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R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38

 

Sa Majesté la Reine                                                                          Appelante

 

c.

 

Richard Floyd Oickle  Intimé

 

et

 

Le procureur général de l’Ontario et

la Criminal Lawyers’ Association (Ontario)                                     Intervenants

 

Répertorié:  R. c. Oickle

 

Citation neutre:  2000 CSC 38.

 

No du greffe:  26535.

 

1999:  2 novembre; 2000:  29 septembre.

 

Présents:  Les juges L’Heureux‑Dubé, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache, Binnie et Arbour.

 

en appel de la cour d’appel de la nouvelle‑écosse

 


Droit criminel Preuve Admissibilité Confessions Caractère volontaire Limites imposées par la common law aux interrogatoires policiers Portée de la règle des confessions Suspect dans une affaire d’incendie criminel informé par les policiers qu’il a «échoué» au test polygraphique Confession subséquente du crime par le suspect  au cours d’un interrogatoire long et habile Les policiers ont‑ils obtenu la confession du suspect de manière irrégulière?

 

Droit criminel Preuve Confessions Caractère volontaire Test polygraphique   Suspect dans une affaire d’incendie criminel informé par les policiers qu’il a «échoué» au test polygraphique Confession subséquente du crime par le suspect au cours d’un interrogatoire long et habile L’omission par les policiers d’informer le suspect de l’inadmissibilité des résultats du test polygraphique a‑t‑elle eu pour effet de rendre la confession involontaire? Le fait d’avoir trompé le suspect quant à l’exactitude du test polygraphique a‑t‑elle rendu la confession involontaire? Le test polygraphique crée‑t‑il une atmosphère oppressive? Le fait que la défense subisse un désavantage d’ordre tactique si l’accusé fait une confession après avoir subi un test polygraphique est‑il pertinent pour ce qui est du caractère volontaire de la confession?

 

Droit criminel Appel Cour d’appel Norme de contrôle en appel Caractère volontaire des confessions Désaccord entre la Cour d’appel et le juge du procès quant au poids à accorder aux différents éléments de preuve Un tel désaccord justifie‑t‑il l’infirmation de la décision du juge du procès en ce qui concerne le caractère volontaire de la confession?

 


Au cours d’un interrogatoire policier portant sur une série de huit incendies, l’accusé a accepté de se soumettre à un test polygraphique.  Le test a eu lieu dans un motel et les policiers ont enregistré sur bande audio ce qui s’y est déroulé.  L’accusé a été informé de son droit de garder le silence, de son droit à l’assistance d’un avocat et de son droit de s’en aller en tout temps.  Il a également été informé que, quoique l’interprétation des résultats du test polygraphique ne soit pas admissible en preuve, toute déclaration de sa part l’était.  À la fin du test, vers 17 h, le policier chargé d’administrer le test a dit à l’accusé qu’il l’avait échoué.  Après avoir rappelé à l’accusé ses droits, on l’a interrogé pendant une heure.  À 18 h 30, un second policier a interrogé l’accusé et, après 30 à 40 minutes, celui‑ci a avoué avoir incendié l’automobile de sa fiancée et fourni une déclaration à la police.  L’accusé paraissait bouleversé à ce moment‑là.  Il a été arrêté et informé de ses droits.  Au poste de police, l’accusé a été placé dans une salle d’entrevue dotée de matériel d’enregistrement magnétoscopique, où il a été interrogé sur les autres incendies.  Vers 20 h 30 et 21 h 15, l’accusé a indiqué qu’il était fatigué et qu’il voulait rentrer à la maison.  Il a été informé qu’il était en état d’arrestation et qu’il pouvait appeler un avocat, mais qu’il ne pouvait retourner chez lui.  Un troisième policier a poursuivi l’interrogatoire à partir de 21 h 52.  Il a interrogé l’accusé jusqu’à 23 h environ; à ce moment‑là, l’accusé a avoué qu’il avait allumé sept des huit incendies.  Il a été vu en pleurs, la tête entre les mains.  La police a ensuite recueilli une déclaration écrite de l’accusé.  À 2 h 45, l’accusé a été enfermé dans une cellule pour qu’il puisse dormir.  À 6 h, un policier s’est rendu compte que l’accusé était réveillé et il lui a demandé s’il consentait à prendre part à une reconstitution.  L’enregistrement de la reconstitution révèle que l’accusé a été informé de ses droits et qu’il a été avisé qu’il pouvait en tout temps mettre fin à la reconstitution.  Les policiers ont conduit l’accusé aux divers endroits où les incendies avaient eu lieu; là, l’accusé leur a décrit comment il avait allumé chaque incendie.  Il a été accusé de sept chefs d’incendie criminel.  Le juge du procès a, au terme d’un voir‑dire, estimé que les déclarations de l’accusé, ainsi que la bande vidéo de la reconstitution, étaient volontaires et admissibles, et il a par la suite déclaré l’accusé coupable de tous les chefs d’accusation.  La Cour d’appel a écarté les confessions et inscrit un acquittement.

 


Arrêt (le juge Arbour est dissidente):  Le pourvoi est accueilli et la déclaration de culpabilité est rétablie.

 

Les juges L’Heureux‑Dubé, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie:  La règle des confessions s’attache non seulement à la question de la fiabilité, mais également à la question du caractère volontaire, considérée au sens large.  La règle des confessions de la common law peut établir d’autres garanties que celles prévues par la Charte canadienne des droits et libertés .  Bien qu’il puisse être approprié, dans certains cas, d’interpréter un ensemble de droits au regard de l’autre, il serait erroné de présumer que l’un de ces ensembles subsume entièrement l’autre.  En définissant la règle des confessions, il est important d’avoir à l’esprit le double objectif de cette règle, qui est de protéger les droits de l’accusé sans pour autant restreindre indûment la nécessaire faculté de la société d’enquêter sur les crimes et de les résoudre.

 


L’application de la règle des confessions est, par nécessité, contextuelle.  Il n’y a tout simplement pas de règle simple et rigide qui permette de tenir compte des diverses circonstances susceptibles de vicier le caractère volontaire d’une confession.  Le juge du procès doit tenir compte de tous les facteurs pertinents lorsqu’il examine une confession.  Le juge doit s’efforcer de bien comprendre les circonstances de la confession et se demander si elles soulèvent un doute raisonnable quant au caractère volontaire de la confession, en tenant compte de tous les aspects de la règle.  Parmi les facteurs pertinents, mentionnons les menaces ou les promesses, l’oppression, l’état d’esprit conscient et les ruses policières.  Bien que des menaces de torture clairement imminente rendent une confession inadmissible, la plupart des affaires ne sont pas aussi nettes.  Le recours à des menaces voilées, par exemple, doit faire l’objet d’un examen serré.  Il peut souvent arriver que les policiers offrent une certaine forme d’encouragement au suspect en vue d’obtenir une confession.  Cela ne devient inacceptable que lorsque les encouragements — à eux seuls ou combinés à d’autres facteurs — sont importants au point de soulever un doute raisonnable quant au caractère volontaire de la confession.  Dans tous les cas, une question importante consiste à se demander si les interrogateurs ont offert une contrepartie, que ce soit sous forme de menaces ou de promesses.  Il est clair que des conditions et des circonstances oppressives sont également susceptibles de donner lieu à des confessions involontaires.  Le tribunal appelé à déterminer s’il y avait oppression doit examiner si on a privé le suspect de nourriture, de vêtements, d’eau, de sommeil ou de soins médicaux, si on lui a refusé l’assistance d’un avocat, si on l’a mis en présence d’éléments de preuve fabriquée ou si on l’a interrogé de façon excessivement agressive pendant une période prolongée.  La théorie de l’état d’esprit conscient exige seulement que l’accusé sache ce qu’il dit et que ses déclarations peuvent être utilisées contre lui.  Tout comme l’oppression, la théorie de l’état d’esprit conscient ne doit pas être considérée comme une enquête distincte, complètement dissociée du reste de la règle des confessions.  La théorie de l’état d’esprit conscient n’est qu’une application de la règle générale selon laquelle les confessions involontaires sont inadmissibles.  Enfin, la question de savoir si les policiers ont utilisé des ruses en vue d’obtenir la confession doit également être prise en considération pour déterminer si une confession est volontaire ou non.  Cette théorie établit une analyse distincte.  Bien qu’elle soit elle aussi liée au caractère volontaire, elle vise plus précisément à préserver l’intégrité du système de justice pénale.  Il peut survenir des situations où, quoique la ruse utilisée par les policiers ne porte pas atteinte au droit au silence ni ne mine le caractère volontaire de la confession comme tel, elle soit si odieuse qu’elle choque la collectivité.  Dans de tels cas, les confessions doivent être écartées.

 


Pour résumer, comme le souci premier du système de justice pénale est d’éviter qu’un innocent soit déclaré coupable, une confession ne sera pas jugée admissible si elle a été faite dans des circonstances qui soulèvent un doute raisonnable quant à son caractère volontaire.  Le caractère volontaire est la pierre d’assise de la règle des confessions et une expression utile pour décrire les divers fondements de cette règle.  Si les policiers qui mènent l’interrogatoire soumettent le suspect à des conditions tout à fait intolérables ou s’ils lui donnent des encouragements assez importants pour qu’il fasse une confession non fiable, le juge du procès doit écarter cette confession.  Entre ces deux extrêmes, l’existence d’une combinaison de conditions oppressives et d’encouragements peut avoir pour effet d’entraîner l’exclusion d’une confession.  Si le juge du procès examine comme il se doit toutes les circonstances pertinentes, une conclusion à l’égard du caractère volontaire est essentiellement de nature factuelle et ne doit être infirmée que si le juge a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits.

 

En l’espèce, la Cour d’appel a appliqué la mauvaise norme de contrôle en appel.  La question de savoir si une confession est volontaire ou non est soit une question de fait, soit une question mixte de fait et de droit.  En conséquence, un désaccord avec le juge du procès relativement au poids qu’il convient d’accorder à divers éléments de preuve n’est pas un motif justifiant d’infirmer sa conclusion à l’égard du caractère volontaire.  La Cour d’appel a en outre tiré la mauvaise conclusion en ce qui concerne le caractère volontaire.  Les policiers ont mené l’interrogatoire de façon régulière.  L’accusé a été pleinement informé de ses droits tout au long du processus.  Les questions des policiers, bien que persistantes et souvent accusatrices, n’étaient jamais hostiles, agressives ou intimidantes.  Dans ce contexte, les encouragements reprochés aux policiers ne soulèvent pas de doute raisonnable quant au caractère volontaire des confessions.

 



Plus particulièrement, les policiers n’ont pas irrégulièrement fait une offre de clémence à l’accusé en minimisant la gravité de ses infractions.  Quoiqu’il soit vrai que les policiers ont minimisé la portée morale des crimes, ils n’ont jamais laissé entendre à l’accusé qu’une confession de sa part aurait pour effet d’atténuer les conséquences juridiques de ses crimes.  Quant aux offres d’assistance psychiatrique, les policiers n’ont jamais laissé entendre à l’accusé qu’il obtiendrait de l’assistance uniquement s’il faisait une confession.  Les policiers n’ont jamais évoqué la possibilité d’une contrepartie.  Les policiers ont laissé entendre à l’accusé qu’il se sentirait mieux après avoir confessé ses crimes, que sa fiancée et les membres de la collectivité le respecteraient pour avoir admis qu’il avait un problème et qu’il pourrait plus facilement résoudre son problème évident de pyromanie s’il faisait une confession.  Cependant, compte tenu du contexte dans lequel elles ont été faites, aucune de ces déclarations ne comportait de menace ou promesse implicite.  Quant aux menaces qui auraient été faites concernant la fiancée de l’accusé, il y a eu des moments où les policiers ont laissé entendre qu’il pourrait être nécessaire d’interroger celle‑ci pour s’assurer qu’elle n’était pas impliquée dans les incendies.  Le lien qui existait entre l’accusé et sa fiancée était suffisamment fort pour inciter l’accusé à faire une fausse confession si elle était menacée de subir un préjudice.  Cependant, une telle menace n’a jamais été faite.  Les policiers ont tout au plus promis qu’ils ne lui feraient pas subir de test polygraphique si l’accusé faisait une confession.  Compte tenu de l’ensemble du contexte, la raison la plus probable de lui faire subir le test polygraphique n’était pas en tant que suspect, mais plutôt comme témoin susceptible d’établir un alibi.  Il ne s’agit pas d’un encouragement suffisamment important pour soulever un doute raisonnable en ce qui concerne le caractère volontaire de la confession de l’accusé.  Le moment où les remarques concernant la fiancée de l’accusé ont été faites tend à indiquer qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les encouragements des policiers et la confession faite subséquemment.  Les policiers n’ont pas indûment abusé de la confiance de l’accusé afin d’obtenir une confession.  La Cour d’appel reproche aux policiers d’avoir interrogé l’accusé d’une façon si douce et rassurante qu’ils ont obtenu sa confiance.  Cela ne rend pas une confession inadmissible.  Finalement, conclure que la conduite des policiers au cours de cet interrogatoire était oppressive ne laisserait pas une grande marge de manœuvre aux policiers qui mènent des interrogatoires.  Les policiers ont toujours été courtois; ils n’ont ni empêché l’accusé de dormir ni privé ce dernier d’eau ou de nourriture; ils ne l’ont jamais empêché d’aller à la toilette; ils l’ont pleinement informé de ses droits tout au long du processus et n’ont pas fabriqué de preuve.  Bien qu’il faille reconnaître que la reconstitution a été faite à un moment où l’accusé avait peu dormi, ce dernier était déjà réveillé quand les policiers lui ont demandé s’il voulait se livrer à la reconstitution et ils l’ont avisé qu’il pouvait y mettre fin en tout temps.

 

Le simple fait d’omettre d’indiquer au suspect que les résultats du test polygraphique sont inadmissibles en preuve n’a pas automatiquement pour effet de rendre la confession involontaire.  Les tribunaux doivent appliquer une démarche en deux étapes.  Premièrement, la confession doit être écartée si le subterfuge des policiers choque la collectivité.  Deuxièmement, même si le subterfuge n’atteint pas ce degré de gravité, l’utilisation du subterfuge est un facteur pertinent dans l’analyse globale du caractère volontaire.  En l’espèce, les policiers ont très clairement indiqué à l’accusé ce qui était admissible et ce qui ne l’était pas.  L’accusé n’était pas confus sur ce point.  En outre, bien que les policiers aient exagéré l’exactitude du polygraphe, le simple fait de mettre un suspect en présence d’un élément de preuve défavorable — même en exagérant l’exactitude et la fiabilité de cet élément — ne rend pas à lui seul la confession involontaire.  En dernier lieu, le fait que la défense subisse un désavantage d’ordre tactique si l’accusé fait une confession après avoir subi un test polygraphique n’est pas pertinent pour ce qui est du caractère volontaire de la confession; tout au plus suggère‑t‑il plutôt l’existence d’un effet préjudiciable.  Cependant, vu l’immense valeur probante d’une confession volontaire, l’exclusion n’est pas une solution appropriée.

 


Le juge Arbour (dissidente):  Les policiers qui ont interrogé l’accusé lui ont fait des incitations inacceptables qui, considérées cumulativement ainsi que contextuellement en tenant compte de l’«échec» au test polygraphique, requièrent l’exclusion des déclarations de l’accusé.  De plus, le peu de temps écoulé et le lien de causalité entre le test polygraphique «échoué» et l’obtention de la confession exigent ce résultat.  Bien qu’il faille toujours faire preuve d’un certain degré de retenue en raison de la position privilégiée à partir de laquelle le juge du procès évalue la crédibilité, entre autres à l’occasion d’un voir-dire, les tribunaux d’appel doivent s’assurer que le juge du procès a adéquatement décidé de la question du caractère volontaire d’une confession, conformément au droit applicable et selon une interprétation raisonnable des faits.

 


Les déclarations de l’accusé ont été obtenues par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage dispensé ou promis par des personnes en situation d’autorité.  Les policiers ont fait des menaces et des promesses de façon répétée.  Elles étaient souvent subtiles, mais considérées avec la procédure polygraphique en arrière‑plan, elles ont subjugué la volonté de l’accusé.  La stratégie globale de l’interrogatoire était valable et, bien que les policiers aient eu abondamment recours au subterfuge, de telles manœuvres ne sont en soi ni illégales ni suffisantes pour vicier le caractère volontaire de l’aveu.  La limite est franchie lorsque, comme en l’espèce, des personnes en situation d’autorité font des incitations inacceptables dans une atmosphère oppressive, minant ainsi la maîtrise que possède la personne interrogée de son esprit et de sa volonté.  Premièrement, la promesse d’assistance psychiatrique était inappropriée.  Bien qu’il soit vrai que les policiers n’ont pas dit expressément à l’accusé que la seule façon pour lui d’obtenir de l’assistance psychiatrique était de passer aux aveux, il n’en reste pas moins que c’était clairement ce qui était sous‑entendu.  Deuxièmement, après la confession initiale de l’accusé, les policiers ont minimisé la gravité des conséquences juridiques additionnelles qui découleraient d’une confession concernant tous les incendies, laissant entendre à l’accusé qu’il n’y avait aucune différence entre le fait d’allumer un incendie ou dix, et que s’il avouait, les incendies des immeubles pourraient être regroupés avec celui de la voiture.  Cette suggestion était clairement inappropriée.  Troisièmement, la menace d’interroger la fiancée de l’accusé laissait clairement entendre que l’accusé pouvait lui épargner la situation difficile qu’il vivait en avouant que lui seul était impliqué dans tous les incendies.  La relation entre l’accusé et sa fiancée était telle que les menaces de la mêler à cette affaire ont exercé une pression inacceptable sur l’accusé pour qu’il fasse une confession.  Ces affirmations constituaient des menaces, des promesses et des incitations au sens de la règle des confessions et, conjuguées à l’ambiguïté qui régnait relativement à ce qui était admissible ou non en cour contre l’accusé et à l’atmosphère oppressive créée par l’«infaillibilité» du test polygraphique, elles sont suffisantes pour soulever un doute raisonnable quant au caractère volontaire des confessions de l’accusé.  L’effet conjugué des affirmations trompeuses et des mensonges qui ne sont pas interdits en soi d’une part, et des encouragements qui le sont d’autre part, a à mon avis poussé l’accusé à faire des aveux non volontaires.  Le juge du procès aurait à tout le moins dû avoir un doute raisonnable quant à l’application de la règle classique du caractère volontaire.

 


En outre, les déclarations en question sont inadmissibles pour le motif que la manière dont elles ont été obtenues par les policiers place l’accusé dans une situation injuste, savoir qu’il doit produire un élément de preuve préjudiciable, peu fiable et inadmissible pour mettre en doute la véracité des déclarations obtenues.  L’admission en preuve d’une confession, faite dans des circonstances où elle est intimement liée à un test polygraphique «échoué», comme ce fut le cas en l’espèce, est tout à fait incompatible avec la décision de notre Cour dans l’arrêt Béland et porte une atteinte grave et injustifiée au droit de l’accusé à un procès équitable.  Lorsque l’aveu et le test polygraphique sont aussi étroitement liés, l’accusé devra inévitablement révéler qu’il a échoué au test s’il veut mettre en doute la véracité de sa confession.  Cela crée un trop grand risque pour le droit de l’accusé à un procès équitable.  L’accusé est forcé de s’incriminer en introduisant un élément de preuve qui serait autrement inadmissible et qui ne peut manquer de renforcer ce qui, bien souvent, est la seule preuve dont on dispose contre lui.  Vu le poids exceptionnel qui est attribué aux confessions, l’effet préjudiciable de la mention par un accusé de son test polygraphique «échoué» est énorme.  Par conséquent, une confession devrait être écartée dans les cas où, comme en l’espèce, l’accusé n’est pas en mesure de démontrer pleinement, en raison de la proximité dans le temps et du lien de causalité étroit qui existent entre le test polygraphique «échoué» et la confession subséquente, l’incidence des circonstances entourant la confession sans introduire inévitablement la preuve obtenue par polygraphe.

 

Jurisprudence

 

Citée par le juge Iacobucci

 


Arrêts appliqués:  R. c. Ewert, [1992] 3 R.C.S. 161; Ward c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 30; R. c. Fitton, [1956] R.C.S. 958; R. c. Murakami, [1951] R.C.S. 801; arrêts mentionnés: R. c. Nugent (1988), 84 N.S.R. (2d) 191; R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151; Ibrahim c. The King, [1914] A.C. 599; Prosko c. The King (1922), 63 R.C.S. 226; Boudreau c. The King, [1949] R.C.S. 262; R. c. Wray, [1971] R.C.S. 272; Rothman c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 640; Horvath c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 376; R. c. Whittle, [1994] 2 R.C.S. 914; Hobbins c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 553; R. c. Liew, [1999] 3 R.C.S. 227; R. c. Broyles, [1991] 3 R.C.S. 595; R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Precourt (1976), 18 O.R. (2d) 714; R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668; R. c. Leipert, [1997] 1 R.C.S. 281; Reilly c. State, 355 A.2d 324 (1976); R. c. Kalashnikoff (1981), 57 C.C.C. (2d) 481; R. c. Lazure (1959), 126 C.C.C. 331; R. c. Ewert (1991), 68 C.C.C. (3d) 207; R. c. Jackson (1977), 34 C.C.C. (2d) 35; Commissioners of Customs and Excise c. Harz, [1967] 1 A.C. 760; R. c. Smith, [1959] 2 Q.B. 35; R. c. Desmeules, [1971] R.L. 505; Comeau c. The Queen (1961), 131 C.C.C. 139; R. c. Hanlon (1958), 28 C.R. 398; R. c. Puffer (1976), 31 C.C.C. (2d) 81, conf. par [1980] 1 R.C.S. 321 (sub nom. McFall c. La Reine); R. c. Hayes (1982), 65 C.C.C. (2d) 294; R. c. Rennie (1981), 74 Cr. App. R. 207; R. c. Hoilett (1999), 136 C.C.C. (3d) 449; R. c. Owen (1983), 4 C.C.C. (3d) 538; R. c. Serack, [1974] 2 W.W.R. 377; R. c. Clot (1982), 69 C.C.C. (2d) 349; Blackburn c. Alabama, 361 U.S. 199 (1960); Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254; Stein c. Le navire «Kathy K», [1976] 2 R.C.S. 802; R. c. James, Cour Ont. (Div. gén.), 25 janvier 1991; R. c. Ollerhead (1990), 86 Nfld. & P.E.I.R. 38; R. c. Fowler (1979), 23 Nfld. & P.E.I.R. 255; R. c. Alexis (1994), 35 C.R. (4th) 117; R. c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398; R. c. Amyot, [1991] R.J.Q. 954; R. c. Romansky (1981), 6 Man. R. (2d) 408; R. c. Barton (1993), 81 C.C.C. (3d) 574.

 

Citée par le juge Arbour (dissidente)

 

R. c. Fitton, [1956] R.C.S. 958; R. c. Middleton (1974), 59 Cr. App. R. 18; R. c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398; Phillion c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 18; R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223; R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9; R. c. Amyot, [1991] R.J.Q. 954; R. c. L.E.W., [1996] O.J. No. 753 (QL); DeClercq c. The Queen, [1968] R.C.S. 902; R. c. Murray, [1951] 1 K.B. 391; R. c. Charrette, [1994] O.J. No. 2509 (QL); R. c. Whalen, [1999] O.J. No. 3488 (QL); Bigaouette c. The King (1926), 46 C.C.C. 311; R. c. Hodgson, [1998] 2 R.C.S. 449; R. c. Warickshall (1783), 1 Leach 263, 168 E.R. 234; R. c. Hardy (1794), 24 St. Tr. 199; R. c. Baldry (1852), 2 Den. 430, 169 E.R. 568; R. c. Guidice, [1964] W.A.R. 128; R. c. Egger, [1993] 2 R.C.S. 451; R. c. Thorne (1988), 41 C.C.C. (3d) 344; R. c. McIntosh (1999), 141 C.C.C. (3d) 97; R. c. Terceira (1998), 123 C.C.C. (3d) 1, conf. par [1999] 3 R.C.S. 866; R. c. Nugent (1988), 84 N.S.R. (2d) 191.


 

Lois et règlements cités

 

Charte canadienne des droits et libertés , art. 7 , 7  à 14 , 10 , 14 , 24(2) .

 

Police and Criminal Evidence Act 1984 (R.‑U.), 1984, ch. 60, art. 76(8).

 

Doctrine citée

 

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White,Welsh S.  «False Confessions and the Constitution: Safeguards Against Untrustworthy Confessions» (1997), 32 Harv. C.R.–C.L. L. Rev. 105.

 

Wigmore, John Henry.  Evidence in Trials at Common Law, vol. 3.  Revised by James H. Chadbourn.  Boston:  Little, Brown, 1970.

 

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse (1998), 16 C.R. (5th) 29, 164 N.S.R. (2d) 342, 491 A.P.R. 342, 122 C.C.C. (3d) 506, [1998] N.S.J. No. 19 (QL), qui a accueilli l’appel de l’accusé, annulé les déclarations de culpabilité et inscrit des acquittements.  Pourvoi accueilli, le juge Arbour est dissidente.

 

William D. Delaney, pour l’appelante.

 

Arthur J. Mollon, c.r., et Marian Mancini, pour l’intimé.

 

Gary T. Trotter, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.

 

Michael Code et John Norris, pour l’intervenante la Criminal Lawyers’ Association (Ontario).

 

 

 

 

 


Version française du jugement des juges L’Heureux-Dubé, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie rendu par

 

Le juge Iacobucci —

 

I.  Introduction

 

1                                   Pour trancher le présent pourvoi, notre Cour doit statuer sur les limites que la common law impose aux interrogatoires policiers.  De façon plus particulière, on nous demande de décider si les policiers ont irrégulièrement obtenu les confessions de l’intimé en lui faisant des menaces ou des promesses, en créant une atmosphère d’oppression ou en utilisant d’autres tactiques susceptibles de soulever un doute raisonnable quant au caractère volontaire des confessions.  J’en arrive à la conclusion qu’ils n’ont rien fait de cela.  La décision du juge du procès que les confessions en litige dans la présente affaire ont été faites volontairement n’aurait pas dû être infirmée en appel et, en conséquence, le présent pourvoi devrait être accueilli.

 


2                                   En l’espèce, les policiers ont régulièrement mené l’interrogatoire.  Leurs questions, bien que persistantes et souvent accusatrices, n’étaient jamais hostiles, agressives ou intimidantes.  Ils ont à plusieurs reprises offert à manger et à boire à l’accusé.  Ils lui ont permis d’aller à la toilette lorsqu’il le demandait.  Avant sa première confession et l’arrestation qui en a découlé, ils lui ont dit à maintes reprises qu’il pouvait s’en aller en tout temps.  Dans ce contexte, les incitations ou encouragements reprochés aux policiers ne soulèvent pas de doute raisonnable quant au caractère volontaire des confessions.  En outre, je n’estime pas que le rôle joué par le test (ou examen) polygraphique (aussi appelé test du détecteur de mensonges) puisse être critiqué en l’espèce.  Bien qu’il faille reconnaître que les policiers ont exagéré la fiabilité de cet appareil, la tactique qui consiste à vanter la fiabilité d’une preuve incriminante est répandue et n’a généralement rien de répréhensible.  Qu’on la considère isolément ou en conjugaison avec les autres légères mesures d’encouragement utilisées en l’espèce, cette tactique n’a pas pour effet de rendre les confessions involontaires.

 

II.  Les faits

 

3                                   Les faits relatifs à l’interrogatoire de l’intimé ont de toute évidence une importance cruciale pour l’issue du présent pourvoi, et je vais m’y référer au fil de mon analyse juridique.  À ce stade‑ci, toutefois, je vais me contenter d’en donner un aperçu.

 

4                                   Du 5 février 1994 au 4 avril 1995, huit incendies touchant quatre immeubles et deux véhicules automobiles ont eu lieu à Waterville, en Nouvelle‑Écosse, et dans les environs de cette localité.  La plupart des événements sont survenus la nuit, entre 1 h et 4 h.  Les véhicules incendiés étaient une fourgonnette appartenant au père de l’intimé et l’automobile de la fiancée de l’intimé, Tanya Kilcup.  Les immeubles incendiés se trouvaient relativement près de l’endroit où l’intimé habitait à l’époque où les incendies se sont produits.  Les incendies paraissaient avoir été allumés délibérément, sauf peut‑être celui du véhicule de Mme Kilcup.  L’intimé était membre de la brigade de pompiers volontaires de Waterville et il s’était rendu, à ce titre, sur les lieux de chacun des incendies.

 


5                                   Le dernier incendie a été celui du véhicule de Mme Kilcup.  La voiture était stationnée sur la voie d’accès à l’immeuble résidentiel où vivaient l’intimé et Mme Kilcup.  L’incendie a été découvert et éteint par un passant.  Le commissaire aux incendies a fait enquête sur cet incendie et a estimé que, comme la voiture avait fait l’objet d’un rappel en raison d’un contact d’allumage possiblement défectueux, l’incendie pouvait avoir été accidentellement causé par une défectuosité électrique.

 

6                                   Les policiers ont également mené une enquête approfondie sur les incendies.  Afin d’aider à réduire la liste des suspects, ils ont demandé à sept ou huit personnes de se soumettre à des tests polygraphiques.  Cinq ou six de ces personnes ont accepté de subir le test et ont vu leur nom être rayé de la liste après l’avoir réussi.  Une autre personne qui avait accepté de se soumettre au test n’a pas été interrogée après que l’intimé a confessé être l’auteur des crimes.  Après quelques hésitations, l’intimé a accepté de subir le test.  Vers 15 h, le 26 avril 1995, il s’est rendu comme convenu au motel Wandlyn pour y subir le test.  Les policiers ont enregistré sur bande audio ce qui s’est déroulé au motel.  C’est le sergent Taker qui a administré le test polygraphique.  L’intimé a été informé de son droit de garder le silence, de son droit à l’assistance d’un avocat (y compris de la disponibilité des services d’aide juridique) et de son droit de s’en aller en tout temps.  L’intimé a également été informé par le sergent Taker que l’interprétation que donnerait ce dernier des résultats du test polygraphique n’était pas admissible en preuve, mais que toute déclaration de l’intimé était admissible.  On lui a remis une brochure expliquant le déroulement du test et il a signé un formulaire de consentement.

 


7                                   Avant d’administrer le test proprement dit, le sergent Taker a mené une longue entrevue «préliminaire» comportant diverses questions, dont bon nombre étaient de nature personnelle.  Cette entrevue visait à jeter les bases du test lui-même, à permettre au sergent Taker d’établir des «questions de contrôle» pour le test et à favoriser l’établissement d’un lien d’intimité entre l’interrogateur et le sujet.  Une déclaration disculpatoire, qui a constitué le fondement du test polygraphique proprement dit, a été recueillie à la fin de l’entrevue préliminaire.  Le sergent Taker a ensuite administré le test, qui n’a duré que quelques minutes.  Durant le test, le sergent Taker n’a pas posé de question sur un incendie en particulier, mais il a plutôt demandé à l’intimé si la déclaration qu’il avait faite plus tôt était véridique.  À la fin du test, vers 17 h, Taker a consulté les résultats et avisé l’intimé qu’il avait échoué au test.  Après avoir rappelé à l’intimé que ses droits s’appliquaient toujours, il l’a interrogé pendant environ une heure.  À un certain moment, l’intimé lui a posé la question suivante: [traduction] «Et si je reconnais ma culpabilité à l’égard de l’automobile? [. . .]  Je pourrai alors m’en aller et tout sera terminé».  Bien que le sergent Taker lui ait répondu: [traduction] «Tu peux partir quand tu veux», l’intimé ne l’a pas fait.

 

8                                   À 18 h 30, le sergent Taker a été remplacé par le caporal Deveau, qui a rappelé à l’intimé son droit à l’assistance d’un avocat.  Après une période de 30 à 40 minutes, l’intimé a avoué avoir incendié l’automobile de sa fiancée.  Il paraissait bouleversé à ce moment‑là.  Après que l’intimé a été informé de ses droits et a déclaré qu’il les comprenait, le policier a recueilli une déclaration écrite de l’intimé dans laquelle celui‑ci continuait de nier être impliqué dans les autres incendies.  L’intimé a été arrêté, il a été informé de son droit à un avocat, il a reçu une mise en garde supplémentaire puis il a été conduit au poste de police à 20 h 15.  En chemin, il était bouleversé et pleurait.  On l’a amené à une salle d’entrevue dotée de matériel d’enregistrement magnétoscopique qui a servi à enregistrer son interrogatoire, au cours duquel le caporal Deveau l’a questionné sur les autres incendies.  Vers 20 h 30 et 21 h 15, l’intimé a indiqué qu’il était fatigué et qu’il voulait aller dormir à la maison.  Il a alors été informé qu’il était en état d’arrestation et qu’il pouvait appeler un avocat s’il le désirait, mais qu’il ne pouvait retourner chez lui.  L’interrogatoire s’est poursuivi.

 


9                                   L’agent Bogle a à son tour interrogé l’intimé, à partir de 21 h 52, après lui avoir donné une mise en garde supplémentaire.  L’agent Bogle a interrogé l’intimé jusqu’à 23 h environ; à ce moment‑là, l’intimé a avoué qu’il avait allumé sept des huit incendies.  Il a nié toute participation à l’incendie de la fourgonnette de son père.  L’agent Bogle a alors quitté la pièce, et l’intimé a été vu en pleurs, la tête entre les mains.  L’agent Bogle est revenu avec le caporal Deveau et il a préparé une déclaration écrite.  La description des droits garantis à l’intimé par la Charte canadienne des droits et libertés  et le texte de la mise en garde figuraient sur la déclaration, et l’intimé a reconnu en avoir pris connaissance.  Voici le texte de la mise en garde: [traduction] «Vous n’êtes pas obligé de dire quoi que ce soit.  Vous n’avez rien à espérer d’aucune promesse ou faveur, ni rien à craindre d’aucune menace, que vous parliez ou non; mais tout ce que vous direz peut être retenu en preuve».  La déclaration a pris fin à 1 h 10, le 27 avril.  À 2 h 45, après avoir accompli diverses tâches administratives, les policiers ont enfermé l’intimé dans une cellule pour qu’il puisse dormir.  À 6 h, le caporal Deveau s’est rendu compte que l’intimé était réveillé et il lui a demandé s’il consentait à prendre part à une reconstitution.  L’enregistrement de la reconstitution révèle que l’intimé a reçu la mise en garde fondée sur la Charte  et la mise en garde supplémentaire, et qu’il a été avisé qu’il pouvait en tout temps mettre fin à la reconstitution.  Les policiers ont conduit l’intimé dans Waterville, aux divers endroits où les incendies avaient eu lieu.  Là, l’intimé a décrit comment il avait allumé chaque incendie.  L’intimé a été accusé de sept chefs d’incendie criminel.

 


10                               Au procès, le juge du procès a tenu un voir‑dire pour statuer sur l’admissibilité des déclarations de l’intimé, y compris sur la bande vidéo de la reconstitution.  Le juge du procès a estimé que les déclarations avaient été volontaires et qu’elles étaient admissibles, et il a par la suite déclaré l’intimé coupable de tous les chefs d’accusation.  Toutefois, la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a jugé que les déclarations n’avaient pas été volontaires et qu’elles étaient, de ce fait, inadmissibles, et elle a accueilli l’appel formé par l’intimé.  La Cour d’appel a écarté les confessions, annulé les déclarations de culpabilité et inscrit des acquittements.

 

III.  L’historique des procédures

 

A.  La Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse

 

11                               Le juge MacDonald de la Cour provinciale a conclu au caractère volontaire des confessions de l’intimé.  Tout d’abord, il n’y avait aucune preuve que l’intimé n’avait pas compris les mises en garde des policiers.  Après avoir examiné le droit applicable, le juge du procès a estimé que l’intimé avait eu un état d’esprit conscient et qu’il comprenait les conséquences de ses actes.  L’intimé [traduction] «a paru cohérent, capable de comprendre les questions qui lui étaient posées et en pleine possession de ses moyens».  Les policiers n’ont pas non plus privé l’intimé de son droit de décider de leur parler ou non.

 

12                               Le juge du procès a également traité de la pertinence du test polygraphique au regard de la décision de la section d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse dans l’affaire R. c. Nugent (1988), 84 N.S.R. (2d) 191.  Le juge MacDonald de la Cour provinciale a estimé que l’intimé avait clairement compris que les résultats du test n’étaient pas admissibles, mais que ses déclarations, elles, l’étaient.  Vu l’absence de confusion quant au rôle du polygraphe, le juge MacDonald a décidé que l’utilisation du polygraphe ne rendait pas les confessions subséquentes involontaires ou inadmissibles pour quelque autre raison.

 


13                               Enfin, le juge du procès a examiné l’argument de l’intimé selon lequel la reconstitution n’était pas volontaire parce que ce dernier souffrait de manque de sommeil lorsqu’elle a eu lieu.  Le juge du procès a souligné que l’intimé paraissait en pleine possession de ses moyens sur l’enregistrement vidéo de la reconstitution.  Il était cohérent.  Il comprenait ce qu’on lui demandait de faire.  Il n’y avait aucune preuve tendant à indiquer que les reconstitutions n’étaient pas volontaires.  Le juge MacDonald de la Cour provinciale a donc admis en preuve les déclarations et la reconstitution.

 

B.   La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse (1998), 164 N.S.R. (2d) 342 (les juges Pugsley et Cromwell, avec l’appui du juge Flinn)

 

14                               Les juges Pugsley et Cromwell ont reconnu que leur rôle en tant que cour d’appel ne consistait pas à instruire l’affaire de nouveau ou à infirmer les conclusions de fait du juge du procès.  La décision de la juge qui avait présidé le procès ne devait être annulée que si elle avait mal apprécié la preuve ou si elle avait omis de tenir compte des circonstances pertinentes ou d’appliquer le bon principe juridique.

 

15                               La cour s’est d’abord penchée sur l’admissibilité de la confession initiale de l’intimé dans laquelle il disait avoir allumé l’incendie dans la voiture de Mme Kilcup.  Les confessions ne sont admissibles que si le ministère public prouve hors de tout doute raisonnable qu’elles étaient volontaires.  Une déclaration est involontaire si elle résulte soit de «la crainte de subir un préjudice» aux mains de personnes en situation d’autorité, soit de «l’espoir d’obtenir un avantage» de telles personnes.  Un interrogatoire vigoureux et habile, de fausses déclarations de la police à l’égard des faits et des appels à la conscience de l’accusé ne rendent pas nécessairement inadmissible la déclaration qui en résulte.  Une déclaration ne sera pas écartée du seul fait que l’accusé estimait qu’il avait avantage à faire une confession.  Ce n’est que lorsque cette opinion est créée ou confirmée par des personnes en situation d’autorité que les déclarations doivent être écartées.


 

16                               Examinant les faits de la présente affaire, la cour a jugé que les autorités policières n’avaient pas indiqué à l’intimé que les résultats du polygraphe n’étaient pas admissibles en preuve.  Le sergent Taker aurait également dû dire à l’intimé que le polygraphe n’était pas infaillible.  La confusion subséquente de l’intimé relativement à la portée de son échec au test était un aspect important du contexte global qui devait être pris en compte pour décider si les déclarations étaient volontaires.

 

17                               Dans le contexte du test polygraphique, l’interrogatoire des policiers a porté sur d’autres sujets qui, compte tenu de toutes les autres circonstances, ont constitué des encouragements inacceptables donnés à l’intimé afin qu’il fasse une confession.  Bien que, considérés individuellement, ces encouragements puissent être insuffisants pour semer le doute quant au caractère volontaire des déclarations, leur effet cumulatif était irrésistible.  Peu de temps après que les résultats du test polygraphique ont été communiqués à l’intimé, le sergent Taker lui a laissé entendre qu’en faisant une confession, il éviterait d’aggraver sa situation et il pourrait obtenir l’aide dont il avait besoin s’il avait commis les actes en question.  Les policiers ont également minimisé la gravité de l’infraction, en plus de prévenir l’intimé qu’ils pourraient être obligés d’interroger Mme Kilcup.  Lorsque de tels actes donnent lieu à une confession, ils constituent des encouragements inacceptables.

 


18                               Un autre facteur dont il fallait tenir compte est le fait que les policiers ont abusé de la confiance de l’intimé.  En effet, après avoir gagné la confiance de l’intimé, le sergent Taker et le caporal Deveau ont abusé de cette confiance en utilisant de façon injuste et agressive les résultats du test comme moyen de soutirer une confession.  Tout juste avant que l’intimé fasse sa première confession, le caporal Deveau lui a dit qu’il était probablement son [traduction] «meilleur ami à l’heure actuelle».  Cette déclaration était un abus de confiance.

 

19                               De plus, la cour n’a pas souscrit à la conclusion du juge du procès que l’intimé paraissait cohérent et en possession de ses moyens sur la bande vidéo.  La cour a estimé qu’il ressortait de la transcription de la bande audio que l’intimé n’appréciait ni le rôle que jouait l’équipement dans le processus, ni le rôle distinct que jouait le sergent Taker en tant qu’interprète des résultats.  Les conclusions du juge du procès ne tenaient pas compte de plusieurs remarques du sergent Taker dans lesquelles celui‑ci avait assuré l’intimé que le polygraphe était fiable.

 

20                               Même si, individuellement, aucun des encouragements ne commandait l’exclusion des déclarations, compte tenu de leur effet cumulatif et de l’utilisation du test polygraphique, les déclarations étaient clairement non volontaires et auraient dû être écartées.

 

21                               La cour a accueilli l’appel.  Puisque les déclarations étaient les seuls éléments de preuve impliquant directement l’intimé et que, sans elles, aucun juge des faits raisonnable ne pourrait conclure à la culpabilité, les déclarations de culpabilité ont été annulées et des acquittements ont été inscrits.

 

IV.  L’analyse

 

A.  La norme de contrôle du caractère volontaire

 


22                               Bien que la détermination du critère juridique approprié soit évidemment une question de droit, l’application de ce critère pour décider si un aveu était volontaire ou non est soit une question de fait, soit une question mixte de fait et de droit.  Voir R. c. Ewert, [1992] 3 R.C.S. 161, à la p. 161; Ward c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 30, à la p. 42 (le juge Spence); R. c. Fitton, [1956] R.C.S. 958, aux pp. 983 et 984 (le juge Fauteux); R. c. Murakami, [1951] R.C.S. 801, à la p. 803 (le juge Rand, avec l’appui du juge Locke).  En conséquence, conformément à la conclusion de notre Cour dans Ewert, un désaccord avec le juge du procès relativement au poids qu’il convient d’accorder à divers éléments de preuve n’est pas un motif justifiant d’infirmer sa conclusion à l’égard du caractère volontaire d’une confession.  En toute déférence, j’estime que c’est précisément ce qu’a fait la Cour d’appel.  Par conséquent, suivant l’arrêt Ewert, j’estime que le pourvoi doit être accueilli.

 

23                               Ce qui précède pourrait en principe suffire pour trancher le présent pourvoi, mais je crois cependant qu’il est important de saisir cette occasion pour délimiter le champ d’application de la règle des confessions.  Dans le présent pourvoi, les parties et les intervenants ont abondamment débattu entre eux cette question, que notre Cour n’a pas examinée directement depuis l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés .  En raison de ce manque de clarté, il s’est souvent avéré difficile de déterminer, dans certaines affaires, quelles normes avaient été appliquées.  De plus, plusieurs arguments dont le juge du procès n’a pas traité ont été présentés à notre Cour.  Il est donc nécessaire d’élargir notre analyse afin de traiter de ces questions.

 


B.  L’élaboration de la règle des confessions

 

1.  Les deux éléments de la règle

 

24                               Comme l’a indiqué le juge McLachlin (maintenant Juge en chef du Canada), dans R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, deux courants principaux se dégagent de la jurisprudence de notre Cour en ce qui concerne la règle des confessions.  Selon l’approche étroite, une déclaration n’est écartée que dans les cas où les autorités policières ont explicitement fait des menaces ou des promesses à l’accusé.  L’énoncé classique de cette approche a été formulé dans Ibrahim c. The King, [1914] A.C. 599 (C.P.), à la p. 609:

 

[traduction]  C’est une règle formelle du droit criminel anglais depuis longtemps établie qu’aucune déclaration d’un accusé n’est recevable contre lui à titre de preuve, à moins que l’accusation ne prouve qu’il s’agit d’une déclaration volontaire, c’est‑à‑dire qui n’a pas été obtenue par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage dispensés ou promis par une personne en situation d’autorité.

 

Notre Cour a adopté la «règle de l’arrêt Ibrahim» dans Prosko c. The King (1922), 63 R.C.S. 226, puis l’a appliquée par la suite dans des affaires telles Boudreau c. The King, [1949] R.C.S. 262, Fitton, précitée, R. c. Wray, [1971] R.C.S. 272, et Rothman c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 640.

 


25                               La règle de l’arrêt Ibrahim ne confère à la personne accusée qu’«un droit négatif — le droit de ne pas être torturée ni forcée de faire une déclaration sous l’effet de menaces ou de promesses d’une personne qui est et que l’auteur de la déclaration croit subjectivement être une personne en autorité»:  Hebert, précité, à la p. 165.  Cependant, cet arrêt reconnaît également une approche «beaucoup plus large», suivant laquelle:  «[l]’absence de violence, de menaces et de promesses de la part des autorités ne signifie pas nécessairement que la déclaration qui résulte est volontaire si l’élément psychologique nécessaire de la décision entre des options est absent» (p. 166).

 

26                               Bien que cette conception de la règle des confessions ne soit pas toujours suivie, le juge McLachlin a souligné, aux pp. 166 et 167, qu’elle «continue de faire partie de nos notions fondamentales d’équité procédurale».  Cette conception ressort clairement de la règle dite de «l’état d’esprit conscient», élaborée par notre Cour dans les arrêts Ward, précité, Horvath c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 376, et R. c. Whittle, [1994] 2 R.C.S. 914.  Il ressort de ces arrêts qu’«il faut en outre, même lorsqu’on ne peut établir qu’il y a eu espoir d’un avantage ou crainte d’un préjudice, se demander si les déclarations ont été faites librement et volontairement»:  Ward, précité, à la p. 40.  La règle de «l’état d’esprit conscient» a écarté une fois pour toutes l’idée que la règle des confessions ne vise que la question de savoir si la confession a été obtenue par suite de menaces ou de promesses.

 


27                               Ces arrêts se sont attaché non seulement à la fiabilité des confessions, mais également à leur caractère volontaire de façon générale.  Nulle part dans les motifs exposés dans Ward et dans Horvath n’a‑t‑on exprimé de doutes quant à la fiabilité des confessions en litige.  On a plutôt insisté sur l’absence de caractère volontaire de celle‑ci, que ce soit en raison d’un choc (Ward), de l’hypnose (Horvath, le juge Beetz) ou encore d’un «effondrement émotionnel complet» (Horvath, à la p. 400, le juge Spence).  De même, dans Hobbins c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 553, aux pp. 556 et 557, le juge en chef Laskin a souligné que les tribunaux appelés à statuer sur le caractère volontaire d’une confession doivent être conscients de l’effet coercitif que peut avoir une «atmosphère d’intimidation», même s’il n’y a pas eu «d’encouragement sous forme de l’espoir d’un avantage ou de la crainte d’un préjudice et en l’absence même de toute menace de violence ou de tout acte de violence»:  voir également R. c. Liew, [1999] 3 R.C.S. 227, au par. 37.  Il est clair que la règle des confessions vise davantage que le principe étroit formulé dans l’arrêt Ibrahim; elle s’attache plutôt à la question du caractère volontaire, considérée au sens large.

 

2.    L’ère de la Charte 

 

28                               La Charte a constitutionnalisé de nouvelles garanties en faveur des personnes accusées de crimes,  garanties énoncées principalement aux art. 7 à 14.  L’inscription de ces droits dans la Constitution a répondu à certaines questions qui s’étaient déjà posées eu égard à la règle des confessions.  Par exemple, même si la règle des confessions n’entraîne pas l’exclusion des déclarations obtenues par des agents en civil dans des cellules de prison (Rothman, précité), de telles confessions peuvent porter atteinte aux droits garantis par la Charte :  voir Hebert, précité, et R. c. Broyles, [1991] 3 R.C.S. 595.

 

29                               Dans l’arrêt Hebert, précité, le juge McLachlin a interprété le droit de garder le silence à la lumière des garanties existantes prévues par la common law, telle la règle des confessions.  Cependant, comme cet arrêt portait principalement sur la définition de certains droits constitutionnels, il n’a pas tranché la question inverse, savoir la portée des règles de common law au regard de la Charte .  Une interprétation possible est que la Charte  subsume ces règles.

 


30                               Cependant, je ne crois pas que cette interprétation soit fondée, et ce pour plusieurs raisons.  Premièrement, la règle des confessions a une portée plus grande que les droits garantis par la Charte .  Par exemple, les garanties prévues par l’art. 10 ne s’appliquent qu’«en cas d’arrestation ou de détention».  Par comparaison, la règle des confessions s’applique chaque fois qu’une personne en situation d’autorité interroge un suspect.  Deuxièmement, le fardeau de la preuve et la norme de preuve ne sont pas les mêmes pour l’application de la Charte  que pour la règle des confessions.  Dans le cas de la Charte , il incombe à l’accusé d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu atteinte à des droits constitutionnels, alors que dans le cas de la règle des confessions, il incombe à la poursuite d’établir, hors de tout doute raisonnable, que l’aveu était volontaire.  Enfin, les réparations diffèrent dans l’un et l’autre cas.  En vertu du par. 24(2)  de la Charte , le tribunal peut écarter des éléments de preuve obtenus en violation des dispositions de la Charte , mais seulement si leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice:  voir R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607, R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, et la jurisprudence connexe.  À l’opposé, la violation de la règle des confessions commande dans tous les cas l’exclusion des éléments de preuve.

 

31                               Ces différences illustrent bien le fait que la Charte  n’englobe pas exhaustivement tous les droits.  Au contraire, elle représente le strict minimum que le droit doit respecter.  Le corollaire nécessaire de cette affirmation est que le droit peut établir, soit au moyen de dispositions législatives ou de règles de common law, d’autres garanties que celles prévues par la Charte .  La règle des confessions de la common law constitue un tel principe, et il serait erroné de le confondre avec les garanties offertes par la Charte .  Bien qu’il puisse certes être approprié, comme l’a fait notre Cour dans Hebert, précité, d’interpréter un ensemble de droits au regard de l’autre, il serait erroné de présumer que l’un de ces ensembles subsume entièrement l’autre.

 

C.  La règle des confessions aujourd’hui

 


32                               Comme il a été mentionné, notre Cour n’a pas examiné récemment la portée précise de la règle des confessions.  Nous avons plutôt précisé plusieurs éléments de la règle, sans jamais toutefois les intégrer en un tout cohérent.  J’estime qu’il est important de reformuler la règle, et ce pour deux raisons.  La première est la diversité des approches qui continuent d’être suivies, comme en témoignent les décisions des juridictions inférieures en l’espèce.  La deuxième raison, qui est peut‑être aussi la plus importante, est notre meilleure compréhension du problème des fausses confessions.  Comme je vais l’expliquer plus loin, la règle des confessions s’attache à la question du caractère volontaire, considérée au sens large.  Une des principales raisons de cette préoccupation est le fait que les confessions non volontaires risquent davantage que les autres de ne pas être fiables.  La règle des confessions devrait tenir compte des techniques d’interrogatoire qui produisent généralement de fausses confessions, afin d’éviter les erreurs judiciaires en découlant.

 

33                               En définissant la règle des confessions, il est important d’avoir à l’esprit le double objectif de cette règle, qui est de protéger les droits de l’accusé sans pour autant restreindre indûment la nécessaire faculté de la société d’enquêter sur les crimes et de les résoudre.  Le juge Martin de la Cour d’appel de l’Ontario a bien décrit le tiraillement entre ces deux objectifs dans R. c. Precourt (1976), 18 O.R. (2d) 714 (C.A.), à la p. 721:

 

[traduction]  Même si des interrogatoires policiers irréguliers peuvent, dans certaines circonstances, porter atteinte à la règle [des confessions] applicable, il est essentiel de se rappeler que les autorités policières sont incapables de mener des enquêtes sur des crimes sans interroger des personnes, que ces personnes soient ou non soupçonnées d’avoir commis le crime faisant l’objet de l’enquête.  Un interrogatoire policier régulièrement mené est un outil légitime et efficace d’enquêtes criminelles. [. . .]  Par contre, les déclarations faites à la suite de questions intimidantes ou d’un interrogatoire oppressant et destiné à subjuguer la volonté du suspect afin de lui soutirer une confession sont inadmissibles. . .

 


Tous ceux qui participent à l’administration de la justice, mais particulièrement les tribunaux qui appliquent la règle des confessions, ne doivent jamais perdre de vue ces objectifs.

 

1.    Le problème des fausses confessions

 

34                               L’histoire des interrogatoires policiers n’est pas exempte* d’épisodes plutôt répugnants.  S’ils n’étaient pas monnaie courante, les sévices physiques n’étaient certes pas un phénomène inconnu.  De telles pratiques sont aujourd’hui beaucoup moins courantes.  Dans ce contexte, il peut sembler paradoxal que des individus confessent des crimes qu’ils n’ont pas commis.  D’ailleurs, des études menées avec des jurys simulés indiquent que les gens ont du mal à croire qu’une personne puisse faire une fausse confession.  Voir S. M. Kassin et L. S. Wrightsman, «Coerced Confessions, Judicial Instructions, and Mock Juror Verdicts» (1981), 11 J. Applied Soc. Psychol. 489.

 


35                               Toutefois, cette intuition n’est pas toujours fondée.  Il existe une abondante littérature documentant des centaines de cas de confessions dont la fausseté a été établie par une preuve génétique, par la confession ultérieure du véritable auteur du crime ou d’autres sources indépendantes de preuve de cette nature.  Voir, par exemple, R. A. Leo et R. J. Ofshe, «The Consequences of False Confessions: Deprivations of Liberty and Miscarriages of Justice in the Age of Psychological Interrogation» (1998), 88 J. Crim. L. & Criminology 429 (ci-après Leo & Ofshe (1998)); R. J. Ofshe et R. A. Leo, «The Social Psychology of Police Interrogation: The Theory and Classification of True and False Confessions» (1997), 16 Stud. L. Pol. & Soc. 189 (ci‑après Ofshe & Leo (1997)); R. J. Ofshe et R. A. Leo, «The Decision to Confess Falsely: Rational Choice and Irrational Action» (1997), 74 Denv. U. L. Rev. 979 (ci‑après Ofshe & Leo (1997a)); W. S. White, «False Confessions and the Constitution: Safeguards Against Untrustworthy Confessions» (1997), 32 Harv. C.R.-C.L. L. Rev. 105; G. H. Gudjonsson et J. A. C. MacKeith, «A Proven Case of False Confession: Psychological Aspects of the Coerced‑Compliant Type» (1990), 30 Med. Sci. & L. 329 (ci-après Gudjonsson & MacKeith (1990)); G. H. Gudjonsson et J. A. C. MacKeith, «Retracted Confessions:  Legal, Psychological and Psychiatric Aspects» (1988), 28 Med. Sci. & L. 187 (ci-après Gudjonsson & MacKeith (1988)); H. A. Bedau et M. L. Radelet, «Miscarriages of Justice in Potentially Capital Cases» (1987), 40 Stan. L. Rev. 21.

 

36                               L’une des préoccupations dominantes du système de justice pénale est d’éviter qu’une personne innocente soit déclarée coupable:  voir, par exemple, R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668, au par. 71; R. c. Leipert, [1997] 1 R.C.S. 281, au par. 4.  Compte tenu du rôle important que jouent les fausses confessions lorsque des innocents sont déclarés coupables, la règle des confessions doit tenir compte des raisons pour lesquelles de fausses confessions sont faites.  Sans suggérer que toute confession faisant intervenir les éléments dont je vais parler ci‑après devrait automatiquement être écartée, je vais m’efforcer de bien situer le contexte de la synthèse de la règle des confessions que je fais dans la prochaine section.

 

37                               Dans Ofshe & Leo (1997), loc. cit., à la p. 210, les auteurs donnent une taxinomie utile des fausses confessions.  Selon eux, il en existe fondamentalement cinq types:  volontaires, induites par stress, induites par coercition, induites par persuasion sans coercition et induites par persuasion avec coercition.  Par hypothèse, les confessions volontaires ne découlent pas d’interrogatoires policiers.  Ce sont donc les quatre autres types de fausses confessions qui nous intéressent.

 


38                               Selon Ofshe & Leo (1997), loc. cit., à la p. 211, les fausses confessions induites par stress surviennent [traduction] «lorsque les pressions interpersonnelles aversives de l’interrogatoire deviennent à ce point intolérables que les [suspects] cèdent pour mettre fin à l’interrogatoire».  Ces fausses confessions sont soutirées par [traduction] «une utilisation exceptionnellement marquée des facteurs de stress aversifs habituellement présents au cours d’interrogatoires», et elles [traduction] «sont faites sciemment dans le but de mettre fin à l’exténuante expérience que constitue l’interrogatoire» (en italique dans l’original).  Voir également Gudjonsson & MacKeith (1990), loc. cit.  Un autre facteur important est le fait de mettre le suspect en présence d’éléments de preuve fabriquée afin de le convaincre de la futilité de ses protestations d’innocence:  voir ibid.; Ofshe & Leo (1997a), loc. cit., à la p. 1040.

 

39                               Les fausses confessions induites par coercition diffèrent quelque peu de celles induites par stress, puisqu’elles sont le produit des [traduction] «techniques classiques de coercition (par exemple des menaces et des promesses)» qui sont l’objet de la règle de l’arrêt Ibrahim (Ofshe & Leo (1997), loc. cit., à la p. 214).  Comme l’affirment Gudjonsson & MacKeith (1988), loc. cit., à la p. 191, [traduction] «la plupart des cas de fausses confessions dont les tribunaux sont saisis sont des confessions induites par coercition».  Voir également White, loc. cit., à la p. 131.

 


40                               Le troisième type de fausses confessions est la fausse confession induite par persuasion sans coercition.  Dans ce scénario, les tactiques policières utilisées ont pour effet d’amener la personne innocente à [traduction] «devenir confuse, à douter de sa mémoire, à être temporairement persuadée de sa culpabilité et à confesser un crime qu’elle n’a pas commis»:  Ofshe & Leo (1997), loc. cit., à la p. 215.  Pour un exemple, voir Reilly c. State, 355 A.2d 324 (Conn. Super. Ct. 1976); Ofshe & Leo (1997), loc. cit., aux pp. 231 à 234.  L’utilisation de preuve fabriquée peut également contribuer à convaincre un suspect innocent de sa culpabilité.

 

41                               Le dernier type de fausses confessions est la fausse confession induite par persuasion avec coercition.  Ces confessions sont semblables aux fausses confessions induites par persuasion sans coercition, sauf que l’interrogatoire comporte également les aspects classiques de coercition des fausses confessions induites par coercition:  voir Ofshe & Leo (1997), loc. cit., à la p. 219.

 

42                               Plusieurs thèmes se dégagent de cette analyse, notamment la nécessité d’être attentif aux particularités du suspect en cause. À titre d’exemple, White, loc. cit., à la p. 120, fait la remarque suivante:

 

[traduction]  Des fausses confessions risquent particulièrement d’être faites lorsque les policiers interrogent certains types de suspects, notamment  des suspects particulièrement vulnérables en raison de leur vécu, de caractéristiques spéciales ou de la situation, des suspects qui ont une personnalité complaisante et, dans de rares cas, des suspects qui de leur personnalité sont  enclins à accepter et à croire les suggestions faites par les policiers pendant l’interrogatoire.

 

D’ailleurs, cette constatation est compatible avec les motifs exposés par le juge Rand  dans l’arrêt Fitton, précité, à la p. 962:

 

[traduction]  La force d’esprit et la volonté de l’accusé, l’effet de la détention, de l’environnement, la portée des questions ou de la conversation, tout cela exige une analyse minutieuse de leur rôle dans l’aveu et sert à la Cour pour déterminer si la déclaration a été libre et volontaire, c’est-à-dire exempte de l’influence d’un espoir ou d’une crainte qu’ils auraient pu susciter.

 


Dans les arrêts Ward et Horvath, précités, on a également reconnu les circonstances particulières dans lesquelles se trouvaient les suspects, et qui les avaient rendus incapables de faire une confession volontaire:  dans Ward il s’agissait de l’état de choc de l’accusé, alors que dans Horvath il s’agissait de la fragilité psychologique de l’accusé, fragilité qui avait précipité son hypnose et son «effondrement émotionnel complet» (p. 400).

 

43                               Un autre thème est le danger que pose l’utilisation d’éléments de preuve qui n’existent pas.  Présenter au suspect une preuve fabriquée de toutes pièces pourra le persuader, s’il est impressionnable, qu’il a effectivement commis le crime, ou à tout le moins que toute protestation d’innocence est futile.

 

44                               Enfin, la littérature sur la question confirme l’importance que la règle des confessions de la common law attribue aux menaces et promesses.  Les fausses confessions induites par coercition constituent le type le plus répandu de fausses confessions.  Ces confessions sont habituellement le fruit de menaces ou de promesses qui convainquent le suspect que, malgré les conséquences que sa décision pourrait avoir à long terme, il est dans son intérêt, à court et à moyen terme, de faire une confession.

 


45                               Heureusement, les fausses confessions découlent rarement de l’application de techniques policières régulières.  Comme l’ont souligné Leo & Ofshe (1998), loc. cit., à la p. 492, les affaires de fausses confessions comportent presque toujours [traduction] «des pratiques policières répréhensibles, de la criminalité policière, ou les deux».  De même, dans Ofshe & Leo (1997), loc. cit., aux pp. 193 à 196, les auteurs soutiennent que, dans la plupart des cas, [traduction] «pour soutirer une fausse confession il faut recourir à des mesures incitatives importantes, exercer une pression intense et mener un interrogatoire prolongé. [. . .]  Ce n’est que dans de très rares circonstances que les stratagèmes d’un interrogateur persuaderont un suspect innocent qu’en fait il est coupable et qu’il s’est fait prendre».

 

46                               Avant de voir comment la règle des confessions répond à ces dangers, j’aimerais commenter brièvement la pratique, de plus en plus répandue, qui consiste à enregistrer les interrogatoires policiers, de préférence sur bande vidéo.  Comme l’ont souligné J. J. Furedy et J. Liss dans «Countering Confessions Induced by the Polygraph:  Of Confessionals and Psychological Rubber Hoses» (1986), 29 Crim. L.Q. 91, à la p. 104, même si [traduction] «des notes rapportent avec précision la teneur de ce qui a été dit [. . .], ces notes ne peuvent refléter le ton des propos de même que le langage corporel qui a pu être utilisé» (en italique dans l’original).  De même, White, loc. cit., aux pp. 153 et 154, avance quatre raisons pour lesquelles l’enregistrement des interrogatoires sur bande vidéo est une mesure importante:

 

[traduction]  Premièrement, une telle mesure donne aux tribunaux un moyen de contrôler les pratiques en matière d’interrogatoire et, ainsi, de faire respecter les autres garanties.  Deuxièmement, elle dissuade les autorités policières d’utiliser des méthodes d’interrogatoire susceptibles de donner lieu à des confessions qui ne sont pas dignes de foi.  Troisièmement, elle permet aux tribunaux de rendre des jugements plus éclairés sur la question de savoir si des pratiques particulières en matière d’interrogatoire étaient susceptibles d’entraîner une confession qui n’est pas digne de foi.  Enfin, le fait d’imposer cette garantie constitue une politique d’intérêt général judicieuse puisque, en plus de réduire le nombre de confessions qui ne sont pas dignes de foi, elle aura d’autres effets salutaires y compris des avantages nets pour les responsables de l’application de la loi.

 

Cela ne veut pas dire que les interrogatoires qui ne sont pas enregistrés sont intrinsèquement suspects, mais simplement que, de toute évidence, l’existence d’un enregistrement peut grandement aider le juge des faits à apprécier la confession.

 


2.    La règle des confessions contemporaine

 

47                               La règle des confessions de la common law offre une protection efficace contre les fausses confessions.  Bien que cette règle s’attache principalement au caractère volontaire des confessions, ce concept chevauche celui de la fiabilité.  Une confession non volontaire est souvent (mais pas toujours) peu fiable.  L’application de la règle est, par nécessité, contextuelle.  Il n’y a tout simplement pas de règle simple et rigide qui permette de tenir compte des diverses circonstances susceptibles de vicier le caractère volontaire d’une confession; il en résulterait inévitablement une règle dont la portée serait à la fois trop large et trop restreinte.  Par conséquent, le juge du procès doit tenir compte de tous les facteurs pertinents lorsqu’il examine une confession.

 

a)    Menaces ou promesses

 

48                               Il s’agit là évidemment de l’essence de la règle des confessions énoncée dans l’arrêt Ibrahim, précité.  Il importe donc de définir précisément quels types de menaces ou de promesses soulèvent un doute raisonnable quant au caractère volontaire d’une confession.  Bien que des menaces de torture clairement imminente rendent une confession inadmissible, la plupart des affaires ne sont pas aussi nettes.

 


49                               Comme il a été souligné plus tôt, le Conseil privé a jugé, dans Ibrahim, que des déclarations sont inadmissibles si elles ont été obtenues «par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage».  L’exemple classique d’«espoir d’un avantage» est la perspective de clémence de la part du tribunal.  Il est inacceptable qu’une personne en situation d’autorité laisse entendre à un suspect qu’elle fera des démarches pour obtenir une réduction de l’accusation ou de la peine si le suspect fait une confession.  En conséquence, dans l’arrêt Nugent, précité, la cour a écarté la déclaration d’un suspect à qui l’on avait dit que, s’il faisait une confession, il serait accusé d’homicide involontaire coupable au lieu de meurtre.  Voir également R. c. Kalashnikoff (1981), 57 C.C.C. (2d) 481 (C.A.C.‑B.); R. c. Lazure (1959), 126 C.C.C. 331 (C.A. Ont.); R. J. Marin, Admissibility of Statements (9e éd. (feuilles mobiles)), à la p. 1–15.  Aussi peu plausible que cela puisse intuitivement sembler, tant la jurisprudence que la doctrine confirment que la pression découlant d’un interrogatoire intense et prolongé peut convaincre un suspect que personne ne croira ses protestations d’innocence et qu’il sera inévitablement déclaré coupable.  Dans de telles circonstances, faire miroiter à un suspect la possibilité d’une réduction de l’accusation ou de la peine en échange d’une confession soulèverait un doute raisonnable quant au caractère volontaire de l’aveu qui s’ensuivrait.  Le fait pour les policiers d’offrir explicitement au suspect de lui obtenir un traitement clément en retour d’une confession est manifestement un encouragement très puissant et justifiera l’exclusion de la confession, sauf dans des circonstances exceptionnelles.

 

50                               Un autre type d’encouragement pertinent en ce qui concerne le présent pourvoi est le fait d’offrir au suspect de l’assistance psychiatrique ou d’autres formes de counselling en échange d’une confession.  Bien qu’il s’agisse clairement d’un encouragement, une telle offre n’a pas autant de poids qu’une offre de clémence et il faut, dans un tel cas, tenir compte de l’ensemble des circonstances.  L’affaire R. c. Ewert (1991), 68 C.C.C. (3d) 207 (C.A.C.‑B.) est un bon exemple de ce genre de situation.  Dans cette affaire, les autorités policières ont fait ce que le juge Hinkson de la Cour d’appel a décrit comme [traduction] «une offre d’aide audacieuse à l’accusé, savoir qu’ils lui procureraient de l’aide psychiatrique s’il leur racontait ce qui était arrivé» (p. 216).  Infirmant l’arrêt de la Cour d’appel, notre Cour a confirmé la conclusion du juge du procès que, bien que la conduite des policiers ait constitué un encouragement, ce facteur n’a pas joué dans la décision du suspect de faire une confession.  L’arrêt Ewert reconnaît donc l’importance d’une approche contextuelle.


 

51                               Il n’est pas nécessaire que les menaces ou les promesses visent directement le suspect pour avoir un effet coercitif.  Par exemple, dans R. c. Jackson (1977), 34 C.C.C. (2d) 35 (C.A.C.‑B.), le juge McIntyre (plus tard juge de notre Cour) a examiné une confession obtenue dans une affaire où l’accusé et son ami Winn avaient volé et assassiné un auto‑stoppeur.  Les policiers, qui soupçonnaient Jackson d’avoir commis le meurtre, l’ont exhorté à faire une confession, à défaut de quoi son ami Winn serait injustement déclaré coupable de meurtre.  Le juge du procès avait tiré la conclusion suivante:

 

[traduction]  [Les policiers] exerçaient une forme de pression subtile sur Jackson, faisant appel à son concept du bien et du mal.  [. . .] Ils lui ont dit que s’ils ne parvenaient pas à faire la lumière sur l’affaire, il pourrait s’avérer nécessaire de porter des accusations contre les deux, et qu’il s’agissait d’une très forte possibilité.  Les agents ont été très francs avec lui.  Ils espéraient que Jackson, confronté avec les éléments de preuve qu’ils avaient et les conséquences de son silence, tirerait Winn d’affaire et passerait aux aveux.  C’est exactement ce qu’il a fait.  À mon avis, ils n’ont rien dit ni fait qui puisse être interprété par Jackson comme faisant miroiter la possibilité qu’il obtiendrait un avantage s’il faisait une confession.

 

Le juge McIntyre a lui aussi estimé qu’on n’avait pas fait miroiter à l’accusé l’espoir d’un avantage qui aurait rendu la confession inadmissible. Il a ensuite fait une analyse très utile du droit (à la p. 38):

 

[traduction] [Chaque affaire] doit être examinée à la lumière des faits qui lui sont propres.  À mon avis, pour qu’un avantage promis à une personne autre que l’accusé vicie une confession, l’avantage doit être d’une nature telle que, envisagé à la lumière du lien qui existe entre cette personne et l’accusé, et de toutes les circonstances de la confession, il tendrait à amener l’accusé à faire une fausse déclaration, car c’est le danger qu’une personne puisse être incitée, par des promesses, à faire une telle déclaration qui est à l’origine de la règle de l’exclusion.

 


52                               Le juge McIntyre a mentionné, à titre d’exemples d’encouragements inacceptables, le fait de dire à une mère que sa fille ne serait pas accusée de vol à l’étalage si la mère avouait avoir commis une infraction similaire (voir Commissioners of Customs and Excise c. Harz, [1967] 1 A.C. 760 (H.L.), à la p. 821), ou le fait pour un sergent‑major d’avoir fait parader une compagnie de soldats jusqu’à ce qu’on lui dise qui était le responsable d’une agression à coups de couteau (voir R. c. Smith, [1959] 2 Q.B. 35).  Dans Jackson, par contraste, l’accusé avait rencontré Winn en prison et ne le connaissait que depuis un an.  L’infraction avait été commise quelques jours après leur libération.  Ni l’un ni l’autre n’a témoigné de l’existence entre eux d’une relation telle que [traduction] «l’immunité de l’un était d’une importance si cruciale aux yeux de l’autre qu’il ferait une fausse confession pour la préserver» (p. 39).  La confession a donc été jugée admissible.

 

53                               La règle de l’arrêt Ibrahim parle non seulement de «l’espoir d’un avantage», mais également de «la crainte d’un préjudice».  Il va de soi que toute confession résultant de violence pure et simple est involontaire, non fiable et, par conséquent, inadmissible.  Les menaces voilées, plus subtiles, qui peuvent être proférées contre des suspects sont plus répandues et posent un plus grand défi aux tribunaux.  Dans la troisième édition de son ouvrage intitulé The Admissibility of Confessions (1979), l’honorable Fred Kaufman expose un point de départ utile, à la p. 230:

 

[traduction]  Les menaces peuvent prendre toutes sortes de formes.  Parmi les plus répandues, mentionnons les expressions comme «il vaudrait mieux» que tu te mettes à table, qui impliquent que le refus de le faire pourrait avoir des conséquences terribles.  Le juge Maule a reconnu ce fait, et il a dit qu’«il ne fait pas de doute que de telles paroles, si elles sont prononcées par une personne en situation d’autorité, ont déjà justifié à au moins 500 reprises  l’exclusion d’une confession» (R. c. Garner (1848), 3 Cox C.C. 175, à la p.177).

 


Les tribunaux ont donc déjà écarté des confessions faites en réponse aux suggestions faites par les policiers aux suspects qu’il vaudrait mieux que ces derniers passent aux aveux.  Voir R. c. Desmeules, [1971] R.L. 505 (C.S.P. Qué.); Comeau c. The Queen (1961), 131 C.C.C. 139 (C.S.N.‑É.); Lazure, précité; R. c. Hanlon (1958), 28 C.R. 398 (C.A.T.-N.), à la p. 401; White, loc. cit., à la p. 129.

 

54                               Cependant, le fait que des expressions du genre «il vaudrait mieux que vous disiez la vérité» aient été utilisées ne doit pas d’office entraîner l’exclusion d’une confession.  Dans de telles situations, le juge du procès doit plutôt, comme dans tous les cas, examiner le contexte global de la confession et se demander s’il existe un doute raisonnable que la confession qui en a résulté était involontaire.  Le juge en chef Freedman du Manitoba a bien appliqué cette approche dans R. c. Puffer (1976), 31 C.C.C. (2d) 81 (C.A. Man.).  Dans cette affaire, une personne soupçonnée de vol qualifié et de meurtre a demandé à rencontrer deux policiers qu’elle connaissait.  Durant cette rencontre, un des agents a dit: [traduction] «La meilleure chose que tu puisses faire, c’est nous accompagner et nous dire la vérité» (p. 95).  Le juge en chef Freedman a estimé que, quoique les paroles de l’agent aient été «mal choisies», elles n’entraînent pas l’exclusion (à la p. 95): [traduction] «McFall voulait parler, il voulait donner sa version des faits aux policiers, et il ne voulait surtout pas que Puffer et Kizyma se tirent d’affaire, le laissant ainsi seul pour faire face à la musique» (en italique dans l’original).

 

55                               Dans ses motifs, le juge en chef Freedman s’est référé à un passage d’un article qu’il avait écrit, «Admissions and Confessions», qui avait été publié dans Salhany et Carter, dir., Studies in Canadian Criminal Evidence (1972), aux pp. 110 et 111, et où il avait dit ce qui suit:

 


[traduction]  Aussi risqué que puisse être le fait pour un policier d’utiliser des expressions du genre «il vaut mieux tout nous dire» — que les agents expérimentés et consciencieux éviteront comme la peste — les conséquences de ces expressions ne seront pas toujours fatales.  Dans certains cas, de telles expressions ont été utilisées et, pourtant, l’aveu qui a suivi a été admis.  Cela peut se produire lorsque le tribunal est convaincu que — bien que potentiellement périlleuses — les expressions attentatoires n’ont pas, dans les faits, amené l’accusé à parler.  Autrement dit, il aurait fait une confession de toute façon, l’examen du tribunal ayant établi que sa déclaration était effectivement volontaire.  Il est à peine besoin de souligner, cependant, que les affaires de ce type poseront une difficulté particulière aux avocats chargés des poursuites, car les expressions du genre «il vaut mieux dire la vérité» suggèrent à première vue un encouragement, et le procureur pourrait fort bien devoir lutter pour faire admettre une confession résultant de leur utilisation.

 

Notre Cour a confirmé la décision de la Cour d’appel.  Voir McFall c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 321; voir également R. c. Hayes (1982), 65 C.C.C. (2d) 294 (C.A. Alb.), aux pp. 296 et 297.  Je suis d’accord avec l’opinion selon laquelle les remarques du type «il vaudrait mieux» ne commandent l’exclusion de la confession que dans les cas où les circonstances révèlent une menace ou promesse implicite.

 

56                               Un dernier type de menace ou de promesse pertinent dans le cadre du présent pourvoi est l’utilisation d’encouragements moraux ou spirituels.  De tels encouragements ne donneront généralement pas lieu à un aveu involontaire, pour la raison bien simple que la concrétisation de l’objet de l’encouragement est indépendante de la volonté des policiers.  Lorsqu’un policier dit «si vous ne confessez pas, vous passerez le reste de vos jours en prison.  Dites‑moi ce qui s’est produit et je pourrai vous obtenir une peine moins lourde», il est clair qu’il encourage fortement et de façon inacceptable le suspect à faire une confession.  En effet, l’agent offre une contrepartie, ce qui soulève la possibilité que le suspect confesse un crime non pas parce que, dans son for intérieur, il souhaite le faire, mais plutôt afin de tirer parti de l’avantage que lui offre l’interrogateur.  Par contraste, dans le cas des encouragements spirituels, la réalisation de l’avantage évoqué est indépendante de la volonté de l’interrogateur.  Le policier qui convainc un suspect qu’il se sentira mieux après avoir fait une confession n’offre rien à ce dernier.  Je suis donc d’accord avec Kaufman, op. cit., qui a résumé ainsi la jurisprudence, à la p. 186:

 


[traduction]  Nous pouvons donc conclure que, en règle générale, les aveux qui résultent d’exhortations spirituelles ou d’appels à la conscience et à la moralité sont admissibles en preuve, qu’ils aient été proférés par une personne en situation d’autorité ou par une autre personne.  [En italique dans l’original.]

 

57                               En résumé, les tribunaux doivent avoir à l’esprit qu’il peut souvent arriver que les policiers offrent une certaine forme d’encouragement au suspect en vue d’obtenir une confession.  Peu de suspects confesseront spontanément un crime.  Dans la très grande majorité des cas, les policiers devront d’une façon ou d’une autre convaincre le suspect qu’il est dans son intérêt de faire une confession.  Cela ne devient inacceptable que lorsque les encouragements — à eux seuls ou combinés à d’autres facteurs — sont importants au point de soulever un doute raisonnable quant à la question de savoir si on a subjugué la volonté du suspect.  Sur ce point, j’estime particulièrement à propos le passage suivant de l’affaire R. c. Rennie (1981), 74 Cr. App. R. 207 (C.A.), à la p. 212:

 

[traduction]  Très peu de confessions sont inspirées exclusivement par le remords.  Il arrive souvent qu’un accusé soit animé par divers motifs, y compris l’espoir qu’un aveu hâtif puisse se traduire par une libération anticipée ou une peine moins sévère.  Si, en droit, la règle était que la seule présence d’un tel motif, même s’il découle de paroles ou d’actes d’une personne en autorité, mène inexorablement à l’exclusion d’une confession, pratiquement toutes les confessions seraient jugées inadmissibles.  Cela n’est pas le droit applicable.  Dans certains cas, il se peut que l’espoir ait pris naissance chez l’accusé lui-même.  Dans ces cas, il n’est pas pertinent, même s’il constitue le motif dominant pour lequel l’accusé a confessé le crime.  La confession n’aura pas été obtenue par suite de quelque acte d’une personne en situation d’autorité.  Il arrive plus souvent que la présence d’un tel espoir tire son origine, du moins en partie, d’actes ou de paroles d’une telle personne.  Il y a peu de prisonniers auxquels il ne vient pas à l’esprit, au cours d’un interrogatoire serré mais équitable dans un poste de police, de mettre fin rapidement à leur interrogatoire et à leur détention en faisant une confession.

 

Dans tous les cas, la question la plus importante consiste à se demander si les interrogateurs ont offert une contrepartie, que ce soit sous forme de menaces ou de promesses.


b)    L’oppression

 

58                               Les parties, les intervenants et les juridictions inférieures saisies de la présente affaire ont abondamment débattu la pertinence de l’«oppression» dans la règle des confessions.  Il est clair que l’existence d’un climat d’oppression est susceptible de produire de fausses confessions.  Si les policiers créent des conditions suffisamment désagréables, il n’y a rien d’étonnant à ce que le suspect fasse une fausse confession induite par stress pour échapper à ces conditions.  Par ailleurs, un climat oppressif pourrait ébranler la volonté du suspect au point de l’amener à douter de sa propre mémoire, à croire les accusations incessantes des policiers et à faire une confession induite.

 

59                               L’arrêt récent de la Cour d’appel de l’Ontario R. c. Hoilett (1999), 136 C.C.C. (3d) 449, est un exemple frappant d’une situation oppressive.  L’accusé, qui était inculpé d’agression sexuelle, avait été arrêté à 23 h 25 pendant qu’il était sous l’effet du crack et de l’alcool.  Après avoir passé deux heures dans une cellule, deux agents lui ont retiré ses vêtements aux fins d’analyses médico-légales.  On l’a laissé nu dans une cellule froide ne contenant qu’une couchette de métal où il pouvait s’asseoir.  Cette couchette était si froide qu’il devait se tenir debout.  Une heure et demie plus tard, on lui a fourni des vêtements légers — mais pas de sous‑vêtements — de même que des souliers qui ne lui faisaient pas.  Peu de temps après, vers 3 h, on a réveillé l’accusé afin de l’interroger.  Ce dernier s’est endormi au moins cinq fois pendant l’interrogatoire.  Il a vainement demandé des vêtements plus chauds et un mouchoir pour s’essuyer le nez.  Quoiqu’il ait reconnu qu’il savait qu’il n’était pas tenu de dire quoi que ce soit et que les agents ne lui avaient pas explicitement fait de menaces ni de promesses, il espérait qu’en parlant aux policiers ceux-ci lui donneraient des vêtements chauds et mettraient fin à l’interrogatoire.

 


60                               Dans ces circonstances, il n’est pas étonnant que la Cour d’appel ait conclu que la déclaration n’avait pas été volontaire.  Dans des conditions inhumaines, on peut difficilement s’étonner qu’un suspect fasse une confession dans le seul but d’échapper à ces conditions.  Une telle confession n’est pas volontaire.  Pour des exemples similaires de situations oppressives, voir R. c. Owen (1983), 4 C.C.C. (3d) 538 (C.S.N.‑É., Div. app.); R. c. Serack, [1974] 2 W.W.R. 377 (C.S.C.‑B.).  Sans vouloir énumérer tous les facteurs susceptibles de créer un climat d’oppression, mentionnons le fait de priver le suspect de nourriture, de vêtements, d’eau, de sommeil ou de soins médicaux, de lui refuser l’accès à un avocat et de l’interroger de façon excessivement agressive pendant une période prolongée.

 

61                               Une dernière source possible de conditions oppressives est l’utilisation, par les policiers, d’éléments de preuve inexistants.  Comme il est ressorti de l’analyse qui a été faite des fausses confessions plus tôt, ce stratagème est très dangereux:  voir Ofshe & Leo (1997a), loc. cit., aux pp. 1040 et 1041; Ofshe & Leo (1997), loc. cit., à la p. 202.  L’utilisation de faux éléments de preuve est souvent un moyen crucial de convaincre le suspect que ses protestations d’innocence, même si elles sont vraies, sont futiles.  Je ne veux d’aucune façon laisser entendre que le seul fait de mettre le suspect en présence d’éléments de preuve inadmissibles, ou même fabriqués, constitue nécessairement une raison d’écarter une déclaration.  Cependant, lorsqu’elle s’ajoute à d’autres facteurs, cette considération est certes pertinente pour déterminer, dans le cadre d’un voir‑dire, si la confession était volontaire.

 


62                               L’Angleterre a également reconnu le rôle que joue l’oppression.  En effet, le paragraphe 76(8) de la loi intitulée Police and Criminal Evidence Act 1984 (R.-U.), 1984, ch. 60, précise que la confession ne doit pas découler d’«oppression», qui est définie comme visant notamment [traduction] «la torture, les traitements inhumains ou dégradants et le recours ou la menace de recours à la violence (qu’elle équivaille ou non à de la torture)».  Le Code of Practice for the Detention, Treatment and Questioning of Persons by Police Officers donne des exemples de situations pouvant constituer des conditions oppressives similaires à celles que j’ai décrites plus tôt.

 

c)    L’état d’esprit conscient

 

63                               Notre Cour a récemment traité de cet aspect de la règle des confessions dans l’arrêt Whittle, précité, et il n’est pas nécessaire que je le refasse.  En résumé, le juge Sopinka a expliqué que la théorie de l’état d’esprit conscient «n’implique pas un degré de conscience plus élevé que la connaissance de ce que l’accusé dit et qu’il le dit à des policiers qui peuvent s’en servir contre lui» (p. 936).  Je souscris à cette explication et j’ajouterais simplement que, tout comme l’oppression, la théorie de l’état d’esprit conscient ne doit pas être considérée comme une enquête distincte, complètement dissociée du reste de la règle des confessions.  De fait, dans les motifs qu’il a exposés dans l’arrêt Horvath, précité, à la p. 408, le juge Spence a considéré que la théorie de l’état d’esprit conscient n’était qu’une application du principe plus large du caractère volontaire:  la déclaration est inadmissible si elle «n’est [. . .] pas volontaire au sens ordinaire de ce terme en anglais parce qu’elle [a été provoquée] par d’autres circonstances comme c’est le cas en l’espèce».

 

64                               De même, estimant que la règle des confessions ne saurait se limiter à une analyse négative, c’est-à-dire à déterminer si des menaces ou promesses explicites ont été faites, le juge Beetz a expliqué ainsi la règle, aux pp. 424 et 425:

 


En outre, le principe qui a inspiré la règle est positif; c’est le principe du caractère volontaire.  Ce principe vaut dans tous les cas et peut justifier l’extension de la règle aux cas où l’extorsion d’une déclaration a une autre cause que les promesses, les menaces, l’espoir ou la crainte, si l’on estime que d’autres causes ont un effet aussi coercitif que les promesses ou les menaces, l’espoir ou la crainte et sont assez graves pour faire jouer le principe.

 

Comme l’indiquent clairement ces extraits, la théorie de l’état d’esprit conscient n’est qu’une application de la règle générale selon laquelle les confessions involontaires sont inadmissibles.

 

d)    Les autres ruses policières

 

65                               Le dernier élément dont il faut tenir compte pour déterminer si une confession est volontaire ou non est la question de savoir si les policiers ont utilisé des ruses en vue d’obtenir la confession.  Contrairement aux théories qui ont fait l’objet des trois dernières rubriques, cette théorie établit une analyse distincte.  Bien qu’elle soit elle aussi liée au caractère volontaire, elle vise plus précisément à préserver l’intégrité du système de justice pénale.  Cette analyse a été introduite par le juge Lamer, dans les motifs concordants qu’il a exposés dans l’arrêt Rothman, précité.  Dans cette affaire, la Cour a admis la déclaration qu’avait faite le suspect à un policier en civil qui partageait sa cellule.  Dans ses motifs, le juge Lamer a souligné que la fiabilité n’était pas le seul aspect auquel s’attache la règle des confessions, car autrement la règle ne s’intéresserait pas à la question de savoir si l’encouragement a été donné par une personne en situation d’autorité.  Il a résumé ainsi l’approche qu’il convient d’appliquer, à la p. 691:

 

[A]vant de permettre au juge des faits d’en examiner la valeur probante, une déclaration doit être soumise au voir dire en vue d’établir non pas si la déclaration est digne de foi, mais si les autorités ont fait ou dit une chose qui ait pu amener l’accusé à faire une déclaration qui soit ou qui puisse être fausse.  Il importe au plus haut point de se rappeler que l’enquête ne porte pas sur la fiabilité mais sur la conduite des autorités relativement à la fiabilité.

 


66                               Le juge Lamer s’est également empressé de souligner que les tribunaux doivent se garder de ne pas limiter indûment le pouvoir discrétionnaire des policiers (à la p. 697):

 

[U]ne enquête en matière criminelle et la recherche des criminels ne sont pas un jeu qui doive obéir aux règles du marquis de Queensbury.  Les autorités, qui ont affaire à des criminels rusés et souvent sophistiqués, doivent parfois user d’artifices et d’autres formes de supercherie, et ne devraient pas être entravées dans leur travail par l’application de la règle.  Ce qu’il faut réprimer avec vigueur, c’est, de leur part, une conduite qui choque la collectivité.  [Je souligne.]

 

À titre d’exemples de comportement susceptibles de «choquer la collectivité», le juge Lamer a mentionné un policier qui soit se ferait passer pour un aumônier ou un avocat de l’aide juridique, soit donnerait une injection de penthotal à un suspect diabétique en prétendant lui administrer de l’insuline.  L’analyse du juge Lamer sur ce point a été adoptée par notre Cour dans l’arrêt Collins, précité, aux pp. 286 et 287; voir également R. c. Clot (1982), 69 C.C.C. (2d) 349 (C.S. Qué.).

 

67                               Dans l’arrêt Hebert, précité, notre Cour a renversé le résultat de l’arrêt Rothman en se fondant sur le droit au silence garanti par la Charte .  Toutefois, je n’estime pas que cela rende inutile la règle du «choc de la collectivité».  Il peut survenir des situations où, quoique la ruse utilisée par les policiers ne porte pas atteinte au droit au silence ni ne mine le caractère volontaire de la confession comme tel, elle soit si odieuse qu’elle choque la collectivité.  Je suis  donc d’avis que le critère énoncé par le juge Lamer dans Rothman et adopté par notre Cour dans Collins demeure un élément important de la règle des confessions.

 


e)    Résumé

 

68                               Bien que ce qui précède puisse sembler indiquer que la règle des confessions comporte toute une panoplie de facteurs et critères, l’idée de base est en réalité assez simple.  Premièrement, comme le souci premier du système de justice pénale est d’éviter qu’un innocent soit déclaré coupable, une confession ne sera pas jugée admissible si elle a été faite dans des circonstances qui soulèvent un doute raisonnable quant à son caractère volontaire.  Tant la règle étroite traditionnelle qui a été énoncée dans l’arrêt Ibrahim que la théorie de l’oppression reconnaissent ce danger.  Si les policiers qui mènent l’interrogatoire soumettent le suspect à des conditions tout à fait intolérables ou s’ils lui donnent des encouragements assez importants pour qu’il fasse une confession non fiable, le juge du procès doit écarter cette confession.  Entre ces deux extrêmes, l’existence d’une combinaison de conditions oppressives et d’encouragements peut également avoir pour effet d’entraîner l’exclusion d’une confession.  Le juge du procès doit, lorsqu’il rend sa décision, tenir compte de toutes les circonstances dans lesquelles la confession a été faite.

 


69                               La théorie de l’oppression et celle des encouragements s’attachent principalement à la fiabilité.  Cependant, comme le démontrent la théorie de l’état d’esprit conscient et les motifs concordants du juge Lamer dans Rothman, précité, la règle des confessions vise également à protéger une conception plus large du caractère volontaire [traduction] «qui met l’accent sur la protection des droits de l’accusé et l’équité du processus pénal»:  J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), à la p. 339.  Le caractère volontaire est la pierre d’assise de la règle des confessions.  Qu’il ait été question de menaces ou de promesses, de l’absence d’un état d’esprit conscient ou encore de ruses policières qui privent injustement l’accusé de son droit de garder le silence, la jurisprudence de notre Cour a invariablement protégé l’accusé contre l’admission en preuve d’une confession non volontaire.  Si la confession est involontaire pour l’une ou l’autre de ces raisons, elle est inadmissible.

 

70                               Wigmore est peut‑être celui qui a le mieux résumé la question lorsqu’il a dit que le caractère volontaire était [traduction]  «la formulation synthétique d’un faisceau de valeurs»:  Wigmore on Evidence, (Chadbourn rev. 1970), vol. 3, § 826, à la p. 351.  Je suis également d’accord avec le juge en chef Warren de la Cour suprême des États‑Unis, qui a exprimé un point de vue similaire dans l’arrêt Blackburn c. Alabama, 361 U.S. 199 (1960), à la p. 207:

 

[traduction]  Le seul intérêt en jeu n’est ni la probabilité que la confession soit fausse, ni la sauvegarde de la liberté de choix de l’individu.  Comme nous l’avons dit au cours de la toute dernière session: «La répugnance de la société à utiliser des confessions involontaires [. . .] vient également du sentiment, profondément ancré, que les policiers doivent respecter la loi quand ils l’appliquent, qu’en bout de ligne, la vie et la liberté peuvent être autant menacées par l’utilisation de méthodes illégales pour faire condamner les personnes soupçonnées de crimes que par les vrais criminels eux‑mêmes».  [. . .] En conséquence, un ensemble de valeurs sous‑tend la limitation imposée à l’État en matière d’utilisation de confessions, ensemble que notre Cour décrit au moyen d’un terme commode, «involontaires», et le rôle que joue chacune de celles‑ci varie en fonction des circonstances particulières de l’affaire en cause.

 

Voir l’arrêt Hebert, précité.  Bien que l’«ensemble de valeurs» pertinent en ce qui concerne le caractère volontaire au Canada ne soit manifestement pas identique à celui qui existe aux États‑Unis, je conviens avec le juge en chef Warren que le «caractère volontaire» est une expression utile pour décrire les divers fondements de la règle des confessions dont j’ai traité précédemment.

 


71                               Encore une fois, je tiens à souligner que l’analyse qui doit être faite en application de la règle des confessions est une analyse contextuelle.  Les tribunaux ont déjà écarté des confessions faites par suite d’encouragements relativement faibles.  Par ailleurs, le droit faisait abstraction des comportements policiers intolérables si ceux-ci ne se traduisaient pas par un «encouragement» au sens de la formulation étroite de la règle énoncée dans l’arrêt Ibrahim.  Les deux résultats sont erronés.  Les tribunaux doivent plutôt s’efforcer de bien comprendre les circonstances de la confession et se demander si elles soulèvent un doute raisonnable quant au caractère volontaire de la confession, en tenant compte de tous les aspects de la règle que j’ai déjà analysés plus tôt.  En conséquence, un encouragement relativement faible, tels un mouchoir pour s’essuyer le nez ou des vêtements chauds, peut constituer un encouragement inadmissible si le suspect est privé de sommeil, de chauffage et de vêtements pendant plusieurs heures en plein milieu de la nuit durant un interrogatoire:  voir Hoilett, précité.  Par contre, dans les cas où le suspect est traité convenablement, il faudra un encouragement plus fort pour que la confession soit jugée involontaire.  Si le tribunal de première instance examine comme il se doit toutes les circonstances pertinentes, une conclusion à l’égard du caractère volontaire est essentiellement de nature factuelle et ne doit être infirmée que si «le juge du procès a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits»:  Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, à la p. 279 (citant Stein c. Le navire «Kathy K», [1976] 2 R.C.S. 802, à la p. 808) (passage souligné dans Schwartz).

 

D.  L’application au présent pourvoi

 


72                               Appliquant les règles de droit que je viens de décrire aux faits du présent pourvoi, après examen des bandes vidéo et audio pertinentes, j’estime que le juge du procès n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que la confession de l’intimé était volontaire et fiable.  L’intimé a été pleinement informé de ses droits tout au long du processus; il n’a jamais été interrogé de façon rude, agressive ou autoritaire; il n’a pas été privé de sommeil ou de choses à boire ou à manger; et aucun encouragement inacceptable qui aurait pu miner la fiabilité de son aveu ne lui a été proposé.  Comme la Cour d’appel a tiré une conclusion contraire en ce qui concerne un certain nombre de ces questions, je vais les examiner à tour de rôle.

 

1.    Minimisation de la gravité des crimes

 

73                               La Cour d’appel a jugé que les policiers avaient irrégulièrement fait une offre de clémence à l’intimé en minimisant la gravité de ses infractions et en indiquant [traduction] «qu’on lui infligerait probablement la même peine, qu’il confesse être l’auteur d’un seul incendie ou de plusieurs» (par. 156).  De l’avis de la cour, il s’agissait d’un encouragement inacceptable (au par. 126):

 

[traduction]  Au début, les policiers ont laissé entendre qu’«incendier une voiture n’est pas très grave».  Après avoir obtenu la confession concernant la voiture, on a laissé entendre à l’accusé — et ce à plusieurs reprises — qu’il n’était pas vraiment un criminel et que la police ne voulait pas le traiter comme tel.  En outre, on a dit à l’accusé — également plus d’une fois — qu’il y avait peu de différence entre le fait d’être reconnu coupable d’un seul incendie ou de 10.

 

74                               Dans la mesure où les policiers ne faisaient que minimiser la culpabilité morale liée à l’infraction, leurs actes ne posaient pas problème.  Comme l’a elle‑même reconnu la Cour d’appel (au par. 126), [traduction] «le fait de minimiser la portée morale de l’infraction est un aspect courant et habituellement acceptable des interrogatoires policiers».  La vraie question est plutôt de savoir si les policiers ont laissé entendre à l’accusé que [traduction] «la confession entraînera des conséquences juridiques minimales» (par. 126).  Comme il a été expliqué plus tôt, un tel comportement est inapproprié.

 


75                               Cependant, en toute déférence pour l’opinion des juges de la Cour d’appel, j’estime que ceux‑ci ont mal qualifié les paroles des policiers qui ont mené l’interrogatoire.  Les propos suivants (D.A., à la p. 552), tenus peu de temps après l’arrivée de l’intimé au poste de police à la suite de sa confession initiale, illustre bien les passages attentatoires:

 

[traduction]  Si tu es responsable des autres, c’est — ou de certains des autres, c’est le temps — c’est le temps de soulager ta conscience.  C’est l’occasion idéale de le faire, à cause de ce que tu nous as déjà dit, d’accord.  Et tout le monde comprend cela, que c’est — Tu n’as pas allumé un incendie et puis dix ans après tu as — c’est toute une série d’incendies que nous avons eus à Waterville.  De sorte que nous pouvons envisager cela — nous pouvons envisager cela comme un tout unique. O.K.  Et c’est — si tu avais un problème, j’ignore toujours de quoi il s’agissait.  Peut-être que nous découvrirons ce que c’est, peut-être peux-tu nous aider à cet égard.  Il n’est pas impensable que tu ais pu incendier autres choses, surtout après avoir incendié le véhicule de ta petite amie, le véhicule de ta fiancée, sans savoir pourquoi.  Donc, il y a quelque chose qui — quelque chose qui t’a incité à allumer cet incendie.  [Je souligne.]

 

76                               La Cour d’appel s’est appuyée sur le passage souligné pour affirmer que les policiers proposaient à l’intimé un «marché global», selon lequel il ne serait pas accusé d’une série de crimes s’il confessait les avoir tous commis.  Cependant, comme l’indique clairement le reste de l’extrait, les policiers ne proposaient rien de la sorte.  Ils exposaient plutôt simplement les raisons pour lesquelles ils croyaient que l’intimé était responsable de tous les incendies et non d’un seul, savoir qu’il s’agissait d’une série d’incendies liés et non d’incidents isolés.  Les policiers considéraient donc les incendies comme un «tout unique», et qu’ils avaient vraisemblablement été allumés par la même personne.

 

77                               Cette interprétation est confirmée par le refus systématique des policiers d’accepter les suggestions d’Oickle lui-même de conclure un «marché global».  Peu de temps avant que l’intimé confesse avoir incendié le véhicule, l’échange suivant a eu lieu entre lui et le caporal Deveau (D.A., aux pp.  519 et 520):

 

[traduction]


R:  Non, un instant, un instant.  Si j’admets avoir incendié sa voiture, est‑ce qu’on parle des autres aussi?

 

Q:  Richard, tout ce que je peux te dire à ce stade‑ci, c’est que je veux découvrir la vérité.  Je ne veux pas – tu as dit, «Si j’admets avoir incendié sa voiture», ce qui m’amène à croire que tu es peut‑être impliqué dans cet événement.

 

R:  Hum.

 

Q:  Bien, si tu es impliqué dans cet événement, dis‑moi la vérité et alors on verra — tu sais, si — je ne crois pas un instant que tu es impliqué dans tous les événements.  OK?  Mais si tu as incendié la voiture, Richard, dis‑moi que tu as incendié la voiture.  Et si j’estime que c’est tout, si nous estimons que tu n’es pas responsable de l’autre incendie, je veux dire, nous – souviens‑toi de ce que je t’ai dit, que nous ne sommes pas là pour te tendre un piège.

 

R:  Je te fais confiance.

 

Q:  Je ne suis pas là pour te mettre tout sur le dos.  C’est bien la dernière chose que je veux faire, Richard.  Tu as été correct avec moi et j’essaie d’être correct avec toi.

 

R:  Uh-huh.

 

Q:  Et je veux que tu me dises la vérité.  Alors, si tu as incendié la voiture, dis‑moi que tu l’as incendiée.  Mais je veux la vérité.  Ce que je ne veux pas c’est que tu dises, «C’est moi qui ai incendié la voiture, alors je n’ai rien à craindre à propos des autres incendies».  O.K.?  Voilà pourquoi il est important à ce stade‑ci que —

 

R: Uh-huh.

 

Q: C’est la vérité que je veux entendre.  [Je souligne.]

 

Comme le révèle ce passage, c’est l’intimé, et non les policiers, qui voulait conclure un «marché global» — marché que le caporal Deveau a carrément rejeté.  Quoiqu’il soit vrai que les policiers ont minimisé la portée morale des crimes, ils n’ont jamais laissé entendre à l’intimé qu’une confession de sa part aurait pour effet d’atténuer les conséquences juridiques de ses crimes.

 


2.    Les offres d’assistance psychiatrique

 

78                               La Cour d’appel a également jugé que les policiers avaient irrégulièrement offert de l’assistance psychiatrique à l’intimé en échange d’une confession.  Par exemple, au par. 121, la Cour d’appel a fait état des passages dans lesquels les policiers ont dit à l’intimé [traduction] «[J]e pense que tu as besoin d’aide» et «[p]eut‑être que tu as besoin de l’aide d’un professionnel». Voir également les par. 108 (pp. 363 et 364) et 122 (pp. 371 et 372).  Cependant, les policiers n’ont jamais laissé entendre à l’intimé qu’il obtiendrait de l’assistance uniquement s’il faisait une confession.  La distinction qu’il faut faire ici est entre le fait pour les policiers de faire miroiter à l’intimé les avantages potentiels d’une confession et le fait de lui faire des offres conditionnelles à une confession.  Le premier geste est tout à fait convenable, il ne s’agit pas d’un encouragement puisqu’il n’y a pas de contrepartie.  Le second ne l’est pas.  Toutefois, les policiers n’ont fait aucune offre de la sorte à l’intimé pendant qu’ils interrogeraient.

 

3.    «Il vaudrait mieux»

 


79                               La transcription est effectivement truffée de telles remarques.  Les policiers ont laissé entendre à l’intimé qu’il se sentirait mieux après avoir confessé ses crimes, que sa fiancée et les membres de la collectivité le respecteraient pour avoir admis qu’il avait un problème (par. 120) et qu’il pourrait plus facilement résoudre son problème évident de pyromanie s’il faisait une confession (par. 122).  Cependant, compte tenu du contexte dans lequel elles ont été faites, aucune de ces déclarations ne comportait de menace ou promesse implicite.  Il s’agissait plutôt de simples encouragements moraux suggérant à l’intimé qu’il se sentirait mieux s’il confessait ses crimes et commençait à résoudre ses problèmes.  De fait, après la confession, le caporal Deveau a demandé à l’intimé [traduction] «[a]lors, comment te sens‑tu maintenant, Richard?»   Ce dernier a répondu «[m]ieux».

 

80                               Soutenir que les fréquentes suggestions des policiers que l’intimé se sentirait mieux s’il faisait une confession constituaient une menace ou un encouragement inacceptable équivaudrait à se lancer dans un formalisme dénué de sens.  Les enregistrements révèlent clairement qu’il n’y avait pas de menace implicite dans ces paroles.  L’intimé n’a jamais été maltraité.  Il n’y a eu non plus aucune promesse implicite.  Les policiers ont peut-être laissé entrevoir les avantages possibles d’une confession, mais ils n’ont jamais évoqué la possibilité d’une contrepartie.  Par conséquent, je dois en toute déférence exprimer mon désaccord avec l’avis des juges de la Cour d’appel que ces remarques ont miné le caractère volontaire des confessions.

 

4.    Les menaces qui auraient été faites à l’endroit de la fiancée de l’intimé

 

81                               Comme nous l’avons vu dans l’examen de l’arrêt Jackson, précité, les menaces ou promesses visant un tiers pourraient constituer des encouragements inacceptables.  La Cour d’appel a affirmé, au par. 128, que les policiers ont effectivement dit à l’intimé que [traduction] «s’il faisait une confession, il ne serait pas nécessaire de poursuivre l’enquête ou de soumettre sa fiancée à un long interrogatoire».

 


82                               Dans la majorité des cas où les policiers ont fait mention de la fiancée de l’intimé, Tanya Kilcup, au cours de l’interrogatoire, leurs remarques portaient sur le fait que l’intimé comptait sur elle, comme témoin pour établir un alibi:  voir, par exemple, D. A., à la p. 570.  Cependant, la Cour d’appel a eu raison de conclure qu’il y avait eu des moments où les policiers avaient laissé entendre qu’il pourrait être nécessaire d’interroger Mme Kilcup pour s’assurer qu’elle n’était pas impliquée du tout dans les incendies, soit seule, soit en collaboration avec l’intimé:

 

[traduction]

Q.  Tu sais, toute cette affaire est – nous pourrions même demander à Tanya si elle accepterait de subir un examen polygraphique sur cette question puisque nous ignorons quelle est sa position, o.k.

 

R.  Est‑ce que je dois donc attendre ici pour cela?

 

Q.  Oh, non, non, pas jusqu’à ce qu’elle subisse le test polygraphique.  Elle ne subira pas le test ce soir.  Mais si tu peux nous dire quelque chose —  [D.A., à la p. 574]

 

                                                                   . . .

 

Q.  Es‑tu conscient du fait que l’autre raison est que nous — que tu dois vider ton sac devant nous pour Tanya.

 

R.  Hum.

 

Q.  Nous ne voulons pas faire subir à Tanya — je veux dire qu’elle devra déjà passer au travers de tant de choses pour tenter de — nous ne voulons pas — et je suis convaincu que tu ne veux pas qu’elle — qu’elle subisse la moitié de ce que tu as vécu aujourd’hui.  Ce n’est pas amusant.

 

R.  Non, non.

 

Q. Ça n’aura rien de plaisant pour elle.  Mais pour qu’elle — pour que nous soyons absolument certains, nous devons le faire.  Donc si tu peux nous dire quoi que ce soit qui puisse l’aider — pour que nous puissions lui dire, o.k., nous n’avons pas besoin de toi, Tanya, nous avons ce qu’il nous faut ici, tu sais, nous avons quelque chose.  Mais nous ne sommes pas convaincus de tout le reste.  Ne fais donc pas subir cela à Tanya si tu peux nous dire quoi que ce soit, o.k.  [D.A., aux pp. 603 et 604]

 


83                               Le lien qui existait entre l’intimé et Mme Kilcup était, à mon avis, suffisamment fort pour inciter ce dernier à faire une fausse confession si elle était menacée de subir un préjudice.  Cependant, je n’estime pas qu’une telle menace ait jamais été faite.  Il ne pesait contre Mme Kilcup aucune accusation que les policiers offraient de laisser tomber; ils n’ont jamais menacé de porter des accusations contre elle; de fait, les policiers n’ont jamais vraiment laissé entendre qu’elle était un suspect.  Ils ont tout au plus promis qu’ils ne lui feraient pas subir de test polygraphique si l’intimé faisait une confession.  Compte tenu de l’ensemble du contexte, j’estime que la raison la plus probable de lui faire subir le test polygraphique n’était pas en tant que suspect, mais plutôt comme témoin susceptible d’établir un alibi.  À mon avis, il ne s’agit pas d’un encouragement suffisamment important pour soulever un doute raisonnable en ce qui concerne le caractère volontaire des confessions de l’intimé.

 

84                               En outre, le moment où les remarques concernant Mme Kilcup ont été faites tend à indiquer qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les encouragements des policiers et la confession faite subséquemment.  Après les déclarations citées précédemment, le caporal Deveau a quitté la pièce et a dit à l’intimé qu’il avait l’intention de s’entretenir avec Tanya.  L’intimé a donc fait sa confession environ deux heures après avoir commencé à croire que les policiers s’entretenaient déjà avec Tanya.  En outre, peu après que l’agent Bogle a commencé à son tour à interroger l’intimé, ce dernier a clairement indiqué qu’il croyait que les policiers s’entretenaient avec Mme Kilcup seulement pour vérifier son alibi (D.A., à la p. 611):

 

[traduction]

 

Q.  O.K.  Je veux dire que nous devons aller — nous avons demandé à l’agent Taker de s’entretenir avec Tanya, o.k.  (Inaudible).

 

R.  Mais je ne lui ai pas dit.

 

Q.  Quoi?

 

R.  Je ne lui ai pas dit.

 

Q.  Ouais.

 

R.  J’étais tout seul.

 


Les «encouragements» concernant la fiancée de l’intimé n’avaient ni l’importance, ni le lien de causalité requis pour justifier l’exclusion de la confession.

 

5.    L’abus de confiance

 

85                               La Cour d’appel affirme, au par. 129, que les policiers en général, et le caporal Deveau en particulier, ont indûment abusé de la confiance de l’intimé afin d’obtenir une confession.  En toute déférence, je ne suis pas d’accord.  Essentiellement, la Cour d’appel reproche aux policiers d’avoir interrogé l’intimé d’une façon si douce et rassurante qu’ils ont obtenu sa confiance.  Cela ne rend pas une confession inadmissible.  Conclure autrement enverrait le mauvais message aux policiers, car cela reviendrait à leur dire de mener des interrogatoires accusateurs et agressifs afin d’éviter de gagner la confiance du suspect, de crainte que toute la confession obtenue par la suite soit écartée.

 

6.    L’atmosphère oppressive

 


86                               Conclure que la conduite des policiers au cours de cet interrogatoire était oppressive ne laisserait pas une grande marge de manœuvre aux policiers qui mènent des interrogatoires et ne tiendrait pas compte du rappel fait par le juge Lamer dans Rothman, précité, à la p. 697, où il a dit qu’«une enquête en matière criminelle et la recherche des criminels ne sont pas un jeu qui doive obéir aux règles du marquis de Queensbury».  Très simplement, les policiers ont agi de façon régulière.  Il ressort des bandes vidéo et audio que les policiers ont toujours été courtois; ils n’ont ni empêché l’intimé de dormir ni privé ce dernier d’eau ou de nourriture (au par. 119); ils ne l’ont jamais empêché d’aller à la toilette; et ils l’ont pleinement informé de ses droits tout au long du processus (voir, par exemple, D.A., aux pp. 370, 497 et 650).  Ils n’ont pas fabriqué de preuve pour tenter de le convaincre que ses dénégations étaient vaines.  Ils l’ont réconforté, avec une apparente sincérité, quand il a éclaté en sanglots en faisant sa confession.  Bien qu’il faille reconnaître que la reconstitution a été faite à un moment où l’intimé avait peu dormi, il était déjà réveillé quand les policiers lui ont demandé s’il voulait se livrer à la reconstitution et ils l’ont avisé qu’il pouvait y mettre fin en tout temps.  Et en fait, la Cour d’appel n’a pas directement affirmé que les policiers avaient créé une atmosphère suffisamment oppressive pour justifier l’exclusion des déclarations.

 

87                               L’absence d’oppression est importante non seulement en soi, mais également parce qu’elle a une incidence sur toute l’analyse du caractère volontaire.  Dans les sections précédentes, j’ai conclu que les policiers avaient tout au plus donné à l’intimé des encouragements extrêmement faibles.  En particulier, ils lui ont dit qu’«il vaudrait mieux» qu’il fasse une confession et ils lui ont laissé entendre que sa petite amie pourrait éviter l’interrogatoire s’il faisait une confession.  Toutefois, compte tenu de l’atmosphère entièrement dénuée d’oppression créée par les policiers, je n’estime pas que les encouragements reprochés étaient suffisants pour rendre les confessions involontaires.

 

E.  La pertinence du test polygraphique

 

88                               En plus de se pencher sur les questions examinées précédemment, la Cour d’appel a conclu que l’utilisation du polygraphe par les policiers était particulièrement problématique.  En raison de l’utilisation de plus en plus fréquente du polygraphe par les autorités policières en tant qu’outil d’enquête et de l’absence, jusqu’ici, de toute directive de notre Cour sur l’utilisation qu’il convient de faire du polygraphe dans les interrogatoires, je vais traiter brièvement de façon dont cet appareil s’inscrit dans l’analyse énoncée plus tôt.  La Cour d’appel a décelé plusieurs problèmes qu’a posés l’utilisation du polygraphe par les autorités policières en l’espèce.  Je vais examiner ces problèmes à tour de rôle.


 

1.    Informer le suspect des utilisations possibles du test polygraphique

 

89                               La Cour d’appel a d’abord affirmé que les policiers avaient omis [traduction] «d’informer clairement l’accusé que les résultats du test polygraphique n’étaient pas admissibles devant les tribunaux pour établir que l’accusé avait menti ou dit la vérité» (par. 156); voir également R. c. James, C. Ont. (Div. gén.), 25 janvier 1991; R. c. Ollerhead (1990), 86 Nfld. & P.E.I.R. 38 (C.S.T.-N., 1re inst.); R. c. Fowler (1979), 23 Nfld. & P.E.I.R. 255 (C.A.T.-N.).

 

90                               Pour une décision à l’effet contraire: voir R. c. Alexis (1994), 35 C.R. (4th) 117 (C. Ont. (Div. gén.)).  Comme l’a souligné le juge Hill, au par. 159 des motifs limpides qu’il a exposés dans cette affaire:

 

[traduction] . . . mettre un suspect en présence des résultats d’un test polygraphique dans de telles circonstances n’est pas, sur le plan qualitatif, différent de techniques de persuasion acceptables utilisées par les policiers, tel le fait de montrer au suspect une confession faite par un coaccusé mais inadmissible en preuve contre le suspect, ou encore de ruses policières, par exemple celle qui consiste à dire au suspect qu’on a trouvé ses empreintes digitales au lieu du crime.

 

Suivant ce point de vue, les ruses policières ou l’utilisation d’éléments de preuve inadmissibles ne constituent pas nécessairement des motifs d’exclusion.

 


91                               Je suis d’accord pour dire que le simple fait d’omettre d’indiquer au suspect que les résultats du test polygraphique sont inadmissibles en preuve n’a pas automatiquement pour effet de rendre la confession involontaire.  Les tribunaux doivent appliquer une démarche en deux étapes.  Premièrement, conformément aux arrêts Rothman et Collins, précités, la confession doit être écartée si le subterfuge des policiers choque la collectivité.  Deuxièmement, même si le subterfuge n’atteint pas ce degré de gravité, l’utilisation du subterfuge est un facteur pertinent dans l’analyse globale du caractère volontaire.  À ce stade‑ci, la démarche est similaire à celle applicable à l’égard de la preuve fabriquée, voir précédemment, quoique, évidemment, l’utilisation d’une preuve inadmissible soit intrinsèquement moins problématique que l’utilisation d’une preuve fabriquée.  Le simple fait d’omettre de dire au suspect que les résultats du test polygraphique sont inadmissibles n’entraîne pas à lui seul l’exclusion de la confession.  Tout au plus peut-il constituer un facteur dans l’analyse globale du caractère volontaire.

 

92                               Qui est plus, dans la présente affaire en particulier, les policiers ont très clairement indiqué à l’intimé ce qui était admissible et ce qui ne l’était pas.  À titre d’exemple, comme l’a reconnu la Cour d’appel au par. 81, le sergent Taker a dit à l’intimé, dès le début du test polygraphique: [traduction] «[m]on opinion fondée sur les résultats de ton examen polygraphique n’est pas admissible devant les tribunaux.  Cependant, tout ce que nous nous disons peut être admis en preuve».  En outre, l’intimé a montré durant l’interrogatoire qu’il avait compris ces explications (D.A., à la p. 464):

 

[traduction]

 

Q.  . . . Parce que ton cœur m’a indiqué que tu ne disais pas la vérité.

 

R.  Je me fous de ce que cette machine dit.

 

Q.  Cette machine ne peut dire quoi que ce soit.  (Inaudible)

 

R.  Je me fous de ton interprétation des résultats de cette machine.

 

Q.  Un instant, Richard.  Écoute‑moi.  Écoute‑moi.  La machine ne dit rien, o.k.  C’est ton corps qui parle.  La machine ne fait qu’enregistrer des choses, comme je te l’ai dit plus tôt

 

R.  Je le sais.  [Je souligne.]

 


93                               Il ressort clairement de cet échange que l’intimé comprenait que, à eux seuls, les résultats du polygraphe n’étaient pas pertinents, que c’est plutôt l’opinion qu’en tire le technicien qui compte.  Comme le sergent Taker a clairement dit à l’intimé que son interprétation des résultats n’était pas admissible, je souscris à l’opinion du juge MacDonald de la Cour provinciale qu’[traduction] «[i]l n’y a absolument aucun élément de preuve établissant que M. Oickle était confus sur ce point».

 

2.    L’exagération de la validité des tests polygraphiques

 

94                               La Cour d’appel a également souligné, à juste titre, que les policiers avaient [traduction] «à maintes reprises affirmé à l’accusé que le polygraphe permettait infailliblement de déterminer la vérité» (par. 156).  Tout au long de l’interrogatoire ayant abouti à l’aveu initial de l’intimé qu’il avait incendié le véhicule de Mme Kilcup, le sergent Taker et l’agent Deveau ont souligné que le polygraphe ne faisait pas d’erreurs, et que si le sergent Taker interprétait les résultats comme indiquant de la tromperie, l’intimé avait dû mentir.  Par exemple, la Cour d’appel a cité l’échange suivant (aux par. 141 et 142):

 

[traduction]

 

[Oickle:]     Mais si tu lis le graphique et qu’il dit qu’ils mentent, alors ils mentent.

 

[Taker:]      C’est exact.  C’est exact.

 

                                                                   . . .

 

Deveau:      Personne ne doute, à ce stade‑ci, que tu es impliqué dans certains de ces incendies.

 

Oickle: Parce que j’ai échoué . . .

 

Deveau:      Oui, c’est très simple Richard [. . .] et relativement à la question de ces huit incendies, le polygraphe indique que tu ne dis pas la vérité . . . la machine ne ment pas.  Tu as appris cela aujourd’hui.  [Je souligne.]


95                               Je reconnais que les policiers ont exagéré la fiabilité du polygraphe.  Comme de nombreux auteurs l’ont démontré, les polygraphes sont loin d’être infaillibles:  voir, par exemple, D. T. Lykken, A Tremor in the Blood:  Uses and Abuses of the Lie Detector (1998); J. J. Furedy, «The ‘control’ question ‘test’ (CQT) polygrapher’s dilemma:  logico-ethical considerations for psychophysiological practitioners and researchers» (1993), 15 Int. J. Psychophysiology 263; C. J. Patrick et W. G. Iacono, «Validity of the Control Question Polygraph Test:  The Problem of Sampling Bias» (1991), 76 J.  App. Psych. 229.  De même, dans R. c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398, notre Cour a reconnu que les résultats des tests polygraphiques ne sont pas suffisamment fiables pour être admis devant les tribunaux.

 

96                               Dans R. c. Amyot, [1991] R.J.Q. 954, à la p. 962, la Cour d’appel du Québec a jugé que le fait de dire que le polygraphe est infaillible rend une confession involontaire.  Dans cette affaire, le polygraphiste a dit à l’accusé que «le test lui démontre qu’il ne dit pas la vérité».  La cour a estimé que ces propos étaient inappropriés, et ce pour les raisons suivantes:

 

. . . c’est pousser beaucoup trop dans l’absolu ce en quoi cet examen consiste:  c’est présenter à l’appelant le résultat comme une certitude qui va évidemment l’ébranler et lui faire dire: «Mais que va‑t‑il se passer maintenant?»  Il me semble qu’ainsi l’appelant est induit en erreur sur l’infaillibilité du test, et cette façon de procéder peut naturellement inciter le sujet à «passer aux aveux».

 

Voir également l’arrêt Fowler, précité.  Dans Amyot, la Cour d’appel a insisté de façon particulière sur le fait que le suspect avait fait une confession presque immédiatement après avoir été informé des résultats du test polygraphique, ce qui tendait à indiquer que sa volonté avait été subjuguée lorsqu’on l’avait mis en présence de cette preuve accablante, censément irréfutable.


97                               Sans me prononcer sur le bien‑fondé la décision rendue dans Amyot, je souligne que les faits de cette affaire diffèrent considérablement de ceux du présent cas.  Comme le démontre l’échange suivant, l’intimé a à maintes reprises rejeté l’exactitude des résultats du test polygraphique:

 

[traduction]

 

R. Je pense que vous pourriez amener ici une personne complètement

innocente et si c’est un paquet de nerfs, elle pourrait faire la même chose que je viens tout juste de faire. [D.A., à la p. 495]

 

                                                                   . . .

 

Q. Donc ce que tu me dis c’est que le test que tu as subi aujourd’hui ne vaut pas une claque.  Est‑ce bien ce que tu es en train de me dire?

 

R.    C’est mon avis, ouais. [D.A., à la p. 505]

 

L’intimé n’a pas été atterré par les résultats du test polygraphique.  Quoiqu’il soit clair que les policiers se sont fondés de façon importante sur ces résultats pour soutirer une confession à l’intimé, il ne s’agissait pas d’une situation comme celle de l’affaire Amyot, où l’aveu a presque immédiatement suivi la communication des résultats.

 

98                               D’autres tribunaux ont écarté des confessions obtenues par l’utilisation d’un polygraphe seulement lorsqu’il s’était écoulé un certain temps avant que le suspect finisse par faire une confession.  Par exemple, dans Ollerhead, précité, le tribunal a cité le passage suivant de R. c. Romansky (1981), 6 Man. R. (2d) 408 (C. cté), à la p. 421:

 

[traduction] [L]es tactiques psychologiques utilisées ont créé une atmosphère d’oppression.  L’accusé a rapidement perdu toute volonté lorsqu’il s’est effondré sur le plan émotif.  Comme en témoigne sa docilité et/ou susceptibilité concomitantes aux suggestions, sa volonté a été vaincue et subjuguée par celle de la personne en situation d’autorité.

 


Divers tribunaux de juridiction inférieure ont donc adopté des approches très différentes pour déterminer si les polygraphes créent une atmosphère oppressive.  Les approches différentes retenues dans des affaires comme Amyot et Ollerhead démontrent que le moment de la confession par rapport à celui de l’administration du test polygraphique ne saurait être décisif.  Il s’agit plutôt d’un élément de preuve qu’il appartient au juge du procès de considérer lorsqu’il détermine si la confession était volontaire.

 

99                               Bien que les policiers aient effectivement induit l’intimé en erreur relativement à l’exactitude du polygraphe, il reste quand même à décider si, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’interrogatoire, ce fait a rendu les confessions inadmissibles.  À mon avis, ce ne fut pas le cas.  Comme nous l’avons vu plus tôt, il n’y a pas eu d’effondrement émotionnel en l’espèce.  Le simple fait qu’un suspect se mette à pleurer lorsqu’il fait finalement une confession, comme l’a fait l’intimé, ne témoigne pas d’un «effondrement émotionnel complet»; on peut s’attendre à des larmes lorsque l’auteur d’un crime avoue finalement qu’il l’a commis — surtout lorsque le suspect est un citoyen généralement respectueux de la loi comme l’intimé.

 


100                           Comme nous l’avons vu précédemment, je n’estime pas non plus que les policiers ont créé une atmosphère oppressive.  Le simple fait de mettre le suspect en présence d’un élément de preuve qui lui est défavorable, comme les résultats d’un test polygraphique, ne constitue pas un motif d’exclusion:  voir Fitton, précité.  Cette constatation vaut même dans le cas d’un élément de preuve inadmissible:  voir Alexis, précité.  En outre, le fait que les policiers exagèrent la fiabilité ou l’importance d’une preuve ne rend pas nécessairement une confession inadmissible.  Les déclarations de témoins oculaires ne sont nullement infaillibles; pourtant, dans l’arrêt Fitton, notre Cour a jugé admissible une déclaration faite après que les policiers ont dit à un suspect qu’ils ne croyaient pas ses dénégations puisque plusieurs témoins oculaires l’avaient dénoncé.  Bref, le simple fait de mettre un suspect en présence d’un élément de preuve défavorable — même en exagérant l’exactitude et la fiabilité de cet élément — ne rend pas à lui seul la confession involontaire.

 

3.    Tromper l’accusé sur la durée de l’entrevue

 

101                           Le dernier motif invoqué par la Cour d’appel à l’encontre de l’utilisation du polygraphe, au par. 156, a été la conduite suivante des policiers:

 

[traduction]  le fait de tromper l’accusé sur la durée prévue du test, particulièrement en ce qui concernait l’interrogatoire qui devait suivre, et de commencer immédiatement un interrogatoire intense après avoir informé l’accusé qu’il avait «échoué» au test. . .

 

Un argument similaire a été présenté dans l’affaire Nugent, précitée.  Puisque notre Cour a jugé dans Béland, précité, que les résultats de tests polygraphiques ne sont pas admissibles en preuve, [traduction] «l’administration du test doit donc être clairement séparée de l’interrogatoire mené en vue d’obtenir des déclarations» (Nugent, précité à la p. 212).  Suivant la Cour d’appel, une déclaration faite tout de suite après un test polygraphique ne devrait pas être admissible parce que la défense ne peut pas expliquer adéquatement le contexte dans lequel la déclaration a été faite — ce qu’elle souhaiterait peut‑être faire en vue d’en contester le poids devant le jury — sans indiquer au jury que l’accusé a échoué au test polygraphique.

 


102                           S’inspirant de ces arguments, l’intervenante Criminal Lawyers’ Association a plaidé que deux avenues seulement s’offrent aux policiers qui recourent aux tests polygraphiques.  Ils peuvent soit s’assurer que le suspect a consulté un avocat avant de consentir à subir le test, soit [traduction] «séparer clairement tout interrogatoire mené après le test du test lui‑même».  Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de limiter ainsi le pouvoir discrétionnaire des policiers.  Il est vrai que les procédures policières offrent à la défense un choix désagréable:  soit essayer d’expliquer la confession sans faire état du polygraphe, soit admettre que l’accusé a échoué au test.  Cependant, cela se produit chaque fois qu’un suspect fait une confession après avoir été mis en présence d’un élément de preuve inadmissible, et cela ne rend pas nécessairement la confession involontaire.  Le fait que la défense subisse un désavantage d’ordre tactique n’est pas pertinent pour ce qui est du caractère volontaire des confessions; tout au plus suggère‑t‑il plutôt l’existence d’un effet préjudiciable.  Cependant, vu l’immense valeur probante d’une confession volontaire, je ne peux accepter que l’exclusion soit une solution appropriée.

 

103                           Le dernier argument en faveur de la séparation de l’interrogatoire du test polygraphique est lié à l’«abus de confiance» qu’on reproche et dont j’ai déjà traité.  On soutient que le lien d’intimité qui est établi à l’entrevue préliminaire perdure indûment au cours de l’interrogatoire qui suit le test.  Que cela soit vrai ou non, je n’estime pas qu’il s’agit là d’un motif justifiant d’écarter la confession.  Sur ce point, je souscris aux propos suivants de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Barton (1993), 81 C.C.C. (3d) 574, à la p. 575:

 

[traduction]  Il ne fait aucun doute que la procédure est attentatoire et entend mettre à profit une expertise en psychologie en vue d’établir, entre l’interrogateur et l’«interrogé» un rapport propre à rendre l’analyse technique plus exacte.  Il est également vrai que l’apparence d’intimité perdure jusqu’à la troisième étape, au cours de laquelle, dans la présente affaire, la déclaration inculpatoire a été faite.  Pourtant, tout interrogatoire policier peut présenter ces caractéristiques, sous une forme ou une autre.  Le «numéro du gentil policier et du méchant policier» est le plus connu.

 


Qui plus est, dans le présent pourvoi, l’intimé n’a fait une confession qu’après que le caporal Deveau a pris la relève du sergent Taker.  Par conséquent, tout lien d’intimité qui aurait été créé pendant l’entrevue préliminaire ne peut avoir entraîné les confessions de l’intimé.

 

F.  Résumé sur le caractère volontaire

 

104                           En résumé, plusieurs aspects de l’interrogatoire de l’intimé par les policiers étaient susceptibles d’être pertinents en ce qui concerne le caractère volontaire des confessions de celui-ci, notamment les remarques faites au sujet de Mme Kilcup, les suggestions qu’«il vaudrait mieux» pour l’intimé qu’il fasse une confession et l’exagération de l’exactitude du polygraphe.  Il s’agit certainement de considérations pertinentes pour statuer sur le caractère volontaire.  Cependant, je souscris à l’opinion du juge du procès que ces divers facteurs — que ce soit individuellement ou ensemble avec les autres circonstances des confessions de l’intimé — ne soulèvent pas de doute raisonnable quant au caractère volontaire des confessions de l’intimé.  Ce dernier n’a jamais été maltraité, il a été interrogé de façon extrêmement amicale et affable et aucun encouragement assez important pour soulever un doute raisonnable quant au caractère volontaire des confessions en l’absence de tout mauvais traitement ou d’oppression ne lui a été donné.  Puisque je ne constate la présence d’aucune erreur dans les motifs du juge du procès, la Cour d’appel n’aurait pas dû infirmer ses conclusions.

 

V.  Le dispositif

 


105                           En conclusion, je suis d’avis que la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a à la fois appliqué la mauvaise norme de contrôle et tiré la mauvaise conclusion en ce qui concerne le caractère volontaire.  J’accueillerais donc le pourvoi, j’annulerais le jugement de la Cour d’appel et je rétablirais la déclaration de culpabilité prononcée contre l’intimé par le juge du procès.

 

 

Version française des motifs rendus par

 

Le juge Arbour (dissidente)

 

I.  Introduction

 

106                           J’ai pris connaissance des motifs de mon collègue le juge Iacobucci dans le présent pourvoi.  En toute déférence, je suis d’avis que les policiers qui ont interrogé l’intimé lui ont fait des incitations inacceptables qui, considérées cumulativement et contextuellement en tenant compte de l’«échec» à l’examen polygraphique, requièrent  l’exclusion des déclarations de l’intimé.  Je suis également d’avis que le peu de temps écoulé et le lien de causalité entre l’examen polygraphique «échoué» et l’obtention de la confession exigent ce résultat.  Par conséquent, je rejetterais le pourvoi, j’annulerais les déclarations de culpabilité et j’inscrirais un acquittement à l’égard de chaque chef d’accusation.

 


107                           La présente affaire porte exclusivement sur l’admissibilité d’une confession.  Tout comme la Cour d’appel, nous avons considérablement bénéficié de la présence d’un dossier bien étoffé, à partir duquel les questions factuelles pouvaient être examinées.  Tout l’interrogatoire de l’intimé a été enregistré, y compris les échanges qui ont précédé l’administration de l’examen polygraphique.  Il s’agit d’une pratique qui, je l’espère, deviendra de plus en plus courante.  La première partie de l’interrogatoire, qui dure jusqu’à la première déclaration incriminante, a été enregistrée sur bande audio, et les quelques heures qui ont suivi ont été enregistrées sur bande vidéo.  Bien qu’il faille toujours faire preuve d’un certain degré de retenue en raison de la position privilégiée à partir de laquelle le juge du procès évalue la crédibilité, entre autres à l’occasion d’un voir dire, les tribunaux d’appel doivent s’assurer que le juge du procès a adéquatement décidé de la question du caractère volontaire d’une confession, conformément au droit applicable et selon une interprétation raisonnable des faits.

 

108                           Pour se prononcer sur le caractère volontaire d’une déclaration obtenue après un interrogatoire long et fastidieux, il faut examiner attentivement le dossier.  C’est particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, les incitations inacceptables étaient disséminées au sein d’un réseau de fausses affirmations habiles, efficaces et, dois‑je ajouter, autorisées, faites par les policiers à l’intimé.  Les propos du juge Rand dans l’arrêt R. c. Fitton, [1956] R.C.S. 958, à la p. 962, sont instructifs à cet égard:

 

[traduction]  Les cas de torture ou de menaces de torture ou de promesses éhontées sont clairs; la situation se complique lorsque des éléments beaucoup plus subtils doivent être évalués.  La force d’esprit et la volonté de l’accusé, l’effet de la détention, de l’environnement, la portée des questions ou de la conversation, tout cela exige une analyse minutieuse de leur rôle dans l’aveu et sert à la Cour pour déterminer si la déclaration a été libre et volontaire, c’est‑à‑dire exempte de l’influence d’un espoir ou d’une crainte qu’ils auraient pu susciter.

 

109                           Je ne répéterai pas les faits déjà exposés par mon collègue.  Je veux simplement souligner les éléments saillants qui sont pertinents quant aux questions que je soulève.

 


II.  L’administration de l’examen polygraphique

 


110                           Essentiellement, le présent pourvoi porte sur deux confessions obtenues par les policiers suite à l’«échec» à un examen polygraphique et grâce à un interrogatoire habile ayant duré près de six heures.  Les policiers ont fait des menaces et des promesses de façon répétée.  Ces menaces et ces promesses étaient souvent subtiles, mais j’estime que, considérées avec la procédure polygraphique en arrière‑plan, elles ont subjugué la volonté de l’intimé.  Ces pressions en apparence légères rendent difficile l’application de la règle des confessions dans la présente cause et requièrent un examen attentif du contexte global dans lequel ces déclarations compromettantes que l’on prétend volontaires furent faites.

 

111                           Je suis entièrement d’accord avec le résumé du droit applicable qu’a fait le juge Iacobucci aux par. 68 à 70 de ses motifs.  Je ne partage toutefois pas son avis quant à la qualification juridique de ce qui s’est produit durant les nombreuses heures au cours desquelles l’intimé a été interrogé, ni quant au caractère volontaire des déclarations compromettantes de ce dernier. 

 

112                           Le 26 avril 1995, à la demande des policiers, l’intimé a rencontré le caporal Bruno Deveau et le sergent Gregory Taker, tous deux membres de la GRC, dans une chambre de motel où les policiers étaient prêts à lui administrer un examen polygraphique.  À cette époque, les policiers avaient déjà administré plusieurs de ces examens dans le cadre de leur enquête sur une série d’incendies survenus dans la région de Waterville, de février 1994 au 4 avril 1995.  En juin 1994, les policiers ont fait subir cet examen polygraphique à deux personnes différentes.  Selon le sergent Taker, l’examinateur en polygraphie (ou polygraphiste), les résultats de ces deux examens n’étaient pas concluants.  D’autres examens ont été administrés en juillet et septembre 1994, ainsi qu’en janvier 1995.  Dans les trois cas, le sergent Taker était d’avis que le sujet disait la vérité.  Voir D.A., aux pp. 735 à 754.


 

113                           Le dernier incendie a été allumé environ deux semaines avant qu’on demande à l’intimé de se soumettre à l’examen; la voiture appartenant à Tanya Kilcup, la petite amie de l’intimé, était en cause dans cet incendie.  Cette dernière vivait alors avec l’intimé, qui a affirmé qu’ils envisageaient de se marier.  Sur le formulaire qu’il a rempli avant la procédure polygraphique, le sergent Taker a indiqué, sous la rubrique «attitude», que l’intimé paraissait «nerveux».  Le formulaire précise également que l’intimé comprenait ses droits garantis en vertu de la Charte  ainsi que la mise en garde qui lui avait été faite, qu’il ne voulait pas demander l’assistance d’un avocat et qu’il comprenait que l’examen polygraphique avait pour but [traduction] «de déterminer s’[il avait] quelque chose à voir dans l’incendie de la voiture de [s]a petite amie».  Il a affirmé se sentir [traduction] «à l’aise» face à l’examen et penser que «tout devrait bien se passer».  Voir D.A., aux pp. 746 à 748.

 

114                           L’intimé a signé une formule de consentement et reçu un livret lui expliquant la procédure d’examen.  Le livret de trois pages indique que l’examen polygraphique — aussi appelé test du «détecteur de mensonges» — devrait plutôt être appelé «indicateur de vérité», car les statistiques démontrent que, dans la majorité des cas, le polygraphiste est d’avis que la personne dit la vérité.  Les renseignements contenus dans le livret sont donnés sous forme de questions et réponses.  L’examen est décrit comme une procédure en deux étapes:  la première est celle de l’«entrevue préliminaire», au cours de laquelle on explique au sujet ses droits sur le plan juridique, on examine ses antécédents médicaux et psychologiques et on revoit les faits qui font l’objet de l’enquête, ainsi que le fonctionnement de l’appareil; la seconde étape est celle de l’«examen lui‑même».  Cette dernière étape est décrite ainsi dans le livret:

 


L’examen lui‑même:  Le polygraphiste va d’abord examiner avec vous toutes les questions pertinentes qu’il va vous poser.  Il procède ensuite à une démonstration du fonctionnement du polygraphe en vue d’aider à déterminer l’à‑propos de l’examen qui va suivre.  L’examen comprend plusieurs parties parmi lesquelles on retrouvera les questions examinées préalablement.  Il n’y a pas de questions‑surprises.  Le polygraphiste analyse ensuite chaque parties de l’examen avant d’en arriver à une conclusion.

 

Deux autres aspects traités dans le livret sont à mon avis dignes d’intérêt:

 

5.  LE POLYGRAPHE PEUT‑IL DIRE QUE JE MENS ALORS QUE JE DIS LA VÉRITÉ?

 

Le polygraphe ne dit rien.  Il ne fait qu’enregistrer sur un graphique certaines réactions de l’organisme aux questions posées.  Il revient au polygraphiste d’interpréter les renseignements transmis par votre organisme.

 

9.  LE POLYGRAPHE EST‑IL INFAILLIBLE?

 

Non.  La plupart des examens permettent au polygraphiste de déterminer facilement si la personne dit la vérité ou non.  L’examen donne lieu à trois résultats possibles:  examen concluant (dires véridiques), examen concluant (dires non véridiques) et examen non concluant.  L’examen est considéré non concluant lorsque le polygraphiste ne peut émettre une opinion quant à la véracité des dires d’une personne.  Le polygraphiste peut demander un deuxième examen si les résultats du premier ne sont pas concluants.  Le deuxième examen est aussi facultatif.

 

Il est intéressant pour moi de constater que ce dernier paragraphe ne fournit pas vraiment de réponse à la véritable question posée.  La réponse fournie suggère que le polygraphe n’est pas infaillible étant donné que, parfois, il n’indique pas si le sujet dit ou non la vérité, auquel cas le résultat peut être non concluant.  La réponse ne dit pas si des erreurs peuvent survenir lorsque l’appareil indique qu’une personne ment.  En fait, elle laisse entendre qu’il y a peu de chances que de telles erreurs se produisent, puisque «[l]a plupart des examens permettent au polygraphiste de déterminer facilement  si la personne dit la vérité ou non».

 


115                           Quoique le livret ne le précise pas, dans les cas où, après l’étape de l’examen  lui-même, le sujet est considéré avoir «dit la vérité», l’examen polygraphique prend fin.  Cependant, lorsqu’on considère que le sujet n’a pas dit la «vérité», la procédure habituelle consiste à passer à l’«entrevue» post-examen et à interroger le sujet dans le but d’obtenir une confession.  C’était clairement ce qu’on projetait de faire en l’espèce, et l’«entrevue» post-examen a été stratégiquement planifiée et exécutée avec succès.

 

116                           L’entrevue préliminaire pratiquée en l’espèce par l’examinateur, le sergent Taker, a préparé le terrain de façon cruciale pour l’entrevue post-examen, et ce de deux manières.  Premièrement, l’entrevue a selon moi créé de l’ambiguïté quant à la question de l’admissibilité réelle — ou de l’inadmissibilité — des éléments de preuve obtenus par polygraphe.  Deuxièmement, conjuguée au texte de la question 9, l’entrevue a créé l’impression générale que le polygraphe constitue un détecteur de mensonges scientifique et infaillible, semblable à des procédures et tests médicaux fiables, et, dans le même ordre d’idées, que le polygraphe produit des données objectivement exactes puisqu’il mesure des réactions physiologiques involontaires, indépendantes des réponses contrôlées par le sujet.

 


117                           Lors de l’entrevue préliminaire, le sergent Taker a informé l’intimé de ses droits.  Ce faisant, il lui a dit, relativement à l’admissibilité des éléments de preuve obtenus par polygraphe: [traduction] «[m]on opinion fondée sur les résultats de ton examen polygraphique n’est pas admissible devant les tribunaux.  Cependant, tout ce que nous nous disons peut être admis en preuve» (D.A., à la p. 370).  Même conjuguées aux renseignements fournis dans le livret, qui indiquent que le polygraphe ne dit rien, mais qu’il revient plutôt au polygraphiste d’«interpréter les renseignements transmis par [l’]organisme», les explications du sergent Taker sont très peu instructives à mon avis sur l’admissibilité ou l’inadmissibilité des éléments de preuve obtenus par polygraphe.  En fait, ses explications sont incompréhensibles.  Elles n’informent pas l’intimé de la distinction entre [traduction] «[l’]opinion fondée sur les résultats de [son] examen polygraphique», les «résultats de son examen polygraphique» et l’«interprétation» que fait le polygraphiste des résultats enregistrés sur le tableau polygraphique.  Elles n’indiquent certes pas de façon claire que les affirmations catégoriques des interrogateurs selon lesquelles l’intimé ne disait pas la vérité, affirmations constamment répétées au cours de l’entrevue post-examen, ne reflétaient rien de plus que les opinions inadmissibles des policiers fondées sur les simples graphiques générés au cours de l’examen subi par l’intimé.

 

118                           En fait, on trouve au dossier de nombreuses déclarations du sergent Taker qui auraient pu être interprétées par l’intimé comme signifiant que les «résultats» de l’examen polygraphique englobent davantage que les simples graphiques générés par les aiguilles du polygraphe et que ceux-ci ont leur sens propre, indépendamment de la lecture ou de l’interprétation qu’en fait le polygraphiste.  Les affirmations suivantes du sergent Taker illustrent bien cette constatation:

 

[traduction]

 

‑ Il n’enregistrera cela que comme un mensonge, parce que pour réussir l’examen polygraphique il faut être honnête à 100 %.  [D.A., à la p. 410]

 

‑ [I]l montrera que tu mens.  [D.A., à la p. 415]

 

‑ [J]’aimerais mieux que tu m’expliques ce fait maintenant, plutôt que de voir le polygraphe me révéler plus tard que tu n’as pas dit la vérité.  [D.A., à la p. 416]

 

‑ Ce sont aussi des questions qui m’indiqueront à quel moment tu dis la vérité quand je vais démarrer le polygraphe, d’accord?  [D.A., à la p. 442]

 

‑ [S]i ta réponse n’est pas toute la vérité, tu ne peux pas réussir le test.  [D.A., à la p. 445]  [Je souligne.]

 


119                           Après avoir expliqué à l’intimé ses droits, le sergent Taker a cherché à le convaincre, de manière à la fois subtile et énergique, de la nature scientifique et fiable du polygraphe.  À titre d’exemple, apparemment pour déterminer l’«aptitude» de l’intimé à subir l’examen, le policier lui a posé une série de questions d’ordre médical (par exemple s’il avait déjà été soigné par un psychiatre, s’il souffrait de fièvre rhumatismale, de troubles cardiaques, d’épilepsie ou de tuberculose) qui ne pouvaient que contribuer à renforcer l’image scientifique du polygraphe dans l’esprit de l’intimé.  Voir D.A., aux pp. 381 à 389.  En outre, fait plus important encore, le policier a, de façon répétée bien que souvent implicite, mis l’accent sur l’infaillibilité du polygraphe en tant qu’instrument de détection de mensonges:

 

[traduction]

 

Q.  Parce qu’à l’heure actuelle tu es la seule personne dans cette pièce qui sait si tu as allumé l’un des incendies dont j’ai parlé plus tôt, vrai?  Mais quand tout ça sera fini, nous serons les deux seuls à savoir si tu as allumé un des incendies, n’est‑ce pas? [D.A., à la p. 376]

 

                                                                   . . .

 

Q.  . . . pour réussir l’examen polygraphique il faut être honnête  à 100 %.  C’est comme la fille qui rentre à la maison et dit à sa mère:  «M’man, je suis un peu enceinte».  Eh bien, toi et moi savons que c’est — je veux dire que ça ne se peut pas, exact?

 

R.  Ouais.

 

Q.  On est enceinte ou ne l’est pas.  C’est exactement comme ça que fonctionne le polygraphe.  Ou bien la personne dit la vérité, ou bien elle ne dit pas la vérité, d’accord?

 

                                                                   . . .

 

Q.  . . . Aussi efficace que puisse être le polygraphe, il ne possède pas de capacités humaines.  Il ne possède pas la faculté de comprendre ni la capacité de raisonner.  Et, essentiellement, c’est un instrument purement scientifique. . .   [D.A., aux pp. 410 et 411]  [Je souligne.]

 


120                           Le sergent Taker a également bien fait comprendre à l’intimé que le polygraphe enregistrait les réactions physiologiques involontaires du sujet aux questions posées, par opposition à ses réponses verbales conscientes, voulues et par conséquent maîtrisées.  Par exemple, il lui a dit ceci (D.A., à la p. 373):

 

[traduction]  Je vais utiliser le polygraphe pour surveiller tes réactions physiologiques; est-ce que — ton — tout changement de l’activité dans ta cage thoracique, dans ton rythme cardiaque, et tout changement dans l’activité physiologique liée aux éléments que je surveille, d’accord?

 

 

 

Plus tard, il a ajouté ceci (D.A., aux pp. 404 et 405):

 

 

[traduction]

 

Q.  Le premier groupe de nerfs dont je vais parler sont les nerfs volontaires.  Et ce sont les nerfs que nous pouvons maîtriser à volonté.

 

                                                                   . . .

 

Q.  Mais, à titre d’examinateur en polygraphie, je ne m’intéresse pas à ce groupe de nerfs.  Je m’intéresse aux [. . .] nerfs involontaires, ou nerfs du système nerveux autonome.  Or, ces nerfs contrôlent la plupart des muscles et des organes de ton corps.  Et le muscle principal qu’ils contrôlent est celui du cœur.  Et, en tant qu’examinateur en polygraphie, c’est le muscle cardiaque qui m’intéresse principalement, Richard.

 

                                                                   . . .

 

Q.  . . . Alors quand je te dis, Richard, que je m’intéresse surtout au muscle cardiaque, c’est parce que je sais quand une personne dit sciemment des mensonges, et je me dois d’insister sur le terme «sciemment».  Ton cœur va se rebeller contre cette dernière . . .   [Je souligne.]

 

III.  L’entrevue post-examen

 


121                           À mon avis, les renseignements donnés à l’intimé au cours de l’entrevue préliminaire ont contribué à le convaincre que les résultats de l’examen polygraphique indiqueraient à la police s’il avait mis le feu à la voiture de sa petite amie.  L’interrogatoire qui a immédiatement suivi l’annonce que l’intimé avait «échoué» à l’examen polygraphique a exploité très efficacement les fondations établies durant l’entrevue préliminaire.  Le sergent Taker a pris en charge l’entrevue post-examen pendant la première heure.  C’est au cours de cette période qu’il a développé plus amplement le thème de «l’infaillibilité du polygraphe», évoqué la possibilité d’une assistance psychiatrique et brouillé davantage la distinction entre les résultats de l’examen et  l’opinion fondée sur ces résultats.

 


122                           L’intimé a très peu parlé durant l’interrogatoire qui a duré près de six heures.  Ce sont les trois policiers qui se sont relayés qui ont surtout parlé.  Leur stratégie globale était claire et s’est avérée efficace.  Elle consistait à convaincre l’intimé que son corps l’avait déjà trahi pendant l’examen polygraphique et que les policiers savaient désormais qu’il était impliqué d’une façon ou d’une autre dans certains des incendies.  Je crois que les policiers étaient persuadés dès le départ que tous les incendies avaient probablement été allumés par le  même incendiaire.  Toutefois, ils ont à maintes reprises dit le contraire à l’intimé, se concentrant au départ sur l’incendie très récent de la voiture de sa petite amie.  L’examen polygraphique était conçu de telle manière que les huit incendies étaient tous reliés et qu’on a demandé à l’intimé d’admettre ou de nier sa participation aux incendies considérés collectivement.  Cette façon de faire a donné aux policiers l’occasion de convaincre l’intimé qu’il avait pu échouer à l’examen en raison de sa participation à un seul incendie; possiblement le plus mineur — celui de la voiture de sa petite amie —, et que le fait d’admettre sa responsabilité à l’égard de cet incendie dissiperait leurs soupçons  quant à la possibilité qu’il les ait tous allumés.  Il est clair, à mon avis, que l’intimé s’est laissé convaincre que, ayant échoué à l’examen polygraphique, il ne cesserait pas d’être talonné par les policiers, qui étaient convaincus de sa culpabilité, tant qu’il n’avouerait pas ce que son organisme avait déjà révélé.  À deux reprises avant la première confession, l’intimé a demandé ce qui arriverait s’il avouait avoir mis le feu à l’automobile de sa petite amie.  Cette solution devenait clairement la plus intéressante à ses yeux.

 

123                           Cet aveu devait à son tour déclencher l’étape suivante de l’interrogatoire.  À ce moment‑là, la situation avait considérablement changé.  À son grand étonnement, semble-t-il, l’intimé a été mis en état d’arrestation, privé de son droit de quitter les lieux et s’est fait dire que, comme il n’avait aucune explication à donner concernant l’incendie de la voiture de sa petite amie, il était probable qu’il ait un problème de pyromanie et qu’il soit impliqué dans tous les autres incendies.

 

124                           J’aimerais souligner que la stratégie globale de l’interrogatoire était valable et que, bien que les policiers aient eu abondamment recours au subterfuge, de telles manœuvres ne sont en soi ni illégales ni suffisantes pour vicier le caractère volontaire de l’aveu.  La limite est franchie — et je suis d’avis qu’elle l’a été en l’espèce —  lorsque des personnes en situation d’autorité donnent des incitations inacceptables dans une atmosphère oppressive, minant ainsi la maîtrise que possède la personne interrogée de son esprit et de sa volonté.

 


125                           En l’espèce, les policiers ont créé une atmosphère de confiance et ont dès le départ persuadé l’intimé qu’ils estimaient qu’il était un «bon gars» et non un criminel, et qu’il était très peu probable qu’il soit responsable de tous les incendies.  Tout cela était faux bien sûr, mais ces affirmations ne violaient pas la règle portant sur les confessions.  Cependant, n’ayant pas donné à l’intimé d’explication claire quant à la véritable nature — scientifique ou juridique — de l’examen polygraphique, les policiers ont entrepris de le persuader de la futilité de ses dénégations incessantes.  Sur cette toile de fond, les policiers ont eu recours à des incitations inacceptables qui ont joué un rôle déterminant et contribué à convaincre l’intimé d’avouer, dans un premier temps, qu’il avait mis le feu à la voiture de sa copine et, dans un deuxième temps, qu’il était également responsable des immeubles incendiés.

 

IV.  Le caractère volontaire des déclarations:  menaces, promesses et incitations

 

A.  Promesse d’assistance psychiatrique

 

126                           La première incitation inacceptable a été faite par le sergent Taker, qui a évoqué l’idée que l’intimé avait besoin d’assistance psychiatrique et que lui-même et/ou la police pourraient l’aider à y avoir accès (D.A., aux pp. 506 à 508):

 

[traduction]

 

Q. . . . Aussi, je pense et j’espère que c’est seulement la voiture ou la fourgonnette, ou peu importe ce que c’est, et qu’il ne s’agit pas de ces immeubles.  Si c’est le cas, ce que je te dis, c’est que je préfère que tu sois honnête avec moi maintenant plutôt que j’en vienne à croire que tu as mis le feu à ces fichus immeubles.  Parce que si tu as incendié ces immeubles, nous devons de te trouver de l’aide, Richard.  Si tu as mis le feu à ces immeubles, nous devons te trouver de l’aide.  Et je parle peut‑être d’aller consulter un psychiatre, Richard . . .

 

                                                                   . . .

 

Q. . . . [C]e que je te dis, si c’est ça le problème, il vaut mieux le traiter avant que quelqu’un ne subisse un préjudice.  Parce que c’est quelque chose que tu n’es pas capable de maîtriser, si c’est ça le problème.  Tu ne peux pas maîtriser ça.

 

R.  Je ne peux pas contrôler ma propre vie?

 

Q.  Non, si tu as allumé ces incendies, je veux dire, dans ces immeubles [. . .], [tu es] la personne qui a mis le feu à ces immeubles, il vaudrait peut‑être mieux que tu obtiennes de l’aide, d’accord?

 

                                                                   . . .

 

Maintenant, si c’est toi qui a mis le feu à ces immeubles, il y a des gens qui sont là pour t’aider.  [. . .] Et si c’est le cas, Richard, voyons-y parce que j’ai — je serais vraiment inquiet . . .

 


Durant la dernière heure de l’interrogatoire, qui était alors mené par l’agent Dale Bogle, le thème de l’assistance psychiatrique a pris une place prédominante, plus particulièrement dans les secondes qui ont précédé la seconde confession:

 

[traduction]

 

Q.  Cet incendie‑là, prends celui de la voiture, par exemple.  Je veux dire, il y a certaines choses qu’il nous faut situer.  Est‑ce une maladie?  Est‑ce que ça va arriver encore?  D’accord.  Combien de fois déjà?  Que pouvons‑nous faire pour t’aider, pour que ça cesse?  D’accord.  Tu comprends?

 

. . .

 

Q.  Nous devons parler de ce que nous devons – Est‑ce une maladie?

 

R.  Hum.

 

Q.  Devons‑nous te faire envoyer à l’hôpital pour une sorte d’évaluation?

 

                                                                   . . .

 

Q. . . . Voyons‑ça comme un problème.  D’accord.  Je peux dire:  Écoutez les gars, vous savez, j’ai besoin d’aide.  Je ne veux pas blesser quelqu’un, ni endommager des biens, vous savez (inaudible) été une voiture . . .

 

Mais si c’est de la pyromanie et que tu penses que tu souffres de ça, pour l’amour de Dieu, allez les gars, donnez‑moi un coup de main.  D’accord.  [D.A., aux pp. 608 à 616]

 

                                                                   . . .

 

Q.  D’accord.  Attaquons-nous au problème, d’accord.  Ce problème que tu as, tu dois te dire:  Écoutez les gars, vous savez, aidez‑moi, je ne sais pas pourquoi je l’ai fait.  D’accord.  [D.A., à la p. 630]

 

                                                                   . . .

 

Q.  Bon.  Alors, avec tout ça, tu penses pas que tu as besoin d’aide pour régler ça ou —

 

R.  Quelqu’un à qui parler, ouais, ou peut‑être quelqu’un qui peut m’aider à découvrir pourquoi.  [D.A., à la p. 638]

 

                                                                   . . .

 

Q.  Tu es un bon gars.  Je sais que tu es un bon gars.

 

R.  Je pense que oui.  Ouais.

 


Q.  Laisse‑nous t’aider à essayer de régler quelques‑uns de ces problèmes, d’accord?

 

                                                                   . . .

 

Q.  Bon.  Cessons d’inventer des histoires, d’accord?  (Inaudible.)  Allons‑y. D’accord.  [Je suis vraiment content?]. Enlève-toi un poids de sur les épaules, d’accord.  D’accord, Richard.  D’accord.  Seulement —, tournons la page, d’accord.  Bon.  Laisse‑nous t’aider.  [D.A., aux pp. 642 à 644]

 

Au cours de cette dernière déclaration de l’agent Bogle, l’intimé s’est effondré au niveau émotionnel.  Penché vers l’avant, la tête entre les mains, l’intimé s’est mis à pleurer, pendant que l’agent Bogle le réconfortait à l’aide de petites tapes et frictions sur l’épaule.  Après d’autres invitations et encouragements de l’agent Bogle, l’intimé a avoué avoir incendié les immeubles et il a donné à la police une déclaration écrite à cet effet.

 

127                           À mon avis, la promesse d’assistance psychiatrique était inappropriée.  Bien qu’il soit vrai que les policiers n’ont pas dit expressément à l’intimé que la seule façon pour lui d’obtenir de l’assistance psychiatrique était de passer aux aveux, il n’en reste pas moins que c’était clairement ce qui était sous‑entendu.  Dans les circonstances de l’espèce, j’estime que l’offre des policiers de fournir à l’intimé de l’assistance psychiatrique s’il avouait sa participation aux incendies constitue une incitation inacceptable qui a porté atteinte au caractère volontaire de la confession de l’intimé.

 

B.  Minimisation

 


128                           La seconde incitation inacceptable a été faite par le caporal Deveau, qui a remplacé le sergent Taker après que celui‑ci eut interrogé l’intimé pendant environ une heure.  Jusque-là, le caporal Deveau était resté assis dans une chambre adjacente du motel, où il avait écouté et enregistré l’interrogatoire mené par le sergent Taker.  Après avoir insisté à nouveau sur le caractère certain des résultats du polygraphe, le policier a minimisé la gravité des infractions qui faisaient l’objet de l’interrogatoire, plus particulièrement la gravité de l’incendie de la voiture (D.A., aux pp. 513 à 518):

 

[traduction]

 

Q. . . . Tu sais pourquoi je m’en fais pour toi?  Parce que tu n’es pas un criminel.  Tu es un bon gars, Richard.  Tu es un bon gars, et ces incendies — ce ne sont pas des incendies vraiment graves.  Ce sont de vieux immeubles abandonnés à Waterville.  Ils sont tout dégueulasses.  [D.A., à la p. 513]

 

                                                                   . . .

 

Mais tu sais, si c’est le magasin de Claude Cook qui est en cause — c’est une bicoque dans le coin.  C’est une horreur.  Qui a brûlé pour la première fois [. . .]  Mais supposons que tu l’as incendié la troisième fois.  Qu’y a‑t‑il de mal à ça vraiment?  Probablement pas grand chose.  Ce magasin était une bicoque.  Il était déjà brûlé.

 

                                                                   . . .

 

Alors quelqu’un l’a incendié la troisième fois.  Qu’as‑tu fait de mal?  En réalité, rien, sauf y mettre le feu, et il a été détruit.  Mais si c’est le cas, dis-le-moi.  Et le — l’immeuble a‑t‑il été incendié parce que c’était une horreur?  [D.A., à la p. 515]

 

                                                                   . . .

 

Si c’est seulement la voiture — il n’y a pas, tu sais, c’est pas grand chose, l’incendie d’une voiture.  Il n’y a pas grand chose à ça, mais tu dois m’en parler.  Si c’est le vieil immeuble, parle‑moi du vieil immeuble.  [D.A., à la p. 518]  [Je souligne.]

 


129                           Après avoir été interrogé par le caporal Deveau pendant 30 à 40  minutes, l’intimé a avoué avoir incendié la voiture de sa petite amie et il a fourni une déclaration aux policiers.  Il était alors angoissé.  Il a cependant continué à clamer son innocence quant aux autres incendies.  Face à ces démentis, le caporal Deveau est revenu brièvement sur le thème de «l’infaillibilité du polygraphe», cette fois‑ci en se référant précisément aux immeubles incendiés.  Il a ensuite mis l’intimé en état d’arrestation et l’a transporté jusqu’au détachement de New Minas.  En chemin, l’intimé était visiblement bouleversé et le caporal Deveau l’a vu pleurer.  Le thème de la minimisation s’est cristallisé au cours des trois heures d’interrogatoire qui ont suivi la confession initiale de l’intimé dans laquelle il reconnaissait avoir mis le feu à la voiture de sa petite amie.  Le caporal Deveau a minimisé la gravité des conséquences juridiques additionnelles qui découleraient d’une confession concernant l’incendie des immeubles.  Il a expressément suggéré que les incendies pourraient être considérés comme un «ensemble» ou une «famille», insinuant clairement que l’intimé n’empirerait pas beaucoup sa situation en avouant sa participation à tous les incendies, maintenant qu’il venait d’avouer sa participation à l’un d’eux:

 

[traduction]  Si tu es responsable des autres, c’est — ou de certains des autres, c’est le temps — c’est le temps de soulager ta conscience.  C’est l’occasion idéale de le faire, à cause de ce que tu nous as déjà dit, d’accord.  Et tout le monde comprend cela, que c’est — Tu n’as pas allumé un incendie et puis dix ans après tu as — c’est toute une série d’incendies que nous avons eus à Waterville.  De sorte que nous pouvons envisager cela — nous pouvons envisager cela comme un tout unique.  [D.A., à la p. 552]

 

                                                                   . . .

 

Q.  [C]’est un incendie parmi un groupe, nous pouvons tous avoir — les regrouper et ce n’est pas une situation isolée là . . . Richard.  C’est de tout un groupe d’incendies dont on parle.  C’est d’un gros cancer et tu as réussi à en exciser une partie.  Mais s’il y a autre chose, c’est le temps de vider ton sac parce que c’est simplement — ça peut être considéré presque comme un seul événement et les gens peuvent comprendre ça.  [D.A., à la p. 575]

 

                                                                   . . .

 

Q. . . . Et si tu as quelque chose à voir avec ça, c’est le temps pour toi de nous le dire, parce que comme je l’ai dit, c’est — c’est tout un groupe qu’on a là.  Ils sont tous liés et nous pouvons les considérer presque comme un seul et même événement.  Il y a un certain nombre d’événements, mais ils se sont tous produits généralement — ils se sont tous produits dans la même région . . .  [D.A., à la p. 577] [Je souligne.]

 

130                           Le caporal Deveau a continué à minimiser la gravité de l’ensemble des infractions (D.A., aux pp. 630, 643 et 644):

 

[traduction]

 


Q. . . . Et tu peux nous aider beaucoup (inaudible) . . . dix, ça ne change pas grand chose.

 

                                                                   . . .

 

Q.  Si nous parlons d’un seul ou si nous parlons de dix.  Tu as franchi le premier obstacle.  Tu as fait un grand pas.  D’accord.  Mais tu en parles encore comme tu le fais depuis le début, si c’est un ou si c’est dix, ça n’a pas d’importance, d’accord [. . .].  Tu es un bon gars.  Occupons‑nous seulement de ça.  Je sais ce que tu veux, tu le sais toi ce que tu veux?

 

R.  Hein?

 

Q.  Tu veux — ne retourne pas en arrière maintenant.  Nous sommes ici. D’accord.  On est rendu ici.  Allons‑y.  D’accord.  Je sais tout ça.  Je fais ça depuis 17 ans.  D’accord. (Inaudible) un ou si c’est 10 ou si c’est 20. D’accord.

 

R.  Hum.  [Je souligne.]

 

131                           Bref, on a laissé entendre à l’accusé qu’il n’y avait aucune différence entre le fait d’allumer un incendie ou dix, et que s’il avouait, les incendies des immeubles pourraient être regroupés avec celui de la voiture.  Cette suggestion était clairement inappropriée.

 

C.  Menace d’interroger la petite amie de l’intimé

 

132                           Peu après la confession initiale de l’intimé, le caporal Deveau a, pour la première fois, laissé entendre à l’intimé que le fait pour lui de passer aux aveux serait avantageux pour sa petite amie (D.A., à la p. 574):

 

[traduction]

Q.  Tu sais, toute cette affaire est – nous pourrions même demander à Tanya si elle accepterait de subir un examen polygraphique sur cette question puisque nous ignorons quelle est sa position, o.k.  [Je souligne.]

 


Ce thème a été développé à plusieurs reprises.  Plus particulièrement, le policier a explicitement indiqué à l’intimé que s’il décidait simplement de «vider son sac», il pourrait éviter à sa petite amie la désagréable expérience d’avoir à subir l’examen polygraphique et l’interrogatoire (D.A., aux pp. 603 et 604):

 

[traduction]

 

Q.  Es‑tu conscient du fait que l’autre raison est que nous — que tu dois vider ton sac devant nous pour Tanya.

 

R.  Hum.

 

Q.  Nous ne voulons pas faire subir à Tanya — je veux dire qu’elle devra déjà passer au travers de tant de choses pour tenter de — nous ne voulons pas — et je suis convaincu que tu ne veux pas qu’elle — qu’elle subisse la moitié de ce que tu as vécu aujourd’hui.  Ce n’est pas amusant.

 

R.  Non, non.

 

Q. Ça n’aura rien de plaisant pour elle.  Mais pour qu’elle — pour que nous soyons absolument certains, nous devons le faire.  Donc si tu peux nous dire quoi que ce soit qui puisse l’aider — pour que nous puissions lui dire, o.k., nous n’avons pas besoin de toi, Tanya, nous avons ce qu’il nous faut ici, tu sais, nous avons quelque chose.  Mais nous ne sommes pas convaincus de tout le reste.  Ne fais donc pas subir cela à Tanya si tu peux nous dire quoi que ce soit, o.k.

 

R.  À propos de quoi?

 

Q.  À propos de n’importe quoi — à propos des autres incendies ou de n’importe quoi d’autre.  À propos de la voiture que tu as incendiée.  Il y a quelque chose que tu —  [Je souligne.]

 

133                           Il est manifeste que les policiers savaient que Tanya Kilcup faisait partie du [traduction] «cercle des proches» de l’intimé: voir R. c. Middleton (1974), 59 Cr. App. R. 18 (C.A.), à la p. 21.  Plus tôt, se référant à la confession de l’intimé concernant l’incendie de la voiture de Mme Kilcup, le caporal Deveau a dit (D.A., à la p. 548):

 


[traduction]

 

Q.  Tu as une bonne petite amie que tu aimes probablement beaucoup.

 

R.  (Fait «oui» de la tête.)

 

Q.  Le mariage est pour bientôt et — mais ce n’est pas la fin de — ce n’est pas la fin.  Cela te fera probablement baisser un peu dans son estime, mais ce n’est pas insurmontable.  D’accord.

 

134                           En outre, les policiers savaient clairement que l’intimé était déjà préoccupé par les conséquences de sa première confession sur sa relation avec Mme Kilcup, comme en témoigne la conversation suivante (D.A., à la p. 555):

 

[traduction]

 

Q.  . . . Tu vas devoir vivre avec ta petite amie.  Et je pense que —

 

R.  Peut‑être.  Elle pourrait bien me quitter.

 

Q.  Eh bien.

 

R.  Je ne peux dire avec certitude qu’elle ne me quittera pas.

 

Q.  Non, mais quand on s’aime, les choses s’arrangent . . .

 

135                           La réaction alarmée de l’intimé à la suggestion que sa petite amie pourrait être considérée comme un suspect, malgré le fait qu’il ait fermement nié, plus tôt, que Mme Kilcup soit impliquée de quelque façon dans l’incendie de la voiture ou qu’elle ait su quelque chose à cet égard, voir D.A., à la p. 533, et ses protestations que, si elle avait quelque chose à voir dans cette affaire, c’était seulement en tant qu’alibi — sont des faits encore plus importants en ce que qu’ils indiquent clairement que l’intimé voulait éviter que sa copine ait affaire à la police:

 


[traduction]

 

Q.  D’accord.  Nous allons devoir — les choses que tu m’as dévoilées, d’accord, alors nous allons devoir vérifier tout ça, d’accord.  Alors quelqu’un est parti pour aller discuter avec Tanya.  Nous devons parler à Tanya, d’accord [. . .]  Étant donné la situation, nous, tu sais, nous ne savons pas ce que Tanya — si elle sait quelque chose ou non.  Tu as dit qu’elle ne savait rien.  Nous allons devoir confirmer tout ça, d’accord [. . .]  Qu’est‑ce que Tanya va dire?

 

R.  Probablement que c’est fini.

 

Q.  Eh bien, fais simplement —

 

R.  Je ne sais pas.  Elle ne sera pas impressionnée. 

 

Q.  Ouais.  Je suis sûr qu’elle peut — vous pouvez probablement arranger les choses entre vous.  Hein?

 

R.  Si elle me parle.

 

Q.  Je suis sûr qu’elle te parlera . . .

 

R.  Elle sera probablement plus en colère qu’autre chose.  [D.A., aux pp. 570 et 571]

 

                                                                   . . .

 

R.  Elle n’est pas impliquée dans l’incendie de sa voiture, et aucun de nous deux n’est impliqué dans l’incendie des immeubles.  Eh bien, si effectivement elle (inaudible), je n’en sais rien.  J’en doute fortement.

 

Q.  Ouais, j’en doute moi aussi.  Et sa voiture, elle ne savait absolument rien.  Tu ne lui as jamais parlé de ça ou de quoi que soit d’autre?

 

R.  Tout ce qu’elle peut dire, c’est confirmer où j’étais.

 

Q.  Hum‑hum.  Eh bien, nous allons vérifier tout ça.  [D.A., à la p. 604]

 

. . .

 

Q. . . . Je veux dire, il faut que — du point de vue de la police, tu sais, est-ce que c’était toi et elle?  Juste toi?  Juste qui?  D’accord?

 

R.  Juste moi.

 

Q.  D’accord.  Je veux dire, nous devons partir et — nous avons demandé au sergent Taker de parler avec Tanya, d’accord.  (Inaudible)

 

R.  Mais je ne lui ai rien dit.

 

Q.  Quoi?

 


R.  Je ne lui ai rien dit.

 

Q.  Ouais.

 

R.  C’est moi et moi seul.  [D.A., à la p. 611]

 

136                           Les policiers savaient que l’intimé était soucieux de protéger sa petite amie et ils ont utilisé cette situation pour l’inciter à passer aux aveux.  Le caporal Deveau a indiqué que les policiers allaient être obligés de considérer Mme Kilcup comme un suspect et qu’ils allaient devoir lui faire subir un examen polygraphique et l’interroger si l’intimé ne faisait pas bientôt une confession. Après la première confession, le caporal Deveau a exploré avec l’intimé la possibilité que l’automobile ait été incendiée en vue de recueillir le produit de l’assurance.  C’était la voiture de Mme Kilcup.  La menace d’interroger Mme Kilcup est demeurée réelle tout au long de l’entrevue post-examen car, comme l’avait clairement indiqué à l’intimé le caporal Deveau, les policiers n’avaient pas l’intention de soumettre Mme Kilcup à l’examen polygraphique et de l’interroger ce soir‑là.  L’insinuation était claire, l’intimé pouvait épargner à sa petite amie la situation difficile qu’il vivait en avouant que lui seul était impliqué dans tous les incendies.  À mon avis, la relation entre l’intimé et Mme Kilcup était telle que les menaces de la mêler à cette affaire ont exercé une pression inacceptable sur l’intimé pour qu’il fasse une confession.

 


137                           En définitive, je suis d’avis que les affirmations que nous venons d’examiner constituent des menaces, des promesses et des incitations au sens de la règle portant sur les confessions et que, conjuguées à l’ambiguïté qui régnait relativement à ce qui était admissible ou non en cour contre l’intimé ainsi qu’à l’atmosphère oppressive créée par l’«infaillibilité» de l’examen  polygraphique, elles sont suffisantes pour soulever un doute raisonnable quant au caractère volontaire de la confession initiale de l’intimé concernant  l’incendie de la voiture et de sa confession ultérieure concernant les autres infractions.  L’effet conjugué des affirmations trompeuses et des mensonges qui ne sont pas interdits en soi d’une part, et des encouragements qui le sont d’autre part a à mon avis poussé l’intimé à faire des aveux non volontaires.  Les quelques occasions où l’intimé a semblé rejeter les suggestions des policiers n’étaient rien d’autre que des bravades désespérées et de vaines tentatives afin de retarder ce qu’il semblait considérer comme inévitable, c’est-à-dire le fait qu’il devrait passer aux aveux.  Les extraits suivants illustrent bien  l’état d’esprit de l’intimé:

 

[traduction]

 

Q. . . . Tu es là, Richard, et le nier ne réglera pas le problème.  Je peux te le dire maintenant.  Ça va seulement —

 

R.  Tout ce que je suis censé dire, c’est ouais, j’ai fait ça, ça et ça, et

 

Q.  Non.

 

R.  — que je l’aie fait ou non et

 

Q.  Non, non, non.

 

R.  — peu importe.

 

Q.  Non, ce n’est pas ça.  Ce n’est pas ça [. . .]  Ce que je te dis, c’est que quelque chose que tu m’as dit aujourd’hui est faux.  Je ne dis pas que tout cela n’est pas vrai.  Je te dis que quelque chose sur ce morceau de papier, que tu m’as dit ici aujourd’hui, n’est pas — tu n’as pas été honnête avec moi.  [D.A., à la p. 483]

 

. . .

 

R.  Oh non.  Tu vas dire (inaudible) que je ne l’ai pas réussi et —

 

Q.  Et ce sont les questions que j’ai posées.

 

R.  Et elles partiront où elles voudront, et les voilà parties.

 

Q.  Essentiellement — pour l’instant c’est tout ce que je sais.

 

R.  Alors autrement dit je suis cuit.

 

Q.  Non.  Ce que je te dis – je pense que parfois tu ne saisis pas ce que je dis, Richard.  Simplement parce que tu as mis le feu à la voiture, ça ne signifie pas que tu vas passer le reste de ta vie en prison.  Ça ne veut absolument pas dire cela.  Exact?

 

R.  Je ne le pensais pas non plus.


Q.  Eh bien, tu penses à des choses terriblement sérieuses, là.  Tu sais —

 

R.  Non, je pense que si je ne dis pas d’accord, j’ai incendié la voiture ou peu importe —.

 

Q.  Ouais.

 

R.  Bruno [Deveau] me talonnera jusqu’à ce qu’on puisse  le prouver.  [D.A., à la p. 502]  [Je souligne.]

 

V.  Autres raisons d’écarter la preuve:  considérations touchant l’équité du procès

 

138                           Les éléments de preuve obtenus par polygraphe ne sont pas admissibles dans un procès criminel.  Voir R. c. Béland, [1987] 2 R.C.S. 398, à la p. 416; voir également Phillion c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 18.  Dans l’arrêt Béland, étant donné que la preuve obtenue par polygraphe avait été présentée par la défense, la Cour à la majorité l’a exclue en se fondant sur plusieurs règles de preuve bien établies (à savoir la règle interdisant les témoignages justificatifs («oath-helping»), la règle interdisant la production de déclarations antérieures compatibles et la règle relative à la preuve de moralité, à la p. 417).  Toutefois, il est particulièrement important, pour les fins du présent pourvoi, de souligner que les juges majoritaires ont également fondé leur décision d’écarter la preuve obtenue par polygraphe sur la règle de droit selon laquelle la crédibilité est, de façon générale, une question qu’il appartient uniquement au juge des faits de trancher (voir R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223, à la p. 248; R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, à la p. 23), et sur la question des coûts inacceptables, sur le plan de l’équité et de l’efficacité du procès, de l’admission de preuves obtenues par polygraphe (voir Mohan, précité, à la p. 21).  À cet égard, le juge McIntyre, s’exprimant pour la majorité, a écrit ceci (aux pp. 415 à 418):

 


En l’espèce la seule question relativement à laquelle on présente une preuve obtenue par détecteurs de mensonges est celle de la crédibilité des accusés, question qui relève clairement de l’expérience de juges et de jurys et à l’égard de laquelle aucune preuve d’expert n’est nécessaire.  L’un des principes fondamentaux de notre système juridique porte que les juges et les jurys sont compétents pour déterminer la crédibilité et la fiabilité d’une preuve. . .

 

[J]’estime que l’admission d’une preuve obtenue par détecteurs de mensonges ne servira aucune fin qui n’est pas déjà servie.  De plus, elle perturbera les procédures, occasionnera des retards et créera de nombreuses complications, sans pour autant apporter au processus plus de certitude qu’on en trouve à présent.

 

À quoi servirait‑il d’introduire à titre de preuve dans le processus judiciaire des résultats de tests par détecteurs de mensonges?  En premier lieu, il faut se rappeler que toute scientifique que puisse être cette preuve, son utilisation devant le tribunal dépend d’une intervention humaine, celle de l’expert en détecteurs de mensonges.  Quels que soient les résultats enregistrés par le détecteur de mensonges, c’est par la bouche de l’expert que leur nature et leur sens sont communiqués au juge des faits.  La faillibilité humaine est par conséquent toujours présente, mais on peut dire que maintenant elle est renforcée par la mystique de la science.  On peut se demander alors à quoi cela sert‑il?  Il fournit une preuve sur la question de la crédibilité d’un témoin, ce qui n’a jamais été autre chose qu’une question incidente à trancher par le juge des faits.

 

139                           L’admission en preuve d’une confession, faite dans des circonstances où elle est intimement liée à un examen polygraphique «échoué», comme c’est le cas en l’espèce, est tout à fait incompatible avec la décision de notre Cour dans l’arrêt Béland, précité, et avec les principes et la règle qui la sous-tendent.  En outre, je suis d’avis que cela porte une atteinte grave et injustifiée au droit de l’accusé à un procès équitable. 

 


140                           Dans le cas où, comme ici, la confession de l’accusé est associée à un «échec» à un examen polygraphique, l’accusé fait face à un dilemme impossible au procès.  Voir R. c. Amyot, [1991] R.J.Q. 954 (C.A. Qué.), à la p. 963; voir également R. c. L.E.W., [1996] O.J. No. 753 (QL) (Div. gén.), au par. 26.  D’une part, si l’accusé désire désavouer sa confession, comme il est en droit de le faire, il doit être en mesure d’informer le juge des faits de toutes les circonstances dans lesquelles la confession a été faite.  Voir DeClercq c. The Queen, [1968] R.C.S. 902, à la p. 921; L.E.W., précité, au par. 21; J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), aux §§ 8.83‑8.84.  Comme l’a indiqué la Cour d’appel, cela signifierait, en l’espèce:  [traduction] «toutes les circonstances qui ont mené à l’administration de l’examen, l’examen lui-même, la manière dont l’échec à l’examen a été communiqué, de même que l’interrogatoire qui a suivi»:  R. c. Oickle (1998), 164 N.S.R. (2d) 342 (C.A.), au par. 50.  Autrement le juge des faits ne pourrait évaluer adéquatement la possibilité que la confession ne soit pas véridique et accepter le retrait par l’accusé de sa déclaration extrajudiciaire.  Voir L.E.W., précité, au par. 26; voir également Sopinka, Lederman et Bryant, op. cit., au § 8.84 (où l’on cite R. c. Murray, [1951] 1 K.B. 391, à la p. 393); R. c. Charrette, [1994] O.J. No. 2509 (QL) (Div. gén.), au par. 28; R. c. Whalen, [1999] O.J. No. 3488 (QL) (C.J.), au par. 26.

 

141                           On a souvent dit de la confession qu’elle est [traduction] «la preuve de culpabilité la plus forte et la plus convaincante»: Bigaouette c. The King (1926), 46 C.C.C. 311 (B.R. Qué.), à la p. 320 (citant R. c. Lambe (1791), 2 Leach 552, 168 E.R. 379); voir également R. c. Hodgson, [1998] 2 R.C.S. 449, aux par. 14 et 17; DeClercq, précité, à la p. 922; R. c. Warickshall (1783), 1 Leach 263, 168 E.R. 234, à la p. 235; R. c. Hardy (1794), 24 St. Tr. 199, aux pp. 1093 et 1094; R. c. Baldry (1852), 2 Den. 430, 169 E.R. 568, à la p. 574; R. c. Guidice, [1964] W.A.R. 128 (Ct. Crim. App.), à la p. 130; Wigmore on Evidence (Chadbourn rev. 1970), vol. 3, §§ 820b‑820c, aux pp. 301 à 306.  Comme l’explique Wigmore, § 820b, à la p. 303, cela est dû au fait que

 

[traduction]  [e]n règle générale, rien n’est davantage contraire aux intérêts permanents d’une personne que la confession d’un crime; [. . .] il est normalement impossible d’imaginer qu’une personne innocente puisse être disposée à risquer sa vie, sa liberté ou ses biens en faisant une fausse confession.  À supposer que la confession soit un fait incontestable, elle emporte une force de persuasion qu’on ne trouve nulle part ailleurs, parce qu’un trait fondamental de la nature humaine nous enseigne sa signification.

 


Dans les cas où, comme en l’espèce, la confession a été enregistrée, il y a peu de doute qu’elle a été faite.  La seule question que le jury doit alors trancher est de savoir si elle constitue une preuve fiable de culpabilité.  C’est en raison de son «effet concluant relativement à la culpabilité» que la norme de preuve hors de tout doute raisonnable du droit criminel est appliquée à la question du caractère volontaire, alors que la preuve par prépondérance des probabilités est la norme pertinente quant à l’admissibilité de la preuve en général.  Voir R. c. Egger, [1993] 2 R.C.S. 451, à la p. 474; Sopinka, Lederman et Bryant, op. cit., au § 8.87.  Vu le poids énorme que les jurés risquent d’accorder aux confessions, par simple intuition, et, au surplus, vu le scepticisme et la méfiance qu’ils manifesteront normalement envers l’idée qu’une personne puisse, en l’absence de torture, confesser faussement un crime grave, il doit être possible à l’accusé d’expliquer en détail les incitations ou [traduction] «circonstances suspectes» qui pourraient jeter un doute sur la véracité de sa confession, Wigmore, op. cit., au § 820c, à la p. 306.

 


142                           Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, l’aveu et l’examen polygraphique sont aussi étroitement liés, l’accusé devra inévitablement révéler qu’il a échoué à l’examen s’il veut mettre en doute la véracité de sa confession.  À mon avis, cela crée un trop grand risque pour le droit de l’accusé à un procès équitable.  Ce dernier est placé dans une situation où il ne peut tenter, comme il en a pourtant le droit, de désavouer sa confession extrajudiciaire sans être contraint, dans les faits, de produire un élément de preuve hautement préjudiciable, que le ministère public ne pourrait lui-même introduire, et qui semblera renforcer plutôt que diminuer la fiabilité de sa confession.  Voir R. c. Thorne (1988), 41 C.C.C. (3d) 344 (C.S.N.‑É., Div. app.), à la p. 353; cf. R. c. McIntosh (1999), 141 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.), au par. 70.  Il est difficile d’imaginer une atteinte plus dévastatrice, que l’accusé portera lui-même à sa propre crédibilité en produisant un élément de preuve inutile, peu fiable et par conséquent préjudiciable.  En effet, l’accusé est forcé de s’incriminer en introduisant un élément de preuve qui serait autrement inadmissible et qui ne peut manquer de renforcer ce qui, bien souvent, comme c’est le cas en l’espèce, est la seule preuve dont on dispose contre lui.

 

143                           Dans l’arrêt Béland, précité, les juges de la majorité se sont fondés en partie sur le risque que la preuve obtenue par polygraphe soit utilisée à mauvais escient et  fausse le processus d’enquête pour interdire l’utilisation de cette preuve devant les tribunaux.  Voir Béland, précité, aux pp. 417 et 418; voir également Mohan, précité, à la p. 21.  Dans Béland, précité, à la p. 434, le juge La Forest (souscrivant au résultat) a exprimé cette préoccupation comme le problème de «la faillibilité humaine dans l’évaluation du poids à donner à la preuve empreinte de la mystique de la science».  Tout comme certaines preuves de faits similaires, la preuve obtenue par polygraphe risque de créer une perception tout à fait exagérée de la réalité.

 

144                           Bien que «[l]a possibilité que la preuve ait un impact excessif sur le jury et le détourne de ses tâches [puisse] souvent être contrecarrée par des directives appropriées» relativement à l’utilisation limitée qui peut être faite de la preuve, Mohan, précité, à la p. 24, je ne peux accepter que ce soit le cas lorsque, comme en l’espèce, la preuve d’«expert» — quoiqu’elle n’ait pas été admise à cette fin — se rapporte directement à la crédibilité de l’accusé, ainsi que, se voulant un aveu de culpabilité, à  la question fondamentale que le jury doit trancher.  Voir Thorne, précité; cf. McIntosh, précité, aux par. 68 à 70.  Pour paraphraser les juges majoritaires dans l’arrêt Marquard, précité, à la p. 248, la question de la crédibilité et celle de la culpabilité ou de l’innocence sont complexes et la preuve obtenue par polygraphe, entourée comme elle l’est de la mystique de la science, pourrait être acceptée beaucoup trop facilement par un jury frustré ou incertain comme un moyen pratique de résoudre ses difficultés, tout en abdiquant sa responsabilité de statuer sur la crédibilité et de rendre un verdict juste.

 


145                           En revanche, l’autre solution qui s’offre à l’accusé, c’est-à-dire nier la véracité de sa confession sans informer le juge des faits de toutes les circonstances dans lesquelles elle a été faite, pose tout autant problème.  En l’espèce, par exemple, il serait irréaliste de penser pouvoir supprimer les références constantes qui ont été faites, au cours des six heures qu’a duré l’interrogatoire, à l’échec de l’intimé à l’examen polygraphique.  En outre, rien ne permettrait de comprendre ce qui aurait pu mener l’intimé à faire une fausse confession en l’absence de l’élément déclencheur qu’a constitué l’examen polygraphique.

 


146                           Je considère que l’«échec» à l’examen polygraphique se distingue des autres éléments de preuve inadmissibles et des autres éléments de preuve hautement compromettants, telle la preuve génétique (ADN).  Si un accusé fait une confession après avoir été confronté à une preuve génétique qui l’incrimine, il n’est pas injuste que l’accusé ait à relater les circonstances dans lesquelles la confession a été faite, y compris en se référant à la preuve génétique elle-même.  Contrairement à la preuve relative à l’«échec» à l’examen polygraphique, la preuve génétique n’est pas inadmissible comme telle dans un procès criminel.  Voir R. c. Terceira (1998), 123 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.), conf. par [1999] 3 R.C.S. 866.  Dans le cas de la preuve génétique, l’accusé ne fera que se référer à une preuve qui peut fort bien être devant le juge des faits de toute façon.  Ainsi, l’accusé n’ajoute que peu, sinon pas du tout, de crédibilité ou de poids additionnels à sa confession.  Par contre, lorsque l’accusé se voit forcé de présenter la preuve relative à l’«échec» à l’examen polygraphique, il introduit en fait un élément de preuve qui contribuera à renforcer et à confirmer la valeur probante et la crédibilité de sa confession.  Je n’ai pas à statuer sur la légalité générale de l’utilisation délibérée d’éléments de preuve inadmissibles en vue d’obtenir une confession.  Il suffit de dire, pour les fins du présent pourvoi, qu’un examen polygraphique «échoué» risque d’être perçu tout simplement comme une confession sous un autre nom.  Vu le poids exceptionnel qui est attribué aux confessions, je suis d’avis que l’effet préjudiciable de la mention par un accusé de son «échec» à l’examen polygraphique est énorme.

 

147                           Par conséquent, j’estime qu’une confession devrait être écartée dans les cas où l’accusé n’est pas en mesure de démontrer pleinement, en raison de la proximité dans le temps et du lien de causalité étroit qui existent entre l’«examen polygraphique échoué» et la confession subséquente, l’incidence des circonstances entourant la confession sans introduire inévitablement la preuve obtenue par polygraphe (par exemple l’existence de l’examen lui‑même, le fait que l’accusé ait «échoué» à l’examen et les déclarations qu’on lui a faites).  Dans ce contexte, je suis d’accord que si la police «persiste à recourir à cette technique d’enquête, [. . .] l’administration du test [polygraphique] [d]oit [être] complètement séparée de la procédure d’interrogatoire qui peut mener à l’obtention d’aveux»: Amyot, précité, à la p. 963, le juge Proulx; voir R. c. Nugent (1988), 84 N.S.R. (2d) 191 (C.S., Div. app.), aux pp. 212 et 213.

 

148                           Dans le présent pourvoi, les déclarations de l’intimé étaient inextricablement liées à son «échec» à l’examen polygraphique.  Le substitut du procureur général l’a clairement indiqué au cours du voir dire, lorsqu’il a déclaré ce qui suit (D.A., à la p. 60):

 

[traduction]  Il est évident que le résultat ne prouve rien.  Il ne prouve pas la véracité ou de l’absence de véracité de ce que M. Oickle a dit, clairement, mais ça fait partie du contexte.  C’est en raison de l’impression créée par le résultat de l’examen polygraphique que d’autres choses se sont passées.  Il sera absolument impossible pour votre Honneur d’examiner tous les échanges entre M. Oickle et les policiers sans entendre, pratiquement toute la conversation est enregistrée sur bandes audio et vidéo.  Il vous sera impossible votre Honneur de l’écouter sans entendre les références incessantes aux résultats de l’examen polygraphique.  [Soulignements et caractères gras ajoutés.]

 


149                           Le dossier étaye clairement la thèse avancée par le substitut du procureur général.  L’enregistrement audio de l’interrogatoire qui a mené à la première confession est truffé de mentions indiquant que l’intimé n’avait pas dit la vérité, que son cœur avait confessé sa participation et que ses démentis étaient vains.  L’examen «échoué» est par conséquent crucial pour évaluer adéquatement soit le caractère volontaire de la première confession, dans le cadre du voir dire, soit la véracité de celle-ci, dans le cadre du procès.  La même remarque vaut pour la seconde confession.  Quoiqu’il n’y ait eu qu’un nombre restreint de mentions de l’«échec» à l’examen polygraphique après la première confession, ces mentions sont demeurées un élément crucial du contexte et des circonstances entourant la seconde confession.  En minant la volonté de l’intimé, elles ont considérablement augmenté la force et l’effet des incitations usuelles auxquelles ont eu recours les policiers.

 

VI.  Conclusion et dispositif

 

150                           À mon avis, les déclarations de l’intimé devraient être écartées pour deux motifs.  Premièrement, elles ont été obtenues par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage dispensés ou promis par des personnes en situation d’autorité.  Le juge du procès aurait à tout le moins dû avoir un doute raisonnable quant à l’application de la règle classique du caractère volontaire.  Deuxièmement, j’écarterais également les déclarations pour le motif que la manière dont elles ont été obtenues par les policiers place l’intimé dans une situation injuste, savoir qu’il doit produire un élément de preuve préjudiciable, peu fiable et inadmissible pour mettre en doute la véracité des déclarations obtenues.

 


151                           Ayant conclu que les déclarations de l’intimé sont involontaires et qu’elles doivent être écartées, je souscris à l’opinion de la Cour d’appel que [traduction] «[l]a reconstitution était la continuité des déclarations antérieures» (par. 154) et qu’elle a donc elle aussi été admise à tort par le juge MacDonald de la Cour provinciale.

 

152                           Pour ces motifs, je rejetterais le pourvoi, j’annulerais les déclarations de culpabilité et j’inscrirais un acquittement à l’égard de chaque chef d’accusation.

 

 

Pourvoi accueilli, le juge Arbour est dissidente.

 

Procureur de l’appelante:  Le procureur général de la Nouvelle‑Écosse, Halifax.

 

Procureur de l’intimé:  La Nova Scotia Legal Aid, Sydney.

 

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario:  Le ministère du Procureur général, Toronto.

 

Procureurs de l’intervenante la Criminal Lawyers’ Association (Ontario):  Sack Goldblatt Mitchell, Toronto.                                                                     

 



* Voir Erratum [2007] 3 R.C.S. iv.

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