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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35, [2017] 1 R.C.S. 865

Appel entendu : 3 novembre 2016

Jugement rendu : 29 juin 2017

Dossier : 36537

 

Entre :

Sa Majesté la Reine

Appelante

 

et

 

Robert David Nicholas Bradshaw

Intimé

 

- et -

 

Procureur général de l’Ontario, British Columbia Civil Liberties Association et Criminal Lawyers’ Association of Ontario

Intervenants

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Côté et Brown

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 97)

La juge Karakatsanis (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Wagner et Brown)

 

Motifs dissidents :

(par. 98 à 188)

Le juge Moldaver (avec l’accord de la juge Côté)

 

 

 


R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35, [2017] 1 R.C.S. 865

Sa Majesté la Reine                                                                                       Appelante

c.

Robert David Nicholas Bradshaw                                                                       Intimé

et

Procureur général de l’Ontario,

British Columbia Civil Liberties Association et

Criminal Lawyers’ Association of Ontario                                                Intervenants

Répertorié : R. c. Bradshaw

2017 CSC 35

No du greffe : 36537.

2016 : 3 novembre; 2017 : 29 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Côté et Brown.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

                    Droit criminel — Preuve — Ouï‑dire — Admissibilité — Exception raisonnée à la règle du ouï‑dire — Déclaration relatée d’un co‑accusé admise en preuve par le juge du procès — Dans quelles circonstances un juge du procès peut‑il se fonder sur une preuve corroborante pour conclure que le seuil de fiabilité d’une déclaration relatée est établi?

                    Deux personnes ont été abattues. Soupçonné par les policiers, T est devenu la cible d’une opération Monsieur Big au cours de laquelle il a dit à un agent banalisé qu’il avait abattu les deux victimes. Il a ensuite dit à Monsieur Big qu’il avait abattu une victime et que B avait abattu l’autre. T a été arrêté. Lorsqu’il a ensuite reconstitué les meurtres pour les policiers, il a impliqué B dans les deux meurtres. T et B ont été accusés de deux chefs de meurtre au premier degré et T a plaidé coupable à une accusation de meurtre au second degré. Puisque T a refusé de témoigner sous serment au procès de B, le ministère public a tenté de faire admettre en preuve la vidéo de la reconstitution faite par T. À la suite d’un voir‑dire, le juge du procès a admis en preuve la vidéo de la reconstitution en vertu de l’exception raisonnée à la règle du ouï‑dire. Un jury a reconnu B coupable sous deux chefs de meurtre au premier degré. La Cour d’appel a accueilli l’appel, annulé les déclarations de culpabilité prononcées contre B et ordonné la tenue d’un nouveau procès.

                    Arrêt (les juges Moldaver et Côté sont dissidents) : Le pourvoi est rejeté.

                    La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Karakatsanis, Wagner et Brown : La preuve par ouï‑dire est présumée inadmissible parce qu’il est souvent difficile pour le juge des faits d’en évaluer la véracité. Cependant, elle peut être admise en vertu de l’exception raisonnée si les critères de la nécessité et du seuil de fiabilité sont respectés selon la prépondérance des probabilités.

                    En l’espèce, la nécessité de la preuve par ouï‑dire est établie car T a refusé de témoigner. Ainsi, son admissibilité repose sur la question de savoir s’il a été satisfait au seuil de fiabilité. Le seuil de fiabilité est atteint lorsque la preuve est suffisamment fiable pour écarter les dangers que comporte la difficulté de la vérifier. Les dangers que pose le ouï‑dire se rapportent au fait qu’il est difficile d’évaluer la perception du déclarant, sa mémoire, sa relation du fait ou sa sincérité. Ces dangers peuvent être écartés s’il est démontré (1) qu’il existe d’autres façons adéquates de vérifier la vérité et l’exactitude (fiabilité d’ordre procédural), ou (2) qu’il existe des garanties circonstancielles ou relatives à la preuve conférant une fiabilité inhérente à la déclaration relatée (fiabilité substantielle). La fiabilité substantielle est établie si la déclaration n’est pas susceptible de changer lors d’un contre‑interrogatoire. Pour décider si la fiabilité substantielle est établie, le juge du procès peut prendre en compte les circonstances dans lesquelles la déclaration a été faite et la preuve (le cas échéant) qui corrobore ou contredit la déclaration.

                    Pour établir le seuil de fiabilité, le juge du procès ne peut se fonder sur la preuve corroborante que si celle‑ci, considérée globalement dans les circonstances de l’espèce, démontre que la seule explication plausible de la déclaration relatée est la véracité du déclarant au sujet de ses aspects importants, ou l’exactitude de ceux‑ci.

                    D’abord, la preuve corroborante doit porter sur la véracité ou l’exactitude des aspects importants de la déclaration relatée. Comme le ouï‑dire est présenté pour établir la véracité de son contenu, la preuve corroborante doit porter sur la véracité ou l’exactitude du contenu de la déclaration relatée sur lequel la partie requérante veut s’appuyer.

                    Ensuite, la preuve corroborante doit aider à écarter les dangers spécifiques du ouï‑dire que pose la déclaration présentée. La preuve corroborante parvient à le démontrer si son effet conjugué, considéré eu égard aux circonstances de l’espèce, démontre que la seule explication plausible de la déclaration relatée est la véracité du déclarant au sujet de ses aspects importants, ou l’exactitude de ceux‑ci. Autrement, d’autres explications de la déclaration, qui auraient pu être obtenues ou vérifiées lors d’un contre‑interrogatoire, ainsi que les dangers associés au ouï‑dire, subsistent. La preuve corroborante est utile pour établir la fiabilité substantielle si elle démontre que d’autres explications de la déclaration ne sont pas disponibles. Par contre, la preuve corroborante qui est également compatible avec la véracité et l’exactitude de la déclaration et avec une autre hypothèse n’est pas utile. Pour que le juge du procès se fonde sur la preuve corroborante pour rejeter d’autres hypothèses, cette preuve doit elle‑même être digne de foi.

                    En somme, pour établir si la preuve corroborante est utile lors de l’examen de la fiabilité substantielle, le juge du procès devrait prendre les mesures suivantes : (1) cerner les aspects importants de la déclaration relatée qui sont présentés pour établir la véracité de leur contenu; (2) cerner les dangers spécifiques du ouï‑dire que posent ces aspects de la déclaration dans les circonstances particulières de l’affaire; (3) en fonction des circonstances et de ces dangers, envisager d’autres explications de la déclaration, qui peuvent même être conjecturales; et (4) décider si, compte tenu des circonstances de l’affaire, la preuve corroborante présentée au voir‑dire écarte ces autres explications, de sorte que la seule explication plausible de la déclaration est la véracité du déclarant au sujet de ses aspects importants, ou l’exactitude de ces aspects.

                    Le juge du procès a fait erreur en se fondant en grande partie sur des éléments de preuve corroborants qui ne permettaient pas d’établir la fiabilité substantielle pour considérer la déclaration de reconstitution admissible. L’aspect important de la déclaration était l’affirmation de T selon laquelle B avait participé aux meurtres. Le danger spécifique que posait la déclaration de T tenait à l’incapacité du juge des faits d’évaluer si T avait menti au sujet de la participation de B aux meurtres. T a fait des déclarations incompatibles concernant la participation de B. Il avait également une bonne raison de mentir pour réduire sa propre culpabilité. De plus, T était un témoin visé par l’arrêt Vetrovec, soit un témoin qui ne peut être présumé dire la vérité en raison de son honnêteté douteuse. Compte tenu des dangers du ouï‑dire que présentait la déclaration de reconstitution, une autre explication veut que T ait menti au sujet de la participation de B aux meurtres. Par conséquent, la preuve corroborante contribuera uniquement à établir la fiabilité substantielle de la déclaration de reconstitution si elle démontre, au vu des circonstances de l’espèce, que la seule explication plausible veut que T ait dit la vérité au sujet de la participation de B. Considérée globalement, la preuve corroborante sur laquelle s’est appuyé le juge du procès ne respectait pas cette norme. Par exemple, bien que la preuve des conditions météorologiques et la preuve médicolégale démontraient que T avait décrit avec exactitude la façon dont les meurtres ont été accomplis ainsi que les conditions météorologiques qui existaient les nuits des meurtres, ces éléments de preuve n’atténuent pas le danger qu’il ait menti au sujet de la participation de B. De plus, bien qu’il existe des enregistrements dans lesquels B a avoué avoir participé aux meurtres, la fiabilité de ces aveux soulève des réserves. Une bonne partie de la preuve corroborante sur laquelle s’est fondé le juge du procès avait une valeur probante en ce qui concerne la culpabilité de B, et ainsi le juge des faits pouvait en tenir compte dans le procès sur le fond, mais aucun de ces éléments de preuve ne contribuait à établir le seuil de fiabilité de la déclaration de reconstitution.

                    Le seuil de fiabilité de la déclaration relatée n’est pas par ailleurs établi. Les mises en garde au jury concernant les dangers associés à la preuve par ouï‑dire ou les témoignages visés par l’arrêt Vetrovec ne fournissent pas au juge des faits une base satisfaisante pour apprécier rationnellement la véracité et l’exactitude de la déclaration relatée. Le fait de donner des directives au jury sur la façon d’évaluer une déclaration qu’il n’a pas les moyens d’évaluer ne réduit pas les dangers associés au ouï‑dire qui sous‑tendent la règle d’exclusion. Puisque le juge des faits ne pouvait pas vérifier adéquatement si la déclaration de T était digne de foi, et que ni les circonstances ni les éléments de preuve corroborants ne démontraient que cette déclaration était intrinsèquement fiable, celle‑ci n’aurait pas dû être admise en preuve.

                    Les juges Moldaver et Côté (dissidents) : Le juge du procès n’a pas commis d’erreur en admettant la reconstitution faite par T. Sa décision était amplement étayée par le dossier et elle commande la déférence.

                    Selon la méthode d’analyse raisonnée du ouï‑dire, il existe trois façons de satisfaire au seuil de fiabilité : (1) lorsque la déclaration présente suffisamment de caractéristiques de fiabilité substantielle; (2) lorsque la déclaration présente des caractéristiques adéquates de fiabilité d’ordre procédural; ou (3) lorsque la déclaration ne satisfait à aucune des deux premières façons, mais contient des caractéristiques des deux qui, prises ensemble, justifient son admission. D’après cette troisième façon, lorsqu’une déclaration est suffisamment digne de foi, du point de vue de l’efficacité des garanties procédurales, pour permettre au juge des faits d’évaluer sa fiabilité en dernière analyse, elle peut être admise.

                    La reconstitution faite par T en l’espèce était admissible en vertu de la troisième façon d’établir le seuil de fiabilité. Les dangers du ouï‑dire en l’espèce — la sincérité ainsi que la mémoire et la perception — étaient suffisamment surmontés par une preuve corroborante convaincante donnant à penser que la déclaration était digne de foi et par plusieurs garanties procédurales qui ont donné au jury les outils dont il avait besoin pour évaluer sa véracité et son exactitude.

                    En arrivant à une conclusion différente, la majorité s’est écartée de l’approche fonctionnelle relative au seuil de fiabilité en restreignant indûment la preuve extrinsèque dont un tribunal peut tenir compte lorsqu’il apprécie la fiabilité substantielle d’une déclaration et en adoptant un point de vue restrictif des garanties procédurales disponibles au procès qui peuvent munir le jury des outils dont il a besoin pour apprécier la fiabilité en dernière analyse d’une déclaration.

                    L’approche fonctionnelle souligne l’absence d’une distinction nette entre les facteurs qui régissent le seuil de fiabilité et la fiabilité en dernière analyse. Dans le cas de la preuve extrinsèque, l’analyse est axée sur la question de savoir si cette preuve écarte les dangers du ouï‑dire en fournissant des renseignements sur la fiabilité de la déclaration. L’approche que préconise la majorité crée plutôt un critère du seuil de fiabilité au sein du critère du seuil de fiabilité, ce qui complique inutilement l’analyse et écarte des éléments de preuve extrinsèque susceptibles d’être primordiaux à l’appréciation du seuil de fiabilité. Il faut avoir confiance en la capacité des juges de procès de limiter la portée de la preuve extrinsèque qui peut, dans chaque cas, être prise en compte dans le cadre d’un voir‑dire relatif au ouï‑dire pour veiller à ce que le voir‑dire ne fasse pas dériver le procès.

                    Dans cette affaire inhabituelle, il existait des éléments de preuve corroborants, notamment des conversations enregistrées furtivement dans lesquelles B a admis sa participation aux meurtres, des relevés téléphoniques constituant des éléments de preuve circonstancielle reliant B aux meurtres et des éléments de preuve médicolégale recueillis sur les lieux des crimes qui confirmaient la description des meurtres relatée en détail par T. Examinée cumulativement, cette preuve étaye solidement le caractère digne de foi de la reconstitution faite par T. Il y avait aussi des indices circonstanciels de fiabilité, y compris le fait que la reconstitution a été faite volontairement et de façon fluide; qu’elle allait à l’encontre des intérêts de T en ce qu’il n’a pas tenté de transférer la responsabilité des meurtres à B mais qu’il s’est impliqué lui‑même dans deux chefs d’accusation de meurtre au premier degré; et le fait que le motif qui aurait poussé T à inventer une histoire a été réfuté par la déclaration antérieure compatible faite à Monsieur Big. Rien n’indique que les policiers lui auraient promis des incitatifs ou des garanties avant qu’il ne fasse la reconstitution, et aucun renseignement ne donne à penser que le plaidoyer de culpabilité de T pour meurtre au second degré ait eu quoi que ce soit à voir avec sa participation à la reconstitution.

                    En ce qui concerne la fiabilité procédurale, il n’existe aucune distinction de principe entre les garanties qui existaient au moment où la déclaration relatée est faite et les garanties offertes au procès. Les deux améliorent la capacité du juge des faits d’évaluer la preuve d’un œil critique. Tout comme en l’espèce, les garanties offertes au procès peuvent comprendre les mises en garde faites au jury, l’admission restreinte de déclarations antérieures incompatibles qui contredisent la déclaration relatée, l’obligation pour le ministère public de citer les policiers qui ont pris les déclarations antérieures incompatibles à comparaître afin qu’ils puissent être contre‑interrogés par l’avocat de la défense, et le fait d’accorder à l’avocat de la défense une plus grande latitude dans ses observations finales. Le juge du procès est particulièrement bien placé pour adapter et mettre en œuvre ces mesures en fonction des circonstances précises de l’affaire.

                    Le refus de la majorité d’examiner les diverses garanties procédurales sur lesquelles s’est fondé le juge du procès en l’espèce l’amène à éluder la troisième façon d’établir le seuil de fiabilité — celle que le juge du procès a appliquée en l’espèce — par laquelle les caractéristiques de fiabilité substantielle et de fiabilité d’ordre procédural peuvent, ensemble, justifier l’admission d’une déclaration relatée.

                    Considérées ensemble, les caractéristiques de fiabilité substantielle et de fiabilité d’ordre procédural de la reconstitution pouvaient satisfaire au critère du seuil de fiabilité. Le juge du procès a pris une décision difficile dans une affaire difficile à trancher. Il était le mieux placé pour prendre cette décision en se fondant sur son évaluation du caractère digne de foi de la preuve et sur la capacité du jury de l’évaluer. Et son analyse ne révèle aucune erreur de droit. En conséquence, sa décision commande la déférence. N’ayant pas bénéficié du contexte du procès, la Cour n’a pas à reconsidérer le jugement exercé raisonnablement par le juge du procès. En ce faisant, elle trahit tant la déférence à l’égard du juge du procès que la confiance que l’on accorde en la capacité des jurés de suivre les directives et de faire preuve de bon sens et de jugement lorsqu’ils évaluent la preuve.

                    Le refus du juge du procès d’admettre une déclaration antérieure incompatible faite par T le 15 mai 2010 et présentée pour établir la véracité de son contenu commande également la déférence. Le juge du procès a appliqué le bon critère et a tenu compte des facteurs pertinents pour conclure que cette déclaration était inadmissible, notamment le fait que la déclaration n’a pas été enregistrée sur bande vidéo, qu’elle a été contredite par des éléments de preuve extrinsèques et que T était fortement incité à exagérer son implication personnelle dans les meurtres.

                    En fin de compte, il n’existe aucune raison d’ordonner la tenue d’un nouveau procès en l’espèce. B a eu droit à un procès équitable devant un jury qui avait reçu des directives appropriées et qui était bien placé pour apprécier d’un œil critique la fiabilité de la reconstitution. Par conséquent, ses deux déclarations de culpabilité pour meurtre au premier degré devraient être rétablies.

Jurisprudence

Citée par la juge Karakatsanis

                    Arrêt appliqué : R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787; arrêts mentionnés : Vetrovec c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 811; R. c. Hart, 2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544; R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740; R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520; R. c. Youvarajah, 2013 CSC 41, [2013] 2 R.C.S. 720; R. c. Hawkins, [1996] 3 R.C.S. 1043; R. c. U. (F.J.), [1995] 3 R.C.S. 764; R. c. Couture, 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517; R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915; R. c. Blackman, 2008 CSC 37, [2008] 2 R.C.S. 298; R. c. Starr, 2000 CSC 40, [2000] 2 R.C.S. 144; R. c. R. (D.), [1996] 2 R.C.S. 291; R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531; R. c. Khela, 2009 CSC 4, [2009] 1 R.C.S. 104; R. c. Smith, 2009 CSC 5, [2009] 1 R.C.S. 146; R. c. Salah, 2015 ONCA 23, 319 C.C.C. (3d) 373.

Citée par le juge Moldaver (dissident)

                    R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520; R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787; R. c. Devine, 2008 CSC 36, [2008] 2 R.C.S. 283; R. c. Blackman, 2008 CSC 37, [2008] 2 R.C.S. 298, conf. (2006), 84 O.R. (3d) 292; R. c. Youvarajah, 2013 CSC 41, [2013] 2 R.C.S. 720; R. c. Couture, 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517; R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531; R. c. Hawkins, [1996] 3 R.C.S. 1043; R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740; R. c. Hamilton, 2011 ONCA 399, 271 C.C.C. (3d) 208; R. c. U. (F.J.), [1995] 3 R.C.S. 764; R. c. Hart, 2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544; R. c. Abbey, 2009 ONCA 624, 246 C.C.C. (3d) 301; R. c. Carroll, 2014 ONCA 2, 304 C.C.C. (3d) 252; R. c. McNamara (No. 1) (1981), 56 C.C.C. (2d) 193; R. c. R. (T.), 2007 ONCA 374, 85 O.R. (3d) 481; R. c. Lowe, 2009 BCCA 338, 274 B.C.A.C. 92; R. c. Goodstoney, 2007 ABCA 88, 218 C.C.C. (3d) 270; R. c. Smith, 2009 CSC 5, [2009] 1 R.C.S. 146; R. c. Adjei, 2013 ONCA 512, 309 O.A.C. 328; R. c. Stirling, 2008 CSC 10, [2008] 1 R.C.S. 272; R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670; R. c. Carroll, 1999 BCCA 65, 118 B.C.A.C. 219; R. c. Noël, 2002 CSC 67, [2002] 3 R.C.S. 433; R. c. S. (S.), 2008 ONCA 140, 232 C.C.C. (3d) 158; R. c. Post, 2007 BCCA 123, 217 C.C.C. (3d) 225; R. c. Tash, 2013 ONCA 380, 306 O.A.C. 173; R. c. Kimberley (2001), 56 O.R. (3d) 18.

Doctrine et autres documents cités

Akhtar, Suhail. « Hearsay : The Denial of Confirmation » (2005), 26 C.R. (6th) 46.

Lacelle, Laurie. « The Role of Corroborating Evidence in Assessing the Reliability of Hearsay Statements for Substantive Purposes » (1999), 19 C.R. (5th) 376.

Lederman, Sidney N., Alan W. Bryant and Michelle K. Fuerst. The Law of Evidence in Canada, 4th ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2014.

Paciocco, David M., and Lee Stuesser. The Law of Evidence, 7th ed., Toronto, Irwin Law, 2015.

Stewart, Hamish. « Khelawon : The Principled Approach to Hearsay Revisited » (2008), 12 Rev. can. D.P. 95.

Wigmore, John Henry. A treatise on the Anglo‑American System of Evidence in Trials at Common Law, vol. III, 2nd ed., Boston, Little, Brown and Co., 1923.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Neilson, Bennett et Garson), 2015 BCCA 195, 323 C.C.C. (3d) 475, 372 B.C.A.C. 77, 640 W.A.C. 77, 20 C.R. (7th) 398, [2015] B.C.J. No. 884 (QL), 2015 CarswellBC 1168 (WL Can.), qui a annulé les déclarations de culpabilité de meurtre au premier degré prononcées contre l’accusé et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Pourvoi rejeté, les juges Moldaver et Côté sont dissidents.

                    Margaret A. Mereigh et David Layton, pour l’appelante.

                    Richard S. Fowler, c.r., Eric Purtzki et Karin Blok, pour l’intimé.

                    Michael Bernstein, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    Greg J. Allen, pour l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association.

                    Louis P. Strezos et Samuel Walker, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario.

                    Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Karakatsanis, Wagner et Brown rendu par

                    La juge Karakatsanis —

I.     Introduction

[1]                              Le ouï‑dire est une déclaration extrajudiciaire présentée pour établir la véracité de son contenu. Il est présumé inadmissible puisqu’en l’absence de la possibilité de contre‑interroger le déclarant au moment où il fait sa déclaration, il est souvent difficile pour le juge des faits d’en évaluer la véracité. Ainsi, le ouï‑dire peut menacer l’intégrité du processus de recherche de la vérité et l’équité du procès. Cependant, le ouï‑dire peut exceptionnellement être admis en preuve suivant l’exception raisonnée à la règle, lorsqu’il respecte les critères de nécessité et le seuil de fiabilité.

[2]                              Dans le cas qui nous occupe, le ministère public a présenté un ouï‑dire provenant d’un complice, Roy Thielen, impliquant l’accusé Robert Bradshaw dans deux meurtres. Le juge du procès a statué que cette déclaration relatée était admissible. La Cour d’appel a accueilli l’appel et ordonné la tenue d’un nouveau procès.

[3]                              La question suivante se pose dans le présent pourvoi : dans quelles circonstances un juge du procès peut‑il se fonder sur une preuve corroborante pour conclure que le seuil de fiabilité d’une déclaration relatée est établi?

[4]                              À mon avis, les éléments de preuve corroborants peuvent servir à apprécier le seuil de fiabilité s’ils écartent les dangers spécifiques du ouï‑dire que pose la déclaration. Ces éléments de preuve peuvent écarter ces dangers s’ils démontrent, considérés globalement et eu égard aux circonstances de l’affaire, que la seule explication plausible de la déclaration relatée est la véracité du déclarant au sujet des aspects importants de la déclaration, ou l’exactitude de ceux‑ci. Les aspects importants de la déclaration sont ceux sur lesquels la partie requérante veut s’appuyer.

[5]                              En l’espèce, la déclaration relatée a été présentée pour établir la véracité de la prétention de M. Thielen que M. Bradshaw aurait participé aux meurtres. Le danger spécifique du ouï‑dire que posait la déclaration de M. Thielen tenait à l’incapacité du juge des faits d’évaluer si M. Thielen avait menti au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres. Outre les dangers relatifs à la fiabilité inhérents à toutes les déclarations relatées, il existe des raisons précises de craindre que M. Thielen ait menti. Ce dernier avait des raisons de mentir pour jeter le blâme sur M. Bradshaw. M. Thielen avait déjà affirmé avoir abattu les deux victimes, et n’avait pas impliqué M. Bradshaw. De plus, il était un témoin visé par l’arrêt Vetrovec, soit un témoin qui ne peut être présumé dire la vérité en raison de son honnêteté douteuse (Vetrovec c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 811).

[6]                              Le juge du procès s’est fondé en grande partie sur l’existence d’éléments de preuve corroborants pour considérer la déclaration de M. Thielen admissible. Cependant, les éléments de preuve sur lesquels il s’est fondé, envisagés au regard des circonstances de l’affaire, ne démontraient pas que la seule explication plausible était que M. Thielen disait la vérité au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres. Ils n’écartaient pas considérablement la possibilité que M. Thielen ait menti au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres. Même si ces éléments de preuve corroborants peuvent accroître la valeur probante de la déclaration de reconstitution si elle est admise en preuve, ils ne sont d’aucun secours pour l’appréciation du seuil de fiabilité de cette déclaration. Le juge du procès a donc fait erreur en se fondant sur ces éléments de preuve corroborants.

[7]                              Puisque le juge des faits ne pouvait pas vérifier adéquatement si la déclaration de M. Thielen était digne de foi, et que ni les circonstances ni les éléments de preuve corroborants ne démontraient que cette déclaration était intrinsèquement fiable, celle‑ci n’aurait pas dû être admise en preuve.

[8]                              Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

II.      Contexte

[9]                              Laura Lamoureux et Marc Bontkes ont été assassinés en mars 2009, à cinq jours d’intervalle. Les policiers soupçonnaient M. Thielen d’avoir participé aux deux meurtres. Ils ont mené une opération Monsieur Big ciblant M. Thielen. Dans le cadre d’une opération de ce genre, des agents banalisés amènent un suspect à se joindre à une organisation criminelle fictive dans le dessein de lui soutirer un aveu (R. c. Hart, 2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544, par. 85). Les agents se lient d’amitié avec le suspect et lui font valoir que l’appartenance à l’organisation criminelle offre des avantages et permet de nouer des amitiés. Le suspect découvre qu’il deviendra membre de l’organisation criminelle s’il avoue son crime au chef du gang, Monsieur Big (Hart, par. 1‑2).

[10]                          Dans le cadre de l’opération Monsieur Big, M. Thielen et l’agent B., un agent banalisé, ont fait un voyage en voiture en mai 2010. Durant ce voyage, M. Thielen a dit à l’agent B. qu’il avait abattu Mme Lamoureux et M. Bontkes.

[11]                          En juillet 2010, M. Thielen a rencontré un agent banalisé se faisant passer pour le chef du gang, et il lui a dit qu’il avait abattu Mme Lamoureux, mais que « Paulie » et Michelle Motola avaient abattu M. Bontkes. « Paulie » était le surnom de M. Bradshaw.

[12]                          Plus tard ce jour‑là, MM. Thielen et Bradshaw se sont rencontrés à l’hôtel Best Western. Leur conversation a été enregistrée, mais seule la dernière partie est audible. M. Bradshaw a affirmé avoir abattu M. Bontkes et avoir participé aux deux meurtres.

[13]                          Deux jours plus tard, MM. Thielen et Bradshaw se sont rencontrés au parc Bothwell. M. Bradshaw a parlé d’une tentative ratée de tuer M. Bontkes, une tentative qui a précédé le meurtre de M. Bontkes en mars 2009.

[14]                          M. Thielen a été arrêté le 30 juillet 2010. Il a d’abord nié avoir participé aux deux meurtres. Cependant, lorsque les policiers ont dit à M. Thielen qu’il avait été la cible d’une opération Monsieur Big, il a décrit les meurtres et a identifié des complices sans les nommer. Le lendemain, il a fait aux policiers une autre déclaration dans laquelle il décrivait les meurtres et nommait expressément M. Bradshaw. Quelques jours plus tard, M. Thielen a reconstitué les meurtres pour les policiers et a impliqué M. Bradshaw dans les deux meurtres. Cette reconstitution a été enregistrée sur une bande vidéo qui dure environ six heures.

[15]                          Initialement, MM. Thielen et Bradshaw ont été accusés ensemble de deux chefs de meurtre au premier degré. Cependant, M. Thielen a plaidé coupable à une accusation de meurtre au second degré avant le début du procès. Au procès de M. Bradshaw, il a été cité comme témoin à charge mais il a refusé d’être assermenté pour témoigner. En conséquence, il a été reconnu coupable d’outrage au tribunal. Le ministère public a tenté de faire admettre en preuve une partie de la vidéo de la reconstitution, qui constitue une déclaration relatée.

III.     Décisions des juridictions inférieures

[16]                          À la suite d’un voir‑dire, le juge Greyell a admis en preuve la vidéo de la reconstitution (2012 BCSC 2025). Il a conclu que cette déclaration relatée était nécessaire et suffisamment fiable pour être admise. En concluant que la déclaration était suffisamment fiable, il a souligné que la reconstitution était volontaire et incriminante, et que M. Thielen l’avait faite après avoir reçu un avis juridique. La déclaration a également été corroborée par des éléments de preuve extrinsèques. Cependant, compte tenu de l’honnêteté douteuse de M. Thielen, le juge du procès a établi qu’une sérieuse mise en garde de type Vetrovec s’imposait à l’égard de la vidéo de la reconstitution.

[17]                          La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a conclu que le juge du procès avait eu tort d’admettre en preuve la vidéo de la reconstitution, parce qu’elle n’était pas suffisamment fiable. La cour a souligné que le juge du procès s’était considérablement fondé sur des éléments de preuve corroborants qui n’impliquaient pas M. Bradshaw dans les meurtres. De plus, dans les conversations enregistrées à l’hôtel Best Western et au parc Bothwell, M. Bradshaw ne s’était pas impliqué dans les meurtres dans la mesure décrite par M. Thielen dans la reconstitution. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a conclu que le juge du procès avait commis une erreur en estimant que le seuil de fiabilité était établi. Elle a accueilli l’appel, annulé les verdicts de culpabilité et ordonné la tenue d’un nouveau procès (2015 BCCA 195, 323 C.C.C. (3d) 475).

IV.     Analyse 

A.      Principes juridiques

[18]                          Le ouï‑dire peut exceptionnellement être admis en preuve s’il est nécessaire et suffisamment fiable. Le pourvoi soulève la question suivante : dans quelles circonstances un juge du procès peut‑il se fonder sur une preuve corroborante pour conclure que le seuil de fiabilité d’une déclaration relatée est établi? Pour résoudre cette question, j’examine le fondement de la règle interdisant le ouï‑dire et de l’exception raisonnée à cette règle.

(1)           L’exception raisonnée à la règle du ouï‑dire

[19]                          Le processus de recherche de la vérité d’un procès repose sur la présentation de la preuve en cour. Les parties présentent leur cause en soumettant au juge des faits des preuves matérielles et des témoignages de vive voix. En cour, les témoins font leur déposition sous serment ou affirmation solennelle. Le juge des faits observe directement les preuves matérielles et entend les témoignages, de sorte qu’il n’y a aucun risque que la preuve soit rapportée de manière inexacte. Ce processus procure au juge des faits des outils solides pour apprécier la véracité de la preuve et en évaluer la valeur. Pour savoir si un témoin dit la vérité, le juge des faits peut observer son comportement et juger si le témoignage résiste à l’épreuve d’un contre‑interrogatoire (R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787, par. 35).

[20]                          Le ouï‑dire est une déclaration extrajudiciaire présentée pour établir la véracité de son contenu. Puisque la déclaration est faite à l’extérieur du tribunal, il est souvent difficile pour le juge des faits d’apprécier si elle est digne de foi. En général, le ouï‑dire n’est pas fait sous serment, le juge des faits ne peut observer le comportement du déclarant au moment où il fait sa déclaration, et le déclarant n’est pas soumis à l’épreuve du contre‑interrogatoire (R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740, p. 764). Le fait de permettre au juge des faits de tenir compte du ouï‑dire peut donc compromettre l’équité du procès et le processus de recherche de la vérité. La déclaration relatée peut être rapportée de manière inexacte, et le juge des faits ne peut pas facilement mettre à l’épreuve la perception, la mémoire, la relation du fait ou la sincérité du déclarant (Khelawon, par. 2). Comme le juge Fish l’a expliqué dans R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520 :

                           Premièrement, il se peut que le déclarant ait mal perçu les faits relatés dans sa déclaration; deuxièmement, même s’il a correctement perçu les faits pertinents, il se peut qu’il ne se les remémore pas fidèlement; troisièmement, il est possible qu’en relatant les faits pertinents il induise involontairement en erreur; finalement, il pourrait avoir sciemment fait une fausse déclaration. La possibilité de sonder en profondeur ces éventuelles sources d’erreur ne se présente que si le déclarant comparaît pour être contre‑interrogé. [En italique dans l’original; par. 32.]

[21]                          Compte tenu des dangers que présente la preuve par ouï‑dire, « [o]n craint que la preuve par ouï‑dire non vérifiée se voie accorder plus de poids qu’elle n’en mérite » (Khelawon, par. 35). Par conséquent, même si tout élément de preuve pertinent est généralement admissible, la preuve par ouï‑dire est présumée inadmissible (Khelawon, par. 2‑3).

[22]                          Toutefois, certaines preuves par ouï‑dire « présente[nt] des dangers minimes et [leur] exclusion au lieu de [leur] admission gênerait la constatation exacte des faits » (Khelawon, par. 2 (en italique dans l’original)). Par conséquent, les tribunaux ont défini au fil du temps des catégories d’exceptions à la règle d’exclusion du ouï‑dire. Ces exceptions traditionnelles sont fondées sur l’admission de certains types de déclarations relatées qui étaient considérées nécessaires et fiables, comme les déclarations de mourants (Khelawon, par. 42; R. c. Youvarajah, 2013 CSC 41, [2013] 2 R.C.S. 720, par. 20; J. H. Wigmore, Evidence in Trials at Common Law (2e éd. 1923), vol. III, p. 152).

[23]                          Finalement, une approche plus souple relative au ouï‑dire est ressortie de la jurisprudence. Selon l’exception raisonnée, le ouï‑dire peut exceptionnellement être admis en preuve lorsque la partie qui le produit démontre que le double critère de la nécessité et du seuil de fiabilité est respecté selon la prépondérance des probabilités (Khelawon, par. 47).

[24]                          En admettant seulement le ouï‑dire nécessaire et suffisamment fiable, le juge du procès agit à titre de gardien de la preuve. Il protège l’équité du procès et l’intégrité du processus de recherche de la vérité (Youvarajah, par. 23 et 25). Dans les poursuites criminelles, l’appréciation du seuil de fiabilité comporte une dimension constitutionnelle, parce que la difficulté de vérifier la preuve par ouï‑dire peut compromettre le droit de l’accusé à un procès équitable (Khelawon, par. 3 et 47). Même lorsque le juge du procès est convaincu que le ouï‑dire est nécessaire et suffisamment fiable, il a le pouvoir discrétionnaire de l’exclure si son effet préjudiciable l’emporte sur sa valeur probante (Khelawon, par. 49).

[25]                          Dans le cas qui nous occupe, la preuve tirée de la reconstitution est nécessaire parce que M. Thielen a refusé de témoigner. Ainsi, son admissibilité repose sur la question de savoir s’il a été satisfait au seuil de fiabilité.

(2)     Seuil de fiabilité

[26]                          Afin d’établir si une déclaration relatée est admissible, le juge du procès apprécie le seuil de fiabilité de la déclaration. Le seuil de fiabilité est atteint lorsque la preuve « est suffisamment fiable pour écarter les dangers que comporte la difficulté de la vérifier » (Khelawon, par. 49). Ces dangers surviennent notamment en raison de l’impossibilité de contre‑interroger le déclarant devant le juge des faits au moment où il fait sa déclaration (Khelawon, par. 35 et 48). En appréciant le seuil de fiabilité, le juge du procès doit cerner les dangers spécifiques du ouï‑dire que pose la déclaration et envisager des moyens de les écarter (Khelawon, par. 4 et 49; R. c. Hawkins, [1996] 3 R.C.S. 1043, par. 75). Ces dangers se rapportent au fait qu’il peut être difficile d’évaluer la perception du déclarant, sa mémoire, sa relation du fait ou sa sincérité, et ils devraient être définis avec précision pour qu’on puisse évaluer de façon réaliste s’ils sont écartés.

[27]                          Les dangers du ouï‑dire peuvent être écartés et le seuil de fiabilité peut être atteint s’il est démontré (1) qu’il existe d’autres façons adéquates de vérifier la vérité et l’exactitude (fiabilité d’ordre procédural), ou (2) qu’il existe des garanties circonstancielles ou relatives à la preuve conférant une fiabilité inhérente à la déclaration relatée (fiabilité substantielle) (Khelawon, par. 61‑63; Youvarajah, par. 30).

[28]                          La fiabilité d’ordre procédural est établie « lorsqu’il existe d’autres façons adéquates de [. . .] vérifier [la preuve] », compte tenu du fait que le déclarant n’a pas témoigné « sous serment devant le tribunal, tout en [subissant] un contre‑interrogatoire minutieux » (Khelawon, par. 63). Ces autres façons de vérifier la preuve doivent fournir au juge des faits une base satisfaisante pour apprécier rationnellement la véracité et l’exactitude de la déclaration relatée (Khelawon, par. 76; Hawkins, par. 75; Youvarajah, par. 36). Constituent des substituts aux garanties traditionnelles notamment un enregistrement vidéo de la déclaration, l’existence d’un serment et un avertissement au sujet des conséquences liées au fait de mentir (B. (K.G.), p. 795‑796). Cependant, une certaine forme de contre‑interrogatoire du déclarant, comme le témoignage recueilli à l’enquête préliminaire (Hawkins) ou le contre‑interrogatoire d’un témoin qui se rétracte au procès (B. (K.G.); R. c. U. (F.J.), [1995] 3 R.C.S. 764), est habituellement nécessaire (R. c. Couture, 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517, par. 92 et 95). À cet égard, je ne partage pas l’avis catégorique de la Cour d’appel voulant que les garanties pertinentes pour évaluer la fiabilité d’ordre procédural soient seulement [traduction] « celles qui sont en place lorsque la déclaration est recueillie » (par. 30). Certaines garanties imposées au procès, comme le contre‑interrogatoire devant le juge des faits d’un témoin qui se rétracte, peuvent constituer une base satisfaisante pour vérifier la preuve.

[29]                          Cependant, les mises en garde au jury concernant les dangers associés à la preuve par ouï‑dire ou les témoignages visés par Vetrovec n’offrent pas des substituts adéquats aux garanties traditionnelles. Le fait de donner des directives au jury sur la façon d’évaluer une déclaration qu’il n’a pas les moyens d’évaluer ne réduit pas les dangers associés au ouï‑dire qui sous‑tendent la règle d’exclusion. De plus, les mises en garde de type Vetrovec visent à répondre aux préoccupations concernant les témoins qui sont en soi non dignes de foi, malgré la possibilité qu’ils soient contre‑interrogés en cour. Ce ne sont pas des outils d’évaluation de la véracité et de l’exactitude d’une déclaration relatée en l’absence de contre‑interrogatoire effectué au moment où la déclaration est faite.

[30]                          La déclaration relatée est également admissible si la fiabilité substantielle est établie, c’est‑à‑dire si la déclaration est intrinsèquement fiable (Youvarajah, par. 30; R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, p. 929). Pour établir si la déclaration est intrinsèquement fiable, le juge du procès peut prendre en compte les circonstances dans lesquelles elle a été faite et la preuve (le cas échéant) qui corrobore ou contredit la déclaration (Khelawon, par. 4, 62 et 94‑100; R. c. Blackman, 2008 CSC 37, [2008] 2 R.C.S. 298, par. 55).

[31]                          Bien que la norme de la fiabilité substantielle soit élevée, la garantie « qui figure dans l’expression “garantie circonstancielle de fiabilité” n’exige pas qu’on établisse la fiabilité de manière absolument certaine » (Smith, p. 930). Le juge du procès doit plutôt être convaincu que la déclaration est « si fiable qu’il aurait été peu ou pas utile de contre‑interroger le déclarant au moment précis où il s’est exprimé » (Khelawon, par. 49). Au fil de ses décisions, la Cour a exprimé le degré de certitude requis de différentes façons. La fiabilité substantielle est établie lorsque la déclaration « a été faite dans des circonstances qui écartent considérablement la possibilité que le déclarant ait menti ou commis une erreur » (Smith, p. 933); « dans des circonstances où même un sceptique prudent la considérerait comme très probablement fiable » (Khelawon, par. 62, citant Wigmore, p. 154); lorsque la déclaration est si fiable qu’elle « ne serait pas susceptible de changer lors d’un contre‑interrogatoire » (Khelawon, par. 107; Smith, p. 937); lorsqu’« il n’y a pas de préoccupation réelle quant au caractère véridique ou non de la déclaration, vu les circonstances dans lesquelles elle a été faite » (Khelawon, par. 62); lorsque la seule explication probable est que la déclaration est véridique (U. (F.J.), par. 40).

[32]                          Ces deux approches visant à établir le seuil de fiabilité peuvent aller de pair. La fiabilité d’ordre procédural et la fiabilité substantielle ne sont pas des catégories mutuellement exclusives (Khelawon, par. 65) et « les facteurs pertinents à l’égard de l’une peuvent servir à compléter l’autre » (Couture, par. 80). Cela dit, la norme du seuil de fiabilité demeure toujours élevée — la déclaration doit être suffisamment fiable pour écarter les dangers spécifiques du ouï‑dire qu’elle présente (Khelawon, par. 49). Par exemple, dans U. (F.J.), lorsque la Cour s’est appuyée sur des éléments de fiabilité d’ordre procédural et de fiabilité substantielle pour accepter l’admission d’une déclaration relatée, le contre‑interrogatoire du témoin qui se rétracte et la preuve corroborante étaient nécessaires pour que le seuil de fiabilité soit atteint, mais aucun n’était suffisant à lui seul (voir également Blackman, par. 37‑52). Je ne connais aucun autre exemple provenant de la jurisprudence de la Cour où la fiabilité d’ordre procédural et la fiabilité substantielle se complètent pour que l’admission d’une déclaration relatée soit acceptée. Il faut prendre bien soin de s’assurer que cette approche combinée ne donne pas lieu à l’admission de déclarations malgré le fait que les mesures de protection procédurales et les garanties de fiabilité inhérentes soient insuffisantes pour écarter les dangers du ouï‑dire.

(3)     Éléments de preuve corroborants et fiabilité substantielle

[33]                          En gardant ces principes à l’esprit, j’aborde la question au cœur du présent pourvoi : dans quelles circonstances et de quelle façon le juge du procès peut‑il s’appuyer sur des éléments de preuve corroborants pour conclure que la fiabilité substantielle est établie?

[34]                          Le ministère public soutient que l’appréciation du seuil de fiabilité suppose un examen de tous les éléments de preuve corroborants qui appuient la véracité d’une déclaration, y compris les éléments de preuve qui n’impliquent pas l’accusé ou qui ne confirment pas directement l’aspect contesté de la déclaration. Il explique que cette approche à l’égard de la corroboration est conforme aux autres domaines du droit, y compris la corroboration lors de l’appréciation de la fiabilité en dernière analyse de déclarations relatées, de la fiabilité en dernière analyse des déclarations de témoins à l’honnêteté douteuse et du seuil de fiabilité de déclarations obtenues dans le cadre d’une opération Monsieur Big.

[35]                          Par contre, M. Bradshaw, l’intimé, plaide que le juge du procès peut seulement tenir compte des éléments de preuve qui corroborent l’objet pour lequel la déclaration relatée est produite, et souligne que la déclaration de reconstitution a été produite pour l’impliquer dans les meurtres.

[36]                          À mon avis, la position du ministère public voulant qu’une [traduction] « définition uniforme de la preuve de corroboration » soit employée « tant à l’étape du seuil de fiabilité qu’à celle de la fiabilité en dernière analyse » est indéfendable parce qu’elle repose sur une interprétation erronée du lien entre le seuil de fiabilité et la fiabilité en dernière analyse (m.a., par. 96). Elle repose également sur une interprétation erronée du lien entre le seuil de fiabilité et la valeur probante.

[37]                          Dans R. c. Starr, 2000 CSC 40, [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour a conclu que les éléments de preuve corroborants ne pouvaient pas être pris en considération lors de l’appréciation du seuil de fiabilité du ouï‑dire. Cette règle de démarcation nette a été créée pour que le juge du procès n’empiète pas sur la compétence du juge des faits en préjugeant de la fiabilité en dernière analyse de la déclaration relatée (par. 217)[1].

[38]                          À cet égard, l’arrêt Khelawon a infirmé l’arrêt Starr. La juge Charron a expliqué que, dans les cas appropriés, les éléments de preuve corroborants ou contradictoires peuvent être pris en compte lors de l’appréciation du seuil de fiabilité (par. 93‑100). Suivant l’arrêt Khelawon, « un élément de preuve [qui] permet d’établir la véracité d’une déclaration [. . .] ne devrait plus être exclu simplement parce qu’il s’agit d’une preuve corroborante » (Blackman, par. 55 (je souligne)). Mais il importe de « souligner que Khelawon n’a pas élargi la portée de l’examen de l’admissibilité; il n’a fait que le mettre au point » (Blackman, par. 54). Bien que Khelawon ait infirmé l’interdiction de tenir compte des éléments de preuve corroborants lors de l’examen de l’admissibilité, il a confirmé la distinction entre le seuil de fiabilité et la fiabilité en dernière analyse (par. 50; Blackman, par. 56).

[39]                          La distinction entre le seuil de fiabilité et la fiabilité en dernière analyse, bien qu’elle puisse être « source de confusion », est essentielle (Khelawon, par. 50). Le seuil de fiabilité porte sur l’admissibilité de l’élément de preuve, tandis que la fiabilité en dernière analyse est liée au fait de s’y fier (Khelawon, par. 3). Lorsque le seuil de fiabilité repose sur la fiabilité intrinsèque de la déclaration, le juge du procès et le juge des faits peuvent tous les deux évaluer si la déclaration relatée est digne de foi. Cependant, ils le font pour des raisons différentes (Khelawon, par. 3 et 50). Lorsqu’il apprécie la fiabilité en dernière analyse, le juge des faits établit dans quelle mesure la déclaration est digne de foi et, si elle l’est, dans quelle mesure il devrait s’y fier pour trancher les questions en litige (Khelawon, par. 50; D. M. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (7e éd. 2015), p. 35‑36). Il prend cette décision « au regard de l’ensemble de la preuve », ce qui comprend la preuve qui corrobore la culpabilité de l’accusé ou la crédibilité générale du déclarant (Khelawon, par. 3).

[40]                          Par contre, lorsqu’il apprécie le seuil de fiabilité, le juge du procès se demande si un contre‑interrogatoire en cour du déclarant au moment où il a fait sa déclaration aurait été utile au processus judiciaire (Khelawon, par. 49; voir aussi H. Stewart, « Khelawon : The Principled Approach to Hearsay Revisited » (2008), 12 Rev. can. D.P. 95, p. 106). À l’étape du seuil de fiabilité, le juge du procès doit déterminer si des explications différentes sont disponibles (fiabilité substantielle) et si le juge des faits sera en mesure de choisir parmi celles‑ci par des moyens qui se substituent adéquatement au contre‑interrogatoire mené au moment où le déclarant fait sa déclaration (fiabilité d’ordre procédural). Pour cette raison, alors que la fiabilité d’ordre procédural porte sur la question de savoir s’il existe une base satisfaisante pour apprécier rationnellement la déclaration, la fiabilité substantielle porte sur la question de savoir si les circonstances, et tout élément de preuve corroborant, fournissent une base rationnelle pour rejeter les autres explications de la déclaration, hormis la véracité du déclarant ou l’exactitude de sa déclaration.

[41]                          Bref, dans le contexte du ouï‑dire, la différence entre le seuil de fiabilité et la fiabilité en dernière analyse est d’ordre qualitatif et ne tient pas à une question de degré, parce que l’examen du juge du procès sert un objectif distinct. Lorsqu’il apprécie la fiabilité substantielle, le juge du procès n’usurpe pas la fonction du juge des faits. Seul ce dernier détermine s’il y a lieu en dernière analyse de prêter foi à la déclaration relatée et en apprécie la valeur probante.

[42]                          Pour préserver la distinction entre le seuil de fiabilité et la fiabilité en dernière analyse et pour empêcher le voir‑dire d’occulter le procès, [traduction] « [i]l faut pouvoir distinguer la preuve admissible au voir‑dire pour établir la nécessité et la fiabilité et la preuve admissible au procès principal » (Stewart, p. 111; voir également L. Lacelle, « The Role of Corroborating Evidence in Assessing the Reliability of Hearsay Statements for Substantive Purposes » (1999), 19 C.R. (5th) 376; Blackman, par. 54‑57). Comme l’a expliqué la juge Charron dans Khelawon, « le juge du procès doit demeurer conscient du rôle limité qu’il joue lorsqu’il se prononce sur l’admissibilité — il est essentiel pour assurer l’intégrité du processus de constatation des faits que la question de la fiabilité en dernière analyse ne soit pas préjugée lors du voir‑dire portant sur l’admissibilité » (par. 93). De même, elle a signalé ce qui suit dans Blackman : « Le voir‑dire sur l’admissibilité doit demeurer centré sur la preuve par ouï‑dire en question. Il ne vise pas — et les juges de première instance ne sauraient pas le permettre non plus — à assimiler ce processus à un procès complet sur le fond » (par. 57). Le fait de limiter l’utilisation de la preuve corroborante comme base de l’admission du ouï‑dire atténue également le risque qu’une déclaration relatée incriminante soit admise simplement parce que la preuve de la culpabilité de l’accusé est forte. Plus la preuve contre l’accusé est forte, plus il serait facile d’admettre contre lui un ouï‑dire entaché d’un vice et non fiable. L’examen limité de la preuve corroborante découle du fait que, à l’étape du seuil de fiabilité, la preuve corroborante est utilisée d’une manière distincte, au plan qualitatif, de la manière dont le juge des faits l’utilise pour évaluer la fiabilité de la déclaration en dernière analyse. Comme l’expliquent Lederman, Bryant et Fuerst, à l’étape du seuil de fiabilité,

                    [traduction] [l]e recours à la preuve corroborante devrait viser la fiabilité du ouï‑dire. Certains éléments de preuve peuvent servir de preuve corroborante et appuyer la thèse du ministère public lorsqu’ils sont examinés dans le contexte de l’ensemble de la preuve. Ces éléments de preuve se rapportent au fond de l’affaire plutôt qu’au contexte restreint du voir‑dire en vue d’évaluer la crédibilité de la déclaration, et il vaut mieux en laisser l’appréciation au juge des faits.

(S. N. Lederman, A. W. Bryant et M. K. Fuerst, The Law of Evidence in Canada (4e éd. 2014), §6.140)

[43]                          Ainsi, l’argument du ministère public voulant que l’approche relative à la corroboration lors de l’appréciation de la fiabilité en dernière analyse d’un témoignage visé par Vetrovec s’apparente à celle servant à l’appréciation du seuil de fiabilité du ouï‑dire est également entaché d’un vice fondamental. De plus, un témoin dont l’honnêteté est douteuse, contrairement à l’auteur d’une déclaration relatée, est un témoin au procès et peut être contre‑interrogé. En raison des dangers que pose l’absence de contre‑interrogatoire, il est nécessaire de faire la distinction entre l’approche relative à la preuve corroborante dans le cas d’un témoignage visé par Vetrovec et l’approche dans le cas d’un ouï‑dire. Je ne puis donc pas accepter les arguments du ministère public à cet égard.

[44]                          À mon avis, la raison d’être de la règle d’exclusion du ouï‑dire et la jurisprudence de la Cour établissent clairement que ce ne sont pas tous les éléments de preuve corroborant la crédibilité du déclarant, la culpabilité de l’accusé ou la thèse d’une des parties, qui seront utiles lors de l’appréciation du seuil de fiabilité. Le juge du procès ne peut, pour établir le seuil de fiabilité, se fonder sur la preuve corroborante que si celle‑ci, considérée globalement dans les circonstances de l’espèce, démontre que la seule explication plausible de la déclaration relatée est la véracité du déclarant au sujet de ses aspects importants, ou l’exactitude de ceux‑ci. Si le danger associé au ouï‑dire a trait à la sincérité du déclarant, il faudra considérer la véracité de la déclaration. Si le danger associé au ouï‑dire a trait à la mémoire, à la relation du fait ou à la perception, il faudra déterminer si la déclaration est exacte.

[45]                          D’abord, la preuve corroborante doit porter sur la véracité ou l’exactitude des aspects importants de la déclaration relatée (voir Couture, par. 83‑84; Blackman, par. 57). Le ouï‑dire est présenté pour établir la véracité de son contenu, et la preuve corroborante doit porter sur la véracité ou l’exactitude du contenu de la déclaration relatée sur lequel la partie requérante veut s’appuyer. Puisque le seuil de fiabilité est lié à l’admissibilité de la preuve, il faut mettre l’accent sur l’aspect de la déclaration qui est présenté pour établir la véracité de son contenu[2]. À l’étape du seuil de fiabilité, la preuve corroborante doit atténuer le besoin d’un contre‑interrogatoire, non pas de façon générale, mais sur le point que la déclaration relatée vise à prouver.

[46]                          Une approche semblable a été adoptée pour limiter le type de preuve corroborante pouvant être invoquée dans le but d’établir le seuil de fiabilité de déclarations issues d’opérations Monsieur Big. Dans Hart, le juge Moldaver (au nom des juges majoritaires) a conclu qu’il y avait une « absence complète de preuve de corroboration » (par. 143), et il a mis de côté les éléments de preuve corroborants qui confirmaient simplement la présence de l’accusé sur la scène du crime au moment où celui‑ci a eu lieu, puisque la déclaration obtenue dans le cadre de l’opération Monsieur Big avait été présentée pour prouver que l’accusé avait assassiné ses filles, et non qu’il était présent sur les lieux du crime. Comme l’a expliqué le juge Moldaver :

                    La question a toujours été de savoir si les filles de l’intimé s’étaient noyées accidentellement ou si elles avaient été assassinées. La présence de l’intimé lorsque les fillettes se sont retrouvées dans l’eau n’a jamais été contestée. Toutes les données objectivement vérifiables des aveux (p. ex. la connaissance de l’emplacement de la noyade) découlent du fait qu’il a reconnu avoir été présent au moment du drame. [par. 143]

Ainsi, lorsque le juge du procès apprécie le seuil de fiabilité des déclarations issues d’opérations Monsieur Big, il tient seulement compte d’éléments de preuve corroborants qui portent sur la véracité ou l’exactitude des aspects importants de la déclaration.

[47]                          Ensuite, à l’étape de l’appréciation du seuil de fiabilité, l’effet conjugué des éléments de preuve corroborants et des circonstances doit écarter les dangers spécifiques du ouï‑dire que pose la déclaration présentée. Lors de l’appréciation de l’admissibilité de la déclaration relatée, « l’examen doit être fonction des dangers particuliers que présente la preuve et ne porter que sur la question de l’admissibilité » (Khelawon, par. 4). Ainsi, pour écarter les dangers associés au ouï‑dire et établir la fiabilité substantielle, la preuve corroborante doit démontrer que les aspects importants de la déclaration ne sont pas susceptibles de changer lors d’un contre‑interrogatoire (Khelawon, par. 107; Smith, p. 937). La preuve corroborante parvient à le démontrer si son effet conjugué, considéré eu égard aux circonstances de l’espèce, démontre que la seule explication plausible de la déclaration relatée est la véracité du déclarant au sujet de ses aspects importants, ou l’exactitude de ceux‑ci (voir U. (F.J.), par. 40). Autrement, d’autres explications de la déclaration, qui auraient pu être obtenues ou vérifiées lors d’un contre‑interrogatoire, ainsi que les dangers associés au ouï‑dire, subsistent.

[48]                          Lorsqu’il apprécie la fiabilité substantielle, le juge du procès doit donc envisager d’autres explications, même conjecturales, de la déclaration relatée (Smith, p. 936‑937). La preuve corroborante est utile pour établir la fiabilité substantielle si elle démontre que ces autres explications ne sont pas disponibles, si elle [traduction] « élimine les hypothèses qui suscitent des soupçons » (S. Akhtar, « Hearsay : The Denial of Confirmation » (2005), 26 C.R. (6th) 46, p. 56 (italiques omis)). Par contre, la preuve corroborante qui est « également compatible » avec la véracité et l’exactitude de la déclaration et avec une autre hypothèse n’est pas utile (R. c. R. (D.), [1996] 2 R.C.S. 291, par. 34‑35). L’ajout d’éléments de preuve qui appuient la véracité de la déclaration, mais qui sont aussi compatibles avec d’autres explications, n’ajoute rien à la fiabilité inhérente de la déclaration.

[49]                          Même si la véracité du déclarant ou l’exactitude de sa déclaration doivent être plus probables que l’une ou l’autre des autres explications, cela ne suffit pas. Le fait que l’analyse relative au seuil de fiabilité soit faite selon la prépondérance des probabilités signifie plutôt que, compte tenu des circonstances et de tout élément de preuve présenté au voir‑dire, le juge du procès doit pouvoir écarter toute autre explication plausible selon la prépondérance des probabilités.

[50]                          Pour que le juge du procès se fonde sur la preuve corroborante pour rejeter d’autres hypothèses relatives à la déclaration, cette preuve doit elle‑même être digne de foi. La preuve corroborante qui n’est pas digne de foi n’est donc pas utile dans le cadre de l’examen de la fiabilité substantielle (voir Khelawon, par. 108). Les préoccupations relatives à la fiabilité sont particulièrement graves lorsque la preuve corroborante est une déclaration plutôt qu’un élément de preuve matériel (voir Lacelle, p. 390).

[51]                          La jurisprudence de la Cour donne deux exemples d’éléments de preuve corroborants sur lesquels on peut se fonder pour établir le seuil de fiabilité.

[52]                          Dans R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531, la Cour a conclu qu’une déclaration relatée d’une enfant concernant une agression sexuelle était admissible, notamment parce qu’elle était corroborée par une tache de sperme sur les vêtements de l’enfant (p. 548). L’enfant a soutenu qu’elle a été agressée sexuellement au bureau du médecin. Elle n’était seule dans le bureau que pendant une courte période et « n’a rencontré aucun autre homme pendant cette période » (p. 534). Compte tenu de la tache de sperme et des circonstances de l’affaire, la seule hypothèse plausible était que l’enfant n’avait pas menti au sujet de l’agression ou ne l’avait pas mal perçue. La tache de sperme contrait directement les dangers associés au ouï-dire.

[53]                          L’arrêt Khan peut être mis en apposition avec l’arrêt R. (D.), où la Cour a statué que la déclaration relatée d’une enfant concernant une agression sexuelle par son père était inadmissible, même si un élément de preuve étayait sa déclaration : des sous‑vêtements tachés de sang. Cet élément de preuve corroborant était compatible avec plus d’une hypothèse, soit la possibilité qu’elle ait été agressée par son frère ou par son père, et n’était donc pas utile pour apprécier le seuil de fiabilité (par. 34‑35).

[54]                          Dans U. (F.J.), une déclaration relatée était admissible en partie parce qu’elle était corroborée par une déclaration d’une similitude frappante. Cette dernière déclaration pouvait étayer le seuil de fiabilité de la déclaration relatée parce que la Cour avait réussi à écarter les possibilités que la similitude soit une pure coïncidence, que la deuxième déclarante ait entendu la première déclaration et ait fondé sa déclaration sur celle‑ci, et que les déclarations résultent de la collusion ou d’une influence extérieure. Fait important, le juge en chef Lamer craignait de rejeter non pas l’hypothèse voulant que la seconde déclaration soit en fait basée sur la première, mais la possibilité qu’elle puisse avoir été basée sur la première. Il a conclu que la seule explication probable de la similarité entre les deux déclarations était que le déclarant disait la vérité (U. (F.J.), par. 40 et 53).

[55]                          Par contre, la preuve corroborante dans Khelawon, des ecchymoses et des sacs à ordures pleins de vêtements, ne pouvait pas étayer le seuil de fiabilité d’une déclaration relatée concernant une agression. La juge Charron a expliqué que les ecchymoses sur le corps du plaignant auraient pu être causées par une chute plutôt que par une agression. Et même si le plaignant a soutenu que l’accusé a entassé ses vêtements dans des sacs à ordures, la juge Charron a expliqué que le plaignant « pouvait avoir rempli ces sacs lui‑même » (par. 107). Puisque ces éléments de preuve corroborants étaient compatibles avec plusieurs hypothèses, ils ne démontraient pas que la seule explication plausible était que le déclarant disait la vérité au sujet de l’agression.

[56]                          On ne déroge pas à l’approche fonctionnelle relative à l’admissibilité du ouï‑dire lorsque l’on précise les cas dans lesquels on peut se fonder sur la preuve corroborante pour établir la fiabilité substantielle. Aucune règle de démarcation nette ne restreint le genre de preuve corroborante sur lequel peut s’appuyer un juge du procès pour déterminer que la fiabilité substantielle est établie. Dans tous les cas, le juge du procès doit examiner les dangers spécifiques du ouï‑dire que pose la déclaration, l’ensemble de la preuve corroborante et les circonstances de l’espèce pour décider s’il peut se fonder sur la preuve corroborante (s’il en est) pour conclure à l’existence d’une fiabilité substantielle.

[57]                          En somme, pour établir si la preuve corroborante est utile lors de l’examen de la fiabilité substantielle, le juge du procès devrait

1.                  cerner les aspects importants de la déclaration relatée qui sont présentés pour établir la véracité de leur contenu;

2.                  cerner les dangers spécifiques du ouï‑dire que posent ces aspects de la déclaration dans les circonstances particulières de l’affaire;

3.                  en fonction des circonstances et de ces dangers, envisager d’autres explications de la déclaration, qui peuvent même être conjecturales;

4.                  décider si, compte tenu des circonstances de l’affaire, la preuve corroborante présentée au voir‑dire a écarté ces autres explications, de sorte que la seule explication plausible de la déclaration est la véracité du déclarant au sujet de ses aspects importants, ou l’exactitude de ces aspects.

[58]                          En gardant ces principes à l’esprit, j’aborde maintenant l’appréciation par le juge du procès du seuil de fiabilité de la déclaration de reconstitution.

B.      Application

[59]                          En concluant que le seuil de fiabilité de la déclaration de reconstitution était établi, le juge du procès s’est appuyé sur le fait que la déclaration : (1) était volontaire; (2) était incriminante; (3) a été faite après que M. Thielen eût reçu un avis juridique; (4) constituait un récit détaillé et fluide; et (5) était corroborée par des éléments de preuve extrinsèques. Par conséquent, il était convaincu que le seuil de fiabilité était établi.

[60]                          Je conclus que le juge du procès a fait erreur en se fondant en grande partie sur des éléments de preuve corroborants qui ne démontraient pas, eu égard aux circonstances de l’affaire, que la seule explication plausible était que M. Thielen disait la vérité au sujet des aspects importants de la déclaration de reconstitution. En raison de cette erreur, la décision du juge du procès concernant l’admissibilité ne commande aucune déférence. La Cour doit donc déterminer si la déclaration de reconstitution relatée atteint le seuil de fiabilité. Je conclus par la négative.

(1)     Le juge du procès s’est appuyé sur des éléments de preuve corroborants

[61]                          Le juge du procès s’est fortement appuyé sur l’existence d’éléments de preuve corroborants pour conclure que la déclaration de reconstitution était admissible. Plus particulièrement, il s’est fondé sur :

●           la preuve médicolégale qui corroborait la description détaillée des meurtres faite par M. Thielen (par. 45);

 

●           la description exacte par M. Thielen des conditions météorologiques qui existaient les nuits des meurtres (par. 46);

 

●           la preuve d’une conversation entre M. Bontkes et Mme Motola la nuit où M. Bontkes est mort (par. 47) (Mme Motola était une troisième complice dans le meurtre de M. Bontkes et elle a plaidé coupable, dans une instance distincte, à l’accusation d’homicide involontaire coupable.);

 

●           la preuve que M. Bradshaw était possiblement présent lorsque Mme Motola et M. Thielen ont discuté de leur projet d’assassiner M. Bontkes (par. 52);

 

●           les relevés d’appel entre une des victimes de meurtre et M. Bradshaw la nuit de l’un des meurtres, et entre MM. Thielen et Bradshaw la nuit de l’autre meurtre (par. 51);

 

●           les aveux de M. Bradshaw à l’hôtel Best Western et au parc Bothwell (par. 48‑49).

[62]                          Comme je vais l’expliquer, ces éléments de preuve corroborants ne sont pas utiles lors de l’examen du seuil de fiabilité.

[63]                          L’identification des aspects importants de la déclaration constitue la première étape lors de l’appréciation de la fiabilité substantielle d’une déclaration relatée. La déclaration de reconstitution était produite pour établir la véracité de la prétention de M. Thielen que M. Bradshaw avait participé aux meurtres. Compte tenu de la raison pour laquelle la déclaration a été présentée, l’aspect important de celle‑ci était l’affirmation de M. Thielen selon laquelle M. Bradshaw avait participé aux meurtres.

[64]                          En ce qui a trait aux dangers spécifiques du ouï‑dire que pose la déclaration, plusieurs dangers courants n’étaient pas en jeu en l’espèce. L’exactitude de la déclaration n’est pas en jeu parce qu’elle a été enregistrée sur bande vidéo. Même si les difficultés liées à l’évaluation de la perception et de la mémoire du déclarant constituent souvent des dangers associés à la preuve par ouï‑dire, ces dangers sont minimes en l’espèce puisque la déclaration n’a pas été produite pour fournir des détails au sujet de la façon dont les meurtres se sont déroulés, mais plutôt pour prouver que M. Bradshaw avait pris part aux meurtres. Il n’est guère plausible que M. Thielen se soit trompé au sujet du fait que M. Bradshaw ait participé aux meurtres, ou qu’il en ait un souvenir inexact.

[65]                          Ainsi, le danger spécifique du ouï‑dire que pose la déclaration de reconstitution tient à la difficulté de vérifier la sincérité de M. Thielen en ce qui a trait à la participation de M. Bradshaw aux meurtres. Ce danger est inhérent à toutes les déclarations relatées parce qu’il n’est pas possible de vérifier et de constater le manque de sincérité du déclarant au moyen d’un contre‑interrogatoire en cour au moment même où il fait sa déclaration. De plus, en l’espèce, il existe de sérieuses raisons de craindre que M. Thielen ait menti au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres.

[66]                          Premièrement, M. Thielen a fait des déclarations incompatibles concernant la participation de M. Bradshaw aux meurtres. En mai 2010, M. Thielen a dit à l’agent B. qu’il avait abattu Mme Lamoureux et M. Bontkes, et il n’a pas impliqué M. Bradshaw. Lorsqu’il a rencontré le chef du gang en juillet, M. Thielen a impliqué M. Bradshaw dans les meurtres. Lors de son arrestation, il a d’abord nié sa propre participation aux deux meurtres. Après avoir appris des policiers qu’il avait été la cible d’une opération Monsieur Big, il a avoué avoir participé aux meurtres et il a impliqué M. Bradshaw.

[67]                          Deuxièmement, M. Thielen avait une bonne raison de mentir au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres. Comme l’auteur des propos rapportés dans Youvarajah, M. Thielen « avait de bonnes raisons de minimiser son rôle dans le crime et d’en rejeter la responsabilité » sur son complice (par. 33). Il avait une raison d’impliquer M. Bradshaw afin de réduire sa propre culpabilité, particulièrement en raison de ses aveux à l’agent B. Même si M. Thielen a été accusé du meurtre au premier degré de Mme Lamoureux et de M. Bontkes, il a finalement plaidé coupable à des accusations de meurtre au deuxième degré. La raison de mentir qu’avait M. Thielen est pertinente pour apprécier la fiabilité de sa déclaration (Blackman, par. 42).

[68]                          Troisièmement, M. Thielen était un témoin visé par Vetrovec. Le juge du procès a dit ce qui suit :

                    [traduction] . . . de nombreux éléments de preuve ont déjà été soumis au jury concernant l’honnêteté douteuse de M. Thielen. Plusieurs témoins l’ont décrit comme un trafiquant de drogue, un gangster, un homme de main et un meurtrier. Une sérieuse mise en garde de type Vetrovec est manifestement appropriée dans son cas. [par. 60 (CanLII)]

[69]                          Puisqu’on ne peut faire confiance à un témoin visé par Vetrovec pour dire la vérité, même sous serment (R. c. Khela, 2009 CSC 4, [2009] 1 R.C.S. 104, par. 3), il sera extrêmement difficile de prouver que la déclaration relatée d’un tel témoin est intrinsèquement fiable. Cependant, l’admission d’un ouï‑dire d’un témoin visé par Vetrovec n’est pas catégoriquement interdite. Dans tous les cas, le juge du procès doit évaluer si les dangers du ouï‑dire ont été écartés. Cela dit, la sérieuse mise en garde de type Vetrovec indique que les dangers que pose la déclaration relatée en l’espèce sont particulièrement graves.

[70]                          Dans l’évaluation de la fiabilité substantielle d’une déclaration relatée, la troisième étape consiste à envisager d’autres explications pour la déclaration relatée que révèlent les circonstances particulières de l’affaire. Compte tenu des dangers du ouï‑dire que présentait la déclaration de reconstitution, une autre explication veut que M. Thielen ait menti au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres.

[71]                          Dans ce contexte, la preuve corroborante contribuera uniquement à établir la fiabilité substantielle de la déclaration de reconstitution si elle démontre, au vu des circonstances de l’espèce, que la seule explication plausible veut que M. Thielen ait dit la vérité au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres. Lorsque le danger du ouï‑dire a trait à la sincérité, la fiabilité substantielle n’est établie que lorsque les circonstances et la preuve corroborante démontrent que la possibilité que le déclarant ait menti est essentiellement écartée, que [traduction] « même un sceptique prudent [. . .] considérerait [la déclaration] comme très probablement fiable » (Wigmore, p. 154; Khelawon, par. 62; Couture, par. 101). Pour réfuter la présomption d’inadmissibilité, des éléments de preuve corroborants ou les circonstances doivent démontrer que la déclaration est intrinsèquement fiable.

[72]                          La preuve médicolégale, la preuve des conditions météorologiques ainsi que la preuve d’une conversation qu’ont eue M. Bontkes et Mme Motola n’impliquaient pas M. Bradshaw dans les meurtres. Ces éléments de preuve ne permettent pas de déterminer si M. Thielen disait la vérité au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres. Le fait que M. Thielen ait décrit avec exactitude la façon dont les meurtres ont été accomplis ainsi que les conditions météorologiques qui existaient les nuits des meurtres n’atténue pas le danger qu’il ait menti au sujet de la participation de M. Bradshaw. En tant que complice, M. Thielen était présent sur les lieux des crimes et il était bien placé pour inventer une histoire impliquant M. Bradshaw (voir R. c. Smith, 2009 CSC 5, [2009] 1 R.C.S. 146, par. 15; R. c. Salah, 2015 ONCA 23, 319 C.C.C. (3d) 373, par. 116).

[73]                          Les autres éléments de preuve corroborants sur lesquels s’est appuyé le juge du procès avaient une valeur probante quant à la participation de M. Bradshaw aux meurtres. Il appartiendra au juge des faits de déterminer si ces éléments de preuve renforcent la probabilité que M. Bradshaw soit coupable. Les relevés d’appel indiquent que M. Bradshaw a peut‑être parlé à Mme Lamoureux et à M. Thielen les soirs en question, et la preuve de la présence de M. Bradshaw lorsque le projet de tuer M. Bontkes a été discuté montre que M. Bradshaw était peut‑être au courant de ce projet. Toutefois, ces éléments de preuve, envisagés dans les circonstances, ne contribuaient pas à écarter efficacement ce qui pouvait aussi expliquer la déclaration de reconstitution — le danger que M. Thielen ait menti au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres.

[74]                          Enfin, les conversations enregistrées à l’hôtel Best Western et au parc Bothwell fournissent une preuve directe de la participation de M. Bradshaw aux meurtres. Toutefois, comme je vais l’expliquer, la fiabilité de ces déclarations soulève des réserves. Je le répète, un élément de preuve corroborant doit lui‑même être digne de foi pour servir de fondement à l’établissement du seuil de fiabilité d’une déclaration relatée (voir Khelawon, par. 108).

[75]                          Lorsque M. Thielen faisait l’objet d’une opération Monsieur Big, des agents banalisés l’ont incité à rencontrer M. Bradshaw pour clarifier leurs rôles respectifs dans les meurtres. Le 21 juillet 2010, MM. Thielen et Bradshaw se sont rencontrés dans une chambre de l’hôtel Best Western. Leur conversation a été enregistrée. Les huit premières minutes de la conversation enregistrée sont inaudibles parce que MM. Bradshaw et Thielen se trouvaient dans la salle de bain et que l’eau du robinet coulait. L’agent B. a appelé M. Thielen pour le faire de sortir de la salle de bain afin que l’on puisse entendre la conversation. Lorsque MM. Bradshaw et Thielen se sont rendus dans la pièce principale, M. Bradshaw a dit avoir abattu M. Bontkes et avoir participé aux deux meurtres.

[76]                          Quelques jours plus tard, MM. Thielen et Bradshaw se sont rencontrés au parc Bothwell. Leur conversation a encore été enregistrée. Pendant cette rencontre, M. Bradshaw a parlé de leur tentative ratée de tuer M. Bontkes, une tentative qui a précédé le meurtre de ce dernier en mars 2009.

[77]                          Cet élément de preuve offre une preuve de culpabilité, mais, pour plusieurs raisons, il ne contribue pas à écarter efficacement la possibilité que M. Thielen ait menti au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres.

[78]                          Les conversations à l’hôtel Best Western et au parc Bothwell ont été recueillies dans le cadre d’une opération Monsieur Big. Les agents banalisés ont orchestré les circonstances favorables à l’obtention d’un aveu de M. Thielen et ensuite de M. Bradshaw. Comme le juge du procès l’a expliqué, les [traduction] « rencontres [à l’hôtel Best Western et au parc Bothwell] ont été organisées par l’agent B. avec la collaboration de M. Thielen, dans le cadre de l’opération Monsieur Big, dans le but d’obtenir des éléments de preuve de la participation possible de M. Bradshaw aux meurtres de Mme Lamoureux et de M. Bontkes » (par. 43). En fait, l’agent B. a expliqué qu’il [traduction] « voulait [. . .] que M. Thielen obtienne la vérité de M. Bradshaw » (interrogatoire principal, d.a., vol. V, p. 134) et qu’il avait donné à M. Thielen des instructions sur les renseignements que celui‑ci devait obtenir au cours de sa conversation avec M. Bradshaw à l’hôtel Best Western.

[79]                          Dans les opérations Monsieur Big, les parties croient qu’elles ont affaire à une organisation criminelle. Elles font souvent l’objet d’incitations et de menaces. Comme la Cour l’a noté dans Hart, « [l]e suspect se confie à Monsieur Big au cours d’un interrogatoire serré où il est soumis à de fortes pressions, parfois même à des menaces voilées, ce qui comporte le risque d’un aveu non digne de foi » (par. 5). L’opération Monsieur Big soulève des préoccupations au sujet de la motivation de M. Thielen et de son rôle dans ces conversations, et au sujet de la fiabilité des déclarations faites par M. Bradshaw à l’hôtel Best Western et au parc Bothwell.

[80]                          De même, la première partie de la conversation à l’hôtel Best Western était inaudible parce que MM. Thielen et Bradshaw se trouvaient dans la salle de bain et que l’eau du robinet coulait. Cela soulève des questions concernant ce qui a suivi. Comme je l’ai dit, le juge du procès doit envisager d’autres explications, même conjecturales, susceptibles de rendre compte de la déclaration relatée (Smith (1992), p. 936‑937). En fait, même si cet élément de preuve n’avait pas été présenté au juge du procès au moment de sa décision, M. Bradshaw a par la suite témoigné que, pendant que l’eau du robinet coulait, M. Thielen lui a demandé de mentir et de dire qu’il avait participé aux meurtres de Mme Lamoureux et de M. Bontkes.

[81]                          De plus, lors la conversation au parc Bothwell, M. Bradshaw a essentiellement avoué sa participation à la tentative de meurtre de M. Bontkes, plutôt qu’au meurtre lui‑même.

[82]                          Évidemment, l’enregistrement des propos de M. Bradshaw est admissible contre lui à titre d’aveux de l’accusé, indépendamment de l’admission en preuve de la vidéo de la reconstitution de M. Thielen. En fait, les aveux de M. Bradshaw à l’hôtel Best Western et au parc Bothwell ont été admis en preuve et soumis à l’appréciation du jury. Cela n’est pas contesté en appel.

[83]                          Cependant, ces aveux ne sont pas de nature à justifier l’admission des déclarations relatées extrêmement suspectes de M. Thielen impliquant M. Bradshaw. Lorsqu’ils sont pris en considération dans les circonstances et avec les autres éléments de preuve présentés au voir‑dire, ces aveux n’ont pas pour effet d’écarter « considérablement la possibilité que le déclarant [des propos relatés] ait menti » au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres (Smith (1992), p. 933). L’aveu qu’a fait M. Bradshaw à l’hôtel Best Western ne démontre pas, dans les circonstances, que la déclaration de M. Thielen ne serait pas susceptible de changer lors d’un contre‑interrogatoire (Khelawon, par. 107; Smith (1992), p. 937).

[84]                          Dans l’arrêt U. (F.J.), la Cour a indiqué que seront « rares les cas de déclarations dont la similitude est frappante au point d’étayer leur fiabilité » (par. 45). Le juge en chef Lamer a expliqué qu’une déclaration similaire ne peut appuyer la fiabilité d’une déclaration relatée à moins qu’il soit improbable que « [l]’auteur de la seconde déclaration connaissait le contenu de la première déclaration et a fondé sa déclaration en tout ou en partie sur cette connaissance », et qu’il soit improbable que la similitude soit due à une influence extérieure (par. 40). M. Thielen était présent lorsque M. Bradshaw a fait des aveux à l’hôtel Best Western et au parc Bothwell, et aurait pu baser sur cette connaissance la déclaration de reconstitution. En outre, l’influence extérieure ne peut être écartée comme une explication possible des aveux que M. Bradshaw a faits à l’hôtel Best Western et au parc Bothwell. De fait, selon le témoignage de l’agent B., ce dernier a joué un rôle en orchestrant les aveux. Les déclarations à l’hôtel Best Western et au parc Bothwell ne sont d’aucune utilité pour établir la fiabilité inhérente de la déclaration de reconstitution.

[85]                          La preuve présentée au voir‑dire relatif à l’admissibilité pour corroborer la déclaration de M. Thielen est différente de la tache de sperme dans Khan, ou de la déclaration d’une similitude frappante dans U. (F.J.). Lorsqu’on l’examine dans les circonstances de l’espèce, la preuve ne démontre pas que la seule explication plausible de la déclaration était que M. Thielen avait dit la vérité au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres. Considérée dans son ensemble, cette preuve n’était d’aucune utilité pour établir le seuil de fiabilité. Bien qu’une bonne partie de la preuve sur laquelle s’est fondé le juge du procès avait une valeur probante en ce qui concerne la culpabilité de M. Bradshaw, et ainsi le juge des faits pouvait en tenir compte dans le procès sur le fond, aucun de ces éléments de preuve ne contribuait à établir le seuil de fiabilité de la déclaration de reconstitution. De plus, je le répète, la preuve et les circonstances de l’espèce montraient qu’il existait de sérieuses raisons de craindre que M. Thielen ait menti.

(2)     Seuil de fiabilité de la déclaration de reconstitution

[86]                          Compte tenu de l’approche erronée retenue par le juge du procès à l’égard de la preuve corroborante, la Cour doit déterminer si le seuil de fiabilité de la déclaration de reconstitution relatée est néanmoins établi. Les graves dangers du ouï‑dire que posait la déclaration de reconstitution sont‑ils écartés?

[87]                          Afin de respecter le rôle du juge des faits lorsqu’il apprécie la fiabilité, j’examine d’abord la fiabilité d’ordre procédural de la déclaration (Khelawon, par. 92). Le juge des faits disposait de peu d’outils pour déterminer si M. Thielen avait menti au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres. Si nul ne conteste que la déclaration a été rapportée de manière exacte en l’espèce, puisqu’elle a été enregistrée sur bande vidéo, M. Thielen n’a pas été contre‑interrogé au moment où la déclaration a été faite ni par la suite. Il n’a pas fait sa déclaration sous serment et il n’a pas été averti, avant de faire sa déclaration, des conséquences liées au fait de mentir. Et surtout, il n’était pas disponible pour un contre‑interrogatoire lors du procès. De toute évidence, en l’absence d’un contre‑interrogatoire, le juge des faits ne disposait pas d’« un autre motif suffisant de [. . .] vérifier [la preuve] » (Khelawon, par. 105).

[88]                          Le juge du procès a examiné les [traduction] « garanties possibles que le ministère public et la cour pourraient mettre en place pour écarter les dangers [du ouï‑dire] » (par. 19). Il a expliqué la possibilité que des déclarations antérieures incompatibles de M. Thielen soient mises en preuve, et que le ministère public avait accepté de citer les policiers qui avaient recueilli les différentes déclarations de M. Thielen, afin de permettre au procureur de la défense de les contre‑interroger au sujet de ces déclarations incompatibles (par. 59). Il a également indiqué qu’il ferait une sérieuse mise en garde de type Vetrovec (par. 60).

[89]                          La mise en preuve des déclarations antérieures incompatibles de M. Thielen n’a pas procuré au jury un autre moyen suffisant pour évaluer la véracité de la déclaration de reconstitution. Et bien que le contre‑interrogatoire de la personne qui recueille une déclaration relatée puisse s’avérer utile si la crédibilité ou la fiabilité de cette dernière soulève des préoccupations (Blackman, par. 50), il n’y avait en l’espèce aucune préoccupation de la sorte. Comme le fait remarquer l’intervenante Criminal Lawyer’s Association of Ontario, [traduction] « lorsque le contenu de la déclaration ou les circonstances dans lesquelles elle a été faite ne laissent aucun doute — si elle est enregistrée sur bande vidéo, par exemple — alors le contre‑interrogatoire de la personne qui recueille la déclaration ne contribue aucunement à évaluer si le contenu du ouï‑dire est véridique » (m.i., par. 32 (en italique dans l’original)). De plus, comme je l’ai déjà expliqué, les mises en garde faites au jury au sujet des dangers de la preuve par ouï‑dire et les témoignages visés par Vetrovec appuient fort peu la fiabilité d’ordre procédural de la déclaration. Les mises en garde faites au jury n’offrent pas une solution de rechange adéquate aux garanties traditionnelles. Elles ne remplacent pas les autres conditions d’admissibilité. Les règles de preuve, telle la règle d’exclusion du ouï‑dire, protègent l’équité et l’intégrité du procès en présumant que certains types de preuve sont inadmissibles.

[90]                          Puisque peu d’outils permettaient de vérifier la véracité et l’exactitude de la déclaration de reconstitution, celle‑ci ne pouvait être admise que si les circonstances dans lesquelles elle a été faite et les éléments de preuve corroborants, le cas échéant, « écart[ai]ent considérablement la possibilité que le déclarant ait menti » (Smith (1992), p. 933).

[91]                          Le juge du procès a conclu que la déclaration était fiable parce que M. Thielen l’avait faite volontairement après avoir reçu un avis juridique, et qu’elle constituait un [traduction] « récit détaillé et fluide ». Il s’est aussi fondé sur le fait qu’elle était incriminante. Selon lui, M. Thielen s’est exposé à un risque, même dans le système carcéral, en s’incriminant et en impliquant d’autres personnes dans les meurtres (par. 40).

[92]                          Ces circonstances, toutefois, « quoique pertinentes, révèlent simplement une absence de facteurs qui, s’ils étaient présents, diminueraient la valeur d’une déclaration par ailleurs fiable » (Couture, par. 101). Elles n’offrent pas une garantie circonstancielle de fiabilité. De plus, bien que M. Thielen se soit incriminé relativement aux meurtres dans la vidéo de la reconstitution, il l’avait déjà fait dans ses déclarations à la police à la suite de son arrestation, et pendant l’opération Monsieur Big. Et bien qu’il ait pu s’exposer à un risque dans le système carcéral en impliquant M. Bradshaw, il a tout de même bénéficié d’une responsabilité criminelle moindre : il a plaidé coupable à l’accusation moins grave de meurtre au second degré. M. Thielen avait manifestement une bonne raison de mentir au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres. La Cour d’appel a fait remarquer avec justesse que [traduction] « [l]e juge [du procès] n’a pas suffisamment exposé les facteurs qui nuiraient à la véracité des déclarations de M. Thielen, y compris la raison sérieuse qu’il avait de mentir pour revenir sur les aveux faits à l’agent B., selon lesquels il aurait commis pas seulement un, mais deux meurtres au premier degré » (par. 37).

[93]                          Enfin, comme je l’ai expliqué, la preuve de corroboration sur laquelle le juge du procès s’est fondé n’était d’aucune utilité pour établir le seuil de fiabilité.

[94]                          Le danger du ouï‑dire que posait la déclaration de reconstitution, soit le fait de ne pas pouvoir vérifier la sincérité de M. Thielen au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres, est particulièrement difficile à écarter en l’espèce. M. Thielen avait une raison de mentir au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres et il n’a pas impliqué dès le début M. Bradshaw dans les meurtres. M. Thielen est également un témoin visé par Vetrovec, soit un témoin qui ne peut être présumé dire la vérité en raison de son honnêteté douteuse. Le juge des faits disposait de bien peu d’outils pour évaluer la sincérité de M. Thielen. Les circonstances dans lesquelles la déclaration a été faite et la preuve présentée au voir‑dire n’écartent pas considérablement la possibilité que M. Thielen ait menti au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres.

[95]                          Il ne s’agit pas d’un cas où le ouï‑dire « présente des dangers minimes et [où] son exclusion au lieu de son admission gênerait la constatation exacte des faits » (Khelawon, par. 2 (en italique dans l’original)). L’admission de la déclaration de reconstitution nuirait plutôt au processus de recherche de la vérité et à l’équité du procès. Le ouï‑dire est présumé inadmissible, et le juge du procès a commis une erreur en concluant que cette présomption a été réfutée.

V.      Conclusion

[96]                          Je conclus que le juge du procès a commis une erreur en admettant en preuve la déclaration de reconstitution. Le ministère public n’a pas réussi à établir le seuil de fiabilité de cette déclaration selon la prépondérance des probabilités.

[97]                          Je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Je partage la décision de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique d’annuler les déclarations de culpabilité et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.

                    Version française des motifs des juges Moldaver et Côté rendus par

                    Le juge Moldaver (dissident)

I.       Aperçu

[98]                          Le présent pourvoi porte sur l’admissibilité d’une vidéo de la reconstitution[3] des faits ayant conduit aux meurtres de Laura Lamoureux et de Marc Bontkes en mars 2009. Dans la reconstitution, qui a eu lieu en août 2010, environ 17 mois après les meurtres, Roy Thielen décrit pour les policiers comment l’intimé Robert Bradshaw et lui ont commis les meurtres ensemble. Comme M. Thielen a refusé de témoigner au procès de M. Bradshaw, le juge du procès a admis la reconstitution selon la méthode d’analyse raisonnée de l’admissibilité de la preuve par ouï‑dire.

[99]                          Ma collègue, la juge Karakatsanis, conclut qu’en ce faisant, le juge du procès a commis une erreur. Elle parvient à cette conclusion en se fondant sur un nouveau critère restrictif qui écarte l’approche fonctionnelle relative au seuil de fiabilité que la Cour a retenue dans sa jurisprudence moderne.

[100]                      Soit dit en tout respect, je ne puis accepter la démarche et la conclusion de ma collègue. Je reconnais que la reconstitution de M. Thielen n’était pas sans problèmes et que les dangers du ouï‑dire sont généralement plus prononcés lorsque le déclarant ne peut être contre‑interrogé. Il s’agit toutefois d’une affaire inhabituelle, vu l’existence d’éléments de preuve corroborants convaincants, notamment des conversations enregistrées furtivement dans lesquelles M. Bradshaw a admis sa participation aux deux meurtres. De plus, le juge du procès a adopté plusieurs garanties procédurales qui ont permis au jury d’apprécier d’un œil critique l’élément de preuve contesté. Ces garanties comportaient notamment l’admission restreinte de déclarations antérieures incompatibles prises par les policiers et la possibilité de contre‑interroger ces derniers, des mises en garde sévères faites au jury et la grande latitude laissée au procureur de la défense d’exposer dans ses observations finales les mêmes points que ceux qu’il aurait exposés s’il avait été en mesure de contre‑interroger M. Thielen.

[101]                      Considérés ensemble, ces facteurs — les éléments de preuve corroborants convaincants et les garanties procédurales — pouvaient satisfaire au critère du seuil de fiabilité. La méthode d’analyse raisonnée en matière de ouï‑dire ne devrait pas faire obstacle à la fonction de recherche de la vérité du procès lorsqu’il est démontré que les éléments de preuve contestés sont dignes de foi et que le jury dispose des outils nécessaires pour en apprécier d’un œil critique la fiabilité en dernière analyse. Telle était la conclusion du juge du procès, qui était particulièrement bien placé pour prendre cette décision. À mon avis, sa décision d’admettre la vidéo de la reconstitution était amplement étayée par le dossier et exempte d’erreurs. Je ne vois aucune raison, en fait ou en droit, de la modifier.

[102]                      La déférence s’impose également à l’égard de la décision du juge du procès de rejeter une demande de la défense visant à produire une autre déclaration relatée par M. Thielen qui n’impliquait pas M. Bradshaw. Je suis d’avis de confirmer cette décision.

[103]                      Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler le jugement par lequel la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a ordonné la tenue d’un nouveau procès, et de rétablir les déclarations de culpabilité de M. Bradshaw pour les meurtres au premier degré de Mme Lamoureux et M. Bontkes.

II.      Analyse

[104]                      De nos jours, l’admissibilité de la preuve par ouï‑dire est régie par la méthode d’analyse raisonnée. Selon cette méthode, la preuve par ouï‑dire peut être admise lorsqu’elle est nécessaire et lorsqu’elle satisfait au critère du seuil de fiabilité. Nul ne conteste que le refus de M. Thielen de témoigner au procès satisfait au critère de la nécessité. Le présent pourvoi porte principalement sur la question de savoir si la reconstitution de M. Thielen satisfait au critère du seuil de fiabilité.

Le critère du seuil de fiabilité

[105]                      La preuve par ouï‑dire est présumée inadmissible, principalement parce qu’il est difficile d’en vérifier la fiabilité. Il y a toujours un risque que le témoin perçoive mal les faits, qu’il se les remémore incorrectement, qu’il relate les événements d’une manière trompeuse ou incomplète, ou qu’il fasse sciemment une fausse déclaration. Lorsqu’une déclaration est faite en cour, des garanties traditionnelles — comme la présence du déclarant dans la salle d’audience et le contre‑interrogatoire — permettent au juge des faits de déceler les faussetés ou les inexactitudes dans la déclaration. Sans la présence du déclarant en cour et la possibilité de le contre‑interroger au moment même où il fait sa déclaration, le juge des faits peut ne pas être en mesure de détecter des erreurs, des exagérations ou des faussetés délibérées : R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520, par. 31‑32; R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787, par. 2.

[106]                      La mesure dans laquelle la fiabilité de la preuve par ouï‑dire peut être difficile à évaluer varie selon le contexte. Dans certaines circonstances, les difficultés à évaluer la perception du déclarant, sa mémoire, sa relation du fait ou sa sincérité et les dangers qui en découlent seront suffisamment écartés pour satisfaire au critère du seuil de fiabilité : R. c. Devine, 2008 CSC 36, [2008] 2 R.C.S. 283, par. 22; R. c. Blackman, 2008 CSC 37, [2008] 2 R.C.S. 298, par. 35; Khelawon, par. 61.

[107]                      Selon la méthode d’analyse raisonnée en matière de ouï‑dire, il existe trois façons de satisfaire au seuil de fiabilité : (1) lorsque la déclaration présente suffisamment de caractéristiques de fiabilité substantielle; (2) lorsque la déclaration présente des caractéristiques adéquates de fiabilité d’ordre procédural; ou (3) lorsque la déclaration ne satisfait à aucune des deux premières façons, mais contient des caractéristiques des deux qui, prises ensemble, justifient son admission. Comme je l’expliquerai, la présente affaire fait intervenir la troisième façon et offre à la Cour une première occasion d’en préciser l’application.

[108]                      Premièrement, la fiabilité substantielle dans ce contexte a trait au caractère digne de foi de la déclaration. Les caractéristiques de la fiabilité substantielle comprennent les circonstances dans lesquelles la déclaration a été faite et l’existence d’éléments de preuve extrinsèques susceptibles de la corroborer ou de la contredire : R. c. Youvarajah, 2013 CSC 41, [2013] 2 R.C.S. 720, par. 30; Khelawon, par. 62; Blackman, par. 35; R. c. Couture, 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517, par. 80. En l’absence de garanties procédurales, ces caractéristiques de fiabilité substantielle satisferont, à elles seules, à l’exigence du seuil de fiabilité lorsqu’elles démontrent qu’il n’y a « pas vraiment lieu de s’interroger sur la véracité et l’exactitude d’une déclaration » : Couture, par. 98 et 100; Devine, par. 22; Khelawon, par. 62[4]. Par exemple, dans l’arrêt R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531, des caractéristiques de fiabilité substantielle ont justifié l’admission d’une déclaration relatée par une enfant de trois ans et demi qui décrivait un acte sexuel, car la déclaration avait été faite spontanément et était corroborée de manière convaincante par une tache de sperme sur ses vêtements.

[109]                      Deuxièmement, le seuil de fiabilité peut être établi lorsque, au moment où la déclaration est faite ou au procès, des caractéristiques de fiabilité d’ordre procédural adéquates, à savoir des garanties procédurales, sont présentes et permettent au juge des faits d’évaluer la fiabilité de la déclaration en dernière analyse : Youvarajah, par. 30; Khelawon, par. 63; Blackman, par. 35; Couture, par. 80. En l’absence de caractéristiques de fiabilité substantielle qui portent à croire que la déclaration est digne de foi, il sera satisfait au seuil de fiabilité si ces garanties procédurales, à elles seules, démontrent que, sans le recours au contre‑interrogatoire d’un témoin en cour au moment même où il fait sa déclaration, la « véracité et [l’]exactitude [de la déclaration relatée] peuvent néanmoins être suffisamment vérifiées » par le juge des faits : Khelawon, par. 63; Devine, par. 22; Couture, par. 80. Lorsque seules des caractéristiques de fiabilité d’ordre procédural sont invoquées, une certaine forme de contre‑interrogatoire du déclarant est généralement requise pour satisfaire au critère du seuil de fiabilité. Par exemple, les tribunaux ont conclu que d’autres moyens adéquats de vérifier la véracité et l’exactitude de la preuve sont assurés par un témoignage reçu à l’enquête préliminaire (voir R. c. Hawkins, [1996] 3 R.C.S. 1043) et par des déclarations antérieures incompatibles qui sont enregistrées sur bande vidéo et faites sous serment, lorsque le déclarant s’est rétracté mais demeure disponible pour être contre‑interrogé au procès (voir R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740).

[110]                      Comme la juge Charron l’a expliqué dans l’arrêt Khelawon, « [i]l n’est pas tout à fait juste » de considérer ces garanties procédurales comme des facteurs qui établissent le seuil de fiabilité d’une déclaration (par. 80). Ces outils, qui servent à vérifier la preuve par ouï‑dire, ne renforcent pas la fiabilité de la déclaration, mais permettent plutôt au juge des faits d’être suffisamment outillé pour en évaluer la fiabilité en dernière analyse : voir également D. M. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (7e éd. 2015), p. 138.

[111]                      Enfin, le seuil de fiabilité peut être établi lorsque la déclaration présente à la fois des caractéristiques adéquates de fiabilité substantielle et de fiabilité d’ordre procédural. Ces deux catégories qui permettent d’établir le seuil de fiabilité ne s’excluent pas mutuellement : Youvarajah, par. 30; Khelawon, par. 66; Devine, par. 22; Blackman, par. 35; Couture, par. 80 et 99. En fait, les caractéristiques de fiabilité d’ordre procédural et de fiabilité substantielle peuvent, prises ensemble, satisfaire au seuil de fiabilité : Couture, par. 99; R. c. Hamilton, 2011 ONCA 399, 271 C.C.C. (3d) 208, par. 156. Dans l’arrêt R. c. U. (F.J.), [1995] 3 R.C.S. 764, la Cour a appliqué cette méthode, en se fondant sur des caractéristiques de fiabilité substantielle et de fiabilité d’ordre procédural pour justifier l’admission d’une déclaration relatée (par. 53).

[112]                      Ainsi, une déclaration qui n’est pas admissible selon les deux premières façons principales d’établir le seuil de fiabilité peut tout de même être admise en vertu de cette troisième façon. Lorsqu’une déclaration est suffisamment digne de foi, du fait de l’efficacité des garanties procédurales permettant au juge des faits d’évaluer sa fiabilité en dernière analyse, elle peut être admise sans risque. Autrement dit, [traduction] « [d]ans la mesure où [la déclaration relatée] peut être évaluée et acceptée par un juge des faits raisonnable, la preuve devrait être admise » : Paciocco et Stuesser, p. 134.

[113]                      Il importe de se rappeler que le seuil de fiabilité se distingue de la fiabilité en dernière analyse. Il n’est pas nécessaire que le juge du procès soit convaincu de la véracité de la déclaration relatée pour qu’elle satisfasse à l’exigence du seuil de fiabilité en vertu de l’une ou l’autre des trois façons énoncées précédemment. À l’instar des critères de common law relatifs aux déclarations issues d’une opération Monsieur Big et aux témoignages d’expert, la fiabilité d’une déclaration relatée ne doit pas forcément être établie avec certitude avant d’être admise : R. c. Hart, 2014 CSC 52, [2014] 2 R.C.S. 544, par. 98; R. c. Abbey, 2009 ONCA 624, 246 C.C.C. (3d) 301, par. 89. Autrement, le rôle du juge des faits consistant à déterminer la fiabilité en dernière analyse d’une déclaration relatée aura été usurpé.

[114]                      À plusieurs reprises, la Cour a analysé le danger de confondre le seuil de fiabilité et la fiabilité en dernière analyse. Dans l’arrêt Khelawon, la juge Charron a affirmé ce qui suit au par. 50 :

                    Au stade de l’admissibilité, il importe de ne pas empiéter sur la compétence du juge des faits. Si le procès a lieu devant un juge et un jury, il est essentiel que les questions de fiabilité en dernière analyse soient laissées au jury — dans un procès criminel, c’est un impératif constitutionnel. Si le juge siège sans jury, il importe tout autant qu’il ne préjuge pas de la fiabilité en dernière analyse de la preuve avant d’avoir entendu l’ensemble de la preuve au dossier. Il faut donc établir une distinction entre « fiabilité en dernière analyse » et « seuil de fiabilité ». Lors d’un voir‑dire portant sur l’admissibilité, l’examen se limite au seuil de fiabilité. [Je souligne.]

Cette mise en garde a été reprise dans l’arrêt Blackman, par. 56 : « Il est essentiel pour assurer l’intégrité du processus de constatation des faits de ne pas préjuger la question de la fiabilité en dernière analyse lors du voir‑dire sur l’admissibilité : voir Khelawon, par. 93. »

[115]                      À cet égard, je souscris aux observations du juge Watt dans l’arrêt R. c. Carroll, 2014 ONCA 2, 304 C.C.C. (3d) 252, par. 111, selon lesquelles la partie qui présente une preuve par ouï‑dire 

                    [traduction] n’a pas besoin d’éliminer toutes les sources possibles de doute quant à la perception, à la mémoire ou à la sincérité du déclarant. En l’espèce, il suffisait que les circonstances dans lesquelles les déclarations ont été faites et tout élément de preuve extrinsèque pertinent fournissent au juge des faits les moyens d’évaluer d’un œil critique l’honnêteté du déclarant et l’exactitude de sa déclaration . . . . [Références omises.]

[116]                      Autrement dit, comme dans le cas du témoignage d’expert et des aveux issus d’une opération Monsieur Big, le juge du procès doit simplement trancher « la question préliminaire qui consiste à déterminer [traduction] “si la preuve vaut d’être entendue par le jury” » : Hart, par. 98, citant Abbey, par. 89.

[117]                      Je suis convaincu que la reconstitution en l’espèce était admissible en vertu de la troisième façon d’établir le seuil de fiabilité. Comme je vais l’expliquer, une preuve corroborante convaincante donnait à penser que la déclaration était digne de foi et plusieurs garanties procédurales ont donné au jury les outils dont il avait besoin pour évaluer sa véracité et son exactitude. Soit dit avec respect, j’estime qu’en arrivant à une conclusion différente, ma collègue s’est écartée de l’approche fonctionnelle relative au seuil de fiabilité : (1) en restreignant indûment la preuve extrinsèque dont un tribunal peut tenir compte lorsqu’il apprécie la fiabilité substantielle d’une déclaration; et (2) en adoptant un point de vue restrictif des garanties procédurales disponibles au procès qui peuvent munir le jury des outils dont il a besoin pour apprécier la fiabilité en dernière analyse d’une déclaration.

(1)           La preuve extrinsèque dont le tribunal peut tenir compte lorsqu’il apprécie la fiabilité substantielle

[118]                      Ma collègue soutient qu’à « l’étape du seuil de fiabilité, la preuve corroborante est utilisée d’une manière distincte, au plan qualitatif, de la manière dont le juge des faits l’utilise pour évaluer la fiabilité de la déclaration en dernière analyse » (par. 42). Selon elle, « [l]e juge du procès ne peut, pour établir le seuil de fiabilité, se fonder sur la preuve corroborante que si celle‑ci, considérée globalement dans les circonstances de l’espèce, démontre que la seule explication plausible de la déclaration relatée est la véracité du déclarant au sujet de ses aspects importants, ou l’exactitude de ceux‑ci » (par. 44).

[119]                      Soit dit en tout respect, le critère que propose ma collègue soulève deux difficultés. Premièrement, son critère remplacerait l’approche fonctionnelle maintes fois entérinée par la Cour par un critère restrictif qui complique inutilement l’analyse et qui écarte des renseignements primordiaux à l’appréciation du seuil de fiabilité. L’approche fonctionnelle souligne l’absence d’une distinction nette entre les facteurs qui régissent le seuil de fiabilité et la fiabilité en dernière analyse. L’analyse est plutôt axée sur la question de savoir si les éléments de preuve extrinsèques écartent les dangers du ouï‑dire en fournissant des renseignements sur la fiabilité de la déclaration :

                    Dans chaque cas, l’examen doit être fonction des dangers particuliers que présente la preuve et ne porter que sur la question de l’admissibilité.

. . .

                        . . . Les facteurs pertinents ne doivent plus être rangés dans des catégories de seuil de fiabilité et de fiabilité en dernière analyse. Le tribunal devrait plutôt adopter une approche plus fonctionnelle [. . .] et se concentrer sur les dangers particuliers que comporte la preuve par ouï‑dire qu’on cherche à présenter, de même que sur les caractéristiques ou circonstances que la partie qui veut présenter la preuve invoque pour écarter ces dangers.

(Khelawon, par. 4 et 93; voir aussi le par. 55.)

[120]                      L’approche que préconise ma collègue crée plutôt un [traduction] « critère du seuil de fiabilité au sein du critère du seuil de fiabilité », lequel est

                    [traduction] l’objet des mêmes critiques que soulève l’exclusion [absolue] de la preuve corroborante ou de la preuve contradictoire. Il n’est ni nécessaire ni souhaitable de catégoriser ou de qualifier les éléments de preuve qui peuvent être pris en compte dans le processus décisionnel relatif à l’admissibilité du ouï‑dire. [Italiques dans l’original.]

(S. Akhtar, « Hearsay : The Denial of Confirmation » (2005), 26 C.R. (6th) 46, p. 60)

[121]                      Deuxièmement, en appliquant son approche, ma collègue décortique l’analyse en examinant si chacun des éléments de preuve corroborants démontre que la « seule explication probable » est que le déclarant est digne de foi. Cette démarche ne tient pas compte du fait que, même si un élément de preuve extrinsèques particulier ne satisfait pas à lui seul à l’exigence de ma collègue, il peut quand même contribuer, avec d’autres éléments de preuve extrinsèque ou des aspects de la fiabilité substantielle, à satisfaire au critère du seuil de fiabilité (voir R. c. McNamara (No. 1) (1981), 56 C.C.C. (2d) 193 (C.A. Ont.), p. 278‑279, points 4 et 5, au sujet de la nature de la preuve corroborante en général). Pourtant, suivant le critère de ma collègue, pour qu’un élément de preuve corroborant soit pris en compte dans l’analyse du seuil de fiabilité, il doit pouvoir, à lui seul, faire pencher la balance. Ce critère restrictif perd de vue l’ensemble de la preuve et écarte des éléments de preuve corroborants susceptibles de contribuer de façon significative à satisfaire au seuil de fiabilité.

[122]                      Cela dit, je reconnais qu’il peut être nécessaire que le juge du procès limite la portée de la preuve extrinsèque qui peut être prise en compte dans le cadre d’un voir‑dire relatif au ouï‑dire. Comme l’ont souligné Paciocco et Stuesser (p. 134) : [traduction] « On craint toutefois que le voir‑dire relatif à l’admissibilité de la preuve par ouï‑dire occulte le procès. [. . .] Il est difficile de savoir où tracer la ligne et, en fait, il n’existe aucune ligne fixe » (je souligne). Je conviens que ces préoccupations doivent être prises en compte au cas par cas, ce qui concorde avec l’approche fonctionnelle relative à l’admissibilité du ouï‑dire entérinée dans l’arrêt Khelawon : voir R. c. R. (T.), 2007 ONCA 374, 85 O.R. (3d) 481, par. 19; R. c. Lowe, 2009 BCCA 338, 274 B.C.A.C. 92, par. 78. À mon avis, il faut tracer la ligne lorsque le juge du procès estime que la valeur probante de certains éléments de preuve corroborants est faible et qu’elle est supplantée par son effet préjudiciable du fait que l’élément de preuve prolonge et complique les procédures — autrement dit, lorsque le jeu n’en vaut pas la chandelle. Il faut avoir confiance en la capacité des juges de procès de prendre cette décision et de faire preuve de retenue lorsqu’ils examinent des éléments de preuve extrinsèques pour veiller à ce que le voir‑dire ne fasse pas dériver le procès : Blackman, par. 57.

(2)     Le rôle des garanties mises en œuvre au procès pour établir la fiabilité d’ordre procédural

[123]                      Suivant le propos de la juge Charron dans Khelawon, « dans notre système accusatoire, la meilleure façon de vérifier la preuve est de faire témoigner le déclarant sous serment devant le tribunal, tout en lui faisant subir au même moment un contre‑interrogatoire » (par. 63). Il s’ensuit que lorsqu’aucun contre‑interrogatoire utile n’est possible, les juges du procès doivent être particulièrement prudents lorsqu’ils se prononcent sur l’admissibilité d’une déclaration relatée. Toutefois, lorsqu’il existe des substituts adéquats à ces garanties traditionnelles, « le bon sens nous indique qu’il ne faudrait pas perdre l’avantage de cette preuve » : Khelawon, par. 63. Le juge du procès peut disposer de garanties procédurales susceptibles de munir le juge des faits des outils dont il a besoin pour évaluer la fiabilité en dernière analyse de la preuve par ouï‑dire.

[124]                      En l’espèce, la Cour d’appel a conclu que le juge du procès avait commis une erreur en tenant compte des garanties procédurales mises en œuvre au procès pour apprécier le seuil de fiabilité de la reconstitution. Selon la Cour d’appel, seules les garanties qui existaient au moment de la déclaration pouvaient être prises en compte :

                    [traduction] La garantie que la déclaration est digne de foi et exacte à l’étape du critère du seuil de fiabilité ne découle pas de ce que peut faire un juge ou le ministère public au procès. Les garanties sont celles qui existent lorsque la déclaration est faite, comme assermenter les témoins, les informer des conséquences de mentir sous serment, et ainsi de suite, mais ce n’est pas le cas en l’espèce. Le juge a tenu compte des garanties qui pouvaient être imposées au procès, lesquelles n’aident pas à confirmer le seuil de fiabilité. [Je souligne; par. 30.]

[125]                      Je suis d’accord avec le ministère public pour dire que les garanties qui étayent la fiabilité d’ordre procédural comprennent celles qui peuvent être mises en œuvre au procès. À mon sens, il n’existe aucune distinction de principe entre les garanties qui existaient au moment où la déclaration relatée est faite et les garanties offertes au procès. Les deux améliorent la capacité du juge des faits d’évaluer la preuve d’un œil critique.

[126]                      Cette notion est bien établie dans la jurisprudence. Par exemple, lorsqu’un déclarant qui s’est rétracté peut être contre‑interrogé au procès au sujet d’une déclaration antérieure, cela améliore grandement la capacité du juge des faits à évaluer sa fiabilité : Khelawon, par. 66; Devine, par. 19; Couture, par. 92; B. (K.G.), p. 795‑796. De plus, le contre‑interrogatoire d’un tiers qui a été témoin du comportement du déclarant peut fournir une garantie procédurale supplémentaire au procès : U. (F.J.), par. 32; B. (K.G.), p. 792.

[127]                      D’autres moyens peuvent également être mis en œuvre au procès pour aider le jury à apprécier la déclaration relatée. Comme le démontre la présente affaire, les mises en garde faites au jury, l’admission restreinte de déclarations antérieures incompatibles qui contredisent la déclaration relatée, l’obligation pour le ministère public de citer les policiers qui ont pris les déclarations antérieures incompatibles à comparaître afin qu’ils puissent être contre‑interrogés par l’avocat de la défense, et le fait d’accorder à l’avocat de la défense une plus grande latitude dans ses observations finales, peuvent également permettre au juge des faits de vérifier la véracité et l’exactitude d’une déclaration. Le juge du procès est particulièrement bien placé pour adapter et mettre en œuvre ces mesures en fonction des circonstances précises de l’affaire.

[128]                      Ma collègue n’aborde pas ou n’examine pas plusieurs garanties mentionnées précédemment sur lesquelles le juge du procès s’est fondé. Elle rejette en particulier la viabilité des directives au jury en tant que garantie procédurale en soutenant que « [l]e fait de donner des directives au jury sur la façon d’évaluer une déclaration qu’il n’a pas les moyens d’évaluer ne réduit pas les dangers associés au ouï‑dire qui sous‑tendent la règle d’exclusion » (par. 29 (en italique dans l’original)). À mon avis, cette affirmation simplifie la question à l’excès.

[129]                      Les directives au jury peuvent constituer un moyen d’aider le jury à évaluer une déclaration relatée. Tout comme le contre‑interrogatoire, les directives au jury peuvent attirer son attention sur des préoccupations liées à la preuve, ce qui atténue les dangers du ouï‑dire en aidant le jury à apprécier la fiabilité d’une déclaration : R. c. Goodstoney, 2007 ABCA 88, 218 C.C.C. (3d) 270, par. 58 et 92; R. c. Blackman (2006), 84 O.R. (3d) 292 (C.A.), par. 81‑87, conf. par 2008 CSC 37, [2008] 2 R.C.S. 298. Par exemple, une directive qui met le jury en garde à l’égard d’un motif qu’aurait le déclarant pour inventer une histoire, et le fait de confronter un témoin lors du contre‑interrogatoire au sujet d’un motif qu’il aurait pour inventer une histoire peuvent dans les deux cas signaler au jury une préoccupation relative à la sincérité, ce qui l’aide à apprécier la fiabilité de la déclaration. En outre, les directives au jury comportent une mise en garde prévoyant que tout doute doit favoriser l’accusé.

[130]                      Il va sans dire que le contre‑interrogatoire est le moyen par excellence de vérifier la preuve parce qu’il permet au jury d’observer la façon dont un témoin répond — qu’il s’agisse d’une dénégation, d’une admission ou d’une explication. Cependant, en exposant les dangers que peut poser une déclaration relatée, les directives au jury peuvent renforcer, jusqu’à un certain point, la fiabilité d’ordre procédural de la déclaration. En l’espèce, je le précise, les directives ne constituaient qu’un élément d’un ensemble de garanties adoptées par le juge du procès afin que le jury soit en mesure d’apprécier d’un œil critique la fiabilité en dernière analyse de la reconstitution.

[131]                      Ultimement, le refus de ma collègue d’examiner les diverses garanties procédurales sur lesquelles s’est fondé le juge du procès en l’espèce l’amène à conclure que, parce que la déclaration relatée ne présente pas suffisamment de caractéristiques de fiabilité substantielle, elle ne peut être admise. Soit dit en tout respect, cela élude la troisième façon d’établir le seuil de fiabilité — celle que le juge du procès a appliquée en l’espèce — par laquelle les caractéristiques de fiabilité substantielle et de fiabilité d’ordre procédural peuvent, ensemble, justifier l’admission d’une déclaration relatée.

[132]                      J’aborde maintenant la question de savoir si le juge du procès a commis une erreur en admettant la reconstitution en vertu de cette troisième façon.

III.     Application à la reconstitution du 2 août 2010

A.            Les dangers du ouï-dire que pose la reconstitution

[133]                      En l’espèce, le principal danger du ouï‑dire que posait la reconstitution était la possibilité que M. Thielen ait menti au sujet de la participation de M. Bradshaw aux meurtres. M. Thielen a fait des déclarations antérieures incompatibles et était un complice dans les deux meurtres. La crainte que le jury ne puisse évaluer la sincérité de M. Thielen constituait donc un danger du ouï‑dire particulièrement important.

[134]                      Les difficultés de vérifier la mémoire et la perception de M. Thielen constituaient également des dangers du ouï‑dire compte tenu de sa consommation de drogues au moment des faits et de la période de près de 17 mois qui s’est écoulé entre les meurtres et la reconstitution. Selon ma collègue, la sincérité de M. Thielen constituait le seul danger en cause, et elle écarte comme « minime[s] » (par. 64) les préoccupations concernant la mémoire et la perception de M. Thielen. À mon sens, ce point de vue n’est pas étayé par le dossier. Durant les observations orales dans le cadre du voir‑dire, l’avocat de la défense a précisément fait mention des préoccupations concernant la mémoire et la perception qui, selon lui, nuisaient à la fiabilité de la reconstitution. Ce faisant, il ne les a pas qualifiées de faibles ou de minimes. Il a plutôt affirmé ce qui suit :

                        [traduction] Maintenant, je veux aussi souligner quelques‑uns des autres facteurs déterminants dont vous devez tenir compte dans l’appréciation du seuil de fiabilité, soit le fait que M. Thielen a un problème de toxicomanie qui dure depuis longtemps. Dans ses déclarations, il a affirmé à plusieurs reprises que sa mémoire était embrouillée, qu’il ne se souvenait pas, ce qu’il attribue à sa consommation de drogues et, si je peux me permettre, au fait qu’il donne cette vidéo de la reconstitution 17 mois après le fait. [Je souligne.]

(d.a., vol. VII, p. 147)

Selon moi, l’avocat de M. Bradshaw au procès était mieux en mesure que la Cour d’évaluer s’il était « plausible » que le souvenir qu’avait M. Thielen du rôle de M. Bradshaw dans les meurtres soit inexact. L’avocat de la défense ayant soulevé ces préoccupations, on peut difficilement reprocher au juge du procès d’y avoir répondu.

[135]                      Comme je vais l’expliquer, toutefois, ces dangers du ouï‑dire — la sincérité ainsi que la mémoire et la perception — étaient suffisamment surmontés par des caractéristiques de fiabilité substantielle et de fiabilité d’ordre procédural qui ont permis au juge des faits d’évaluer la fiabilité de la reconstitution.

B.            La fiabilité substantielle de la reconstitution

[136]                      La fiabilité substantielle de la reconstitution était sensiblement renforcée tant par des éléments de preuve extrinsèques convaincants qui corroboraient son contenu que par les circonstances dans lesquelles elle a eu lieu. Je reconnais que ces caractéristiques de fiabilité substantielle, à elles seules, ne suffisaient pas pour justifier l’admission de la reconstitution en vertu de la première façon de satisfaire au seuil de fiabilité. Cela dit, elles ont grandement contribué à démontrer que la reconstitution est digne de foi. À mon avis, cela a atténué l’importance du contre‑interrogatoire et la valeur relative des garanties procédurales nécessaire pour qu’il soit satisfait à la troisième façon d’établir le seuil de fiabilité.

(1)     Les éléments de preuve corroborants convaincants

[137]                      La reconstitution de M. Thielen a été corroborée par trois groupes distincts d’éléments de preuve : a) des conversations avec M. Bradshaw enregistrées furtivement, dans lesquelles M. Bradshaw a admis sa participation aux meurtres; b) des éléments de preuve circonstancielle impliquant M. Bradshaw dans les meurtres; et c) des éléments de preuve médicolégaux recueillis sur les lieux des crimes qui confirment la description des meurtres relatée en détail par M. Thielen. Comme je l’ai indiqué, ces éléments de preuve corroborants doivent être examinés ensemble, et non individuellement. Examinée cumulativement, cette preuve étaye solidement le caractère digne de foi de la reconstitution de M. Thielen.

a)                  Les conversations enregistrées

[138]                      Il s’agit en l’espèce d’une affaire inhabituelle en ce que la preuve corroborante la plus convaincante provient des propres aveux de M. Bradshaw. Comme l’a indiqué ma collègue, deux conversations avec M. Thielen enregistrées furtivement « fournissent une preuve directe de la participation de M. Bradshaw aux meurtres » (par. 74).

(i)      La conversation du 21 juillet 2010

[139]                      La première conversation a été enregistrée dans un hôtel de la région le 21 juillet 2010, environ 16 mois après les deux meurtres. Elle faisait suite à la rencontre de M. Thielen avec « Monsieur Big » plus tôt le même jour, durant laquelle M. Thielen a affirmé que M. Bradshaw et lui avaient participé aux deux meurtres. Lors de la rencontre avec Monsieur Big, des agents banalisés se faisant passer pour des membres d’une organisation criminelle ont incité M. Thielen à discuter des meurtres avec M. Bradshaw pour s’assurer qu’il n’avait omis aucun détail qui devait être porté à l’attention de Monsieur Big.

[140]                      Les huit premières minutes environ de la conversation entre MM. Thielen et Bradshaw à l’hôtel n’ont pas été saisies parce qu’ils étaient dans la salle de bain et leur discussion a été étouffée par le son de l’eau qui coulait. Après qu’un agent banalisé ait appelé M. Thielen sur son téléphone, MM. Bradshaw et Thielen sont sortis de la salle de bain et la conversation s’est poursuivie dans la chambre d’hôtel où on pouvait les entendre. Ni M. Thielen ni M. Bradshaw ne savaient que leur conversation était enregistrée. Durant cette conversation, M. Bradshaw a admis qu’il était présent lors du meurtre de Mme Lamoureux (surnommée « Double “D” ») :

                    [traduction]

 

                    M. Thielen :           Ok, tu te rappelles mon premier, Double « D »?

 

                    M. Bradshaw :      Hu‑hum.

 

M. Thielen :           Oui? Quand tu t’es stationné. Est‑ce que quelqu’un aurait pu me voir?

 

                    M. Bradshaw :      Des maisons.

 

                    M. Thielen :           Quoi?

 

                    M. Bradshaw :      Les maisons autour de nous.

 

                    M. Thielen :           C’est vrai.

 

                    M. Bradshaw :      Et ils ont dit qu’ils avaient vu une Acura blanche partir.

 

                    M. Thielen :           Exactement.

 

                    M. Bradshaw :      C’est vrai, on était dans la Cobalt noire.

 

                    M. Thielen :           . . . j’ai rien touché, pas vrai?

 

                    M. Bradshaw :      Non, c’est une tactique.

 

                    M. Thielen :           C’est une tactique?

 

M. Bradshaw :      Ouais. C’est ce que je pense. Mon opinion personnelle. Parce que s’ils avaient quelque chose (un cognement se fait entendre) [la vidéo montre que M. Bradshaw frappe la table en bois] comme ça —

 

                    M. Thielen :           Ouais.

 

                    M. Bradshaw :      ‑pff‑

 

                    M. Thielen :           Y’a rien, mon gars. [Je souligne.]

(d.a., vol. XII, p. 51‑52)

[141]                      Plus tard, M. Bradshaw a semblé convenir que M. Thielen et lui n’avaient pas planifié le meurtre de Mme Lamoureux. Il a indiqué que Mme Lamoureux l’avait appelé pour acheter des drogues et qu’il était allé chercher M. Thielen avant le meurtre :

                   [traduction]

 

M. Bradshaw :      . . . Avant que je vienne te chercher. Je pense que t’étais en train de te préparer, non?

 

                    M. Thielen :           Ouais, en fait, on n’avait‑

 

                    M. Bradshaw :      . . .

 

                    M. Thielen :           ‑pas vraiment de plan.

 

                    M. Bradshaw :      . . .

 

M. Thielen :           On n’avait pas vraiment planifié celui‑là, non? C’était plus comme un coup de tête, tu t’en souviens?

 

                    M. Bradshaw :      Peut‑être‑

 

                    M. Thielen :           T’es allé

 

                    M. Bradshaw :      ‑et elle m’a appelé‑

 

M. Thielen :           ‑t’es allé, t’es allé et tu lui as vendu la drogue et après, elle voulait l’échanger.

 

                    M. Bradshaw :      Ouais.

 

M. Thielen :           Puis alors, parce que j’étais pas avec, t’es allé là‑bas pour la rencontrer puis t’es venu me chercher quelque part pas loin.

 

                    M. Bradshaw :      Ok. [Je souligne.]

(d.a., vol. XII, p. 60‑61)

Cette conversation concorde avec la reconstitution de M. Thielen. Elle a également été corroborée par l’historique des appels de Mme Lamoureux sur son téléphone, qui a été récupéré sur les lieux du crime et qui indiquait qu’elle avait parlé plusieurs fois à M. Bradshaw immédiatement avant le meurtre.

[142]                      M. Bradshaw a également admis sa participation au meurtre de M. Bontkes. Il a expliqué que M. Thielen et lui avaient porté des gants et avaient attendu que Michelle Motola (la petite amie de M. Bradshaw à l’époque) arrive en voiture avec M. Bontkes, ce qui correspond à la reconstitution de M. Thielen. Il a également dit à M. Thielen que Mme Motola n’avait pas vu qui avait tiré sur M. Bontkes. Mme Motola pensait que le tireur était M. Thielen, alors qu’en réalité, il s’agissait de M. Bradshaw :

                    [traduction]

 

M. Thielen :           Pour le deuxième, est‑ce qu’on a touché à la fourgonnette?

 

                    M. Bradshaw :      Non, on avait des gants tout le long.

 

                    M. Thielen :           Ok.

 

M. Bradshaw :      Dès qu’on est sortis de l’auto, gants. Puis après, on a sorti le morceau. On a enlevé toutes les balles. On a tout rangé puis on a attendu. Puis après il y a . . .

 

                    M. Thielen :           Mais Michelle n’a rien fait au dernier [. . .] non?

 

M. Bradshaw :      Elle était là, mais elle n’a rien vu. Elle n’a rien vu de ce qui s’est passé, elle pensait que c’était toi. Elle savait même pas que c’était moi.

 

                    M. Thielen :           Ok.

 

M. Bradshaw :      Fait que, même si elle voulait, elle pourrait même pas le raconter comme il faut, à cause de cet avantage, parce qu’elle était (son de gifle) on était par là, pas vrai? Elle était assise là comme ça et ça . . . puis tout s’est passé là‑bas. Elle ne sait pas. Elle ne sait rien c’est certain. [Je souligne.]

(d.a., vol. XII, p. 52‑53)

[143]                      M. Bradshaw a également discuté de ce qu’ils ont fait après les meurtres :

                    [traduction]

 

                    M. Thielen :           On était où avant ça? On était où après ça?

 

                    M. Bradshaw :      Chez moi.

 

                    M. Thielen :           Puis avant, chez toi, oui?

 

                    M. Bradshaw :      Chez moi tout le temps.

 

                    M. Thielen :           Les deux fois?

 

M. Bradshaw :      Oui. Avant pis après. On a caché le truc chez moi, on a pris toutes nos affaires, puis t’es parti avec. Tu as marché jusqu’au . . .

 

                    M. Thielen :           Puis après je suis revenu et je les ai ramassées.

 

                    M. Bradshaw :      Ouais.

 

                    M. Thielen :           . . . m’en suis débarrassé, non?

 

M. Bradshaw :      . . . il manquait mes souliers, et je les ai brûlés moi‑même. [Je souligne.]

(d.a., vol. XII, p. 53)

[144]                      Enfin, ils ont tous deux discuté des enquêtes et des sources potentielles de preuve concernant les deux meurtres :

                    [traduction]

 

                    M. Thielen :           As‑tu parlé de ça à quelqu’un?

 

                    M. Bradshaw :      Non.

 

                    M. Thielen :           Personne?

 

                    M. Bradshaw :      Rien.

 

                    M. Thielen :           Absolument personne, alors si‑

 

                    M. Bradshaw :      Non.

 

                    M. Thielen :           ‑si quelqu’un jacasse, c’est Michelle?

 

M. Bradshaw :      C’est ça. Mais les gens disent que j’ai tué Double « D » depuis que c’est arrivé.

 

                    M. Thielen :           Je sais, je sais, j’ai‑

 

                    M. Bradshaw :      . . .

 

                    M. Thielen :           ‑entendu tellement d’affaires, j’ai entendu‑

 

                    M. Bradshaw :      . . .

 

                    M. Thielen :           ‑des histoires à propos de ça en prison.

 

M. Bradshaw :      ‑à propos de moi, bla bla bla. Tout le monde en parle . . . peu importe, c’est du ouï‑dire. Ça ne fait aucune différence . . . à rien . . . si quelqu’un sait quelque chose, c’est Michelle. La seule. Parce qu’elle sait pour sûr qui était là, c’est tout. Puis ça peut juste être l’un ou l’autre.

 

                    M. Thielen :           Sur celui‑là, sur celui‑là, c’est tout.

 

M. Bradshaw :      Oui, juste celui‑là. Non? Elle sait absolument rien du premier.

 

                    M. Thielen :           Puis après les deux, on est allés chez toi?

 

                    M. Bradshaw :      Hu‑hum. Non, pas après le premier.

 

                    M. Thielen :           On est allés où?

 

                    M. Bradshaw :      Je pense qu’on est allés chez toi après le premier.

 

M. Thielen :           Puis tu m’as juste déposé? T’as continué ton chemin, non?

 

                    M. Bradshaw :      Je pense que je travaillais.

 

                    M. Thielen :           Ouais.

 

                    M. Bradshaw :      Ouais.

 

M. Thielen :           Ok. Alors on ne va rien dire à propos de ça? On ne va en parler à personne?

 

                    M. Bradshaw :      Je ne m’en fais pas, à vrai dire. [Je souligne.]

(d.a., vol. XII, p. 55‑56)

(ii)      La conversation du 23 juillet 2010

[145]                      La deuxième conversation a eu lieu au parc Bothwell deux jours plus tard, le 23 juillet 2010. Des agents banalisés se faisant passer pour des membres d’une organisation criminelle ont encore une fois demandé à M. Thielen de discuter des meurtres avec M. Bradshaw, particulièrement d’un essai à blanc qui a précédé le meurtre de M. Bontkes. Lors de cet essai, Mme Motola est passée prendre M. Bontkes et l’a amené faire une promenade en voiture, pendant que M. Bradshaw faisait semblant d’être inconscient sur la banquette arrière et que M. Thielen était caché par terre sous un manteau devant la banquette arrière avec une arme à feu. Le projet de tuer M. Bontkes à cette occasion a échoué parce que, comme l’a dit M. Bradshaw : [traduction] « C’était ma faute parce que j’étais supposé l’attacher pis après t’étais censé lui donner la chienne. [. . .] Et je ne l’ai pas fait » (la « chienne » étant l’arme à feu en leur possession à ce moment‑là) (d.a., vol. XII, p. 76).

[146]                      Comme cette conversation porte davantage sur la tentative de meurtre de M. Bontkes, elle est moins convaincante que la conversation à l’hôtel pour corroborer la participation de M. Bradshaw aux meurtres eux‑mêmes. Quoi qu’il en soit, la participation, admise par M. Bradshaw, à la tentative indique amplement son motif pour le meurtre de M. Bontkes. De plus, M. Bradshaw a fait référence aux meurtres mêmes, en parlant de l’enquête policière en cours et en supposant que si les policiers possédaient des éléments de preuve, ils auraient déjà agi :

                    [traduction]

 

M. Thielen :           Alors, j’essaie juste, j’essaie de me rappeler de tout, parce que j’étais tellement drogué dans le temps, je suis tout embrouillé, mon gars. Je pensais que j’étais‑

 

                    M. Bradshaw :      Encore mieux.

 

                    M. Thielen :           Non, c’est pas encore mieux, parce que je‑

 

                    M. Bradshaw :      Pourquoi?

 

M. Thielen :                       ‑Je repasse les événements . . . j’essaie de comprendre ce qui doit être réglé. Pour pas qu’on se fasse prendre, tu comprends.

 

M. Bradshaw :      Tu pourrais passer un polygraphe là‑dessus sans problème. Si tu sais pas . . .

 

M. Thielen :                       Oui, je passerais jamais, je passerais jamais un polygraphe de ma vie, évidemment, je uh, j’essaie juste de comprendre ce qui manque et ce qu’on pourrait prouver contre nous, tu sais, pour qu’on‑

 

M. Bradshaw :      Honnêtement, comme j’ai dit, en autant que . . . Je pense que le, pour le reste, il n’y a absolument rien. Je pense que s’il restait quelque chose, ça aurait déjà été fait immédiatement. Ils n’auraient pas attendu si longtemps, ils battent le tambour, c’est tout ce qu’ils font. [Je souligne.]

(d.a., vol. XII, p. 80)

[147]                      M. Bradshaw a ajouté plus tard que personne n’aurait vu Mme Motola passer prendre M. Bontkes avant le meurtre et que les seuls témoins qui auraient pu les voir la nuit du meurtre de M. Bontkes étaient les membres d’une équipe de construction devant laquelle ils sont passés après le meurtre :

                    [traduction]

 

M. Bradshaw :      Et quand elle est allée le voir, il y avait juste elle et ensuite toi, alors . . . personne d’autre n’a été témoin, la seule autre chose, les seules personnes qui nous ont vus ensemble étaient les membres de l’équipe de construction.

 

                    M. Thielen :           Quelle équipe de construction?

 

M. Bradshaw :      L’équipe de construction . . . tu t’en souviens? T’es allé au sud sur la 192, jusqu’à la 32.

 

                    M. Thielen :           Et y’avait une équipe de construction là?

 

M. Bradshaw :      Y’avait un travailleur de la construction sur la 32. On a traversé la 32, on a pris la 176 puis la voiture s’est arrêtée. Tu t’en souviens?

 

                    M. Thielen :           Ce jour‑là?

 

                    M. Bradshaw :      . . . c’était cette nuit‑là.

 

M. Thielen :           Non, ça c’était la nuit où tout s’est passé. On est partis puis . . . appel . . . quelqu’un . . . sources . . . tant pis. Hum . . .

 

M. Bradshaw :      Personnellement, je pense, comme j’ai dit, je pense qu’on est bien corrects. Tu sais, si je vous avais pas connu à ce moment‑là, tu sais, on s’est rencontrés au bar et on s’est parlé environ un mois plus tard, peu importe. Tu sais, tout le monde est pas mal confus . . . personne ne sait pour sûr. C’est ce que je dis. (Petits rires) Tu sais, surtout avec elle. [Je souligne.]

(d.a., vol. XII, p. 82)

De toute évidence, « elle » fait référence à Mme Motola — qui était également présente lors du meurtre de M. Bontkes — alors que les deux ont ensuite discuté de la façon dont les policiers l’avaient abordée. L’enquête policière a également confirmé qu’une équipe de construction travaillait dans le secteur au moment des faits.

[148]                      À la lecture de ces deux conversations dans leur intégralité, il ne fait aucun doute que MM. Thielen et Bradshaw discutaient implicitement, et parfois ouvertement, de leur participation conjointe aux deux meurtres. Il s’agit là d’une preuve corroborante convaincante qui renforce de manière significative la fiabilité substantielle de la reconstitution en atténuant les préoccupations au sujet de la sincérité de M. Thielen.

[149]                      Pour ma collègue, cependant, ces conversations ne sont « d’aucune utilité » pour établir la fiabilité substantielle (par. 84) — une proposition remarquable que personne n’a fait valoir devant les tribunaux inférieurs ou devant notre Cour. Selon elle, la sincérité de M. Thielen n’est pas la seule explication plausible de ces conversations — une conclusion qui repose clairement sur le fait que ma collègue remet en question l’appréciation factuelle des conversations par le juge du procès et qu’elle spécule au sujet d’une « influence extérieure » qui serait une « explication possible » pour ces conversations (par. 84).

[150]                      Ma collègue fait deux observations à cet égard. Premièrement, elle soutient que le juge du procès n’a pas tenu compte du fait que les déclarations de M. Bradshaw étaient moins fiables parce qu’elles ont été « recueillies dans le cadre d’une opération Monsieur Big » (par. 78). À mon avis, il n’est pas juste de les qualifier de déclarations « issues d’une opération Monsieur Big ». M. Bradshaw n’était pas l’objet de l’opération Monsieur Big. Il croyait parler à un complice, et non à un membre d’une organisation criminelle dans des circonstances faisant intervenir le genre d’incitatifs ou de menaces implicites qui caractérisent les opérations Monsieur Big : Hart, par. 5 et 58‑60. Par conséquent, les raisons justifiant que l’on fasse preuve d’une plus grande prudence à l’égard des aveux issus d’une opération Monsieur Big ne s’appliquent tout simplement pas. Au contraire, je suis d’accord avec le juge du procès pour dire que le fait que ces conversations aient été enregistrées furtivement alors que MM. Thielen et Bradshaw croyaient tous deux qu’ils discutaient en privé des détails des meurtres, à titre de complices, renforce de manière significative leur fiabilité (décision relative au voir‑dire no 1, 2012 BCSC 2025, par. 44 (CanLII)). Tout motif que M. Bradshaw aurait pu avoir pour mentir sur son implication dans ces circonstances tient de la fantaisie.

[151]                      Deuxièmement, ma collègue se dit préoccupée par le fait que « la première partie [les huit premières minutes] de la conversation à l’hôtel Best Western était inaudible parce que MM. Thielen et Bradshaw se trouvaient dans la salle de bain et que l’eau du robinet coulait » (par. 80). Selon elle, cela soulève des questions concernant le caractère digne de foi de l’enregistrement.

[152]                      Je ne suis pas d’accord. Ni l’un ni l’autre ne savaient qu’ils étaient enregistrés. C’est forcer les limites de la crédulité et du bon sens de penser que cette première partie de la conversation pourrait réfuter les aveux incriminants faits par M. Bradshaw dans la partie audible de la conversation. Je ne saisis pas comment on pourrait déduire que durant ces huit minutes, M. Bradshaw puisse avoir été influencé et préparé à mentir en racontant sa participation aux deux meurtres. Il appert clairement de la transcription que parfois, M. Bradshaw menait la conversation et détaillait volontairement les meurtres sans que M. Thielen l’incite à le faire. Contrairement à ma collègue, je ne crois pas qu’il convienne de tenir compte du témoignage de M. Bradshaw au procès — selon lequel, durant ces huit minutes, M. Thielen lui a demandé de faire semblant qu’il avait participé aux meurtres — dans l’appréciation de la fiabilité substantielle de la reconstitution. M. Bradshaw a témoigné après l’admission en preuve de la reconstitution et, par conséquent, le juge du procès ne disposait pas du témoignage de M. Bradshaw au moment où il a rendu sa décision. De plus, le jury a clairement rejeté le témoignage de M. Bradshaw selon lequel il aurait menti au sujet de sa participation aux meurtres à la demande de M. Thielen.

[153]                      Si l’on ne peut pas dire que ces conversations corroborent la fiabilité substantielle d’une déclaration relatée, je ne sais vraiment pas ce qui pourrait le faire. Même sur le fondement du critère restrictif de ma collègue, ces conversations constituent clairement une preuve corroborante. La seule explication plausible des aveux de M. Bradshaw — et certainement la « seule explication probable » — était qu’il avait participé aux deux meurtres. Il s’ensuit, à mon avis, que le juge du procès n’a pas commis d’erreur en considérant que les aveux de M. Bradshaw corroboraient fortement la véracité de la reconstitution faite par M. Thielen.

b)       Les éléments de preuve circonstancielle impliquant M. Bradshaw dans les meurtres

[154]                      Le ministère public a également produit des éléments de preuve circonstancielle impliquant M. Bradshaw dans les meurtres.

[155]                      En effet, il existe des relevés téléphoniques qui relient M. Bradshaw aux deux meurtres durant les nuits en question. Ces relevés démontrent que M. Bradshaw et Mme Lamoureux se sont téléphoné plusieurs fois la nuit où elle a été assassinée. Plusieurs de ces appels ont eu lieu immédiatement avant le meurtre. Cela corrobore le récit de M. Thielen selon lequel M. Bradshaw aurait tendu un piège à Mme Lamoureux au moyen d’une transaction de drogues avant que M. Thielen ne l’abatte.

[156]                      De même, la nuit où M. Bontkes a été assassiné, les relevés téléphoniques montrent plusieurs appels entre MM. Bradshaw et Thielen, entre M. Thielen et Mme Motola et entre Mme Motola et M. Bontkes — qui a été le dernier appel enregistré sur le téléphone cellulaire de M. Bontkes. Ces appels concordent avec le récit de M. Thielen selon lequel tous les trois ont participé au meurtre.

c)       Les éléments de preuve médicolégaux recueillis lors de l’enquête sur les lieux des crimes

[157]                      À mon sens, les éléments de preuve médicolégaux recueillis lors de l’enquête sur les lieux des crimes, qui corroborent les détails de la description des meurtres faite par M. Thielen, appuient eux aussi le caractère digne de foi de la reconstitution. Le juge du procès a signalé que les éléments de preuve médicolégaux comprenaient : [traduction] « . . . l’endroit où la fusillade a eu lieu et la façon dont elle s’est déroulée, le nombre de coups de feu tirés, le fait que la même arme à feu a été utilisée, la position des corps de Mme Lamoureux et de M. Bontkes, la présence de la fourgonnette au parc High Knoll et l’endroit où elle était située . . . » (décision relative au voir‑dire no 1, par. 45).

[158]                      Ces éléments de preuve répondent aux préoccupations soulevées par l’avocat de la défense quant à la mémoire et à la perception. Ils atténuent le risque que la consommation de drogue de M. Thielen ou le passage du temps aient rendu sa version inexacte.

[159]                      À mon avis, ces éléments de preuve portaient également sur la sincérité de M. Thielen dans son ensemble. L’évaluation de la sincérité du déclarant dans une déclaration relatée, tout comme l’évaluation de la crédibilité d’un témoin, ne constitue pas un exercice mathématique. La preuve extrinsèque qui corrobore ou contredit le contenu d’une déclaration a une incidence sur la fiabilité globale de la déclaration. Si les détails du récit de M. Thielen étaient démentis par la preuve médicolégale, cela fournirait une raison supplémentaire de douter de sa sincérité. Par contre, la corroboration des détails de son récit par la preuve médicolégale renforce la fiabilité substantielle de la reconstitution.

[160]                      Je reconnais que compte tenu de la qualité de complice de M. Thielen, la preuve médicolégale n’est pas aussi convaincante en l’espèce que la preuve corroborante qui a impliqué directement M. Bradshaw dans les meurtres : voir Youvarajah, par. 62; R. c. Smith, 2009 CSC 5, [2009] 1 R.C.S. 146, par. 15. Toutefois, je suis d’accord avec l’avocat de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association pour dire que cette preuve médicolégale est pertinente et ne devrait pas être écartée.

(2)     Les circonstances de la reconstitution

[161]                      Hormis la preuve corroborante convaincante, d’autres caractéristiques de la reconstitution renforcent sa fiabilité substantielle. La déclaration était volontaire et détaillée, et M. Thielen a reçu des conseils juridiques avant de la faire. Elle a également été rendue dans une narration fluide, sans questions suggestives de la part des policiers (décision relative au voir‑dire no 1, par. 40‑41). Bien que M. Thielen n’était pas assermenté, il a fait sa déclaration à des policiers alors qu’il se trouvait en état d’arrestation dans des circonstances qui, considérées objectivement, auraient souligné l’importance de dire la vérité : B. (K.G.), p. 792; R. c. Adjei, 2013 ONCA 512, 309 O.A.C. 328, par. 45.

[162]                      De plus, il était important d’examiner les motifs qui ont poussé M. Thielen à participer à la reconstitution avec les policiers en raison des préoccupations concernant sa sincérité. Comme l’a reconnu notre Cour au par. 42 de l’arrêt Blackman :

                        Le fait que le déclarant ait ou non un motif pour mentir est sans aucun doute une considération pertinente pour déterminer si les circonstances des déclarations sont suffisamment rassurantes quant à leur véracité et leur exactitude pour que celles‑ci soient admises. Il importe toutefois de ne pas perdre de vue que l’existence d’un motif n’est qu’un des facteurs à considérer dans la détermination du seuil de fiabilité, quoique, selon les circonstances, il puisse être important. Lors de l’examen de l’admissibilité, il faut dans tous les cas se concentrer non pas sur la présence ou l’absence de motif, mais sur les dangers particuliers que présente la preuve par ouï‑dire. [Je souligne.]

[163]                      À mon sens, le fait que la reconstitution de M. Thielen allait contre ses propres intérêts est important à cet égard. Elle l’impliquait directement dans les deux meurtres et pouvait servir à l’incriminer. Elle impliquait également Mme Motola, qu’il considérait comme une « sœur ». De plus, il savait que, en reconstituant les deux meurtres pour les policiers, il s’exposait à un danger dans le système carcéral : [traduction] « . . . ce qu’on me demande de faire là c’est de faire le pas le plus important de ma vie et de faire tomber plein de gens et vous savez aussi que ça va mettre ma vie en danger pour le reste de mes jours » (d.a., vol. XV, p. 169). L’improbabilité que M. Thielen fasse volontairement une fausse déclaration préjudiciable à ses propres intérêts renforce l’idée que la reconstitution est digne de foi.

[164]                      Ma collègue adopte un point de vue différent quant aux motifs qui ont conduit M. Thielen à reconstituer les meurtres. Elle affirme que la déclaration de M. Thielen n’était pas réellement faite contre ses intérêts puisqu’il s’était déjà incriminé dans ses déclarations à la police et dans l’opération Monsieur Big. Elle est également d’avis que M. Thielen avait « une bonne raison de mentir » pour bénéficier « d’une responsabilité criminelle moindre », citant le fait qu’il a plaidé coupable à deux accusations de meurtre au second degré (par. 92).

[165]                      Je ne puis accepter ces deux affirmations. Premièrement, le fait que M. Thielen avait déjà avoué aux policiers sa participation aux deux meurtres ne change rien au fait que la reconstitution a été faite à l’encontre de ses intérêts. Les policiers voulaient manifestement recueillir le plus de renseignements possible de la part de M. Thielen, et la reconstitution fournissait une preuve détaillée et convaincante qui pouvait être utilisée contre lui.

[166]                      Deuxièmement, la supposition selon laquelle M. Thielen sollicitait la clémence est purement hypothétique. Rien n’indique que les policiers lui auraient promis des incitatifs ou des garanties avant qu’il ne fasse la reconstitution. En fait, les policiers ont rejeté les demandes de M. Thielen en vue de voir sa petite amie, de changer de nom et d’être incarcéré dans une prison éloignée. Le fait que M. Thielen ait ultimement plaidé coupable de meurtre au second degré ne diminue en rien la fiabilité de sa déclaration antérieure. Nous ne disposons d’aucun renseignement donnant à penser que l’offre d’un plaidoyer de culpabilité ait eu quoi que ce soit à voir avec sa participation à la reconstitution. En fait, nous ne savons pas si M. Bradshaw s’est vu offrir la même occasion de plaider coupable avant son procès.

[167]                      En outre, les faits contredisent la thèse selon laquelle M. Thielen a inventé l’implication de M. Bradshaw pour se soustraire à la responsabilité des meurtres. M. Thielen n’a pas minimisé son propre rôle dans les meurtres et n’a pas non plus transféré à M. Bradshaw la responsabilité principale pour le meurtre de Mme Lamoureux. Il a plutôt admis avoir tiré sur la gâchette lui‑même. De plus, à mon sens, la déclaration antérieure que M. Thielen a faite à Monsieur Big le 21 juillet 2010, dans laquelle il a impliqué M. Bradshaw dans les meurtres, réfute tout motif qui aurait pu pousser M. Thielen à inventer la participation de M. Bradshaw durant la reconstitution. M. Thielen n’avait aucune raison de mentir à Monsieur Big au sujet de la participation de M. Bradshaw. En fait, il était contre l’intérêt de M. Thielen d’impliquer M. Bradshaw lorsqu’il parlait à Monsieur Big. À ce moment‑là, M. Thielen croyait qu’il risquait d’être rejeté par l’organisation en raison de l’enquête policière en cours. Impliquer une autre personne dans les meurtres ne pouvait qu’accroître ce risque, puisque cela aurait pu compliquer les choses davantage pour Monsieur Big. Monsieur Big a souligné maintes fois que M. Thielen devait être honnête au sujet des meurtres pour conserver son rôle dans l’organisation, en lui disant notamment ce qui suit :

                    [traduction] . . . tu peux mentir à n’importe qui d’autre, mais je veux qu’on soit francs l’un envers l’autre. Puis les gars qui se font prendre à mentir ou qui veulent me tromper ne sont plus là. . .

 

. . .

                    . . . si je me rends compte à un moment donné que ce que tu me dis en ce moment est faux ou que c’est des conneries ou un mensonge, puis je suis pas en train de dire que c’en est [. . .] mais je veux juste être franc [. . .] je veux plus rien savoir de toi.

(d.a., vol. XVIII, p. 66 et 88‑89)

[168]                      Le fait que M. Thielen ait parlé à Monsieur Big de la participation de M. Bradshaw bien avant qu’il n’ait un quelconque motif d’inventer une histoire indique qu’il disait la vérité lorsqu’il a reconstitué les deux meurtres pour les policiers : voir R. c. Stirling, 2008 CSC 10, [2008] 1 R.C.S. 272, par. 5; Couture, par. 83 et 127‑128; Goodstoney, par. 69‑71.

[169]                      En somme, la fiabilité substantielle de la reconstitution a été sensiblement renforcée par la combinaison des caractéristiques suivantes :

(1)        La preuve corroborante extrinsèque, y compris des conversations avec M. Bradshaw enregistrées furtivement, dans lesquelles il admet sa participation aux deux meurtres; la preuve circonstancielle impliquant M. Bradshaw dans les meurtres; et des éléments de preuve médicolégaux recueillis sur les lieux des crimes qui confirment la description des meurtres relatée en détail par M. Thielen.

(2)        Des indices circonstanciels de fiabilité, y compris le fait que la reconstitution a été faite volontairement et de façon fluide; qu’elle allait à l’encontre des intérêts de M. Thielen en ce qu’il n’a pas tenté de transférer la responsabilité des meurtres à M. Bradshaw mais qu’il s’est plutôt impliqué lui‑même dans deux chefs d’accusation de meurtre au premier degré; et le fait que le motif qui aurait poussé M. Thielen à inventer une histoire a été réfuté par la déclaration antérieure compatible faite à Monsieur Big.

C.      La fiabilité d’ordre procédural de la reconstitution

[170]                      Dans cette affaire, le jury disposait de plusieurs substituts aux garanties traditionnelles sur lesquelles on se fonde pour vérifier la preuve. Comme l’a reconnu ma collègue, le fait que la reconstitution ait été enregistrée sur bande vidéo assure une présentation exacte de la déclaration et permet au jury de mieux l’observer et l’évaluer. De plus, pour s’assurer que le jury soit en mesure d’apprécier et de pondérer la fiabilité de la déclaration relatée, le juge du procès a pris plusieurs mesures, notamment les suivantes : il a exigé du ministère public qu’il cite les agents qui étaient présents pendant la reconstitution et les déclarations antérieures incompatibles afin que l’avocat de la défense puisse les contre‑interroger sur toute incohérence et sur toute réduction de peine ou tout incitatif qu’ils auraient pu offrir à M. Thielen; il a admis de façon limitée les déclarations antérieures incompatibles faites par M. Thielen pour aider à évaluer sa crédibilité; et il a accordé à l’avocat de la défense une grande latitude pour exposer les motifs possibles de M. Thielen et pour contester la fiabilité en dernière analyse de la reconstitution dans ses observations finales.

[171]                      En outre, le juge du procès a fourni des mises en garde détaillées pour aider le jury à identifier et à évaluer les forces et les faiblesses de la reconstitution. Avant de montrer la vidéo de la reconstitution au jury durant le procès, le juge du procès lui a donné les directives suivantes :

                         [traduction] Cette preuve est une preuve par ouï‑dire, qui n’est habituellement pas admise en preuve dans une cour de justice. Elle n’est pas admise parce que la personne qui produit la preuve ne comparaît pas à la barre des témoins, ne témoigne pas et n’est pas soumise à un contre‑interrogatoire, un contre‑interrogatoire qui pourrait révéler des mensonges, des incohérences, un motif pour inventer une histoire, et ainsi de suite. Vous devrez donc juger du poids que vous allez accorder ultimement à la preuve que vous allez entendre ce matin.

 

                        Maintenant, cela est particulièrement important parce que dans le cas qui nous occupe, la personne qui offre ce témoignage fait l’objet d’un avertissement spécial, et je vais vous en parler davantage dans mes directives finales sur le droit. Vous avez entendu d’autres personnes témoigner que M. Thielen n’est pas seulement une personne à l’honnêteté douteuse, compte tenu de ses antécédents de drogues et de la culture de la drogue qui prévaut à Langley et à Surrey. Il a été décrit comme un homme de main. Il est certainement une personne à l’honnêteté douteuse à cet égard. Vous avez également entendu et vous entendrez -- je crois que vous avez entendu qu’il a plaidé coupable à l’accusation de meurtre au second degré de Mme Lamoureux et de M. Bontkes.

                        Vous vous souviendrez que, lorsque je vous ai donné quelques directives d’ouverture, j’ai énoncé quelques éléments dont vous devriez tenir compte lorsque vous décidez de croire ou non un témoin. En fait, vous devriez tenir compte de ces éléments lorsque vous évaluerez ce que M. Thielen va dire. Mais, de plus, je dois vous dire que vous devrez être extrêmement vigilants avant de prêter foi au témoignage de M. Thielen. Je dois vous avertir qu’il est dangereux de vous fonder sur ce seul témoignage. Il en est ainsi parce que M. Thielen a admis avoir participé à la perpétration de l’infraction. Je le répète, il a une réputation douteuse. Il a avoué un crime pour lequel il a plaidé coupable. Il se peut bien que M. Thielen avait quelque motif autre que la recherche de la vérité. Vous devrez tenir compte de tous ces éléments. [Je souligne.]

(d.a., vol. VIII, p. 2‑3)

[172]                      Dans l’exposé au jury à la fin du procès, le juge du procès a maintes fois expliqué en profondeur aux jurés qu’ils devaient faire preuve de prudence en examinant la reconstitution de M. Thielen. Il leur a également fourni, sur la façon de l’évaluer, des directives reproduites dans les extraits clés suivants :

                    [traduction] Comme je l’ai expliqué durant le procès, cette preuve [la reconstitution faite par M. Thielen] vous a été présentée sans que vous puissiez bénéficier du contre‑interrogatoire, soit la façon habituelle de vérifier un témoignage, et vous devez donc être très prudents au moment de déterminer la fiabilité de cette preuve.

 

. . .

                        En l’espèce, M. McMurray n’a pas été en mesure de contre‑interroger M. Thielen sur ce qu’il a dit ou fait dans la reconstitution. Il n’a pas été en mesure de vérifier la mémoire de M. Thielen, sa crédibilité et les motifs qui l’ont poussé à dire et à faire telles ou telles choses durant la reconstitution. Vous n’avez pas eu l’occasion d’observer le comportement de M. Thielen à la barre des témoins lorsqu’il a rendu ce témoignage.

                        De plus, les déclarations que M. Thielen a faites à [l’agent D.] n’ont pas été faites sous serment. Par conséquent, vous ne devriez pas mettre la déclaration de M. Thielen sur le même pied d’égalité que la déclaration d’un témoin qui témoigne sous serment dans la salle d’audience. Vous devriez traiter la déclaration extrajudiciaire de M. Thielen avec un soin particulier et, après en avoir tenu compte avec l’ensemble de la preuve en l’espèce, lui accorder le poids qu’elle mérite, selon vous.

. . .

                        . . . De plus, je dois toutefois vous avertir que vous devriez être extrêmement prudents avant de prêter foi à son témoignage ou à une partie de celui‑ci. Il est dangereux pour vous de vous fonder sur son seul témoignage. Il existe plusieurs raisons pour lesquelles vous pouvez douter de la fiabilité de son témoignage : M. Thielen a admis avoir participé à la perpétration des deux infractions pour lesquelles M. Bradshaw est accusé. Il s’est reconnu coupable des meurtres au second degré de Mme Lamoureux et de M. Bontkes.

                        M. Thielen a admis avoir de nombreux antécédents criminels, y compris la tentative de meurtre de M. Sigurdson. Il a une réputation douteuse. Il a fait des déclarations antérieures incompatibles, soit particulièrement dans sa déclaration [au caporal G.] le 18 mars, lorsqu’il a affirmé qu’il n’avait pas vu Mme Lamoureux depuis deux mois, puis à [l’agent B.] lorsqu’ils sont allés d’Edmonton à Calgary. M. Thielen pourrait avoir donné son témoignage pour quelque motif autre que la recherche de la vérité.

                        Le dernier motif, et le plus important, est que, bien entendu, le témoignage de M. Thielen n’a pas été vérifié en contre‑interrogatoire. Une personne ayant participé à la perpétration d’une infraction serait particulièrement bien placée pour inventer une histoire qui implique faussement l’accusé. Tout ce que cette personne aurait besoin de faire est de raconter une histoire vraie qui pourrait être confirmée facilement, et y ajouter une fausse allégation selon laquelle l’accusé était aussi un participant.

. . .

                        . . . Dans cette affaire, M. Thielen a fait à la police des déclarations qui tendent à démontrer que M. Bradshaw a été impliqué dans la perpétration des infractions que vous jugez. Vous devriez traiter ces déclarations avec une prudence particulière, car M. Thielen cherchait peut‑être bien plus à se protéger qu’à dire la vérité. [Je souligne.]

(d.a., vol. I, p. 73, 82-83, 85‑86 et 96)

[173]                      À mon avis, la possibilité d’observer M. Thielen dans la vidéo de la reconstitution et les nombreuses garanties procédurales adoptées par le juge du procès, y compris ces directives, ont permis au jury de repérer et d’évaluer d’un œil critique chacune des faiblesses de la reconstitution que signale ma collègue. Supposer que le jury était incapable de suivre ces directives et d’apprécier les faiblesses de cette preuve trahit la confiance que notre système de justice accorde depuis longtemps aux jurés. Dans l’arrêt R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670, la Cour a souligné l’importance de « s’en remettre au bon sens des jurés » pour déterminer les éléments de preuve dont ils peuvent tenir compte (p. 691). Ce point a été énoncé succinctement par le juge Donald dans l’arrêt R. c. Carroll, 1999 BCCA 65, 118 B.C.A.C. 219, par. 41 :

                        [traduction] Les jurés sont souvent appelés à conclure à l’existence de faits à partir d’un mélange d’éléments de preuve. Dans le cadre d’un contre‑interrogatoire, il n’est pas rare de recourir à des déclarations antérieures de toutes sortes : des déclarations à la police, un témoignage donné dans un procès antérieur, lors d’une enquête du coroner ou d’une enquête préliminaire. Nous devons avoir confiance en la capacité des jurés d’exercer leur bon sens lorsqu’ils examinent la preuve et de suivre les directives que leur donne le juge du procès. [Je souligne.]

[174]                      Je partage le sentiment exprimé par la juge L’Heureux‑Dubé, dissidente dans l’arrêt R. c. Noël, 2002 CSC 67, [2002] 3 R.C.S. 433, par. 145, selon lequel les tribunaux devraient avoir confiance en la capacité des jurés de faire bon usage de la preuve admissible, car le contraire risque de « dévaloris[er] le jury, car on insinue que celui‑ci est incapable de se servir à bon escient [de la preuve]. La confiance dont nous témoignons à l’égard du système du jury s’avère illusoire si on permet qu’une telle attitude triomphe. »

D.      Mise en balance finale

[175]                      Dans le cas qui nous occupe, je suis convaincu, comme le juge du procès, que la reconstitution satisfaisait au critère du seuil de fiabilité sur le fondement de caractéristiques solides de fiabilité substantielle, que complétaient des caractéristiques suffisantes de fiabilité d’ordre procédural. Le juge du procès était particulièrement bien placé pour rendre cette décision. Et, contrairement à ce qu’affirme ma collègue, son analyse ne révèle aucune erreur de droit. En conséquence, sa décision commande la déférence.

[176]                      Dans l’arrêt Youvarajah, la juge Karakatsanis a expliqué le fondement de cette déférence (par. 31) :

                        L’admissibilité d’une preuve par ouï-dire, en l’occurrence la déclaration antérieure incompatible, est une question de droit. Évidemment, les conclusions de fait ayant mené à la décision commandent la déférence et ne sont pas remises en question en l’espèce. De même, le juge du procès est bien placé pour apprécier les dangers associés au ouï‑dire dans une affaire donnée et l’efficacité des garanties permettant de les écarter. Par conséquent, en l’absence d’une erreur de principe de la part du juge du procès, il faut faire preuve de retenue à l’égard de sa conclusion quant au seuil de fiabilité : [Couture], par. 81. [Je souligne.]

[177]                      Dans l’arrêt Blackman, la juge Charron a fait une observation similaire (par. 36) :

                        Le juge du procès est bien placé pour déterminer dans quelle mesure les dangers du ouï‑dire sont préoccupants dans une affaire donnée et s’ils peuvent être suffisamment atténués. Par conséquent, il faut faire preuve de déférence à l’égard du juge de première instance si sa décision sur l’admissibilité se fonde sur les principes juridiques pertinents.

[178]                      Finalement, le juge du procès a pris une décision difficile dans une affaire difficile à trancher. Il faut souligner qu’il était le mieux placé pour prendre cette décision en se fondant sur son évaluation du caractère digne de foi de la preuve et sur la capacité du jury de l’évaluer. Contrairement à ce qu’affirme ma collègue, les motifs sur lesquels s’est fondé le juge du procès pour admettre la reconstitution étaient exempts d’erreur et, comme je me suis efforcé de le démontrer, ils étaient bien étayés par le dossier. En effet, il a appliqué l’approche fonctionnelle maintes fois entérinée par la Cour.

[179]                      Je souscris aux commentaires de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. S. (S.), 2008 ONCA 140, 232 C.C.C. (3d) 158, par. 29‑30 :

                    [traduction] Le juge du procès ne peut consulter des règles semblables à des formules mathématiques pour savoir quel poids il devrait accorder à chacun des facteurs. L’évaluation est fonction de l’affaire. Chaque juge va raisonnablement accorder plus ou moins de poids à chacun des facteurs précis dans une affaire donnée.

 

                        Dans la mesure où le juge du procès a examiné les facteurs se rapportant à la fiabilité de la déclaration relatée, ne s’est pas fondé sur une mauvaise interprétation de la preuve se rapportant à ces facteurs et a fait une appréciation raisonnable du poids à accorder à ces facteurs, notre Cour ne devrait pas refaire le processus de mise en balance, mais devrait plutôt s’en remettre à l’appréciation de ces facteurs déjà effectuée par le juge du procès. [Je souligne.]

[180]                      Soit dit en tout respect, j’estime que, n’ayant pas bénéficié du contexte du procès, la Cour n’a pas à reconsidérer le jugement exercé raisonnablement par le juge du procès. Ce faisant, la Cour trahirait tant la déférence à l’égard du juge du procès que la confiance que l’on accorde en la capacité des jurés de suivre les directives et de faire preuve de bon sens et de jugement lorsqu’ils évaluent la preuve. Par conséquent, je suis d’avis de confirmer la décision du juge du procès d’admettre la reconstitution.

IV.     Application à la déclaration du 15 mai 2010

[181]                      Comme j’ai conclu que la reconstitution était admissible, je dois maintenant examiner l’argument subsidiaire de M. Bradshaw selon lequel le juge du procès a commis une erreur en refusant d’admettre pour établir la véracité de son contenu une déclaration antérieure que M. Thielen a faite le 15 mai 2010.

[182]                      Cette déclaration, survenue durant un voyage en voiture d’Edmonton à Calgary, a été faite par M. Thielen à un agent banalisé dans le cadre de l’opération Monsieur Big. Leur conversation dans la voiture était enregistrée sur bande audio. Durant le voyage, M. Thielen a dit à l’agent banalisé qu’il avait tué Mme Lamoureux seul et qu’il avait tué M. Bontkes avec l’aide de Mme Motola. Il n’a jamais parlé d’une quelconque participation de M. Bradshaw.

[183]                      La déclaration du 15 mai 2010 comporte les mêmes dangers associés au ouï‑dire que la reconstitution. Toutefois, comme je l’expliquerai, cette déclaration présente certaines caractéristiques distinctives qui accentuent ses faiblesses et qui appuient la décision du juge du procès de refuser de l’admettre pour établir la véracité de son contenu.

[184]                      Premièrement, il importe de souligner que cette déclaration n’a pas été enregistrée sur bande vidéo. Ainsi, le jury ne peut observer le comportement de M. Thielen et est moins en mesure d’évaluer sa crédibilité.

[185]                      Deuxièmement, les motifs de M. Thielen étaient totalement différents dans ce contexte. Il était fortement incité à exagérer son implication personnelle dans les meurtres et sa responsabilité afin d’impressionner son partenaire fictif dans le monde interlope : Hart, par. 68‑69. De plus, la déclaration ne peut être considérée comme allant à l’encontre de ses intérêts parce que M. Thielen a admis sa participation à un associé, et non à la police. Contrairement à la reconstitution, ces circonstances de la déclaration du 15 mai 2010 jettent un doute sur la sincérité de M. Thielen.

[186]                      Troisièmement, cette déclaration du 15 mai 2010 a été fortement démentie par des éléments de preuve extrinsèques qui donnent à penser qu’elle n’était pas digne de foi. Par exemple, M. Thielen a affirmé qu’après avoir tiré sur M. Bontkes à la tête et au corps, Mme Motola l’a tiré une autre fois dans l’aine. Cette version des faits a été directement contredite par des éléments de preuve médicolégaux démontrant que M. Bontkes n’avait pas reçu de coup de feu dans l’aine. Le fait que M. Thielen n’ait pas parlé de M. Bradshaw est aussi directement contredit par les propres aveux de M. Bradshaw relativement à son implication dans les conversations enregistrées qu’il a eues avec M. Thielen, mentionnées précédemment.

[187]                      Le juge du procès a tenu compte des facteurs pertinents et a appliqué le bon critère pour conclure que cette déclaration était inadmissible pour établir la véracité de son contenu. Comme je l’ai indiqué, sa décision commande la déférence. En conséquence, je ne la modifierais pas. Je le dis tout en sachant que le juge du procès peut assouplir les règles de preuve relativement au ouï‑dire présenté par l’accusé afin d’éviter une erreur judiciaire : R. c. Post, 2007 BCCA 123, 217 C.C.C. (3d) 225, par. 89‑90; R. c. Tash, 2013 ONCA 380, 306 O.A.C. 173, par. 89; R. c. Kimberley (2001), 56 O.R. (3d) 18 (C.A.), par. 80. En acceptant ce principe, je note que cette déclaration a été présentée au jury à titre de déclaration antérieure incompatible afin d’évaluer la crédibilité de M. Thielen dans la reconstitution. En fait, l’avocat de la défense a mentionné cette déclaration dans son exposé final et a indiqué au jury qu’elle était vraie. Par conséquent, même si le juge du procès a effectivement commis une erreur en refusant de l’admettre pour établir la véracité de son contenu, je ne crois pas que cette erreur a causé un préjudice important ou a donné lieu à une erreur judiciaire qui justifierait une intervention en appel.

V.      Conclusion

[188]                      Pour ces motifs, je conclus que le juge du procès n’a pas commis d’erreur en admettant la reconstitution faite par M. Thielen et en refusant d’admettre la déclaration du 15 mai 2010 pour établir la véracité de son contenu. J’estime en tout respect qu’il n’existe aucune raison d’ordonner la tenue d’un nouveau procès en l’espèce. M. Bradshaw a eu droit à un procès équitable devant un jury qui avait reçu des directives appropriées et qui était bien placé pour apprécier d’un œil critique la fiabilité de la reconstitution. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir les deux déclarations de culpabilité de M. Bradshaw pour meurtre au premier degré.

                    Pourvoi rejeté, les juges Moldaver et Côté sont dissidents.

                    Procureur de l’appelante : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Vancouver.

                    Procureurs de l’intimé : Fowler and Smith Law, Vancouver.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

                    Procureurs de l’intervenante British Columbia Civil Liberties Association : Hunter Litigation Chambers, Vancouver.

                    Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario : Louis P. Strezos & Associate, Toronto; Henein Hutchison, Toronto.



[1]   Cette règle a été critiquée parce que jugée antithétique à la nature flexible de l’exception raisonnée à la règle du ouï-dire (H. Stewart, « Khelawon : The Principled Approach to Hearsay Revisited » (2008), 12 Rev. can. D.P. 95, p. 105) et parce qu’elle donnait lieu à l’exclusion de déclarations relatées manifestement fiables (S. Akhtar, « Hearsay : The Denial of Confirmation » (2005), 26 C.R. (6th) 46).

[2]   Il est particulièrement important de s’assurer que la preuve corroborante porte sur la véracité ou l’exactitude des aspects importants de la déclaration relatée lorsque celle-ci est longue. En l’espèce, par exemple, une transcription de 200 pages de la vidéo de la reconstitution a été remise au jury. Si le juge du procès était autorisé à tenir compte d’éléments de preuve qui corroborent toute partie de cette déclaration lorsqu’il apprécie son admissibilité, le voir‑dire pourrait devenir un procès à l’intérieur d’un procès (Blackman, par. 57).

[3]   Dans les présents motifs, la reconstitution relatée de M. Thielen renvoie aux démonstrations visuelles et aux déclarations verbales qu’il a faites dans la vidéo pour décrire les meurtres et les circonstances entourant ceux-ci.

[4]   Bien que cette norme soit manifestement élevée, elle n’exige pas que le juge du procès soit convaincu avec certitude de la véracité de la déclaration car, autrement, la distinction entre seuil de fiabilité et fiabilité en dernière analyse, que notre Cour a systématiquement maintenue, serait perdue (voir les par. 113‑116 ci‑après).

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