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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : R. c. Boutilier, 2017 CSC 64, [2017] 2 R.C.S. 936

Appel entendu : 23 mai 2017

Jugement rendu : 21 décembre 2017

Dossier : 37168

 

Entre :

Donald Joseph Boutilier

Appelant

 

et

 

Sa Majesté la Reine

Intimée

 

- et -

 

Procureur général du Canada, procureur général de l’Ontario, procureur général de la Saskatchewan, procureur général de l’Alberta, Criminal Lawyers’ Association of Ontario, Aboriginal Legal Services Inc. et Société d’aide juridique du Yukon

Intervenants

 

 

Traduction française officielle

 

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 89):

La juge Côté (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Moldaver, Wagner, Gascon, Brown et Rowe)

 

Motifs dissidents en partie : (par. 90 à 137):

 

La juge Karakatsanis

 

 

 


R. c. Boutilier, 2017 CSC 64, [2017] 2 R.C.S. 936

Donald Joseph Boutilier                                                                                  Appelant

c.

Sa Majesté la Reine                                                                                           Intimée

et

Procureur général du Canada,

procureur général de l’Ontario,

procureur général de la Saskatchewan,

procureur général de l’Alberta,

Criminal Lawyers’ Association of Ontario,

Aboriginal Legal Services Inc. et

Société d’aide juridique du Yukon                                                             Intervenants

Répertorié : R. c. Boutilier

2017 CSC 64

No du greffe : 37168.

2017 : 23 mai; 2017 : 21 décembre.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Justice fondamentale — Portée excessive — Détermination de la peine — Délinquant dangereux — Déclaration — Est‑il interdit au juge de la peine de prendre en considération les perspectives de traitement futur lorsqu’il décide s’il y a lieu ou non de déclarer un délinquant dangereux? — Dans l’affirmative, l’art. 753(1) a‑t‑il une portée excessive en contravention avec l’art. 7  de la Charte canadienne des droits et libertés ? — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 753(1) .

                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Justice fondamentale — Portée excessive — Peines cruelles et inusitées — Détermination de la peine — Délinquant dangereux — Sanction — Détention pour une période indéterminée — Principes régissant l’application de l’art. 753(4.1)  du Code criminel  — L’article 753(4.1) a‑t‑il une portée excessive en ce qu’il s’applique à des délinquants qui pourraient être surveillés dans le cadre du régime des délinquants à contrôler? — L’article 753(4.1) a‑t‑il pour effet d’entraîner une peine exagérément disproportionnée en imposant par présomption une peine de détention pour une période indéterminée et en empêchant le juge de la peine d’infliger une peine juste conforme aux principes et aux objectifs de la détermination de la peine du Code criminel ? — Charte canadienne des droits et libertés, art. 7  et 12 Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 753(4.1) .

                    Droit criminel — Détermination de la peine — Délinquant dangereux — Détention pour une période indéterminée — Accusé déclaré délinquant dangereux — Le juge de la peine a‑t‑il fait erreur en imposant une peine de détention pour une période indéterminée? — Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 753(4) , (4.1) .

                    B a plaidé coupable à six accusations criminelles portées à la suite d’un vol qualifié dans une pharmacie au moyen d’une fausse arme à feu, et de la poursuite automobile qui a suivi. La Couronne a demandé qu’il soit déclaré délinquant dangereux et qu’une peine de détention d’une durée indéterminée lui soit infligée. B a contesté la constitutionnalité des par. 753(1)  et (4.1)  du Code criminel  au regard des art. 7  et 12  de la Charte canadienne des droits et libertés .

                    Le paragraphe 753(1) énumère les conditions statutaires qui doivent être réunies pour qu’un tribunal puisse déclarer qu’un délinquant est un délinquant dangereux. Le paragraphe 753(4.1) porte sur la peine à infliger à un délinquant dangereux. Le régime des délinquants dangereux se veut un processus en deux étapes : l’étape de la déclaration et celle de la sanction. À l’étape de la déclaration, s’il est convaincu que les conditions énoncées au par. 753(1) sont réunies, le juge de la peine doit déclarer qu’un délinquant est un délinquant dangereux. À l’étape de la sanction, le juge de la peine doit, suivant le par. 753(4.1), infliger à un individu déclaré dangereux une peine de détention d’une durée indéterminée, sauf s’il est convaincu que l’on peut vraisemblablement s’attendre à ce que le fait d’infliger une mesure moins sévère protège de façon suffisante le public.

                    Le juge de la peine a accueilli en partie la demande de B, déclarant que seul le par. 753(1) était inconstitutionnel pour cause de portée excessive. Néanmoins, il a statué que B était un délinquant dangereux et lui a infligé une peine de détention pour une période indéterminée. La Cour d’appel a conclu que le juge de la peine avait fait erreur en concluant à la portée excessive du par. 753(1), mais elle a convenu avec lui que le par. 753(4.1) ne portait pas atteinte aux art. 7  et 12  de la Charte . Elle a rejeté l’appel formé par B à l’encontre de sa déclaration de délinquant dangereux et de sa peine de détention d’une durée indéterminée.

                    Arrêt (la juge Karakatsanis est dissidente en partie) : Le pourvoi est rejeté. 

                    La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe : Le paragraphe 753(1) n’empêche pas le juge de la peine de prendre en considération les perspectives de traitement futur avant de déclarer un délinquant dangereux et, par conséquent, il n’a pas une portée excessive au regard de l’art. 7  de la Charte . Pour obtenir une déclaration de dangerosité résultant d’un comportement violent, la Couronne doit démontrer hors de tout doute raisonnable notamment que le délinquant constitue un danger pour la vie, la sécurité ou le bien‑être physique ou mental de qui que ce soit. Avant de déclarer un délinquant dangereux, le juge de la peine doit être convaincu, sur le fondement de la preuve, que le délinquant présente un risque élevé de récidive préjudiciable et que sa conduite est irréductible. Une conduite irréductible s’entend d’un comportement que le délinquant est incapable de surmonter. Par ces deux conditions, le Parlement oblige le juge de la peine à procéder à une évaluation prospective de la dangerosité. Tous les éléments de preuve produits lors d’une audience quant au statut de délinquant dangereux doivent être pris en considération aux deux étapes — celle de la déclaration et celle de la sanction — de l’analyse qu’effectue le juge de la peine, bien que pour tirer des conclusions différentes se rapportant à des conditions statutaires différentes. À l’étape de la déclaration, la traitabilité guide la décision sur le danger que constitue un délinquant, alors qu’à l’étape de la sanction, elle aide à déterminer la peine appropriée pour permettre de gérer ce danger. Une évaluation prospective de la dangerosité fait en sorte que seuls les délinquants qui présentent un risque futur considérable sont déclarés dangereux et risquent de se voir infliger une peine de détention pour une période indéterminée. Une disposition qui impose une telle peine n’a donc pas une portée excessive si son application est soigneusement limitée aux repris de justice qui présentent un danger pour autrui.

                    Le paragraphe 753(4.1) n’a pas pour effet d’entraîner une peine exagérément disproportionnée, en contravention avec l’art. 12  de la Charte , en imposant par présomption une peine de détention pour une période indéterminée et en empêchant le juge de la peine d’infliger une peine juste. Interprété et appliqué comme il se doit, le par. 753(4.1) n’impose pas de fardeau de preuve, de présomption réfutable ou de sanction obligatoire. Il donne des indications sur la manière dont le juge de la peine peut exercer comme il se doit son pouvoir discrétionnaire en conformité avec les objectifs et les principes applicables en matière de détermination de la peine. Les principes de détermination de la peine et les directives obligatoires prévues aux art. 718  à 718.2  du Code criminel  s’appliquent à toute décision relative à la peine, qu’elle soit prise en vertu du régime ordinaire de détermination de la peine, du régime des délinquants dangereux ou de celui des délinquants à contrôler. Le Parlement a le droit de décider que la protection du public constitue un objectif accru de détermination de la peine pour les personnes qui sont déclarées dangereuses. Cela ne signifie pas que cet objectif opère à l’exclusion de tous les autres. La peine de détention pour une période indéterminée n’est qu’une option en matière de détermination de la peine parmi d’autres offertes au par. 753(4). Au lieu d’une peine de détention pour une période indéterminée, le juge peut imposer une peine qui est davantage proportionnée, qu’il s’agisse d’une peine minimale d’emprisonnement de deux ans suivie d’une surveillance de longue durée — ce qui équivaut à une peine de délinquant à contrôler — ou d’une peine suivant le régime ordinaire de détermination de la peine. Les différentes options en matière de détermination de la peine énoncées au par. 753(4) englobent donc l’éventail complet des peines envisagées par le Code criminel . Pour exercer comme il se doit le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le par. 753(4), le juge de la peine doit imposer la peine la moins contraignante possible pour réaliser l’objet principal du régime. Rien dans le texte du par. 753(4.1) n’élimine l’obligation incombant au juge de la peine de prendre en considération tous les principes de détermination de la peine afin de choisir une peine qui est juste dans le cas du délinquant en cause. La culpabilité morale du délinquant, la gravité de l’infraction, les facteurs atténuants et les principes établis pour les délinquants autochtones font chacun partie du processus de détermination de la peine dans le cadre du régime des délinquants dangereux. Chacune de ces considérations est pertinente lorsqu’il s’agit de décider si une peine moins sévère protégerait de façon suffisante le public.

                    Le paragraphe 753(4.1) n’a pas une portée excessive en contravention avec l’art. 7  de la Charte . Le paragraphe 753(1) limite à un groupe restreint de délinquants, dangereux per se, le risque de se voir imposer une peine de détention pour une période indéterminée en vertu des par. 753(4) et (4.1). Les conditions d’une déclaration de délinquant dangereux sont plus exigeantes que celles d’une déclaration de délinquant à contrôler. On ne peut donc pas dire que les deux régimes visent les mêmes délinquants. En outre, le par. 753(4.1) ne crée pas de présomption selon laquelle une peine de détention pour une période indéterminée constitue la peine appropriée — le juge de la peine est tenu de procéder à une analyse approfondie et de prendre en considération tous les éléments de preuve présentés à l’audience afin de déterminer la peine qui est la plus juste dans le cas du délinquant. Suivant le par. 753(4), la peine qui est infligée aux délinquants à contrôler peut aussi être infligée aux délinquants dangereux susceptibles d’être maîtrisés au sein de la collectivité de manière à protéger de façon suffisante le public contre la perpétration d’un meurtre ou d’une infraction qui constitue des sévices graves à la personne.

                    En l’espèce, bien que le juge de la peine ait commis une erreur de droit en ne prenant pas en considération les perspectives de traitement de B avant de déclarer celui‑ci délinquant dangereux, cette erreur n’a donné lieu à aucun tort important ni à aucune erreur judiciaire grave. Cette erreur de droit ne change rien à la conclusion du juge de la peine concernant la dangerosité de B. Le juge a conclu que la conduite de B était irréductible parce que les perspectives qu’il vainque ses dépendances — lesquelles sont à l’origine de sa dangerosité — n’étaient rien de plus qu’un vœu pieux. Le juge de la peine a expliqué que son analyse demeurerait inchangée même s’il prenait en considération les perspectives de traitement de B à l’étape de la déclaration. En l’absence de toute erreur de droit importante, une déclaration de délinquant dangereux est une question de fait. Le rôle du tribunal d’appel est donc de décider si la déclaration était raisonnable. Eu égard aux conclusions de fait tirées par le juge de la peine, la déclaration de délinquant dangereux prononcée contre B et l’imposition d’une peine de détention pour une période indéterminée ne peuvent être considérées comme déraisonnables.

                    La juge Karakatsanis (dissidente en partie) : Il y a accord avec les juges majoritaires pour dire que le par. 753(1)  du Code criminel  oblige le juge à prendre en considération les perspectives de traitement futur du délinquant et que cette disposition n’est donc pas inconstitutionnelle pour cause de portée excessive. Toutefois, le par. 753(4.1) doit être déclaré inopérant car il viole l’art. 12  de la Charte  et ne peut être justifié au regard de l’article premier. Il y a lieu d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience afin de déterminer la peine appropriée au titre du par. 753(4).

                    Parce qu’il exige que l’on mette l’accent uniquement sur la sécurité du public, le par. 753(4.1) impose une peine pour une période indéterminée dans les cas où celle‑ci est exagérément disproportionnée à la peine que commandent les principes de détermination de la peine énoncés dans le Code criminel  et l’objectif de protection du public que vise le régime des délinquants dangereux. L’étape de la déclaration obligatoire, qui vise un large groupe de délinquants, combinée au pouvoir discrétionnaire limité et structuré à l’étape de la sanction, a créé un contexte législatif qui ne permet pas de voir à ce que les délinquants n’écopent d’une peine de détention pour une période indéterminée que si cette peine est appropriée. Le régime des délinquants dangereux élimine tout pouvoir discrétionnaire du juge à l’étape de la déclaration de délinquant dangereux. Ainsi donc, le délinquant qui satisfait aux critères législatifs de la dangerosité doit être déclaré délinquant dangereux en application du par. 753(1). À l’étape de la sanction, le par. 753(4) confère au juge un vaste pouvoir discrétionnaire; toutefois, le par. 753(4.1) restreint considérablement ce pouvoir discrétionnaire — si l’on ne peut vraisemblablement s’attendre à ce que le public soit suffisamment protégé contre la perpétration d’une autre infraction qui constitue des sévices graves à la personne, le juge doit infliger une peine de détention pour une période indéterminée, même si cette peine est disproportionnée à la gravité de l’infraction sous‑jacente et au degré de responsabilité du délinquant. Le critère de la sécurité publique au par. 753(4.1) ne fait pas état de la proportionnalité. Le paragraphe 753(4.1) pourrait aussi fermer la porte à une peine qui respecte le principe de la modération car il crée une présomption en faveur d’une peine de détention pour une période indéterminée qui ne peut être réfutée qu’au moyen d’éléments mis en preuve lors de l’audition. Si aucune preuve relative à l’existence de programmes de surveillance dans la collectivité n’est produite, ou l’on ne sait pas si le délinquant répondra à un traitement, le par. 753(4.1) commande une détention pour une période indéterminée. Les vécus et les facteurs systémiques qui pourraient avoir contribué à amener le délinquant dangereux devant les tribunaux ne peuvent être pris en considération dans l’analyse fondée sur le par. 753(4.1).

                    La détention pour une période indéterminée est excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine dans les cas où le degré de responsabilité du délinquant et la gravité de l’infraction sous‑jacente se situent à l’extrémité inférieure du spectre, surtout lorsque d’autres mesures, notamment de longues peines d’emprisonnement assorties d’ordonnances de surveillance de longue durée, permettent de répondre aux préoccupations en matière de sécurité du public. Même si le Parlement peut prendre des mesures pour protéger les Canadiens et les Canadiennes contre la menace que posent les criminels les plus dangereux, le régime actuel va trop loin. La détention pour une période indéterminée — la peine la plus sévère, exception faite peut‑être des peines d’emprisonnement à perpétuité — est exagérément disproportionnée à la peine qui serait par ailleurs imposée à certains délinquants selon les principes de détermination de la peine énoncés dans le Code criminel . Lorsqu’il applique le par. 753(4.1), le juge de la peine doit se demander si, en raison du niveau de risque qu’il présente et de la nature des sévices qu’il pourrait vraisemblablement causer à l’avenir, le délinquant appartient au groupe restreint de délinquants véritablement dangereux que l’on doit incarcérer pour une durée indéterminée afin de protéger le public.

                    La preuve en l’espèce indique qu’il pourrait être réellement possible de maîtriser au sein de la collectivité le risque que présente B. Le dossier dont le juge était saisi indique qu’une peine pour une période déterminée assortie d’une ordonnance de surveillance de longue durée aurait bien pu se révéler appropriée et suffire pour protéger le public si le juge n’avait pas tenu pour acquis que son pouvoir discrétionnaire était restreint par le par. 753(4.1), une disposition inconstitutionnelle. Il faut donc tenir une nouvelle audience pour décider de la peine appropriée.

Jurisprudence

Citée par la juge Côté

                    Arrêt rejeté : R. c. Szostak, 2014 ONCA 15, 118 O.R. (3d) 401; arrêts appliqués : R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309; R. c. Johnson, 2003 CSC 46, [2003] 2 R.C.S. 357; arrêts mentionnés : R. c. Sipos, 2014 CSC 47, [2014] 2 R.C.S. 423; Hatchwell c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 39; R. c. Currie, [1997] 2 R.C.S. 260; R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368; R. c. Jones, [1994] 2 R.C.S. 229; R. c. Carleton (1981), 32 A.R. 181, conf. par [1983] 2 R.C.S. 58; R. c. Sullivan (1987), 20 O.A.C. 323; R. c. Newman (1994), 115 Nfld. & P.E.I.R. 197; R. c. Oliver (1997), 114 C.C.C. (3d) 50; R. c. Neve, 1999 ABCA 206, 137 C.C.C. (3d) 97; R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773; R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045; R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130; R. c. Safarzadeh‑Markhali, 2016 CSC 14, [2016] 1 R.C.S. 180; R. c. Steele, 2014 CSC 61, [2014] 3 R.C.S. 138; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433; R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089; R. c. Warawa, 2011 ABCA 294, 278 C.C.C. (3d) 409; R. c. Osborne, 2014 MBCA 73, 314 C.C.C. (3d) 57; R. c. Bragg, 2015 BCCA 498, 332 C.C.C. (3d) 145; R. c. Smarch, 2015 YKCA 13, 374 B.C.A.C. 291; R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688; R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61; R. c. Crowe, C.J. Ont., no 10‑10013990, 22 mars 2017.

Citée par la juge Karakatsanis (dissidente en partie)

                    R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309; R. c. Johnson, 2003 CSC 46, [2003] 2 R.C.S. 357; R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773; R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96; R. c. Wiles, 2005 CSC 84, [2005] 3 R.C.S. 895; R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130; R. c. Steele, 2014 CSC 61, [2014] 3 R.C.S. 138; R. c. Currie, [1997] 2 R.C.S. 260; R. c. Taillefer, 2015 ONSC 2357; R. c. S.M. (2005), 196 O.A.C. 127; R. c. Langevin (1984), 45 O.R. (2d) 705; R. c. Neve, 1999 ABCA 206, 137 C.C.C. (3d) 97; R. c. Szostak, 2014 ONCA 15, 118 O.R. (3d) 401; R. c. Shea, 2017 NSCA 43, 349 C.C.C. (3d) 231; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433; R. c. Safarzadeh‑Markhali, 2016 CSC 14, [2016] 1 R.C.S. 180; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206; R. c. Williams, [1998] 1 R.C.S. 1128; R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688; R. c. Walsh, 2017 BCCA 195, 348 C.C.C. (3d) 1; R. c. Payne (2001), 41 C.R. (5th) 156; R. c. Radcliffe, 2017 ONCA 176, 347 C.C.C. (3d) 3; R. c. B. (D.V.), 2010 ONCA 291, 100 O.R. (3d) 736, autorisation d’appel refusée, [2011] 3 R.C.S. vii; Re Moore and the Queen (1984), 10 C.C.C. (3d) 306; R. c. R.S., 2016 ONSC 7767; R. c. Smarch, 2015 YKCA 13, 374 B.C.A.C. 280; R. c. Goodwin, 2002 BCCA 513, 168 C.C.C. (3d) 14; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679; R. c. Sipos, 2014 CSC 47, [2014] 2 R.C.S. 423; R. c. Horvath (1997), 117 C.C.C. (3d) 110.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés , art. 1 , 7 , 12 .

Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 718  à 718.2 , 718 , 718.1 , 718.2 , 718.3 , 742.1 , partie XXIV, 752 à 761, 752 « sévices graves à la personne », 752.1, 753, 753.01, 753.1, 757a), 759, 761(1).

Code criminel, S.R.C. 1970, c.  C‑34, art. 688 [abr. & rempl. 1976‑77, c. 53, art. 14].

Loi constitutionnelle de 1982 , art. 52(1) .

Loi modifiant le Code criminel  (délinquants présentant un risque élevé de récidive), la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur les prisons et les maisons de correction et la Loi sur le ministère du Solliciteur général, L.C. 1997, c. 17.

Loi sur la lutte contre les crimes violents, L.C. 2008, c. 6.

Doctrine et autres documents cités

Canada. Comité de la statistique correctionnelle du portefeuille ministériel de Sécurité publique Canada. Aperçu statistique : Le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, Rapport annuel 2008, Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008.

Canada. Comité de la statistique correctionnelle du portefeuille ministériel de Sécurité publique Canada. Aperçu statistique : Le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, Rapport annuel 2015, Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2016.

Canada. Comité de la statistique correctionnelle du portefeuille ministériel de Sécurité publique Canada. Aperçu statistique : Le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, Rapport annuel 2016, Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2016.

Canada. Commission royale d’enquête sur le système pénal du Canada. Rapport de la Commission royale d’enquête sur le système pénal du Canada, Ottawa, Imprimerie du Roi, 1938.

Neuberger, Joseph A. Assessing Dangerousness : Guide to the Dangerous Offender Application Process, Toronto, Carswell, 2011 (loose‑leaf updated 2017).

Ruby, Clayton C., Gerald J. Chan and Nader R. Hasan. Sentencing, 8th ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2012.

                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (les juges Smith, Groberman et Goepel), 2016 BCCA 235, 336 C.C.C. (3d) 293, 356 C.R.R. (2d) 275, 29 C.R. (7th) 419, 388 B.C.A.C. 264, 670 W.A.C. 264, [2016] B.C.J. No. 1116 (QL), 2016 CarswellBC 1487 (WL Can.), qui a infirmé en partie les décisions du juge Voith, 2015 BCSC 901, 325 C.C.C. (3d) 345, [2015] B.C.J. No. 1102 (QL), 2015 CarswellBC 1464 (WL Can.); et 2014 BCSC 2187, 317 C.C.C. (3d) 1, 324 C.R.R. (2d) 221, [2014] B.C.J. No. 2867 (QL), 2014 CarswellBC 3475 (WL Can.). Pourvoi rejeté, la juge Karakatsanis est dissidente en partie.

                    Eric Purtzki, Gary N. A. Botting et Michael Sobkin, pour l’appelant.

                    Rodney Garson et Michael Brundrett, pour l’intimée.

                    Diba B. Majzub, pour l’intervenant le procureur général du Canada.

                    Gregory J. Tweney et Jennifer A. Crawford, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

                    W. Dean Sinclair, c.r., pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

                    Sarah Clive, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

                    Catriona Verner et Corbin Cawkell, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario.

                    Jonathan Rudin et Caitlyn E. Kasper, pour l’intervenante Aboriginal Legal Services Inc.

                    Vincent Larochelle, pour l’intervenante la Société d’aide juridique du Yukon.

                    Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Moldaver, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe rendu par

                    La juge Côté —

I.               Aperçu

[1]                              L’appelant, M. Boutilier, conteste la constitutionnalité des par. 753(1)  et (4.1)  du Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46  — deux dispositions au cœur du régime des délinquants dangereux —, au regard des art. 7  et 12  de la Charte canadienne des droits et libertés .

[2]                              Monsieur Boutilier a plaidé coupable à six accusations criminelles portées à la suite d’un vol qualifié perpétré dans une pharmacie au moyen d’une fausse arme à feu, et de la poursuite automobile qui a suivi. Par la suite, la Couronne a demandé qu’il soit déclaré délinquant dangereux et qu’une peine de détention d’une durée indéterminée lui soit infligée. Après la clôture de la preuve lors de l’audience sur le statut de délinquant dangereux, M. Boutilier a fait signifier un avis de question constitutionnelle contestant la constitutionnalité des dispositions en cause.

[3]                              Les dispositions du Code criminel  qui sont contestées, et auxquelles les modifications les plus récentes ont été apportées en 2008 par la Loi sur la lutte contre les crimes violents, L.C. 2008, c. 6 (« modifications de 2008 »), autorisent la forme extrême et la plus manifeste de peine préventive susceptible d’être infligée à un délinquant, à savoir la détention pour une période indéterminée, afin de protéger le public contre un petit groupe de récidivistes ayant une propension à perpétrer des crimes violents contre la personne.

[4]                              Monsieur Boutilier fait valoir que le par. 753(1) a une portée excessive et viole l’art. 7, car il a pour effet d’empêcher le juge de la peine de prendre en considération les perspectives de traitement futur du délinquant lors de l’évaluation prospective des risques. Il ajoute que le par. 753(4.1) a lui aussi une portée excessive et viole l’art. 7, au motif qu’il risque d’entraîner l’imposition d’une peine de détention pour une période indéterminée à un délinquant qui pourrait être contrôlé sous le régime des dispositions du Code criminel  relatives à la surveillance de longue durée. Il prétend en outre que le par. 753(4.1) impose une peine « exagérément disproportionnée », en contravention avec l’art. 12, du fait qu’il limite considérablement le pouvoir discrétionnaire du juge à l’étape de la détermination de la peine en favorisant la détention pour une période indéterminée. Enfin, il soutient que le juge de la peine a commis une erreur en lui infligeant une peine pour une période indéterminée.

[5]                              Le juge de la peine a accueilli en partie la demande de M. Boutilier, déclarant que seul le par. 753(1) était inconstitutionnel pour cause de portée excessive. La Cour d’appel a statué que le juge de la peine avait fait erreur en concluant à la portée excessive du par. 753(1), mais elle a convenu avec lui que le par. 753(4.1) ne portait pas atteinte aux art. 7  et 12  de la Charte . La Cour d’appel a rejeté l’appel formé par M. Boutilier à l’encontre de sa peine de détention d’une durée indéterminée.

[6]                              Le pourvoi formé devant notre Cour soulève quatre questions, auxquelles je répondrai comme suit :

A.           Le paragraphe 753(1) empêche‑t‑il le juge de la peine de prendre en considération les perspectives de traitement futur avant de déclarer un délinquant dangereux? Dans l’affirmative, cette disposition a‑t‑elle une portée excessive au regard de l’art. 7  de la Charte ?

À mon avis, la prise en considération des perspectives de traitement futur a toujours constitué un élément de l’évaluation prospective des risques requise par le par. 753(1). Il n’y a pas de portée excessive.

B.           Le paragraphe 753(4.1) a‑t‑il pour effet d’entraîner une peine exagérément disproportionnée, en contravention avec l’art. 12  de la Charte , en imposant par présomption une peine de détention pour une période indéterminée et en empêchant le juge de la peine d’infliger une peine juste conforme aux principes et aux objectifs de la détermination de la peine?

À mon avis, le par. 753(4.1) n’impose pas de peine exagérément disproportionnée. Il ne crée pas de présomption en faveur d’une peine de détention pour une période indéterminée, et le juge de la peine doit appliquer les principes et objectifs de la détermination de la peine pour infliger une peine juste.

C.           Le paragraphe 753(4.1) a‑t‑il une portée excessive, en contravention avec l’art. 7  de la Charte , en ce qu’il s’applique à des délinquants qui auraient pu être surveillés dans le cadre du régime des délinquants à contrôler?

Je suis d’avis que non.

D.           Le juge de la peine a‑t‑il fait erreur en condamnant M. Boutilier à une peine de détention pour une période indéterminée?

Je suis d’avis que non.

[7]                              Pour ces motifs, le pourvoi devrait être rejeté.

II.            Décisions des juridictions inférieures

A.            Jugement sur la peine — Cour suprême de la Colombie‑Britannique, 2014 BCSC 2187, 317 C.C.C. (3d) 1, et 2015 BCSC 901, 325 C.C.C. (3d) 345, le juge Voith (21 novembre 2014 et 29 mai 2015)

[8]                              Le juge de la peine a conclu que le par. 753(1) a une portée excessive et viole de ce fait l’art. 7  de la Charte . À son avis, cette disposition ne permet pas au juge de la peine de prendre en considération les perspectives de traitement futur du délinquant avant de déclarer celui‑ci délinquant dangereux. Il s’ensuit qu’un délinquant qui ne serait pas nécessairement dangereux dans le futur pourrait tout de même être déclaré tel dans le cadre du régime et risquer une peine de détention pour une période indéterminée. De plus, il a considéré que la déclaration de délinquant dangereux visée au par. 753(1) est permanente et peut avoir des conséquences en aval en vertu de l’art. 753.01, puisqu’elle pourrait faire en sorte que l’accusé soit condamné à une peine de détention d’une durée indéterminée pour une infraction subséquente, sans nécessairement être déclaré de nouveau délinquant dangereux. Le juge a statué que la violation de l’art. 7 n’était pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte , étant donné que le Parlement aurait pu édicter des dispositions législatives propres à permettre la réalisation des objectifs légitimes du régime, mais moins attentatoires aux droits du délinquant. Il a déclaré le par. 753(1) invalide, mais a suspendu l’effet de cette déclaration d’invalidité pendant un an.

[9]                              Le juge de la peine a conclu que l’autre disposition contestée, le par. 753(4.1), ne violait ni l’art. 7 ni l’art. 12  de la Charte . Premièrement, il a statué que cette disposition n’obligeait pas l’accusé à s’acquitter d’un fardeau de présentation ou de persuasion afin de réfuter la présomption de détention pour une période indéterminée. Deuxièmement, il a estimé que le pouvoir discrétionnaire résiduel dont dispose le juge en vertu du par. 753(4.1) fait en sorte qu’une peine de détention pour une période indéterminée ne sera pas infligée dans les cas où elle n’est pas nécessaire pour protéger le public.

[10]                          Malgré la suspension de l’effet de la déclaration d’invalidité, le juge de la peine a conclu qu’en l’espèce, la Couronne avait démontré hors de tout doute raisonnable l’existence des conditions énoncées au par. 753(1). Il a statué que M. Boutilier était un délinquant dangereux et lui a infligé une peine de détention pour une période indéterminée après avoir conclu que les perspectives de réussite de son traitement n’étaient rien de plus qu’un [traduction] « vœu pieux » et, par conséquent, qu’aucune peine moins sévère ne protégerait de façon suffisante le public (par. 753(4.1)).

B.            Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, 2016 BCCA 235, 336 C.C.C. (3d) 293, la juge d’appel Smith (avec l’appui des juges d’appel Groberman et Goepel) (2 juin 2016)

[11]                          La Couronne a interjeté appel de la déclaration d’inconstitutionnalité du par. 753(1). Pour sa part, M. Boutilier a fait appel de la décision du juge de la peine concernant la constitutionnalité du par. 753(4.1), ainsi que de sa déclaration de délinquant dangereux et de sa peine de détention pour une période indéterminée. L’appel de la Couronne a été accueilli et celui de M. Boutilier a été rejeté.

[12]                          La Cour d’appel a statué que le juge de la peine avait fait erreur en concluant à l’inconstitutionnalité du par. 753(1) pour cause de portée excessive. Bien qu’elle ait jugé que les perspectives de traitement jouent un rôle limité à l’étape de la déclaration de délinquant dangereux, elle est arrivée finalement à la conclusion que la prise en considération des perspectives de traitement futur à l’étape de la détermination de la peine suffit pour éviter que soient déclarés délinquants dangereux des délinquants qui ne le sont peut‑être pas. La Cour d’appel a confirmé la décision du juge de la peine en ce qui concerne le par. 753(4.1), ainsi que la peine infligée à M. Boutilier.

III.          Le régime législatif

[13]                          Le régime des délinquants dangereux se veut un processus « en deux étapes ».

[14]                          Le paragraphe 753(1) énumère les conditions statutaires qui doivent être réunies pour qu’un tribunal puisse déclarer qu’un délinquant est un délinquant dangereux (« étape de la déclaration ») :

                    753 (1) Sur demande faite, en vertu de la présente partie, postérieurement au dépôt du rapport d’évaluation visé au paragraphe 752.1(2), le tribunal doit déclarer qu’un délinquant est un délinquant dangereux s’il est convaincu que, selon le cas :

                        a) l’infraction commise constitue des sévices graves à la personne, aux termes de l’alinéa a) de la définition de cette expression à l’article 752, et que le délinquant qui l’a commise constitue un danger pour la vie, la sécurité ou le bien-être physique ou mental de qui que ce soit, en vertu de preuves établissant, selon le cas :

                        (i) que, par la répétition de ses actes, notamment celui qui est à l’origine de l’infraction dont il a été déclaré coupable, le délinquant démontre qu’il est incapable de contrôler ses actes et permet de croire qu’il causera vraisemblablement la mort de quelque autre personne ou causera des sévices ou des dommages psychologiques graves à d’autres personnes,

 

                        (ii) que, par la répétition continuelle de ses actes d’agression, notamment celui qui est à l’origine de l’infraction dont il a été déclaré coupable, le délinquant démontre une indifférence marquée quant aux conséquences raisonnablement prévisibles que ses actes peuvent avoir sur autrui,

 

                        (iii) un comportement, chez ce délinquant, associé à la perpétration de l’infraction dont il a été déclaré coupable, d’une nature si brutale que l’on ne peut s’empêcher de conclure qu’il y a peu de chance pour qu’à l’avenir ce comportement soit inhibé par les normes ordinaires de restriction du comportement;

                        b) l’infraction commise constitue des sévices graves à la personne, aux termes de l’alinéa b) de la définition de cette expression à l’article 752, et que la conduite antérieure du délinquant dans le domaine sexuel, y compris lors de la perpétration de l’infraction dont il a été déclaré coupable, démontre son incapacité à contrôler ses impulsions sexuelles et laisse prévoir que vraisemblablement il causera à l’avenir de ce fait des sévices ou autres maux à d’autres personnes.

[15]                          Les paragraphes (4) et (4.1) de l’art. 753 portent sur la peine à infliger à un délinquant dangereux (« étape de la sanction ») :

                    (4) S’il déclare que le délinquant est un délinquant dangereux, le tribunal :

                        a) soit lui inflige une peine de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée;

                        b) soit lui inflige une peine minimale d’emprisonnement de deux ans pour l’infraction dont il a été déclaré coupable et ordonne qu’il soit soumis, pour une période maximale de dix ans, à une surveillance de longue durée;

                        c) soit lui inflige une peine pour l’infraction dont il a été déclaré coupable.

(4.1) Le tribunal inflige une peine de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée sauf s’il est convaincu, sur le fondement des éléments mis en preuve lors de l’audition de la demande, que l’on peut vraisemblablement s’attendre à ce que le fait d’infliger une mesure moins sévère en vertu des alinéas (4)b) ou c) protège de façon suffisante le public contre la perpétration par le délinquant d’un meurtre ou d’une infraction qui constitue des sévices graves à la personne.

[16]                          Le paragraphe 753(1) envisage deux catégories de dangerosité : a) la dangerosité résultant d’un comportement violent (comme dans le cas de M. Boutilier) et b) la dangerosité résultant d’un comportement sexuel. Seule la première catégorie est en cause dans le présent pourvoi.

[17]                          Pour obtenir une déclaration de dangerosité résultant d’un comportement violent, la Couronne doit établir deux éléments. Premièrement, il faut que l’infraction commise constitue « des sévices graves à la personne » (al. 753(1)a)). Cette première condition est objective. Le juge ne jouit d’aucun pouvoir discrétionnaire, étant donné que l’art. 752 dresse la liste des sévices graves à la personne.

[18]                          Deuxièmement, le délinquant doit constituer « un danger pour la vie, la sécurité ou le bien‑être physique ou mental de qui que ce soit ». Ce second élément — le degré de danger requis — oblige le juge à évaluer le danger que constitue le délinquant sur la base de preuves établissant l’un ou l’autre des trois comportements violents suivants :

                    (i) . . . par la répétition de ses actes, notamment celui qui est à l’origine de l’infraction dont il a été déclaré coupable, le délinquant démontre qu’il est incapable de contrôler ses actes et permet de croire qu’il causera vraisemblablement la mort de quelque autre personne ou causera des sévices ou des dommages psychologiques graves à d’autres personnes,

                    (ii) . . . par la répétition continuelle de ses actes d’agression, notamment celui qui est à l’origine de l’infraction dont il a été déclaré coupable, le délinquant démontre une indifférence marquée quant aux conséquences raisonnablement prévisibles que ses actes peuvent avoir sur autrui,

                    (iii) un comportement, chez ce délinquant, associé à la perpétration de l’infraction dont il a été déclaré coupable, d’une nature si brutale que l’on ne peut s’empêcher de conclure qu’il y a peu de chance pour qu’à l’avenir ce comportement soit inhibé par les normes ordinaires de restriction du comportement;

Ces sous‑alinéas ont un caractère disjonctif — ils énoncent trois motifs autonomes permettant de conclure que le délinquant constitue un « danger » visé au par. 753(1).

[19]                          Ces motifs n’ont pas changé depuis la promulgation du régime en 1977. En effet, il y a lieu de procéder à un bref survol de l’historique législatif du régime.

[20]                          Instauré en 1977, le régime a été modifié en 1997, puis de nouveau en 2008. Lorsqu’il a été promulgué en 1977, il était qualifié de processus « en deux étapes ». À l’étape de la déclaration, le juge de la peine devait déterminer si les conditions statutaires étaient rencontrées, puis il avait le pouvoir discrétionnaire de déclarer l’individu dangereux. À l’étape de la détermination de la peine, le juge devait encore une fois exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider s’il y avait lieu d’imposer une peine de détention pour une période indéterminée. En 1997, le régime est devenu un processus « en une étape ». Le juge avait le pouvoir discrétionnaire de déclarer un délinquant dangereux, mais il ne possédait aucun pouvoir discrétionnaire à l’étape de la détermination de la peine — une telle déclaration emportait l’imposition d’une peine de détention pour une période indéterminée. La version actuelle du régime constitue un retour au processus « en deux étapes », mais elle élimine le libellé conférant un pouvoir discrétionnaire à l’étape de la déclaration. S’il est convaincu que les conditions statutaires sont rencontrées, le juge de la peine doit déclarer le délinquant dangereux. Il conserve toutefois un certain pouvoir discrétionnaire à l’étape de la détermination de la peine. Suivant le par. 753(4.1), un juge de la peine doit infliger à un individu déclaré dangereux une peine de détention d’une durée indéterminée sauf s’il est convaincu que l’on peut vraisemblablement s’attendre à ce que le fait d’infliger une mesure moins sévère protège de façon suffisante le public.

IV.         Analyse

A.            Le paragraphe 753(1) empêche‑t‑il le juge de la peine de prendre en considération les perspectives de traitement futur avant de déclarer un délinquant dangereux? Dans l’affirmative, cette disposition a‑t‑elle une portée excessive au regard de l’art. 7  de la Charte ?

[21]                          Voici ce que soutient M. Boutilier. À son avis, suivant la démarche actuelle « en deux étapes », la preuve prospective d’un traitement futur ne peut être prise en considération à l’étape de la déclaration et elle n’est pertinente qu’à l’étape de la sanction prévue au par. 753(4.1). La disposition a donc selon lui une portée excessive, car elle vise des délinquants qui ne représentent pas un danger futur pour la sécurité publique. M. Boutilier concède que, si la Cour conclut que la preuve prospective doit être prise en compte à l’étape de la déclaration, son argument de la portée excessive doit être écarté.

[22]                          Le juge de la peine a donné raison à M. Boutilier. Il a tenu pour acquis que, depuis l’adoption des modifications de 2008, les conditions applicables à la déclaration de délinquant dangereux ne permettent la prise en compte que des éléments de preuve rétrospectifs à l’étape de la déclaration, ce qui l’a amené à conclure qu’en ne tenant pas compte des perspectives de traitement du délinquant, les conditions statutaires applicables à la déclaration de délinquant dangereux énoncées au par. 753(1) ont une portée si large qu’elles visent des délinquants qui ne présentent aucun risque futur pour la sécurité publique. Cette portée excessive est, à son avis, contraire aux principes de justice fondamentale et à l’art. 7  de la Charte . Bien qu’elle soit d’avis que la prise en considération des perspectives de traitement futur du délinquant à l’étape de la sanction ne résulte pas en une portée excessive, la Cour d’appel a conclu que la prise en compte de telles perspectives n’a jamais été requise à l’étape de la déclaration.

[23]                          À mon avis, les arguments de M. Boutilier ne peuvent être retenus. Une évaluation prospective des risques a toujours fait partie du par. 753(1). Les modifications de 2008 n’ont rien changé aux exigences liées à cette évaluation. Conformément à l’objet et au libellé du par. 753(1) ainsi qu’à la jurisprudence constante de notre Cour, un délinquant ne peut être déclaré dangereux que si le juge conclut qu’il constitue un « danger » futur après avoir procédé à une évaluation prospective des risques. Contrairement à ce qui ressort de la jurisprudence contradictoire sur ce point et des motifs de la Cour d’appel en l’espèce, cette évaluation du risque futur a toujours exigé la prise en considération des perspectives de traitement futur du délinquant, ce qui signifie que la disposition concernant la déclaration de délinquant dangereux n’a pas une portée excessive, puisqu’elle ne vise pas des délinquants qui, bien qu’ils constituent à l’heure actuelle un danger pour autrui, pourraient cesser de constituer un tel danger à l’avenir, notamment après un traitement réussi.

(1)           Les exigences relatives à l’évaluation prospective des risques en vertu du par. 753(1) demeurent les mêmes

[24]                          Les arguments de M. Boutilier et les conclusions du juge de la peine quant à la portée excessive reposent sur l’hypothèse selon laquelle l’évaluation prospective des risques requise par le par. 753(1) a changé à la suite des modifications de 2008, élargissant la portée de la disposition. Ce n’est pas le cas. Le libellé constant et l’objet de la disposition mènent tous deux à la conclusion que l’évaluation prospective des risques demeure la même.

[25]                          La Cour a examiné la constitutionnalité de ce régime statutaire dans l’arrêt de principe R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309.

[26]                          Dans cet arrêt, le juge La Forest a lu ensemble l’élément objectif de la déclaration de délinquant dangereux — l’exigence que l’infraction sous‑jacente constitue des « sévices graves à la personne » — et son élément subjectif — l’évaluation du « danger » —, et il a conclu que quatre conditions « explicites » ressortaient du libellé du par. 753(1) : (1) le délinquant a été reconnu coupable et doit recevoir une peine pour « sévices graves à la personne »; (2) cette infraction sous‑jacente fait partie d’un comportement général violent; (3) la probabilité d’une récidive préjudiciable est élevée; (4) le comportement violent est irréductible (p. 338). Les trois dernières conditions font partie de l’évaluation du « danger » que constitue le délinquant, tandis que les deux dernières sont prospectives. Le juge La Forest a fourni l’explication suivante à cet égard :

                    En troisième lieu, on doit établir qu’il est fort probable que ce type de comportement se poursuivra et causera le genre de souffrances contre lesquelles la disposition en cause cherche à offrir une protection, c’est‑à‑dire les actes constituant une conduite qui met en danger la vie, la sécurité ou le bien‑être physique d’autrui ou, dans le cas des infractions sexuelles, une conduite qui cause des sévices ou d’autres maux à autrui. De plus, chaque alinéa de l’art. [688, aujourd’hui l’art. 753] contient sous une forme ou une autre une exigence explicite que la cour soit convaincue qu’il s’agit d’un type de comportement qui est essentiellement ou pathologiquement irréductible. [Je souligne; p. 338.]

[27]                          Le texte du par. 753(1), qui a amené le juge La Forest à énoncer les quatre conditions susmentionnées, n’a jamais été modifié depuis sa promulgation en 1977. Avant de déclarer un délinquant dangereux, le juge de la peine doit encore être convaincu, sur le fondement de la preuve, que le délinquant présente un risque élevé de récidive préjudiciable et que sa conduite est irréductible. Selon moi, une conduite « irréductible » s’entend d’un comportement que le délinquant est incapable de surmonter. Par ces deux conditions, le législateur fédéral oblige le juge de la peine à procéder à une évaluation prospective de la dangerosité du délinquant.

[28]                          Au terme de ce que l’on appellerait aujourd’hui une analyse de la portée excessive, le juge La Forest a conclu que les quatre conditions énoncées au par. 753(1) définissent un groupe très restreint de délinquants à l’égard desquels le risque de se voir infliger une peine de détention préventive pour une période indéterminée est constitutionnel :

                    En effet, non seulement le législateur s’est‑il efforcé de définir soigneusement un groupe très restreint de délinquants dont les caractéristiques personnelles et la situation particulière militent fortement en faveur d’une incarcération préventive, mais encore il serait difficile d’imaginer un ensemble de critères mieux conçus pour atteindre les objectifs fixés. [p. 339]

Il a estimé que les conditions applicables à la déclaration de délinquant dangereux sont suffisamment restrictives et précises pour s’appliquer uniquement aux délinquants qui constituent un danger futur pour autrui, de telle sorte que le risque de détention pour une période indéterminée est rationnellement lié à l’objectif de la protection du public visé par le régime. Comme ces conditions n’ont pas été modifiées depuis, la conclusion de la Cour selon laquelle le par. 753(1) n’a pas une portée excessive demeure applicable.

[29]                          M. Boutilier s’appuie sur l’arrêt R. c. Szostak, 2014 ONCA 15, 118 O.R. (3d) 401, pour affirmer que l’irréductibilité n’est plus une exigence du régime actuel des délinquants dangereux. À mon avis, c’est toujours l’arrêt Lyons, et non l’arrêt Szostak, qui fait autorité sur cette question.

[30]                          Dans l’arrêt Szostak, par. 53‑55, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que l’irréductibilité n’est plus un élément de dangerosité, car elle est incompatible avec l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’imposer une peine de détention d’une durée déterminée à l’étape de la sanction. La Cour d’appel a estimé que le délinquant dont la conduite est irréductible devrait rarement, voire jamais, être admissible à une peine moins sévère.

[31]                          Avec égards, je ne puis souscrire à cette conclusion. Comme je l’expliquerai plus loin, les buts de la preuve prospective à l’étape de la déclaration et à celle de la détermination de la peine diffèrent. L’étape de la déclaration porte sur l’évaluation du danger futur que présente le délinquant. L’étape de la sanction a trait à l’imposition de la peine appropriée pour gérer le danger établi. Bien qu’il soit possible que la preuve démontre que le délinquant est incapable de surmonter son comportement violent, le juge de la peine doit, à l’étape de la sanction, se demander si le risque découlant du comportement du délinquant peut être géré adéquatement autrement que par une peine de détention d’une durée indéterminée.

[32]                          Les éléments de la déclaration de délinquant dangereux énoncés dans Lyons ne sont donc pas incompatibles avec l’exercice du pouvoir discrétionnaire à l’étape de la sanction. D’ailleurs, le régime de 1977 prévoyait également l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à l’étape de la sanction, ce qui n’a pas empêché la Cour dans Lyons de conclure que l’irréductibilité était requise. Plus important encore, la Cour a, dans cet arrêt, clairement fondé l’exigence en matière d’irréductibilité sur le libellé de la loi, lequel n’a pas changé depuis 1977. Je ne vois donc pas comment on peut affirmer que l’irréductibilité ne constitue plus une exigence pour qu’un délinquant puisse être déclaré dangereux.

[33]                          Il existe donc quatre conditions applicables à la déclaration de délinquant dangereux sous le régime du par. 753(1), dont deux visant à faire en sorte que seuls les délinquants qui constituent réellement un danger futur pour autrui soient déclarés tels. Ces limites sont conformes à l’objet de la disposition, qui lui aussi est resté le même au fil du temps. Notre Cour a dit de la peine de détention pour une période indéterminée qu’elle constituait « la forme extrême et la plus manifeste » de détention préventive (R. c. Sipos, 2014 CSC 47, [2014] 2 R.C.S. 423, par. 19). L’objet de ce type de peine a toujours été non « pas de punir ni de réformer [les délinquants] mais avant tout de les isoler de la société » (Rapport de la Commission royale d’enquête sur le système pénal du Canada (1938), p. 233‑234). Cette peine préventive peut être imposée seulement aux délinquants à l’égard desquels l’isolement de la société est un moyen rationnel d’atteindre l’objectif primordial de la sécurité du public.

[34]                          Une disposition qui impose une peine de détention pour une période indéterminée n’a donc pas une portée excessive si son application est « soigneusement [. . .] limit[ée] aux repris de justice qui présentent un danger pour autrui » (Lyons, p. 323). Pour être considéré « dangereux » au point où « la forme extrême et la plus manifeste » de peine préventive devient un moyen rationnel de réaliser l’objectif de sécurité du public, le délinquant doit constituer un « danger » futur pour la sécurité du public. Ce danger, caractérisé par les éléments énoncés dans Lyons, doit en conséquence élever au‑dessus des autres objectifs — à tout le moins en partie — l’objectif de la détermination de la peine qui consiste à isoler le délinquant de la société (Lyons, p. 328‑329).

[35]                          Pour déterminer si un délinquant présente un risque élevé de récidive et si sa conduite est irréductible, il faut nécessairement procéder à une analyse prospective de la question de savoir si celui‑ci continuera de constituer, pour reprendre les termes du juge Dickson (plus tard Juge en chef), « un danger réel et actuel pour la vie et l’intégrité physique des gens » (Hatchwell c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 39, p. 43). Pour la Cour dans l’arrêt Lyons, cette analyse prospective est essentielle à la constitutionnalité du régime. Une évaluation entièrement rétrospective ne pourrait garantir que les peines de détention pour une période indéterminée sont rationnellement liées à l’objectif de sécurité du public à l’avenir. Elle ne permettrait pas non plus d’éviter l’inclusion de délinquants qui ont été violents par le passé, mais qui ne constituent pas un danger à l’avenir.

[36]                          Après l’arrêt Lyons, la Cour a, dans sa jurisprudence, toujours considéré l’évaluation prospective des risques comme une composante des demandes visant à faire déclarer un délinquant dangereux. Dans l’arrêt R. c. Currie, [1997] 2 R.C.S. 260, le juge en chef Lamer a affirmé qu’un juge doit, « avant de pouvoir déclarer le délinquant en cause dangereux et lui infliger une peine de détention pour une période indéterminée, être convaincu hors de tout doute raisonnable que celui‑ci présentera vraisemblablement un danger à l’avenir pour la société » (par. 25)[1]. Au paragraphe 20 de l’arrêt Sipos, qui portait sur l’al. 753(1)b), notre Cour a expliqué que, pour qu’il y ait déclaration, il fallait une preuve tant sur les éléments rétrospectifs que prospectifs.

[37]                          En fait, trois caractéristiques du régime de déclaration de délinquant dangereux démontrent l’importance de la preuve prospective pour tirer une conclusion de dangerosité. Premièrement, le comportement violent qui est établi au moyen d’une preuve de la conduite antérieure est prospectif — celui‑ci doit démontrer qu’il y aura « vraisemblablement » récidive préjudiciable à l’avenir (voir le texte de l’al. 753(1)a)). Comme l’a expliqué l’auteur Neuberger, [TRADUCTION] « [b]ien que la Couronne puisse établir l’existence d’un comportement antérieur similaire, s’il n’y a aucune preuve que ce comportement mènera nécessairement à un risque de récidive, la demande de déclaration de délinquant dangereux sera rejetée » (J. A. Neuberger, Assessing Dangerousness : Guide to the Dangerous Offender Application Process (feuilles mobiles), p. 4‑27). Les antécédents de violence sont pris en compte dans l’évaluation globale du comportement futur du délinquant, laquelle est ensuite prise en considération par le tribunal lorsqu’il décide si le délinquant constitue ou non un « danger ».

[38]                          Le renvoi à l’autre catégorie de dangerosité — fondée sur le comportement sexuel —, à l’al. 753(1)b), renforce la conclusion selon laquelle l’al. 753(1)a) commande une évaluation prospective. Cette catégorie requiert, en plus de la preuve d’un comportement antérieur similaire, une évaluation indépendante du risque futur :

                    Il faut que le délinquant ait démontré dans le passé son incapacité « à contrôler ses impulsions sexuelles » et qu’il « laisse prévoir que vraisemblablement il causera à l’avenir de ce fait des sévices ou autres maux à d’autres personnes ». [Je souligne; référence omise.]

(Sipos, par. 20)

[39]                          Deuxièmement, le Code criminel  prescrit qu’un rapport d’évaluation doive être déposé avant qu’une demande de déclaration de délinquant dangereux puisse être entendue (art. 752.1 et par. 753(1)). Normalement, l’évaluation est effectuée par un psychiatre ou un psychologue (Neuberger, p. 2‑1). Ce rapport contient une preuve d’expert sur les aspects prospectifs de la dangerosité, dont les facteurs de risque, les probabilités de récidive et les perspectives de traitement (R. c. Jones, [1994] 2 R.C.S. 229; voir aussi Lyons, p. 364-365).

[40]                          Troisièmement, l’al. 757a) prévoit qu’une « preuve concernant [l]a moralité ou [l]a réputation » du délinquant peut être admise « sur la question de savoir si le délinquant est ou non un délinquant dangereux ». Cette preuve, bien qu’elle repose sur un comportement passé, est prospective — elle porte sur la probabilité d’une récidive préjudiciable et l’irréductibilité du comportement violent. Si une conclusion de dangerosité pouvait être tirée sans une évaluation prospective des risques, ce type de preuve de réputation serait sans pertinence en matière de déclaration de délinquant dangereux, parce qu’elle tend à démontrer la propension du délinquant à commettre de futurs actes répréhensibles. En effet, elle n’a pas une très grande valeur probante pour l’établissement du comportement antérieur du délinquant, lequel est davantage prouvé par les actes répréhensibles antérieurs eux‑mêmes. Par conséquent, en rendant la preuve relative à la moralité et à la réputation pertinente en matière de déclaration de délinquant dangereux, cette disposition tend fortement à indiquer que l’évaluation prospective du risque futur fait partie de l’analyse.

[41]                          Suivant le par. 753(1), le juge « doit » déclarer qu’un délinquant est un délinquant dangereux lorsqu’il est convaincu que les conditions pour le faire sont rencontrées. Rappelons qu’avant les modifications de 2008, la loi prescrivait qu’une fois ces conditions rencontrées, le juge « peut » déclarer que le délinquant est un délinquant dangereux. Certains intervenants ont affirmé que cette modification oblige le juge à déclarer qu’un délinquant est un délinquant dangereux dès que les conditions statutaires sont rencontrées, même si le juge n’est pas convaincu de sa dangerosité future. Cet argument repose sur la prémisse selon laquelle les conditions statutaires applicables à la déclaration de délinquant dangereux ont une portée excessive et  pourraient viser des délinquants non dangereux. Toutefois, comme je l’ai expliqué précédemment, l’évaluation prospective du risque futur que présente le délinquant est intégrée aux conditions applicables à la déclaration de délinquant dangereux. Par conséquent, un juge ne « doit » déclarer un délinquant dangereux que s’il est convaincu hors de tout doute raisonnable que celui‑ci constitue bel et bien un danger futur pour la sécurité eu égard à tous les éléments de preuve pertinents. Lorsque le juge conclut qu’un délinquant constitue un « danger » après avoir procédé à une évaluation prospective portant sur le risque d’une récidive préjudiciable et l’irréductibilité, l’obliger à exercer de nouveau son pouvoir discrétionnaire pour déterminer si le délinquant constitue un risque futur ne servirait à rien et irait à l’encontre de la conclusion même qu’il vient de tirer.

(2)           La preuve des perspectives de traitement futur demeure pertinente aux deux étapes du régime statutaire

[42]                          Ceci nous amène à la question au cœur du présent pourvoi, soit celle de savoir si le juge de la peine peut prendre en considération la preuve des perspectives de traitement futur lorsqu’il décide s’il y a lieu ou non de déclarer un délinquant dangereux, plutôt qu’au moment où il impose la peine. Bien que je reconnaisse que la jurisprudence sur ce point est divisée — certains tribunaux estimant que les perspectives de traitement futur ne sont pas pertinentes à l’étape de la déclaration (R. c. Carleton (1981), 32 A.R. 181 (C.A.), par. 13, conf. par [1983] 2 R.C.S. 58; R. c. Sullivan (1987), 20 O.A.C. 323, par. 23; R. c. Newman (1994), 115 Nfld. & P.E.I.R. 197 (C.A.), par. 127; R. c. Oliver (1997), 114 C.C.C. (3d) 50 (C.A. Alb.), p. 57), et certains jugeant qu’il s’agit d’une considération pertinente (R. c. Neve, 1999 ABCA 206, 137 C.C.C. (3d) 97, par. 241) —, je ne puis convenir avec la Cour d’appel que les conditions applicables à la déclaration de délinquant dangereux [traduction] « n’ont jamais inclus la traitabilité future du délinquant » (par. 53). Les perspectives de traitement futur du délinquant sont, et ont toujours été, une considération pertinente à l’étape de la déclaration.

[43]                          Comme l’évaluation prospective des risques décrite ci‑dessus porte sur la question de savoir si le délinquant continuera de constituer « un danger réel et actuel » parce qu’il est incapable de surmonter son comportement violent, le juge de la peine doit prendre en considération tous les éléments de preuve rétrospectifs et prospectifs liés à la continuité de ce risque, y compris les perspectives de traitement futur. De plus, je suis d’avis que confiner la prise en considération de la traitabilité à l’étape du choix de la sanction prévue au par. 753(4.1) repose sur une distinction théorique entre l’étape de la déclaration et celle de la sanction, distinction qui n’est ni pratique ni utile.

[44]                          Étant donné que la présentation d’une demande visant à faire déclarer un délinquant dangereux se fait habituellement en une seule audience, il serait artificiel de distinguer la preuve à prendre considération pour déclarer un délinquant dangereux et celle dont il faut tenir compte pour déterminer la peine appropriée. Tous les éléments de preuve produits lors d’une audience quant au statut de délinquant dangereux doivent être pris en considération aux deux étapes de l’analyse qu’effectue le juge de la peine, bien que pour tirer des conclusions différentes se rapportant à des conditions statutaires différentes. Lors de l’audience sur la demande, la Couronne ou l’accusé doit présenter toute preuve prospective relative au risque, à l’irréductibilité ou aux programmes de traitement, y compris le rapport d’évaluation requis faisant état des options de traitement futur. De nombreux aspects des évaluations cliniques offrent une preuve concernant à la fois l’évaluation du risque futur que présente le délinquant et la peine à imposer pour gérer ce risque :

                        [TRADUCTION] Les évaluations cliniques indiquant la présence de maladies mentales persistantes et leur traitabilité, la présence de traits de personnalité profondément enracinés ou de troubles de personnalité susceptibles de persister avec le temps, de déviations sexuelles et de troubles de consommation de substances deviennent toutes pertinentes lorsqu’il s’agit de comprendre le sens de comportements répétitifs et de comportements agressifs persistants, et leur relation avec la ou les infractions sous‑jacentes. La présence d’une impulsivité, d’un manque d’empathie et d’un besoin d’assouvir immédiatement ses désirs aux dépens d’autrui aidera le tribunal dans l’examen de la question de savoir si l’évaluation du risque et la gestion des facteurs de risque sont liées aux critères légaux en cause. [Je souligne; notes en bas de page omises.]

(Neuberger, p. 2‑37)

[45]                          La même preuve prospective de traitabilité joue un rôle différent aux différentes étapes du processus décisionnel du juge. À l’étape de la déclaration, la traitabilité guide la décision sur le danger que constitue un délinquant, alors qu’à l’étape de la sanction, elle aide à déterminer la peine appropriée pour permettre de gérer ce danger. En conséquence, un délinquant ne sera pas déclaré dangereux si ses perspectives de traitement sont à ce point convaincantes que le juge de la peine ne peut conclure hors de tout doute raisonnable qu’il présente un risque élevé de récidive préjudiciable ou que son comportement violent est irréductible (voir Neuberger, p. 7‑1, par M. Henschel). Cependant, même si elles ne sont pas suffisamment convaincantes pour influer sur la conclusion du juge relative à la dangerosité, les perspectives de traitement seront quand même pertinentes dans la détermination de la peine qui doit être imposée pour protéger de façon suffisante le public.

(3)           Conclusion

[46]                          En résumé, pour obtenir une conclusion de dangerosité, la Couronne a toujours été tenue de démontrer, hors de tout doute raisonnable, un risque élevé de récidive préjudiciable et l’irréductibilité du comportement violent. Une évaluation prospective de la dangerosité fait en sorte que seuls les délinquants qui présentent un risque futur considérable sont déclarés dangereux et risquent de se voir infliger une peine de détention pour une période indéterminée. Cela implique nécessairement la prise en considération des perspectives de traitement futur. Si les modifications de 2008 avaient éliminé les aspects prospectifs des conditions de la dangerosité, la constitutionnalité de la disposition aurait pu nécessiter une analyse plus approfondie. Or ce n’est pas le cas. Le juge de la peine a erré en concluant différemment. En conséquence, la Cour n’a pas besoin de revoir la décision qu’elle a rendue dans l’affaire Lyons en ce qui a trait à la constitutionnalité du par. 753(1).

[47]                          Un dernier point doit être abordé. Les modifications de 2008 ont également entraîné l’adoption de l’art. 753.01. Le juge de la peine a conclu que cette disposition rendait la déclaration de délinquant dangereux visée au par. 753(1) permanente et imposait de nouvelles conséquences au délinquant. Cependant, le régime des délinquants dangereux a un effet permanent depuis l’arrêt Lyons (p. 342). Le changement porte sur les conséquences éventuelles de cette déclaration eu égard à l’art. 753.01. Cela dit, la constitutionnalité de ces conséquences n’est pas en cause en l’espèce. M. Boutilier a été condamné à une peine de détention pour une période indéterminée non pas sur le fondement de l’art. 753.01, mais plutôt à l’issue d’une demande régulière de déclaration de délinquant dangereux en vertu de l’art. 753. Il serait imprudent pour la Cour de statuer sur la constitutionnalité de l’art. 753.01 sans exemple concret de ses effets réels. Il est donc inutile d’examiner la constitutionnalité de l’interaction entre le par. 753(1) et l’art. 753.01, une disposition qui s’applique aux déclarations de culpabilité ultérieures prononcées contre des délinquants dangereux.

B.            Le paragraphe 753(4.1) a‑t‑il pour effet d’entraîner une peine exagérément disproportionnée, en contravention avec l’art. 12  de la Charte , en imposant par présomption une peine de détention pour une période indéterminée et en empêchant le juge de la peine d’infliger une peine juste conforme aux principes et aux objectifs de la détermination de la peine?

[48]                          Le paragraphe 753(4.1) actuel a été adopté en 2008. Notre Cour ne s’est pas encore penchée sur sa constitutionnalité. Il est rédigé ainsi :

                    (4.1) Le tribunal inflige une peine de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée sauf s’il est convaincu, sur le fondement des éléments mis en preuve lors de l’audition de la demande, que l’on peut vraisemblablement s’attendre à ce que le fait d’infliger une mesure moins sévère en vertu des alinéas (4)b) ou c) protège de façon suffisante le public contre la perpétration par le délinquant d’un meurtre ou d’une infraction qui constitue des sévices graves à la personne.

[49]                          M. Boutilier soutient que le par. 753(4.1) contrevient à l’art. 12  de la Charte .

[50]                          La juge en chef McLachlin a récemment résumé le cadre applicable à une allégation de peine cruelle et inusitée fondée sur l’art. 12  de la Charte  :

                    Une peine contrevient à l’art. 12 lorsquelle est « exagérément disproportionnée » à la peine qui convient, eu égard à la nature de linfraction et à la situation du délinquant ([R. c.] Nur [2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773], par. 39; R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045, p. 1073). Une règle de droit porte atteinte à l’art. 12 lorsquelle a pour effet dinfliger à laccusé une peine exagérément disproportionnée ou que ses applications raisonnablement prévisibles infligeront à dautres personnes des peines exagérément disproportionnées (Nur, par. 77).

(R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130, par. 22)

[51]                          M. Boutilier fait valoir que les applications raisonnablement prévisibles du par. 753(4.1) ont pour effet d’entraîner des peines exagérément disproportionnées parce que la disposition impose par présomption une peine de détention pour une période indéterminée aux délinquants déclarés dangereux chaque fois qu’il existe des préoccupations relatives à la sécurité du public, et ce, même lorsqu’une telle peine ne serait pas une peine juste dans un cas donné. Cet argument repose sur deux prémisses. D’une part, M. Boutilier soutient qu’interprété adéquatement, le par. 753(4.1) est une disposition qui limite le pouvoir discrétionnaire du juge de la peine d’imposer une peine juste à la lumière de tous les facteurs et circonstances applicables, et des principes et objectifs de la détermination de la peine. D’autre part, il affirme que le par. 753(4.1) impose une présomption de détention pour une période indéterminée à l’égard des délinquants déclarés dangereux.

[52]                          Après avoir lu attentivement les motifs de ma collègue, je ne peux, pour les motifs énoncés ci‑dessous, convenir que le par. 753(4.1) impose la détention pour une période indéterminée lorsqu’une telle peine est exagérément disproportionnée à celle prescrite par les principes de détermination de la peine. Les principes et les objectifs de détermination de la peine énoncés au Code criminel , y compris le principe fondamental de la proportionnalité inscrit à l’art. 718.1, ne bénéficient pas de la protection constitutionnelle, et ils peuvent être restreints, au besoin, par le législateur pour atteindre un objectif pénal régulier, tant que le juge de la peine n’est pas tenu d’imposer une peine « exagérément disproportionnée » à celle normalement prescrite par les art. 718 à 718.2 du Code criminel  (R. c. Safarzadeh‑Markhali, 2016 CSC 14, [2016] 1 R.C.S. 180, par. 71; R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773, par. 40‑42). Dans R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045, la Cour a mentionné trois facteurs qui sont utiles au moment de décider si la peine est « exagérément disproportionnée » à ce qui aurait été approprié : « . . . les questions de savoir si la peine est nécessaire pour atteindre un objectif pénal régulier, si elle est fondée sur des principes reconnus en matière de détermination de la peine et s’il existe des solutions de rechange valables à la peine imposée . . . » (p. 1074). Compte tenu de l’objectif préventif élevé de la disposition, reconnu à l’al. 718c), ainsi que de l’obligation du juge de la peine de se pencher attentivement sur le caractère approprié des solutions de rechange à la détention pour une durée indéterminée eu égard à la gamme complète des principes de détermination de la peine, je ne peux conclure que l’art. 753(4.1) impose une peine « exagérément disproportionnée » au point où les Canadiens et les Canadiennes considéreraient celle‑ci comme odieuse ou intolérable.

(1)           Le pouvoir discrétionnaire du juge de la peine d’infliger une peine juste en vertu du par. 753(4.1)

[53]                          Notre Cour a constamment affirmé que les procédures relatives au statut de délinquant dangereux sont des procédures de détermination de la peine (R. c. Steele, 2014 CSC 61, [2014] 3 R.C.S. 138, par. 40; Jones, p. 279‑280 et 294‑295; Lyons, p. 350). Dans une procédure relative au statut de délinquant dangereux, le juge de la peine doit donc appliquer les principes de détermination de la peine et les directives obligatoires prévues aux art. 718 à 718.2 (R. c. Johnson, 2003 CSC 46, [2003] 2 R.C.S. 357, par. 23; Neuberger, p. 3‑4). Ces dispositions du Code criminel  énoncent le but et les objectifs de la détermination de la peine (art. 718), le principe fondamental de la proportionnalité (art. 718.1) — « la condition sine qua non d’une sanction juste » (R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433, par. 37) — et les principes de détermination de la peine qu’un tribunal doit prendre en considération avant d’imposer une peine, quelle qu’elle soit, à un délinquant (art. 718.2). Une erreur dans l’application de ces principes est susceptible de révision par un tribunal d’appel (R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089).

[54]                          La prétention de M. Boutilier selon laquelle, dans le cadre du régime des délinquants dangereux, le juge de la peine n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’imposer une peine appropriée à la lumière des principes et des objectifs de la détermination de la peine ne trouve aucun appui dans la jurisprudence. Depuis les modifications de 2008, les tribunaux d’appel ont continué à appliquer ces principes sous le régime de l’art. 753 (R. c. Warawa, 2011 ABCA 294, 278 C.C.C. (3d) 409, par. 40; R. c. Osborne, 2014 MBCA 73, 314 C.C.C. (3d) 57, par. 90‑91; R. c. Bragg, 2015 BCCA 498, 332 C.C.C. (3d) 145, par. 26; R. c. Smarch, 2015 YKCA 13, 374 B.C.A.C. 291, par. 46‑47). Ces principes de détermination de la peine s’appliquent à toute décision relative à la peine, qu’elle soit prise en vertu du régime ordinaire de détermination de la peine, du régime des délinquants dangereux ou de celui des délinquants à contrôler. L’affaire Ipeelee en est un exemple. Dans ce dossier, Manasie Ipeelee et Frank Ralph Ladue ont été condamnés à une peine sous le régime des délinquants à contrôler. Notre Cour a néanmoins examiné la justesse de leur peine en fonction des principes de détermination de la peine, et plus précisément du principe énoncé à l’al. 718.2e), qui oblige les juges à porter attention aux circonstances dans lesquelles se trouvent les délinquants autochtones dans les procédures de détermination de la peine (voir R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688).

[55]                          La prétention de M. Boutilier n’est pas non plus appuyée par les principes qui sous‑tendent la détention pour une période indéterminée. Cette peine exceptionnelle ne constitue pas une exception aux principes de détermination de la peine, mais plutôt une peine que commande la bonne application de ces principes. Comme l’a expliqué le juge La Forest dans l’arrêt Lyons, la détention préventive « représente [. . .] un jugement que l’importance relative des objectifs de réinsertion sociale, de dissuasion et de châtiment peut diminuer sensiblement dans un cas particulier et celle de la prévention s’accroître proportionnellement » (p. 329). Pour conclure que les objectifs de réinsertion sociale et de châtiment sont supplantés par les objectifs de la prévention dans un cas donné, le juge de la peine doit évaluer l’importance relative des objectifs de la détermination de la peine dans ce cas en particulier.

[56]                          M. Boutilier soutient qu’en mentionnant uniquement l’objectif de la protection du public, le texte du par. 753(4.1) exclut les autres objectifs et principes de détermination de la peine de la portée du pouvoir discrétionnaire du juge de la peine. À mon avis, une interprétation raisonnable du par. 753(4.1) n’entraîne pas l’exclusion de ces principes. Le législateur a le droit de décider que la protection du public constitue un objectif accru de détermination de la peine pour les personnes qui sont déclarées dangereuses. Cela ne signifie pas que cet objectif opère à l’exclusion de tous les autres. Le législateur peut guider les tribunaux de manière à ce que ceux‑ci mettent l’accent sur certains principes de détermination de la peine dans certaines circonstances, sans restreindre la capacité de ceux‑ci de prendre en considération la situation dans son ensemble. L’emphase sur la sécurité du public est compatible avec le fait que la partie XXIV du Code vise généralement la protection du public (Steele, par. 27). En outre, elle est aussi compatible avec les principes de détermination de la peine de manière générale, puisque l’objectif accru de la sécurité du public se rapproche de la raison qui justifie l’imposition d’une peine de détention pour une période indéterminée.

[57]                          Il s’ensuit que, si l’on pouvait réaliser l’objectif de la protection du public dans un cas donné sans imposer une peine de détention pour une période indéterminée, une disposition relative aux délinquants dangereux qui oblige le juge de la peine à déclarer qu’un délinquant est dangereux et à ensuite lui imposer une peine de détention pour une période indéterminée irait « au‑delà de l’objectif de la protection du public, qui sous‑tend le régime applicable aux délinquants dangereux » (Johnson, par. 20). Ceci est conforme au principe énoncé à l’al. 718.2d), à savoir « l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient ». Bien que le régime actuel de détermination de la peine pour les délinquants dangereux diffère de celui qui était en place lorsque l’arrêt Johnson a été rendu, le raisonnement de la Cour dans cet arrêt continue de s’appliquer. Je m’explique.

[58]                          Depuis les modifications de 2008, la peine de détention pour une période indéterminée n’est plus imposée automatiquement au délinquant dangereux. Cette peine est plutôt une option parmi d’autres options offertes au par. 753(4). Au lieu d’une peine de détention pour une période indéterminée, le juge peut imposer une peine qui est davantage proportionnée à l’infraction sous‑jacente pour laquelle le délinquant se voit infliger une peine, qu’il s’agisse d’une peine minimale d’emprisonnement de deux ans suivie d’une surveillance de longue durée — ce qui équivaut à une peine de délinquant à contrôler — ou d’une peine suivant le régime ordinaire de détermination de la peine. Les différentes options en matière de détermination de la peine énoncées au par. 753(4) englobent donc l’éventail complet des peines envisagées par le Code criminel .

[59]                          Lorsque l’arrêt Johnson a été rendu, la détention pour une période indéterminée était la seule peine qui pouvait être imposée aux délinquants dangereux en vertu de l’art. 753. Néanmoins, la Cour n’a pas considéré que cette disposition commandait l’imposition d’une peine de détention pour une durée indéterminée à tous les délinquants déclarés dangereux. Elle a refusé de le faire parce que cela eût été « directement à l’encontre du principe sous‑jacent que la peine doit être appropriée aux circonstances de l’espèce » (Johnson, par. 24).

[60]                          Les paragraphes 753(4) et (4.1) devraient donc être considérés comme une codification de l’arrêt Johnson : le premier paragraphe énumère les différentes options qui s’offrent au juge de la peine, alors que le second codifie l’exercice par le juge de la peine du pouvoir discrétionnaire exigé dans cet arrêt. Pour exercer comme il se doit le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le par. 753(4), le juge de la peine doit imposer la peine la moins contraignante possible pour réaliser l’objet principal du régime.

[61]                          Dans ce contexte, il serait peu crédible d’affirmer que les principes énoncés aux art. 718 à 718.2 ne sont pas pertinents pour l’exercice par le juge de la peine du pouvoir discrétionnaire nouvellement codifié aux par. 753(4) et (4.1), alors que ceux‑ci étaient pertinents même sous l’ancien régime, qui prévoyait qu’une peine de détention pour une période indéterminée devait être imposée automatiquement à chaque délinquant dangereux. Les modifications de 2008 ont remplacé la peine obligatoire de détention pour une période indéterminée par une codification du principe selon lequel le juge de la peine doit imposer une peine adaptée à la situation du délinquant en cause et compatible avec les principes de détermination de la peine. Considéré dans son contexte historique, le par. 753(4.1) actuel confère un pouvoir discrétionnaire d’appliquer les principes généraux de détermination de la peine de manière plus explicite que ne le faisait le régime antérieur. Il le fait au profit du délinquant, lequel ne peut se plaindre d’un pouvoir discrétionnaire qui ne peut jouer qu’en sa propre faveur (voir Lyons, p. 348‑349).

[62]                          En outre, rien dans le texte du par. 753(4.1) n’élimine l’obligation incombant au juge de la peine de prendre en considération tous les principes de détermination de la peine afin de choisir une peine qui est juste dans le cas du délinquant en cause.

[63]                          Pour tous ces motifs, la culpabilité morale du délinquant, la gravité de l’infraction, les facteurs atténuants et les principes établis pour les délinquants autochtones font chacun partie du processus de détermination de la peine dans le cadre du régime des délinquants dangereux. Chacune de ces considérations est pertinente lorsqu’il s’agit de décider si une peine moins sévère protégerait de façon suffisante le public. La prétention de M. Boutilier à l’effet contraire a été rejetée à maintes reprises par la Cour relativement à tout régime de détermination de la peine du Code criminel , et vise, dans les faits, à lire au par. 753(4.1) une interdiction, alors qu’il n’en existe aucune.

(2)           La question de la présomption de détention pour une période indéterminée au par. 753(4.1)

[64]                          Le paragraphe 753(4.1) prévoit que le juge « inflige » une peine de détention pour une période indéterminée sauf s’il est convaincu, au vu de la preuve, « que l’on peut vraisemblablement s’attendre à ce que le fait d’infliger une mesure moins sévère [. . .] protège de façon suffisante le public contre la perpétration par le délinquant d’un meurtre ou d’une infraction qui constitue des sévices graves à la personne ». M. Boutilier soutient que cette disposition édicte une présomption selon laquelle une peine de détention pour une période indéterminée constitue une peine juste dans le cas d’un délinquant dangereux et qu’elle impose au délinquant le fardeau d’administrer des éléments de preuve visant à démontrer que l’on peut « vraisemblablement s’attendre » à ce que le fait d’imposer une mesure moins sévère protège de façon suffisante le public. Il soutient également que ce fardeau va au‑delà de celui qui est envisagé par la Cour dans Johnson. Encore une fois, je ne suis pas d’accord.

[65]                          Le paragraphe 753(4.1) guide le juge dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, celui‑ci devant ultimement déterminer la peine qui est la plus juste dans un cas donné eu égard aux éléments mis en preuve au cours de l’audience sur la détermination de la peine. Dans l’arrêt Johnson, la Cour a déclaré que le « tribunal ne doit déclarer qu’un délinquant est un délinquant dangereux et le condamner à une peine de détention d’une durée indéterminée que s’il s’agit du moyen le moins contraignant d’abaisser à un niveau acceptable le danger que constitue le délinquant pour le public » (par. 44). Rappelons que le par. 753(4.1) est simplement une codification de l’exercice du pouvoir discrétionnaire exigé dans Johnson à la lumière de l’objectif général de protection du public que poursuit le régime à l’égard des délinquants qui présentent un risque très élevé de récidive préjudiciable.

[66]                          Cette interprétation du par. 753(4.1) est conforme à l’art. 718.3 :

                    718.3 (1) Lorsqu’une disposition prescrit différents degrés ou genres de peine à l’égard d’une infraction, la punition à infliger est, sous réserve des restrictions contenues dans la disposition, à la discrétion du tribunal qui condamne l’auteur de l’infraction.

(2) Lorsqu’une disposition prescrit une peine à l’égard d’une infraction, la peine à infliger est, sous réserve des restrictions contenues dans la disposition, laissée à l’appréciation du tribunal qui condamne l’auteur de l’infraction, mais nulle peine n’est une peine minimale à moins qu’elle ne soit déclarée telle.

[67]                          Elle est conforme également à l’interprétation donnée par la Cour à l’art. 742.1 — une disposition obligeant le juge à être « convaincu que la mesure [purger la peine dans la collectivité] ne met pas en danger la sécurité de la collectivité » avant de pouvoir octroyer le sursis à l’emprisonnement. Comme l’a expliqué le juge en chef Lamer :

                    Le texte de l’art. 742.1 n’impose à aucune des parties la charge de prouver qu’il y a lieu ou non d’octroyer au délinquant le sursis à l’emprisonnement. Pour décider de la peine appropriée, le juge peut prendre en considération tous les éléments de preuve, peu importe qui les a produits ([R. c.] Ursel [(1997), 96 B.C.A.C. 241], p. 264‑265 et 287).

                        En matière de détermination de la peine, quoique l’on attende de chaque partie qu’elle produise des éléments au soutien de sa position en ce qui concerne la peine appropriée, la décision finale quant à ce qui constitue la meilleure peine est laissée à l’appréciation du juge. [Je souligne.]

(R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, par. 120-121)

[68]                          Suivant le par. 753(4.1), le juge de la peine est tenu de procéder à un « examen approfondi » de la possibilité de contrôle au sein de la collectivité (Johnson, par. 50). Il prend en considération l’ensemble de la preuve lui ayant été présentée à l’audience de manière à déterminer la peine qui est la plus juste dans le cas du délinquant :

                    [TRADUCTION] Le juge devrait [. . .] prendre en considération l’ensemble de la preuve avant de prendre une décision, ce qui nécessitera inévitablement un examen approfondi. À l’issue de cet examen, il appartiendra au juge de déterminer la peine à infliger; ni l’une ni l’autre des parties n’a à prouver en fonction de quelque norme que ce soit la peine qu’il convient d’imposer d’une manière ou d’une autre.

(Neuberger, p. 4‑4.1; voir aussi p. 10‑10.)

[69]                          Autrement dit, le par. 753(4.1) donne des indications sur la manière dont le juge de la peine peut exercer comme il se doit son pouvoir discrétionnaire en conformité avec les objectifs et les principes applicables en matière de détermination de la peine. Comme il a été expliqué précédemment, le législateur peut guider les tribunaux de manière à ce que ceux‑ci mettent l’accent sur certains principes de détermination de la peine dans certaines circonstances, sans restreindre leur pouvoir discrétionnaire. Lorsque le juge de la peine a épuisé les options les moins contraignantes en matière de détermination de la peine pour résoudre la question du risque en se fondant sur la preuve, il peut, comme dernière option, infliger une peine de détention pour une période indéterminée dans un pénitencier.

[70]                          La juge Tuck‑Jackson de la Cour de justice de l’Ontario a bien expliqué le cadre d’analyse que devrait adopter le juge de la peine dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en vertu du par. 753(4.1) (R. c. Crowe, no 10‑10013990, 22 mars 2017). Premièrement, si le tribunal est convaincu qu’une peine traditionnelle — laquelle peut inclure une période de probation lorsque possible juridiquement — protégera de façon suffisante le public contre la perpétration d’un meurtre ou d’une infraction qui constitue des sévices graves à la personne, il doit alors imposer cette peine. Dans le cas contraire, il doit procéder à une deuxième évaluation et déterminer s’il est convaincu qu’une peine d’emprisonnement traditionnelle d’une durée minimale de 2 ans, suivie d’une surveillance de longue durée pour une période maximale de 10 ans, protégera de façon suffisante le public contre la perpétration par le délinquant d’un meurtre ou d’une infraction qui constitue des sévices graves à la personne. Dans l’affirmative, le tribunal doit imposer cette peine. Dans la négative, il doit alors passer à la troisième étape et imposer une peine de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée. Le paragraphe 753(4.1) reflète le fait que la peine à imposer au délinquant dangereux doit être une peine susceptible d’abaisser le risque à un niveau acceptable, ni plus ni moins.

[71]                          Bref, l’argument de M. Boutilier fondé sur l’art. 12 repose sur une interprétation erronée de la disposition contestée. Interprété et appliqué comme il se doit, le par. 753(4.1) n’impose pas de fardeau de preuve, de présomption réfutable ou de sanction obligatoire. Il n’empêche pas non plus le juge de la peine de prendre en considération les principes et les objectifs de détermination de la peine. Chaque peine doit être imposée après évaluation individuelle de tous les facteurs et circonstances applicables. Vu sous cet angle, le par. 753(4.1) n’aura pas pour effet d’entraîner une peine exagérément disproportionnée ou l’imposition d’une peine de détention pour une période indéterminée dans les cas où telle peine n’est pas une peine juste. Le juge de la peine et la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique ont donc à juste titre rejeté la thèse de M. Boutilier sur ce point.

C.            Le paragraphe 753(4.1) a‑t‑il une portée excessive, en contravention avec l’art. 7  de la Charte , en ce qu’il s’applique à des délinquants qui auraient pu être surveillés dans le cadre du régime des délinquants à contrôler?

[72]                          M. Boutilier soutient également que le par. 753(4.1) a une portée excessive, en contravention avec l’art. 7, au motif que certains délinquants déclarés dangereux satisfont aux conditions légales applicables à la déclaration de délinquant à contrôler prévues à l’art. 753.1. Selon lui, la disposition a une portée excessive parce que ces délinquants, qui auraient pu être surveillés de manière appropriée dans le cadre du régime des délinquants à contrôler, risquent de se voir imposer une peine de détention pour une période indéterminée en vertu du par. 753(4.1). Il ajoute qu’une anomalie découle du fait que, dans le cadre du régime des délinquants dangereux, les délinquants doivent satisfaire à la norme plus exigeante de l’« attente vraisemblable » de contrôle pour obtenir une peine moins sévère alors que, dans le cadre du régime des délinquants à contrôler, ils doivent satisfaire à la norme moins exigeante de la « possibilité réelle » de contrôle. M. Boutilier fait donc valoir que le risque de se voir imposer une peine de détention pour une période indéterminée aux par. 753(4) et (4.1) tient uniquement à la question de savoir si la Couronne exerce son pouvoir discrétionnaire d’assujettir le délinquant au régime des délinquants dangereux ou à celui des délinquants à contrôler.

[73]                          Les conditions applicables pour être déclaré délinquant à contrôler sont énoncées au par. 753.1(1) :

                    753.1 (1) Sur demande faite, en vertu de la présente partie, postérieurement au dépôt du rapport d’évaluation visé au paragraphe 752.1(2), le tribunal peut déclarer que le délinquant est un délinquant à contrôler, s’il est convaincu que les conditions suivantes sont réunies :

                    a)   il y a lieu d’imposer au délinquant une peine minimale d’emprisonnement de deux ans pour l’infraction dont il a été déclaré coupable;

                    b)   celui‑ci présente un risque élevé de récidive;

                    c)   il existe une possibilité réelle que ce risque puisse être maîtrisé au sein de la collectivité.

[74]                          Même s’il est vrai que la Cour dans l’arrêt Johnson a conclu que « [l]a quasi‑totalité des délinquants qui remplissent les conditions d’une déclaration de délinquant dangereux rempliront les deux premières conditions d’une déclaration de délinquant à contrôler » (par. 31) et que, dans certains cas, un délinquant déclaré dangereux peut établir l’existence d’« une possibilité réelle que [l]e risque puisse être maîtrisé » — de sorte qu’il relèverait du régime des délinquants à contrôler —, cette conclusion n’a aucune pertinence en ce qui a trait à la constitutionnalité du par. 753(4.1).

[75]                          Il ne fait aucun doute que les conditions d’une déclaration de délinquant dangereux sont plus exigeantes que celles d’une déclaration de délinquant à contrôler. Plus particulièrement, aux termes du par. 753(1), le juge de la peine doit être convaincu que « le délinquant [. . .] constitue un danger pour la vie, la sécurité ou le bien‑être physique ou mental de qui que ce soit », tandis que, suivant l’art. 753.1, il doit être simplement convaincu que le délinquant « présente un risque élevé de récidive ». Comme je l’ai expliqué précédemment, lorsqu’il est interprété correctement, le par. 753(1) limite à un groupe restreint de délinquants, dangereux per se, le risque de se voir imposer une peine de détention pour une période indéterminée en vertu des par. 753(4) et (4.1). On ne peut donc pas dire que les deux régimes visent les mêmes délinquants.

[76]                          En outre, comme je l’ai déjà conclu, le par. 753(4.1) ne crée pas de présomption selon laquelle une peine de détention pour une période indéterminée constitue la peine appropriée — le juge de la peine est tenu de procéder à une analyse approfondie et de prendre en considération tous les éléments de preuve présentés à l’audience afin de déterminer la peine qui est la plus juste dans le cas du délinquant. D’ailleurs, suivant le par. 753(4), la peine qui est infligée aux délinquants à contrôler peut aussi être infligée aux délinquants dangereux susceptibles d’être maîtrisés au sein de la collectivité de manière à protéger de façon suffisante le public contre la perpétration d’un meurtre ou d’une infraction qui constitue des sévices graves à la personne.

[77]                          Le fait pour le juge de la peine d’imposer une peine de détention pour une période indéterminée s’il n’est pas convaincu que l’on peut « vraisemblablement s’attendre » à ce que l’imposition d’une peine moins sévère « protège de façon suffisante le public contre la perpétration par le délinquant d’un meurtre ou d’une infraction qui constitue des sévices graves à la personne » constitue un moyen rationnel de réaliser l’objectif de la protection du public que poursuit la partie XXIV du Code criminel , dans la mesure où une telle peine ne peut être infligée qu’aux repris de justice qui constituent un risque énorme pour la sécurité du public. Une application rigoureuse des conditions applicables à la déclaration de délinquant dangereux prévues au par. 753(1) permet d’éviter que la disposition ait une portée excessive et qu’elle vise des délinquants qui ne devraient pas être exposés au risque de se voir imposer une peine de détention pour une période indéterminée.

D.            Le juge de la peine a‑t‑il fait erreur en condamnant M. Boutilier à une peine de détention pour une période indéterminée?

[78]                          M. Boutilier a plaidé coupable à six accusations criminelles portées à la suite d’un vol qualifié dans une pharmacie au moyen d’une fausse arme à feu, et de la poursuite automobile qui a suivi. Il était âgé de 41 ans au moment des infractions sous‑jacentes et de 46 ans lors du prononcé de la peine.

[79]                          Il a un lourd casier judiciaire et il a passé la majeure partie de sa vie derrière les barreaux pour des infractions semblables liées à des vols qualifiés qu’il a perpétrées à Seattle en 1988 et à Brantford en 2000‑2001. Son casier judiciaire d’adulte, à l’exclusion des infractions pour lesquelles le juge de la peine lui a imposé une peine, comprend 24 déclarations de culpabilité pour plusieurs cas d’introduction par effraction et autres infractions relatives à des biens, des vols qualifiés, un complot en vue de commettre un vol qualifié, l’évasion d’une garde légale, des voies de fait, une agression armée et un enlèvement.

[80]                          M. Boutilier a été évalué par le Dr Schweighofer, un psychologue judiciaire qui a conclu que sa tendance à commettre des infractions criminelles dangereuses était attribuable à sa toxicomanie. Sur ce fondement, le Dr Schweighofer a estimé qu’il était très probable qu’il continue à commettre des infractions criminelles pour financer sa consommation de drogues. Il a expliqué le peu de succès du vaste éventail de programmes de traitement de la toxicomanie auxquels M. Boutilier a participé au cours de sa vie, à l’exception d’un programme offert dans une maison de transition à Vancouver (la Belkin House), où il est resté pendant plusieurs mois en 2007‑2008, et auquel il a bien répondu.

[81]                          Bien que le pourvoi de M. Boutilier porte uniquement sur l’imposition d’une peine de détention d’une durée indéterminée, je dois d’abord me pencher sur sa déclaration de délinquant dangereux. L’article 759  du Code criminel  régit le droit d’appel dans de tels cas. Se fondant sur le libellé général de cette disposition, notre Cour a affirmé que « le contrôle en appel d’une déclaration de délinquant dangereux est un peu plus vigoureux » que le contrôle normal en appel d’une peine (Sipos, par. 26). Néanmoins, le tribunal d’appel doit faire preuve d’une certaine retenue envers les conclusions du juge de la peine. En résumé, les erreurs de droit seront contrôlées suivant la norme de la décision correcte, tandis que les erreurs de fait seront contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (Neuberger, p. 9‑2).

[82]                          Le juge de la peine a commis une erreur de droit parce qu’il n’a pas pris en considération les perspectives de traitement de M. Boutilier avant de déclarer celui‑ci délinquant dangereux. Toutefois, ce ne sont pas toutes les erreurs de droit qui requièrent qu’une nouvelle audience soit ordonnée. Dans de rares cas, où l’erreur de droit n’a donné lieu à aucun tort important ni à aucune erreur judiciaire grave, un tribunal d’appel peut, en vertu de l’al. 759(3)b), rejeter l’appel d’une déclaration portant qu’un délinquant est dangereux :

                    Une cour d’appel peut certes rejeter l’appel d’une déclaration portant qu’un délinquant est dangereux pour le motif que l’erreur de droit n’a donné lieu à aucun tort important ni à aucune erreur judiciaire grave, mais elle ne peut le faire que très rarement. Dans R. c. Bevan, [1993] 2 R.C.S. 599, p. 617, notre Cour a conclu que la disposition réparatrice correspondant au sous‑al. 686(1)b)(iii) ne s’applique qu’en l’absence d’une possibilité raisonnable que le verdict eût été différent si l’erreur de droit n’avait pas été commise. La même norme stricte s’applique pour les besoins de l’al. 759(3)b).

(Johnson, par. 49; voir aussi Sipos, par. 35.)

[83]                          La présente affaire constitue l’un de ces rares cas. En l’espèce, l’erreur de droit ne change rien à la conclusion du juge de la peine concernant la dangerosité de M. Boutilier. Le juge a conclu que la conduite de M. Boutilier était irréductible parce que les perspectives qu’il vainque ses dépendances — lesquelles sont à l’origine de sa dangerosité — n’étaient rien de plus qu’un [traduction] « vœu pieux ».

[84]                          Le juge de la peine a prévu qu’il pourrait y avoir un désaccord en appel sur la question de savoir si le par. 753(1) inclut encore le facteur de l’« irréductibilité ». En conséquence, il a expliqué que son analyse demeurerait inchangée même s’il prenait en considération les perspectives de traitement de M. Boutilier à l’étape de la déclaration :

                    [TRADUCTION] Par souci d’exhaustivité, je souligne que, même s’il était possible de prendre en considération les perspectives de traitement futur à l’étape de la déclaration prévue au par. 753(1), un vœu pieux ne changerait rien à ma conclusion selon laquelle un préjudice sera « vraisemblablement » causé à l’avenir, comme il a été expliqué précédemment. [2015 BCSC 901, par. 210]

[85]                          En l’absence de toute erreur de droit importante, une déclaration de délinquant dangereux est une question de fait. Le rôle du tribunal d’appel est donc de décider si la déclaration était raisonnable (Currie, par. 33). M. Boutilier n’a attiré l’attention de la Cour sur aucun aspect de la décision du juge de la peine qui rendrait celle‑ci déraisonnable. La preuve la plus favorable présentée au juge de la peine portait sur la conduite de M. Boutilier entre novembre 2007 et août 2008, lorsqu’il a séjourné à la Belkin House à Vancouver. M. Boutilier attache une très grande importance à cette période dans ses arguments. Or, comme la Couronne l’a souligné à juste titre à l’audience, cette période ne constitue qu’un aspect d’un tableau global plutôt sombre.

[86]                          Le juge a conclu que M. Boutilier n’est pas un psychopathe ni un délinquant sexuel, mais plutôt un toxicomane qui devient impulsif et dangereux lorsqu’il consomme de la drogue — il présente un risque élevé de perpétrer des infractions lorsqu’il fait une rechute, puisqu’il va faire tout ce qu’il faut pour obtenir de la drogue. Le juge a statué que M. Boutilier met la sécurité physique et la vie d’autrui en danger lorsqu’il commet des infractions. Le juge a inféré l’ampleur et l’irréductibilité de sa dépendance en partie du fait que M. Boutilier a continué de consommer de la drogue pendant sa détention, malgré les nombreuses surdoses qu’il a faites dans sa vie. Le juge a estimé que les perspectives de réussite du traitement de la dépendance de M. Boutilier n’étaient rien de plus qu’un vœu pieux, son expérience positive à la Belkin House n’ayant constitué qu’un bref intermède positif sur une période de 35 ans (2015 BCSC 901, par. 203‑210). M. Boutilier ne soutient pas que ces conclusions de fait ne sont pas étayées par la preuve.

[87]                          Comme M. Boutilier a systématiquement omis de se conformer aux conditions de sa mise en liberté, le juge de la peine a jugé impossible de conclure qu’une peine de détention d’une durée déterminée suivie d’une période de surveillance protégerait de façon suffisante le public contre la perpétration d’une infraction qui constitue des sévices graves à la personne.

[88]                          Eu égard à ces conclusions de fait, la déclaration de délinquant dangereux prononcée contre M. Boutilier et l’imposition d’une peine de détention pour une période indéterminée ne peuvent être considérées comme déraisonnables.

[89]                          Pour ces motifs, le pourvoi est rejeté. Les paragraphes 753(1)  et 753(4.1)  du Code criminel  sont constitutionnels. Le juge de la peine n’a pas fait erreur en condamnant M. Boutilier à une peine de détention pour une période indéterminée.

                    Version française des motifs rendus par

                    La juge Karakatsanis (dissidente en partie)

I.               Aperçu

[90]                          Il y a 30 ans, notre Cour a jugé qu’un régime de détention pour une période indéterminée conçu pour ne viser qu’un très petit groupe de délinquants très dangereux était constitutionnel (R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309). Le vaste pouvoir discrétionnaire qui était alors conféré aux juges offrait une protection clé. Or, des modifications législatives ont depuis éliminé une bonne part du pouvoir discrétionnaire sur lequel reposait l’arrêt Lyons. Aujourd’hui, le régime des délinquants dangereux rend obligatoire la détention pour une période indéterminée — l’une des peines les plus lourdes prévues au Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46  — même dans les cas où une telle peine est exagérément disproportionnée à la culpabilité morale du délinquant.

[91]                          À l’instar de ma collègue, je suis d’avis que le par. 753(1)  du Code criminel  oblige le juge à prendre en considération les perspectives de traitement futur du délinquant et que cette disposition n’est donc pas inconstitutionnelle pour cause de portée excessive. Toutefois, étant donné que le par. 753(1) ne confère aucun pouvoir discrétionnaire au juge et que M. Boutilier n’a pas contesté sa constitutionnalité avec succès, je ne peux accepter que le par. 753(4.1) résiste à l’examen de sa constitutionnalité. Parce qu’elle exige que l’on mette l’accent uniquement sur la sécurité du public, cette disposition impose une peine pour une période indéterminée dans les cas où celle‑ci est exagérément disproportionnée à la peine que commandent les principes de détermination de la peine énoncés dans le Code criminel . Le paragraphe 753(4.1)  viole l’art. 12  de la Charte canadienne des droits et libertés  et ne peut être justifié au regard de l’article premier. Je suis donc d’avis de le déclarer inopérant.

[92]                          M. Boutilier a été condamné à purger une peine de détention pour une période indéterminée sur le fondement d’une disposition inconstitutionnelle. Si le juge n’avait pas tenu pour acquis que le par. 753(4.1) restreint son pouvoir discrétionnaire, il aurait probablement imposé une peine pour une période déterminée assortie d’une ordonnance de surveillance de longue durée. Il faut donc tenir une nouvelle audience afin de déterminer la peine appropriée.

II.            Historique des dispositions législatives

[93]                          Les dispositions sur les délinquants dangereux figurent aux art. 752  à 761  du Code criminel . Sur demande du poursuivant et au terme d’une évaluation psychologique effectuée par un expert, une audience est tenue pour déterminer s’il y a lieu de déclarer le délinquant dangereux et, dans l’affirmative, si ce dernier devrait être condamné à une peine de détention pour une période indéterminée (art. 753).

[94]                          Lorsque notre Cour a pour la première fois examiné la constitutionnalité du régime des délinquants dangereux dans l’affaire Lyons, les dispositions législatives en cause conféraient au juge de la peine un pouvoir discrétionnaire tant à l’étape de la déclaration de délinquant dangereux qu’à l’étape de la sanction. En effet, la loi prescrivait alors que, lorsqu’il est satisfait aux critères d’origine législative relatifs à la dangerosité, le juge de la peine « peut » déclarer qu’un délinquant est dangereux. Le même juge avait aussi le pouvoir discrétionnaire d’imposer une peine de détention pour une période indéterminée au délinquant déclaré dangereux (Code criminel, S.R.C. 1970, c. C‑34, art. 688 [abr. & rempl. 1976-77, c. 53, art. 14]).

[95]                          En 1997, le régime des délinquants dangereux a été modifié par la Loi modifiant le Code criminel (délinquants présentant un risque élevé de récidive), la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur les prisons et les maisons de correction et la Loi sur le ministère du Solliciteur général, L.C. 1997, c. 17. Ces modifications législatives ont eu pour effet d’éliminer le pouvoir discrétionnaire à l’étape de la sanction. En fait, s’il conservait son pouvoir discrétionnaire de déclarer ou non un délinquant dangereux dans les cas où il était satisfait aux critères législatifs liés à la dangerosité (par. 753(1)), le juge de la peine n’avait toutefois d’autre choix aux termes de la loi que de condamner le délinquant déclaré dangereux à une détention pour une période indéterminée (par. 753(4)). Dans l’arrêt R. c. Johnson, 2003 CSC 46, [2003] 2 R.C.S. 357, notre Cour a confirmé que ce nouveau régime législatif ne permettait pas au juge d’imposer une peine de détention pour une période indéterminée s’il était « convaincu que les sanctions prévues par les dispositions applicables aux délinquants à contrôler permettent d’abaisser à un niveau acceptable le risque pour la vie, la sécurité ou le bien‑être physique ou mental de qui que ce soit » (par. 40). Ainsi, les délinquants qui satisfaisaient aux critères d’origine législative n’étaient déclarés délinquants dangereux et condamnés à purger une peine de détention pour une période indéterminée que s’il était impossible de bien gérer le risque qu’ils présentaient par la voie du régime des délinquants à contrôler. Il n’y avait aucun pouvoir discrétionnaire à l’étape de la sanction, mais le pouvoir discrétionnaire à l’étape de la déclaration de délinquant dangereux faisait en sorte que les principes de détermination de la peine énoncés aux art. 718  à 718.2  du Code criminel  continuaient de guider les décisions prises dans le cadre du régime des délinquants dangereux (Johnson, par. 28). Encore une fois, le pouvoir discrétionnaire des juges permettait de garantir que seul « un petit groupe de criminels extrêmement dangereux qui présentent un danger pour le bien‑être physique ou mental de leurs victimes » seraient condamnés à une peine d’emprisonnement pour une période indéterminée (Lyons, p. 347; Johnson, par. 19).

[96]                          Le régime des délinquants dangereux a été modifié à nouveau en 2008, lorsque la Loi sur la lutte contre les crimes violents, L.C. 2008, c. 6, est entrée en vigueur. Cette loi a éliminé tout pouvoir discrétionnaire du juge à l’étape de la déclaration de délinquant dangereux. Ainsi donc, le délinquant qui satisfait aux critères législatifs de la dangerosité doit être déclaré délinquant dangereux (par. 753(1)). À l’étape de la sanction, le par. 753(4) confère au juge le vaste pouvoir discrétionnaire d’imposer une peine de détention pour une période indéterminée, une peine de détention pour une période déterminée assortie d’une ordonnance de surveillance d’une durée d’au plus 10 ans, ou une simple peine de détention pour une période déterminée. Toutefois, le par. 753(4.1) restreint considérablement ce pouvoir discrétionnaire. En effet, le juge doit imposer une peine pour une période indéterminée, sauf s’il est convaincu, sur le fondement des éléments mis en preuve lors de l’audition, « que l’on peut vraisemblablement s’attendre à ce que [soit une peine pour une période déterminée suivie d’une ordonnance de surveillance de longue durée, soit une simple peine pour une période déterminée] protège de façon suffisante le public contre la perpétration par le délinquant d’un meurtre ou d’une infraction qui constitue des sévices graves à la personne ». Si la preuve produite dans le cadre de la demande ne satisfait pas à ce critère, le juge doit imposer une peine de détention pour une période indéterminée. Ces changements ont modifié profondément le régime législatif que notre Cour avait déclaré constitutionnel dans l’arrêt Lyons.

III.          Analyse

[97]                          M. Boutilier soutient que le par. 753(4.1) a une portée excessive et qu’il emporte des peines exagérément disproportionnées dans des circonstances raisonnablement prévisibles, en contravention des art. 7  et 12  de la Charte . Je conviens que le par. 753(4.1) viole l’art. 12 et que cette violation ne peut se justifier au regard de l’article premier de la Charte . Étant donné mes conclusions à cet égard, il n’est pas nécessaire de décider si la disposition viole aussi l’art. 7.

A.            Le paragraphe 753(4.1)  viole l’art. 12  de la Charte 

[98]                          L’article 12  de la Charte  prescrit ceci : « Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. » Une loi viole l’art. 12 si elle commande une peine qui est « totalement disproportionnée à la peine qui serait infligée conformément aux dispositions du Code criminel  sur la détermination de la peine » (R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773, par. 82). La peine appropriée, à des fins de comparaison, est déterminée à la lumière des principes et des objectifs de la détermination de la peine applicables qui sont énoncés aux art. 71 8  à 718.2  du Code criminel  (Nur, par. 40-42). La seule distinction entre la peine imposée par la disposition contestée et la peine appropriée ne suffit pas à rendre la disposition inconstitutionnelle. Pour être cruelle et inusitée, la peine imposée doit être « disproportionnée au point où les Canadiens “considéreraient cette peine odieuse ou intolérable” » (R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96, par. 14, citant R. c. Wiles, 2005 CSC 84, [2005] 3 R.C.S. 895, par. 4). La loi viole l’art. 12 si elle emporte l’imposition d’une peine exagérément disproportionnée à l’accusé ou dans les cas raisonnablement prévisibles (R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130, par. 22-23).

[99]                          Je suis d’accord avec M. Boutilier que le par. 753(4.1) viole la protection qu’offre la Charte  contre une peine cruelle et inusitée. L’explication tient à l’interprétation et à l’examen de cette disposition contestée dans le contexte du régime des délinquants dangereux.

(1)           Paragraphe 753(1)

[100]                      Le paragraphe 753(1), la disposition qui porte sur la déclaration de délinquant dangereux, est la porte d’entrée vers la peine de détention pour une période indéterminée. Ainsi que l’établissent clairement les décisions rendues par notre Cour depuis l’arrêt Lyons, le degré de responsabilité des délinquants visés par le par. 753(1) et la gravité des infractions qu’ils ont perpétrées varient considérablement.

[101]                      Pour être déclaré dangereux, le délinquant doit avoir été reconnu coupable de « sévices graves à la personne » au sens de l’art. 752  du Code criminel . Les sévices graves à la personne comprennent les infractions impliquant l’emploi ou la tentative d’emploi de la violence contre une autre personne (sous‑al. 752a)(i)) ainsi que les infractions impliquant une conduite dangereuse ou susceptible de l’être pour la vie ou la sécurité d’une autre personne ou une conduite ayant infligé ou susceptible d’infliger des dommages psychologiques graves à une autre personne (sous‑al. 752a)(ii)), infractions punissables d’un emprisonnement d’au moins 10 ans. Ainsi que notre Cour l’a reconnu dans R. c. Steele, 2014 CSC 61, [2014] 3 R.C.S. 138, pour être visée par le sous‑al. 752a)(i), l’infraction sous‑jacente doit être violente, mais cette violence n’a pas à être grave (par. 38-39; voir aussi R. c. Currie, [1997] 2 R.C.S. 260, par. 28). Les infractions qui constituent des sévices graves à la personne incluent le harcèlement criminel, l’entrave à la justice, les infractions impliquant des menaces de violence (mais aucune blessure corporelle), et certaines infractions fondées sur la négligence, comme la conduite dangereuse d’un véhicule automobile causant des lésions corporelles (voir p. ex. R. c. Taillefer, 2015 ONSC 2357; R. c. S.M. (2005), 196 O.A.C. 127, par. 11; Steele, par. 3-4 et 58; sous‑al. 752a)(i) et (ii)). En outre, toutes les infractions d’agression sexuelle — sans égard à l’importance du préjudice causé — constituent des sévices graves à la personne (al. 752b)). Par conséquent, dans certains cas, le régime des délinquants dangereux permet que soit imposé ce qui, dans les faits, constitue une peine d’emprisonnement à perpétuité même lorsque celle‑ci excède de beaucoup la peine maximale que prévoit normalement le Code criminel  pour l’infraction sous‑jacente.

[102]                      Les autres critères de déclaration de délinquant dangereux que l’on trouve au par. 753(1) sont eux aussi assez généraux. La déclaration de culpabilité pour sévices graves à la personne emportera déclaration de délinquant dangereux si le délinquant constitue un danger pour le « bien‑être physique ou mental de qui que ce soit » et que l’infraction s’inscrit dans une série d’actes répétitifs qui démontrent que le délinquant est incapable de contrôler ses actes et causera vraisemblablement des sévices à d’autres personnes (sous‑al. 753(1)a)(i)). Les sévices futurs ne doivent pas nécessairement être des sévices graves. En outre, deux incidents similaires pourraient suffire pour constituer une répétition (R. c. Langevin (1984), 45 O.R. (2d) 705 (C.A.), p. 717). En ce qui concerne les infractions de nature sexuelle, une seule déclaration de culpabilité peut donner lieu à une déclaration de délinquant dangereux (al. 753(1)b)). Bref, le par. 753(1) ne vise pas exclusivement les délinquants très dangereux et moralement blâmables.

[103]                      Par ailleurs, le par. 753(1) est impératif — le juge de la peine doit déclarer le délinquant dangereux s’il est satisfait aux critères législatifs. À l’inverse, les versions de 1977 et de 1997 de la loi conféraient au juge un pouvoir discrétionnaire à l’étape de la déclaration de délinquant dangereux. Elles faisaient ainsi en sorte que les principes de détermination de la peine énoncés dans le Code criminel  fondent les décisions relatives à la déclaration de délinquant dangereux (Johnson, par. 28-34). Du fait qu’il détenait un pouvoir discrétionnaire, le juge de la peine était appelé [TRADUCTION] « à prendre un certain recul et à se poser à nouveau la question de savoir » si la déclaration de délinquant dangereux était véritablement justifiée lorsqu’il était satisfait aux critères relatifs à cette déclaration (R. c. Neve, 1999 ABCA 206, 137 C.C.C. (3d) 97, par. 229). Dans l’arrêt Lyons, notre Cour a dit de ce pouvoir discrétionnaire qu’il était la principale raison pour laquelle la loi ne menait pas à une peine cruelle et inusitée (p. 337-338). Ainsi que notre Cour l’a reconnu par la suite dans l’arrêt Johnson, « ce pouvoir discrétionnaire contribuait à la constitutionnalité du régime applicable aux délinquants dangereux » (par. 36). Il a permis de garantir que les déclarations de délinquant dangereux soient faites sur le fondement de « normes reconnues de rationalité et de proportionnalité » plutôt que « sur le fondement de classifications rigides » (Neve, par. 228).

[104]                      Depuis que le terme « peut » a été remplacé par « doit » au par. 753(1)  du Code criminel , le nombre de délinquants déclarés dangereux a augmenté[2]. En effet, par la voie des modifications apportées en 2008, le législateur souhaitait viser un groupe plus large de délinquants (R. c. Szostak, 2014 ONCA 15, 118 O.R. (3d) 401, par. 54; R. c. Shea, 2017 NSCA 43, 349 C.C.C. (3d) 231, par. 16). Bien entendu, les délinquants déclarés dangereux ne seront pas tous condamnés à purger une peine de détention pour une période indéterminée, mais il reste que le par. 753(1) crée un vaste bassin de délinquants susceptibles de se voir imposer cette sanction extrême. En outre, la grande majorité des délinquants dangereux purgent actuellement des peines pour une période indéterminée[3].

(2)           Paragraphe 753(4)

[105]                      Dès que le délinquant a été déclaré délinquant dangereux, le juge a le pouvoir discrétionnaire de déterminer la peine appropriée en vertu du par. 753(4) :

(4) S’il déclare que le délinquant est un délinquant dangereux, le tribunal :

                     a) soit lui inflige une peine de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée;

                     b) soit lui inflige une peine minimale d’emprisonnement de deux ans pour l’infraction dont il a été déclaré coupable et ordonne qu’il soit soumis, pour une période maximale de dix ans, à une surveillance de longue durée;

                     c) soit lui inflige une peine pour l’infraction dont il a été déclaré coupable.

[106]                      Le pouvoir discrétionnaire que le par. 753(4) confère au juge de la peine doit être exercé conformément aux principes et aux objectifs de détermination de la peine pertinents qui sont énoncés dans le Code criminel  (voir Johnson, par. 23). L’objectif prédominant du régime des délinquants dangereux est la protection du public, et le juge de la peine doit respecter cet objectif lorsqu’il exerce le choix que lui donne le par. 753(4) (Johnson, par. 29; Lyons, p. 329; Steele, par. 29; Code criminel , al. 718c) ).

[107]                      Même si la sécurité du public est l’objectif prédominant du régime des délinquants dangereux, le principe fondamental de la détermination de la peine — la proportionnalité — doit guider le juge dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de sélectionner la peine qui convient à un délinquant dangereux en particulier. Ce principe est énoncé à l’art. 718.1  du Code criminel  : « La peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. » La proportionnalité représente « la condition sine qua non d’une sanction juste » (R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433, par. 36-37). « Elle est enracinée dans les notions élémentaires que sont la justice et l’équité et elle est indispensable à la confiance du public dans le système de justice » (R. c. Safarzadeh‑Markhali, 2016 CSC 14, [2016] 1 R.C.S. 180, par. 70). La proportionnalité fait le lien entre les objectifs divers de la détermination de la peine qui sont fixés dans le Code criminel  : « Quel que soit le poids qu’un juge souhaite accorder aux différents objectifs et aux autres principes énoncés dans le Code, la peine qu’il inflige doit respecter le principe fondamental de proportionnalité » (Ipeelee, par. 37; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, par. 40; voir aussi Nur, par. 42).

[108]                      Si le délinquant est un Autochtone, les principes de Gladue jouent un rôle important dans l’établissement d’une peine proportionnée. Les Autochtones sont largement surreprésentés dans les prisons et surtout au sein de la population des délinquants dangereux (Canada, Comité de la statistique correctionnelle du portefeuille ministériel de Sécurité publique Canada, Aperçu statistique : Le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (Rapport annuel de 2015), p. 107). Notre Cour a reconnu que cette statistique troublante est le fruit du racisme, du colonialisme et du traumatisme intergénérationnel (R. c. Williams, [1998] 1 R.C.S. 1128, par. 58; R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, par. 65; Ipeelee, par. 61). Au moyen de l’al. 718.2e)  du Code criminel , le législateur contraint le juge de la peine à porter une attention particulière à la situation des délinquants autochtones. Il reconnaît ainsi que les désavantages systémiques et la marginalisation auxquels doivent faire face les Autochtones mettent en lumière leur culpabilité morale et, partant, la proportionnalité des peines qui sont infligées aux délinquants autochtones (Ipeelee, par. 73). Dans l’arrêt Gladue, notre Cour a conclu que l’al. 718.2e) enjoint au juge de la peine de prendre en considération les principes suivants dans la détermination de la peine à imposer aux délinquants autochtones :

(A)        les facteurs systémiques ou historiques distinctifs qui peuvent être une des raisons pour lesquelles le délinquant autochtone se retrouve devant les tribunaux;

 

(B)        les types de procédures de détermination de la peine et de sanctions qui, dans les circonstances, peuvent être appropriées à l’égard du délinquant en raison de son héritage ou de ses attaches autochtones. [par. 66]

[109]                      Le juge de la peine doit s’inspirer également du principe de la modération (al. 718.2d) et e)) lorsqu’il détermine la peine à imposer à un délinquant dangereux. Ce principe « exig[e] [. . .] que le tribunal n’inflige une peine de détention d’une durée indéterminée que dans les cas où d’autres moyens moins contraignants ne permettent pas de protéger adéquatement le public contre le risque de préjudice » (Johnson, par. 29).

(3)           Paragraphe 753(4.1)

[110]                      Ces objectifs et principes guident le juge dans la sélection de la peine appropriée en vertu du par. 753(4). Toutefois, le par. 753(4.1) restreint sensiblement le pouvoir discrétionnaire du juge à l’étape de la sanction :

                    (4.1) Le tribunal inflige une peine de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée sauf s’il est convaincu, sur le fondement des éléments mis en preuve lors de l’audition de la demande, que l’on peut vraisemblablement s’attendre à ce que le fait d’infliger une mesure moins sévère en vertu des alinéas (4)b) ou c) protège de façon suffisante le public contre la perpétration par le délinquant d’un meurtre ou d’une infraction qui constitue des sévices graves à la personne.

[111]                      Le paragraphe 753(4.1) impose une peine de détention pour une période indéterminée à moins que le juge de la peine ne soit convaincu que l’on peut vraisemblablement s’attendre à ce qu’une mesure moins sévère protège le public de façon suffisante. Afin de déterminer si une mesure moins sévère « protège de façon suffisante le public contre la perpétration par le délinquant d’un meurtre ou d’une infraction qui constitue des sévices graves à la personne », le juge doit prendre en compte et le niveau du risque que présente le délinquant et la nature du préjudice que le délinquant causera vraisemblablement. La mention explicite du meurtre au par. 753(4.1) porte à croire que la peine de détention pour une période indéterminée ne devrait être imposée que dans les cas où l’on s’attend à ce que le risque que représente le délinquant se manifeste dans les formes les plus critiques de sévices graves à la personne. Ainsi, s’il existe un risque élevé que le délinquant commette une autre infraction qui constitue des sévices graves à la personne, mais que cette infraction n’impliquera vraisemblablement aucune grande violence (p. ex. harcèlement criminel, entrave à la justice), le par. 753(4.1) ne commande pas nécessairement une peine de détention pour une période indéterminée. En fait, le principe de la modération empêche le juge d’imposer cette peine aux délinquants qui ne commettront vraisemblablement pas des crimes très graves à l’avenir (voir Johnson, par. 40). Tel qu’il est indiqué précédemment, les sévices graves à la personne incluent des infractions qui ne comportent aucune violence grave. La question que le juge de la peine doit se poser lorsqu’il applique le par. 753(4.1) est celle‑ci : en raison du niveau de risque qu’il présente et de la nature des sévices qu’il pourrait vraisemblablement causer à l’avenir, le délinquant appartient‑il au groupe restreint de délinquants véritablement dangereux que l’on doit incarcérer pour une durée indéterminée afin de protéger le public?

[112]                      J’estime, comme M. Boutilier, que le par. 753(4.1) empêche le juge d’infliger la peine qui convient aux délinquants dangereux dans certains cas. Cette disposition impose une détention pour une période indéterminée à certains délinquants pour qui cette peine est injuste compte tenu de tous les principes de détermination de la peine et de l’objectif de protection du public que vise le régime. En effet, le par. 753(4.1) emporte une peine de détention pour une période indéterminée même lorsque celle‑ci est disproportionnée au degré de responsabilité du délinquant et à la gravité de l’infraction sous‑jacente. Et, compte tenu des modifications législatives apportées depuis l’arrêt Lyons, le juge ne possède aucun pouvoir discrétionnaire lui permettant d’écarter une telle peine.

[113]                      Si la proportionnalité — le principe fondamental de la détermination de la peine — joue manifestement un rôle de premier plan au par. 753(4), le critère de la sécurité du public au par. 753(4.1) n’en fait cependant pas état. D’ailleurs, le par. 753(4.1) est impératif — si l’on ne peut vraisemblablement s’attendre à ce que le public soit suffisamment protégé contre la perpétration d’une autre infraction qui constitue des sévices graves à la personne, le juge doit imposer une peine de détention pour une période indéterminée, même si cette peine est disproportionnée à la gravité de l’infraction sous‑jacente et au degré de responsabilité du délinquant. À l’instar des dispositions sur la peine minimale obligatoire, le par. 753(4.1) l’emporte sur le principe fondamental de la détermination de la peine. « Implacable, [ce paragraphe] est susceptible d’empêcher le tribunal d’arrêter une peine proportionnelle » (voir Nur, par. 44).

[114]                      Étant donné sa gravité, la peine de détention pour une période indéterminée ne sera proportionnée que dans les cas où la conduite du délinquant est hautement blâmable et l’infraction très grave. Mis à part peut‑être l’emprisonnement à perpétuité, la peine de détention pour une période indéterminée est la peine la plus sévère que prévoie le Code criminel . D’après les témoignages qui ont été entendus dans une affaire récente, seulement 4-5 pour 100 des délinquants dangereux bénéficient d’une libération conditionnelle (R. c. Walsh, 2017 BCCA 195, 348 C.C.C. (3d) 1, par. 22). En outre, ils sont considérés comme étant une faible priorité aux fins d’inscription aux programmes de traitement offerts en prison, ce qui contribue à leurs faibles perspectives de réadaptation et de libération (ibid.; R. c. Payne (2001), 41 C.R. (5th) 156 (C. sup. Ont.)). Dans les faits, la peine de détention pour une période indéterminée équivaut [traduction] « à une peine d’emprisonnement à perpétuité assortie d’une faible possibilité de libération conditionnelle » (Walsh, par. 22). Notre Cour a qualifié de « profondément bouleversants » (Lyons, p. 339) les effets de la peine de détention pour une période indéterminée.

[115]                      L’intimée, la Couronne du chef de la Colombie‑Britannique, fait valoir que les par. (1), (4) et (4.1) de l’art. 753 [TRADUCTION] « posent le principe de la proportionnalité » et que le régime des délinquants dangereux commande une peine de détention pour une période indéterminée uniquement lorsque celle‑ci est conforme aux principes de détermination de la peine. De même, ma collègue la juge Côté affirme que le par. 753(4.1) prévoit l’application inévitable des principes de détermination de la peine à l’égard du délinquant qui a été déclaré dangereux. Si cela est exact, le par. 753(4.1) serait redondant à la lumière du par. 753(4). Quoi qu’il en soit, je ne peux être d’accord à cet égard.

[116]                      La proportionnalité est le principe directeur de la détermination de la peine — l’art. 718.1 prescrit qu’une peine doive être proportionnée à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. En dehors du cadre du régime des délinquants dangereux, le juge ne peut imposer une peine disproportionnée au nom de la protection du public. En revanche, si le délinquant est déclaré dangereux, le juge n’a parfois d’autre choix que de le faire.

[117]                      Le critère de la sécurité du public énoncé au par. 753(4.1) ne tient pas compte du degré de responsabilité du délinquant (voir R. c. Radcliffe, 2017 ONCA 176, 347 C.C.C. (3d) 3, par. 57; R. c. B. (D.V.), 2010 ONCA 291, 100 O.R. (3d) 736, par. 80, autorisation d’appel refusée, [2011] 3 R.C.S. vii). Et étant donné la large définition des infractions constituant des sévices graves à la personne (qui, en dépit de leur nom, ne doivent pas nécessairement occasionner de graves blessures), la détention pour une période indéterminée sera disproportionnée à la gravité de l’infraction pour de nombreux délinquants qui satisfont aux critères relatifs à la déclaration de délinquant dangereux. Toutefois, le juge est tenu d’imposer une peine de détention pour une période indéterminée aux délinquants dont la culpabilité morale est limitée s’il n’est pas satisfait au critère de la sécurité du public prévu au par. 753(4.1), même si cette peine n’est pas conforme aux principes énoncés dans l’arrêt Gladue.

[118]                      Évidemment, le législateur a le droit d’« identifie[r] les délinquants dont la peine devrait, dans l’intérêt de la protection du public, être établie en fonction de facteurs qui ne sont pas entièrement réactifs ou fondés sur le principe du “châtiment mérité” » (Lyons, p. 328-329), les individus véritablement dangereux qui devraient écoper d’une peine qui « est punitive en partie, mais qui vise surtout à protéger le public » (Lyons, p. 329, citant Re Moore and the Queen (1984), 10 C.C.C. (3d) 306 (H.C. Ont.)). Le législateur peut prescrire que la protection du public, reconnue comme étant un objectif de la détermination de la peine à l’al. 718c), est un objectif plus important en ce qui concerne les délinquants dangereux (voir Lyons, p. 329). L’article 12  de la Charte  limite toutefois ce pouvoir. Bien que le législateur puisse imposer des peines qui dérogent au principe de la proportionnalité, les peines exagérément disproportionnées sont inconstitutionnelles (Safarzadeh‑Markhali, par. 73). La culpabilité morale est l’assise de notre tradition de droit criminel, et elle l’est depuis bien avant que le principe de la proportionnalité dans la détermination de la peine ait été codifié en 1995 (Ipeelee, par. 36). La Charte empêche donc le Canada de ressembler à la société dépeinte dans Minority Report, de Philip K. Dick, une dystopie terrifiante dans laquelle des citoyens n’ayant absolument rien à se reprocher sont arrêtés pour des crimes dont on a prédit la perpétration.

[119]                      Le paragraphe 753(4.1) pourrait aussi fermer la porte à une peine qui respecte le principe de la modération. Cette disposition dissipe toute incertitude au sujet de l’aptitude du délinquant à répondre au traitement en faveur d’une détention pour une période indéterminée (R. c. R.S., 2016 ONSC 7767, par. 51 et 102 (CanLII)). Le paragraphe 753(4.1) crée une présomption en faveur d’une peine de détention pour une période indéterminée qui ne peut être réfutée qu’au moyen d’« éléments mis en preuve lors de l’audition ». La Couronne connaît souvent l’existence de programmes de surveillance dans la collectivité, mais elle n’est pas tenue de produire une preuve à cet égard, et si aucune preuve pertinente n’est produite devant le tribunal, la peine appropriée est la détention pour une période indéterminée (Radcliffe, par. 58; R. c. Smarch, 2015 YKCA 13, 374 B.C.A.C. 280, par. 48). En sa qualité d’intervenante, la Société d’aide juridique du Yukon signale que l’absence d’une preuve de l’existence de programmes de surveillance adéquats dans la collectivité est parfois imputable aux ressources limitées d’un délinquant ou au manque de programmes dans une collectivité en particulier, plutôt qu’à l’incapacité de gérer le risque que présente le délinquant.

[120]                      Bref, l’étape de la déclaration obligatoire dans le régime des délinquants dangereux, qui vise un large groupe de délinquants, combinée au pouvoir discrétionnaire limité et structuré à l’étape de la sanction, a créé un contexte législatif qui ne permet pas de voir à ce que les délinquants n’écopent d’une peine de détention pour une période indéterminée que si cette peine est appropriée. Bien que le pouvoir discrétionnaire du juge au chapitre de la détermination de la peine ne constitue pas une obligation constitutionnelle générale, le législateur ne peut pas restreindre ce pouvoir discrétionnaire de manière à obliger un juge à imposer des peines exagérément disproportionnées.

[121]                      Étant donné la conception du régime des délinquants dangereux, il n’est pas difficile de prévoir des situations où le par. 753(4.1) donnera lieu à l’imposition de peines exagérément disproportionnées. Cela pourrait se produire notamment dans les cas où la gravité de l’infraction sous‑jacente figure à l’extrémité inférieure du spectre et où le degré de responsabilité du délinquant est minimal. La détention pour une période indéterminée de tels délinquants est particulièrement troublante si le risque qu’ils présentent se manifestera vraisemblablement sous forme de crimes se situant à l’extrémité inférieure du spectre des « sévices graves à la personne ».

[122]                      À l’extrémité inférieure du spectre, les infractions qui constituent des sévices graves à la personne incluent le harcèlement criminel et l’entrave à la justice. Elles peuvent inclure aussi le vol qualifié au cours duquel la victime est menacée, même si le délinquant n’est pas armé, et au terme duquel personne ne subit de blessure (Steele). Si un délinquant commet l’une de ces infractions à deux reprises, il est alors possible d’établir une répétition d’actes. Si la Couronne demande que ce dernier soit déclaré dangereux et qu’il est vraisemblable que le délinquant cause des blessures ou des dommages psychologiques graves à l’avenir, le délinquant doit être déclaré tel. À l’étape de la sanction, si aucune preuve relative à l’existence de programmes de surveillance dans la collectivité n’est produite, ou l’on ne sait pas si le délinquant répondra au traitement, le par. 753(4.1) commande une détention pour une période indéterminée.

[123]                      Ces délinquants doivent être incarcérés pour une période indéterminée, peu importe leur degré de responsabilité. Le fait qu’un délinquant est jeune, qu’il a plaidé coupable (comme en l’espèce), ou qu’il commet des crimes en raison d’une déficience développementale (R. c. Goodwin, 2002 BCCA 513, 168 C.C.C. (3d) 14) ou d’une dépendance (comme en l’espèce) n’a aucune incidence sur l’analyse relative au par. 753(4.1) ou sur des décisions relatives à la déclaration de délinquant dangereux. La dépendance est souvent liée à la pauvreté et à des mauvais traitements subis pendant l’enfance, et si ces expériences témoignent de la culpabilité morale du délinquant (Ipeelee, par. 73), elles n’ont cependant aucune pertinence du point de vue du par. 753(4.1). De tels vécus ne sont pas rares. Les tribunaux criminels de notre pays sont malheureusement remplis de délinquants dont les crimes sont liés à la dépendance, une maladie, et aux conséquences de la marginalisation.

[124]                      Si le délinquant dangereux est un Autochtone, les facteurs systémiques qui pourraient avoir contribué à l’amener devant les tribunaux, comme l’origine de la criminalité du délinquant dans le traumatisme intergénérationnel, ne peuvent être pris en considération dans l’analyse fondée sur le par. 753(4.1), même si le législateur a expressément ordonné au juge de la peine de prendre ces facteurs en considération dans le cas des délinquants autochtones (voir Radcliffe, par. 63; al. 718.2e)). Cela est particulièrement préoccupant étant donné que le juge ne possède aucun pouvoir discrétionnaire à l’étape de la déclaration de délinquant dangereux, et que les délinquants autochtones sont nettement surreprésentés au sein de la population des délinquants dangereux.  

[125]                      Les délinquants condamnés à purger une peine de détention pour une période indéterminée se voient accorder une faible priorité au chapitre des programmes de traitement offerts en prison, et il n’existe aucune garantie de traitement pour toxicomanie avant le premier examen par la Commission des libérations conditionnelles sept ans après leur entrée en milieu carcéral (par. 761(1)). En outre, la possibilité d’une libération conditionnelle n’a aucune incidence sur la constitutionnalité de la disposition contestée. Pour reprendre les termes de la Juge en chef dans l’arrêt Nur, « [l]a décision discrétionnaire de la [C]ommission des libérations conditionnelles ne saurait se substituer à une loi constitutionnelle » (par. 98).

[126]                      En conférant un plein pouvoir discrétionnaire à l’étape de la déclaration de délinquant dangereux (dans le régime de 1997) et aux étapes de la déclaration de délinquant dangereux et de la détermination de la peine (dans le régime de 1977), les versions précédentes du régime des délinquants dangereux ont fait en sorte que le juge ne soit pas tenu d’imposer des peines exagérément disproportionnées à des délinquants dangereux (Johnson, par. 28 et 34). Donc, dans l’arrêt Neve, qui a été rendu en application du régime de 1977, la Cour d’appel de l’Alberta a infirmé une décision déclarant une femme autochtone de 21 ans délinquante dangereuse et la condamnant à une peine de détention pour une période indéterminée. Mme Neve se prostituait depuis l’âge de 12 ans et avait des problèmes de consommation de drogues. L’infraction à l’origine de la demande de déclaration de délinquant dangereux était un vol qualifié commis alors que Mme Neve avait 18 ans et au cours duquel la victime n’avait subi qu’une blessure légère. La décision d’infliger à Mme Neve une peine de détention pour une période indéterminée a été infirmée entre autres parce que cette peine n’était pas proportionnée à la gravité de son infraction et à son degré de responsabilité. De même, dans l’arrêt Goodwin, rendu en application du régime de 1997, les juges majoritaires ont infirmé une décision déclarant un homme qui avait [TRADUCTION] « l’âge mental d’un garçon de huit ans environ » délinquant dangereux parce qu’une « incarcération pour une période indéterminée [était] disproportionnée compte tenu de sa faible culpabilité morale » (par. 1 et 8). Or, suivant le régime actuel, Mme Neve et M. Goodwin seraient condamnés à une peine de détention pour une période indéterminée s’il n’était pas satisfait au critère de la sécurité du public énoncé au par. 753(4.1).

[127]                      En conséquence, prenons l’exemple d’un délinquant autochtone qui a de graves problèmes de toxicomanie tirant leur origine d’un traumatisme intergénérationnel et dont les perspectives de traitement sont incertaines. Si ce délinquant commet plusieurs vols qualifiés pour entretenir sa dépendance, mais n’utilise pas d’arme véritable et ne cause pas de blessure, il pourrait fort bien se voir condamner à une peine de détention pour une période indéterminée en application du par. 753(4.1). Dans ce cas, le régime des délinquants dangereux exige une peine qui est exagérément disproportionnée à la gravité de l’infraction sous‑jacente et au degré de responsabilité du délinquant.

[128]                      En résumé, la détention pour une période indéterminée est « excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine » dans les cas où le degré de responsabilité du délinquant et la gravité de l’infraction sous‑jacente se situent à l’extrémité inférieure du spectre (Ferguson, par. 14, citant Wiles, par. 4), surtout lorsque d’autres mesures, notamment de longues peines d’emprisonnement assorties d’ordonnances de surveillance de longue durée, permettent de répondre aux préoccupations en matière de sécurité du public. Évidemment, même si le législateur peut prendre des mesures pour protéger les Canadiens et les Canadiennes contre la menace que posent les criminels les plus dangereux, le régime actuel va trop loin. La détention pour une période indéterminée — la peine la plus sévère, exception faite peut‑être des peines d’emprisonnement à perpétuité — est exagérément disproportionnée à la peine qui serait par ailleurs imposée à certains délinquants selon les principes de détermination de la peine énoncés dans le Code criminel .

B.            Le paragraphe 753(4.1) n’est pas justifié au regard de l’article premier de la Charte 

[129]                      Les violations de l’art. 12  de la Charte  peuvent rarement être justifiées au regard de l’article premier. Notre Cour a récemment reconnu qu’il sera difficile pour le gouvernement d’établir qu’une disposition relative à la détermination de la peine qui est exagérément disproportionnée au sens de l’art. 12 découle néanmoins d’une mise en balance proportionnée entre les effets préjudiciables de la loi et ses effets bénéfiques pour les besoins de l’analyse fondée sur l’article premier (Nur, par. 111).

[130]                      Le régime des délinquants dangereux favorise l’atteinte de l’objectif louable de protéger le public contre les délinquants violents qui récidiveront vraisemblablement (Steele, par. 29). Toutefois, s’il existe un lien rationnel entre le par. 753(4.1) et l’objectif qu’il vise, la disposition échoue cependant au deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Elle ne constitue pas une atteinte minimale au droit que confère l’art. 12 aux délinquants dangereux de ne pas être assujettis à une peine cruelle et inusitée. L’intimée n’a pas établi que la disposition est raisonnablement bien adaptée à l’objectif de la loi (Nur, par. 116). Elle n’a pas démontré qu’il n’existait aucun moyen moins préjudiciable de réaliser l’objectif de la protection du public. Par exemple, le législateur aurait pu conférer au juge un pouvoir discrétionnaire résiduel afin de lui permettre d’infliger une peine moins lourde lorsqu’une détention pour une période indéterminée serait exagérément disproportionnée (voir Lloyd, par. 49).

[131]                      Le paragraphe 753(4.1) est par conséquent incompatible avec l’art. 12  de la Charte  et il n’est pas justifié au regard de l’article premier. Je suis donc d’avis de le déclarer inopérant en application du par. 52(1)  de la Loi constitutionnelle de 1982 . Il est inutile de suspendre la déclaration d’invalidité, puisque l’invalidité immédiate ne pose aucun danger pour le public (Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679). Sans le par. 753(4.1), les délinquants peuvent encore être déclarés délinquants dangereux (en application du par. 753(1)) et les juges doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire pour déterminer la peine à leur imposer (en vertu du par. 753(4)) en conformité avec les objectifs et les principes pertinents de détermination de la peine qui sont énoncés dans le Code criminel  (Johnson, par. 28). La peine appropriée doit témoigner du fait que la protection du public est l’objectif premier du régime des délinquants dangereux. La détention pour une période indéterminée peut encore être imposée aux délinquants qui présentent un risque que le régime des délinquants à contrôler ne permet pas de gérer adéquatement. Cependant, la détention pour une période indéterminée ne peut être imposée que si cette peine est proportionnée.

C.            Application à l’endroit de M. Boutilier

[132]                      Le juge a imposé une peine de détention pour une période indéterminée sur le fondement d’une disposition inconstitutionnelle, le par. 753(4.1). Le présent pourvoi peut néanmoins être rejeté en « l’absence d’une possibilité raisonnable que le verdict eût été différent si l’erreur de droit n’avait pas été commise » (Johnson, par. 49; R. c. Sipos, 2014 CSC 47, [2014] 2 R.C.S. 423, par. 35). À mon avis, le présent pourvoi n’est pas l’un de ces rares cas où ce pouvoir réparateur devrait être exercé (Johnson, par. 49). Il existe une possibilité raisonnable que le juge ait infligé une peine pour une période déterminée assortie d’une ordonnance de surveillance de longue durée s’il n’avait pas tenu pour acquis que son pouvoir discrétionnaire était restreint par l’effet du par. 753(4.1). Le dossier dont le juge était saisi indique qu’une peine pour une période déterminée assortie d’une ordonnance de surveillance de longue durée aurait bien pu se révéler appropriée.

[133]                      Si le juge de la peine avait déclaré inopérant le par. 753(4.1), il n’aurait pu imposer une peine de détention pour une période indéterminée à moins que celle‑ci ne soit proportionnée à la gravité des infractions sous‑jacentes et au degré de responsabilité de M. Boutilier (art. 718.1). Bien que le juge de la peine n’ait pas mentionné la proportionnalité dans sa décision, ses conclusions donnent à penser que la détention pour une période indéterminée pourrait ne pas avoir été proportionnée. Les infractions sous‑jacentes à l’origine de la demande de déclaration de délinquant dangereux sont deux vols qualifiés et des voies de fait armées. M. Boutilier n’a blessé personne et l’arme à feu dont il s’est servi pour menacer les victimes était une imitation. Son passé tragique, sa dépendance et son plaidoyer de culpabilité témoignent de son degré de culpabilité morale (art. 718.1; Ipeelee, par. 73; R. c. Horvath (1997), 117 C.C.C. (3d) 110 (C.A. Sask.), par. 41; C. C. Ruby, G. J. Chan et N. R. Hasan, Sentencing (8e éd. 2012), § 5.211). Le juge de la peine a expliqué que [TRADUCTION] « l’enfance de M. Boutilier, son éducation et sa situation personnelle ont été extrêmement difficiles » (2015 BCSC 901, 325 C.C.C. (3d) 345, par. 104). Il a été victime de sévices physiques et sexuels lorsqu’il était enfant. « Son beau‑père […] a commencé à lui offrir de l’alcool et des substances illégales lorsqu’il avait six ou sept ans seulement et s’amusait apparemment à regarder ses facultés s’affaiblir » (par. 104). À 14 ans, M. Boutilier consommait des drogues toutes les semaines. Le juge de la peine a conclu que « [l]a consommation continue de drogues de M. Boutilier et son incapacité de surmonter ses problèmes de consommation dévastateurs sont vraisemblablement la question centrale en l’espèce » (par. 110). Le dossier révélait que la dépendance de M. Boutilier était à la source de sa criminalité et que cette dépendance s’était développée par suite de circonstances personnelles tragiques.

[134]                      En outre, le principe de la modération empêchait le juge d’imposer une peine pour une période indéterminée s’il était satisfait aux critères relatifs au délinquant à contrôler et si la peine susceptible d’être imposée suivant ce régime suffisait pour protéger le public (Johnson, par. 29 et 40; al. 718.2d) et e)). Le juge de la peine ne s’est pas demandé s’il était satisfait aux critères relatifs au délinquant à contrôler, et la preuve portée à son attention indiquait qu’il aurait fort bien pu y être satisfait (art. 753.1). Selon la preuve psychiatrique, [TRADUCTION] « la possibilité de gérer à l’avenir le risque que présente M. Boutilier au sein de la collectivité est modérée compte tenu de la probabilité qu’il réponde à un traitement et qu’il en tire profit » (par. 127). Le juge de la peine a signalé que M. Boutilier avait exprimé le désir de cesser de consommer de la drogue. Bien que M. Boutilier se soit par le passé très mal comporté en prison, le juge de la peine a fait remarquer que « [s]on expérience positive à la Belkin House a constitué un bref interlude positif dans une période de 35 années » (par. 208). Lorsqu’il a participé au programme en résidence structuré offert à la Belkin House, il « a su former des relations thérapeutiques positives [. . .] et effectuer des changements bénéfiques » (par. 176). L’âge de M. Boutilier à la date à laquelle une ordonnance de surveillance de longue durée de 10 ans expirerait (plus de 50 ans) indique aussi une possibilité accrue de gérer le risque qu’il pose. D’après la preuve dont le juge de la peine a été saisi, le risque de récidive est considérablement réduit chez la plupart des délinquants à l’âge de 50 et de 60 ans. Dans l’ensemble, cette preuve tend à indiquer qu’il est réellement possible de maîtriser au sein de la collectivité le risque que présente M. Boutilier (al. 753.1c)).

[135]                      Le dossier tend aussi à indiquer qu’une peine de détention pour une période déterminée assortie d’une ordonnance de surveillance de longue durée pourrait suffire pour protéger le public. Pour déterminer si une autre peine que la détention pour une période indéterminée serait suffisante pour protéger le public, le niveau de risque et la nature du préjudice que M. Boutilier est susceptible de causer à l’avenir doivent être pris en considération. Le juge de la peine n’a pris en considération que le niveau de risque présenté par M. Boutilier (c.‑à‑d. la probabilité qu’il surmonte sa dépendance), et non pas la nature du préjudice que M. Boutilier était susceptible de causer (c.‑à‑d. la gravité des infractions qu’il commettrait à l’avenir s’il ne surmontait pas sa toxicomanie), pour en arriver à imposer une détention pour une période indéterminée. Dans l’examen du point de savoir si une mesure moins grave serait suffisante pour protéger le public, le fait qu’aucune infraction ayant causé un préjudice grave ne ressort du casier judiciaire de M. Boutilier est important.

[136]                      Il faut donc tenir une nouvelle audience en application du sous‑al. 759(3)a)(ii) pour décider quelle peine doit être imposée en vertu du par. 753(4).

IV.         Conclusion

[137]                      Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi en partie et de déclarer le par. 753(4.1)  du Code criminel  inopérant en application du par. 52(1)  de la Loi constitutionnelle de 1982 . Je suis également d’avis d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience en vertu du sous‑al. 759(3)a)(ii) du Code criminel  afin de déterminer la peine appropriée au titre du par. 753(4).

                    Pourvoi rejeté, la juge Karakatsanis est dissidente en partie.

                    Procureurs de l’appelant : Eric Purtzki, Vancouver; Gary N. A. Botting, Vancouver; Michael Sobkin, Ottawa.

                    Procureur de l’intimée : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Vancouver.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan : Procureur général de la Saskatchewan, Regina.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Procureur général de l’Alberta, Calgary.

                    Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association of Ontario : Lockyer, Campbell, Posner, Toronto; Corbin Cawkell, Toronto.

                    Procureur de l’intervenante Aboriginal Legal Services Inc. : Aboriginal Legal Services Inc., Toronto.

                    Procureur de l’intervenante la Société d’aide juridique du Yukon : Tutshi Law Centre, Whitehorse.



[1] Si la Couronne doit prouver chaque condition de la dangerosité hors de tout doute raisonnable (R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368; R. c. Jones, [1994] 2 R.C.S. 229), ce qu’il faut prouver hors de tout doute raisonnable en ce qui concerne ces deux conditions prospectives est non pas une certitude, mais bien une probabilité (Currie, par. 42). En effet, « du point de vue pratique, tout ce qu’on peut établir concernant l’avenir est une probabilité que certains événements se produiront » (Lyons, p. 364).

[2]  D’après les statistiques invoquées par le procureur général du Canada dans le présent pourvoi, il y avait 394 délinquants dangereux en 2008 (2,8 pour 100 de la population totale des pénitenciers fédéraux). Ce nombre est passé à 622 en 2015 (3,9 pour 100 de la population totale des pénitenciers fédéraux) (Canada, Comité de la statistique correctionnelle du portefeuille ministériel de Sécurité publique Canada, Aperçu statistique : Le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (rapports annuels de 2008 et de 2015)). Le nombre de délinquants déclarés dangereux se situait entre 3 et 28 par année entre 1978 et 2008, mais ces chiffres ont depuis connu une hausse et ont atteint un sommet (65) en 2015 (rapport annuel de 2016).

[3] À la clôture de l’exercice financier 2015‑2016, 86 pour 100 des délinquants dangereux sous la responsabilité du Service correctionnel du Canada purgeaient une peine de détention pour une période indéterminée (rapport annuel de 2016).

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