matière de sûretés et de publicité des droits, la Loi sur l’application de la réforme du Code civil et d’autres dispositions législatives, L.Q. 1995, c. 33.

Loi modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives relativement à la publicité foncière, L.Q. 2000, c. 42.

Loi sur l’application de la réforme du Code civil, art. 143 [mod. 2000, c. 42, art. 87], 155 al. 1.

Doctrine et autres documents cités

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                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Savard et Schrager et le juge Jacques (ad hoc)), 2015 QCCA 1368, [2015] AZ‑51208986, [2015] J.Q. no 7834 (QL), 2015 CarswellQue 7807 (WL Can.), qui a confirmé une décision du juge Dumas, 2013 QCCS 5808, [2013] AZ‑51020921, [2013] J.Q. no 16027 (QL), 2013 CarswellQue 11635 (WL Can.). Pourvoi rejeté, la juge Côté est dissidente.

                    Eric Lalanne, pour les appelants.

                    Philippe Dumaine et Sarah Laplante Bazzi, pour l’intimée.

                    Le jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Brown a été rendu par

                    Le juge Gascon —

I.               Aperçu

[1]                              Ce pourvoi met en relief la tension qui existe parfois entre la prescription acquisitive et la certitude apparente des inscriptions contenues au registre foncier. Comme toute autre tension entre deux ou plusieurs parties du Code civil du Québec (« C.c.Q. » ou « Code »), elle doit être résolue en favorisant la solution qui s’accorde le mieux avec l’économie générale du Code, en évitant d’isoler l’un de ses articles au détriment des autres. Il en va de la cohérence du Code, laquelle est sans contredit l’une de ses caractéristiques fondamentales.

[2]                              Les parties sont propriétaires de lots contigus où se trouvent leurs chalets respectifs. Entre 1994 et 2011, l’intimée, Mme Allie, et sa famille utilisent sans objection, au vu et au su de tous, un ou deux espaces de stationnement situés sur le terrain de leur voisin de l’époque. En 2011, les appelants, M. Ostiguy et Mme Savard, acquièrent ce lot voisin. Quelques mois après avoir pris possession de leur immeuble, ils déposent une demande d’injonction afin que l’intimée cesse de stationner son véhicule sur leur terrain. En réponse, celle-ci rétorque avoir acquis les deux espaces de stationnement par prescription décennale. Le juge de première instance lui donne partiellement raison; il confirme que, selon la preuve entendue, l’intimée a acquis par prescription l’un des deux stationnements revendiqués.

[3]                              Les appelants ne contestent plus les constats factuels du premier juge sur la qualité de la possession de l’intimée. Ils soulèvent néanmoins une question de droit qui est au cœur du présent pourvoi : une prescription acquise peut-elle être opposée à un nouveau propriétaire qui inscrit son titre au registre foncier avant que le possesseur ne revendique son droit devant les tribunaux?

[4]                              La majorité de la Cour d’appel a répondu à cette question par l’affirmative et a rejeté l’appel. Le juge dissident aurait plutôt accueilli l’appel et confirmé le titre de propriété des appelants.

[5]                              Je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Le Code n’a pas changé les modalités de la prescription acquisitive, qui reste opposable au propriétaire inscrit au registre foncier peu importe le moment de cette inscription. Cette conclusion ressort de l’historique législatif des dispositions en cause et respecte la cohérence des livres pertinents du Code. À l’inverse, la solution préconisée par les appelants repose sur une interprétation littérale de l’art. 2918 C.c.Q. qui serait incompatible avec plusieurs dispositions du Code, qui résulterait en des incohérences que le législateur n’a pu souhaiter, et qui, par conséquent, doit être écartée.

II.            Contexte

[6]                              Le contexte factuel du pourvoi n’est plus remis en question. Il se résume succinctement. En 1993, l’auteur de l’intimée, son défunt conjoint, acquiert le lot dont elle est aujourd’hui propriétaire. De 1994 à 2011, leur famille possède de façon paisible, continue, publique et non équivoque l’un des quatre espaces de stationnement situés sur le lot de leur voisin. Entre 2004 et 2011, une fois la prescription décennale acquise, l’intimée n’entreprend toutefois pas de recours judiciaire pour faire reconnaître son droit.

[7]                              Les appelants acquièrent ce lot voisin en 2011 par acte de vente. Forts de leur titre publié au registre foncier, ils mettent alors rapidement l’intimée en demeure de cesser de stationner son véhicule sur leur terrain. Quelques mois plus tard, ils déposent une demande d’injonction au même effet. L’intimée s’oppose à cette demande. Elle se porte demanderesse reconventionnelle et soutient avoir acquis non pas un mais bien deux des espaces de stationnement par prescription décennale, laquelle aurait préséance sur le titre des appelants.

III.          Historique judiciaire

A.            Cour supérieure du Québec (2013 QCCS 5808)

[8]                              Le juge de première instance conclut de la preuve que l’intimée et son auteur ont eu la possession utile d’un espace de stationnement situé sur le lot des appelants pendant 10 ans. L’intimée en a par le fait même acquis la propriété par prescription. Le juge la déclare donc seule et unique propriétaire de cet espace de stationnement et ordonne la publication du jugement au registre foncier.

B.            Cour d’appel du Québec (2015 QCCA 1368)

[9]                              Les trois juges de la Cour d’appel entérinent les constats factuels du premier juge sur la possession utile de l’intimée. Ils se divisent cependant sur l’opposabilité de cette possession envers les appelants.

(1)           Opinion majoritaire des juges Savard et Schrager

[10]                          La juge Savard, pour la majorité, conclut que la possession de l’intimée est opposable aux appelants. Elle note qu’il existe une controverse jurisprudentielle et doctrinale à savoir si le jugement visé à l’art. 2918 C.c.Q. reconnaît ou attribue un droit de propriété. Elle considère cependant que cette question n’est pas pertinente pour les fins du pourvoi. Ni cet article ni le Code n’ont changé le régime de la prescription acquisitive qui prévalait sous le Code civil du Bas-Canada (« C.c.B.-C. ») et en vertu duquel la possession est opposable au propriétaire inscrit au registre foncier.

[11]                          La juge Savard note que le possesseur peut prescrire sans titre, même s’il est de mauvaise foi. Ainsi, les présomptions de connaissance et d’existence d’un droit publié au registre foncier, énoncées aux art. 2943 et 2944 C.c.Q., permettent au mieux de conclure à la mauvaise foi de l’intimée. Elles n’altèrent toutefois pas les modalités d’acquisition de la prescription et peuvent être repoussées par une preuve contraire suivant l’art. 2847 C.c.Q.

[12]                          La juge Savard rappelle que la prescription acquisitive permet de prouver l’existence du droit de propriété, alors que la publicité foncière se limite à départager les ayants cause d’un même auteur (art. 2946 C.c.Q.) et à établir le rang des sûretés, sans garantir les titres. Elle note que la thèse des appelants établirait une présomption irréfragable de l’existence des droits publiés à l’égard de tout immeuble, ce qui conférerait au registre foncier une force probante supérieure à celle que le législateur voulait lui donner dans la version initiale du Code, laquelle limitait cette présomption aux seuls immeubles immatriculés (art. 2944 al. 2 C.c.Q., maintenant abrogé (2000, c. 42, art. 15)). C’est dans le contexte de la réforme du registre foncier, désormais abandonnée, que la version initiale de l’art. 2918 C.c.Q. a été adoptée, laquelle distinguait aussi entre immeubles immatriculés et non immatriculés.

[13]                          De la même façon, la juge Savard est d’avis que la thèse des appelants ferait renaître l’art. 2962 C.c.Q., adopté au cours de la même réforme mais abrogé depuis (2000, c. 42, art. 19), qui protégeait les droits acquis de bonne foi sur un immeuble immatriculé. Elle reconnaît que la prescription acquisitive peut parfois étonner, mais elle rappelle qu’il ne revient pas aux tribunaux de modifier les choix du législateur à cet égard.

[14]                          Selon la juge Savard, la solution proposée par les appelants est incompatible avec l’art. 2957 C.c.Q., qui prévoit que la publicité des droits n’interrompt pas la prescription. Elle mènerait de plus à l’impossible conclusion que le possesseur aurait renoncé à la prescription par le seul défaut d’instituer une demande en justice dès le délai de 10 ans révolu. En outre, la préinscription d’un recours en justice n’est d’aucune utilité puisque le possesseur ignore généralement que son droit est susceptible d’être contesté. Enfin, l’art. 2946 C.c.Q. ne s’applique pas en l’espèce, puisque les parties ne tiennent pas leur titre du même auteur.

[15]                          La juge Savard conclut que le législateur n’a pas voulu, par le biais de l’art. 2918 C.c.Q., changer fondamentalement le régime de la prescription acquisitive. Il n’est donc pas nécessaire pour le possesseur de se pourvoir en justice dès le délai de 10 ans acquis. Elle précise en terminant que l’intimée n’est pas un tiers occulte, puisque certains indices pouvaient montrer aux appelants, au moment de l’acquisition de l’immeuble, que l’intimée utilisait un stationnement sur leur terrain.

(2)           Opinion dissidente du juge Jacques (ad hoc)

[16]                          Le juge Jacques est plutôt d’avis que la stabilité des transactions immobilières requiert que la possession de l’intimée soit inopposable aux appelants. Pour lui, la prescription acquisitive vise d’abord à protéger le véritable droit de propriété en facilitant sa preuve; elle ne permet à un « usurpateur » de dépouiller un propriétaire que si ce dernier n’a pas fait preuve de diligence. Bref, elle est surtout utile pour corriger des vices de titres, pas pour conférer un droit à un « squatter ».

[17]                          Selon le juge Jacques, le droit de prescrire acquis par l’intimée dès 2004 est distinct du droit réel convoité, lequel ne peut être obtenu qu’après la demande en justice visée à l’art. 2918 C.c.Q. À son avis, le jugement résultant de cette demande est une condition essentielle pour acquérir la propriété par prescription. Il est donc attributif d’un droit de propriété, ce que confirment le libellé de l’article, les art. 805 et 806 du Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25 (« C.p.c. »), de même que certains auteurs et décisions judiciaires. La rétroactivité que demande l’intimée irait à l’encontre de l’art. 50 de la Loi d’interprétation, RLRQ, c. I-16, et empêcherait les tiers de se fier au registre foncier.

[18]                          Le juge Jacques estime que la prescription acquisitive est soumise à la publicité des droits aux termes de l’art. 2938 C.c.Q.; l’intimée devait donc publier son droit pour qu’il soit opposable. Selon lui, elle pouvait également préinscrire sa demande (art. 2966 C.c.Q.), ce qui aurait fait rétroagir tout jugement obtenu en sa faveur à la date de la préinscription et l’aurait dès lors rendu opposable (art. 2968 C.c.Q.). Ainsi, bien que la préinscription ne soit pas obligatoire, celui qui omet de s’en prévaloir risque de perdre son droit. Le possesseur n’a pas à cet égard plus de droits que tout autre détenteur de droit réel immobilier. Il lui incombe de vérifier son titre et d’agir avec diligence pour corriger tout vice qui pourrait l’affecter.

[19]                          Pour le juge Jacques, la prescription acquisitive ne saurait opérer contre les appelants qui n’ont fait preuve d’aucune négligence et resteraient sans recours. Les institutions financières verraient également leur garantie diminuer sans aucun recours, ce que la préinscription de la demande de l’intimée aurait permis de prévenir. Débouter les appelants qui se sont fiés de bonne foi à leur titre donnerait au registre foncier une valeur négligeable. Par ailleurs, l’abrogation de l’art. 2962 C.c.Q. s’expliquerait de façon technique par la modification de la notion d’immatriculation; elle n’empêcherait pas l’application de la théorie des droits apparents que reconnaît déjà le droit québécois.

[20]                          Le juge Jacques conclut que les appelants sont des tiers par rapport à l’intimée. Ils auraient préséance sur celle-ci en vertu des art. 2945 et 2946 C.c.Q., ayant publié leurs droits en temps utile. L’intimée serait quant à elle « un tiers occulte qui sort de nulle part » (par. 141 (CanLII)), et sa position heurterait de plein fouet les dispositions applicables en matière de publicité des droits. Il serait illogique que les droits non publiés d’un acquéreur par prescription soient opposables et que ceux d’un acquéreur par acte de vente ne le soient pas.

IV.         Question en litige

[21]                          Selon les conclusions factuelles du juge de première instance, l’intimée et son auteur ont eu la possession paisible, continue, publique et non équivoque de l’espace de stationnement en litige de 1994 à 2011.      Compte tenu de cette possession utile conforme aux exigences du Code, la seule question qui subsiste consiste à déterminer si une prescription déjà acquise peut être opposée à un nouveau propriétaire qui inscrit son titre au registre foncier avant que le possesseur n’agisse en justice.

V.            Analyse

[22]                          D’emblée, il convient de souligner que les parties au litige ont de part et d’autre un droit légitime à faire valoir. Les appelants ont acquis leur titre de façon régulière, par acte de vente. La possession utile de l’intimée d’un des stationnements du lot de ses voisins est reconnue et tout aussi légitime. Devant la preuve retenue par le premier juge, et contrairement à ce que suggère le juge dissident en Cour d’appel, on ne saurait qualifier l’intimée de tiers occulte, d’usurpateur ou de « squatter ».

[23]                          Il importe aussi de noter que la plénitude du droit de propriété n’est pas remise en question dans ce pourvoi. La Cour n’est pas appelée à déterminer le contenu ou les limites de ce droit, mais à plutôt préciser le fonctionnement de l’un de ses modes d’acquisition. Au final, le droit de propriété reste tout aussi absolu, qu’il soit reconnu aux appelants ou à l’intimée.

[24]                          Pour déterminer laquelle des parties doit avoir préséance, il faut cerner les rôles respectifs de la prescription acquisitive et de la publicité des droits en droit civil québécois, puis interpréter et appliquer les dispositions pertinentes du Code en tenant compte de son économie générale et de sa cohérence. Cette analyse me convainc que la solution retenue par la majorité de la Cour d’appel est celle qui doit prévaloir ici. Au regard des dispositions des quatre livres du Code qui interagissent en l’espèce (soit ceux Des biens, Des obligations, De la prescription et De la publicité des droits), je conclus que la prescription acquisitive que revendique l’intimée au regard de l’espace de stationnement en litige a préséance sur le titre inscrit par les appelants au registre foncier.

A.            La prescription acquisitive en droit civil québécois

[25]                          La prescription acquisitive était autrefois décrite comme la patronne du genre humain (A. Mayrand, « Bonne foi et prescription par tiers acquéreur » (1942), 2 R. du B. 9, p. 9). Les rédacteurs du Code Napoléon, dont le C.c.B.-C. s’est largement inspiré, la considéraient même comme l’institution du droit civil « la plus nécessaire à l’ordre social », jugeant que sans sa capacité à normaliser les états de fait découlant de la possession, « tout serait incertitude et confusion » (F. J. J. Bigot de Préameneu, « Motifs exposés au Corps législatif sur la loi, titre XX, livre III du Code civil, relative à la Prescription », dans Recueil des lois composant le Code civil (1804), vol. 9, 26, p. 27-29).

[26]                          Si la fonction première de la prescription acquisitive est d’assurer la stabilité des droits de propriété en aidant le véritable propriétaire à prouver son droit, elle permet aussi à un tiers d’acquérir un bien par l’écoulement du temps, aux conditions fixées par la loi (P.-B. Mignault, Le droit civil canadien (1916), t. 9, p. 336; P.-C. Lafond, Précis de droit des biens (2e éd. 2007), par. 2487-2489). Pour en cerner les paramètres, il faut tenir compte des dispositions de deux livres du Code, soit le livre quatrième, Des biens, et le livre huitième, De la prescription.

[27]                          Le Code reconnaît la prescription acquisitive comme un « moyen d’acquérir le droit de propriété ou l’un de ses démembrements, par l’effet de la possession » (art. 2910 C.c.Q.). Cette possession doit par contre être « conforme aux conditions établies au livre Des biens » (art. 2911 C.c.Q.). Le possesseur doit prouver l’exercice de fait du droit convoité et la volonté d’exercer ce droit en tant que titulaire, laquelle est présumée (art. 921 C.c.Q.). Sa possession doit être « paisible, continue, publique et non équivoque » pour produire ses effets (art. 922 C.c.Q.). De par son caractère public, la possession qui permet de fonder une prescription est nécessairement « un fait matériel qui se manifeste ouvertement » (P. Martineau, La Prescription (1977), p. 119). À l’inverse, « [l]a possession clandestine, occulte (objectivement), n’est pas utile à la prescription, faute d’empiétement apparent » (D.-C. Lamontagne, Biens et propriété (7e éd. 2013), p. 470 (note en bas de page omise)).

[28]                          Le Code attribue de multiples effets à la possession. Le possesseur est ainsi présumé titulaire du droit réel qu’il exerce (art. 928 C.c.Q.); il en devient titulaire s’il se conforme aux règles de la prescription (art. 930 C.c.Q.). À ce chapitre, le possesseur qui revendique la propriété d’un immeuble doit démontrer qu’il l’a possédé à titre de propriétaire pendant au moins 10 ans (art. 2917 et 2918 C.c.Q.). Il peut, à cette fin, joindre sa possession à celle de son auteur (art. 2912 C.c.Q.). Il doit également obtenir un jugement afin de confirmer le droit ainsi acquis (art. 2918 C.c.Q.; art. 805 et 806 C.p.c.; nouveau Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01, art. 468). Il existe une certaine controverse à savoir si ce jugement a pour effet de reconnaître un droit de propriété déjà acquis, ou d’attribuer ce droit. J’y reviendrai après avoir cerné le rôle de la publicité des droits aux termes du Code.

B.            La publicité des droits en droit civil québécois

[29]                          Contrairement à la prescription, la publicité des droits, dont traite le livre neuvième du Code, « n’intervient pas dans le processus de création des droits » (F. Brochu, « Critique d’une réforme cosmétique en matière de publicité foncière » (2003), 105 R. du N. 761, p. 783). La professeure Gidrol-Mistral rappelle que « la publicité n’a pas pour effet de constituer le droit, ni même de le consolider en le purgeant de ses vices » (G. Gidrol-Mistral, « Publicité des droits et prescription acquisitive : des liaisons dangereuses? » (2016), 46 R.G.D. 303, p. 316). Le rôle de la publicité se limite à rendre les droits opposables aux tiers, à établir leur rang et, lorsque la loi le prévoit, à leur donner effet (art. 2941 C.c.Q.). Le registre foncier permet aussi de départager les droits de deux personnes ayant acquis leur titre de propriété d’un même auteur (art. 2946 C.c.Q.).

[30]                          Il existe une parenté certaine entre les dispositions actuelles et celles qui existaient sous le C.c.B.-C., de sorte que l’on peut affirmer que le rôle de la publicité des droits n’a pas changé de façon significative à la suite de l’adoption du Code (art. 2082, 2089 et 2098 C.c.B.-C.). Un examen de l’évolution récente des dispositions relatives à la publicité des droits le confirme.

[31]                          En effet, en 1977, l’Office de révision du Code civil (« O.R.C.C. ») — qui était chargé de revoir et de recodifier le C.c.B.-C. — avait initialement suggéré au législateur québécois « une modification substantielle de la procédure et de l’effet de la publication des droits immobiliers » (Office de révision du Code civil, Rapport sur le Code civil du Québec (1978), vol. II, t. 2, Commentaires, p. 940).

[32]                          Cette réforme visait d’abord à restructurer les bureaux d’enregistrement des droits et à informatiser les registres (ibid., p. 940 et 944). Elle s’accompagnait d’une réforme juridique considérable qui reposait sur un principe cardinal, soit

que toute personne puisse se fier aux registres tels qu’ils apparaissent à un moment donné, en pouvant croire que ce qui y est inscrit est vrai, que rien d’autre que ce qui y est inscrit ne lui est opposable et que rien de ce qui y sera inscrit dans la suite ne puisse avoir priorité ou emporter quelque effet préjudiciable sur ce qui est déjà publié. Ce principe peut être exprimé plus simplement par les mots « confiance absolue » dans les titres. [Je souligne; ibid., p. 942.]

L’O.R.C.C. proposait de donner une valeur probante absolue au registre foncier en s’inspirant à cet égard des systèmes allemand et suisse (M. Cantin Cumyn, « Les principaux éléments de la révision des règles de la prescription » (1989), 30 C. de D. 611, p. 622).

[33]                          À l’origine, le législateur québécois a largement suivi ces recommandations lors de l’adoption du nouveau Code en 1991, en conférant par exemple une force absolue aux inscriptions publiées pendant 10 ans relativement à un immeuble immatriculé :

     2944. L’inscription d’un droit sur le registre des droits personnels et réels mobiliers ou sur le registre foncier emporte, à l’égard de tous, présomption simple de l’existence de ce droit.

 

     L’inscription sur le registre foncier d’un droit de propriété dans un immeuble qui a fait l’objet d’une immatriculation, si elle n’est pas contestée dans les dix ans, emporte de même présomption irréfragable de l’existence du droit.

[34]                          Il a également codifié le principe de la foi publique proposé par l’O.R.C.C., lequel visait à permettre aux tiers de se fier entièrement au registre foncier :

     2962. Celui qui acquiert un droit réel sur un immeuble qui a fait l’objet d’une immatriculation, en se fondant de bonne foi sur les inscriptions du registre, est maintenu dans son droit, si celui-ci a été publié.

[35]                          Comme leur libellé l’indique, ces art. 2944 al. 2 et 2962 C.c.Q. (aujourd’hui tous deux abrogés) ne s’appliquaient toutefois qu’aux immeubles immatriculés. Cette limite s’expliquait par la volonté du législateur, conscient des difficultés pratiques associées à la mise en œuvre de cette réforme, de planifier une transition progressive vers le nouveau régime de publicité des droits. Un à un, les immeubles de la province devaient être immatriculés, c’est-à-dire précisément situés et liés à un numéro unique sur le cadastre (art. 3026 C.c.Q.). En outre, le Code prévoyait que les droits concernant chacun de ces immeubles seraient progressivement catalogués et reportés sur le nouveau registre (art. 3046 à 3053 C.c.Q., maintenant abrogés également).

[36]                          Cette recherche et cette qualification exhaustives des droits existants étaient une précondition nécessaire à l’attribution d’une force probante absolue au registre foncier, puisqu’elle devait permettre d’éteindre tout droit non répertorié et d’assurer ainsi la fiabilité des droits restants (art. 3046 al. 3 C.c.Q., aujourd’hui abrogé; G. Rémillard, « Présentation du projet de Code civil du Québec » (1991), 22 R.G.D. 5, p. 68). Ce processus devait toutefois prendre du temps, et il fallait donc que l’ancien régime de publicité des droits subsiste à l’égard des immeubles non immatriculés ou pour lesquels le report des droits n’avait pas encore eu lieu.

[37]                          Dès l’entrée en vigueur de cette réforme en 1994, le législateur s’est cependant buté à des difficultés plus importantes que prévu en ce qui a trait à l’immatriculation de tous les immeubles et à la qualification exhaustive des droits existants (Brochu, « Critique », p. 764). Par la Loi sur l’application de la réforme du Code civil de 1992, puis par des modifications apportées à cette loi en 1995, il a donc décidé de suspendre l’effet des principaux articles de sa réforme (dont ces art. 2944 al. 2 et 2962 C.c.Q. déjà mentionnés) et de « reconduire [. . .] les principes juridiques en vigueur sous le régime du Code civil du Bas Canada » (ibid.; Loi sur l’application de la réforme du Code civil, art. 155 al. 1; Loi modifiant, en matière de sûretés et de publicité des droits, la Loi sur l’application de la réforme du Code civil et d’autres dispositions législatives, L.Q. 1995, c. 33).

[38]                          Six ans plus tard, en décembre 2000, le législateur a constaté que sa réforme coûterait plus cher que prévu et comporterait certains risques au niveau de la responsabilité professionnelle des notaires (Brochu, « Critique », p. 789). Il a alors décidé de se concentrer sur l’informatisation du registre foncier existant et d’abandonner définitivement le reste de sa réforme en abrogeant purement et simplement les dispositions déjà suspendues (Loi modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives relativement à la publicité foncière, L.Q. 2000, c. 42). Les débats législatifs de l’époque sont éloquents à ce sujet :

M. Charbonneau (Pierre) : Les conclusions du rapport Auger allaient dans le sens suivant, c’est de procéder le plus rapidement possible à l’informatisation du registre sur la base du droit réellement applicable depuis 1995, à savoir l’ancienne façon de procéder, si on veut, et de reporter à plus tard les études de faisabilité ou d’opportunité quant à ce qui avait été imaginé pour la phase II.

 

. . .

 

. . . Et le projet de loi vise à traduire cette situation-là. [Je souligne.]

 

(Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission permanente des institutions, vol. 36, no 82, 1re sess., 36e lég., 2 juin 2000, p. 52)

[39]                          Somme toute, si le législateur a eu, en 1991, l’ambition de conférer à la publicité des droits une force probante constitutive de droit par le biais entre autres des art. 2944 al. 2 et 2962 C.c.Q., il n’a pas mené à terme cette réforme. Il l’a de fait abandonnée en 2000 (Gidrol-Mistral, p. 307 et 314). Pour reprendre les propos de la professeure Gidrol-Mistral, « l’abandon de cette réforme [. . .] a consacré le rôle traditionnel purement déclaratif de la publicité » (p. 338) et mis fin au « rêve de la publicité des droits » (p. 340). Bref, en ce qui a trait au rôle de la publicité des droits, malgré des intentions initiales de faire autrement, la version actuelle du Code reprend essentiellement le droit antérieur prévalant sous le C.c.B.-C. (p. 315; Brochu, « Critique », p. 778 et 783). C’est sous cet éclairage qu’il faut interpréter et appliquer les dispositions du Code sur lesquelles les appelants se fondent pour affirmer que l’intimée ne peut leur opposer les droits non publiés découlant de sa prescription décennale.

C.            L’interaction entre la prescription acquisitive et la publicité des droits

[40]                          De l’analyse qui précède, il ressort que, d’un côté, la prescription acquisitive reste un mode d’acquisition reconnu de droits réels immobiliers en droit civil québécois, et que, de l’autre côté, le régime de la publicité des droits prévu au Code conserve le rôle limité qu’il avait sous le C.c.B.-C. À mon avis, ces rôles distincts font en sorte que les droits validement acquis par prescription opèrent sans égard aux droits inscrits au registre foncier.

(1)           L’opposabilité de la prescription en l’absence de publicité

[41]                          Sous le C.c.B.-C., en vertu des dispositions similaires à celles du nouveau Code qui existaient alors, il était acquis que « [p]our être opposable aux tiers, l’acquisition par prescription n’a[vait] pas besoin d’être enregistrée » (Martineau, p. 234; Deschesnes c. Boucher, [1961] B.R. 771, p. 776; Noiseux c. Savio (1982), 27 R.P.R. 179 (C.A.)). Dans son traité sur la prescription rédigé à l’époque où le C.c.B.-C. était toujours en vigueur, le professeur Martineau contemplait d’ailleurs une situation identique au présent pourvoi en écrivant :

Le propriétaire contre qui la prescription s’est accomplie vend ensuite [son] immeuble à un tiers qui intente une action pétitoire au possesseur. Ce dernier peut lui opposer la prescription sans que le demandeur puisse objecter que, au moment où il a acheté, son vendeur — et non le défendeur  — était inscrit comme propriétaire au bureau d’enregistrement. [Note en bas de page omise; p. 234-235.]

[42]                          Certains soutiennent que cette conclusion vaut toujours à l’égard des dispositions du Code. À titre d’exemple, l’auteur Pierre Pratte affirme :

Le nouveau voisin ne peut prétendre que la prescription accomplie sous le règne de son prédécesseur ne lui est pas opposable ou que le possesseur se devait d’agir avant la vente en obtenant et en publiant un jugement. Ainsi, le possesseur peut faire valoir la prescription acquise contre le nouveau voisin.

 

(P. Pratte, « La demande judiciaire relative à la prescription acquisitive d’un immeuble » (2014), 73 R. du B. 509, p. 563)

La professeure Gidrol-Mistral partage ce point de vue : selon elle, « la seule solution logique est celle retenue par la majorité [de la Cour d’appel] : la prescription acquisitive s’est accomplie et s’impose aux acquéreurs ultérieurs du bien en cause » (p. 335). Dans le même ordre d’idées, le professeur Vincelette écrit qu’après 10 ans de possession, « une présomption irréfragable de titularité couronne la possession » (D. Vincelette, En possession du Code civil du Québec (2004), par. 516 (je souligne)).

[43]                          D’autres considèrent par contre que le C.c.Q. aurait changé la donne et que la prescription acquisitive ne peut dorénavant faire échec aux droits inscrits par des tiers au registre foncier. Entre autres, le professeur Lafond mentionne que « [l]e droit de propriété non publié que prétend avoir une personne en vertu d’une possession décennale ne peut valoir à l’encontre d’un titre de propriété dûment inscrit opposé par un tiers qui le détient du même auteur » (Lafond, par. 2569; voir aussi L. Laflamme, M. Galarneau et P. Duchaine, L’examen des titres immobiliers (4e éd. 2014), p. 113).

[44]                          En tout respect pour l’opinion contraire, à la lumière de la réforme inachevée expliquée précédemment, j’estime que la première de ces positions doit être retenue. La situation aurait peut-être été différente si le législateur avait complété les changements envisagés en 1991. Mais son choix d’en abandonner la majeure partie confirme que, sous le Code actuel, les droits acquis par prescription n’ont pas davantage besoin d’être publiés pour être opposés aux tiers que ce n’était le cas sous le C.c.B.-C.

[45]                          Les arguments que font valoir les appelants pour soutenir le contraire ne sont pas convaincants.

[46]                          Ils se fondent d’abord sur les art. 2938 et 2941 C.c.Q. pour affirmer que, sans publicité, la possession de l’intimée leur serait inopposable et ne devrait pas pouvoir lui permettre d’acquérir la propriété du stationnement convoité. Le C.c.Q. prévoit effectivement que toute acquisition, constitution ou reconnaissance d’un droit réel immobilier est soumise à la publicité (art. 2938) et que, sans publicité, les droits visés par ces opérations juridiques sont inopposables envers les tiers (art. 2941).

[47]                          Toutefois, comme l’indiquent les Commentaires du ministre, ces art. 2938 et 2941 C.c.Q. s’inscrivent simplement dans la continuité du C.c.B.-C. L’article 2938 C.c.Q. « reprend substantiellement, sous une forme simplifiée et dans une règle générale, le droit antérieur », tandis que l’art. 2941 C.c.Q. « reprend, en partie, les articles 2082 et 2083 C.C.B.C. La règle n’innove pas » (ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice, t. II, Le Code civil du Québec — Un mouvement de société (1993), p. 1845 et 1848). Bref, y voir un changement substantiel des règles applicables ne se justifie pas.

[48]                          Ensuite, quoiqu’en disent les appelants, les art. 2943 et 2944 C.c.Q., deux articles de droit nouveau relatifs à la publicité des droits sur lesquels ils insistent, n’appuient pas leur argument voulant qu’il soit nécessaire de publier les droits acquis par prescription afin de les rendre opposables aux tiers.

[49]                          Il est vrai que le premier alinéa de l’art. 2943 C.c.Q. crée une présomption de connaissance à l’égard des droits publiés aux registres :

     2943. Un droit inscrit sur les registres à l’égard d’un bien est présumé connu de celui qui acquiert ou publie un droit sur le même bien.

Cependant, comme le mentionne la juge Savard, cet article permet au mieux de conclure à la mauvaise foi de l’intimée. La Cour d’appel du Québec a récemment confirmé que « [t]ant le Code civil du Bas Canada que le nouveau Code civil du Québec permettent à un possesseur de mauvaise foi d’acquérir, par prescription, un immeuble » (Dupuy c. Gauthier, 2013 QCCA 774, [2013] R.J.Q. 662, par. 31). Sous le C.c.B.-C., cette mauvaise foi avait pour effet de rallonger le délai de prescription à 30 ans, alors qu’un possesseur de bonne foi et possédant un titre translatif pouvait prescrire en seulement 10 ans (art. 2206 C.c.B.-C.). Sous le C.c.Q., le législateur a aboli cette distinction et prévu une prescription unique de 10 ans pour les immeubles, sans faire de la bonne foi une condition nécessaire à cette prescription. Ainsi, sous le Code actuel, la mauvaise foi n’est plus une considération pertinente à la prescription acquisitive (Dupuy, par. 50-52). L’article 2943 C.c.Q. n’est donc d’aucun secours aux appelants.

[50]                          L’article 2944 C.c.Q. crée quant à lui une présomption d’existence des droits inscrits aux registres :

     2944. L’inscription d’un droit sur le registre des droits personnels et réels mobiliers ou sur le registre foncier emporte, à l’égard de tous, présomption simple de l’existence de ce droit.

Toutefois, puisque cette présomption est simple, elle peut être repoussée par une preuve contraire (art. 2847 C.c.Q.). Elle doit entre autres céder le pas devant la preuve que le droit n’existe pas, notamment lorsque la preuve établit que les conditions de la prescription acquisitive sont remplies (Gidrol-Mistral, p. 338; F. Brochu, « Nouvelle posologie pour la prescription acquisitive immobilière » (2003), 105 R. du N. 735, p. 750). Autrement dit, cette présomption ne soutient d’aucune façon la position des appelants.

[51]                          Enfin, l’art. 2946 C.c.Q. n’est d’aucun secours aux appelants. Cet article prévoit que, « [d]e deux acquéreurs d’un immeuble qui tiennent leur titre du même auteur, le droit est acquis à celui qui, le premier, publie son droit. » Or, il ne peut s’appliquer en l’espèce puisque les appelants tiennent leur titre de deux auteurs précis, leurs vendeurs, alors que l’intimée ne tient son droit d’aucun auteur, l’ayant acquis par prescription.

[52]                          Contrairement à ce que proposent les appelants, la solution retenue par la majorité de la Cour d’appel, que je fais mienne, réaffirme la place de la prescription acquisitive dans le droit civil québécois et reconnaît le rôle limité de la publicité des droits en évitant de donner au registre foncier la force probante supérieure que les appelants voudraient lui conférer (Gidrol-Mistral, p. 318 et 324). De ce point de vue, cette solution est celle qui est la plus cohérente avec l’économie générale du Code et avec les dispositions pertinentes relatives tant à la prescription qu’à la publicité des droits et à la vente.

[53]                          La cohérence est un principe d’interprétation des lois bien établi et expressément reconnu par le législateur québécois :

41.1. Les dispositions d’une loi s’interprètent les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l’ensemble et qui lui donne effet.

 

(Loi d’interprétation, RLRQ, c. I-16)

Elle est encore plus fondamentale dans le cadre de l’interprétation d’un code, lequel « est généralement défini comme un “corps cohérent (ou plutôt qui se veut cohérent) de textes englobant selon un plan systématique l’ensemble des règles relatives” au droit civil » (J. Pineau, « Le nouveau Code civil et les intentions du législateur », dans B. Moore, dir., Mélanges Jean Pineau (2003), 3, p. 6). Concrètement, cela signifie « que chaque intitulé du code est conçu en cohérence avec les autres » (M. Tancelin, « L’acte unilatéral en droit des obligations ou l’unilatéralisation du contrat », dans N. Kasirer, dir., La Solitude en droit privé (2002), 213, p. 216‑217). Lorsque certaines de ses parties entrent en tension, il faut donc rechercher la solution qui s’accorde le mieux avec « les autres dispositions, l’économie générale et les principes généraux du droit » (P.-A. Côté, avec la collaboration de S. Beaulac et de M. Devinat, Interprétation des lois (4e éd. 2009), par. 1162).

[54]                          La solution que je retiens en l’espèce concorde tout d’abord avec les articles pertinents relatifs à la prescription. Ainsi, comme l’énonce l’art. 2885 C.c.Q., « la renonciation à la prescription acquise de droits réels immobiliers doit être publiée ». Or, si la prescription acquise ne pouvait pas mettre en péril un droit autrement inscrit au registre foncier, comme le suggèrent les appelants et le juge dissident en Cour d’appel, il ne serait pas nécessaire de publier une telle renonciation pour que les tiers puissent en prendre connaissance. Aussi, conclure comme ils le proposent ferait perdre tout effet utile à cet article.

[55]                          Cette solution s’harmonise tout aussi bien avec l’art. 2957 C.c.Q. qui prévoit que « [l]a publicité n’interrompt pas le cours de la prescription ». Il serait en effet illogique de conclure que la publicité des droits ne peut interrompre la prescription qui court toujours, mais qu’elle peut annihiler les effets de la prescription déjà acquise. D’ailleurs, le professeur Lamontagne confirme sur la base de cet article que « le possesseur à titre de propriétaire pourra éventuellement prescrire, nonobstant la publicité d’un droit adverse, à charge de prouver l’accomplissement de la prescription » (Lamontagne, Biens et propriété, p. 91).

[56]                          Cette solution est en outre cohérente avec l’abrogation de l’art. 2962 C.c.Q., dont j’ai déjà fait mention, laquelle a eu pour effet de ne plus permettre aux tiers de se fier entièrement aux inscriptions contenues au registre foncier. Comme le souligne le professeur Brochu, « l’échec, sur le plan des effets juridiques, de la réforme de la publicité foncière a permis à la prescription acquisitive de conserver sa force probante » (Brochu, « Nouvelle posologie », p. 748). À l’inverse, la position des appelants ferait renaître cet article et en étendrait l’effet à tout immeuble, qu’il soit immatriculé ou non, lui donnant par le fait même une force supérieure à celle que le législateur voulait initialement lui attribuer. À ce chapitre, pour reprendre les propos de la professeure Gidrol-Mistral, « le juge Jacques [qui adopte cette position] ne semble pas avoir pris toute la mesure de l’abrogation de l’arsenal juridique qui devait conférer une force probante supérieure à la publicité des droits » (p. 338).

[57]                          À cela, les appelants, comme le juge dissident en Cour d’appel, répondent que cet art. 2962 C.c.Q. aurait été abrogé pour des raisons purement techniques, en raison de la modification de la notion d’immatriculation, et que, de toute façon, la théorie des droits apparents qui aurait existé de tout temps en droit québécois mènerait au même résultat.

[58]                          Cet argument doit être écarté. L’abrogation de l’art. 2962 C.c.Q. se veut plus que strictement technique, puisqu’elle retire du Code la force probante absolue qui aurait autrement été conférée au registre foncier et que recherchent en réalité les appelants. Les débats parlementaires de l’époque laissent peu de doute sur l’intention du législateur, qui considérait que l’art. 2962 C.c.Q., loin de simplement reconnaître une théorie déjà applicable, « établi[ssait] en faveur des tiers, de bonne foi, une présomption irréfragable de la validité des droits inscrits » (Journal des débats de la Commission permanente des institutions, p. 69 (je souligne)). Comme la plupart des modifications adoptées au même moment, cette abrogation était une conséquence logique de l’abandon de la réforme de la publicité des droits.

[59]                          Quant à la théorie des droits apparents, il convient de rappeler que, née en jurisprudence française, elle visait tout d’abord à protéger les tiers qui traitaient avec l’héritier apparent d’une personne décédée (J. Carbonnier, Droit civil (2004), vol. I, p. 317). Elle a été reconnue par le législateur québécois, qui l’a appliquée à certaines situations spécifiques afin de protéger certaines apparences (voir notamment les art. 331, 627, 1559, 1643, 2163 et 3075 C.c.Q.). Cependant, rien ne permet de croire que le législateur ait voulu que cette théorie s’applique de façon plus générale, au-delà des situations pour lesquelles il a spécifiquement décidé de la reconnaître. Aucune décision des tribunaux québécois n’a du reste appliqué cette théorie en matière de prescription acquisitive. Si, comme les appelants et le juge Jacques le soutiennent, l’art. 2962 C.c.Q. ne faisait que codifier une théorie déjà reconnue, on conçoit mal pourquoi le ministre de la Justice le décrivait en 1991 comme un article « de droit nouveau », lequel « s’harmonis[ait] avec les principes du nouveau système » (Commentaires du ministre, p. 1862). Enfin, si le législateur n’avait fait que reconnaître une théorie déjà adoptée par les tribunaux, il n’aurait certainement pas pris soin de limiter son application aux immeubles immatriculés — avec la recherche exhaustive et le report des droits que cette notion sous-entendait lors de l’adoption du C.c.Q.

[60]                          De toute façon, même si la théorie des droits apparents s’appliquait en l’espèce, il faudrait logiquement qu’elle protège toutes les apparences légitimes, incluant celles qui découlent de la possession de l’intimée. Ces concept et principe sont effectivement étroitement liés : « La possession consacre une apparence de droit aux yeux des tiers, à un point tel que le fait produit véritablement le droit, comme dans le cas du mandat apparent » (Lamontagne, Biens et propriété, p. 470). Il n’y a aucune raison pour que les apparences créées artificiellement par le registre foncier prévalent sur les apparences tangibles que crée la possession utile.

[61]                          Par ailleurs, cette solution que je retiens est tout aussi cohérente avec les dispositions du livre cinquième du Code relatives cette fois à la vente, plus spécifiquement avec l’art. 1724 al. 2 :

     1724. Le vendeur se porte garant envers l’acheteur de tout empiétement exercé par lui-même, à moins qu’il ne l'ait déclaré lors de la vente.

 

     Il se porte garant, de même, de tout empiétement qu’un tiers aurait, à sa connaissance, commencé d’exercer avant la vente.

[62]                          Cet article permet de préserver les droits de toutes les parties en cause. Sous ce rapport, contrairement à ce qu’affirme erronément le juge dissident en Cour d’appel (par. 122), les appelants ne sont pas ici dépourvus de recours. Il est vrai qu’ils se voient privés d’une partie du droit de propriété que l’acte de vente prétendait leur transférer, en raison de la prescription acquisitive que leur oppose l’intimée. Néanmoins, il leur est possible de réclamer la perte correspondante auprès de leurs auteurs s’ils sont en mesure de prouver que ceux-ci connaissaient l’empiétement exercé par l’intimée avant la vente et qu’ils ont omis de leur mentionner (D.-C. Lamontagne, Droit de la vente (3e éd. 2005), par. 185; J. Deslauriers, Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service (2e éd. 2013), par. 378; voir aussi Medeiros c. St-Louis, [2002] R.D.I. 352 (C.S. Qc), par. 83-92, décidé sous les règles équivalentes du C.c.B.-C., notamment l’art. 1508). Certes, ce recours personnel n’est pas un parfait substitut au droit de propriété convoité, et son succès dépend de la capacité des appelants d’en prouver les éléments essentiels. Il s’agit néanmoins de la réponse du législateur aux situations où, comme en l’espèce, l’empiétement d’un tiers a préséance sur le droit dont l’acheteur se croyait titulaire.

[63]                          En terminant, puisque la possession utile de l’intimée est opposable aux appelants nonobstant l’inscription de leur droit au registre foncier, je ne peux retenir l’argument des appelants, repris là encore par le juge dissident en Cour d’appel, selon lequel l’intimée n’avait qu’à préinscrire sa demande en justice afin de préserver ses droits contre un éventuel transfert du lot prescrit. La préinscription est prévue aux art. 2966 et 2968 C.c.Q. :

     2966. Toute demande en justice qui concerne un droit réel soumis ou admis à l’inscription sur le registre foncier, peut, au moyen d’un avis, faire l’objet d’une préinscription.

 

. . .

 

     2968. Sont réputés publiés à compter de la préinscription les droits qui font l’objet du jugement ou de la transaction qui met fin à l’action, pourvu qu’ils soient publiés dans les 30 jours qui suivent celui où le jugement est passé en force de chose jugée ou celui de la transaction.

 

. . .

[64]                          Par le biais de présomptions de publication et de connaissance, la préinscription vise à sauvegarder des droits qui seraient en péril s’ils demeuraient inconnus (Commentaires du ministre, p. 1865; F. Brochu, « Le mécanisme de fonctionnement de la publicité des droits en vertu du nouveau Code civil du Québec, et le rôle des principaux intervenants » (1993), 34 C. de D. 949, p. 1022). Or, la préinscription est inutile à l’égard de la prescription acquisitive. La possession utile qui fonde cette prescription est déjà publique et, tel qu’indiqué précédemment, opposable aux tiers. Puisque la prescription acquisitive produit ses effets sans égard aux droits inscrits au registre foncier, il n’est pas nécessaire que le possesseur préinscrive sa demande en justice pour protéger ses droits.

[65]                          En somme, les appelants voudraient que la publicité de leur droit en garantisse la validité. Je suis d’avis que le registre foncier n’a pas une telle force probante et ne permet pas de garantir les titres qui y sont inscrits. En fin de compte, en ce qui concerne la prescription acquisitive que reconnaît le droit civil québécois, le rôle de la publicité foncière sous le Code actuel reste le même que sous le C.c.B.-C., sans plus. Ce rôle limité ne rend pas inopposables aux tiers les droits acquis par prescription du seul fait qu’ils ne sont pas publiés.

(2)           La nature du jugement visé à l’art. 2918 C.c.Q.

[66]                          Au-delà de leurs arguments relatifs à l’inopposabilité de la prescription acquisitive que revendique l’intimée, les appelants soutiennent que cette dernière n’aurait tout simplement aucun droit à faire valoir à leur encontre, ayant omis d’obtenir un jugement et de le publier avant qu’ils n’inscrivent leur droit au registre foncier. Ce défaut rendrait son droit précaire, car l’obtention d’un tel jugement serait essentielle à l’acquisition de droits réels immobiliers par prescription. Cet argument central à la position des appelants se fonde sur le libellé actuel de l’art. 2918 C.c.Q. :

     2918. Celui qui, pendant 10 ans, a possédé un immeuble à titre de propriétaire ne peut en acquérir la propriété qu’à la suite d’une demande en justice.

[67]                          Selon eux, l’art. 805 C.p.c. y ferait écho, en prévoyant aussi la nécessité d’obtenir un jugement pour acquérir un droit de propriété sur un immeuble par prescription :

     805. Celui qui, conformément aux règles du livre De la prescription au Code civil, a possédé un immeuble à titre de propriétaire, peut en acquérir la propriété en s’adressant au tribunal dans le ressort duquel est situé l’immeuble.

[68]                          Sous le C.c.B.-C., le possesseur devait en pratique obtenir un jugement afin de confirmer sa prescription acquisitive. La nécessité de se pourvoir en justice pour faire confirmer la prescription acquisitive n’est donc pas totalement nouvelle dans le C.c.Q. Comme les appelants le reconnaissent, ce jugement obtenu sous le C.c.B.-C n’avait cependant qu’un rôle déclaratif puisque le droit lui-même était acquis dès l’écoulement du délai prescrit (art. 2183 al. 2 et 2183a C.c.B.-C.; voir aussi Code de procédure civile, S.Q. 1965, c. 80, art. 806; Loi sur l’application de la réforme du Code civil, art. 143 al. 2; Dupont c. Saint-Arnaud, [1992] R.D.J. 88 (C.A. Qc), p. 91; Martineau, p. 233; Brochu, « Nouvelle posologie », p. 753-754).

[69]                          Les auteurs de doctrine sont partagés sur la question de savoir si ce caractère déclaratif a survécu à l’adoption de l’art. 2918 C.c.Q. Certains soutiennent que ce serait le cas (Lamontagne, Biens et propriété, p. 490; P. Pratte, « Chronique — Le jugement en prescription acquisitive immobilière : déclaratif ou attributif? », Repères, octobre 2012 (accessible en ligne dans La référence); et « La demande judiciaire », p. 550-551; Vincelette, par. 515; Gidrol-Mistral, p. 331-333). D’autres maintiennent plutôt que l’art. 2918 C.c.Q. ferait de ce jugement une condition essentielle de l’acquisition même du droit convoité par le possesseur, et que celui-ci aurait donc pour effet d’attribuer ce droit (S. Normand, Introduction au droit des biens (2e éd. 2014), p. 354; C. Gervais, La prescription (2009), p. 193; Lafond, par. 2566; Brochu, « Nouvelle posologie », p. 754). La profondeur des analyses que proposent ces auteurs est variable; certaines restent relativement sommaires, tandis que d’autres sont plus étoffées. Aucun de ces auteurs ne suggère par contre que le jugement puisse être attributif lorsqu’il confirme un empiétement, mais déclaratif lorsqu’il corrige un vice de titre. L’auteur Pratte, qui soulève cette éventualité, conclut d’ailleurs que « [s]i on veut une certaine uniformité, la déclaration judiciaire devrait s’imposer face à l’attribution judiciaire » (« La demande judiciaire », p. 551). Du reste, rien dans le Code n’indique que le caractère du jugement pourrait varier selon les circonstances.

[70]                          Les appelants épousent le second courant de pensée et soutiennent que le jugement visé à l’art. 2918 C.c.Q. serait toujours attributif. Ils affirment que l’adoption de cet article en 1991 et la modification de l’art. 805 C.p.c. en 1992 auraient ainsi radicalement changé le droit antérieur de sorte que l’intimée ne pouvait prétendre à un droit sur le stationnement avant d’obtenir un jugement à cet effet. Le juge dissident en Cour d’appel s’est dit d’accord avec cela, tandis que la majorité a estimé non nécessaire de trancher cette question pour résoudre le pourvoi.

[71]                          Comme la majorité de la Cour d’appel, je considère qu’il n’est pas nécessaire de trancher cette question dans le sens recherché par les appelants pour disposer du présent pourvoi. Même si le jugement visé à l’art. 2918 C.c.Q. était de nature attributive, ce que je n’admets pas pour autant, l’intimée peut se voir attribuer le droit de propriété qu’elle convoite malgré la publication du titre des appelants, puisque sa possession remplit les critères établis par le Code et que la prescription acquisitive opère sans égard aux droits inscrits au registre foncier, comme je l’ai déjà expliqué. En d’autres termes, la nature du jugement visé à l’art. 2918 C.c.Q. n’est pas déterminante pour résoudre la question qui nous est soumise.

[72]                          Cela dit, je demeure pour ma part d’avis que, de toute façon, le jugement dont traite l’art. 2918 C.c.Q. vise uniquement à reconnaître les droits préexistants que confère la possession utile par l’écoulement du temps et qu’en définitive le législateur n’a voulu que rétablir à cet égard la situation qui prévalait sous le C.c.B.-C.

[73]                          Pour conclure que le jugement en question aurait un rôle attributif, les appelants et le juge dissident en Cour d’appel se fondent sur une interprétation littérale de l’art. 2918 C.c.Q., qui s’appuie sur la prétendue clarté de son libellé. Or, il faut faire preuve de prudence avant d’adopter une telle lecture d’un article édicté puis modifié dans le cadre d’une réforme abandonnée, sans quoi l’interprétation de la disposition risque d’être dénaturée de son contexte, de son historique et de son évolution. Notre Cour a déjà souligné que « [d]es mots en apparence clairs et exempts d’ambiguïté peuvent, en fait, se révéler ambigus une fois placés dans leur contexte » (Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141, par. 10). La méthode moderne d’interprétation des lois requiert du reste de rechercher l’intention du législateur, ce qui implique de tenir compte non seulement du libellé des articles concernés mais également de leur contexte, dont les réformes législatives et les débats y afférents (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21). Comme le note le professeur Côté, « la thèse voulant que l’interprète puisse se restreindre à l’exégèse de la seule formule de la loi et faire abstraction du contexte est répudiée nettement aussi bien par la doctrine que par la jurisprudence » (par. 1097 (références omises)). S’en tenir à cette méthode ne mène pas à une interprétation atténuée de l’art. 2918 C.c.Q., mais permet, au contraire, de lui reconnaître son véritable effet.

[74]                          À la lumière de ce contexte, force est de constater que l’art. 2918 C.c.Q. n’a pas la clarté que lui attribuent les appelants et le juge dissident en Cour d’appel. Les analyses fortement divisées des auteurs de doctrine sur l’interprétation de cet article font bien ressortir son caractère ambigu. D’ailleurs, certains d’entre eux dénoncent explicitement la rédaction maladroite de cette disposition dans le contexte de cette réforme inachevée (Gidrol-Mistral, p. 317 et 340; F. Brochu, « Prescription acquisitive et publicité des droits » (2005), 107 R. du N. 203, p. 210; et « Revue de jurisprudence 2012 en prescription acquisitive et en publicité des droits » (2013), 115 R. du N. 205, p. 211).

[75]                          Lors de l’adoption du Code en 1991, il est vrai que le législateur semblait avoir l’intention de subordonner l’acquisition de la propriété d’un immeuble par prescription à l’obtention d’un jugement. Le ministre de la Justice affirmait à l’époque, d’une manière en soi assez équivoque, que cette acquisition devrait désormais « faire l’objet d’une reconnaissance judiciaire, la possession à elle seule ne faisant pas acquérir le droit » (Commentaires du ministre, p. 1831 (je souligne)). Cependant, comme le note avec justesse la majorité de la Cour d’appel, il faut lire avec circonspection ces commentaires, car ils ont été écrits au regard de la première version de l’art. 2918 C.c.Q., qui se lisait ainsi :

     2918. Celui qui, pendant dix ans, a possédé, à titre de propriétaire, un immeuble qui n’est pas immatriculé au registre foncier, ne peut en acquérir la propriété qu’à la suite d’une demande en justice.

 

     Le possesseur peut, sous les mêmes conditions, exercer le même droit à l’égard d’un immeuble immatriculé, lorsque le registre foncier ne révèle pas qui en est le propriétaire; il en est de même, lorsque le propriétaire était décédé ou absent au début du délai de dix ans, ou s’il résulte du registre foncier que cet immeuble est devenu un bien sans maître.

[76]                          Cette version initiale était bien différente de la version actuelle, que je reproduis de nouveau pour faciliter la comparaison des deux textes :

     2918. Celui qui, pendant 10 ans, a possédé un immeuble à titre de propriétaire ne peut en acquérir la propriété qu’à la suite d’une demande en justice.

[77]                          Comme on le constate, la première version de l’art. 2918 C.c.Q. était étroitement liée à la réforme de la publicité des droits envisagée par le législateur lors de l’adoption de la version initiale du Code. Ses effets variaient selon que l’immeuble visé était immatriculé ou non. L’article 2918 C.c.Q. était d’ailleurs inspiré, comme le nouveau régime de publicité des droits, par les droits suisse et allemand et visait à reconnaître « la relation nécessaire entre la publicité des droits et la prescription », telles qu’elles étaient envisagées à l’époque (Commentaires du ministre, p. 1830; voir aussi Journal des débats de la Commission permanente des institutions, p. 51).

[78]                          Vu cette relation étroite entre la publicité des droits et la prescription, il est normal que le rôle de l’art. 2918 C.c.Q. ait été altéré par la suspension et l’abandon subséquents de la réforme. Les débats parlementaires entourant la modification de l’art. 2918 C.c.Q. en l’an 2000 sont révélateurs :

. . . on abandonne la phase II de la modification au Code civil qui existait, puisqu’elle ne correspondait pas à la pratique. Ça a été suspendu depuis 1995. Donc, on revient à l’ancienne méthode, avec la prescription actuelle, qui est celle de 10 ans. [Je souligne.]

 

(Journal des débats de la Commission permanente des institutions, p. 51)

[79]                          Au même moment, l’art. 143 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil était du reste modifié par l’abrogation de sa partie qui stipulait depuis 1992 que « la demande en justice [de l’art. 2918 C.c.Q.] visa[it] à acquérir la propriété » d’un immeuble (L.Q. 2000, c. 42, art. 87).

[80]                          Cela montre à mon avis que, devant l’abandon de la réforme initialement envisagée, le législateur avait l’intention de s’en tenir à la situation qui prévalait sous le C.c.B.-C., incluant le caractère déclaratif du jugement reconnaissant les droits acquis par prescription auquel renvoie l’art. 2918 C.c.Q. Avec égards pour l’opinion contraire, il est anachronique de prétendre, comme le font quelques auteurs, que les termes de cet article et des art. 805 et 806 C.p.c. sont clairs sur le caractère attributif du jugement de l’art. 2918 C.c.Q. (Normand, p. 355; Gervais, p. 193; Lafond, par. 2566; Brochu, « Nouvelle posologie », p. 754). Ces articles doivent plutôt s’interpréter en tenant compte de la réforme avortée du régime de publicité des droits et des multiples changements qui en ont découlé. Il en ressort que l’accomplissement de la prescription dépend de la possession utile, pas de l’obtention d’un jugement; c’est la prescription acquisitive qui attribue le droit, pas le jugement (Lamontagne, Biens et propriété, p. 490). Celui-ci constate l’existence du droit préexistant; il ne crée pas de droit nouveau (Pratte, « La demande judiciaire », p. 550; Gidrol-Mistral, p. 331 et 333). Sous ce rapport, l’exigence de l’art. 2918 C.c.Q. s’apparente plus à une condition de forme (c’est-à-dire procédurale) que de fond (Vincelette, par. 515). Or, ces diverses caractéristiques tiennent plus d’un caractère déclaratif qu’attributif ou constitutif (Lamontagne, Biens et propriété, p. 490; Pratte, « La demande judiciaire », p. 550-551; Gidrol-Mistral, p. 333; Vincelette, par. 514).

[81]                          Il est, de fait, utile de noter que l’art. 468 du nouveau Code de procédure civile, qui remplace les art. 805 et 806 C.p.c., ne réfère pas à l’attribution du droit de propriété, mais simplement à « [l]a demande relative à la prescription acquisitive d’un immeuble » et au fait que le tribunal est « appelé à établir le droit de propriété ». Ce nouvel article ne fournit pas d’indication sur le rôle prétendument attributif du jugement visé à l’art. 2918 C.c.Q.

[82]                          La nature déclarative du jugement visé à l’art. 2918 C.c.Q. est d’ailleurs davantage cohérente avec la nature même de la prescription, qui s’acquiert par le simple « effet de la possession », dès que « le dernier jour du délai est révolu » (art. 2879 et 2910 C.c.Q.). Si le droit s’acquiert par le simple écoulement du temps, le jugement « ne peut pas être constitutif d’un droit puisque celui-ci existe déjà [. . .] Or, puisque le jugement reconnaît un droit qui préexiste, il est nécessairement déclaratif » (Gidrol-Mistral, p. 335). En outre, quitte à le répéter, si aucun droit n’existait avant le jugement visé à l’art. 2918 C.c.Q., il serait inutile de spécifier dans le Code que « la renonciation à la prescription acquise de droits réels immobiliers doit être publiée » (art. 2885 C.c.Q.).

[83]                          J’ajouterai que même si la Cour d’appel du Québec ne s’est pas prononcée directement sur cette question, elle a continué depuis 1994 de déclarer le possesseur propriétaire aux termes de l’art. 2918 C.c.Q., plutôt que de lui attribuer un droit de propriété (voir notamment Dupuy, par. 6, 53 et 71; Dion c. Ouellet-Latulippe, 2008 QCCA 1812, par. 6 (CanLII); Sylviculture et exploitation J.M.J. inc. c. Mayer Hill, 2012 QCCA 1377, par. 1 et 4 (CanLII)).

[84]                          La Cour supérieure du Québec a quant à elle statué à plusieurs reprises que « le jugement [de l’art. 2918 C.c.Q.] est déclaratif ou confirmatif de propriété », ou à tout le moins, qu’il agit toujours de façon rétroactive (De Repentigny c. Fortin (Succession), 2012 QCCS 905, par. 55 (CanLII); voir aussi Breton c. Fortin, 2016 QCCS 6149, par. 64-65 (CanLII); Gosselin c. Turner, 2012 QCCS 388, par. 57 (CanLII); Caron c. Gauthier, 2011 QCCS 2898, par. 51-52 (CanLII)). Récemment, elle affirmait que la possession utile « l’emporte sur les titres et conduit à la prescription qui elle, a force de titre une fois confirmée par jugement » (Beauséjour c. Centre de ski Le Relais, 2015 QCCS 127, par. 23 (CanLII)). Il est vrai que la Cour supérieure a parfois conclu « qu’un recours judiciaire est nécessaire pour “acquérir” la propriété d’un immeuble par prescription » (Cabana c. Valiquette, 2013 QCCS 4710, par. 86 (CanLII)). Dans Cabana, elle a cependant précisé que les possesseurs étaient « en droit de se voir attribuer la parcelle de terrain en cause pour l’avoir acquis par prescription » (par. 94 (je souligne)). En confirmant la décision, la Cour d’appel a du reste noté que « la prescription était alors acquise depuis plusieurs années déjà » en 2007, soit bien avant le jugement rendu en première instance (2015 QCCA 1520, par. 18 (CanLII) (je souligne)). Les décisions de la Cour supérieure que cite le juge dissident en Cour d’appel en l’espèce pour soutenir que le jugement de l’art. 2918 C.c.Q. serait attributif de droit, ont quant à elles été rendues plusieurs années auparavant; elles ne semblent pas s’inscrire dans le courant que la cour suit aujourd’hui (Re Gagné, 2009 QCCS 6064, par. 10 et 16 (CanLII); Re Montmagny (Ville), 2005 CanLII 11604 (C.S. Qc), par. 6; Re Béland, 2005 CanLII 24349 (C.S. Qc), par. 6).

[85]                          Enfin, la réduction du délai de prescription acquisitive de 30 ans à 10 ans lors de l’adoption du C.c.Q. ne permet pas de tirer de conclusion sur le caractère du jugement visé à l’art. 2918 C.c.Q. Aucun auteur et aucune décision ne le suggère d’ailleurs. En réduisant la plupart des délais de prescription extinctive ou acquisitive dans le C.c.Q., le législateur québécois répondait simplement au fait que « certaines longues prescriptions [en vigueur sous le C.c.B.-C.] [. . .] s’accommodaient fort mal de la vie juridique moderne », caractérisée par « la rapidité et la stabilité des échanges économiques » (J.-L. Baudouin et P.-G. Jobin, Les obligations (7e éd. 2013), par P.-G. Jobin et N. Vézina, par. 1113 et 1119). En 1994, il voulait ainsi que se cristallisent plus rapidement les situations juridiques dans une société moderne bien différente de celle de 1866. Rien n’indique qu’il percevait le caractère prétendument attributif du jugement visé à l’art. 2918 C.c.Q. comme un corollaire nécessaire de ce changement.

[86]                          En résumé, j’estime que la prescription acquisitive opère sans égard aux droits inscrits au registre foncier, et ce, peu importe que le jugement visé à l’art. 2918 C.c.Q. ait un rôle attributif ou déclaratif. À tout événement, je considère comme erronée la prémisse fondamentale de l’argument des appelants et du juge dissident en Cour d’appel voulant que ce jugement soit attributif. Dans le contexte du Code actuel, force est de conclure que ce jugement conserve le rôle déclaratif qu’il avait sous le C.c.B.-C.

(3)           Les effets incongrus d’une lecture isolée de l’art. 2918 C.c.Q.

[87]                          Quelques commentaires additionnels s’imposent en terminant.

[88]                          Malgré ce que soutiennent les appelants et que retient le juge dissident en Cour d’appel, statuer que les droits acquis par prescription sont opposables sans égard aux inscriptions faites au registre foncier n’introduit pas plus d’incertitude qu’auparavant dans les transactions immobilières au Québec. D’abord, cela ne fait que refléter l’intention du législateur de préserver le statu quo à cet égard. Ensuite, la situation actuelle demeure semblable à celle qui prévalait déjà sous le C.c.B.-C. Une telle continuité ne saurait être en soi une source d’incertitude. Enfin, il faut bien constater que le conflit qui peut parfois exister entre la prescription acquisitive et la publicité des droits reste somme toute très limité en droit civil québécois. Mis à part le présent pourvoi, ni la Cour d’appel, ni la doctrine reconnue, ni les parties ne font état d’une autre affaire soulevant la même question en jurisprudence québécoise.

[89]                          À vrai dire, c’est plutôt la position défendue par les appelants qui s’accorde mal avec l’état actuel du droit au Québec. Prétendre comme ils le font que les droits inscrits au registre foncier doivent avoir préséance sur les droits acquis par prescription risquerait d’ailleurs d’avoir des conséquences que le législateur n’a certes pas souhaitées. Voilà qui confirme que la solution à favoriser ne saurait être celle qu’ils avancent.

[90]                          Premièrement, la position qu’ils adoptent annihilerait à toutes fins pratiques les conséquences de la prescription acquisitive, institution pourtant clairement reconnue par le Code, dès qu’un transfert de propriété serait effectué à un tiers, et ce, malgré la possession utile reconnue de la partie lésée. En l’espèce, cela aurait pour effet d’effacer complètement le droit acquis par l’intimée par le biais de sa possession utile pendant plus de 18 ans, et de remettre en cause la stabilité ainsi créée à la fois pour l’intimée et les tiers. Cette solution laisserait du reste l’intimée sans aucun recours, alors que la solution inverse préserve au contraire les droits de toutes les parties puisque, tel qu’il est indiqué précédemment, les appelants bénéficient quant à eux du recours prévu à l’art. 1724 al. 2 C.c.Q. contre leurs vendeurs, dans la mesure où ils sont capables d’en prouver les éléments essentiels.

[91]                          Deuxièmement, de l’aveu même des appelants, cette position signifierait que le délai de prescription recommencerait à zéro si l’immeuble était transféré à un nouveau propriétaire après le délai de 10 ans écoulé, alors que cette prescription continuerait à courir si le transfert avait lieu avant qu’elle ne soit acquise. Comme l’a souligné le procureur de l’intimée à l’audience, cela ferait en sorte que le possesseur qui a possédé pendant 9 ans et 11 mois au moment d’une vente pourrait prescrire par la suite, alors que si la vente avait lieu quelques semaines plus tard, il devrait attendre à nouveau 10 ans avant de pouvoir prescrire. Il s’agit là d’une distinction arbitraire que le législateur n’a certainement pu avoir souhaité.

[92]                          Troisièmement, la position des appelants aurait pour effet de conférer à l’acquéreur plus de droits qu’à son auteur, ce qui est contraire au principe habituel selon lequel on ne peut pas transférer davantage que ce que l’on possède.

[93]                          Finalement, cette solution favoriserait le possesseur de mauvaise foi qui, sachant que sa possession n’est pas conforme à la véritable propriété de l’immeuble en jeu, aurait davantage le réflexe de se pourvoir en justice dès l’expiration de son délai de prescription (voir sur ce point Gidrol-Mistral, p. 339). À l’inverse, elle pénaliserait le possesseur de bonne foi, tel que l’intimée, qui ignore que sa possession utile pourrait être remise en question et qui n’a donc aucun intérêt à aller devant les tribunaux tant que cette possession n’est pas contestée.

VI.         Conclusion

[94]                          En définitive, la solution que je propose de retenir ne fragilise pas le registre foncier. Elle reconnaît plutôt l’effet incontournable de la prescription acquisitive, une importante institution du droit civil québécois reconnue par le législateur, qui vise à conférer des conséquences juridiques à une possession qui est déjà paisible, continue, publique et non équivoque.

[95]                          Comme le suggère au moins un auteur, compte tenu de son adoption dans le contexte d’une réforme aujourd’hui inachevée et abandonnée, d’aucuns diront que le législateur québécois aurait intérêt à clarifier le libellé de l’art. 2918 C.c.Q., dont l’ambiguïté est à la source du présent litige (Brochu, « Prescription acquisitive et publicité des droits », p. 210; et « Revue de jurisprudence 2012 », p. 211; voir également Gidrol-Mistral, p. 340). Je conviens que ce serait là une sage avenue à envisager. Cela dit, lorsque les tribunaux sont confrontés à une telle ambiguïté, il leur incombe de la résoudre en interprétant les dispositions en cause de façon à respecter la cohérence interne du Code et, lorsque cela est possible, de façon à protéger les droits de toutes les parties, surtout lorsqu’elles font toutes valoir un droit légitime.

[96]                          Dans cette perspective, je suis d’avis que la solution adoptée par la majorité de la Cour d’appel est à privilégier de préférence à celle retenue par le juge dissident. Je rejetterais donc le pourvoi avec dépens.

                    Version française des motifs rendus par

[97]                          La juge Côté (dissidente) — À mon avis, le présent pourvoi ne porte pas sur l’analyse de la réforme du registre foncier québécois ni sur la résurrection de l’art. 2962 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »). Pour trancher l’appel, la Cour doit plutôt déterminer s’il faut donner effet à l’intention du législateur clairement exprimée à l’art. 2918 C.c.Q.

[98]                          L’article 2918 prévoit clairement qu’une personne qui respecte par ailleurs les conditions requises pour la prescription acquisitive d’un immeuble « ne peut en acquérir la propriété qu’à la suite d’une demande en justice ».

[99]                          Une question se pose néanmoins : le jugement rendu à la suite d’une telle demande est‑il constitutif du droit de propriété, ou est‑il purement déclaratif avec effet rétroactif? Si le jugement visé à l’art. 2918 est déclaratif, l’intimée en l’espèce a acquis de l’auteur des appelants la propriété de l’espace de stationnement en cause. Dans un tel cas, les appelants ne pourraient donc prétendre à aucun droit sur cette espace, puisque leur auteur ne pourrait pas le leur avoir transféré : nemo dat quod non habet (nul ne donne ce qu’il n’a pas). Si, par ailleurs, le jugement visé à l’art. 2918 est constitutif du droit de propriété et n’a pas d’effet rétroactif, l’espace de stationnement appartient légitimement aux appelants.

[100]                      Même si les juges majoritaires de la Cour d’appel ont expressément refusé de répondre à cette question, laquelle est au cœur du présent pourvoi, ils ont implicitement conclu que le jugement exigé par l’art. 2918 est déclaratif.

[101]                      J’estime avec égards que cette conclusion est erronée.

[102]                      Seule une interprétation fidèle aux termes clairs de l’art. 2918 permet de respecter l’équilibre établi par le législateur entre le droit de propriété du véritable propriétaire et les droits du possesseur. Atténuer l’exigence de la demande en justice de sorte que le jugement sur une telle demande soit déclaratif et rétroactif — comme le proposent les juges majoritaires de la Cour d’appel ainsi que ceux de la Cour — est impossible à concilier avec l’intention du législateur. Une telle interprétation est également incompatible avec les livres du C.c.Q. sur les biens et la publicité, ainsi qu’avec la logique qui sous‑tend la prescription acquisitive. Soit dit en tout respect, j’estime que rien dans le libellé et le contexte de l’art. 2918 C.c.Q., ou dans l’intention qui le sous‑tend, ne permet de soutenir que l’exigence relative à la demande en justice est une erreur législative que les tribunaux devraient rectifier en atténuant la portée du sens ordinaire de son libellé.

[103]                      En conséquence, et comme le juge Jacques (ad hoc) de la Cour d’appel l’a conclu dans ses motifs dissidents, je suis d’avis que, suivant l’art. 2918 C.c.Q., l’acquisition par prescription d’un droit réel immobilier est subordonnée à l’obtention d’un jugement faisant suite à une demande en justice. Ce jugement est constitutif du droit de propriété et n’a pas d’effet rétroactif. Dans le cas qui nous occupe, l’intimée n’a pas obtenu le jugement requis avant l’acquisition par les appelants du titre sur l’espace de stationnement en cause. Puisque les appelants sont ainsi premiers, non seulement sur le plan chronologique, mais aussi sur celui de l’ordre de priorité, je serais d’avis d’accueillir le pourvoi.  

A.       Le droit de propriété en droit civil des biens 

[104]                      Dans une contestation relative à la propriété d’un immeuble, il convient de rappeler la nature essentielle des droits en jeu, en commençant par le plus fondamental d’entre eux. 

[105]                      Le droit de propriété occupe une place primordiale parmi les droits réels dont il est question dans le C.c.Q. Il tire son origine de la résurgence des idéaux romains du droit des biens à la suite de la Révolution française. En effet, la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, tout emblématique fût‑elle du rejet de l’Ancien Régime, faisait sienne une notion de droit des biens correspondant aux idéaux romains de propriété unique. L’article II prévoyait que la propriété était l’un des quatre droits naturels imprescriptibles. L’article XVII énonçait que ce droit était sacré et inviolable.

[106]                      La philosophie libérale répandue à l’époque a été consacrée dans le Livre des Biens du Code Napoléon (1804). Lorsque Portalis a présenté au Parlement le Titre II du Livre II sur le droit de propriété, il a invité les législateurs à [traduction] « consacrer » par leur vote « le grand principe de la propriété, présenté dans la loi proposée comme étant le droit de jouir et de disposer de biens de la manière la plus absolue possible » : N. Kasirer, « Portalis Now », dans N. Kasirer, dir., Le droit civil, avant tout un style? (2003), 1, p. 32 (italique omis). La formulation de l’art. 544 du Code Napoléon était sans équivoque :

                         La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.

[107]                      Les rédacteurs du Code civil du Bas‑Canada (« C.c.B.‑C. ») ont adopté la même formulation lorsqu’ils ont codifié le droit de propriété prévu à l’art. 406. Le libellé de cette disposition a perduré dans sa forme originale jusqu’à l’adoption du C.c.Q. en 1994, où il a été reformulé ainsi à l’art. 947 : 

                        947. La propriété est le droit d’user, de jouir et de disposer librement et complètement d’un bien, sous réserve des limites et des conditions d’exercice fixées par la loi.

                        Elle est susceptible de modalités et de démembrements.

[108]                      L’article 947 C.c.Q. a donc fait concorder le droit de propriété avec les mœurs contemporaines. « [L]a propriété moderne », écrit le professeur Lafond, « tend à se socialiser au nom de l’intérêt général » : P.‑C. Lafond, Précis de droit des biens (2e éd. 2007), par. 51. Pourtant, encore aujourd’hui, le droit de propriété conserve des dimensions quasi constitutionnelles découlant des art. 6 et 8 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C‑12, et demeure le droit réel primordial dans le C.c.Q. : « Ce droit se distingue des autres droits réels par son caractère absolu, exclusif et perpétuel » (S. Normand, Introduction au droit des biens (2e éd. 2014), p. 83). Comme le souligne le professeur Normand, ce droit donne à son titulaire « la maîtrise totale d’un bien, alors que les autres droits réels ne confèrent que des maîtrises partielles » : p. 99 (référence omise). « Le propriétaire est seul à prétendre à l’ensemble des attributs sur l’objet de son droit » : p. 100. Le professeur Normand fait également les remarques suivantes, d’une importance capitale dans le présent pourvoi :

                    La perpétuité du droit de propriété veut dire que ce droit dure aussi longtemps que le bien sur lequel il porte. [. . .] [L]a propriété s’éteint par la perte du bien qui résulte de sa destruction ou de son abandon. [. . .] En cela, la propriété se distingue des autres droits réels qui eux s’éteignent du seul fait que leur titulaire cesse d’en faire usage pendant une période de dix ans (1162, 5o; 1191, 5o; 1208, 5o C.c.Q.). [Références omises; ibid.]

B.        La prescription en droit civil

[109]                      La prescription constitue l’une des façons d’acquérir un droit de propriété sur un bien : voir les art. 916, 2875 et 2910 C.c.Q. Il s’agit de l’aspect acquisitif de la prescription. L’opération de la prescription a toutefois une double fonction dans la mesure où elle entraîne aussi l’extinction du droit du propriétaire précédent. Le concept de prescription crée donc une tension [traduction] « en lien avec des droits réels puissants, et particulièrement avec le plus puissant de tous, la propriété » : D. Lametti, « Prescription à la recherche du temps : In Search of Past Time (or Recognition of Things Past) », dans M.‑F. Bureau et M. Devinat, dir., Les livres du Code civil du Québec (2012), 267, p. 273.

[110]                      C’est cette tension entre l’effet de la prescription et le droit de propriété — inhérente à la prescription acquisitive — qui peut être la source d’un certain mépris social puisque, comme l’écrit le professeur Martineau, la prescription « évoque l’image d’un propriétaire dépouillé de son droit de propriété au profit d’un usurpateur » : P. Martineau, La Prescription (1977), p. 14. Ce n’est manifestement pas cette logique qui a guidé le législateur lorsqu’il a intégré le concept de prescription au droit : ibid. Le régime de prescription est plutôt fondé essentiellement sur deux objets.

[111]                      D’abord, la prescription a pour effet de valider les titres, de sorte que la partie à un acte translatif de propriété n’a pas à prouver la validité de chaque maillon de la chaîne de titres :

                    Ainsi, le propriétaire d’un immeuble, tenu de prouver son droit de propriété au cours d’une instance en justice, devrait, si la prescription n’existait pas, commencer par établir qu’il a acquis l’immeuble en litige au moyen d’un acte translatif de propriété : vente, échange, donation, testament, etc. Cette preuve serait insuffisante, car l’acquéreur n’a pu devenir propriétaire que si son aliénateur était lui‑même propriétaire. Ce dernier ne pouvait être propriétaire qu’à la condition d’avoir lui‑même acquis d’un véritable propriétaire. Il faudrait donc remonter, à travers les aliénations successives, jusqu’à l’origine de l’immeuble. On réalise facilement l’extrême difficulté, sinon la quasi‑impossibilité, d’une telle entreprise.

(Martineau, p. 15)

[112]                      Ensuite, comme nous l’avons déjà mentionné, la prescription a pour effet de permettre au possesseur de fait d’acquérir le droit de propriété au détriment du véritable propriétaire, dont le droit est éteint. En ce sens, la prescription est génératrice de certitude, et elle consolide les rapports de propriété en donnant aux situations de fait prolongées un caractère légal officiel :

                    Le but de la prescription acquisitive est précisément de consolider les situations de fait qui se sont prolongées; la simple situation de fait devient, en plus, une situation de droit. [. . .] Le possesseur qui n’était pas propriétaire le devient. [. . .] Il y a maintenant concordance entre le fait et le droit.

(Martineau, p. 17)

[113]                      Cette logique est celle qui s’applique dans la situation appelée communément « scénario du squatter » : voir Normand, p. 349; F. Brochu, « Prescription acquisitive en 2007 » (2008), 110 R. du N. 225, p. 236. Comme le juge Jacques de la Cour d’appel l’a noté à juste titre dans ses motifs dissidents, il s’agit de la situation en l’espèce. Pour ce qui est du véritable propriétaire dans une telle situation, le professeur Martineau écrit :

                    Quant au propriétaire dépouillé de son droit par l’effet de la prescription au profit d’un possesseur possiblement de mauvaise foi, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’a pas fait preuve de diligence pour protéger et conserver son droit. Pendant de nombreuses années, la loi a continué, même s’il n’avait plus la possession, de lui reconnaître son droit et de mettre à sa disposition les moyens de le faire valoir. Il a bénéficié d’un délai suffisamment long pour voir à la protection de ses intérêts; il pouvait, en agissant dans ce délai, empêcher la prescription de se réaliser, et ainsi éviter de perdre son droit; s’il ne l’a pas fait, il a démontré une négligence et, de ce fait, ne mérite plus la protection de la loi. [p. 17-18]

[114]                      En plus de cesser de protéger le véritable propriétaire qui a fait preuve de négligence, la loi favorise généralement le propriétaire qui fait bon usage de son bien : H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Leçons de droit civil (8e éd. 1994), t. II, vol. II, Biens, p. 263. En termes pratiques, l’exemple du squatter qui s’installe illégalement sur la propriété d’un propriétaire négligent est plus ou moins folklorique : Normand, p. 349. En effet, « [l]a prescription acquisitive est généralement utilisée pour corriger des vices de titre plutôt que pour conférer un droit de propriété à un squatter » : Brochu, « Prescription acquisitive en 2007 », p. 236.

[115]                      Que l’effet de la prescription soit de corriger un vice de titre ou de permettre l’acquisition d’un titre au détriment du véritable propriétaire, la raison d’être de ce régime est claire : il vise à assurer l’efficacité, la stabilité et la sécurité des rapports de propriété.

[116]                      Compte tenu de l’opinion de mon collègue — à laquelle je ne peux me rallier — selon lequel, eu égard à la prescription acquisitive d’un immeuble, « le législateur avait l’intention de s’en tenir à la situation qui prévalait sous le C.c.B.‑C. » (par. 80), il convient d’examiner cette situation.

C.       La prescription acquisitive d’un immeuble sous le régime du Code civil du Bas‑Canada

[117]                      Aux termes du C.c.B.‑C., le régime de prescription et sa raison d’être — soit favoriser l’efficacité, la stabilité et la sécurité des rapports de propriété — reposaient sur les périodes de possession et les conditions assorties à la prescription acquisitive d’un immeuble suivant les art. 2242 et 2251. Selon l’art. 2242 C.c.B.‑C., le possesseur, même de mauvaise foi, pouvait acquérir le droit de propriété d’un immeuble s’il en avait la possession pendant 30 ans. Suivant l’art. 2251, le délai de prescription était réduit à 10 ans pour celui qui acquérait un immeuble de bonne foi par titre translatif de propriété.

[118]                      Il ne fait aucun doute que les différentes périodes reflétaient la raison d’être de la prescription dans différents scénarios. L’article 2242 C.c.B.‑C. visait le « scénario du squatter ». Il permettait, notamment, au possesseur de mauvaise foi d’acquérir un droit de propriété au détriment du véritable propriétaire, mais seulement après 30 ans — la trentenaire. Si, pendant cette période, le véritable propriétaire ne revendiquait pas ses droits, il pouvait certainement être dit, comme le fait le professeur Martineau, qu’il « a[vait] bénéficié d’un délai suffisamment long pour voir à la protection de ses intérêts; il [aurait pu], en agissant dans ce délai, empêcher la prescription de se réaliser, et ainsi éviter de perdre son droit; s’il ne l’a[vait] pas fait, il a[vait] démontré une négligence et, de ce fait, ne mérit[ait] plus la protection de la loi » : Martineau, p. 17-18.

[119]                      Par ailleurs, dans le cas où le possesseur avait acquis l’immeuble de bonne foi par acte translatif de propriété, mais que le titre était vicié, le délai était réduit à 10 ans. Comme je l’ai déjà expliqué, la possession durant 10 ans constituait un moyen efficace de valider les titres de propriété; ce délai était également plus court en raison du fait que le possesseur avait satisfait à la condition essentielle, soit acquérir le droit de propriété par acte translatif : voir Croisetière c. Gélinas, [1977] C.A. 183, p. 185-186. Les inquiétudes à propos du risque d’extinction du droit du véritable propriétaire dans un tel scénario étaient atténuées. Et, ainsi, l’efficacité de la validation des titres étant capitale, le législateur avait jugé qu’une période de 10 ans était appropriée.

[120]                      Dans les deux cas, si le possesseur avait satisfait aux exigences de la possession utile, le temps écoulé suffisait à consolider le droit de propriété suivant l’art. 2183 C.c.B.‑C., qui prévoyait que « [l]a prescription est un moyen d’acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps et sous les conditions déterminées par la loi. »

[121]                      L’article 2183a C.c.B.‑C. prévoyait ce qui suit :

                        2183a. La reconnaissance judiciaire du droit de propriété absolu acquis par la prescription de dix ans ou celle de trente ans peut avoir lieu en suivant les formalités prescrites à ce sujet par le Code de procédure civile.

[122]                      Le libellé de l’art. 2183a C.c.B.‑C. était clair en ce sens que le législateur avait employé le participe passé « acquis » pour indiquer que l’acquisition du droit de propriété avait déjà pris effet grâce à la prescription. Autrement dit, tout jugement obtenu en application de l’art. 2183a C.c.B.‑C. était manifestement déclaratif ou confirmatif, et non constitutif du droit de propriété.

[123]                      Comme je l’expliquerai, le libellé de l’art. 2918 C.c.Q. actuel est tout aussi clair, mais à l’opposé. Toutefois, contrairement à mon collègue, je ne saurais accepter la prémisse selon laquelle un tribunal peut donner une interprétation atténuée aux termes exprès de cet article pour en arriver à la conclusion que rien n’a changé malgré son adoption.

D.       L’article 2918 C.c.Q. et la prescription acquisitive d’un immeuble selon le Code civil du Québec

[124]                      Aux termes du C.c.Q., la possession utile prolongée demeure le principal critère qui permet qu’un ensemble de circonstances de facto résulte en un droit de propriété par l’effet de la prescription acquisitive. Ce n’est toutefois pas le seul critère.

[125]                      Comme la disposition qui l’a précédé, soit l’art. 2183 C.c.B.‑C., l’art. 2875 C.c.Q. prévoit notamment que « [l]a prescription est un moyen d’acquérir ou de se libérer par l’écoulement du temps et aux conditions déterminées par la loi ». Le C.c.Q. prévoit désormais expressément que « [l]a prescription acquisitive requiert une possession conforme aux conditions établies au livre Des biens » : art. 2911 C.c.Q. En plus de l’exercice de la possession de fait (le corpus), le possesseur doit avoir la volonté (l’animus) d’un propriétaire, et cette volonté est présumée : art. 921 C.c.Q. Quant à elle, la possession doit être « paisible, continue, publique et non équivoque » pour produire « des effets » : art. 922 C.c.Q. Ces conditions portant sur la nature de la possession n’ont pas changé lors de l’adoption du C.c.Q. Le respect de ces conditions par l’intimée n’est pas en cause devant la Cour.

[126]                      Cependant, certaines des conditions relatives à la prescription acquisitive d’un immeuble ont bel et bien changé lors de l’adoption du C.c.Q. D’abord, la période de possession a été fixée à une seule période unique de 10 ans, sans considération de la bonne ou de la mauvaise foi du possesseur, ni de la présence ou de l’absence d’un titre translatif de propriété. Ensuite — et compte tenu de cet élargissement des droits du possesseur —, le législateur a imposé une condition voulant que le possesseur ne puisse acquérir le droit de propriété qu’à la suite d’une demande en justice. À mon avis, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont commis une erreur en n’exigeant pas le respect de cette condition, comme le dicte l’art. 2918 C.c.Q.

[127]                      L’article 2918 C.c.Q. diffère considérablement de l’art. 2183a du C.c.B.‑C. :

        2183a. La reconnaissance judiciaire du droit de propriété absolue acquis par la prescription de dix ans ou celle de trente ans peut avoir lieu en suivant les formalités prescrites à ce sujet par le Code de procédure civile.

        2183a. The judicial recognition of the absolute right of ownership acquired by prescription by ten years or by thirty years may take place by following the formalities provided in this respect by the Code of Civil Procedure.

        2918. Celui qui, pendant 10 ans, a possédé un immeuble à titre de propriétaire ne peut en acquérir la propriété qu’à la suite d’une demande en justice.

        2918. A person who has for 10 years possessed an immovable as its owner may acquire the ownership of it only upon a judicial application.

[128]                      Même si l’art. 2918 C.c.Q. se trouve manifestement au cœur du présent pourvoi, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont expressément refusé de répondre à la question de savoir s’il faut donner effet au sens ordinaire de son libellé. Cependant, dans la mesure où ces mêmes juges ont conclu que l’intimée avait déjà acquis le droit de propriété sur l’espace de stationnement en cause, ils ont implicitement considéré le jugement requis par l’art. 2918 comme un jugement déclaratif : voir également G. Gidrol‑Mistral, « Publicité des droits et prescription acquisitive : des liaisons dangereuses? » (2016), 46 R.G.D. 303, p. 335.

[129]                      À mon avis, ils ont eu tort. Selon le libellé limpide de l’art. 2918, une demande en justice est nécessaire à l’acquisition d’un droit de propriété sur un immeuble. Le seul objectif d’une cour lorsqu’elle interprète le C.c.Q. — et du reste, toutes les lois — est de s’assurer de la volonté du législateur. Il est évident que « l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi » : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21. Cela dit, lorsque les mots d’une disposition sont dénués de toute ambiguïté, et qu’ils s’inscrivent dans un contexte traduisant l’objectif clair du législateur, la Cour ne peut déformer cette intention en renvoyant à d’autres facteurs contextuels, sous peine d’usurper les fonctions du législateur.

[130]                      L’obligation de présenter une demande en justice prévue à l’art. 2918 n’a pas de précédent dans le C.c.B.‑C. Puisque le libellé de cette disposition est limpide, et que lors de sa modification, le législateur a délibérément choisi de conserver l’obligation relative à la demande en justice, les effets de cet article ne peuvent être définis en fonction de pratiques qui avaient cours sous le régime du C.c.B.‑C. 

[131]                      On ne peut non plus, à mon avis, définir son sens en fonction de l’abrogation ou de la modification des art. 2962 et 2943 et du deuxième alinéa de l’art. 2944 C.c.Q. L’efficacité de ces articles dépendait de la réalisation de la réforme du registre foncier. En raison des difficultés et des coûts associés à la caractérisation des droits, ainsi que du fait que les notaires auraient couru le risque d’engager leur responsabilité professionnelle en cas d’erreur dans cette caractérisation, l’Assemblée nationale a laissé tomber la réforme du registre foncier en l’an 2000 : F. Brochu, « Critique d’une réforme cosmétique en matière de publicité foncière » (2003), 105 R. du N. 761, p. 789.

[132]                      En conséquence, l’art. 2962 C.c.Q., qui consacrait le principe de foi publique — la notion voulant que l’acquéreur d’un droit réel puisse se fier au registre foncier — a été abrogé. De la même façon, le deuxième alinéa de l’art. 2944 — qui créait la présomption irréfragable de l’existence d’un droit de propriété si, après avoir été inscrit pendant 10 ans dans le registre, ce droit n’avait pas été contesté — a également été abrogé, laissant seulement une « présomption simple de l’existence de ce droit » : art. 2944 C.c.Q. Finalement, l’art. 2943 C.c.Q. — qui prévoyait à l’origine que tout droit publié « est réputé connu de celui qui acquiert ou publie un droit sur le même bien immobilier » — a été modifié de façon à ne prévoir qu’une présomption simple. Lorsque la réforme du registre foncier a été abandonnée en 2000, ces articles du C.c.Q. sont devenus inapplicables et leur modification ou leur abrogation sont devenues nécessaires.

[133]                      Soit dit en tout respect, je ne crois toutefois pas qu’une analyse de l’abandon de la réforme du registre foncier et des modifications ou abrogations des articles du C.c.Q. en découlant fournissent un contexte suffisant pour justifier l’interprétation atténuée du libellé exprès de l’art. 2918 C.c.Q. En effet, j’estime qu’une telle analyse est erronée pour plusieurs raisons. La principale de ces raisons étant que cette analyse interprète erronément la raison d’être de l’art. 2918 — en ce sens que cet article serait exclusivement fondé sur le régime de publicité envisagé dans le cadre de la réforme du registre foncier — et que, dès lors, l’obligation relative à la demande en justice serait une conséquence accessoire de l’abandon de ce régime. 

[134]                      L’article 2918 C.c.Q. est « nouveau », en ce sens que la demande en justice devient nécessaire à l’acquisition par prescription d’un immeuble. Il remplace aussi les art. 2242 et 2251 C.c.B.‑C. dans la mesure où il remplace les conditions liées à la prescription trentenaire et à la prescription décennale établies par le C.c.B.‑C. par une seule période de 10 ans et un jugement. Il convient de rappeler que, selon l’art. 2242 C.c.B.‑C., un possesseur de mauvaise foi et sans titre pouvait acquérir un immeuble seulement après en avoir eu possession pendant 30 ans. L’article 2251 C.c.B.‑C. prévoyait une prescription acquisitive de 10 ans, mais seulement si le possesseur de bonne foi pouvait fonder sa possession sur un titre translatif de propriété. Ces dispositions visaient à dissiper les ambiguïtés relatives aux titres. À la lumière de ce contexte, il ressort clairement d’un examen attentif de l’historique législatif de l’art. 2918 C.c.Q. que le législateur souhaitait que le jugement faisant suite à la demande en justice soit constitutif du droit de propriété et sans effet rétroactif. Avec égards, je vois mal en quoi la référence par mon collègue à la modification de l’art. 2918 militerait en faveur d’une interprétation atténuée de l’obligation relative à la demande en justice, alors que le maintien de la condition était précisément le résultat de cette modification. 

[135]                      Dans sa version originale rédigée en 1991, soit avant l’abandon de la réforme du registre foncier, l’art. 2918 C.c.Q. était rédigé comme suit :

                        2918. Celui qui, pendant dix ans, a possédé, à titre de propriétaire, un immeuble qui n’est pas immatriculé au registre foncier, ne peut en acquérir la propriété qu’à la suite d’une demande en justice.

                        Le possesseur peut, sous les mêmes conditions, exercer le même droit à l’égard d’un immeuble immatriculé, lorsque le registre foncier ne révèle pas qui en est le propriétaire; il en est de même, lorsque le propriétaire était décédé ou absent au début du délai de dix ans, ou s’il résulte du registre foncier que cet immeuble est devenu un bien sans maître.

[136]                      Cette version de l’art. 2918 est entrée en vigueur le 1er janvier 1994, soit avant toute mise en application de la réforme du registre foncier. Selon sa formulation originale, la possibilité d’acquérir un immeuble par prescription se limitait essentiellement aux cas où les renseignements dans le registre foncier étaient incomplets : l’immeuble n’était pas immatriculé, le propriétaire était inconnu, décédé ou absent, ou l’immeuble en question n’avait pas de propriétaire. Dans ces rares cas, le régime de la publicité ne pouvait pas accomplir son effet constitutif en raison d’un vice d’immatriculation : voir Gidrol‑Mistral, p. 312. Vu l’absence d’un propriétaire inscrit, il s’agissait également de cas qui ne suscitaient pas une tension entre la prescription acquisitive et le droit de propriété. Dans l’hypothèse, adoptée par le législateur à l’époque, où la réforme du registre foncier aurait été menée à terme et où le registre aurait eu une force probante absolue, l’aspect extinctif de la prescription acquisitive n’aurait pas été en jeu. En raison de la [traduction] « partialité systématique envers l’intégrité du registre aux termes du Code de 1991 », le législateur sentait « moins le besoin de conserver la [prescription trentenaire], puisque la possibilité qu’un immeuble soit acquis par prescription acquisitive avait été grandement diminuée, voire effectivement éliminée » : Lametti, p. 292. Autrement dit, la période de 30 ans qui, selon le législateur, constituait un juste équilibre entre le droit de propriété et la mise en œuvre du régime de prescription n’était plus nécessaire, puisque le risque qu’un véritable propriétaire perde son droit de propriété avait été grandement réduit. La période de prescription de 10 ans était donc conforme à « la technologie, aux mœurs et aux valeurs de la société moderne » : D. Dumais, « La prescription », dans Collection de droit, vol. 4, Responsabilité (2016), 219, p. 231. Par contre, contrairement à la suggestion que fait mon collègue au par. 85 de ses motifs, cette conformité tient en grande partie au fait que la possibilité pour un squatter d’acquérir les droits du véritable propriétaire avait été réduite par l’ajout, à l’art. 2918, de l’exigence que soit présentée une demande en justice.

[137]                      Tout comme les modifications ou abrogations apportées aux art. 2962 et 2943 ainsi qu’au deuxième alinéa de l’art. 2944 C.c.Q., les changements qui ont donné à l’art. 2918 sa forme actuelle s’expliquent — et ont, de fait, été expliqués — par l’abandon de la réforme du registre foncier, comme le montre l’extrait suivant :

                            Le Président (M. Gautrin) : . . . L’article 2918 de ce Code est modifié. [. . .] Alors, vous allez nous expliquer ça, Mme la ministre ?

. . .

                            Mme Goupil [ministre de la Justice] : . . . rapidement, mais c’est très technique. [. . .] Enfin, c’est le premier article dans lequel nous allons avoir la même explication un peu pour d’autres articles, c’est‑à‑dire que l’on abandonne la phase II de la modification au Code civil qui existait, puisqu’elle ne correspondait pas à la pratique. Ça a été suspendu depuis 1995. Donc, on revient à l’ancienne méthode, avec la prescription actuelle, qui est celle de 10 ans. C’est bien ça? [Je souligne.]

(Journal des débats de la Commission permanente des institutions, vol. 36, no 82, 1re sess., 36e lég., 2 juin 2000, p. 51) 

[138]                      Seul le deuxième alinéa de l’art. 2918 original portait sur l’intégrité du registre et ainsi, seul ce paragraphe a été supprimé après l’abandon de la réforme du registre foncier. En effet, le deuxième alinéa de l’art. 2918 n’est jamais entré en vigueur :

En effet, l’application du deuxième alinéa était suspendue jusqu’à la mise en œuvre de la phase II de la réforme initiale de la publicité foncière. Or, elle a été abandonnée par le législateur. [Dumais, p. 231]

Cependant, rien quant à la suppression du deuxième alinéa de l’art. 2918 ne milite en faveur d’une interprétation atténuée de l’obligation de présenter une demande en justice telle qu’elle est présentement formulée à l’art. 2918.

[139]                      Selon mon collègue, la modification de l’art. 143 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil indique que l’art. 2918 n’a pas changé le régime de prescription du C.c.B.‑C. Je suis en désaccord. Tout comme pour les changements apportés à l’art. 2918, ceux apportés à l’art. 143 ne peuvent expliquer pourquoi nous devrions ignorer son libellé actuel, qui prévoit que celui qui « n’a pas encore acquis par prescription [. . .] un immeuble qu’il a possédé [. . .] est soumis aux dispositions de l’article 2918 du nouveau code ».

[140]                      En 1992, soit avant l’abandon de la réforme du registre foncier, l’art. 143 prévoyait initialement ce qui suit :

                        143. Celui qui n’a pas encore acquis par prescription, [le 1er janvier 1994], est soumis aux dispositions du premier alinéa de l’article 2918 du nouveau code, s’il a possédé, à titre de propriétaire, un immeuble porté sur le registre foncier constitué de l’index des immeubles [. . .]; la demande en justice visant à en acquérir la propriété par prescription doit être préinscrite.

                        Celui qui [le 1er janvier 1994] est devenu, suivant la loi ancienne, propriétaire d’un immeuble par prescription est toujours admis à s’adresser au tribunal dans le ressort duquel est situé l’immeuble, pour obtenir, par requête, la reconnaissance judiciaire de son droit de propriété.

[141]                      Lors de l’abandon de la réforme, l’art. 143 a été modifié pour prendre sa forme actuelle :

                        143. Celui qui n’a pas encore acquis par prescription, le 1er janvier 1994, un immeuble qu’il a possédé à titre de propriétaire est soumis aux dispositions de l’article 2918 du nouveau code.

                        Celui qui, à cette date est devenu suivant la loi ancienne, propriétaire d’un immeuble par prescription est toujours admis à s’adresser au tribunal dans le ressort duquel est situé l’immeuble, pour obtenir, par requête, la reconnaissance judiciaire de son droit de propriété.

[142]                      Les débats à l’Assemblée nationale révèlent que la seule intention du législateur sous‑tendant la modification apportée à l’art. 143 était de rendre l’inscription préalable de la demande en justice optionnelle plutôt qu’obligatoire :

                            Mme Goupil : Alors [. . .] [l’amendement] propose la suppression de l’exigence de préinscrire la demande en justice visant l’acquisition par prescription d’un immeuble lorsque la personne n’a pas encore acquis cet immeuble lors de l’entrée en vigueur du Code civil. Il nous a donc paru opportun de retirer l’obligation de la préinscription de la demande en justice, puisqu’on ne retrouve pas une règle semblable dans le cas où la personne commence à prescrire sous la loi nouvelle.

                            Alors, on le sait, la préinscription est une mesure facultative de protection en faveur du bénéficiaire de l’avis. Refuser une demande en justice visant à acquérir la propriété d’un immeuble par prescription au motif que le requérant a omis de préinscrire sa demande semble inapproprié, considérant que la publication de l’avis de préinscription a pour but de protéger ce dernier. [Je souligne.]

(Journal des débats de la Commission permanente des institutions, vol. 36, no 101, 1re sess., 36e lég., 7 novembre 2000, p. 24) 

[143]                      De plus, en précisant qu’une personne qui a déjà acquis la propriété d’un immeuble par prescription suivant le régime du C.c.B.‑C. « est toujours admis[e] à s’adresser au tribunal [. . .] pour obtenir [. . .] la reconnaissance judiciaire de son droit de propriété », le deuxième alinéa de l’art. 143 démontre que l’ancien régime de prescription n’a pas survécu à l’adoption du C.c.Q. :

. . . le possesseur a le choix de se prévaloir de la prescription, décennale ou trentenaire, de l’ancien code ou de la prescription décennale du nouveau code. Ce choix n’est pas dépourvu de conséquence. Les jugements rendus suivant les règles du Code civil du Bas Canada, c’est‑à‑dire à la suite de la présentation d’une requête en reconnaissance judiciaire du droit de propriété, sont déclaratifs plutôt que constitutifs.

(F. Brochu, « Prescription acquisitive et publicité des droits » (2006), 108 R. du N. 197, p. 201)

[144]                      Suivant le deuxième alinéa de l’art. 143 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil, seule une personne qui a déjà acquis la propriété d’un immeuble est dispensée de satisfaire aux exigences de l’art. 2918 C.c.Q.

[145]                      Il est manifeste que rien concernant l’art. 143 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil, ou ses modifications, ne dénote une intention du législateur de réduire l’exigence relative à la demande en justice à moins qu’un élément essentiel de la prescription acquisitive d’un immeuble. Au contraire, et encore une fois, le libellé même résultant de la modification illustre que le législateur voulait faire de la demande en justice une condition essentielle à une telle acquisition. 

[146]                      Pour revenir à l’art. 2918 C.c.Q., même s’il est clair que sa modification est la conséquence de l’abandon de la réforme du registre foncier, il ne s’ensuit pas que son libellé modifié — y compris l’obligation relative à la demande en justice, que le législateur a délibérément conservée — devrait recevoir dans les faits une interprétation judiciaire atténuée pour cette raison. La prescription trentenaire en cas de mauvaise foi du possesseur a été supprimée, tout comme l’exigence voulant que la prescription décennale soit fondée sur la bonne foi et sur un titre translatif de propriété : voir Dupuy c. Gauthier, 2013 QCCA 774, [2013] R.J.Q. 662. Puisque le délai de prescription comporte nécessairement un équilibre entre les droits du possesseur et le droit de propriété du véritable propriétaire — qui est, rappelons‑le, en principe absolu, exclusif et perpétuel —, le législateur a remplacé les conditions prévues dans le C.c.B.‑C. par la nécessité d’obtenir un jugement en application de l’art. 2918, ce qui permettait d’éviter que l’équilibre penche de façon significative en faveur du possesseur. Les commentaires du ministre étaient sans équivoque quant au fait que le droit de propriété ne peut être acquis sans demande en justice :

                    . . . une possession à titre de propriétaire, pendant dix ans, justifie l’acquisition du droit de propriété, mais celle‑ci devra, alors, faire l’objet d’une reconnaissance judiciaire, la possession à elle seule ne faisant pas acquérir le droit. [Je souligne.]

(Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice, t. II, Le Code civil du Québec (1993), p. 1831)

[147]                      Il est tout aussi utile de souligner que, à la lumière du libellé limpide de l’art. 2918, le poids des autorités doctrinales milite contre la proposition selon laquelle le jugement obtenu à la suite de la demande en justice est simplement déclaratif : voir Lafond, par. 2566; Normand, p. 355; C. Gervais, La prescription (2009), p. 193; F. Brochu, « Nouvelle posologie pour la prescription acquisitive immobilière » (2003), 105 R. du N. 735, p. 754; É. Lambert, La prescription (Art. 2875 à 2933 C.c.Q.) (2014), p. 835-836; Dumais, p. 231-232. Même Pierre Pratte, sur qui s’appuie mon collègue pour affirmer que le jugement est déclaratif, reconnaît que dans le cas d’un empiétement, comme en l’espèce, le jugement peut avoir un caractère attributif :

                    Si, à la rigueur, lors d’un empiétement on pourrait s’accommoder d’un jugement attributif, à notre avis, il en va autrement lorsque le jugement en prescription acquisitive vient pallier à un vice dans un titre existant. Dans ce dernier cas, [. . .] l’acquéreur est propriétaire en vertu d’un titre [. . .] Dans ce contexte, il nous apparaît plus approprié que le tribunal déclare le demandeur propriétaire de l’immeuble plutôt que de lui attribuer (donc lui transférer) la propriété d’un immeuble qui lui appartient déjà.

(P. Pratte, « La demande judiciaire relative à la prescription acquisitive d’un immeuble » (2014), 73 R. du B. 509, p. 550-551)

De fait, la logique qui sous‑tend l’interprétation voulant qu’un jugement découlant de l’exigence que soit présentée une demande en justice soit de nature déclarative ne pourrait s’appliquer que dans les cas où la prescription a pour effet de corriger le défaut d’un titre. Dans un tel cas, le droit de propriété d’une autre partie n’est pas réellement en cause. Mais tel n’est pas le cas dans la présente affaire. Celle‑ci démontre comment cette logique s’étiole lorsque le droit de propriété du véritable propriétaire serait éteint ou transféré au profit du possesseur qui a empiété sur l’immeuble.

[148]                      Bref, dans l’esprit de la réforme du registre foncier, la version originale de l’art. 2918 [traduction] « réduisait le délai de prescription pour les immeubles à dix ans, peu importe si le possesseur était de bonne ou de mauvaise foi », mais cette réforme rendait « l’acquisition par prescription extrêmement difficile », puisque le législateur avait « donné la priorité aux renseignements figurant dans le registre » et créé des « présomptions défavorables au possesseur » : Lametti, p. 294. Il est vrai que, à la suite de l’abandon de la réforme, le « délai de prescription est toujours de dix ans, peu importe la bonne ou la mauvaise foi du possesseur, mais la prescription acquisitive est redevenue une possibilité plus sérieuse » (ibid.), ce qui favorise en soi le possesseur par rapport au véritable propriétaire. Cependant, si l’Assemblée nationale avait voulu faire pencher la balance encore plus en faveur du possesseur, elle l’aurait fait en supprimant la condition relative à la demande en justice prévue à l’art. 2918. À mon avis, et eu égard à la décision du législateur de conserver cette condition, il n’appartient pas aux tribunaux de lui donner une interprétation atténuée en appliquant des principes d’interprétation. L’exigence relative à la demande en justice n’a pas simplement survécu aux modifications adoptées par le législateur à la suite de l’abandon de la réforme; elle a acquis une importance accrue puisque la réduction du délai de prescription à 10 ans, qui était initialement fondée sur la mise en place de la réforme du registre, a été conservée.

[149]                      Selon l’art. 2918 actuel, le temps écoulé à lui seul ne donne plus au possesseur un droit de propriété; seul un jugement peut le faire. Conclure autrement confondrait la possession de fait et la création ou le transfert de droits réels. Seul le détenteur d’un droit de propriété peut faire reconnaître ce droit :

        912. Le titulaire d’un droit de propriété ou d’un autre droit réel a le droit d’agir en justice pour faire reconnaître ce droit.

        912. The holder of a right of ownership or other real right has the right to take part in judicial proceedings to have his right acknowledged. [C.c.Q.]

Les possesseurs n’ont pas un tel droit qui pourrait être reconnu; ils n’ont que le fait de leur possession.

[150]                      Dans le contexte de la prescription acquisitive, le corollaire de l’élargissement imposé par les tribunaux des droits du possesseur est la réduction du droit de propriété prévu à l’art. 947 C.c.Q. Or, donner une interprétation atténuée à l’exigence de la demande judiciaire prévue à l’art. 2918 — comme le proposent implicitement les juges majoritaires de la Cour d’appel — aboutit précisément à une telle réduction. En effet, suivant l’interprétation donnée à l’art. 2918 par les juges majoritaires, la situation qui prévaut aujourd’hui ne serait plus la même que celle qui prévalait sous le C.c.B.‑C.; les droits du possesseur seraient maintenant nettement étendus. En effet, compte tenu de la réduction de la période de prescription de 30 à 10 ans, si l’exigence de la demande judiciaire était écartée, un possesseur pourrait maintenant beaucoup plus facilement faire valoir cette prescription contre le véritable propriétaire que cela n’était le cas en application du C.c.B.‑C. L’interprétation implicite que font les juges majoritaires de l’art. 2918 contrecarre donc fondamentalement l’équilibre établi par la loi entre les droits du possesseur et ceux du véritable propriétaire.

[151]                      Sans l’exigence de la demande judiciaire prévue à l’art. 2918, l’équilibre entre les droits du possesseur et le droit de propriété ne pourrait être rétabli qu’en maintenant la période de prescription que prévoyait le C.c.B.-C., soit 30 ans, pour les possesseurs dépourvus d’un titre translatif de propriété tels que l’intimée. Sans cela, je suis d’avis que l’interprétation implicite donnée à l’art. 2918 par les juges majoritaires de la Cour d’appel n’est pas compatible avec le régime de publicité des droits décrit dans le livre neuvième du C.c.Q. Le premier alinéa de l’art. 2966 C.c.Q. prévoit ce qui suit :

                        2966. Toute demande en justice qui concerne un droit réel soumis ou admis à l’inscription sur le registre foncier, peut, au moyen d’un avis, faire l’objet d’une préinscription.

Cette disposition agit de concert avec le premier alinéa de l’art. 2968 C.c.Q. :

                        2968. Sont réputés publiés à compter de la préinscription les droits qui font l’objet du jugement ou de la transaction qui met fin à l’action, pourvu qu’ils soient publiés dans les 30 jours qui suivent celui où le jugement est passé en force de chose jugée ou celui de la transaction.

[152]                      Le premier alinéa de l’art. 2966 permet donc à un possesseur, avant qu’il obtienne le jugement nécessaire prévu à l’art. 2918, de préinscrire sa demande en justice. Selon le premier alinéa de l’art. 2968, la date de la préinscription est réputée être la date de publication. Par l’effet de ces articles, le possesseur prudent qui respecte les exigences énoncées à l’art. 2918 est incité à préinscrire sa demande en justice, ce qui concorde avec l’exigence générale prévue à l’art. 2938 C.c.Q., soit la publicité de « l’acquisition, la constitution, la reconnaissance, la modification, la transmission et l’extinction » des droits réels immobiliers. La possibilité que surviennent des litiges et des contestations de priorité de rang s’en trouve également réduite.

[153]                      Considérer le jugement prévu à l’art. 2918 comme étant déclaratif et rétroactif dénature ces avantages. En effet, selon une telle interprétation, le possesseur prudent qui aurait respecté les exigences de l’art. 2918 ainsi que des premiers alinéas des art. 2966 et 2968 et qui aurait préinscrit une demande en justice serait désavantagé par rapport à celui qui ne l’aurait pas fait, puisque ce dernier bénéficierait de son inaction grâce à la rétroactivité du jugement. Favoriser ainsi l’inaction fragiliserait le titre pour une durée indéterminée, ce qui pourrait faire l’objet d’un autre différend. Conformément aux objectifs du régime de publicité des droits, il est clair que l’objectif fondamental de l’art. 2918 est de conférer au possesseur un titre par jugement, de sorte qu’il puisse ensuite inscrire son droit réel. En l’absence d’un jugement, le possesseur n’a rien à publier. Selon l’opinion des juges majoritaires, celui‑ci deviendrait alors le seul propriétaire d’un immeuble au Québec qui ne peut pas publier son droit de propriété, mais serait néanmoins à l’abri des effets du régime de la publicité.

[154]                      En plus d’être irréconciliable avec ces articles du régime de publicité des droits, ce résultat est difficile à concilier avec la raison d’être du régime de prescription lui‑même. Plutôt que d’assurer l’efficacité, la stabilité et la sécurité des rapports de propriété entre détenteurs de titres en favorisant la préinscription, il suscite l’incertitude en retardant la détermination définitive de la propriété. L’effet de cette incertitude est accentué en raison de l’effet potentiel de la rétroactivité sur les tiers : « La rétroactivité permet ainsi de rendre inopposables aux tiers les actes passés par le [véritable propriétaire], pendant la période de l’usucapion, les frappant d’inefficacité » (Gidrol‑Mistral, p. 341). Respecter le libellé clair de l’art. 2918 résout ces problèmes et élimine les risques de litiges futurs.

[155]                      À l’instar de l’exigence relative à la demande en justice prévue à l’art. 2918, l’exigence décrite à l’art. 2885 voulant que la « renonciation à la prescription acquise de droits réels immobiliers doit être publiée au bureau de la publicité des droits » contribue à la certitude des transactions immobilières. Elle permet à un vendeur de dissiper les ambiguïtés potentielles relatives au titre découlant de la possession par un voisin du terrain en vente. Plutôt que de nier l’importance de la publicité, l’art. 2885 C.c.Q. illustre son utilité — et de fait, sa nécessité — dans le contexte de la prescription en subordonnant la renonciation à la prescription au régime de publication.

[156]                      Comme le juge Jacques de la Cour d’appel l’a souligné dans ses motifs dissidents (par. 93-97), le fait de considérer le jugement devant être obtenu aux termes de l’art. 2918 comme étant rétroactif est incompatible avec l’art. 50 de la Loi d’interprétation, RLRQ, c. I-16, qui est le suivant :

                        50. Nulle disposition légale n’est déclaratoire ou n’a d’effet rétroactif pour la raison seule qu’elle est énoncée au présent du verbe.

[157]                      Lorsque le législateur a voulu qu’un article du C.c.Q. ait un effet rétroactif, il a tenu compte de l’art. 50 de la Loi d’interprétation et fait connaître clairement son intention. Par l’exemple, l’art. 884 C.c.Q. prévoit que « [l]e partage est déclaratif de propriété ». Par ailleurs, l’art. 1037 C.c.Q. indique que « l’acte de partage qui met fin à une indivision autre que successorale est attributif du droit de propriété ». Dans la mesure où l’art. 2918 prévoit explicitement qu’un possesseur « ne peut [. . .] acquérir la propriété » d’un immeuble « qu’à la suite d’une demande en justice », je suis d’avis que ces illustrations, « tirées d’autres livres du Code, militent [. . .] en faveur du caractère attributif du jugement en reconnaissance de propriété par prescription acquisitive » : J. McCann, « Commentaire sur la décision De Repentigny c. Fortin (Succession de) ― L’acquisition de la propriété par prescription décennale : effet déclaratif, attributif, rétroactif ? », Repères, février 2013 (accessible en ligne dans La référence).

[158]                      Je partage donc l’avis du juge Jacques, selon lequel le jugement résultant de la demande en justice prévue à l’art. 2918 est constitutif du droit de propriété, sans effet rétroactif. J’adhère donc au courant jurisprudentiel en ce sens : Craig c. Béton Chevalier inc., 2012 QCCS 2888, par. 33 (CanLII); Granby (Ville) c. Gestion Rainville ltée, 2011 QCCS 4259, par. 56-59 (CanLII); Re Gagné, 2009 QCCS 6064, par. 10-16 (CanLII); Re Montmagny (Ville), 2005 CanLII 11604 (C.S. Qc), par. 6; Re Béland, 2005 CanLII 24349 (C.S. Qc), par. 6.

E.             Application en l’espèce

[159]                      Les appelants ont acquis le terrain sur lequel est situé l’espace de stationnement en cause au moyen d’un acte translatif de propriété en juillet 2011. Malgré les suggestions en sens contraire des juges majoritaires de la Cour d’appel, la bonne foi des appelants n’est pas en cause. Comme le juge Jacques l’a souligné, les appelants ont inscrit leur titre au registre foncier, ce qui a déclenché l’application des art. 2941, 2943, 2944 et 2945 C.c.Q., qui prévoient ce qui suit :

                        2941. La publicité des droits les rend opposables aux tiers, établit leur rang et, lorsque la loi le prévoit, leur donne effet.

                        Entre les parties, les droits produisent leurs effets, encore qu’ils ne soient pas publiés, sauf disposition expresse de la loi.

                        2943. Un droit inscrit sur les registres à l’égard d’un bien est présumé connu de celui qui acquiert ou publie un droit sur le même bien.  

                        La personne qui s’abstient de consulter le registre approprié et, dans le cas d’un droit inscrit sur le registre foncier, la réquisition à laquelle il est fait référence dans l’inscription, ainsi que le document qui l’accompagne lorsque cette réquisition prend la forme d’un sommaire, ne peut repousser cette présomption en invoquant sa bonne foi.

                        2944. L’inscription d’un droit sur le registre des droits personnels et réels mobiliers ou sur le registre foncier emporte, à l’égard de tous, présomption simple de l’existence de ce droit.

                        2945. À moins que la loi n’en dispose autrement, les droits prennent rang suivant la date, l’heure et la minute inscrites sur le bordereau de présentation ou, si la réquisition qui les concerne est présentée au registre foncier, dans le livre de présentation, pourvu que les inscriptions soient faites sur les registres appropriés.

                        Lorsque la loi autorise ce mode de publicité, les droits prennent rang suivant le moment de la remise du bien ou du titre au créancier.

[160]                      Aux termes de l’art. 2918 C.c.Q., l’acquisition par prescription d’un immeuble est conditionnelle à l’obtention d’un jugement résultant de la demande en justice présentée par le possesseur. Dans le cas qui nous occupe, l’intimée n’a pas présenté de telle demande avant que les appelants n’acquièrent le titre de propriété en juillet 2011. En fait, l’intimée a attendu que les appelants présentent une demande d’injonction permanente contre elle pour déposer sa demande reconventionnelle par laquelle elle a sollicité une déclaration de propriété. Le jugement de première instance donnant gain de cause à l’intimée a été rendu le 22 octobre 2013. Le titre des appelants sur l’immeuble en question emporte donc priorité puisqu’il a été inscrit au registre avant cette date. Résultat : la possession de l’intimée ne peut être opposée à l’encontre du titre des appelants.

[161]                      J’ajouterais ce qui suit. Contrairement à ce que suggère mon collègue, l’équité ne milite pas en l’espèce pour l’octroi de l’immeuble en cause à l’intimée. Celle‑ci n’est pas un possesseur qui se trouve à avoir acquis un titre vicié. Elle empiétait sur l’immeuble lorsque les appelants l’ont acquis au moyen d’un acte translatif de propriété et, en vertu de cet acte, ils ont acquis un droit réel, et non un recours personnel contre le vendeur. Même si nous supposons, comme le fait mon collègue, que les appelants aient un recours contre leur auteur en vertu de l’art. 1724 C.c.Q. — une telle hypothèse étant loin d’être confirmée par les faits en l’espèce — il n’existe aucune équivalence entre les droits réels et les droits personnels dans le C.c.Q. Contrairement aux droits personnels, les droits réels sont fondamentalement opposables erga omnes (à tous). C’est cette caractéristique essentielle des droits réels, qui sous‑tend la logique de l’art. 2938, qui se trouve au cœur du régime de publicité prévu au C.c.Q. :

                        2938. Sont soumises à la publicité, l’acquisition, la constitution, la reconnaissance, la modification, la transmission et l’extinction d’un droit réel immobilier.

                        Le sont aussi la renonciation à une succession, à un legs, à une communauté de biens, au partage de la valeur des acquêts ou du patrimoine familial, ainsi que le jugement qui annule la renonciation.

                        Les autres droits personnels et les droits réels mobiliers sont soumis à la publicité dans la mesure où la loi prescrit ou autorise expressément leur publication. La modification ou l’extinction d’un droit ainsi publié est soumise à la publicité.

[162]                      Comme le juge Jacques l’a reconnu, cette caractéristique d’opposabilité aux tiers, notamment les tiers acquéreurs et les créanciers, démontre l’importance du registre foncier dans une société moderne :

                    En fournissant des informations sur lesquelles s’appuient, notamment, les acquéreurs et les créanciers hypothécaires pour évaluer la validité d’un titre de propriété, le registre foncier favorise la sécurité des transactions et l’exploitation de la valeur économique des immeubles. Personne, à titre d’exemple, ne serait intéressé à acquérir un immeuble s’il n’existait aucun moyen de vérifier que la personne qui s’en prétend propriétaire dispose d’un titre de propriété valable. Le système de publicité foncière revêt donc une importance capitale, quoique méconnue des non‑spécialistes, qui le situe au cœur de la mission de l’État. [Je souligne; notes en bas de page omises.]

(F. Brochu, Mémoire portant sur le Projet de loi no 35, Loi modifiant le Code civil en matière d’état civil, de successions et de publicité des droits, Commission des institutions, 23 mai 2013 (en ligne), p. 4)

[163]                      Lorsque le sens ordinaire et la structure du C.c.Q. s’accordent avec ces réalités modernes, il est difficile de concevoir pourquoi nous devrions assimiler ces régimes à ceux qui existaient sous le C.c.B.‑C. En effet, ceci est d’autant plus difficile compte tenu du principe d’interprétation selon lequel « la volonté [du législateur] doit être interprétée à la lumière de la situation qui a cours plutôt que des circonstances historiques » : R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 R.C.S. 575, par. 38. A fortiori, j’estime que les tribunaux devraient faire preuve de prudence avant de rétrograder des modifications législatives, telle celle de l’exigence relative à la demande en justice prévue à l’art. 2918, ou le régime de publicité décrit au livre neuvième du C.c.Q.

[164]                      Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi.

                    Pourvoi rejeté avec dépens, la juge Côté est dissidente.

                    Procureurs des appelants : De Grandpré Chait, Montréal.

                    Procureurs de l’intimée : Lapointe Rosenstein Marchand Melançon, Montréal.

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