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COUR SUPRÊME DU CANADA

 

Référence : Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30, [2020] 3 R.C.S. 298

Appel entendu : 5 décembre 2019

Jugement rendu : 30 octobre 2020

Dossier : 37898

 

Entre :

 

 

Desjardins Cabinet de services financiers inc. et Desjardins Gestion internationale d’actifs inc., personne morale légalement constituée, anciennement Desjardins Gestion d’actifs inc.

Appelantes

 

 

et

 

 

Ronald Asselin

Intimé

 

 

 

Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer

 

Motifs de jugement :

(par. 1 à 159)

 

Motifs dissidents en partie :

(par. 160 à 304)

Le juge Kasirer (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Abella, Karakatsanis, Brown et Martin)

 

La juge Côté (avec l’accord des juges Moldaver et Rowe)

 

 

 

 


desjardins c. asselin

Desjardins Cabinet de services financiers inc. et

Desjardins Gestion internationale d’actifs inc.,
personne morale légalement constituée, anciennement
Desjardins Gestion d’actifs inc.                                                                  Appelantes

c.

Ronald Asselin                                                                                                     Intimé

Répertorié : Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin

2020 CSC 30

No du greffe : 37898.

2019 : 5 décembre; 2020 : 30 octobre.

Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer.

en appel de la cour d’appel du québec

                    Procédure civile — Recours collectif — Autorisation d’exercer un recours collectif — Conditions d’autorisation du recours — Requête pour l’autorisation d’exercer un recours collectif en responsabilité contractuelle pour manquement au devoir d’information et extracontractuelle pour manquement aux devoirs de compétence et de gestion contre des institutions financières relativement à des placements d’épargne à terme — Refus de la requête par la Cour supérieure — Jugement infirmé par la Cour d’appel et recours collectif autorisé — L’intervention de la Cour d’appel à l’égard de la décision de la Cour supérieure était‑elle justifiée? — Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25, art. 1003.

                    A est membre d’une caisse populaire du Mouvement Desjardins. Il a souscrit entre mars 2005 et juin 2007 à deux types de placement auprès de sa caisse, soit le Placement Épargne à Terme Perspectives Plus (« PP ») et le Placement Épargne à Terme Gestion Active (« GA »), par le biais de conventions de dépôt. Ces placements se caractériseraient essentiellement par un capital, correspondant à la valeur initiale du dépôt, garanti à l’échéance du terme et un potentiel de rendement variable. La souscription à ces placements résulterait de représentations faites par une planificatrice financière et représentante en épargne collective qui serait préposée ou mandataire de Desjardins Cabinet de services financiers inc. (« Cabinet »), partie du Mouvement Desjardins, et spécialisée dans les services financiers. Les placements auraient été présentés comme sécuritaires et comme assurant un rendement intéressant tant par la planificatrice financière que par divers documents qui en faisaient la promotion alors qu’ils présentaient un risque particulier affectant leur potentiel de rendement. Ces placements auraient été conçus et gérés par Desjardins Gestion internationale d’actifs inc. (« Gestion ») également partie du Mouvement Desjardins, et spécialisée dans la gestion d’actifs.

                    En mars 2009, A a reçu une lettre l’informant que ses Placements PP et GA ne lui procureraient aucun rendement jusqu’à l’échéance du terme. En février 2010, A a reçu un relevé de placements indiquant que ses placements avaient effectivement produit un rendement de 0 p. 100 pour l’année 2009. En septembre 2011, A a déposé une requête pour autorisation d’exercer un recours collectif en Cour supérieure du Québec contre Cabinet et Gestion. Il invoque contre Cabinet le manquement au devoir d’information de cette dernière dans le cadre de sa responsabilité contractuelle envers les membres du groupe. A affirme que Cabinet ne l’a pas informé adéquatement, ainsi que les autres membres du groupe, des risques associés aux placements, alléguant tant une faute directe qu’indirecte. Il invoque contre Gestion le manquement aux devoirs de compétence quant à la conception et la gestion de cette dernière dans le cadre de sa responsabilité extracontractuelle envers les membres du groupe. A affirme que Gestion aurait utilisé des stratégies d’investissements risquées, y compris des stratégies impliquant des investissements dans des papiers commerciaux adossés à des actifs (« PCAA »), qui auraient eu pour conséquence d’entraîner une perte de tous les actifs affectés au rendement.

                    La Cour supérieure a rejeté la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif contre Cabinet et Gestion. La juge de l’autorisation a conclu qu’en ce qui a trait au recours en responsabilité contractuelle proposé contre Cabinet et en responsabilité extracontractuelle proposé contre Gestion, A n’a pas démontré que son recours présentait une apparence sérieuse de droit tel que l’exige l’al. 1003b) de l’ancien Code de procédure civile du Québec (« ancien C.p.c. »). La juge a conclu également en l’absence de questions communes suivant la condition prévue à l’al. 1003a) de l’ancien C.p.c., omettant toutefois de se prononcer sur cette condition quant au recours contre Gestion. La Cour d’appel a accueilli l’appel de A et a autorisé l’exercice du recours collectif contre Cabinet et Gestion.

                    Arrêt (les juges Moldaver, Côté et Rowe sont dissidents en partie) : Le pourvoi est accueilli en partie.

                    Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Karakatsanis, Brown, Martin et Kasirer : C’est à bon droit que la Cour d’appel a autorisé l’exercice du recours collectif proposé par A, et ce, tant contre Cabinet que contre Gestion. La juge de l’autorisation s’est méprise dans son analyse quant à certains aspects des conditions énoncées aux al. 1003a) et 1003b) de l’ancien C.p.c. (qui correspondent aux par. 575(1) et 575(2) du nouveau Code de procédure civile). L’appel est toutefois accueilli en partie à la seule fin de modifier les par. 8 et 9 de l’arrêt de la Cour d’appel afin de préciser la portée de la réclamation en dommages‑intérêts punitifs.

                    La Cour d’appel a parfaitement respecté le cadre d’analyse fixé dans les arrêts Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 R.C.S. 600, Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3, et L’Oratoire Saint‑Joseph du Mont‑Royal c. J.J., 2019 CSC 35, [2019] 2 R.C.S. 831, même si ce dernier a été rendu après la décision faisant l’objet du pourvoi. L’autorisation d’un recours collectif au Québec nécessite l’atteinte d’un seuil peu élevé. Une fois satisfaites les quatre conditions énoncées à l’art. 1003 de l’ancien C.p.c., la juge doit autoriser le recours collectif; elle ne bénéficie d’aucune discrétion résiduelle lui permettant de refuser l’autorisation au prétexte que le recours ne serait pas le véhicule le plus adéquat. Les questions de droit peuvent être résolues par un ou une juge de l’autorisation lorsque le sort de l’action projetée en dépend, mais ce choix relève généralement de la discrétion du tribunal. Ceci témoigne de la vocation de l’étape de l’autorisation du recours collectif : exercer une fonction de filtrage pour écarter les demandes frivoles, sans plus. En analysant la requête, les juges d’autorisation doivent éviter de faire preuve de rigorisme. Il faut lire le texte de la requête pour en découvrir son plein message, y compris son message nécessairement implicite. Enfin, il n’y a aucune exigence au Québec que les questions communes soient prépondérantes par rapport aux questions individuelles. Au contraire, une seule question commune suffit si elle fait progresser le litige de façon non négligeable. Il n’est pas nécessaire que celle‑ci soit déterminante pour le sort du litige.

                    En l’espèce, les allégations suffisent à établir une cause défendable à l’encontre de Cabinet suivant la condition prévue à l’al. 1003b) de l’ancien C.p.c. En principe, il n’y a pas lieu pour le tribunal, au stade de l’autorisation, de se prononcer sur le bien‑fondé en droit des conclusions au regard des faits allégués. Le syllogisme proposé n’est ni frivole, ni manifestement non fondé en droit. Les allégations sont suffisamment précises pour être tenues pour avérées et elles trouvent un fondement suffisant dans la preuve administrée.

                    Le syllogisme de A se fonde sur un manquement de Cabinet à son devoir d’information. Dans sa requête, A explique dès le sommaire qu’il reproche à Cabinet et Gestion d’avoir manqué et contrevenu aux obligations et aux devoirs d’information, de compétence et de gestion. Cabinet aurait omis d’informer adéquatement les membres du groupe des opérations risquées effectuées avec les sommes confiées par les membres. Au niveau du préjudice, A explique la perte de rendement subie en raison de stratégies d’investissement risquées; au niveau de la causalité, il affirme qu’il n’aurait jamais accepté d’investir dans les Placements PP et GA s’il avait été informé adéquatement des risques liés à ces placements par Cabinet. Les fautes sont décrites avec suffisamment de précision, et l’information manquante à l’échelle du groupe vise entre autres le niveau de risque des placements, leur volatilité et leur fonctionnement, notamment leur effet de levier.

                    On comprend de ces allégations que le recours proposé se fonde non pas sur l’inexécution des conventions de dépôt, mais plutôt sur un manquement généralisé et systématique au devoir d’information. A reproche à Cabinet d’avoir systématiquement manqué à ce devoir en n’informant pas adéquatement l’ensemble des représentants du risque et des caractéristiques des placements (la faute directe). Munis d’information fausse, trompeuse ou incomplète, les représentants ont alors, selon les faits allégués de la requête, également omis d’informer adéquatement les membres du groupe (la faute indirecte). La double faute reprochée à Cabinet, et le fondement du recours, est un manquement généralisé et systématique au devoir général d’information qui incombe à Cabinet. Cette double faute désigne en d’autres mots les deux côtés d’une même médaille, soit le manquement de Cabinet à son devoir d’information tant envers les membres du groupe directement, par elle‑même, qu’indirectement, via ses représentants.

                    La personne prestataire de services financiers est bien soumise à un devoir d’information, et le non‑respect de ce devoir peut donner lieu à une responsabilité civile dont le commettant ou le mandant de la conseillère financière fautive doit répondre. Les membres du groupe sont liés à Cabinet par un contrat de service au sens de l’art. 2098 du Code civil du Québec ou encore, si le service n’est pas directement rémunéré, par un contrat sui generis s’y apparentant. Fondé sur l’obligation générale de bonne foi (art. 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec), le devoir d’information concerne tous les contrats et vise en principe toutes les parties contractantes. Il existe une distinction entre le devoir de conseil et celui d’information. L’obligation de renseignement (ou d’information) impose de divulguer des faits à celui qui, afin de régler son comportement, peut légitimement s’attendre à ce qu’on les lui dévoile. L’obligation de conseil exige de donner un avis à une personne, dans l’intérêt de celle‑ci. Le devoir d’information est moins onéreux et moins particularisé que l’obligation de conseil.

                    Dans l’arrêt Banque de Montréal c. Bail Ltée, [1992] 2 R.C.S. 554, la Cour a observé que l’étendue de l’obligation d’information s’apprécie en fonction des critères suivants : (1) la connaissance, réelle ou présumée, de l’information par la partie débitrice de l’obligation de renseignement; (2) la nature déterminante de l’information en question; (3) l’impossibilité du créancier de l’obligation de se renseigner soi‑même, ou la confiance légitime du créancier envers le débiteur. En l’espèce, Cabinet connaît ou est présumée connaître les caractéristiques des placements qu’elle conseille. A allègue qu’il n’aurait jamais accepté d’investir dans les Placements PP et GA s’il avait été informé adéquatement des risques liés à ces placements et qu’il était dans l’impossibilité de se renseigner sur les stratégies d’investissement de Gestion.

                    La requête n’allègue pas une fausse représentation positive; elle allègue une omission correspondant à un manquement au devoir d’information qui, contrairement au devoir de conseil, est une obligation de résultat. La simple preuve par le créancier de l’absence du résultat suffit à faire présumer la responsabilité du débiteur. À l’étape de l’autorisation, le requérant a le fardeau de démontrer le caractère défendable du syllogisme juridique proposé, et non le fardeau de prouver chacun des éléments du syllogisme juridique proposé selon la norme habituelle en matière civile de prépondérance des probabilités. Dans ce contexte, la preuve apportée par A au soutien d’allégations qui doivent être présumées avérées est plus que suffisante. Le recours peut être autorisé en l’absence d’une preuve prépondérante que l’information n’a pas été transmise à A. A a déposé nombre de documents pour appuyer des allégations concernant l’omission par Cabinet de divulguer, à l’ensemble de la clientèle, les risques associés aux méthodes de gestion des placements. Le choix de Cabinet et de ses représentants de s’y fier seraient une preuve du manquement au devoir contractuel d’information allégué à l’appui de sa responsabilité contractuelle indirecte. L’interrogatoire avant audition de A constitue également un élément de preuve pertinent en matière d’inexécution d’une obligation de faire, comme l’absence de conseil ou d’information. Le manquement équivaut à un fait négatif, en soi difficile à établir de manière convaincante, mais dont la preuve peut être faite par simple témoignage.

                    La condition des questions communes suivant l’al. 1003a) de l’ancien C.p.c. est également satisfaite à l’égard du recours proposé contre Cabinet. À l’étape de l’autorisation, la jurisprudence québécoise et de la Cour commande une conception souple de l’intérêt commun qui doit lier les membres du groupe. Ainsi, même si les circonstances varient d’un membre du groupe à l’autre, le recours collectif pourra être autorisé si certaines questions sont communes. Le fait que tous les membres du groupe ne sont pas dans des situations parfaitement identiques ne prive pas celui‑ci de son existence ou de sa cohérence. Au Québec, une seule question commune suffit, tant qu’elle fait progresser le litige de manière non négligeable. Le recours collectif en l’espèce vise un manquement contractuel au devoir d’information fondant la responsabilité tant directe qu’indirecte de Cabinet. Dans les deux cas, les omissions alléguées ont un caractère systématique et ne dépendent pas des caractéristiques individuelles de chaque client. Le caractère systématique de ces omissions, de part et d’autre, permet l’identification de questions communes à l’égard du recours proposé contre Cabinet au sens de l’al. 1003a).

                    La requête déposée par A fait état d’une désinformation systématique des membres du groupe. En fournissant à ses représentants des documents trompeurs ou incomplets, Cabinet les désinforme et ne leur donne pas les moyens d’informer adéquatement les membres du groupe. L’information transmise aux membres est donc nécessairement incorrecte ou insuffisante, voire fausse, trompeuse ou susceptible d’induire en erreur. Le caractère systématique du manquement de Cabinet est donc clairement allégué et doit être tenu pour avéré. De plus, il s’agit d’information objective que Cabinet n’a jamais fournie aux représentants et aux membres, concernant le caractère risqué des placements.

                    La thèse de la requête n’est pas fondée sur la responsabilité individuelle d’une conseillère financière vis‑à‑vis de son client particulier qui dépendrait de la preuve du profil de chaque client pour savoir effectivement si le placement convenait ou non. La faute alléguée est un manquement à une obligation d’information générale qui affecte chaque membre, et non un manquement à l’obligation particularisée de bien conseiller son client. Bien que le devoir d’information varie en fonction du contexte, il existe des circonstances où tous les créanciers ont été privés d’information en raison d’une omission systématique. En l’espèce, A allègue précisément l’existence de telles circonstances, où le déséquilibre informationnel et le contrôle de l’information par Cabinet sont communs à tous les membres. En effet, A allègue que les membres du groupe ne pouvaient pas connaître l’information que possédait Cabinet sur le fonctionnement des placements même avec toute la diligence voulue. Ainsi, un recours collectif pour la responsabilité d’une maison de courtage pour le fait de ses représentants est possible s’il est question de la non‑suffisance de l’information communiquée par la firme à ses représentants et aux membres du groupe, menant à un manquement à un devoir général d’information. Conclure autrement priverait le recours collectif d’une partie de sa vocation de venir en aide aux personnes qui, pour des raisons économiques et autres, font face à des obstacles pour faire valoir leurs droits. La Cour d’appel était donc justifiée d’intervenir. Il appert que la juge de l’autorisation a évalué la condition des questions communes sous l’angle d’un recours fondé sur le devoir de fournir des conseils individualisés adaptés à la tolérance aux risques de chaque client, alors que ce n’était pas le fondement du recours de A.

                    Il est admis que la responsabilité de Gestion peut être recherchée en tant que concepteur des placements. En ce qui a trait au caractère défendable de la cause menée contre Gestion, le syllogisme proposé par A n’est ni circulaire, ni insoutenable. A ne se contente pas dans ses allégations de dire que les pratiques de Gestion étaient risquées parce que les placements n’ont pas généré de rendement : il forme des reproches concrets à l’égard de Gestion. Ces allégations sont suffisamment précises. Quant à l’impact de la crise financière de 2008 sur le lien causal entre les prétendues fautes extracontractuelles de Gestion et le préjudice pour lequel A demande compensation, cette question relève du fond du litige.

                    A réclame à Gestion des dommages‑intérêts punitifs en application des art. 6 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne pour atteinte, de manière illicite et intentionnelle, à son droit à la possession paisible de ses biens. Dans le cadre de cette réclamation, il allègue qu’une part importante des investissements en marché monétaire au sein des Placements PP et GA était composée de PCAA. Gestion affirme que toute réclamation relative aux PCAA est éteinte par l’effet de l’Ordonnance d’homologation rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans le cadre de la réorganisation du marché des PCAA entreprise en application de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies  (« LACC  »). En première instance, la juge a conclu que la réclamation fondée sur les PCAA est à sa face même irrecevable sans toutefois relever la distinction entre « PCAA visés » et « Réclamations non visées », telle que traitée au Troisième plan modifié de transaction et d’arrangement ayant fait l’objet de l’Ordonnance d’homologation.

                    La Cour d’appel a eu raison de conclure que la juge de première instance ne pouvait trancher l’irrecevabilité au stade de l’autorisation. Il est vrai qu’un tribunal peut trancher une pure question de droit au stade de l’autorisation si le sort de l’action collective projetée en dépend, mais déterminer si les PCAA en question font partie des PCAA visés par la quittance et énumérés à son Annexe « A » n’est pas une pure question de droit. Ce n’est pas l’application de l’Ordonnance qui est contestée, mais sa portée qui pourra être débattue ultérieurement et, si nécessaire, la question de la portée des PCAA visés et non visés par l’Ordonnance pourrait être renvoyée à la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Au stade de l’autorisation, la prudence s’impose et tout doute devrait jouer en faveur de la continuation des procédures. Le fait de différer cette question n’entraîne pas la perte de droits pour Gestion puisque le recours doit procéder au mérite quant à la réclamation en dommages‑intérêts compensatoires. Tout en étant difficile, une réclamation en dommages‑intérêts punitifs fondée sur l’atteinte illicite et intentionnelle de l’art. 6 de la Charte des droits et libertés de la personne et portant sur les PCAA non visés par la quittance demeure défendable dans le contexte. Toutefois, il est nécessaire de préciser que tout paiement à chacun des membres du groupe d’une somme à titre de dommages‑intérêts punitifs est sujet à réclamation uniquement en lien avec des Réclamations non visées, au sens de l’art. 1 du Troisième plan modifié de transaction et d’arrangement daté du 12 janvier 2009.

                    Les juges Moldaver, Côté et Rowe (dissidents en partie) : Le pourvoi devrait être accueilli en partie. L’autorisation du recours collectif proposé contre Cabinet devrait être refusée et l’autorisation du recours collectif proposé contre Gestion devrait être accordée mais seulement à l’égard de la réclamation en dommages‑intérêts compensatoires.

                    Les objectifs d’accès à la justice, de modification des comportements préjudiciables et d’économie des ressources judiciaires visés par le recours collectif ne peuvent être atteints que si une procédure rigoureuse est suivie pour encadrer son autorisation. Le recours collectif constitue un véhicule procédural lourd qui représente une démarche énorme pour tous les acteurs concernés, y compris les tribunaux. L’autorisation se veut davantage qu’une simple formalité. Elle vise à protéger les intérêts de tous les intervenants au recours collectif, non seulement ceux du représentant et des membres absents, mais également ceux des défendeurs et même de l’administration de la justice. L’étape de l’autorisation confère au recours collectif toute sa légitimité.

                    Malgré son rôle plus actif en matière de recours collectif, le tribunal ne peut s’arroger le rôle de partie ou d’avocat et réorienter à sa guise le recours tel que présenté par la partie requérante. Il n’appartient pas au tribunal de lire entre les lignes dans le but de deviner le fondement du recours qu’on cherche à faire autoriser ou du syllogisme juridique en l’absence d’allégations spécifiques quant à un élément essentiel de la cause d’action. Le tribunal d’autorisation peut compléter les allégations avec la preuve au dossier et en tirer des inférences et présomptions. Toutefois, le tribunal n’a pas à tenir pour avérées les allégations juridiques du requérant; il peut trancher une pure question de droit au stade de l’autorisation si le sort du recours collectif projeté en dépend. Lorsque le juge tranche une question de droit dont dépend le sort du recours collectif à l’étape de l’autorisation, cela favorise l’atteinte des objectifs de prévisibilité juridique et d’économie judiciaire qui sous‑tendent le système d’administration de la justice. Le rôle du juge à l’étape de l’autorisation est de filtrer les recours frivoles ou insoutenables, mais aussi de vérifier que toutes les conditions de l’art. 1003 de l’ancien C.p.c. soient satisfaites. Une requête qui ne remplit pas toutes les conditions n’est pas par ce fait même frivole. Puisque le tribunal doit tenir les faits allégués pour avérés, les allégations doivent être claires et complètes, plutôt que vagues, générales ou imprécises. Des carences de forme sont pardonnables; des carences de substance ne le sont pas. Ces allégations doivent être lues avec attention afin d’analyser le caractère défendable du syllogisme juridique qu’elles proposent.

                    Le juge dispose à l’étape de l’autorisation d’une importante marge de manœuvre dans l’appréciation des conditions énoncées à l’art. 1003 de l’ancien C.p.c. Lorsqu’il est d’avis que chaque condition est satisfaite, il doit autoriser le recours et il n’a pas discrétion de refuser l’autorisation. Le pouvoir d’intervention d’une cour d’appel demeure limité et celle‑ci doit faire preuve de déférence envers la décision du juge dans son appréciation des conditions. La norme d’intervention en appel applicable à cette appréciation est celle de l’erreur manifeste et déterminante.

                    En l’espèce, la juge de première instance ne commet aucune erreur lorsqu’elle affirme que les conventions de dépôt des Placements PP et GA ne sont pas susceptibles d’engager la responsabilité contractuelle de Cabinet puisqu’elles interviennent entre les clients et leurs caisses populaires respectives. Le contrat susceptible d’engager la responsabilité contractuelle de Cabinet serait plutôt celui qui intervient entre le client et Cabinet, par l’entremise de la représentante, soit un contrat de services dont le seul objet est le conseil. Même si la prestation de base du contrat est le conseil, cela n’empêche pas qu’un devoir d’information existe également. Or, la juge a également analysé le recours contre Cabinet tel qu’il a été présenté, c’est‑à‑dire sous l’angle de la responsabilité contractuelle de Cabinet découlant d’un manquement au devoir d’information, dans le cadre d’un fondement contractuel qui découlerait de la relation mandant‑mandataire entre les représentants de Cabinet et les clients. Son appréciation des conditions d’autorisation commandait la déférence en appel en l’absence d’une erreur manifeste et déterminante.

                    L’exigence de questions communes suivant al. 1003a) de l’ancien C.p.c. n’est pas satisfaite à l’égard du recours proposé contre Cabinet. La responsabilité de conseillers financiers pour un manquement au devoir d’information et de conseil ne se prête pas à un recours collectif en raison du caractère hautement individuel de la relation entre un client et son conseiller dans le cadre d’un contrat de services de placement. L’analyse de la responsabilité devrait alors être reprise dans chacun des cas individuels. La jurisprudence est constante à cet égard : il ne peut y avoir de questions communes dans de telles circonstances. Toutefois, lorsqu’un requérant parvient à démontrer que le manquement revêt un caractère systématique, la condition des questions communes ne fera pas obstacle à l’autorisation. Or, A n’a ni allégué ni démontré quelque manquement systématique que ce soit au devoir d’information des conseillers qui pourrait être imputé à Cabinet. De son propre aveu, il n’a aucune idée si d’autres clients étaient dans la même situation que lui. C’est donc l’absence de caractère systématique qui est fatal au recours de A et non le fait qu’il vise des conseillers financiers.

                    Le devoir d’information se veut plus général que le devoir de conseil incombant aux représentants de Cabinet; cependant, le devoir d’information est une obligation à géométrie variable modulée par les circonstances propres à chaque cas, comme l’a confirmé l’arrêt Bail. Cela est d’autant plus vrai dans un cas où le devoir d’information est l’accessoire d’une prestation principale ayant pour objet le conseil. En l’espèce, l’obligation d’information s’inscrit dans le contexte plus large de la prestation de services de conseiller financier, qui varie selon plusieurs facteurs, notamment la durée de la relation, les objectifs du client et son niveau d’expertise. L’obligation du conseiller ou du courtier de connaître son client vient moduler sa relation avec ce dernier; il est clair que les circonstances spécifiques du client ont une importance significative. Il n’est donc pas surprenant qu’A ignore s’il existe d’autres membres dans la même situation que lui. Sa situation ne peut être extrapolée à celle des autres membres du groupe proposé. Ainsi, même s’il ne faut pas s’attarder aux particularités de chacun des membres au stade de l’autorisation du recours collectif, il demeure qu’en l’espèce, les éléments de la faute, la causalité et le préjudice invoqués par A au nom du groupe sont éminemment variables. Étant donné la nécessité d’une telle analyse contextuelle, il ne peut donc y avoir de caractère commun à la question de savoir s’il y a eu manquement au devoir d’information en l’absence d’une démonstration de son caractère systématique. L’analyse individualisée exigée par le recours éclipse la possibilité de procéder sur une base collective. L’appréciation des faits et l’analyse juridique devra être répétée systématiquement pour chaque relation entre un conseiller financier et son client, de sorte que la question suggérée ne saurait faire avancer le litige de façon non négligeable.

                    En ce qui concerne le recours proposé contre Gestion, l’intervention de la Cour d’appel n’était justifiée qu’en partie. La Cour d’appel avait raison d’autoriser le recours contre Gestion, sauf en ce qui concerne la réclamation en dommages‑intérêts punitifs. Sur ce dernier point, la juge d’autorisation a, à juste titre, tenu compte de la quittance relative aux PCAA contenue dans l’Ordonnance d’homologation et de sa portée afin de conclure que la réclamation en dommages‑intérêts punitifs contre Gestion en lien avec les PCAA ne présentait pas une cause défendable.

                    Généralement, les moyens de défense dont dispose la partie défenderesse sont examinés lors du procès sur le fond. Néanmoins, le tribunal peut trancher une pure question de droit au stade de l’autorisation si le sort de l’action collective projetée en dépend. Ce principe couvre également l’interprétation d’une quittance incluse à une ordonnance d’homologation rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario, laquelle a pleine vigueur et effet au Québec selon l’art. 16  de la LACC .

                    Le sort de la portion du recours proposé quant aux dommages‑intérêts punitifs en lien avec les PCAA dépend de l’interprétation des termes de la quittance. Si une preuve s’avère nécessaire afin de pouvoir statuer sur l’application d’une quittance contenue à une ordonnance d’homologation, cette question devrait procéder au fond. À l’inverse, si une telle preuve n’est pas nécessaire, comme en l’espèce, il ne serait ni logique ni souhaitable, dans une perspective d’économie judiciaire et de proportionnalité des procédures, de différer la détermination de cette question de droit lorsque le tribunal a la possibilité de la trancher au stade de l’autorisation. Cela est particulièrement vrai pour les quittances qui résultent d’une transaction ou d’un arrangement homologué par un tribunal en vertu de la LACC . Les quittances font progresser l’un des objectifs importants de la LACC  qui est de favoriser la restructuration en évitant les risques de litiges. Les articles 16  et 17  de la LACC  prévoient qu’il est impératif que les tribunaux du Québec donnent effet aux ordonnances de la LACC , peu importe la juridiction où se sont déroulées les procédures.

                    En l’espèce, la quittance comporte deux obstacles qui sont fatals à la réclamation de A en dommages‑intérêts punitifs fondée sur les PCAA. Le premier obstacle découle de la cause d’action limitée qui est autorisée pour une Réclamation exclue : la réclamation doit être fondée sur des déclarations frauduleuses expresses faites au demandeur potentiel par un représentant autorisé du défendeur potentiel. Or, la réclamation en dommages‑intérêts punitifs n’est pas fondée sur une fausse déclaration mais sur la faute de Gestion qui réside dans la conception et la gestion déficientes contraire à ses obligations et devoirs d’agir avec prudence et diligence et de suivre des pratiques de gestion saine et prudente. La requête n’allègue pas une cause d’action qui relève de la définition de Réclamation exclue.

                    Le deuxième obstacle à la réclamation en dommages‑intérêts punitifs concerne les délais stricts pour présenter une demande. Le délai de neuf semaines a commencé à courir à la date de remise de l’avis par le contrôleur, qui était essentiellement la date à laquelle l’Ordonnance d’homologation a été rendue, c’est‑à‑dire le 5 juin 2008. La requête de A pour autorisation d’exercer un recours collectif fut signifiée le 16 septembre 2011. En conséquence, la réclamation de A en dommages‑intérêts punitifs fondée sur l’utilisation par Gestion d’une stratégie d’investissement incluant des PCAA a été déposée hors délai. La quittance fait obstacle au syllogisme juridique de A quant à la faute de Gestion et la demande fondée sur les PCAA doit être rejetée car elle ne revêt pas l’apparence de droit qu’exige l’al. 1003b) de l’ancien C.p.c.

                    Dans la mesure où la responsabilité de Gestion est recherchée à titre de conceptrice et gestionnaire des produits, le recours peut être autorisé à l’égard des dommages‑intérêts compensatoires. En invoquant les effets de la crise financière de 2008 pour refuser d’autoriser cette partie du recours, la juge d’autorisation s’est avancée sur le fond du recours. Or, cet aspect du recours n’est pas pour autant dénué de fondement. Il s’agit là d’une erreur qui justifiait l’intervention de la Cour d’appel.

Jurisprudence

Citée par le juge Kasirer

                    Arrêts appliqués : L’Oratoire Saint‑Joseph du Mont‑Royal c. J.J., 2019 CSC 35, [2019] 2 R.C.S. 831; Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 R.C.S. 600; Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3; Banque de Montréal c. Bail Ltée, [1992] 2 R.C.S. 554; arrêts mentionnés : Banque de Montréal c. Marcotte, 2014 CSC 55, [2014] 2 R.C.S. 725; Theratechnologies inc. c. 121851 Canada inc., 2015 CSC 18, [2015] 2 R.C.S. 106; Transport TFI 6 c. Espar inc., 2017 QCCS 6311; Beauchamp c. Procureure générale du Québec, 2017 QCCS 5184; Bramante c. Restaurants McDonald’s du Canada limitée, 2018 QCCS 4852; Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2019 QCCA 358, 55 C.C.L.T. (4th) 1; Laflamme c. Prudentiel‑Bache Commodities Canada Ltd., 2000 CSC 26, [2000] 1 R.C.S. 638; Souscripteurs du Lloyd’s c. Alimentation Denis & Mario Guillemette inc., 2012 QCCA 1376; Guilbert c. Vacances sans Frontières Ltée, [1991] R.D.J. 513; AIC Limitée c. Fischer, 2013 CSC 69, [2013] 3 R.C.S. 949; Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666; Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158; Western Canadian Shopping Centers Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, [2001] 2 R.C.S. 534; Fisher c. Richardson GMP Ltd., 2019 ABQB 450, 95 Alta. L.R. (6th) 172; Louisméus c. Compagnie d’assurance‑vie Manufacturers (Financière Manuvie), 2017 QCCS 3614; Brunelle c. Banque Toronto Dominion, 2009 QCCS 4605; Paré c. Desjardins Sécurité financière, 2007 QCCS 4566; Farber c. N.N. Life Insurance Co. of Canada, [2002] AZ‑50123096; Comité syndical national de retraite Bâtirente inc. c. Société financière Manuvie, 2011 QCCS 3446; Chandler c. Volkswagen Aktiengesellschaft, 2018 QCCS 2270; Dupuis c. Desjardins Sécurité financière, compagnie d’assurance‑vie, 2015 QCCS 5828; London Life Insurance Company c. Long, 2016 QCCA 1434; ATB Financial c. Metcalfe & Mansfield Alternative Investments II Corp. (2008), 43 C.B.R. (5th) 269, conf. par 2008 ONCA 587, 92 O.R. (3d) 513; Desjardins Sécurité financière, compagnie d’assurance‑vie c. Dupuis, 2018 QCCA 1136; Hy Bloom inc. c. Banque Nationale du Canada, 2010 QCCS 737, [2010] R.J.Q. 912.

Citée par la juge Côté (dissidente en partie)

                    ATB Financial c. Metcalfe & Mansfield Alternative Investments II Corp. (2008), 43 C.B.R. (5th) 269, conf. par 2008 ONCA 587, 92 O.R. (3d) 513; Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 R.C.S. 600; Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3; Theratechnologies inc. c. 121851 Canada inc., 2015 CSC 18, [2015] 2 R.C.S. 106; L’Oratoire Saint‑Joseph du Mont‑Royal c. J.J., 2019 CSC 35, [2019] 2 R.C.S. 831; Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158; Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, [2001] 2 R.C.S. 534; Banque de Montréal c. Marcotte, 2014 CSC 55, [2014] 2 R.C.S. 725; Sibiga c. Fido Solutions inc., 2016 QCCA 1299; Charles c. Boiron Canada inc., 2016 QCCA 1716; Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (Copibec) c. Université Laval, 2017 QCCA 199; Whirlpool Canada c. Gaudette, 2018 QCCA 1206; Martin c. Société Telus Communications, 2010 QCCA 2376; Pharmascience Inc. c. Option Consommateurs, 2005 QCCA 437, [2005] R.J.Q. 1367; Union des consommateurs c. Bell Canada, 2012 QCCA 1287, [2012] R.J.Q. 1243; Labelle c. Agence de développement des réseaux locaux de services de santé et de services sociaux — région de Montréal, 2011 QCCA 334; Toure c. Brault & Martineau inc., 2014 QCCA 1577; Harmegnies c. Toyota Canada inc., 2008 QCCA 380; Regroupement des citoyens contre la pollution c. Alex Couture inc., 2007 QCCA 565, [2007] R.J.Q. 859; Fortier c. Meubles Léon Ltée, 2014 QCCA 195; Option Consommateurs c. Bell Mobilité, 2008 QCCA 2201; Trudel c. Banque Toronto‑Dominion, 2007 QCCA 413; Groupe d’action d’investisseurs dans Biosyntech c. Tsang, 2016 QCCA 1923; Lambert c. Whirlpool Canada, l.p., 2015 QCCA 433; Benabu c. Vidéotron, 2018 QCCS 2207, conf. par 2019 QCCA 2174; Seigneur c. Netflix International, 2018 QCCS 4629, conf. par 2019 QCCA 1671; Raleigh c. Maibec inc., 2016 QCCS 2533; McCracken c. Canadian National Railway Co., 2012 ONCA 445, 111 O.R. (3d) 745; Federal Express Canada Corporation c. Farias, 2019 QCCA 1954; Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), 2015 QCCA 1820; Belmamoun c. Brossard (Ville), 2017 QCCA 102, 68 M.P.L.R. (5th) 46; Durand c. Attorney General of Quebec, 2018 QCCS 2817; Komolafe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, 16 Imm. L.R. (4th) 267; A c. Frères du Sacré‑Coeur, 2017 QCCS 5394; Banque de Montréal c. Bail Ltée, [1992] 2 R.C.S. 554; Laflamme c. Prudential‑Bache Commodities Canada Ltd., 2000 CSC 26, [2000] 1 R.C.S. 638; Richter & Associés inc. c. Merrill Lynch Canada inc., 2007 QCCA 124, [2007] R.J.Q. 238; Louisméus c. Compagnie d’assurance‑vie Manufacturers (Financière Manuvie), 2017 QCCS 3614; Brunelle c. Banque Toronto Dominion, 2009 QCCS 4605; Rosso c. Autorité des marchés financiers, 2006 QCCS 5271, [2007] R.J.Q. 61; Paré c. Desjardins Sécurité financière, 2007 QCCS 4566; Farber c. N.N. Life Insurance Co. of Canada, [2002] AZ‑50123096; Rozon c. Les Courageuses, 2020 QCCA 5; Rumley c. Colombie‑Britannique, 2001 CSC 69, [2001] 3 R.C.S. 184; Lallier c. Volkswagen Canada inc., 2007 QCCA 920, [2007] R.J.Q. 1490; TELUS Communication Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144; Nortel Networks Corp., Re, 2010 ONSC 1708, 63 C.B.R. (5th) 44; Holley c. Northern Trust Co. Canada, 2014 ONSC 889, 10 C.B.R. (6th) 1, conf. pour d’autres motifs, 2014 ONCA 719, 18 C.B.R. (6th) 162; Sam Lévy & Associés Inc. c. Azco Mining Inc., 2001 CSC 92, [2001] 3 R.C.S. 978; In re Mount Royal Lumber & Flooring Co. (1926), 8 C.B.R. 240; Canadian Red Cross Society (Re) (1998), 165 D.L.R. (4th) 365; Hy Bloom inc. c. Banque Nationale du Canada, 2010 QCCS 737, [2010] R.J.Q. 912; Mull c. National Bank of Canada, 2011 ONCA 488.

Lois et règlements cités

Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C‑12, art. 6, 49.

Code civil du Québec, art. 6, 7, 1375, 1458, 2098, 2803.

Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25, art. 4.2, 999d), 1003.

Code de procédure civile, RLRQ, c. C‑25.01, art. 18, 575, 577, 578.

Loi sur la faillite et l’insolvabilité , L.R.C. 1985, c. B‑3 .

Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies , L.R.C. 1985, c. C‑36, art. 16 , 17 .

Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ, c. V‑1.1.

Doctrine et autres documents cités

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Boucher, Bernard. Faillite et insolvabilité : Une perspective québécoise de la jurisprudence canadienne, vol. II, Toronto, Thomson Reuters, 2019 (feuilles mobiles mises à jour décembre 2019, envoi no 4).

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Crête, Raymonde, et Cinthia Duclos. « Le portrait des prestataires de services de placement », dans Raymonde Crête et autres, dir., Courtiers et conseillers financiers. Encadrement des services de placement, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2011, 45.

Crête, Raymonde, et Cinthia Duclos. « Les sanctions civiles en cas de manquements professionnels dans les services de placement », dans Raymonde Crête et autres, dir., Courtiers et conseillers financiers. Encadrement des services de placement, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2011, 361.

Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues : Les obligations, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2003, « obligation de conseil », « obligation de renseignement(s) ».

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                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Bich, St‑Pierre et Gagnon), 2017 QCCA 1673, [2017] AZ‑51437750, [2017] J.Q. no 14964 (QL), 2017 CarswellQue 9582 (WL Can.), qui a infirmé une décision de la juge Dallaire, 2016 QCCS 839, [2016] AZ‑51437750, [2016] J.Q. no 1632 (QL), 2016 CarswellQue 1552 (WL Can.). Pourvoi accueilli en partie, les juges Moldaver, Côté et Rowe sont dissidents en partie.

                    Mason Poplaw, Isabelle Vendette, Samuel Lepage et Gabriel Faure, pour les appelantes.

                    Bruce W. Johnston, Mathieu Charest‑Beaudry, Serge Létourneau, Audrey Létourneau, Julien Delisle, Guy Paquette et Christophe Perron‑Martel, pour l’intimé.

Le jugement du juge en chef Wagner et des juges Abella, Karakatsanis, Brown, Martin et Kasirer a été rendu par

[1]                             Le juge Kasirer — Avec les plus grands égards pour l’avis contraire, je suis d’accord avec la décision de la Cour d’appel d’autoriser l’exercice du recours collectif proposé par l’intimé, et ce, tant contre Desjardins Cabinet de services financiers inc. (« Cabinet ») que contre Desjardins Gestion internationale d’actifs inc. (« Gestion »). Bien respectueusement, j’estime que la juge de la Cour supérieure a erré en rejetant la Requête ré-amendée et précisée (2) pour autorisation d’exercer un recours collectif et pour être représentant, reproduite dans le d.a., vol. II, p. 104-162 (« requête »), contre les appelantes. Sous réserve d’un point, je partage l’essentiel de l’analyse de la Cour d’appel.

[2]                             Certes, comme l’enseigne la jurisprudence de la Cour, un jugement qui rejette un recours collectif (depuis 2016, une « action collective ») mérite déférence en appel, en raison notamment de la nature discrétionnaire des décisions des juges d’autorisation. En l’espèce, toutefois — et cela est concédé par les appelantes à divers égards — la juge de la Cour supérieure s’est méprise dans son analyse quant à certains aspects des conditions énoncées aux al. 1003a) et 1003b) de l’ancien Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25 (« ancien C.p.c. ») (qui correspondent aux par. 575(1) et (2) du nouveau Code de procédure civile, RLRQ, chapitre C-25.01 (« nouveau C.p.c. »)). Comme la Cour d’appel, je suis respectueusement d’avis que ces erreurs ébranlent à bien des égards la retenue qu’une cour d’appel se doit d’ordinaire de respecter.

[3]                             J’estime aussi que certaines de ces erreurs, dont celle de faire abstraction du lien de droit contractuel entre Cabinet et les membres du groupe, sont déterminantes en ce qu’elles touchent au cœur même de la décision de la juge de rejeter le recours collectif. Comme l’indique la Cour d’appel, la thèse de l’intimé n’a pas été bien cernée en première instance. En effet, ici, l’action menée contre Cabinet est fondée sur des allégations qu’une même omission, commise par l’ensemble de ses représentantes et représentants, serait un fait générateur de responsabilité pour cette appelante en raison du devoir d’information inhérent à la relation contractuelle qui liait la firme de conseil financier à l’intimé ainsi qu’aux autres membres du groupe. La faute alléguée serait ainsi un manquement systématique au devoir de Cabinet, agissant par ses employés ou mandataires, d’informer les membres du groupe des risques associés aux placements litigieux — l’omission étant identique et généralisée à l’échelle du groupe. Ayant refusé de voir l’existence d’un contrat, la juge n’a pas relevé cette omission de la firme qui serait, aux termes de la requête, une source de responsabilité contractuelle pour Cabinet en application de l’art. 1458 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »).

[4]                             D’abord, la responsabilité contractuelle dite « directe » reprochée à Cabinet est fondée sur le fait fautif propre à ce dernier. La faute de Cabinet serait d’avoir insuffisamment instruit l’ensemble de ses représentants. Ensuite, munis d’information fausse, trompeuse ou incomplète, les représentants de Cabinet auraient à leur tour omis d’informer adéquatement l’intimé et les autres membres du groupe, leur causant ainsi un préjudice. Cette omission généralisée donne lieu, selon la thèse que l’intimé veut débattre au fond, à une responsabilité contractuelle dite « indirecte » de Cabinet, en tant que mandant ou employeur.

[5]                             Malgré diverses concessions faites à l’audience devant nous, les appelantes plaident — à tort, à mon sens — que le recours contre Cabinet doit être qualifié d’« action collective fondée sur les représentations faites individuellement par des centaines de conseillers financiers » (m.a., par. 17). Je ne suis pas de cet avis : selon les allégations de la requête, tous les représentants auraient failli de la même façon à leur devoir contractuel d’informer chaque membre du groupe des risques associés à l’investissement proposé, donnant lieu à une responsabilité indirecte de la firme appelante fondée sur une faute identique, systématiquement commise par tous les représentants.

[6]                             Contrairement à ce qu’a décidé la première juge, j’estime donc que l’intimé a satisfait aux conditions se rapportant à chacun des fondements juridiques du recours collectif proposé contre Cabinet.

[7]                             Par ailleurs, des méprises de la Cour supérieure dans l’appréciation des allégations ayant trait à l’appelante Gestion — encore concédées en grande partie — font en sorte que ce volet du recours collectif doit aussi être autorisé, tel que décidé par la Cour d’appel. Toutefois, je propose de prendre acte de la concession de l’intimé qu’il ne recherche pas, en son nom ou au nom du groupe, des dommages-intérêts punitifs en lien avec les papiers commerciaux adossés à des actifs (« PCAA ») — des « Affected ABCP » (« PCAA visés ») selon une définition que les parties ne contestent pas — visés par un processus de restructuration et une ordonnance d’homologation connexe rendue par un tribunal ontarien en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies , L.R.C. 1985, c. C-36  (« LACC  »).

[8]                             Finalement, je suis d’avis que dans l’exercice de sa fonction de filtrage, la première juge s’est immiscée dans le travail du ou de la juge du fond, et ce, tant à l’égard de Cabinet qu’à l’égard de Gestion. Comme le fait voir à bon droit la Cour d’appel, il s’agit, là aussi, d’une erreur qui donne ouverture, selon les normes établies, à la révision du jugement en appel.

[9]                             Je tiens à souligner, à la décharge de la première juge, que les parties ne lui ont pas fait la vie facile. La requête de l’intimé — modifiée de fond en comble en cours de route, y compris quant à la thèse première qu’elle mettait de l’avant — n’est pas des plus élégantes. Quant aux appelantes, elles aussi ont donné du fil à retordre à la juge en multipliant les démarches de toutes sortes — interrogatoires, administration de documents, demandes de précisions. La Cour d’appel prend note, à bon droit, que les démarches entreprises par les appelantes paraissent « de prime abord peu compatible[s] avec l’idée d’une procédure sommaire » (2017 QCCA 1673, par. 36 (CanLII)). La complexification des procédures et le volume excessif de la preuve peuvent avoir poussé la juge d’autorisation à adopter, peut-être malgré elle, mais non moins inopportunément, la posture de décideuse ultime des faits, plutôt que de s’en tenir à l’analyse du syllogisme juridique proposé.

I.               Remarques préliminaires

[10]                         Étant d’avis qu’il y avait matière à intervention, la Cour d’appel a cru bon de reprendre — et elle avait raison de le faire — le contexte procédural et factuel de l’affaire. J’adopte son récit comme le mien, sous réserve de quelques compléments apportés par l’argumentation des parties. Avant d’aller plus loin, je propose également quelques remarques concernant le débat entre les parties.

[11]                         Première remarque préliminaire : la norme régissant l’autorisation d’un recours collectif n’est pas contestée en appel. C’est bien le cas, même si, dans leur mémoire présenté devant la Cour, les appelantes sont sévères à l’endroit de l’arrêt de la Cour d’appel, y voyant « un nouveau jalon dans la remise en question du travail des juges autorisateurs de la Cour supérieure » (m.a., par. 11), et même si, dans leur demande d’autorisation d’appel, elles avaient demandé à notre Cour, notamment, de « clarifier l’application du test développé dans l’arrêt [Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3] dans un contexte de responsabilité des intermédiaires de marché pour les gestes commis par des conseillers financiers » (par. 16). S’attardant plus particulièrement sur l’expression « lire entre les lignes » employée par la Cour d’appel (par. 33), les appelantes écrivent à leur mémoire :

En établissant que les juges d’autorisation doivent désormais « lire entre les lignes » aux fins de discerner des causes défendables au sein d’allégations qui ne sont « pas parfaites », la Cour d’appel émet une directive périlleuse et contraire aux enseignements de cette Cour quant au fardeau qui incombe aux requérants d’articuler de façon suffisante et claire leur syllogisme. À elle seule, cette directive mérite l’intervention de cette Cour . . . [Note en bas de page omise; par. 34.]

À l’appui de cette affirmation, les appelantes citent les opinions dissidente et dissidente en partie de l’arrêt L’Oratoire Saint‑Joseph du Mont‑Royal c. J.J., 2019 CSC 35, [2019] 2 R.C.S. 831, invitant la Cour à revenir sur sa décision rendue en 2019.

[12]                         Cette position étonne et fait contraste avec les moyens présentés par les appelantes à l’audience pendant laquelle elles n’ont même pas mentionné l’expression « lire entre les lignes ». En réponse aux questions des membres de la formation, l’avocat des appelantes a concédé que le but de leur appel n’était pas de remettre en question les principes établis par la Cour dans les arrêts Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 R.C.S 600, et Vivendi, ou de s’écarter — malgré ses dires au mémoire d’appel — de l’opinion majoritaire dans l’arrêt Oratoire.

[13]                         Puisque ma collègue s’attarde sur l’expression « lire entre les lignes », y voyant une erreur méthodologique commise par la Cour d’appel, j’estime utile d’expliquer pourquoi, à mon sens, elle ne doit pas être comprise comme une déviation du droit applicable.

[14]                         Pour dissiper toute confusion sur ce point, citons l’expression de la Cour d’appel dans son contexte :

     Autrement dit, sur la base des faits allégués dans la demande d’autorisation, faits qui doivent d’ailleurs, en principe, être tenus pour avérés, « [l]e fardeau du requérant à cette étape consiste à établir une cause défendable », écrit la Cour suprême dans Infineon, et rien de plus. Bien sûr, ajoute-t-elle immédiatement en renvoyant à l’affaire Harmegnies c. Toyota Canada inc., ces allégations de fait ne doivent cependant pas être vagues, générales ou imprécises et doivent « être accompagnées d’une certaine preuve afin d’établir une cause défendable ». Que veut-on dire par là?

 

         D’une part, s’il est vrai que l’on ne doit pas se satisfaire du vague, du général et de l’imprécis, l’on ne peut pour autant fermer les yeux devant des allégations qui ne sont peut-être pas parfaites, mais dont le sens véritable ressort néanmoins clairement. Il faut donc savoir lire entre les lignes. Agir autrement serait faire montre d’un rigorisme ou d’un littéralisme injustifié et donner aux propos de la Cour suprême en la matière une acception qu’ils n’ont pas.

 

         D’autre part, on doit comprendre que des allégations génériques ne suffiront pas, les faits soulevés devant, au regard du droit applicable, être suffisamment spécifiques pour qu’on puisse saisir les grandes lignes du narratif proposé et vérifier sur cette base que sont remplies les conditions de l’art 575 C.p.c., c’est-à-dire que le syllogisme juridique est plaidable et que les questions de fait et de droit qui le sous-tendent sont suffisamment communes pour que leur résolution fasse avancer le débat au bénéfice de chacun des membres d’un groupe par ailleurs convenable, dont les intérêts seront assurés par une personne capable d’une représentation adéquate, conditions qui doivent être interprétées et appliquées en vue de « faciliter l’exercice des recours collectifs ». Il ne s’agit donc pas d’exiger de celui qui demande l’autorisation d’intenter une action collective le menu détail de tout ce qu’il allègue ni celui de la preuve qu’il entend présenter au soutien de ces allégations dans le cadre du procès sur le fond, approche que la Cour suprême a rejetée dans l’arrêt Infineon en rappelant que « la norme applicable est celle de la démonstration d’une cause défendable et non celle de la présentation d’une preuve selon la prépondérance des probabilités, plus exigeante ». [Notes en bas de page omises; par. 32-34.]

[15]                         Contrairement à ce que les appelantes plaident dans leur mémoire, je ne suis pas d’avis que l’expression « lire entre les lignes » traduise une quelconque erreur de la Cour d’appel. Une lecture attentive de ce passage révèle que cette expression imagée se veut tout simplement une injonction contre les excès du littéralisme dans l’analyse d’une requête pour autorisation d’exercer un recours collectif — et non un changement de l’état du droit. Quand on lit l’ensemble des motifs de la Cour d’appel, et que l’on apprécie les justifications qu’elle met de l’avant pour intervenir en contexte, on comprend bien que « lire entre les lignes » n’est pas une invitation à chercher dans le néant — sur la page blanche — des allégations qui manquent à la requête.

[16]                         La Cour d’appel, quelques paragraphes plus tôt, explique qu’une approche trop exigeante au stade de l’autorisation, toute méritoire que puisse en être l’intention, ne correspond pas à la démarche préconisée par notre Cour dans les arrêts Infineon, Vivendi, Banque de Montréal c. Marcotte, 2014 CSC 55, [2014] 2 R.C.S. 725, et Theratechnologies inc. c. 121851 Canada inc., 2015 CSC 18, [2015] 2 R.C.S. 106 : c’est-à-dire une approche souple, libérale et généreuse des conditions d’autorisation en vue de « faciliter l’exercice des recours collectifs comme moyen d’atteindre le double objectif de la dissuasion et de l’indemnisation des victimes » (motifs de la C.A., par. 29, citant Infineon, par. 60). Ajoutons que la Cour d’appel s’appuie à bon droit sur l’arrêt Infineon qui, comme on le sait, explique que des inférences sont possibles, à partir non pas d’une absence de texte, mais des allégations elles-mêmes (voir Infineon, par. 89). Certes, comme le dit ma collègue, des inférences ne peuvent être faites en l’absence totale d’allégations. Mais, à mon avis, la Cour d’appel s’en tient parfaitement aux enseignements de l’arrêt Infineon : sa démarche les met en œuvre. Elle part justement des allégations aux par. 107 et suiv. de la requête pour identifier le manquement de Mme Blanchette, conseillère financière, soit d’avoir omis d’informer l’intimé des risques se rattachant à l’investissement (voir, p. ex., par. 77). La démarche de la Cour d’appel lui permet aussi de faire abstraction de certains défauts rédactionnels, par exemple de ne pas s’arrêter sur un mot malencontreux dans la requête mais de lire tout le paragraphe, voire l’ensemble de la requête, pour comprendre le « sens véritable » des allégations (voir, p. ex., par. 95).

[17]                         C’est ce qu’enseigne également la jurisprudence de notre Cour — y compris l’arrêt Oratoire, rendu postérieurement à l’arrêt de la Cour d’appel. Mon collègue le juge Brown, pour la majorité, y retient l’argument de J.J., qui n’était pas détaillé dans les allégations, à l’effet duquel le cumul de plusieurs éléments permet « de soutenir, au stade de l’autorisation, qu’il y aurait lieu lors de l’audition de l’action sur le fond d’en tirer l’inférence que la Congrégation savait ou ne pouvait ignorer que certains de ses membres se livraient à des agressions sur des enfants » (par. 24 (en italique dans l’original); voir aussi par. 69). Le juge Brown ajoute que les juges d’autorisation doivent « prêter une attention particulière, non seulement aux faits allégués, mais aussi aux inférences ou présomptions de fait ou de droit qui sont susceptibles d’en découler et qui peuvent servir à établir l’existence d’une “cause défendable” » (par. 24; voir aussi par. 60). L’on comprend que suivant les motifs majoritaires dans l’arrêt Oratoire, la partie requérante doit présenter des faits suffisamment précis pour que le syllogisme juridique puisse être examiné, sans qu’il ne soit nécessaire de détailler pas à pas l’argumentation juridique qui revient aux plaidoiries du fond du litige. En ce sens, la Cour d’appel ne modifie ni ne refait aucunement le droit lorsqu’elle n’exige pas que tout l’argument juridique soit présenté dans le menu détail.

[18]                         La Cour d’appel cherche aussi, en utilisant l’expression « lire entre les lignes », à dénoncer le rigorisme et le littéralisme qui, selon elle, transpirent du jugement de première instance. Ce rigorisme mal avisé serait à l’origine de l’erreur révisable, commise par la première juge, de « s’avancer dans le domaine de la preuve et du fond et [d’]imposer au requérant un fardeau allant bien au-delà des exigences fixées par l’art. 575 C.p.c. (1003 a.C.p.c.) » (par. 35). Je conviens avec ma collègue que la juge a commis cette erreur notamment en concluant que la crise financière de 2008, et non la faute de Gestion, était la cause du préjudice subi.

[19]                         Il ne s’agit donc pas d’inventer des parties du texte qui n’y sont pas, ni de relever la partie requérante de son fardeau de présentation. Comme l’explique la Cour d’appel, « [l]a forme, certes, est importante, mais ne doit pas l’emporter sur le fond, même en matière d’action collective » (par. 95). Dans la lecture de la requête comme un tout, la rigueur est de mise, mais le rigorisme et le littéralisme, comme le dit la Cour d’appel, sont périlleux. Dès 2006, le professeur Pierre-Claude Lafond dénonce les travers des excès de rigorisme dans son ouvrage publié avant les arrêts Infineon, Vivendi et Oratoire, notant que « [l]’interprétation jurisprudentielle libérale, présentement dominante, fait en sorte d’éviter que le recours collectif ne devienne inaccessible pour des motifs somme toute techniques et ne prive les justiciables d’un formidable instrument d’accès à la justice » (Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice : impact et évolution (2006), p. 272; voir aussi p. 7, 81-88 et 280). Notre Cour en a pris bonne note, s’appuyant entre autres sur les écrits du professeur Lafond afin de confirmer ce courant libéral dans l’arrêt Oratoire (voir par. 42, 56 et 79).

[20]                         Bref, contrairement à ce que les appelantes laissent entendre, la Cour d’appel n’a pas inventé du texte ou une cause d’action en employant cette expression. « Lire entre les lignes » signifie partir du texte pour en découvrir son plein message, y compris son message nécessairement implicite. Paradoxalement, les appelantes prennent l’expression au pied de la lettre en insistant que « lire entre les lignes » veut dire lire dans les espaces blancs ce qui n’y est pas écrit. Elles semblent oublier le sens de la métaphore choisie par la Cour d’appel, péchant justement par le littéralisme que l’expression cherche à dénoncer.

[21]                         D’ailleurs, les appelantes n’ont pas cité de décision où l’expression « lire entre les lignes » aurait porté à confusion ou été interprétée comme une invitation à réécrire une cause d’action. Les juges de la Cour supérieure me semblent au contraire n’éprouver aucune difficulté particulière à comprendre ces mots, alors qu’ils en concluent, par exemple, que « les allégations contenues à une demande d’autorisation n’ont pas à contenir le menu détail de la preuve qu’un demandeur entend présenter au mérite, et que les allégations peuvent être imparfaites, mais dont le sens véritable ressort néanmoins clairement » (Transport TFI 6 c. Espar inc., 2017 QCCS 6311, par. 23 (CanLII), citant Asselin (C.A.) ainsi qu’Infineon; voir aussi Beauchamp c. Procureure générale du Québec, 2017 QCCS 5184, par. 18 et 73 (CanLII); Bramante c. Restaurants McDonald’s du Canada limitée, 2018 QCCS 4852, par. 10 (CanLII)). La crainte d’un dérapage transformant l’état du droit au Québec si l’arrêt de la Cour d’appel est confirmé me paraît donc infondée.

[22]                         Deuxième remarque préliminaire : la prétention catégorique des appelantes qu’il serait impossible d’entreprendre un recours collectif contre une firme de courtage fondé sur des méfaits des conseillères et conseillers en investissement doit être rejetée. Prônant le rejet du recours contre Cabinet, l’avocat des appelantes a soutenu à l’audience que tout recours fondé sur les fautes commises par des représentants, comme celui préconisé en l’espèce, est nécessairement individuel, puisque la relation entre un conseiller et son client est forcément particularisée autour de la tolérance aux risques de ce client et des conseils qui s’y rattachent. Cette affirmation manque de nuance, comme le reconnaît ma collègue. Comme nous allons voir, non seulement le portrait que les appelantes font de la jurisprudence est-il inexact, mais la posture catégorique qu’elles mettent de l’avant pour faire échec au recours collectif contre Cabinet est aussi incompatible avec la tâche du ou de la juge d’autorisation du Québec de vérifier la présence d’une question identique, similaire ou connexe qui ferait avancer le dossier, une condition plus souple que celle existant dans le reste du pays. Bien que ma collègue affirme qu’elle ne fermerait pas la porte à la possibilité d’un recours collectif dans des circonstances semblables, je suis respectueusement d’avis que ses motifs, s’ils étaient retenus par notre Cour, rejoindraient dans leurs effets pratiques la prétention des appelantes.

[23]                         Troisième remarque préliminaire : le dossier est fortement marqué par les concessions des appelantes que la juge de première instance a commis plusieurs erreurs. Je l’ai déjà noté, les appelantes concèdent que la juge a erré en niant l’existence d’un lien contractuel entre Cabinet et les membres du groupe, lien sur lequel M. Asselin s’appuie pour rechercher la responsabilité contractuelle de cette appelante. Les appelantes concèdent aussi qu’elle a erré en écartant la possibilité d’une cause d’action contre Gestion à titre de concepteur des placements litigieux. De plus, les appelantes admettent qu’elle a écarté le recours collectif contre Gestion au regard de l’al. 1003a) de l’ancien C.p.c. sans avoir analysé la situation de cette appelante, se contentant d’examiner uniquement la situation de Cabinet. Devant notre Cour, les appelantes ne contestent pas l’existence des questions dites « communes » relatives à Gestion. Elles concèdent également que leur argument sur la quittance ayant trait aux PCAA ne ferait obstacle qu’à l’autorisation de la demande de dommages-intérêts punitifs, et non au volet de l’action projetée visant des dommages-intérêts compensatoires.

[24]                         Non seulement toutes ces concessions clarifient-elles le débat qui reste à trancher par notre Cour, elles confirment également la justesse de l’intervention de la Cour d’appel en dépit de la déférence généralement due aux juges d’autorisation. Respectueusement dit, devant ces erreurs concédées — et pour la plupart pertinentes à la décision de la juge de première instance de refuser l’autorisation — il me semble particulièrement difficile de soutenir que la Cour d’appel serait intervenue dans ce dossier sans motif ou en « réécrivant » la cause d’action de M. Asselin.

[25]                         Quatrième remarque préliminaire : bien que ma collègue la juge Côté écrive qu’il « n’est pas question ici de remettre en cause l’approche souple et libérale à l’autorisation mandatée par les arrêts de cette Cour dans Infineon, Vivendi et ceux qui les ont suivis » (par. 199), j’estime respectueusement que ce serait bien la conséquence inéluctable de ce qu’elle propose dans ses motifs. On pourrait croire que son analyse s’écarte des enseignements de notre Cour sur l’approche préconisée à l’étape de l’autorisation sur au moins deux points. Premièrement, elle suggère que la fonction du tribunal n’est pas simplement de filtrer les demandes frivoles, contredisant ainsi les enseignements de la Cour dans les arrêts Infineon et Oratoire. Deuxièmement, en faisant abstraction de la question commune soulevée par ce dossier et en insistant sur le fait que « [l]’analyse individualisée exigée par le recours éclipse la possibilité de procéder sur une base collective » (motifs de la juge Côté, par. 247), elle semble ajouter un critère de prépondérance des questions communes par rapport aux questions individuelles dans l’analyse de la condition énoncée à l’al. 1003a) de l’ancien C.p.c. Or, le droit québécois n’exige que la présence d’une question commune qui puisse faire avancer le recours de manière non négligeable. À mon humble avis, ces affirmations auraient l’effet d’affaiblir l’approche généreuse et flexible adoptée par notre Cour dans les arrêts Infineon, Vivendi et Oratoire.

[26]                         Je prends bonne note que les parties n’ont pas demandé à notre Cour de réexaminer sa jurisprudence. En effet, les appelantes concèdent à l’audience que cet appel devant la Cour n’a pas de vocation à changer le droit; il serait un pourvoi où la Cour n’aurait pour fonction que la simple « correction d’erreurs » qui auraient été commises par la Cour d’appel. Je partage l’avis des appelantes sur ce point et je dirais même plus : non seulement cette affaire ne donne pas lieu à changer le droit, la Cour d’appel a parfaitement respecté le cadre d’analyse fixé dans les arrêts Infineon et Vivendi et, même si l’arrêt Oratoire a été rendu par la suite de son arrêt, son raisonnement est aussi conforme aux principaux enseignements de notre Cour dans ce dossier qui, jusqu’à nouvel ordre, dit le droit.

[27]                         Je propose donc de m’en tenir à l’état actuel du droit suivant les arrêts Infineon, Vivendi et Oratoire. Comme nous le savons, l’autorisation d’un recours collectif au Québec nécessite l’atteinte d’un seuil peu élevé. Une fois les quatre conditions énoncées à l’art. 1003 de l’ancien C.p.c. (maintenant l’art. 575 du nouveau C.p.c.) satisfaites, la juge d’autorisation doit autoriser le recours collectif; elle ne bénéficie d’aucune discrétion résiduelle lui permettant de refuser l’autorisation au prétexte que, malgré l’atteinte de ces quatre conditions, le recours ne serait pas le véhicule « le plus adéquat » (voir Vivendi, par. 67). Les questions de droit peuvent être résolues par un ou une juge d’autorisation lorsque le sort de l’action projetée en dépend, mais ce choix relève généralement de la discrétion du tribunal (voir Oratoire, par. 55). Ceci témoigne de la vocation de l’étape de l’autorisation du recours collectif : exercer une fonction de filtrage pour écarter les demandes frivoles, sans plus (voir Oratoire, par. 56, citant notamment Infineon, par. 61, 125 et 150). Enfin, il n’y a aucune exigence au Québec que les questions communes soient prépondérantes par rapport aux questions individuelles (voir Vivendi, par. 56-57). Au contraire, une seule question commune suffit si elle fait progresser le litige de façon non négligeable. Il n’est pas nécessaire que celle-ci soit déterminante pour le sort du litige (voir Vivendi, par. 58; Oratoire, par. 15).

[28]                         En tout respect, j’estime donc que les désaccords entre ma collègue et moi ne concernent pas des simples questions « d’application » de principes bien établis (motifs de la juge Côté, par. 200).

II.            Contexte et moyens des parties

[29]                         Selon l’intimé, l’appelante Cabinet a engagé sa responsabilité contractuelle envers lui et les autres membres du groupe par son propre comportement ainsi que par le biais de ses représentants. Cette responsabilité repose sur ce que la Cour d’appel désigne comme une « double faute » : (i) une omission systématique, par Cabinet elle-même, d’avoir suffisamment instruit l’ensemble de ses représentants quant à l’existence des risques associés aux placements émis par les Caisses Desjardins (la faute « directe » de Cabinet), et (ii) une omission systématique par tous les représentants de Cabinet de dévoiler ces risques aux membres du groupe (la faute « indirecte » de Cabinet). Les parties s’entendent que la responsabilité de Cabinet peut être engagée par les faits fautifs de ses conseillers financiers (dont Mme Blanchette, la conseillère de M. Asselin), puisqu’ils agissaient comme employés ou mandataires de Cabinet.

[30]                         Toujours selon la thèse avancée par l’intimé dans sa requête, l’appelante Gestion a engagé sa responsabilité extracontractuelle envers M. Asselin et les autres membres du groupe. Cette responsabilité se décline, elle aussi, en deux temps : (i) Gestion aurait commis une faute extracontractuelle dans la confection des dépôts à capital garanti et, de ce fait, serait responsable à titre de « concepteur » des placements, et (ii) Gestion aurait géré l’argent placé de manière incompétente et ainsi engagé sa responsabilité extracontractuelle à titre de « gestionnaire » des investissements.

[31]                         Les allégations principales de la requête énoncent, comme fondement de la responsabilité des appelantes, que Cabinet « a manqué à ses obligations et devoirs d’information et est responsable des dommages subis par les membres du Groupe » (d.a., vol. II, p. 44, par. 105) et que Gestion « a manqué à ses obligations et devoirs de compétence quant à la conception et la gestion et est responsable des dommages subis par les membres du Groupe » (p. 44, par. 106 (soulignement omis)). 

[32]                         Les appelantes contestent l’existence de questions communes quant au recours proposé contre Cabinet en application de l’al. 1003a) de l’ancien C.p.c., ainsi que la suffisance des allégations quant au recours proposé contre Cabinet et Gestion eu égard aux conditions établies sous l’al. 1003b) de l’ancien C.p.c. Elles reprochent également à la Cour d’appel de ne pas avoir appliqué la quittance judiciaire sur les PCAA, ce qui l’aurait menée à rejeter la demande de dommages-intérêts punitifs envers Gestion dès ce stade préliminaire.

[33]                         Je propose de traiter les moyens d’appel en détail, par rapport à chacune des appelantes, dans le même ordre que la juge de première instance, c’est-à-dire d’abord sous l’angle de l’al. 1003b) de l’ancien C.p.c. et ensuite au regard des questions dites « communes » au sens de l’al. 1003a) de l’ancien C.p.c.

III.         Cabinet

A.           L’alinéa 1003b) de l’ancien C.p.c. : la « cause défendable » contre Cabinet

[34]                         Les appelantes allèguent l’absence de cause défendable contre Cabinet. À cet égard, la juge de première instance conclut qu’il n’existe aucune apparence sérieuse de droit pour un éventuel recours contractuel contre Cabinet, en raison de l’absence de lien contractuel entre Cabinet et M. Asselin. La juge constate l’absence d’une quelconque inexécution fautive des conventions de dépôts, des contrats qui ne lient pas Cabinet, et conclut également qu’aucune faute contractuelle particularisée ne peut être reprochée à Cabinet (2016 QCCS 839, par. 70 et 82 (CanLII)). En l’absence de contrat signé ou de mandat, Cabinet n’est pas contractuellement responsable envers l’intimé ou les autres membres du groupe, ce qui fait échec, aux yeux de la juge, à la thèse proposée par l’intimé à sa requête (par. 136).

[35]                         On sait que la Cour d’appel y voit une erreur. Pour elle, le recours contractuel contre Cabinet n’est pas fondé sur les conventions de dépôt. La requête et la preuve administrée au support des allégations confirment que Mme Blanchette, la planificatrice de Cabinet qui offrait conseil à l’intimé M. Asselin, est une employée ou mandataire de Cabinet, à l’instar de celles et ceux qui ont conseillé les autres membres du groupe (par. 51, note 63; et par. 52, note 66). Ces représentants ont lié Cabinet aux membres du groupe par un contrat relatif à des conseils d’investissement, contrat qui existait indépendamment des conventions de dépôt conclues avec les Caisses (par. 49‑82).

[36]                         À l’audience devant notre Cour, les appelantes ont reconnu, à bon droit, que la juge de première instance a erré sur ce point et qu’un contrat existe entre Cabinet et les membres du groupe. L’avocat admet donc que Mme Blanchette et les autres conseillers financiers sont des représentants de Cabinet — ses employés ou mandataires — et qu’à ce titre, leurs fautes peuvent engager la responsabilité contractuelle de Cabinet (transcription, p. 10 et 19). Le fondement contractuel de la responsabilité de Cabinet ne fait donc plus partie du débat.

[37]                         L’existence de ce lien contractuel entre Cabinet et les membres du groupe est un élément fondamental du syllogisme juridique proposé, qui permet d’aller rechercher la responsabilité contractuelle de Cabinet. Cela étant, je ne puis souscrire à l’opinion que la Cour d’appel serait intervenue sur cette conclusion en l’absence d’erreur manifeste et déterminante ou d’erreur de droit commise par la première juge. Avec égards, il me semble tout aussi difficile de soutenir que la Cour d’appel aurait réécrit ou « réorienté » la cause d’action de l’intimé (m.a., par. 28; motifs de la juge Côté, par. 236). À mon sens, la concession des appelantes que la juge a erré en refusant de reconnaître le lien contractuel entre Cabinet et les membres du groupe est fondamentale. Cette erreur démontre que le syllogisme juridique proposé n’a tout simplement pas été compris par la juge de première instance, et elle suffit amplement à justifier l’intervention de la Cour d’appel à l’égard du recours proposé contre Cabinet pour ce qui est de cette condition.

[38]                         Malgré leur concession, les appelantes soutiennent que les allégations de la requête sont insuffisantes, aux fins de l’évaluation requise à l’al. 1003b) de l’ancien C.p.c., pour autoriser le recours collectif. Selon elles, l’intimé ne formulerait que des « allégations vagues, générales et imprécises » relatives aux fautes de Cabinet. Dans les circonstances, disent les appelantes, de telles allégations devraient être appuyées par une certaine preuve; or, en l’occurrence, cette preuve s’avèrerait absente.

[39]                         Plus précisément, les appelantes soutiennent que tous les documents produits par l’intimé faisant état de supposées fausses représentations proviennent des Caisses, émettrices des dépôts à capital garanti, et non de Cabinet. Ces documents ne peuvent suppléer à l’insuffisance des allégations de faute à l’endroit de Cabinet et ne peuvent fonder la responsabilité de cette dernière. La juge de première instance l’aurait bien vu : les quelques pièces qui émanent de Cabinet, tels les formulaires de planification de l’intimé, ne contiennent aucune représentation spécifique relative aux dépôts à capital garanti.

[40]                         Ces arguments doivent être rejetés. À mon avis, il n’y a pas, en l’espèce, une absence d’allégations. Au contraire, les allégations sont suffisamment précises selon la norme applicable et, de surcroît, elles sont appuyées par une « certaine preuve » au sens des arrêts Infineon et Oratoire.

(1)          Les allégations de la requête

[41]                         Une fois que l’on constate — contrairement à ce que la première juge retient du dossier — qu’un contrat existe, les allégations de fait relatives à la double faute deviennent facilement identifiables, de sorte qu’elles doivent être tenues pour avérées au stade de l’autorisation.

[42]                         Voyons de plus près le syllogisme juridique proposé, syllogisme qui se fonde sur un manquement de Cabinet à son devoir d’information. Dans sa requête, M. Asselin explique dès le sommaire qu’il reproche aux appelantes d’avoir « manqué et contrevenu aux obligations et aux devoirs d’information, de compétence et de gestion » (d.a., vol. II, p. 105, par. 2 (je souligne)). Les appelantes auraient, selon les termes de la requête, omis d’« informer adéquatement les membres du Groupe » (p. 105, par. 5 (je souligne)) des opérations risquées effectuées avec les sommes confiées par les membres. Au niveau du préjudice, M. Asselin explique la perte de rendement subie en raison de stratégies d’investissement risquées (par. 8); au niveau de la causalité, il affirme qu’il « n’aurait jamais accepté d’investir dans les Placements PP et GA si les intimées [ici les appelantes] l’avaient informé adéquatement des risques liés à ces placements » (p. 106, par. 10 (je souligne)). Tel est le syllogisme juridique proposé par M. Asselin à l’égard du recours proposé contre Cabinet.

[43]                         Les fautes sont décrites avec suffisamment de précision, et l’information manquante à l’échelle du groupe vise entre autres le niveau de risque des placements, leur volatilité et leur fonctionnement, notamment leur effet de levier. On a d’abord les par. 107 et 107.1 de la requête : Cabinet décrit les placements comme « sécuritaires et s’adressant à un investisseur ayant une faible tolérance au risque », et Cabinet n’instruit pas suffisamment ses représentants « quant aux caractéristiques et aux risques des Placements » (d.a., vol. II, p. 147). Dans les deux cas, M. Asselin formule des reproches directs à Cabinet. Possédant le monopole de l’information quant à la structure et aux caractéristiques des placements, Cabinet avait le devoir d’informer ses représentants afin qu’ils puissent à leur tour en informer leurs clients. En l’absence d’instruction adéquate sur les placements, les représentants « ne pouvaient donc pas juger de leurs avantages et de leurs inconvénients » (p. 147, par. 107.1).

[44]                         Une allégation explicite des fautes commises par les représentants se trouve notamment au par. 107.2 de la requête : « Les informations transmises par les représentants de Desjardins Services Financiers aux membres du Groupe étaient donc nécessairement incorrectes ou insuffisantes, voire fausses, trompeuses ou susceptibles d’induire en erreur » (d.a., vol. II, p. 147). La responsabilité de Cabinet pour ces fautes est également alléguée, puisque l’intimé explique que Cabinet est « responsable des représentants en épargne collective et des planificateurs financiers qui exercent leurs activités dans le réseau des caisses populaires » (p. 110, par. 30), et, plus spécifiquement, qu’il est, « [d]ans le cadre du présent litige, [. . .] responsable des représentants qui ont offert des Placements PP et GA et sollicité les dépôts des membres du Groupe dans le réseau des caisses populaires du Mouvement Desjardins » (p. 110, par. 32).

[45]                         On comprend donc que le recours proposé se fonde non pas sur l’inexécution des conventions de dépôt, mais plutôt sur un manquement généralisé et systématique au devoir d’information. Monsieur Asselin reproche à Cabinet d’avoir systématiquement manqué à son devoir d’information en n’informant pas adéquatement l’ensemble des représentants du risque et des caractéristiques des placements (la faute dite « directe »). Munis d’information fausse, trompeuse ou incomplète, les représentants ont alors, selon les faits allégués de la requête, également omis d’informer adéquatement les membres du groupe (la faute dite « indirecte »). La « double faute » reprochée à Cabinet, et le fondement du recours, est un manquement généralisé et systématique au devoir général d’information qui incombe à Cabinet. Sachant que Cabinet n’interagit avec les membres du groupe que par le truchement de ses représentants, cette « double faute » identifiée par la Cour d’appel désigne en d’autres mots les deux côtés d’une même médaille, soit le manquement de Cabinet à son devoir d’information tant envers les membres du groupe directement, par elle‑même, qu’indirectement, via ses représentants.

[46]                         La requête précise, aux par. 73.7 et 73.8, que les documents promotionnels utilisés par les représentants auprès de leurs clients insistent sur le potentiel de rendement supérieur, régulier et peu volatile des placements litigieux. « Toutefois », lit-on à la requête, « ces documents n’exposent aucunement les risques liés à ces placements, mis[e] à part une mention parfois présente en note de bas de page à l’effet que les rendements peuvent être nuls » (d.a., vol. II, p. 124 (soulignement omis)).

[47]                         Voilà une allégation de l’omission de divulguer les risques qui, selon l’intimé, est généralisée à l’échelle du groupe et constitue le même manquement par Cabinet à son devoir contractuel d’information reproduit systématiquement pour chaque membre du groupe. L’analyse du reproche fait à Cabinet doit tenir compte de la nature même du fait fautif commis — une omission est, par définition, caractérisée par une absence d’information. La responsabilité de Cabinet aurait « sa source dans la négation ou l’omission de divulguer », pour employer une expression utile tirée d’un autre contexte (voir Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2019 QCCA 358, 55 C.C.L.T. (4th) 1, par. 813). Il n’est donc pas question, à mon avis, de rechercher une quelconque faute particularisée de la représentante, Mme  Blanchette : la requête allègue des fautes d’omission commises systématiquement par Cabinet et par ses représentants.

[48]                         La requête apporte, aux par. 73.9 et 73.10 ainsi qu’aux par. 73.26 à 73.30, d’autres précisions quant aux manquements du même genre. Ailleurs encore, on met l’accent sur les fautes commises par omission, au regard de la responsabilité tant directe qu’indirecte de Cabinet. Après avoir expliqué l’effet de levier des produits financiers, l’intimé allègue « qu’en aucun temps les [appelantes] n’ont expliqué aux membres du Groupe le fonctionnement des Placements » (d.a., vol. II, p. 114, par. 52); au par. 107.1.1, l’intimé fait référence aux documents administrés en preuve, en alléguant que ceux-ci « n’expliquent pas, ou de manière très incomplète, l’effet de levier utilisé pour obtenir le rendement des Placements PP et GA »; au par. 107.1.2, l’intimé ajoute que « [c]es documents se contentent de décrire de manière incomplète les Placements PP et GA et étalent les avantages de ces placements sans décrire les risques liés aux Placements PP et GA » (p. 147 (soulignement omis)).

[49]                         D’une façon ou d’une autre, M. Asselin allègue que Cabinet n’a jamais « dévoilé aux membres du Groupe les risques liés aux problèmes de liquidité et au levier financier » des placements (d.a., vol. II, p. 148, par. 110). Monsieur Asselin explique que les membres du groupe « ne pouvaient pas savoir, même avec toute la diligence voulue » (p. 148, par. 115) que Gestion employait des stratégies d’investissements risquées non dévoilées. Cabinet a, de plus, « fait des représentations fausses et trompeuses aux membres du Groupe [. . .] relativement à la corrélation avec les marchés boursiers » (p. 148, par. 116).

[50]                         En conséquence de ces faits, la requête allègue que Cabinet « a manqué à ses obligations et devoirs d’information prévus à la loi » (d.a., vol. II, p. 149, par. 118), et que Cabinet est donc contractuellement responsable (p. 154, par. 145).

(2)          La suffisance des allégations

[51]                         Ces allégations suffisent-elles à remplir la condition prévue à l’al. 1003b) de l’ancien C.p.c.?

[52]                         Dans l’arrêt Oratoire, le juge Brown explique, pour la majorité, que « [l]e fardeau qui incombe au demandeur au stade de l’autorisation consiste simplement à établir l’existence d’une “cause défendable” eu égard aux faits et au droit applicable », un seuil qu’il qualifie de « peu élevé » (par. 58; voir aussi Infineon, par. 65 et 67).

[53]                         Respectueusement dit, soutenir que le rôle des juges d’autorisation à cette étape n’est pas seulement de filtrer les demandes d’autorisation apporte un changement au droit applicable (motifs de la juge Côté, par. 218 et 220-221). Aucune des références citées à cet effet (Infineon, par. 59, Vivendi, par. 37, et Oratoire, par. 7, cités dans les motifs de la juge Côté, par. 220) ne présente la fonction de filtrage des recours frivoles comme distincte de la vérification du respect des conditions de l’art. 1003 de l’ancien C.p.c. (voir aussi à cet égard Lafond, p. 116, cité avec approbation dans Oratoire, par. 56 : « . . . l’étape de l’autorisation n’existe que pour écarter les demandes frivoles ou manifestement mal fondées en fait ou en droit, comme le souhaitait initialement le législateur »).

[54]                         Avec égards, je trouve inopportun de raviver un débat qui, pourtant, a été tranché par la Cour aussi récemment que l’année dernière. Dans l’arrêt Oratoire, la juge dissidente a aussi proposé que « bien que le tribunal doive bien sûr filtrer d’entrée de jeu les demandes frivoles ou manifestement non fondées, le critère applicable à la condition prévue au par. 575(2) C.p.c. est distinct et, surtout, plus exigeant » (par. 207). Or, huit juges ont exprimé un avis contraire.

[55]                         Le juge Brown a expliqué, pour la majorité, qu’« il n’y a en principe pas lieu pour le tribunal, au stade de l’autorisation, de se prononcer sur le bien-fondé en droit des conclusions au regard des faits allégués. Il suffit que la demande ne soit ni “frivole” ni “manifestement non fondée” en droit » (par. 58). En effet, le juge Brown a explicitement noté que, « [c]omme l’a expliqué notre Cour dans Infineon, “le tribunal, dans sa fonction de filtrage, écarte simplement les demandes frivoles”, et ce, afin “de s’assurer que des parties ne soient pas inutilement assujetties à des litiges dans lesquels elles doivent se défendre contre des demandes insoutenables” » (par. 56 (soulignement dans l’original)). Il réfère ensuite à deux autres paragraphes de l’arrêt Infineon dans lesquels les juges LeBel et Wagner (maintenant juge en chef) indiquent sans équivoque que « l’étape de l’autorisation vise uniquement à écarter les demandes frivoles » (par. 56, citant Infineon, par. 150; voir aussi par. 125). Les juges majoritaires dans l’arrêt Oratoire ont également constaté, en s’appuyant notamment sur les arrêts Infineon et Theratechnologies, que leur approche était déjà bien établie dans la jurisprudence et la doctrine (voir par. 56 et 58).

[56]                         D’ailleurs, comme l’a noté le juge Brown en réponse aux commentaires formulés par la juge Côté dans Oratoire, sa position était partagée par le juge Gascon et ce serait une erreur de soutenir « qu’écarter les demandes frivoles ou manifestement mal fondées ne constitue pas le “critère retenu par le législateur” mais seulement “l’un des objectifs du processus d’autorisation” » (par. 61 (en italique dans l’original)). Conscient du fait que d’aucuns aimeraient voir la Cour raffermir le processus d’autorisation, le juge Brown a observé qu’il est cependant « possible de dire [que les arrêts Infineon et Vivendi] ont été entérinés par le législateur québécois lors de l’entrée en vigueur du nouveau C.p.c. » (par. 62).

[57]                         En l’espèce, le fardeau de démontrer « une “cause défendable” eu égard aux faits et au droit applicable » est satisfait (Oratoire, par. 58). La cause d’action proposée par M. Asselin n’est ni frivole ni manifestement non fondée.

[58]                         Au contraire, le syllogisme juridique proposé est tout à fait défendable : la personne prestataire de services financiers est bien soumise à un devoir d’information, et le non-respect de ce devoir peut donner lieu à une responsabilité civile dont le commettant ou le mandant de la conseillère financière fautive doit répondre (voir Laflamme c. Prudentiel-Bache Commodities Canada Ltd., 2000 CSC 26, [2000] 1 R.C.S. 638, par. 30‑31; R. Crête et C. Duclos, « Les sanctions civiles en cas de manquements professionnels dans les services de placement », dans R. Crête et autres, dir., Courtiers et conseillers financiers. Encadrement des services de placement (2011), 361, p. 394; Souscripteurs du Lloyd’s c. Alimentation Denis & Mario Guillemette inc., 2012 QCCA 1376, par. 16-17 (CanLII)).

[59]                         En effet, comme l’explique la Cour d’appel, les membres du groupe sont liés à Cabinet par « un contrat de service au sens de l’art. 2098 C.c.Q. ou encore, si le service n’est pas directement rémunéré, d’un contrat sui generis s’y apparentant » (par. 54). Dans un contrat ayant pour objet le conseil, l’obligation de conseil constitue la prestation de base, alors que l’obligation d’information constitue une obligation accessoire (voir D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (3e éd. 2018), no 2004).

[60]                         Il importe de comprendre la distinction entre conseil et information, deux devoirs « théoriquement distincts l’un de l’autre » (Lluelles et Moore, no 2002 (note en bas de page omise)). Cette distinction sera également pertinente dans l’analyse des questions communes.

[61]                         Fondé sur l’obligation générale de bonne foi (art. 6, 7 et 1375 C.c.Q.), le devoir d’information concerne tous les contrats et vise en principe toutes les parties contractantes (Lluelles et Moore, nos 2001 et 2003). Le Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues : Les obligations (2003) définit l’ « obligation de renseignement(s) » (ou d’information) comme l’« [o]bligation de divulguer des faits à celui qui, afin de régler son comportement, peut légitimement s’attendre à ce qu’on les lui dévoile » (p. 231). L’ « obligation de conseil » est plutôt l’« [o]bligation de donner un avis à une personne, dans l’intérêt de celle-ci » (p. 229). Le devoir d’information est moins onéreux et moins particularisé que l’obligation de conseil (M. Fabre-Magnan, De l’obligation d’information dans les contrats : Essai d’une théorie (1992), nos 471-472; F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil : Les obligations (11e éd. 2013), no 455; J.‑L. Baudouin et P.‑G. Jobin, Les obligations (7e éd. 2013), par P.-G. Jobin et N. Vézina, no 306). Comme notre Cour l’a expliqué dans l’arrêt Laflamme :

[Le] devoir de conseil exige de la part du gestionnaire qu’il fasse part au client de ses connaissances et de son expertise, et les utilise dans le but de mieux servir les intérêts de ce dernier eu égard aux objectifs visés. Ce devoir de conseil se distingue cependant de l’obligation d’informer dont le contenu revêt plutôt une certaine précision objective. [Je souligne; par. 33.]

[62]                         Ainsi, l’obligation principale d’un conseiller financier, et de sa firme, est d’offrir des conseils adaptés au client. Monsieur Asselin invoque cependant l’obligation accessoire de Cabinet et de tous les représentants de présenter les caractéristiques et les risques associés aux placements, c’est-à-dire de fournir à chaque client de l’information objective telle que celle concernant l’effet de levier. C’est là le fondement du syllogisme juridique proposé, mal compris en première instance lorsque la juge a amalgamé devoir de conseil et devoir d’information.

[63]                         Dans l’arrêt Banque de Montréal c. Bail Ltée, [1992] 2 R.C.S. 554, la Cour a observé que l’étendue de l’obligation d’information s’apprécie en fonction des critères suivants : « [1] la connaissance, réelle ou présumée, de l’information par la partie débitrice de l'obligation de renseignement; [2] la nature déterminante de l’information en question; [3] l’impossibilité du créancier de l’obligation de se renseigner soi-même, ou la confiance légitime du créancier envers le débiteur » (p. 586‑587).

[64]                         Le premier point ne soulève aucun doute puisque Cabinet connaît ou est présumée connaître les caractéristiques des placements qu’elle conseille. La requête allègue en sus que les appelantes « savaient dès l’année 2007 qu’une crise des liquidités affectant les fonds de couverture surviendrait » (d.a., vol. II, p. 148, par. 114), rendant les placements d’autant plus instables. Sur le deuxième point, M. Asselin allègue qu’il a fait les investissements en question « sur la foi de l’ensemble [des] informations » communiquées et transmises par Mme  Blanchette (p. 144, par. 89-91) et qu’il « n’aurait jamais accepté d’investir dans les Placements PP et GA si les [appelantes] l’avaient informé adéquatement des risques liés à ces placements » (p. 106, par. 11). Selon la requête, c’est donc dire que l’information serait déterminante. Sur le troisième point, la requête allègue que « [l]es membres du Groupe n’ont pas été en mesure et ne pouvaient pas savoir, même avec toute la diligence voulue, que [Gestion] utilisait un effet de levier important susceptible d’anéantir toute possibilité d’obtenir un rendement à l’échéance » (p. 148, par. 115), alléguant ainsi l’impossibilité de se renseigner.

[65]                         Bref, à ma lecture, et en tout respect pour l’avis contraire, le texte de la requête permet de comprendre le syllogisme proposé, sans besoin de réorienter la cause d’action ou de la deviner. Non seulement la Cour d’appel a-t-elle parfaitement compris qu’il y avait un lien de droit contractuel entre Cabinet et l’intimé, mais elle a souligné, à bon droit, que le recours collectif entrepris contre Cabinet repose, en partie, sur le manquement au devoir d’information imposé par le contrat. Les allégations pertinentes font état de fautes d’omission qui seraient imputables à Cabinet.

[66]                         Je conclus donc que, contrairement aux prétentions des appelantes, les allégations suffisent à établir une cause défendable à l’encontre de Cabinet. Le syllogisme proposé n’est ni frivole, ni manifestement non fondé en droit. Les allégations sont suffisamment précises pour être tenues pour avérées. Or, même si on devait conclure que les allégations manquent de précision, elles trouvent, à mon avis, un fondement suffisant dans la preuve administrée.

(3)          La preuve

[67]                         Les appelantes avancent que les prétentions de l’intimé ne sont pas appuyées par des faits « concrets », « précis » ou « palpables » (Oratoire, par. 25, motifs majoritaires du juge Brown). Or, affirment-elles, la majorité dans l’arrêt Oratoire justifie sa conclusion en se référant à un « Tableau des victimes » administré en preuve. Ce tableau énumérant une quarantaine de victimes et une trentaine d’agresseurs exposait « des faits “précis et palpables” qui [soutenaient] en eux-mêmes la prétention de J.J. selon laquelle la Congrégation avait connaissance des agressions qui auraient été commises par ses membres sur des enfants » (par. 23), ce fait pouvant être prouvé par présomption. D’après les appelantes, il n’y aurait rien de comparable dans la preuve administrée par l’intimé qui permettrait de suppléer à ses allégations insuffisantes.

[68]                         Je ne partage pas cet avis, pour trois raisons.

[69]                         Premièrement, la requête n’allègue pas une fausse représentation positive; elle allègue une omission. Dans l’arrêt Oratoire, à l’inverse, on cherchait une preuve de faits fautifs positifs — des agressions contre des mineurs — dont le fardeau de preuve ultime revenait au requérant.

[70]                         En matière contractuelle, le fardeau de preuve est tributaire de l’intensité de l’obligation. En l’espèce, l’omission alléguée correspond à un manquement au devoir d’information qui, contrairement au devoir de conseil, est une obligation de résultat (Lluelles et Moore, no 2002). Or, dans le cadre d’une obligation de résultat, « la simple preuve par le créancier de l’absence du résultat suffit à faire présumer la responsabilité du débiteur » (Jobin et Vézina, no 40; voir aussi Lluelles et Moore, no 108). Ainsi, selon la doctrine, la charge de prouver la transmission de l’information incombe à la partie débitrice, en l’occurrence les appelantes. En d’autres mots, une preuve que M. Asselin n’a pas reçu l’information qui lui était due ferait passer la charge de démontrer que l’information a été transmise — c’est-à-dire qu’il n’y a pas eu d’omission — aux appelantes. Autrement, explique la professeure Fabre-Magnan, si un créancier de l’obligation d’information devait, pour obtenir gain de cause, apporter une preuve que son cocontractant ne l’a pas informé, il « serait tenu de démonter une proposition négative indéfinie, ce qui est loin d’être aisé, voire impossible » (no 545).

[71]                         Pourquoi cela importe-t-il ici? À l’étape de l’autorisation, le requérant a le fardeau de démontrer le caractère défendable du syllogisme juridique proposé, et non le fardeau de prouver chacun des éléments du syllogisme selon la norme habituelle en matière civile de prépondérance des probabilités (Oratoire, par. 58). La juge de la Cour supérieure a utilisé la mauvaise norme pour tester les conditions énoncées aux al. 1003a) et 1003b) en écrivant que le requérant « n’a pas démontré la communication concrète par un représentant des documents ou informations allégués » (par. 212 (je souligne)). Pour apprécier la suffisance de la preuve et des allégations soumises, il fallait plutôt tenir compte des particularités du contexte et de ce qui devra ou non être prouvé au procès. Ici, nous faisons face à des allégations d’omissions et un fardeau de preuve allégé au fond à certains égards. Dans ce contexte, la preuve apportée par M. Asselin au soutien d’allégations qui, de toute façon, doivent être présumées avérées est plus que suffisante.

[72]                         Il n’est donc pas surprenant que le recours puisse être autorisé en l’absence d’une preuve prépondérante que l’information n’a pas été transmise. Les appelantes, si elles avaient eu une preuve que l’information a bien été transmise aux membres et aux représentants, auraient pu demander la permission du tribunal pour la présenter. On sait que le débat quant à la suffisance de la preuve d’un éventuel manquement revient au procès sur le fond. Le constat que les allégations sont appuyées d’une certaine preuve à ce stade-ci ne lie pas le tribunal sur le fond et n’implique aucune perte de droits pour les appelantes, qui auront tout le loisir de présenter une preuve au procès et d’y avancer l’argument que les documents promotionnels ne peuvent fonder un manquement au devoir d’information de Cabinet. Rappelons que le présent stade des procédures ne fait qu’autoriser le dépôt de la requête introductive d’instance; le jugement sur requête pour autoriser le recours ne constitue « qu’une décision préliminaire susceptible d’être modifiée au cours du procès, voire avant, et qui ne préjuge pas du résultat de la contestation finale » (Lafond, p. 116-117 (notes en bas de page omises)).

[73]                         Deuxièmement, M. Asselin a déposé nombre de documents pour appuyer des allégations concernant l’omission par Cabinet de divulguer, à l’ensemble de la clientèle, les risques associés aux méthodes de gestion des placements. Le dépôt de ces pièces permet d’illustrer l’absence de mise en garde adéquate quant à ces risques, appuyant ainsi le caractère vraisemblable des allégations. Les omissions font voir le caractère déficient des documents en question et, de ce fait, elles confirment la possibilité qu’une omission ait été commise systématiquement par tous les représentants de Cabinet.

[74]                         Les appelantes affirment que ces documents ne contiennent aucune preuve d’une quelconque fausse représentation, de sorte que l’on ne pourrait y voir la « certaine preuve » dont on a besoin pour clarifier et préciser les allégations vagues et imprécises de la requête. Or, les documents ne cherchent pas à offrir une preuve de ce qui a été dit mais plutôt, dans le cadre d’allégations faites quant aux fautes imputables à Cabinet, de ce qui n’a pas été dit. Encore ici, la Cour d’appel y voit juste, expliquant, au par. 149 de ses motifs : « . . . ce n’est pas sur ces documents que [l’intimé Asselin] fonde sa demande [. . .] et son éventuelle action à l’endroit de [Cabinet], c’est sur le fait (allégué) que [Cabinet] et ses représentants ne l’ont pas prévenu ni n’ont prévenu les autres membres du groupe des risques véritables associés aux placements PP et GA ». Les documents sont un moyen pour tendre vers cette fin, et non une fin en soi. Exiger une démonstration plus ample de manquements au stade de l’autorisation — par exemple en insistant sur le besoin d’une preuve que ces documents ont été effectivement transmis à tous les membres — risquerait de transformer cette étape préliminaire en véritable procès. Certes, l’étape de l’autorisation est plus qu’une simple formalité, mais elle est aussi beaucoup moins qu’un véritable procès. Comme l’explique le professeur Lafond, « la requête pour autorisation doit être traitée pour ce qu’elle est : un simple mécanisme de filtrage, une procédure préliminaire qui ne doit d’aucune façon empiéter sur le fond du litige » (p. 134). C’est surtout là le risque auquel nous sommes confrontés en l’espèce et pour lequel, respectueusement dit, la juge de première instance a manqué de vigilance.

[75]                         Quelle importance doit-on accorder au fait que certains de ces documents « n’émanent pas » de Cabinet mais, comme le soulignent les appelantes, qu’ils aient été confectionnés par les Caisses?

[76]                         Aucune. Cabinet, par le biais de ses représentants, a choisi d’utiliser ces documents dans le cadre de l’exécution de son contrat auprès de l’intimé et de certains autres membres du groupe. La requête est claire à cet égard (par. 73.20, 73.23, 73.34, 73.42, 73.48, 73.69, 89.3 et 89.4). Or, quelle qu’en soit la provenance, lorsque Mme  Blanchette transmet à M. Asselin des documents pour lui fournir de l’information, elle lui parle et peut ainsi lier Cabinet.

[77]                         Ainsi, ce n’est pas tant la provenance des documents qui est pertinente au caractère défendable de la cause que l’intimé cherche à faire valoir à l’encontre de Cabinet, mais plutôt l’utilisation et la transmission de ces documents par Cabinet. Cette utilisation et cette transmission par Cabinet — et le choix de Cabinet et de ses représentants de s’y fier — seraient une preuve du manquement au devoir contractuel d’information allégué à l’appui de sa responsabilité contractuelle indirecte. Ces mêmes documents seraient aussi, en raison de l’omission de faire état des risques associés aux placements litigieux, une preuve que l’instruction donnée aux représentants par Cabinet serait inadéquate, appuyant l’allégation d’une responsabilité contractuelle directe. Cette preuve devra, bien entendu, être testée lors du procès sur le fond, mais elle suffit à autoriser le recours.

[78]                         Ajoutons que la dispense de prospectus qu’accorde la législation ayant trait aux valeurs mobilières est tout aussi sans pertinence aux allégations de manquements au devoir contractuel d’information et au défaut de bien former les représentants. Requis ou non, un document d’allure officielle transmis par une conseillère financière peut tromper une investisseuse ou un investisseur s’il contient de l’information fausse ou incomplète. Les appelantes ont donc tort de plaider, comme elles l’ont faite à l’audience, que les documents ne peuvent fonder une faute directe de Cabinet lorsque l’émetteur — les Caisses — n’est pas tenu de fournir de l’information aux investisseurs en vertu des lois applicables. Que ces documents soient nécessaires ou non aux fins de respecter les exigences législatives n’est pas déterminant; ce qui importe, c’est qu’ils ont été utilisés par les représentants et qu’ils sont, selon la requête, déficients. L’intimé allègue que Cabinet a manqué à ses obligations. L’utilisation par Cabinet des documents est une « certaine preuve » qui, si besoin est, vient donner encore plus de précisions aux allégations des manquements qui constitueraient, selon l’expression de la Cour d’appel, la « double faute » de Cabinet.

[79]                         Troisièmement, l’interrogatoire avant audition de M. Asselin constitue également un élément de preuve pertinent. Les auteurs Lluelles et Moore notent qu’en matière « [d]’inexécution d’une obligation de faire, comme l’absence de conseil ou d’information, la question du fardeau de la preuve est plus délicate, car le manquement équivaut à un fait négatif, en soi difficile à établir de manière convaincante » (no 2014, note 259). Or, ils ajoutent que cette preuve peut être faite par simple témoignage : « le créancier de l’obligation de renseignement ou de conseil devrait affirmer sous serment qu’il n’a pas reçu pareil renseignement ou conseil, ce qui permettrait d’établir que le débiteur n’a pas donné ce renseignement ou ce conseil » (no 2014, note 259 (en italique dans l’original)). Évaluer la crédibilité de M. Asselin et la valeur probante de ses affirmations relève du procès sur le fond.

[80]                         Contrairement aux prétentions des appelantes, ce n’est pas le fait que M. Asselin soit « heureux » de ses rapports avec sa conseillère Mme Blanchette qui serait d’une quelconque importance ici, mais plutôt qu’il lui faisait confiance et qu’aux termes de leurs entretiens, il n’était pas correctement informé du risque affectant ce genre de placement. Son interrogatoire le confirme. La thèse de l’intimé est que tous les investisseurs se sont trouvés dans la même situation.

[81]                         En conclusion, non seulement les allégations sont présentes et suffisamment précises, mais elles sont également appuyées par la preuve au dossier. Rappelons qu’au Québec, la partie demanderesse n’est pas tenue, contrairement à ce qui est requis dans le reste du pays, de « démontre[r] que sa demande repose sur un “fondement factuel suffisant” » (Oratoire, par. 58, citant Infineon, par. 128). En l’espèce, exiger une preuve documentaire déterminante du défaut d’information serait non seulement excessif à l’étape de l’autorisation, mais ce serait également imposer à M. Asselin un fardeau plus onéreux que celui auquel il devra faire face lors du procès sur le fond, puisque l’omission peut se prouver par tous les moyens, y compris le témoignage et l’inférence.

[82]                         Loin de lire la requête en diagonale ou de traiter l’étape de l’autorisation comme une simple formalité, la Cour d’appel s’est livrée à une analyse serrée et rigoureuse de la requête. Les appelantes ne démontrent aucune erreur de sa part quant à la cause défendable à l’encontre de Cabinet.

B.            L’alinéa 1003a) de l’ancien C.p.c. : la question de droit ou de fait identique, similaire ou connexe pouvant faire avancer de façon non négligeable la cause d’action contre Cabinet.

[83]                         Contrairement à la juge de première instance, la Cour d’appel a déterminé à bon droit qu’un manquement généralisé et systématique au devoir d’information soulevait des questions communes.

[84]                         Rappelons qu’à l’étape de l’autorisation, la jurisprudence québécoise et de la Cour commande « une conception souple de l’intérêt commun qui doit lier les membres du groupe » (Vivendi, par. 54). Ainsi, « même si les circonstances varient d’un membre du groupe à l’autre, le recours collectif pourra être autorisé si certaines questions sont communes » (Vivendi, par. 58). Il ressort clairement de la jurisprudence que « [l]e fait que tous les membres du groupe ne sont pas dans des situations parfaitement identiques, ne prive pas celui-ci de son existence ou de sa cohérence » (Infineon, par. 73, citant Guilbert c. Vacances sans Frontières Ltée, [1991] R.D.J. 513, p. 517) et que « [l]e seuil nécessaire pour établir l’existence des questions communes à l’étape de l’autorisation est peu élevé » (par. 72).

[85]                         Alors que certaines juridictions demandent que les questions communes soient prédominantes, au Québec, une seule question commune suffit, tant qu’elle fait progresser le litige de manière non négligeable. Les juges LeBel et Wagner (maintenant juge en chef) l’ont bien expliqué pour une Cour unanime dans l’arrêt Vivendi (voir par. 58; voir aussi Oratoire, par. 15, 18 et 20). Je me permets également de rappeler que le C.p.c. ne requiert pas une réponse commune, mais bien une question commune (Vivendi, par. 51).

[86]                         La question de savoir si Cabinet a mal informé ses représentants, menant ainsi à une omission généralisée et systématique d’informer les clients investisseurs est, par définition, une question commune à tous les membres du groupe. Y répondre ferait progresser le litige de façon non négligeable. Il y a même de fortes chances que la réponse à la question soit la même pour tous les membres, vu la nature des allégations, bien qu’il ne soit pas nécessaire de le démontrer à ce stade. Une démonstration du caractère systématique du manquement de Cabinet n’est pas non plus nécessaire au stade de l’autorisation. Cette question exige la même analyse et « son importance [est] susceptible d’influencer le sort du recours collectif » (Infineon, par. 72).

[87]                         La jurisprudence nous enseigne que chercher à savoir si la question commune est prépondérante nous distrait de la question au cœur de l’étape de l’autorisation : celle de savoir si la question commune joue un rôle non négligeable dans l’issue du litige (voir Vivendi, par. 60; Oratoire, par. 20). Une question commune peut faire avancer le litige même si de nombreuses questions individuelles demeurent.

[88]                         Je dois donc respectueusement exprimer mon désaccord avec l’affirmation de ma collègue selon laquelle « [l]’analyse individualisée exigée par le recours éclipse la possibilité de procéder sur une base collective » (par. 247). Cette position risque de dénaturer, à mon humble avis, l’état du droit du recours collectif au Québec. Je rappelle qu’aucune exigence de prédominance des questions communes n’existe dans les conditions énoncées au C.p.c. Le fait que plusieurs questions individuelles demeurent ne signifie pas pour autant que la question commune joue un rôle négligeable dans le recours. Il faut se garder de commettre la même erreur que le juge d’autorisation dans l’arrêt Vivendi, qui s’était « mépris lorsqu’il a insisté sur la possibilité que de nombreuses questions individuelles doivent éventuellement être analysées » (par. 60). La présence de questions communes dans le recours proposé apparaît d’autant plus clairement des allégations lorsqu’on comprend que :

a)         le recours se fonde sur un manquement au devoir d’information;

b)         le devoir d’information peut avoir une portée générale; et

c)         un recours collectif fondé sur la relation conseillère-client pour un tel manquement n’est pas impossible.

Regardons ces trois points tour à tour.

(1)          Le recours se fonde sur un manquement au devoir d’information

[89]                         Les appelantes fondent l’essentiel de leur argumentation devant la Cour sur la proposition suivante : à défaut « d’étayer, de démontrer », pour reprendre l’expression de leur avocat à l’audience, une faute directe de la part de Cabinet ou le caractère systématique des fausses représentations transmises par ses conseillers, on ne peut autoriser un recours collectif fondé sur la relation entre investisseur et conseillère, celle-ci comportant trop d’enjeux individualisés. La Cour d’appel aurait, en autorisant le recours collectif, fait abstraction d’une jurisprudence unanime suivant laquelle les réclamations faites par l’intimé et les autres membres varient nécessairement en fonction du contexte propre à chaque investisseur et de sa tolérance individuelle au risque (selon le concept « know your client » (« bien connaître son client »)). Un recours collectif contre une maison de courtage pour manquement au devoir de conseil serait impossible dans de telles circonstances.

[90]                         Lorsqu’on comprend que le fondement du recours proposé contre Cabinet est un manquement au devoir général d’information (et non au devoir de conseil), la présence de questions communes satisfaisant à la condition de l’al. 1003a) de l’ancien C.p.c. devient évidente. C’est l’omission généralisée et systématique de divulguer l’information sur le risque lié aux placements qui est commune à l’ensemble des membres. Les arguments invoqués par les appelantes sur le devoir de conseil particularisé ne sont donc pas pertinents. Comme la juge de première instance, les appelantes raisonnent à partir d’une lecture incorrecte de la thèse avancée dans la requête.

[91]                         Je m’explique.

[92]                         Comme nous l’avons vu plus haut, le recours proposé par M. Asselin se fonde sur un manquement allégué de Cabinet à son devoir d’information. La requête est limpide à cet égard :

Les fautes

 

Les manquements au devoir d’information

 

107.          Les Placements PP et GA ont été présentés et décrits aux membres du Groupe comme sécuritaires et s’adressant à un investisseur ayant une faible tolérance au risque, tel qu’il sera démontré plus amplement lors de l’audition;

 

107.1        En outre, les représentants de Desjardins Services Financiers n’étaient pas suffisamment instruits quant aux caractéristiques et aux risques des Placements PP et GA et ne pouvaient donc pas juger de leurs avantages et de leurs inconvénients;

 

107.1.1     À cet effet, les documents décrivant les Placements PP et GA [. . .] n’expliquent pas, ou de manière très incomplète, l’effet de levier utilisé pour obtenir le rendement des Placements PP et GA;

 

107.1.2     Ces documents se contentent de décrire de manière incomplète les Placements PP et GA et étalent les avantages de ces placements sans décrire les risques liés aux Placements PP et GA;

 

107.2        Les informations transmises par les représentants de Desjardins Services Financiers aux membres du Groupe étaient donc nécessairement incorrectes ou insuffisantes, voire fausses, trompeuses ou susceptibles d’induire en erreur;

 

108.          Dans les faits, les sommes affectées au rendement du Placement PP et du Placement GA ont été investies dans des fonds de couverture avec un effet de levier de cinq (5) pour un (1), tel qu’il appert de l’article de M. Jean Gagnon intitulé « Pourquoi certains produits à capital garanti de Desjardins ne rapporteront rien », pièce R-14;

 

108.1        Au surplus, les fonds de couverture dans lesquels étaient investies ces sommes utilisaient à leur tour un effet de levier, multipliant alors le risque des Placements PP et GA;

 

109.          L’utilisation de ces stratégies s’est traduite par une perte de cent pour cent (100%) des actifs du Placement PP et du Placement GA affectés au rendement alors que le marché des fonds de couverture n’affichait que des pertes de treize pour cent (13%) au 30 septembre 2008;

 

110.          Toutefois, jamais l’intimée [. . .] Desjardins Services Financiers n’a dévoilé aux membres du Groupe les risques liés aux problèmes de liquidités et au levier financier, malgré le fait qu’elle connaissait ou ne pouvait ignorer ces risques;

 

. . .

 

115.          Les membres du Groupe n’ont pas été en mesure et ne pouvaient pas savoir, même avec toute la diligence voulue, que l’intimée [. . .] Desjardins Gestion d’Actifs utilisait un effet de levier important susceptible d’anéantir toute possibilité d’obtenir un rendement à l’échéance et qui dans les faits a causé la ruine, à l’automne 2008, de la portion du dépôt initial affectée au rendement;

 

116.          De plus, l’intimée [. . .] Desjardins Services Financiers a fait des représentations fausses et trompeuses aux membres du Groupe [. . .] relativement à la corrélation avec les marchés boursiers;

 

117.          Contrairement aux prétentions de l’intimée [. . .] Desjardins Services Financiers, les Placements PP et GA, ont été lourdement affectés par la fluctuation des marchés boursiers;

 

118.          L’intimée [. . .] Desjardins Services Financiers n’a pas informé adéquatement les membres du Groupe et a manqué à ses obligations et devoirs d’information prévus à la loi;

 

119.          Les fautes de l’intimée [. . .] Desjardins Services Financiers concernant les obligations liées à la divulgation d’information s’inscrivent dans le contexte où les Placements PP et GA s’adressaient à une clientèle variée comprenant des personnes ayant une faible connaissance des notions financières; [Je souligne; soulignement dans l’original omis.]

(d.a., vol. II, p. 147-149)

[93]                         La requête fait état d’une désinformation systématique des membres du groupe. En fournissant à ses représentants des documents trompeurs et incomplets, Cabinet les désinforme et ne leur donne pas les moyens d’informer adéquatement les membres du groupe. La requête allègue que l’information transmise aux membres est donc nécessairement incorrecte ou insuffisante, voire fausse, trompeuse ou susceptible d’induire en erreur.

[94]                         Le caractère systématique du manquement de Cabinet est donc clairement allégué. Il n’est pas question de lire dans la requête ce qui ne s’y trouve pas ou de « réorienter » la cause d’action de l’intimé; il suffit de constater et de tenir pour avérée l’allégation de M. Asselin que les représentants de Cabinet étaient insuffisamment instruits des caractéristiques des produits et ne pouvaient donc pas informer à leur tour les membres du groupe.

[95]                         Il importe également de constater qu’il est ici question d’information objective que Cabinet n’a jamais fournie aux représentants et aux membres, concernant notamment l’effet de levier utilisé pour obtenir le rendement et le caractère risqué des placements (par. 107.1.1 et 107.2). Monsieur Asselin n’allègue pas que certains représentants ont fourni aux membres des conseils personnalisés et subjectifs qui ne cadraient pas avec la tolérance aux risques de chacun. Il allègue que l’information essentielle à tous les membres n’a jamais été transmise aux représentants, et qu’elle n’a donc pas pu être communiquée aux membres.

[96]                         Cela étant, M. Asselin identifie des questions communes ayant trait, toujours, au devoir d’information de Cabinet. Les questions communes sont explicitement formulées en fonction du devoir d’information, et non du devoir de conseil :

A)       Les questions de fait et de droit identiques, similaires ou connexes reliant chacun des membres du Groupe aux intimées et que le requérant entend faire trancher par le recours collectif

 

138.    La conformité du produit financier. Les Placements PP et GA sont-ils conformes aux produits financiers que Fiducie Desjardins, Desjardins Services Financiers et Desjardins Gestion d’Actifs ont conçus et/ou offerts aux membres du Groupe?

 

139.    Le devoir d’information. Fiducie Desjardins et Desjardins Services Financiers sont-elles tenues, en vertu de la Loi sur l’assurance-dépôts, de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, du Code civil du Québec, et/ou des règles et/ou usages applicables, à un devoir d’information à l’endroit des membres du Groupe Enregistré en ce qui concerne Fiducie Desjardins et des membres du Groupe Principal en ce qui concerne Desjardins Services Financiers en ce qui a trait à l’offre, la conception et à la gestion des Placements PP et GA?

 

140.    Dans l’affirmative, Fiducie Desjardins et Desjardins Services Financiers sont-elles [sic] contrevenu à ce devoir en omettant d’informer clairement les membres du Groupe Enregistré en ce qui concerne Fiducie Desjardins et les membres du Groupe Principal en ce qui concerne Desjardins Services Financiers que les Placements PP et GA comprendraient des stratégies de placements susceptibles de réduire à néant, avant terme, toute possibilité de rendement? [Soulignement omis.]

(d.a., vol. II, p. 152-153)

[97]                         Malgré ses défauts rédactionnels notés par la Cour d’appel, la requête est limpide pour ce qui est d’identifier le manquement à un devoir d’information comme fondement de la responsabilité contractuelle de Cabinet. À aucun endroit dans la requête n’est-il question d’un manquement à un devoir de conseil particularisé.

[98]                         L’on peut alors s’étonner de l’argumentation des appelantes, qui plaident au premier chef que le devoir de conseil est trop particularisé pour fonder un recours collectif. Certes, un litige fondé sur le devoir de conseil et sur la responsabilité de « bien connaître » son client pourrait mal se prêter à un recours collectif — mais là n’est pas la question. La thèse de la requête n’est pas fondée sur la responsabilité individuelle d’une conseillère financière vis-à-vis de son client particulier qui dépendrait, au cas par cas, de la preuve du profil de chaque client pour savoir effectivement si le placement convenait ou non. « [Ce] n’est pas du tout la base du recours », explique clairement l’avocat de l’intimé devant la Cour d’appel :

La juge, en terminant la juge de première instance va aussi dire que il y a pas lieu de permettre une action collective parce que dans le fond ce qui était invoqué par les requérants c’est la responsabilité d’un conseiller vis-à-vis un client, il va falloir établir, c’est comme dans le cadre d’un mandat de gestion client-gestionnaire, il va falloir établir le profil de chaque client pour savoir effectivement est-ce que le produit lui convenait ou pas. Ce n’est absolument pas le cas, on n’a jamais prétendu, on a même dit à la Cour, elle le mentionne dans son jugement, que nous n’intentions pas une relation fondée sur la responsabilité professionnelle d’un courtier ou d’un conseiller financier vis-à-vis un client. Ça n’est pas du tout la base du recours, la base du recours, le syllogisme juridique soutenu, essentiel, principal de ce recours-là c’est d’avoir représenté un produit comme comportant telle et telle caractéristique alors que le produit ne comportait pas ces caractéristiques-là, et conséquemment d’avoir vendu, ou effectué de fausses représentations, avoir vendu un produit comme étant sécuritaire, y compris sur la portion de rendement, alors qu’il était géré de manière extrêmement spéculative par l’effet de levier, l’utilisation de leviers, dans ce cas ici de un pour cinq (1/5), de cinq (5) pour un (1), et même dans le cas des fonds de couverture, de vingt (20) pour un (1). [Je souligne.]

(d.a., vol. XIII, p. 29-30)

[99]                         Le fondement du recours est le devoir d’information : l’information fournie par Cabinet est, allègue-t-on, systématiquement tronquée, incomplète, trompeuse.

(2)          Le devoir d’information peut avoir une portée générale

[100]                     J’insiste sur la méprise des appelantes sur le fondement du recours proposé parce que l’étendue du devoir d’information et du devoir de conseil n’a pas la même variabilité eu égard au contexte propre de chaque client.

[101]                     Le devoir de conseil qui incombe aux représentants de Cabinet est bel et bien particularisé, comme l’affirment les appelantes et comme le souligne également ma collègue. Elles invoquent une jurisprudence traitant de la particularisation du devoir de conseil sur laquelle je ne juge pas utile de m’attarder, puisque celui-ci n’est pas le fondement du recours. Qu’il suffise de dire que le devoir de conseil qui incombe aux conseillers financiers requiert « la prise en compte de la situation particulière du client, de ses objectifs et de ses attentes » et qu’il « nécessite donc une appréciation subjective afin d’adapter les conseils à la situation spécifique du client » (Crête et Duclos, p. 394‑395 (notes en bas de page omises)).

[102]                     C’est à ce devoir de conseil que renvoie l’argument récurrent du procureur des appelantes à l’audience sur le concept exprimé en anglais comme étant « know your client », soit la responsabilité de la conseillère financière de bien connaître son client et d’adapter ses conseils à la situation de ce dernier. Le conseil offert à chaque client prend en compte son niveau de tolérance aux risques et sa situation financière particulière. Or, ce n’est pas le recours dont la Cour est saisi. Comme le note ma collègue, « l’une des obligations les plus importantes incombant aux courtiers en valeurs mobilières et aux conseillers financiers est celle de connaître son client » (par. 243). Toutefois, cela n’empêche en rien que ces conseillers soient également tributaires d’autres obligations qui, elles, pourraient être plus générales, comme en convient ma collègue (par. 242).

[103]                     En l’occurrence, comme nous l’avons vu, Cabinet et ses représentants sont également débitrices d’un devoir d’information qui coexiste avec le devoir de conseil (R. Crête et C. Duclos, « Le portrait des prestataires de services de placement », dans R. Crête et autres, dir., Courtiers et conseillers financiers. Encadrement des services de placement (2011), 45, p. 65).

[104]                     Ce devoir d’information est, à bien des égards, moins particularisé et par ce fait même plus susceptible que le devoir de conseil de donner lieu à des questions communes. Le devoir de conseil « est de type subjectif et demande beaucoup de dextérité et une connaissance des besoins du cocontractant » (Lluelles et Moore, no 2002). Le devoir d’information, à l’inverse, « est assez aisé de réalisation, puisqu’il consiste simplement à transférer, en cours de contrat, une information importante pour l’autre contractant » (no 2002). Contrairement au devoir de conseil, qui dépend des idiosyncrasies de chaque client, le devoir d’information est donc « surtout largement tributaire de la qualification des parties » (no 2006 (note en bas de page omise)).

[105]                     Ici, la faute alléguée est un manquement à une obligation d’information générale qui affecte chaque membre, et non un manquement à l’obligation particularisée de bien conseiller son client. Ce que reproche M. Asselin à Cabinet et à ses représentants, c’est d’avoir systématiquement omis de transmettre de l’information essentielle et objective sur les caractéristiques des placements. On comprend alors que le manquement allégué au devoir d’information de Cabinet est nécessairement une question commune, indépendamment des particularités de chaque client.

[106]                     Qu’en est-il cependant de la variabilité de l’étendue du devoir d’information en fonction du contexte? Comme nous l’avons vu, l’étendue dépend de « [1] la connaissance, réelle ou présumée, de l’information par la partie débitrice de l’obligation de renseignement; [2] la nature déterminante de l’information en question; [3] l’impossibilité du créancier de l’obligation de se renseigner soi-même, ou la confiance légitime du créancier envers le débiteur ». L’étendue de ce devoir s’apprécie donc en fonction des besoins et des connaissances de la partie créancière. Cela n’exclut aucunement que des circonstances puissent exister où tous les créanciers ont été privés d’information en raison d’une omission systématique. Monsieur Asselin allègue précisément l’existence de telles circonstances, où le « déséquilibre informationnel » (Jobin et Vézina, no 313) et le contrôle de l’information par Cabinet sont communs à tous les membres.

[107]                     La doctrine souligne que la portée du devoir de la partie créancière de s’informer dépend de la possibilité qu’elle a « de connaître l’information ou d’y avoir accès » (Jobin et Vézina, no 314; voir aussi, p. ex., S. Grammond, A.-F. Debruche et Y. Campagnolo, Quebec Contract Law (2e éd. 2016), par. 327). Cette même limite est relevée en droit français, comme le note la professeure Fabre-Magnan, en cas d’« ignorance légitime de l’information par le créancier » (Fabre-Magnan (1992), nos 254 et suiv.; voir aussi J. Carbonnier, Droit civil (2004), vol. II, no 998). Il est vrai que cette ignorance ou impossibilité, même dans le cadre de l’obligation d’information, peut s’apprécier in concreto, en tenant compte des capacités personnelles de celui ou de celle qui prétend être le créancier de l’information. Toutefois, la thèse du recours collectif en l’espèce est fondée sur l’idée que tous les investisseurs se trouvent dans cette situation d’impossibilité en raison des manquements de Cabinet dans la dissémination d’information au sujet des risques à ses propres mandataires et employés.

[108]                     En effet, comme l’allègue la requête, les membres du groupe ne pouvaient pas connaître l’information que possédait Cabinet sur le fonctionnement des placements, « même avec toute la diligence voulue ». Ainsi, le fait que le devoir d’information ne s’étende pas à ce que la partie créancière sait déjà ou est censée savoir est sans conséquence pour la thèse de M. Asselin. À tout événement, si Cabinet veut démontrer que, malgré son silence, certains clients connaissaient déjà ou auraient dû connaître les caractéristiques des placements, cela relève de la défense que cette appelante pourra avancer au procès sur le fond. À ce stade-ci des procédures, les faits allégués doivent être tenus pour avérés, et M Asselin allègue clairement l’impossibilité, pour les clients, de connaître l’information pertinente afin de connaître les caractéristiques des placements. Ainsi, les questions soulevées en rapport avec le manquement allégué de Cabinet sont communes à tous les clients, indépendamment de leur niveau d’éducation financière.

[109]                     De plus, l’argument des appelantes selon lequel l’expertise et la tolérance aux risques sont spécifiques à chaque client est sans conséquence dans la mesure où M. Asselin allègue un manquement général de divulguer une information qui était due à tous les membres et déterminante pour tous les membres. C’est ce qu’explique l’avocat de M. Asselin devant la Cour d’appel :

Alors c’est tout simplement l’équivalent de dire, voici cent (100) personnes, ou mille (1 000) personnes qui ont commandé une voiture de marque, je sais pas moi, Buick, et qui ont reçu une trottinette. Alors on n’a pas besoin d’aller voir pourquoi les gens voulaient, les requérants ou les membres voulaient une voiture, qu’est-ce qu’ils allaient faire avec cette voiture-là, est-ce que c’était bien une voiture qui leur convenait, nul besoin de faire ça.

(d.a., vol. XIII, p. 30-31)

[110]                     Je rappelle que ma collègue reproche à la requête de n’alléguer « aucune faute systématique commise par les représentants de Cabinet, laquelle est essentielle selon [elle] pour conclure à l’existence d’une question commune » (par. 256). Pourtant, comme nous l’avons vu, le par. 107.2 de la requête indique que « [l]es informations transmises par les représentants de Desjardins Services Financiers aux membres du Groupe étaient [. . .] nécessairement incorrectes ou insuffisantes, voire fausses, trompeuses ou susceptibles d’induire en erreur ». Voilà, à mon humble avis, une allégation adéquate de la faute des représentants.

[111]                     Je précise également, parce que les appelantes reprochent à M. Asselin l’absence de critiques concrètes envers sa conseillère financière de l’époque, qu’il n’est pas question de pointer du doigt une conseillère financière qui serait particulièrement incompétente. Au contraire, en omettant de bien former ses représentants, Cabinet les aurait tous condamnés à commettre la même faute.

[112]                     Ce n’est donc pas la Cour d’appel qui aurait réécrit la requête de l’intimé en devinant une faute des conseillers financiers, dont Mme Blanchette. À mon avis, ce sont plutôt les appelantes qui réorientent la cause d’action lorsqu’elles y voient une action fondée sur les mauvais conseils particularisés qu’aurait fournis Mme Blanchette. C’est d’ailleurs cette lecture erronée de la requête qui leur permet de reprocher à l’intimé une absence tant d’allégations précises que de questions communes. À mon sens, l’action de l’intimé se fonde, comme je l’ai déjà noté, sur un défaut d’information généralisé et systématique par Cabinet qui, en omettant de transmettre aux représentants et aux clients de l’information essentielle et objective sur les produits conseillés, aurait manqué à son devoir envers tous les membres du groupe.

[113]                     En tout respect, je ne peux donc pas souscrire à l’avis de ma collègue que le manquement reproché à Cabinet requiert ici une analyse trop individualisée pour faire l’objet d’un recours collectif. Les fautes alléguées ne dépendent ici ni de l’identité du client, ni de l’identité de la conseillère.

(3)          Un recours collectif fondé sur la relation conseillère-client pour un manquement au devoir d’information n’est pas impossible

[114]                     À l’audience, en réponse à une question d’une de mes collègues, les appelantes ont tenté de convaincre notre Cour qu’un recours collectif contre une maison de courtage pour les manquements de ses représentants serait impossible.

[115]                     Je m’inscris en faux contre la prétention des appelantes que ce genre de recours ne se prête jamais à un recours collectif. Il serait hautement imprudent pour notre Cour, compte tenu de la fonction sociale du recours collectif, de déclarer, comme le souhaitent les appelantes, que tout recours collectif de ce genre contre une firme de courtage est impossible ou qu’un recours fondé sur une allégation de faute d’une représentante est forcément individuel.

[116]                     La Cour a bien expliqué, dans une jurisprudence qui ne fléchit pas sur ce point, que c’est par une interprétation large des conditions d’autorisation que le double objectif d’accès à la justice et d’indemnisation des victimes sera réalisé (voir Oratoire, par. 8; Marcotte, par. 43; Infineon, par. 60). L’interprétation catégorique que proposent les appelantes priverait, dans un contexte comme le nôtre, le recours collectif d’une partie de sa vocation de venir en aide aux personnes qui, pour des raisons économiques et autres, font face à des obstacles pour faire valoir leurs droits (Oratoire, par. 8; AIC Limitée c. Fischer, 2013 CSC 69, [2013] 3 R.C.S. 949, par. 24 et 27; Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666, par. 16). Cette préoccupation est particulièrement pertinente pour des recours fondés sur les investissements financiers où, souvent, le caractère modique des sommes en jeu mesurées individuellement fait en sorte que « l’action en justice classique n’offre pas aux investisseurs un moyen viable sur le plan financier de récupérer leurs pertes » (Fischer, par. 57; voir Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158, par. 15; Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, [2001] 2 R.C.S. 534, par. 28).

[117]                     Plus encore, le portrait de la jurisprudence offert par les appelantes — elles plaident que la nécessité qu’un tel recours procède individuellement repose sur une jurisprudence unanime, « pas juste au Québec, [mais] partout au Canada » (transcription, p. 7 et 22) — n’étaye pas la conclusion qu’elles nous soumettent.

[118]                     Les appelantes citent une jurisprudence en matière de recours collectif qui, sauf exception, concerne des jugements de common law ou rendus avant les arrêts Vivendi et Infineon. Elles réfèrent par exemple au jugement Fisher c. Richardson GMP Ltd., 2019 ABQB 450, 95 Alta. L.R. (6th) 172, où la juge aux requêtes a statué, notamment, que le recours collectif proposé n’était pas le « meilleur moyen » selon un des critères de la loi albertaine, critère qui se démarque de ceux qui s’appliquent au Québec (par. 132). Rappelons que, dans l’arrêt Vivendi, notre Cour a souligné que les décisions de common law ne sont pas « nécessairement importables sans adaptation dans la procédure civile québécoise » (par. 48).

[119]                     Les appelantes ne citent qu’un jugement québécois refusant l’exercice d’un recours collectif après l’arrêt Vivendi, soit Louisméus c. Compagnie d’assurance-vie Manufacturers (Financière Manuvie), 2017 QCCS 3614. Celui-ci ne conclut certainement pas qu’un recours collectif n’est jamais possible dans des circonstances comme les nôtres, puisque le juge Hamilton, alors de la Cour supérieure, prend soin de préciser qu’il n’est pas saisi d’une demande fondée sur le « défaut d’information » (par. 38 (CanLII)). Ses commentaires à ce sujet relèvent donc, au mieux, d’un obiter. Le juge demeure d’ailleurs prudent et écrit que la suffisance des communications à l’égard de l’obligation d’information à l’échelle de l’ensemble de la clientèle par une maison de courtage pourrait faire l’objet d’une question commune dans le cadre d’un éventuel recours collectif, mais que ceci ne correspond pas à la thèse particularisée de la requérante dans le dossier dont il a été saisi. En d’autres mots, le juge Hamilton, loin de fermer la porte à tout recours collectif, affirme plutôt qu’il peut y avoir des questions communes en cas de défaut d’information :

           Le recours fondé sur le défaut d’information ou le vice de consentement est plus problématique comme action collective.

 

                       Il est fondé sur la compréhension de Mme Louisméus et de Gauthier lorsqu’elle a souscrit la police en 1993 et l’augmentation du capital en 2000.

 

           Il est difficile d’y voir des questions communes avec les autres membres du groupe. La compréhension de l’assuré ou de son conseiller est une question individuelle et non commune. La suffisance de la communication des informations par Aetna pourrait être une question commune mais dans le présent dossier Gauthier semble admettre que les informations dans les bulletins d’Aetna étaient suffisantes et la question est plutôt de savoir si les représentants les ont reçus. Il faut analyser les informations que chaque conseiller a reçues, ce que chaque conseiller comprenait, ce qu’il a communiqué à ses clients, ce que le client comprenait et ce qui était important pour le client dans sa prise de décision.

 

           Le Tribunal ne croit pas qu’un recours de cette nature (si elle avait été plaidée, ce qui n’est pas le cas) comporte une question commune suffisamment importante pour justifier une action collective. [Je souligne; note en bas de page omise; par. 91-94.]

[120]                     Par conséquent, le jugement cité par les appelantes étaye la proposition inverse de la leur : un recours collectif pour la responsabilité d’une maison de courtage pour le fait de ses représentants est possible, même s’il serait plutôt rare, pour autant qu’il soit question de la non-suffisance de l’information communiquée par la firme (ici, Cabinet) à ses représentants et aux membres du groupe, menant à un manquement à un devoir général d’information.

[121]                     Avec égards, il me semble que les autres jugements cités par les appelantes et par ma collègue ratent également la cible. Ma collègue s’appuie notamment sur le jugement Brunelle c. Banque Toronto Dominion, 2009 QCCS 4605. Le tribunal y constate que le syllogisme juridique ne tient pas au niveau du devoir de conseil parce que la banque n’a pas de devoir de conseil envers ses clients, ce devoir ne s’imposant « que dans des circonstances exceptionnelles » (par. 82 (CanLII)). Or, dans l’affaire qui nous occupe, il est évident — et non contesté — que chaque conseiller financier est tenu à un devoir de conseil et à un devoir d’information. Dans le jugement cité, le devoir de conseil, présent dans des circonstances exceptionnelles, ne pouvait pas être examiné collectivement. Ici, le devoir de conseil et le devoir d’information sont présents pour tous les membres. Étant d’accord avec ma collègue que le recours de M. Asselin porte sur le devoir d’information, j’estime par contre que l’analogie avec un jugement portant sur le caractère exceptionnel du devoir de conseil n’est d’aucun secours aux appelantes.

[122]                     Je vois aussi trois raisons importantes de distinguer le jugement Paré c. Desjardins Sécurité financière, 2007 QCCS 4566, du cas en l’espèce. Premièrement, dans cette affaire, l’information fournie aux membres était suffisante « pour que l’emprunteur comprenne très bien le processus » en cause (par. 56 (CanLII)), ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Deuxièmement, cette décision se fonde sur l’arrêt Dutton, qui établit qu’« en ce qui concerne les questions communes, le succès d’un membre du groupe signifie nécessairement le succès de tous » (Dutton, par. 40, cité dans Paré, par. 35). Or, dans l’arrêt Vivendi, notre Cour a rappelé que « le critère du succès commun dégagé dans Dutton ne doit pas être appliqué rigidement » (par. 45) et que « [l]a prudence s’impose dans l’application des principes énoncés dans les arrêts Dutton et Rumley à la procédure civile québécoise en matière de recours collectifs » (par. 48). Troisièmement, la requérante dans l’affaire Paré n’avait « aucunement allégué ou présenté une preuve prima facie que la majorité, ou du moins un nombre important d’adhérents, n’a pas compris les explications contenues au Guide de l’adhérent ou n’a pas reçu les informations nécessaires de la part de leur conseiller » (Paré, par. 64). On le sait, M. Asselin allègue ici que tous les membres ont été privés d’information pertinente, et que Cabinet a commis une faute systématique. Le jugement Paré n’est donc d’aucune utilité pour Cabinet qui cherche à convaincre la Cour que le recours collectif en cause est impossible.

[123]                     Le jugement Farber c. N.N. Life Insurance Co. of Canada, [2002] AZ‑50123096 (C.S.), également cité par les appelantes et par ma collègue, se prête à des réserves similaires. Il s’agit d’une décision de 10 paragraphes où le requérant avançait deux arguments contradictoires (par. 3) et où la cour n’a pas cru son affirmation qu’il avait mal compris les documents fournis par la compagnie d’assurance (par. 4). De plus, la décision est antérieure aux arrêts de notre Cour dans Vivendi et Infineon et exprime la condition des questions communes comme exigeant [traduction] « que les recours soient identiques, similaires ou connexes » (par. 3).

[124]                     En bref, il est vrai que certains juges d’autorisation ont à l’occasion exprimé des réserves quant à des recours collectifs fondés sur des représentations faites par un grand nombre d’employées et d’employés. De là à dire qu’un recours collectif est impossible dans les circonstances, ou que la jurisprudence est constante et unanime, il y a un pas que je ne suis pas prêt à faire. Ce serait faire fi non seulement de la souplesse qui s’impose en raison de la fonction de justice sociale des recours collectifs, mais aussi de toute décision contraire rendue par des tribunaux québécois et canadiens, notamment des décisions qui rappellent que la causalité peut être prouvée par présomption malgré des différences entre les membres (Comité syndical national de retraite Bâtirente inc. c. Société financière Manuvie, 2011 QCCS 3446, par. 98 (CanLII); Chandler c. Volkswagen Aktiengesellschaft, 2018 QCCS 2270, par. 66 et 98 (CanLII)). À titre d’exemple, dans le jugement Manuvie, où on alléguait notamment l’omission de divulguer les risques associés à des portefeuilles de rente à capital variable, la juge d’autorisation s’exprime ainsi :

Il est à présumer aussi que l’impact de chacune de ces fausses représentations sur le cours de titres de Manuvie puisse ne pas être identique et que tout dépendant du contexte économique et de la qualité et l’expertise des investisseurs, ceux-ci auront pu avoir une appréciation différente des informations disponibles. Cela ne permet pas pour autant au Tribunal d’affirmer qu’il n’y a pas ici des questions de droit ou de faits communes ou connexes propres à faire avancer le débat judiciaire. [Je souligne; par. 103.]

[125]                     De plus, l’affaire dont la Cour est saisie présente de grandes similarités avec celle dans le jugement Dupuis c. Desjardins Sécurité financière, compagnie d’assurance-vie, 2015 QCCS 5828 (où l’autorisation d’exercer un recours collectif a été accordée). Comme en l’espèce, envisager le recours sous l’angle du manquement, par la compagnie qui vend les placements, de divulguer l’information pertinente y révèle les questions communes malgré les particularités de chaque membre du groupe (voir les par. 47-53 (CanLII)). Le juge d’autorisation identifie d’ailleurs, aux termes de son jugement (par. 91), des questions communes virtuellement identiques à celles proposées par M. Asselin en l’espèce.

[126]                     Je ne vois donc aucune raison d’accéder à la demande des appelantes de déclarer impossible tout recours collectif contre une firme de courtage pour les faits de ses représentants, alors même que c’est de l’omission systématique de Cabinet d’informer ses représentants que découlent les fautes de ces derniers. Avec égards, il me semble également que, bien que ma collègue dise ne pas « conclure qu’une réclamation pour un manquement au devoir d’information commis par un conseiller financier ne puisse jamais faire l’objet d’un recours collectif » (par. 256), ce serait bien la conséquence de ses motifs. Nous avons en l’espèce des allégations selon lesquels tous les représentants ont systématiquement omis d’informer les membres du groupe parce qu’ils ne possédaient pas eux-mêmes l’information. Si cette prétention est insuffisante pour conclure que le pourvoi soulève une question commune, je peine à imaginer quelle allégation saurait suffire.

[127]                     Fermer la porte au recours collectif proposé de façon aussi catégorique fragiliserait la vocation du recours collectif comme mécanisme procédural de justice sociale dans ce contexte.

(4)          Conclusion quant à la condition de l’al. 1003a) de l’ancien C.p.c.

[128]                     Le recours collectif sollicité contre Cabinet vise, comme nous l’avons vu, un manquement contractuel à son devoir d’information fondant sa responsabilité tant directe — pour avoir omis d’informer ses représentants — qu’indirecte — pour l’information tronquée que les représentants ont transmise aux membres du groupe. Dans les deux cas, les omissions alléguées ont un caractère systématique. Elles ne dépendent pas des caractéristiques individuelles de chaque client.

[129]                     Le caractère systématique de ces omissions, de part et d’autre, permet l’identification de questions communes à l’égard du recours proposé contre Cabinet au sens de l’al. 1003a) de l’ancien C.p.c. Ces questions communes sont relevées par la Cour d’appel (par. 8), qui ne commet aucune erreur :

1.    La conformité du produit financier. Les Placements PP et GA sont-ils conformes aux produits financiers que [Cabinet] et [Gestion] ont conçus et/ou offerts aux membres du groupe?

 

2.    Le devoir d’information. [Cabinet] est‑[il] ten[u], en vertu de la Loi sur l’assurance-dépôts, de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, du Code civil du Québec, de toute autre loi et/ou des règles et/ou usages applicables, à un devoir d’information à l’endroit des membres du groupe en ce qui a trait à la nature, aux caractéristiques, à l’offre et à la gestion des Placements PP et GA?

 

3.    Dans l’affirmative, [Cabinet] a-t-[il] contrevenu à ce devoir en omettant d’informer clairement les membres du groupe que les Placements PP et GA comprendraient des stratégies de placements susceptibles de réduire à néant, avant terme, toute possibilité de rendement?

[130]                     Je suis respectueusement d’avis qu’il ressort des motifs de la juge de première instance qu’elle a évalué la condition des questions communes sous l’angle d’un recours fondé sur le devoir de fournir des conseils individualisés adaptés à la tolérance aux risques de chaque client, alors que ce n’était pas le fondement du recours de M. Asselin (par. 208-209).

[131]                     Outre cette méprise de lire la requête sous l’angle du devoir de conseil individualisé, la façon dont la juge de première instance constate l’absence de question commune laisse bien croire qu’elle a aussi dépassé la norme applicable à ce stade-ci des procédures :

     En effet, à moins de bénéficier d’un élément de preuve valable démontrant le caractère systémique de la distribution d’un document contenant des représentations dont tous auraient nécessairement pris connaissance avant de souscrire différents placements et qui les auraient inévitablement influencés dans leur choix d’investissement, le propre d’une telle relation repose davantage sur une évaluation bien personnelle du profil d’investisseur et des objectifs recherchés par chacun, qui se caractérise par des échanges variant de l’un à l’autre, même si un même représentant sert plusieurs clients et qu’il peut le faire de manière similaire. [Je souligne; par. 210.]

[132]                     Il me semble, très respectueusement, que l’intimé a raison de dire que la juge d’autorisation — cherchant dans les documents des représentations, et non des omissions, nécessairement connues et ayant inévitablement un impact sur tous —impose un fardeau de démonstration qui dépasse celui de la cause défendable. Le caractère systématique que la juge reproche à M. Asselin de ne pas « démontrer » est allégué tout au long de la requête, ce qui suffit amplement. Avec égards, j’estime que ma collègue, en affirmant que la faute reprochée à Cabinet requiert une analyse trop individuelle « en l’absence d’une démonstration de son caractère systématique » (par. 247), commet la même erreur.

[133]                     La requête est, peut-être, peu commode par endroit, et sa cohérence a, sans doute, souffert des multiples amendements qu’elle a subis. Toutefois, j’estime que le fondement de cette responsabilité donnant lieu aux questions communes est adéquatement allégué. Dans ces circonstances, la Cour d’appel était justifiée d’intervenir, et la condition des questions communes est satisfaite à l’égard du recours proposé contre Cabinet.  

IV.         Gestion

[134]                     Devant notre Cour, les appelantes font plusieurs concessions au regard de la situation de Gestion. Elles réitèrent que la juge d’autorisation a erré au regard de la condition énoncée à l’al. 1003a) de l’ancien C.p.c. Comme le note la Cour d’appel, « le jugement occulte complètement la portion de l’action visant [Gestion] » (par. 147). Or, celle-ci soulève indubitablement des questions communes, tel qu’admis par les appelantes. Elles admettent également, comme elles l’ont fait devant la Cour d’appel, que la responsabilité de Gestion peut, contrairement aux conclusions de la première juge, être recherchée en tant que concepteur des placements.

[135]                     Deux principaux moyens d’appel sont soulevés par les appelantes en vue de faire échec, en tout ou en partie, à l’autorisation du recours collectif demandée contre Gestion.

A.           La circularité du raisonnement

[136]                     Le premier moyen d’appel porte sur le caractère défendable de la cause menée contre Gestion. Selon les appelantes, le syllogisme proposé par l’intimé aurait un caractère circulaire et insoutenable. D’après elles, rien ne laisse supposer que l’absence de rendement soit due aux stratégies risquées de Gestion; cette allégation, dans le contexte de la crise financière de 2008, n’est que de la spéculation et ne peut suffire aux fins de l’art. 1003 de l’ancien C.p.c.

[137]                     Cet argument est sans mérite.

[138]                     Contrairement aux prétentions des appelantes, M. Asselin ne se contente pas de dire que les pratiques de Gestion étaient risquées parce que les placements n’ont pas généré de rendement : il forme des reproches concrets à l’égard de Gestion. La requête parle d’elle-même à cet égard :

108.    Dans les faits, les sommes affectées au rendement du Placement PP et du Placement GA ont été investies dans des fonds de couverture avec un effet de levier de cinq (5) pour un (1), tel qu’il appert de l’article de M. Jean Gagnon intitulé « Pourquoi certains produits à capital garanti de Desjardins ne rapporteront rien », pièce R-14;

 

108.1  Au surplus, les fonds de couverture dans lesquels étaient investies ces sommes utilisaient à leur tour un effet de levier, multipliant alors le risque des Placements PP et GA;

 

. . .

 

123.    De plus, une part importante des investissements en marché monétaire au sein du Placement PP et du Placement GA était composée de Papiers commerciaux adossés à des actifs (« PCAA »);

 

124.    Or, à compter du mois d’août 2007, les PCAA sont devenus des actifs risqués et illiquides qui ne pouvaient plus remplir le rôle qu’on leur prêtait au sein des Placements PP et GA, tel qu’il appert notamment des Rapports annuels de 2007 (p. 25 à 27 et 113 à 115), de 2008 (p. 34 à 40 et p. 133 à 137), de 2009 (p. 170 à 174) et de 2010 (p. 142 à 146) du Mouvement Desjardins, pièce R-17, en liasse, ainsi que des rapports trimestriels du Mouvement Desjardins de septembre 2007 à septembre 2008, pièce R-13, en liasse;

 

125.    Malgré ce qui précède, les intimées ont non seulement conservé après août 2007 des PCAA au sein du Placement PP et du Placement GA, mais ont procédé à de nouvelles émissions de ces Placements jusqu’en septembre 2008, tel qu’il appert notamment des rapports R-17 et R-13;

 

126.    Cette décision de gestion préjudiciable aux membres du Groupe contraste avec le fait que durant la même période, les intimées ont procédé à la substitution des PCAA détenus par leurs clients institutionnels par des billets de dépôts sécuritaires et liquides, tel qu’il appert notamment des rapports R-17 et R-13;

 

. . .

 

128.    Les intimées Fiducie Desjardins et Desjardins Gestion d’Actifs ont cessé à l’automne 2008 de gérer les sommes qui leur étaient confiées afin d’obtenir un rendement à l’échéance pour le compte des membres du Groupe [Je souligne; soulignement dans l’original omis; p. 151.]

Comme la Cour d’appel et ma collègue, je suis d’avis que ces allégations sont suffisamment précises.

[139]                     Il me semble qu’avec leur argument sur la circularité des allégations, les appelantes cherchent à faire revivre le moyen de défense, accepté par la première juge mais rejeté en appel, que la véritable cause du préjudice de l’intimé est la crise financière de 2008 et non l’incompétence de Gestion.

[140]                     La question de l’impact de la crise financière sur le lien causal entre les prétendues fautes extracontractuelles de Gestion et le préjudice pour lequel l’intimé demande compensation relève du fond du litige. S’appuyant à bon droit sur l’arrêt London Life Insurance Company c. Long, 2016 QCCA 1434, par. 104 et 108 (CanLII), la Cour d’appel met en évidence que la question difficile, et ici contestée, de savoir comment cette crise a pu influencer le rendement d’un investissement ne pouvait être tranchée, au stade de l’autorisation, sans empiéter sur la fonction de la juge du procès (voir, p. ex., Oratoire, par. 41). Cette conclusion est exempte d’erreur révisable.

B.            La quittance pour les PCAA

[141]                     Le deuxième moyen d’appel porte sur les fautes reprochées à Gestion en lien avec les PCAA, pour lesquelles M. Asselin réclame des dommages-intérêts punitifs.

[142]                     L’intimé reproche à l’appelante Gestion d’avoir porté atteinte, de manière illicite et intentionnelle, à son droit à la possession paisible de ses biens, justifiant ainsi une demande pour dommages-intérêts punitifs en application des art. 6 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12. La requête pour autorisation allègue, à son par. 123, qu’« une part importante des investissements en marché monétaire au sein du Placement PP et du Placement GA était composée de Papiers commerciaux adossés à des actifs (“PCAA”) ». Au paragraphe 126.1, on peut lire :

Sachant que le marché des PCAA était précaire et illiquide, la décision des intimées de continuer à émettre le Placement PP et le Placement GA après août 2007 et de conserver des PCAA au sein des Placements PP et GA émis avant août 2007 a eu pour effet de faire assumer aux membres du Groupe une perte que les intimées Fiducie Desjardins (en ce qui concerne les membres du Groupe Enregistré seulement) et Desjardins Gestion d’Actifs auraient autrement dû assumer personnellement, ce qui constitue une atteinte illicite et intentionnelle au droit des membres du Groupe à la jouissance paisible et à la libre disposition de leurs biens, et justifie l’octroi de dommages-intérêts punitifs;

(d.a., vol. II, p. 150)

[143]                     Les appelantes soutiennent que ce volet de la réclamation n’est pas défendable et que la Cour d’appel a commis une erreur déterminante en infirmant la décision de la première juge à cet égard. Pour les appelantes, toute réclamation relative aux PCAA est éteinte par l’effet de l’Ordonnance d’homologation rendue dans le cadre de la réorganisation du marché des PCAA entreprise en application de la LACC  (voir ATB Financial c. Metcalfe & Mansfield Alternative Investments II Corp. (2008), 43 C.B.R. (5th) 269 (C.S. Ont.), décision accompagnant la « Sanction Order » (« Ordonnance d’homologation »), 5 juin 2008, et le « Third Amended Plan of Compromise and Arrangement » (« Troisième plan modifié de transaction et d’arrangement »), 12 janvier 2009, conf. par 2008 ONCA 587, 92 O.R. (3d) 513). À la lumière de la quittance et de l’injonction contenues à l’Ordonnance d’homologation, le volet de la cause d’action de l’intimé fondé sur les PCAA n’est pas défendable en vertu de l’al. 1003b) de l’ancien C.p.c.

[144]                     Les appelantes taxent la Cour d’appel d’avoir commis plusieurs erreurs en permettant que la demande de l’intimé ayant trait aux dommages-intérêts punitifs procède au fond. Elle aurait erré d’abord en exigeant que l’Ordonnance d’homologation soit formellement administrée en preuve, faisant fi de la règle qui veut qu’en application de la LACC , une telle Ordonnance est susceptible d’exécution de plein droit. De plus, la Cour d’appel se serait méprise en refusant de constater que la cause d’action liée aux PCAA est éteinte puisque la quittance homologuée par l’ordonnance en faveur de tous les participants du marché canadien des PCAA serait complète. En cas de doute sur l’interprétation de cette Ordonnance, il fallait renvoyer le dossier à la Cour supérieure de justice de l’Ontario qui a, disent les appelantes, la compétence exclusive sur toute question d’interprétation de la quittance et de l’injonction reprises dans l’Ordonnance. Enfin, plaident les appelantes, la Cour d’appel aurait erré en refusant de segmenter la demande en vue de séparer ce qui se rapporte aux PCAA de ce qui se rapporte aux autres aspects de la cause d’action.

[145]                     L’intimé défend la décision de la Cour d’appel de renvoyer les enjeux relatifs à l’application de la quittance au procès sur le fond. Il rappelle d’abord que la demande de dommages-intérêts compensatoires n’est pas fondée sur la détention des PCAA par les membres et que la seule réclamation possiblement fondée sur les PCAA est la demande visant les dommages-intérêts punitifs. De plus, à ce stade-ci des procédures et vu l’état du dossier, il serait prématuré, en l’absence de preuve quant à la nature exacte des investissements visés, de conclure que la réclamation pour dommages-intérêts punitifs devrait être écartée en raison de la quittance et de l’injonction contenues à l’Ordonnance d’homologation. L’intimé souligne que les appelantes n’ont offert aucune preuve permettant à la juge d’autorisation de déterminer si les PCAA auxquels les placements litigieux avaient pu être exposés étaient des PCAA visés par l’Ordonnance, ou des « Unaffected Claims » (« Réclamations non visées ») qui en sont exclus. Manifestement, une preuve est nécessaire pour y voir clair, dit-il, et il n’y a donc pas une pure question de droit qui puisse être tranchée au stade de l’autorisation. Il s’appuie sur l’arrêt Desjardins Sécurité financière, compagnie d’assurance-vie c. Dupuis, 2018 QCCA 1136, notamment aux par. 16 et 18 (CanLII), dans lequel la Cour d’appel, devant un problème similaire, a décidé qu’il était prématuré de rejeter une demande de dommages-intérêts punitifs. Dans Dupuis (C.A.), comme dans notre affaire, on ne peut établir un lien entre le recours collectif proposé et le marché des PCAA puisque sans preuve, on ne sait pas si les PCAA sont du type visé par l’Ordonnance d’homologation.

[146]                     Qu’en est-il?

[147]                     On notera, dans un premier temps, que les deux parties ont apporté des nuances à leurs arguments avancés devant les instances inférieures qui permettent, à mon avis, de préciser le débat.

[148]                     D’abord, les parties s’entendent pour dire que ce volet du litige ne porte que sur la demande de dommages-intérêts punitifs; la requête pour autorisation à l’encontre de Gestion ayant trait aux dommages-intérêts compensatoires peut donc procéder, sous réserve, bien entendu, des autres conditions énumérées à l’art. 1003 de l’ancien C.p.c.

[149]                     Ensuite, l’intimé reconnaît que la quittance invoquée par les appelantes est en vigueur et exécutoire au Québec (transcription, p. 76). Son avocat affirme à l’audience : « . . . on ne conteste nullement que la quittance s’applique pleinement, mais on n’est pas en mesure de savoir quelle pourrait être son étendue en ce moment » (p. 81). Il concède que la réclamation de son client n’a pour objet que les Réclamations non visées au sens que la quittance donne à ce terme (p. 78-82).

[150]                     On comprend de sa position que l’intimé renonce à réclamer des dommages-intérêts punitifs pour les PCAA visés, s’en tenant à des PCAA qui ne sont pas visés par la quittance. Compte tenu de cette précision sur ce qui est demandé aux fins du recours collectif, les PCAA visés peuvent, me semble-t-il, être exclus dès maintenant, même si, d’ordinaire, un moyen de défense qui comporte l’évaluation d’une preuve devrait être tranché au procès : Oratoire, par. 41-42. Il n’est donc pas nécessaire de se prononcer sur les conditions d’application des « Excepted Claims » (« Réclamations exclues ») qui, selon le plan d’arrangement, visent le préjudice subi [traduction] « directement par suite de l’achat de PCAA visés particuliers » (Troisième plan modifié de transaction et d’arrangement, art. 10.4(c); Ordonnance d’homologation, art. 20(c) (je souligne)).

[151]                     L’exclusion des PCAA visés n’est pas, techniquement parlant, la segmentation de la cause d’action mais plutôt la précision de ses contours, établis à partir des dires de la partie intimée elle-même. Cela me semble être une solution opportune à laquelle les appelantes ne s’opposent pas formellement, vu la position prise par leur avocat à l’audience :

Si mes amis prétendent que leur recours n’est pas fondé sur le PCAA ou que la réclamation relativement à [. . .] la gestion comme telle et non au PCAA, qu’on le confirme dans un jugement, qu’on dise que la réclamation ne peut comprendre des dommages réclamés en lien avec les PCAA, parce que, à tous égards, lorsque vous lisez la quittance, il n’y a rien qu’on a pu avoir fait à l’égard des PCAA qui peut permettre à un recours de continuer.

(transcription, p. 52)

[152]                     En première instance, la juge conclut que « la réclamation fondée sur les PCAA est à sa face-même irrecevable » (par. 187). À cette fin, elle s’appuie notamment sur l’homologation du juge Campbell et cite certains articles du Troisième plan modifié de transaction et d’arrangement. Toutefois, elle ne relève pas la distinction entre PCAA visés et Réclamations non visées, telle que traitée au Troisième plan modifié de transaction et d’arrangement.

[153]                     La Cour d’appel intervient après avoir noté l’argument de l’intimé que la question relève du fond, et étant elle-même d’avis que le moyen avancé par les appelantes nécessite une preuve (par. 138). Sur ces deux points, je suis d’accord et, respectueusement dit, j’estime que la juge de première instance ne pouvait trancher l’irrecevabilité au stade de l’autorisation.

[154]                     Certes, comme je l’ai noté, un tribunal « peut trancher une pure question de droit au stade de l’autorisation si le sort de l’action collective projetée en dépend » (Oratoire, par. 55 (en italique dans l’original)). Mais déterminer si les PCAA en question font partie des PCAA visés par la quittance et énumérés à son « Annexe “A” » n’est pas une pure question de droit. Pour trancher cette question, il faudrait minimalement avoir la liste des PCAA inclus dans les placements litigieux. Je ne partage donc pas l’interprétation de ma collègue, selon laquelle l’admission du procureur de M. Asselin en première instance que « la quittance sur les PCAA couvre les investissements faits avant le mois d’août 2007 » implique qu’il ne reste aucune question factuelle à être traitée au mérite (par. 268).

[155]                     En l’espèce, ce n’est pas l’application de l’Ordonnance qui est contestée, mais sa portée qui pourra être débattue ultérieurement, tout comme la portée de l’admission judiciaire faite en première instance. Le débat quant à la portée des PCAA visés et non visés est une question qui pourrait, si nécessaire, être renvoyée à la Cour supérieure de justice de l’Ontario (voir Troisième plan modifié de transaction et d’arrangement, par. 11.12). Comme dans le jugement Hy Bloom inc. c. Banque Nationale du Canada, 2010 QCCS 737, [2010] R.J.Q. 912, par. 102, et dans l’arrêt Dupuis (C.A.), par. 18-20, les éventuelles réclamations en lien avec les PCAA qui ne seraient pas éteintes par la quittance peuvent être entendues. Cela étant, le différend entre les parties ne vise pas formellement, à ce moment-ci, l’interprétation de l’Ordonnance, mais simplement sa mise en œuvre. On ne décide pas de la portée des PCAA visés ou non visés. 

[156]                     Ainsi, à ce stade-ci, la prudence s’impose et tout doute devrait jouer en faveur de la continuation des procédures, d’autant plus que le fait de différer cette question n’entraîne pas la perte de droits pour les appelantes puisque le recours contre Gestion doit procéder au mérite concernant les dommages-intérêts compensatoires. Cela dit, l’avocat de l’intimé admet que sa demande relative aux dommages-intérêts punitifs est loin d’être gagnée, même s’il faut bien reconnaître que, tout en étant difficile, une réclamation fondée sur l’atteinte illicite et intentionnelle de l’art. 6 de la Charte et portant sur les PCAA non visés par la quittance demeure défendable dans le contexte.

[157]                     Voilà l’explication pour la nuance que j’estime, en tout respect, qu’il faudrait apporter aux par. 8 et 9 de l’arrêt de la Cour d’appel dans le présent pourvoi : pour la question commune 8c), ainsi que pour la conclusion se rapportant aux dommages-intérêts punitifs, je préciserais que le paiement à chacun des membres du groupe d’une somme « à titre de dommages-intérêts punitifs » serait sujet à réclamation « uniquement en lien avec des Réclamations non visées au sens de l’art. 1 du Troisième plan modifié de transaction et d’arrangement homologué par l’ordonnance de la Cour supérieure de justice de l’Ontario daté du 12 janvier 2009 ».

V.           Conclusion

[158]                     Je suis d’avis d’accueillir l’appel en partie, mais à la seule fin de modifier les par. 8 et 9 de l’arrêt de la Cour d’appel afin qu’ils se lisent de la manière suivante :

[8IDENTIFIE comme suit les principales questions de fait et de droit qui devront être traitées collectivement :

 

. . .

 

8.    Dommages. Selon les réponses aux questions qui précèdent, Desjardins Cabinet de Services Financiers inc. et Desjardins Gestion Internationale d’Actifs inc. sont-elles tenues :

 

. . .

 

c) au paiement à chacun des membres du groupe d’une somme de mille dollars (1 000 $) à titre de dommages-intérêts punitifs uniquement en lien avec des Réclamations non visées au sens de l’article 1 du Troisième plan modifié de transaction et d’arrangement homologué par l’ordonnance de la Cour supérieure de justice de l’Ontario daté du 12 janvier 2009, sauf à parfaire, avec intérêt au taux légale et l’indemnité additionnelle à compter du jugement à être prononcé?

 

[9IDENTIFIE comme suit les principales conclusions recherchées sur le fond par l’action collective, étant entendu que le caractère in solidum des condamnations ci-dessous est tributaire de la réponse que, le cas échéant, la Cour supérieure donnera à la question 6 in fine, telle que définie au paragraphe [8] ci-dessus :

 

. . .

 

CONDAMNER chacune des intimées à payer à chacun des membres du groupe la somme de mille dollars (1 000 $) à titre de dommages-intérêts punitifs uniquement en lien avec des Réclamations non visées au sens de l’article 1 du Troisième plan modifié de transaction et d’arrangement homologué par l’ordonnance de la Cour supérieure de justice de l’Ontario daté du 12 janvier 2009, sauf à parfaire, avec l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter du jugement à être prononcé et ORDONNER le recouvrement collectif de ces sommes.

[159]                     J’accorderais les dépens devant toutes les cours en faveur de M. Asselin.

Les motifs des juges Moldaver, Côté et Rowe ont été rendus par

                    La juge Côté (dissidente en partie) — 

 

 

                                             TABLE DES MATIÈRES

 

 

Paragraphe

 

I.       Survol

160

II.      Les parties

162

III.    Les placements

165

IV.    Les faits ayant mené au litige

167

V.      La requête pour autorisation d’exercer un recours collectif de l’intimé

172

VI.    Historique des procédures

177

A.      Cour supérieure du Québec, 2016 QCCS 839 (l’honorable juge Claude Dallaire)

177

B.      Cour d’appel du Québec, 2017 QCCA 1673 (l’honorable juge Marie-France Bich, avec l’accord des juges Marie St-Pierre et Claude C. Gagnon)

188

VII.   Questions en litige

197

VIII. Analyse

199

A.      Les objectifs visés par le recours collectif

201

B.      L’étape de l’autorisation du recours collectif

203

C.      Le rôle du juge à l’étape de l’autorisation

210

D.      La norme d’intervention en appel

223

IX.    Application

225

A.     Le recours proposé contre Cabinet

227

(1)          L’intervention de la Cour d’appel

233

(2)          L’exigence de questions communes (al. 1003a) C.p.c.)

238

B.     Le recours proposé contre Gestion

260

(1)          L’intervention de la Cour d’appel

260

(2)          Les dommages-intérêts punitifs

262

(3)          Les dommages-intérêts compensatoires

300

X.     Dispositif

304

I.               Survol

[160]                      Ce pourvoi soulève des enjeux relatifs à l’autorisation des recours collectifs — ou, depuis 2016, les actions collectives — au Québec. Cette question continue de faire couler beaucoup d’encre en doctrine et devant les tribunaux. Bien que les principes qui doivent guider le tribunal à l’étape de l’autorisation soient bien connus, leur application demeure difficile et parfois imprévisible.

[161]                      L’affaire concerne des placements à capital garanti qui auraient été présentés comme sécuritaires, mais qui, dit-on, étaient en réalité des investissements risqués qui auraient également été gérés de manière risquée. Au final, les placements en question n’ont produit aucun rendement à terme, bien que les investisseurs aient récupéré leur capital. Déçu de n’avoir réalisé aucun rendement sur son investissement, l’intimé a déposé une Requête ré-amendée et précisée (2) pour autorisation d’exercer un recours collectif et pour être représentant, reproduite dans le d.a., vol. II, p. 104-162 (« requête »)[1]. La Cour supérieure a refusé d’autoriser le recours (2016 QCCS 839). La Cour d’appel a infirmé cette décision et autorisé le recours (2017 QCCA 1673).

II.            Les parties

[162]                      L’intimé, Ronald Asselin, est membre de longue date d’une caisse populaire du Mouvement Desjardins qui offre divers services financiers. Les appelantes dans cette affaire — Desjardins Cabinet de services financiers inc. (« Cabinet ») et Desjardins Gestion internationale d’actifs inc. (« Gestion ») — font partie du Mouvement Desjardins. Initialement, Fiducie Desjardins inc. était également partie au recours. Toutefois, l’intimé s’est désisté en première instance de son recours à l’encontre de cette dernière.

[163]                      L’appelante Cabinet est un cabinet de services financiers œuvrant dans les domaines du courtage en épargne collective et de la planification financière. Dans sa requête, l’intimé allègue que Cabinet est responsable des représentants en épargne collective et des planificateurs financiers exerçant leurs activités dans les caisses populaires du Mouvement Desjardins. Cela comprendrait les représentants ayant offert les placements litigieux aux membres du groupe visés par le recours collectif proposé.

[164]                      L’appelante Gestion est une société de portefeuille œuvrant dans la gestion d’actifs. Elle offre divers services de placements, de gestion de portefeuille et de stratégies financières et de répartition d’actifs. L’intimé allègue que Gestion est la conceptrice des placements visés par le présent recours et est responsable de leur gestion.

III.         Les placements

[165]                      Cette affaire concerne deux types de placements, soit les placements Épargne à Terme Perspectives Plus (« PP ») et les placements Épargne à Terme Gestion Active (« GA »). Les représentants en épargne collective et les planificateurs financiers offrent ces véhicules d’épargne dans le réseau des caisses populaires du Mouvement Desjardins. L’attrait des placements PP et GA se décrit sommairement : ils garantissent le capital à l’échéance tout en offrant un potentiel de rendement variable, lequel peut toutefois être nul. Les placements PP et GA sont souscrits au moyen de conventions de dépôt qui interviennent entre les clients et la caisse populaire avec laquelle ils font affaire. Les conventions de dépôt créent donc un lien contractuel entre le client et sa caisse populaire, qui est l’émettrice du placement, mais ne créent pas de lien contractuel entre le client et Cabinet ou Gestion.

[166]                      Dans sa requête, l’intimé décrit ainsi le fonctionnement des placements. Une portion du capital investi est garantie par une obligation zéro coupon dont la valeur à l’échéance du terme correspond à la valeur du dépôt initial et permet donc de garantir le capital. Les sommes affectées au rendement correspondent à la valeur résiduaire du dépôt initial suite à l’achat de l’obligation zéro coupon, laquelle est investie dans des fonds monétaires et utilisée pour garantir des opérations sur des produits dérivés sélectionnés sur une base mensuelle. À l’échéance du terme, la valeur du placement correspond donc au dépôt initial (lequel est garanti) en plus de tout rendement obtenu.

IV.         Les faits ayant mené au litige

[167]                      L’intimé allègue que, le 4 mars 2005, Mme Denise Blanchette, planificatrice financière et représentante en épargne collective, lui aurait recommandé de souscrire à des placements PP et GA. Le 14 juin 2005, prétendument sur la base de ces recommandations, l’intimé souscrit à une convention de dépôt avec la Caisse populaire de Sherbrooke-Est et dépose des sommes dans un premier placement PP assorti d’un terme de sept ans. En janvier 2006, l’intimé reçoit son relevé de placement annuel émis par la Caisse populaire de Sherbrooke-Est, lequel indique que son placement a produit un rendement de 2,3 p. 100 pour l’année 2005. En janvier 2007, l’intimé reçoit un deuxième relevé de placement annuel, toujours émis par la Caisse populaire de Sherbrooke-Est, qui indique un rendement de 6,9 p. 100 pour l’année 2006.

[168]                      Le relevé de l’année 2006 est accompagné d’une lettre de la Caisse populaire de Sherbrooke-Est signée par Mme Blanchette. On y lit que les placements garantis sont « un excellent véhicule de placement, tant pour la protection de votre capital que pour les rendements attrayants qu’ils peuvent vous offrir » (d.a., vol. XI, p. 14 (soulignement omis)). L’intimé allègue qu’il a reçu, plus tard en 2007, un document du Mouvement Desjardins faisant la promotion des placements PP et GA. Fait important à noter, ce document mentionne expressément que « [l]es rendements présentés ne sont pas garants des rendements futurs » (d.a., vol. X, p. 101).

[169]                      Prétendument « sur la foi de l’ensemble de ces informations » (motifs de la C.S., par. 101 (CanLII)), l’intimé souscrit à deux nouvelles conventions de dépôt les 19 et 26 juin 2007 pour un deuxième placement PP assorti d’un terme de trois ans et demi ainsi qu’un premier placement GA assorti d’un terme de cinq ans. Ces conventions interviennent toujours avec la Caisse populaire de Sherbrooke-Est.

[170]                      En février 2008, l’intimé reçoit ses relevés de placement pour l’année 2007, toujours émis par la Caisse populaire de Sherbrooke-Est, lesquels indiquent des rendements allant de 1,7 p. 100 à 9,0 p. 100 pour ses placements PP et GA. Jamais, alors que ses placements produisaient un rendement positif, l’intimé ne s’est-il plaint de leur gestion ou encore de la composition des produits financiers dans lesquels les sommes affectées au rendement étaient investies.

[171]                      Le 26 mars 2009, l’intimé reçoit une lettre datée du 2 mars 2009 de la Fédération des caisses Desjardins qui l’informe que ses trois placements ne lui procureront aucun rendement, même si les termes ne sont pas encore arrivés à échéance. Cette situation est confirmée en février 2010 lorsque l’intimé reçoit son relevé de placement, émis par la Caisse de l’Est de Sherbrooke, pour l’année 2009, qui affiche un rendement de 0 p. 100.

V.           La requête pour autorisation d’exercer un recours collectif de l’intimé

[172]                      Le 16 septembre 2011, l’intimé dépose sa requête pour autorisation d’exercer un recours collectif. Cette requête a parcouru un long chemin avant qu’une décision ne soit rendue sur l’autorisation. En effet, elle a fait l’objet de plusieurs requêtes interlocutoires et préliminaires et de nombreux amendements qui se sont échelonnés sur une période de quatre ans avant l’audition pour l’autorisation.

[173]                      Évidemment, c’est la version finale de la requête qui doit être considérée pour les fins de l’autorisation. Celle-ci invoque la responsabilité tant contractuelle qu’extracontractuelle des appelantes, comme je l’expliquerai plus loin. Le groupe qu’entend représenter l’intimé vise toutes les personnes qui, en date du 1er octobre 2008, détenaient des placements PP et GA.

[174]                      L’intimé reproche essentiellement à Cabinet d’avoir manqué à son devoir d’information en ne l’ayant pas renseigné adéquatement, ainsi que les membres du groupe, de la nature précise des stratégies d’investissement utilisées qu’il décrit comme étant risquées. La requête décrit ainsi les fautes reprochées à Cabinet :

107.       Les Placements PP et GA ont été présentés et décrits aux membres du Groupe comme sécuritaires et s’adressant à un investisseur ayant une faible tolérance au risque [. . .];

 

107.1     En outre, les représentants de [Cabinet] n’étaient pas suffisamment instruits quant aux caractéristiques et aux risques des Placements PP et GA et ne pouvaient donc pas juger de leurs avantages et de leurs inconvénients;

 

107.1.1  À cet effet, les documents décrivant les Placements PP et GA [. . .] n’expliquent pas, ou de manière très incomplète, l’effet de levier utilisé pour obtenir le rendement des Placements PP et GA;

 

107.1.2  Ces documents se contentent de décrire de manière incomplète les Placements PP et GA et étalent les avantages de ces placements sans décrire les risques liés aux Placements PP et GA;

 

107.2     Les informations transmises par les représentants de [Cabinet] étaient donc nécessairement incorrectes ou insuffisantes, voire fausses, trompeuses ou susceptibles d’induire en erreur;

 

108.       Dans les faits, les sommes affectées au rendement du Placement  PP et du Placement GA ont été investies dans des fonds de couverture avec un effet de levier de cinq (5) pour un (1) [. . .];

 

. . .

 

110.       Toutefois, jamais [Cabinet] n’a dévoilé aux membres du Groupe les risques liés aux problèmes de liquidités et au levier financier, malgré le fait qu’elle connaissait ou ne pouvait ignorer ces risques;

 

. . .

 

116.       De plus [Cabinet] a fait des représentations fausses et trompeuses aux membres du Groupe [. . .] relativement à la corrélation avec les marchés boursiers;

 

117.       Contrairement aux prétentions de [Cabinet], les Placements PP et GA, ont été lourdement affectés par la fluctuation des marchés boursiers;

 

118.       [Cabinet] n’a pas informé adéquatement les membres du Groupe et a manqué à ses obligations et devoirs d’information prévus à la loi;

 

119.       Les fautes de [Cabinet] concernant les obligations liées à la divulgation d’information s’inscrivent dans le contexte où les Placements PP et GA s’adressaient à une clientèle variée comprenant des personnes ayant une faible connaissance des notions financières. [Soulignement omis.]

(d.a., vol. II, p. 147-149)

[175]                      Concernant Gestion, l’intimé lui reproche essentiellement d’avoir manqué à son devoir de compétence et de gestion en utilisant ou en permettant que soient utilisées les sommes déposées par les membres du groupe pour effectuer des opérations risquées qui ont eu pour effet d’exposer les placements aux fluctuations du marché. La requête décrit ainsi les fautes reprochées à Gestion :

120.          [Gestion] a pris des risques contraires à ses obligations et devoirs légaux et contractuels dans la conception et la mise en œuvre de leurs stratégies d’investissement;

 

. . .

 

122.          [L]es sommes affectées au rendement ont dû être liquidées afin d’honorer la garantie de capital du Placement PP et du Placement GA, démontrant ainsi l’ampleur du risque associé aux stratégies d’investissement préconisées;

 

122.1        Les stratégies d’investissements, particulièrement le recours à un effet de levier cinq (5) pour un (1), ont eu pour effet de mettre à risque la garantie de capital et de forcer une liquidation, de surcroît précoce, des sommes affectées au rendement du Placement PP et du Placement GA;

 

123.          De plus, une part importante des investissements en marché monétaire au sein du Placement PP et du Placement GA était composée de Papiers commerciaux adossés à des actifs (« PCAA »);

 

124.          Or, à compter du mois d’août 2007, les PCAA sont devenus des actifs risqués et illiquides qui ne pouvaient plus remplir le rôle qu’on leur prêtait au sein des Placements PP et GA [. . .];

 

125.          Malgré ce qui précède, [les appelantes] ont non seulement conservé après août 2007 des PCAA au sein du Placement PP et du Placement GA, mais ont procédé à de nouvelles émissions de ces Placements jusqu’en septembre 2008 [. . .];

 

. . .

 

127.          Cette conception et cette gestion déficientes de [Gestion], contraire à ses obligations et devoirs d’agir avec prudence et diligence et de suivre des pratiques de gestion saine et prudente, a eu pour effet d’entraîner une perte de cent pour cent (100%) des actifs affectés au rendement alors qu’aucun des actifs sous-jacents n’a enregistré une perte d’une telle ampleur. [Soulignement omis.]

(d.a., vol. II, p. 149-151)

[176]                      Quant au lien de causalité, l’intimé allègue que les agissements des appelantes, notamment les stratégies d’investissement utilisées, auraient eu pour effet de causer l’effondrement des placements en 2008 et d’entraîner la perte de la totalité des actifs affectés au rendement. En plus d’être privés de rendement, les membres du groupe auraient été privés de l’accès au capital investi jusqu’à l’échéance du terme du placement. L’intimé réclame, entre autres, la différence entre le rendement obtenu ou à obtenir et le rendement qui aurait normalement dû être obtenu par des placements conçus et gérés conformément aux obligations de gestion et de compétence, des dommages-intérêts pour la privation du capital déposé pour la durée allant jusqu’à l’échéance du terme, des dommages-intérêts pour les troubles, tracas et inconvénients subis par les membres et, enfin, des dommages-intérêts punitifs relativement à la décision de Gestion de continuer d’émettre les placements PP et GA après août 2007.

VI.         Historique des procédures

A.           Cour supérieure du Québec, 2016 QCCS 839 (l’honorable juge Claude Dallaire)

[177]                      La Cour supérieure refuse d’autoriser le recours collectif. Elle conclut que l’exigence de l’apparence de droit prévue à l’al. 1003b) C.p.c. (par. 575(2) du nouveau C.p.c.) n’est pas remplie tant en ce qui concerne le recours contre Cabinet que celui contre Gestion. Elle conclut également que l’exigence de questions communes prévue à l’al. 1003a) C.p.c. (par. 575(1) du nouveau C.p.c.) n’est pas satisfaite en ce qui a trait au recours contre Cabinet.

[178]                      La juge fait rigoureusement état des principes généraux applicables à l’autorisation d’un recours collectif avant de se pencher sur la requête pour autorisation. En premier lieu, elle traite de la responsabilité contractuelle alléguée de Cabinet afin de déterminer si les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées (al. 1003b) C.p.c.). La juge conclut que la seule base contractuelle possible du recours contre Cabinet se trouve dans les conventions de dépôt à terme. Or, ces conventions interviennent entre les caisses populaires et leurs clients. Ainsi, le principe de l’effet relatif des contrats fait en sorte qu’il n’existe pas de lien contractuel entre les membres du groupe et Cabinet.

[179]                      La juge est également d’avis que les allégations de la requête ne contiennent aucun fait précis permettant de conclure qu’un des représentants de Cabinet aurait commis une faute particularisée liée à des représentations inadéquates; le contrat de mandat invoqué in extremis par les procureurs de l’intimé à l’audience ne leur est d’aucune utilité en l’absence d’allégations spécifiques concernant la faute des représentants.

[180]                      Enfin, la juge vérifie la documentation déposée par l’intimé afin de s’assurer que « rien dans la requête ne [puisse] lier les membres à Cabinet sur la base contractuelle » (par. 86). Elle conclut que la quasi-totalité des documents émane des caisses populaires ou de sources inconnues plutôt que de Cabinet, ce qui rend impossible l’inférence que Cabinet ait pu jouer un rôle quelconque dans l’élaboration de leur contenu.

[181]                      La juge se penche sur le recours individuel de l’intimé contre Cabinet. Elle note que l’intimé n’a jamais signé de contrat avec Cabinet et qu’il n’allègue ni un mandat ni un reproche particulier à l’endroit des représentants de Cabinet avec qui il aurait interagi. Elle est d’avis qu’il s’agit plutôt d’allégations générales. La juge conclut d’ailleurs que l’allégation de l’intimé voulant qu’il ait souscrit aux placements « sur la foi de l’ensemble de ces informations » fournies par Mme Blanchette est trop vague et que la preuve suggère que les documents que l’intimé allègue avoir consultés avant d’effectuer ses placements n’ont pu influencer sa décision. Elle note qu’il ne reste que la recommandation de Mme Blanchette, dont on ignore la teneur puisque l’intimé dit ne pas en avoir souvenir. Elle prend note également que ce dernier ne critique aucunement la recommandation de Mme Blanchette. Par conséquent, la juge conclut que les allégations à l’endroit de Cabinet sont spéculatives et ne satisfont pas à la condition de l’al. 1003b) C.p.c.

[182]                      En ce qui a trait à l’exigence de questions communes de l’al. 1003a) C.p.c., la juge est d’avis que la relation de mandant-mandataire entre un représentant en épargne collective et son client ne se prête pas bien à un recours collectif (par. 208-209). À moins d’une preuve du caractère systématique des représentations, dont tous les membres auraient pris connaissance, l’existence de questions communes est plus difficile à établir. Cette condition fait donc également obstacle à l’autorisation du recours contre Cabinet.

[183]                      En second lieu, la juge traite du recours contre Gestion. Elle considère d’abord les reproches à l’endroit de Gestion en tant que conceptrice des placements. La juge est insatisfaite, à la lumière de la preuve déposée, de l’allégation voulant que Gestion soit responsable de la conception des placements. Elle conclut que la conception fautive des placements n’est pas établie et ne repose que sur des hypothèses.

[184]                      La juge se penche ensuite sur l’allégation de la faute liée au devoir de compétence et de gestion. Elle est d’avis que les allégations voulant que les stratégies d’investissement de Gestion, y compris l’utilisation d’un effet de levier important, aient été trop risquées au point de constituer un manquement à l’obligation de compétence et de gestion de Gestion sont générales et vagues. Elle ajoute que les dispositions législatives invoquées relativement aux obligations de prudence, de diligence, de compétence, de bonne foi et de loyauté imputables aux gestionnaires, ne s’appliquent pas aux appelantes, puisque les placements en question ne sont ni des fonds mutuels ni des fonds d’investissement au sens de la Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ, c. V‑1.1.

[185]                      La juge se prononce également sur l’allégation affirmant que Gestion aurait commis une faute en investissant les sommes affectées au rendement dans des papiers commerciaux adossés à des actifs (« PCAA »). Elle conclut que dans l’hypothèse où le recours pouvait suivre son cours, il serait irrecevable quant aux dommages-intérêts punitifs en raison de la quittance relative aux PCAA qui découle de l’Ordonnance d’homologation rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans le cadre de la restructuration du marché des PCAA conformément à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies , L.R.C. 1985, c. C-36  (« LACC  ») (par. 187; voir ATB Financial c. Metcalfe & Mansfield Alternative Investments II Corp. (2008), 43 C.B.R. (5th) 269 (C.S. Ont.), décision accompagnant la « Sanction Order » (« Ordonnance d’homologation »), 5 juin 2008, et le « Third Amended Plan of Compromise and Arrangement » (« Troisième plan modifié de transaction et d’arrangement »), 12 janvier 2009, conf. par 2008 ONCA 587, 92 O.R. (3d) 513).

[186]                      Bien qu’elle n’ait pas à décider du fond du recours, la juge se dit obligée d’évaluer sa vraisemblance; à ce titre, elle note que la preuve suggère que la crise économique de l’année 2008 serait la cause de l’absence de rendement des placements. Elle conclut donc que les allégations à l’encontre de Gestion ne satisfont pas à la condition de l’al. 1003b) C.p.c. (par. 201).

[187]                      Quant aux autres conditions, la juge note que l’al. c) de l’art. 1003 C.p.c. n’est pas contesté et que l’intimé satisfait à l’exigence de l’al. d), même s’il n’est peut-être pas le représentant idéal.

B.            Cour d’appel du Québec, 2017 QCCA 1673 (l’honorable juge Marie-France Bich, avec l’accord des juges Marie St-Pierre et Claude C. Gagnon)

[188]                      La Cour d’appel accueille l’appel, infirme le jugement de la Cour supérieure et autorise le recours collectif dans son intégralité. Elle conclut que le syllogisme juridique proposé par l’intimé est soutenable tant à l’égard de Cabinet que de Gestion.

[189]                      La Cour d’appel s’exprime au sujet du processus d’autorisation lui-même, étant d’avis que d’insuffler plus de sévérité dans ce processus irait à l’encontre de l’état du droit, tel qu’établi par la Cour dans les arrêts Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 R.C.S. 600, Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3, et Theratechnologies inc. c. 121851 Canada inc., 2015 CSC 18, [2015] 2 R.C.S. 106. À son avis, le requérant M. Asselin n’a qu’à démontrer une « cause soutenable, c’est-à-dire ayant une chance de réussite » (par. 29 (CanLII)). Elle rappelle l’importance de ne pas se saisir, à l’étape de l’autorisation, de ce qui relève du fond du recours.

[190]                      La Cour d’appel convient que la requête pour autorisation en l’espèce n’est pas « parfaitement limpide », mais elle est d’avis qu’il demeure « tout à fait possible de discerner dans ce dédale les éléments essentiels » du syllogisme juridique de l’intimé (par. 47). Elle opine plus particulièrement que « s’il est vrai que l’on ne doit pas se satisfaire du vague, du général et de l’imprécis, l’on ne peut pour autant fermer les yeux devant des allégations qui ne sont peut-être pas parfaites, mais dont le sens véritable ressort néanmoins clairement. Il faut donc savoir lire entre les lignes » (par. 33 (je souligne)).

[191]                      La Cour d’appel aborde d’abord le volet contractuel de l’affaire — le recours contre Cabinet. Elle est d’avis que Mme Blanchette, à titre d’employée ou de mandataire agissant dans l’exercice de ses fonctions, a lié contractuellement Cabinet. Se fondant sur un article de doctrine, la Cour d’appel détermine qu’un rapport contractuel existe entre le client qui consulte une firme pour obtenir des conseils financiers et cette firme (par. 57). Ce rapport vaut pour tous les autres membres du groupe qui se trouvent dans une situation semblable à celle de M. Asselin. Il existe donc prima facie un contrat entre l’intimé et Cabinet ayant pour objet le conseil financier.

[192]                      En ce qui a trait à la faute contractuelle reprochée à Cabinet, la Cour d’appel précise qu’il s’agit d’un manquement au devoir d’honorer les engagements qu’elle a contractés. La Cour d’appel détermine que la proposition de l’intimé est que Cabinet n’aurait pas dû conseiller ces produits à ses clients sans les informer d’un aléa connu et de les prévenir du risque qui en découlait (par. 68).

[193]                      La Cour d’appel se penche ensuite sur le volet extracontractuel de l’affaire — le recours contre Gestion. La Cour d’appel note que les appelantes reconnaissent maintenant que la responsabilité de Gestion est susceptible d’être recherchée à titre de conceptrice des placements en litige. Elle écarte également les conclusions de la juge de première instance selon lesquelles la faute attribuée à Gestion serait fondée sur des allégations hypothétiques, imprécises et spéculatives contenant des opinions. Selon elle, alléguer que les stratégies d’investissement de Gestion ont fragilisé les produits n’a rien d’hypothétique ni de spéculatif et relève des faits. Malgré les défauts rédactionnels de certaines allégations, elle est d’avis que la forme ne doit pas l’emporter sur le fond et conclut que la faute alléguée est suffisamment définie.

[194]                      Concernant le préjudice, la Cour d’appel conclut que la perte de rendement peut constituer un préjudice véritable, tout comme le fait que l’intimé et les membres ont été privés de leur capital jusqu’à l’échéance du terme et n’ont donc pu le réinvestir ailleurs entre-temps. Quant au lien de causalité, la Cour d’appel est d’avis que l’intimé a suffisamment établi l’omission de dévoiler une information cruciale par Cabinet ainsi que le fait qu’il s’est fondé sur cette information incomplète et erronée lorsqu’il a pris sa décision de souscrire aux placements. Elle est donc d’opinion que le syllogisme juridique ayant pour objet le manquement de Cabinet à son devoir de conseil et d’information et le manquement de Gestion à son devoir de compétence est soutenable.

[195]                      En ce qui a trait à la quittance dont bénéficierait Gestion, la Cour d’appel est d’avis que la juge de première instance aurait dû rejeter cet argument. Selon elle, ce moyen nécessite l’administration d’une preuve, à savoir celle du Troisième plan modifié de transaction et d’arrangement et de la quittance qu’il contient puisque ces éléments ont ici valeur de faits devant être prouvés conformément à l’art. 2803 du Code civil du Québec. Malgré cela, la Cour d’appel se penche sur la quittance et détermine qu’elle ne permet ni de savoir avec certitude si Gestion fait partie des « Released Parties » (« Parties libérées ») telles que définies à la quittance ni de savoir si la réclamation en cause est couverte par la quittance (par. 138).

[196]                      Enfin, la Cour d’appel détermine que la conclusion de la juge de première instance concernant l’exigence de questions communes de l’al. 1003a) C.p.c. est erronée. Selon elle, affirmer que le type de relation entre Cabinet et les membres du groupe se prête mal à un recours collectif est insuffisant (par. 150).  

VII.      Questions en litige

[197]                      Ce pourvoi nous demande de répondre aux questions suivantes :

(1)         La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur en autorisant le recours de l’intimé à l’endroit de Cabinet?

(a)            Le recours de l’intimé soulève-t-il des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes suivant l’al. 1003a) C.p.c. (les questions communes)?

(b)            Les faits allégués dans la requête de l’intimé paraissent-ils justifier les conclusions recherchées suivant l’al. 1003b) C.p.c (l’apparence de droit)?

(2)     La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur en autorisant le recours de l’intimé à l’endroit de Gestion?

(a)      La quittance invoquée par Gestion fait-elle échec à la réclamation de l’intimé en dommages-intérêts punitifs en lien avec les PCAA (l’apparence de droit)?

(b)      Les faits allégués dans la requête de l’intimé paraissent-ils justifier les conclusions en dommages-intérêts compensatoires recherchées (l’apparence de droit)?

[198]                      Avant de passer à l’analyse, je note que même si ce pourvoi a été décidé sur la base du C.p.c., le législateur n’a pas modifié la substance des conditions d’autorisation en adoptant le nouveau C.p.c., entré en vigueur en 2016 (voir Ministère de la Justice, Commentaires de la ministre de la Justice : Code de procédure civile, chapitre C-25.01 (2015), art. 575). Bien que certains aspects de la procédure d’autorisation aient été modifiés par l’adoption du nouveau C.p.c. — je pense notamment à la possibilité d’appel sur permission d’une décision autorisant une action collective à l’art. 578 du nouveau C.p.c. (voir aussi l’art. 577 du nouveau C.p.c.) — ces changements n’affectent pas la manière dont un tribunal doit aborder une requête (ou demande) pour autorisation d’exercer un recours collectif. Mes commentaires valent donc tant à l’égard de l’ancien que du nouveau C.p.c.

VIII.   Analyse

[199]                      Ce pourvoi soulève, selon moi, des questions d’application plutôt que des questions de principe. Il n’est pas question ici de remettre en cause l’approche souple et libérale à l’autorisation établie par les arrêts de cette Cour dans Infineon, Vivendi et ceux qui les ont suivis. Cependant, il faut déterminer si, et à quel point, cette approche souple et libérale permet qu’une cour — de première instance ou d’appel — saisie d’une requête pour autorisation d’exercer un recours collectif lise « entre les lignes » de la requête afin de conclure que les conditions prévues à l’art. 1003 C.p.c. (maintenant l’art. 575) sont respectées. 

[200]                      Mon collègue le juge Kasirer n’est pas d’accord. Je conviens avec lui qu’une lecture indûment sévère des conditions d’autorisation n’est pas conforme à l’état du droit québécois. Nos divergences d’opinion semblent plutôt porter sur ce qui constitue un traitement « sévère » de la requête pour autorisation. Tout en acceptant que les requêtes pour autorisation d’exercer un recours collectif doivent être abordées avec souplesse, la jurisprudence, dans son état actuel, ne permet pas au juge d’autorisation de « deviner » le fondement de la cause d’action. Statuer ainsi ne constitue pas une lecture indûment sévère de la requête mais correspond plutôt à la volonté clairement exprimée du législateur que chacune des conditions énoncées à l’art. 1003 C.p.c. soit satisfaite.

A.           Les objectifs visés par le recours collectif 

[201]                      La Cour a déjà décrit en détail les objectifs poursuivis par le recours collectif. Ceux-ci comprennent notamment l’accès à la justice, la modification des comportements préjudiciables et l’économie des ressources judiciaires (L’Oratoire Saint‑Joseph du Mont‑Royal c. J.J., 2019 CSC 35, [2019] 2 R.C.S. 831, par. 6; Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158, par. 15; Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, [2001] 2 R.C.S. 534, par. 27-29; Vivendi, par. 1). Ces objectifs ont donné lieu à une jurisprudence qui cherche à faciliter l’exercice d’un tel recours (Banque de Montréal c. Marcotte, 2014 CSC 55, [2014] 2 R.C.S. 725, par. 43, citant Infineon, par. 60). Cette jurisprudence est bien établie et ce n’est aucunement mon intention de soulever un doute quelconque à cet égard.

[202]                      Les objectifs visés par le recours collectif, tout aussi louables qu’ils soient, ne peuvent cependant être atteints que si une procédure rigoureuse est suivie pour encadrer l’autorisation du recours. On ne saurait fermer les yeux devant le fait que le recours collectif constitue un véhicule procédural lourd qui représente une démarche énorme pour tous les acteurs concernés, y compris les tribunaux. Le recours collectif ne peut atteindre ses objectifs que si les tribunaux donnent sens et substance au texte du législateur, dans le respect de leur rôle institutionnel.

B.            L’étape de l’autorisation du recours collectif

[203]                      Quatre conditions doivent être satisfaites pour qu’un recours collectif soit autorisé :

1003.   Le tribunal autorise l’exercice du recours collectif et attribue le statut de représentant au membre qu’il désigne s’il est d’avis que :

 

a) les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;

 

b) les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;

 

c) la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des articles 59 ou 67; et que

 

d) le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres.

[204]                      L’étape de l’autorisation — ou de la certification, dans les provinces de common law — encadre le véhicule procédural unique qu’est le recours collectif. En effet, le recours collectif permet à un seul représentant de faire valoir les intérêts de dizaines, voire de centaines de personnes (al. 999d) C.p.c.). Les mécanismes de l’autorisation et de l’avis aux membres pallient à l’absence de procuration, inhérente au recours collectif, causée par la dérogation aux règles du mandat d’ester en justice (C. Piché, L’action collective : ses succès et ses défis (2019), p. 71). Vue sous cet angle, l’étape de l’autorisation confère au recours collectif toute sa légitimité.

[205]                      L’étape de l’autorisation permet donc la protection des intérêts de tous les intervenants au recours collectif, soit non seulement ceux du représentant et des membres absents, mais également ceux des défendeurs et même de l’administration de la justice :

[L]a procédure d’autorisation vise aussi de manière intrinsèque à protéger les droits et intérêts des défendeurs. En effet, parce qu’il a l’obligation de statuer sur les conditions de recevabilité préalables à l’exercice de l’action, le tribunal assure par le fait même qu’ils ne soient pas poursuivis sans fondement. Cet exercice est fondamental dans un contexte où les abus de procédure et actions intentées sur une base de minimis peuvent être fréquents. Au-delà de ce risque, les conséquences pour les défendeurs de l’introduction d’une action collective sont généralement importantes. De fait, il est désormais reconnu que ces derniers subissent des impacts médiatiques et commerciaux significatifs [lorsqu’une requête pour autorisation est déposée]. L’effet multiplicateur de l’agrégation d’un nombre élevé de réclamations produit un risque de nuisance considérable. [Références omises.]

(C. Piché (2019), p. 71-72).

[206]                      L’autorisation se veut donc davantage qu’une simple formalité. Il serait dommage de la réduire à un simple « estampillage » (« rubber stamping ») du recours proposé. En effet, un manque de rigueur à l’étape de l’autorisation menace les objectifs du recours collectif lui-même, tout particulièrement sa vocation en tant que véhicule d’accès à la justice (voir P.-C. Lafond, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice : impact et évolution (2006), p. 349). Je suis donc tout à fait d’accord avec les éloquents propos de mon collègue le juge Kasirer, alors à la Cour d’appel, lorsqu’il écrivait :

[traduction] L’absence de rigueur à l’étape de l’autorisation peut effectivement avoir pour effet d’encombrer les tribunaux de poursuites mal conçues, produisant ainsi le résultat contraire de celui visé par les règles sur les actions collectives et contrecarrant de ce fait la réalisation des valeurs d’accès à la justice que ces règles sont censées promouvoir.

(Sibiga c. Fido Solutions inc., 2016 QCCA 1299, par. 14 (CanLII))

[207]                      Or, malgré son rôle fondamental, l’étape de l’autorisation n’est pas sans controverse. En effet, elle ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté juridique et a d’ailleurs fait l’objet de nombreux débats judiciaires (voir, p. ex., Charles c. Boiron Canada inc., 2016 QCCA 1716, par. 69-74 (CanLII), la juge Bich; Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (Copibec) c. Université Laval, 2017 QCCA 199, par. 136 (CanLII); et voir a contrario, Whirlpool Canada c. Gaudette, 2018 QCCA 1206, par. 29 (CanLII), la juge Savard, maintenant juge en chef de la Cour d’appel du Québec). Ces débats ne sont pas que théoriques; ils s’accompagnent d’enjeux bien pratiques, lesquels touchent au nerf central de la légitimité du recours collectif, soit l’accès à la justice.

[208]                      L’utilité de l’étape de l’autorisation est remise en question en raison des délais qu’elle peut occasionner. Cependant, quand bien même l’autorisation pourrait avoir une durée que certains estiment excessive, cela ne se compare aucunement à la durée de l’audition au mérite (C. Piché, « Tout ce qu’on ne vous a jamais dit sur l’étape d’autorisation dans l’action collective » (2018), 77 R. du B. 525, p. 540).

[209]                      Face à cette polémique, qu’en est-il? Force est de constater que, malgré plusieurs occasions de le faire, le législateur n’a pas cru opportun d’éliminer l’étape de l’autorisation. Son remodelage — ou, le cas échéant, sa suppression — appartient à la sphère politique. L’étape de l’autorisation demeure et il faut lui donner un sens.

C.            Le rôle du juge à l’étape de l’autorisation

[210]                      Le juge joue un rôle tout particulier à l’étape de l’autorisation, qu’il faut considérer afin de bien fixer les balises de cette étape et d’assurer une meilleure uniformité de traitement des requêtes pour autorisation d’exercer un recours collectif. Avant d’aborder cette question, je propose de discuter brièvement de certains principes bien établis qui sont applicables à l’étape de l’autorisation des recours collectifs au Québec.

[211]                      Tout d’abord, il importe de rappeler que le fardeau de démontrer que toutes les conditions de l’art. 1003 C.p.c. sont remplies appartient toujours et seulement au requérant. Ce fardeau n’est pas lourd; il s’agit d’un fardeau de démonstration du caractère soutenable du syllogisme juridique proposé plutôt qu’un fardeau de preuve par prépondérance des probabilités (Infineon, par. 61, 65, 84, 89 et 127; Oratoire, par. 58; Martin c. Société Telus Communications, 2010 QCCA 2376, par. 32 (CanLII); Pharmascience Inc. c. Option Consommateurs, 2005 QCCA 437, [2005] R.J.Q. 1367, par. 25). Il a notamment été décrit comme fardeau de logique (motifs de la C.A., par. 38 et 45; Union des consommateurs c. Bell Canada, 2012 QCCA 1287, [2012] R.J.Q. 1243, par. 88).

[212]                      Ensuite, les allégations factuelles de la requête doivent être tenues pour avérées, pourvu qu’elles soient suffisamment précises de façon à soutenir efficacement l’existence du droit revendiqué (Infineon, par. 67 et 134; Oratoire, par. 59, le juge Brown, et par. 171, le juge Gascon; Labelle c. Agence de développement des réseaux locaux de services de santé et de services sociaux — région de Montréal, 2011 QCCA 334, par. 59-60 (CanLII); Toure c. Brault & Martineau inc., 2014 QCCA 1577, par. 38 (CanLII); Sibiga, par. 52; Harmegnies c. Toyota Canada inc., 2008 QCCA 380, par. 44 (CanLII); Regroupement des citoyens contre la pollution c. Alex Couture inc., 2007 QCCA 565, [2007] R.J.Q. 859, par. 32; Boiron Canada inc., par. 4). Les allégations vagues, générales ou imprécises ne peuvent être tenues pour avérées, puisqu’elles se rapprochent alors de l’opinion personnelle, de l’hypothèse et de la spéculation (Oratoire, par. 59, le juge Brown; Fortier c. Meubles Léon Ltée, 2014 QCCA 195, par. 69 (CanLII); Toure, par. 39). Ces allégations vagues, générales ou imprécises ne peuvent être prises en considération, à moins d’être supportées par « une certaine preuve » (Infineon, par. 67 et 134; Oratoire, par. 59). Par ailleurs, le tribunal d’autorisation n’a pas à tenir pour avérées les allégations qui relèvent de l’argumentation juridique (Option Consommateurs c. Bell Mobilité, 2008 QCCA 2201, par. 37-38 (CanLII); Lafond, p. 132).

[213]                      Je rappelle également qu’il n’appartient pas au tribunal de deviner le fondement du recours qu’on cherche à faire autoriser ou du syllogisme juridique en l’absence d’allégations spécifiques quant à un élément essentiel de la cause d’action. Le tribunal d’autorisation peut compléter les allégations avec la preuve au dossier et en tirer des inférences et présomptions (Oratoire, par. 24, le juge Brown).

[214]                      Puisque le tribunal n’a pas à tenir pour avérées les allégations juridiques du requérant, il « peut trancher une pure question de droit au stade de l’autorisation si le sort de l’action collective projetée en dépend; dans une certaine mesure, il doit aussi nécessairement interpréter la loi afin de déterminer si l’action collective projetée est “frivole” ou “manifestement non fondée” en droit » (Oratoire, par. 55, le juge Brown (en italique dans l’original); voir aussi Trudel c. Banque Toronto-Dominion, 2007 QCCA 413, par. 2-3 (CanLII); Groupe d’action d’investisseurs dans Biosyntech c. Tsang, 2016 QCCA 1923, par. 33 (CanLII); Lambert c. Whirlpool Canada, l.p., 2015 QCCA 433, par. 12 (CanLII); Fortier, par. 89-91; Toure, par. 42; Benabu c. Vidéotron, 2018 QCCS 2207, par. 19-22 (CanLII), conf. par 2019 QCCA 2174; Seigneur c. Netflix International, 2018 QCCS 4629, par. 39 et 51-52 (CanLII), conf. par. 2019 QCCA 1671). Je tiens à souligner que lorsque le juge tranche une question de droit dont dépend le sort du recours collectif à l’étape de l’autorisation, cela favorise l’atteinte des objectifs de prévisibilité juridique et d’économie judiciaire qui sous-tendent le système d’administration de la justice. Ceci est d’ailleurs cohérent avec l’objectif de l’autorisation qui est « d’éviter que les parties défenderesses doivent se défendre au fond contre des réclamations insoutenables » (Vivendi, par. 37; voir aussi Infineon, par. 61; Oratoire, par. 56). Les questions de fait, qui exigent l’administration d’une preuve, doivent être laissées au juge du fond.

[215]                      Le rôle du juge d’autorisation se veut plus actif que dans les instances normales. En effet, le juge d’autorisation doit jouer son rôle de protecteur de l’intérêt des membres absents, tout en demeurant impartial et en s’efforçant de ne pas usurper les fonctions des avocats par une gestion trop inquisitrice de l’instance (Lafond, p. 14-16 et 48).

[216]                      Le principe fondamental dans notre système contradictoire est que ce sont les parties qui dirigent le dossier. Les tribunaux doivent juger de la cause selon le dossier qui leur est présenté. Ils ne peuvent de leur propre initiative recadrer le litige. Ainsi, bien que le juge conserve la faculté de proposer certains amendements afin de favoriser l’efficacité du recours, par exemple de restreindre la définition du groupe, il ne peut réorienter le débat (Lafond, p. 20; voir aussi Raleigh c. Maibec inc., 2016 QCCS 2533, par. 65 (CanLII); voir aussi, dans le contexte de la common law, McCracken c. Canadian National Railway Co., 2012 ONCA 445, 111 O.R. (3d) 745, par. 132 et 134). Même si le tribunal est appelé à jouer un rôle plus actif en matière de recours collectif, cela ne lui permet pas pour autant de s’arroger le rôle de partie ou d’avocat et de modifier l’objet du recours tel que présenté par la partie requérante.

[217]                      Dans Infineon, et les arrêts qui ont suivi, cette Cour a décrit le rôle du tribunal à l’autorisation comme un rôle de « filtrage » (par. 59 et 65). Cependant, cette Cour a aussi précisé que le tribunal d’autorisation doit également vérifier que le recours satisfait à chaque condition de l’art. 1003 C.p.c. (Vivendi, par. 37; Infineon, par. 59). Or, il semble parfois exister des divergences de point de vue entre la conception de l’autorisation en tant que simple étape de filtrage, destinée à n’écarter que les causes futiles ou vexatoires, et en tant qu’étape de vérification, qui assure que le recours satisfait toutes les conditions de l’art. 1003 C.p.c. Pourtant, cette Cour a clairement affirmé dans Infineon que « le tribunal, dans sa fonction de filtrage, écarte simplement les demandes frivoles et autorise celles qui satisfont aux exigences relatives au seuil de preuve et au seuil légal prévus à l’art. 1003 », c’est-à-dire celles qui révèlent une « cause soutenable » ou « une apparence sérieuse de droit » (par. 61 et 65 (je souligne); voir aussi Vivendi, par. 37). De même, cette Cour a répété à plusieurs reprises que ce ne sont pas que les demandes frivoles qui doivent être écartées, mais également celles qui sont « insoutenables » (Oratoire, par. 56 et 61; voir aussi Infineon, par. 61-62; Vivendi, par. 37).

[218]                      Les tribunaux chargés de l’autorisation de recours collectifs doivent suivre une approche constante. Il ne faut pas confondre une vérification au stade de l’autorisation avec une incursion sur le fond ou encore un alourdissement du fardeau incombant au requérant à l’étape de l’autorisation. Même si l’analyse requise au stade de l’autorisation peut s’avérer laborieuse en raison, par exemple, de la complexité de l’affaire, cela ne veut pas pour autant dire qu’elle est illégitime. Bien au contraire, elle demeure nécessaire afin d’assurer que tous les éléments de la cause d’action du requérant soient présents et que chacune des conditions énoncées à l’art. 1003 C.p.c. soit remplie. Le fait que cette analyse puisse être difficile ne signifie pas que le recours doit être autorisé. La recherche d’une « apparence sérieuse de droit » requiert nécessairement une lecture attentive de la requête vérifiant le caractère soutenable du syllogisme proposé.  

[219]                      Le juge d’autorisation se trouve donc dans la position délicate d’adopter une approche aux conditions d’autorisation qui d’une part, permet de préserver l’intégrité de l’étape d’autorisation, et qui, d’autre part, n’est pas indûment restrictive eu égard au recours envisagé. Des carences de forme sont pardonnables; des carences de substance ne le sont pas. Puisque le tribunal doit tenir les faits allégués pour avérés, les allégations doivent être claires et complètes, plutôt que vagues, générales ou imprécises. En somme, le rôle du juge à l’étape de l’autorisation est de filtrer les recours frivoles ou insoutenables, mais aussi de vérifier que toutes les conditions de l’art. 1003 C.p.c. sont satisfaites par le requérant. Le professeur Lafond résume bien la tâche incombant au tribunal d’autorisation :

Le recours collectif ne doit pas subir l’épreuve ultime dès le stade de l’autorisation. Comme l’énonce la Cour suprême, le tribunal n’a pas besoin d’être convaincu du bien-fondé de la réclamation. Sa fonction se résume à vérifier l’exactitude du syllogisme juridique qui sous-tend le recours, sans présumer en rien du fond du litige, ce qui implique l’examen sommaire des arguments de droit soumis par le requérant. [Je souligne; références omises; p. 110-111.]

[220]                      Ceci dit, mon énoncé de la fonction de filtrage ne cherche pas à « raviver un débat qui, pourtant, a été tranché par cette Cour aussi récemment que l’année dernière », comme le soutient mon collègue (par. 54). Le juge Kasirer affirme que l’arrêt Oratoire a confirmé que seules les requêtes frivoles ou manifestement mal fondées en droit ou en fait ne peuvent être autorisées (par. 55-58). Or, affirmer que l’autorisation est une étape de vérification et non simplement de filtrage des recours abusifs et frivoles respecte la jurisprudence de cette Cour (voir Infineon, par. 61; Vivendi, par. 37). La jurisprudence est parfaitement limpide et unanime à cet égard : à l’étape de l’autorisation, le tribunal doit s’assurer que toutes les conditions de l’art. 1003 C.p.c. sont satisfaites et l’autorisation doit être refusée si une seule des conditions n’est pas remplie. À l’étape de l’autorisation, le tribunal exerce certes un rôle de filtrage mais aussi de vérification (Infineon, par. 59; Vivendi, par. 37; Oratoire, par. 7, le juge Brown).

[221]                      Je souhaite préciser ma compréhension de l’expression « frivole à sa face même » puisque cela semble être à l’origine du désaccord avec mon collègue. À ce propos, je suis d’opinion que mon collègue s’écarte de la jurisprudence de cette Cour dans les arrêts Infineon, Vivendi et Oratoire en affirmant que le filtrage ne vise qu’à « écarter les demandes frivoles, sans plus » (par. 25 et 27). Je conviens que le seuil du filtrage n’est pas très élevé. Cependant, il existe une distinction entre une demande « insoutenable » et une demande « frivole ». À mon sens, une requête pour autorisation qui ne remplit pas toutes les conditions d’autorisation n’est pas par ce fait même « frivole », qualificatif appliqué plutôt aux requêtes qui, à leur face même, sont futiles, vexatoires ou dénuées de sens. Il n’est donc pas question de n’écarter que les requêtes les plus extrêmes. Une lecture attentive de la requête et une analyse de la preuve au dossier s’imposent. Lorsque je parle d’une étape de vérification, je réitère le principe bien établi voulant que le juge d’autorisation doive lire avec attention les allégations de la requête tenues pour avérées afin d’analyser le caractère défendable du syllogisme juridique qu’elle propose.

[222]                      Cette mise au point étant faite, j’aborde maintenant la norme d’intervention en appel d’une décision rendue à l’étape de l’autorisation.

D.           La norme d’intervention en appel

[223]                      Les pouvoirs du juge à l’étape de l’autorisation sont vastes; il dispose d’une importante marge de manœuvre dans l’appréciation des quatre conditions d’autorisation énoncées à l’art. 1003 C.p.c. (Harmegnies, par. 20-24; voir aussi Lafond, p. 153-154). Lorsqu’il est d’avis que chaque condition est satisfaite, il doit autoriser le recours, comme le prescrit l’art. 1003 C.p.c., et il n’a pas discrétion de refuser de l’autoriser (voir aussi Vivendi, par. 67).

[224]                      Cet important pouvoir d’appréciation se reflète dans la norme d’intervention en appel qui lui est applicable, soit celle de l’erreur manifeste et déterminante. Notre Cour l’a récemment rappelé : le pouvoir d’intervention d’une cour d’appel est limité lorsqu’elle siège en appel d’une décision portant sur une requête pour autorisation d’exercer un recours collectif (Oratoire, par. 10, le juge Brown). Ce n’est que lorsque l’appréciation par le juge d’autorisation des conditions de l’art. 1003 C.p.c. s’avère manifestement mal fondée que l’intervention de la Cour d’appel est justifiée (voir aussi Vivendi, par. 34; Federal Express Canada Corporation c. Farias, 2019 QCCA 1954, par. 2 (CanLII); Benabu (C.A.), par. 3 (CanLII)). Si la Cour d’appel choisit d’intervenir au motif qu’elle estime que l’appréciation d’une des conditions d’autorisation est manifestement mal fondée, elle ne peut substituer son opinion qu’à l’égard de cette condition (Vivendi, par. 35; Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), 2015 QCCA 1820, par. 17 (CanLII); Sibiga, par. 32-35; Boiron Canada inc., par. 37 ; Belmamoun c. Brossard (Ville), 2017 QCCA 102, 68 M.P.L.R. (5th) 46, par. 70). Bien entendu, la Cour d’appel peut intervenir en cas d’erreur de droit puisque les questions de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte. Néanmoins, il reste que le pouvoir d’intervention d’une cour d’appel demeure limité et que celle-ci doit faire preuve de déférence envers la décision du juge d’autorisation dans son appréciation des conditions de l’art. 1003 C.p.c.

IX.         Application

[225]                      Qu’en est-il de l’application de ces principes en l’espèce? Je note d’emblée qu’il ne s’agit pas ici d’un recours dont les insuffisances du syllogisme juridique sont évidentes à la face même de la requête pour autorisation (voir, p. ex., Durand c. Attorney General of Quebec, 2018 QCCS 2817). Cependant, Infineon et Vivendi n’ont pas assoupli les conditions d’autorisation au point de ne pouvoir écarter que les demandes frivoles à leur face même.

[226]                      Ce pourvoi exige une analyse attentive de la requête, incluant les allégations et les documents qui étaient devant la juge de l’autorisation afin qu’elle puisse déterminer si le recours devait être autorisé. C’est justement là l’exercice qui incombe au juge d’autorisation et l’on ne saurait dire avant cette analyse pour quel motif la cause d’action est défendable et susceptible d’être autorisée. L’autorisation demeure un exercice intellectuel qui ne peut être éludé au motif qu’une lecture diagonale de la requête ne fait pas transparaître de lacunes fondamentales dans le syllogisme juridique.

A.           Le recours proposé contre Cabinet

[227]                      La question principale qui doit être analysée quant au recours contre Cabinet porte sur l’intervention de la Cour d’appel à l’égard de la décision de la Cour supérieure. Cette question soulève deux sous-questions relatives aux conditions d’autorisation énoncées à l’art. 1003 C.p.c., soit la présence de questions communes à l’égard de Cabinet (al. 1003a) C.p.c.) et l’existence d’une cause défendable contre Cabinet (al. 1003b) C.p.c.).

[228]                      Avant de discuter de ces questions, il me semble essentiel de parler du fondement du recours de l’intimé contre Cabinet, puisque celui-ci ne fait pas l’unanimité.

[229]                      Je conviens avec mon collègue que l’existence d’un lien contractuel entre Cabinet et l’intimé ne fait plus de doute (par. 23 et 37). Ainsi, les représentants de Cabinet, dont Mme Blanchette, peuvent engager la responsabilité contractuelle de cette dernière, ce que les appelantes ont par ailleurs concédé à l’audience devant notre Cour. Cependant, je rappelle que la juge de première instance a considéré plusieurs fondements contractuels possibles du recours contre Cabinet. Le fait qu’elle ait écarté la possibilité d’un fondement contractuel sur la base des conventions de dépôt n’invalide pas pour autant sa décision dans la mesure où elle a analysé d’autres fondements contractuels dont celui découlant de la relation mandant-mandataire entre les représentants de Cabinet et leurs clients.

[230]                      Le recours de l’intimé se fonde sur un manquement au devoir d’information (ou devoir de renseignement) de Cabinet. L’intimé affirme que s’il avait été informé que les placements comportaient certains risques quant au rendement, il n’y aurait pas souscrit.

[231]                      Mon collègue résume la nature du devoir d’information (par. 61). Je propose donc de n’y ajouter que quelques précisions. Tout d’abord, le devoir d’information intervient tant au stade précontractuel en obligeant la divulgation des informations nécessaires à l’obtention du consentement éclairé qu’en cours d’exécution de contrat (J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, La responsabilité civile, vol. 2, Responsabilité professionnelle (8e éd. 2014), nos 2-452 et 307). Le devoir d’information auquel réfère mon collègue semblerait être un devoir d’information continu, qui intervient lors de l’exécution du contrat de services puisqu’il ne peut s’agir, en l’espèce, d’un devoir d’information qui serait intervenu au stade précontractuel relatif aux conventions de dépôt.

[232]                      Enfin, avant de m’aventurer sur la question du recours de l’intimé contre Cabinet, je souhaite bien cerner les contrats dont il est question en l’espèce, puisque l’intimé allègue la responsabilité contractuelle de Cabinet. La juge de première instance ne fait aucune erreur lorsqu’elle affirme que les conventions de dépôt des placements PP et GA ne sont pas susceptibles d’engager la responsabilité contractuelle de Cabinet puisqu’elles interviennent entre les clients et leurs caisses populaires respectives. Cela ne semble pas être remis en question, ni par la Cour d’appel, ni par mon collègue. Le contrat susceptible d’engager la responsabilité contractuelle de Cabinet serait plutôt celui qui intervient entre le client et Cabinet, par l’entremise de la représentante, en l’espèce Mme Blanchette. Je suis d’accord avec la Cour d’appel lorsqu’elle affirme qu’il s’agit là d’un contrat de services dont le seul objet est le conseil (par. 54 et 63). Je partage donc la position de mon collègue à cet égard (par. 59). Même si la prestation de base du contrat est le conseil, je conviens également que cela n’empêche pas qu’un devoir d’information existe également (J.-L. Baudouin et P.‑G. Jobin, Les obligations (7e éd. 2013), par P.-G. Jobin et N. Vézina, no 306).

(1)          L’intervention de la Cour d’appel

[233]                      Les appelantes soutiennent que la Cour d’appel a réécrit la cause d’action de l’intimé à l’égard de Cabinet. Cela découlerait notamment des propos énoncés au par. 33 de ses motifs :

D’une part, s’il est vrai que l’on ne doit pas se satisfaire du vague, du général et de l’imprécis, l’on ne peut pour autant fermer les yeux devant des allégations qui ne sont peut-être pas parfaites, mais dont le sens véritable ressort néanmoins clairement. Il faut donc savoir lire entre les lignes. Agir autrement serait faire montre d’un rigorisme ou d’un littéralisme injustifié et donner aux propos de la Cour suprême en la matière une acception qu’ils n’ont pas. [Je souligne.]

[234]                      Il est vrai que d’adopter un formalisme sévère cadre mal avec l’approche souple et flexible qui doit prévaloir au stade de l’autorisation. Or, même en supposant pour les fins de la discussion que l’on doive parfois « lire entre les lignes », encore faut-il qu’il y ait des lignes; la cour ne peut les écrire elle-même.

[235]                      Je me permets ici d’adopter l’intéressante métaphore du juge Rennie, alors à la Cour fédérale, lorsqu’il parlait du droit administratif : 

L’arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la Cour toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, ni ne l’autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser. C’est particulièrement le cas quand les motifs passent sous silence une question essentielle. [. . .] L’arrêt Newfoundland Nurses permet aux cours de contrôle de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées. Ici, il n’y a même pas de points sur la page. [Je souligne.]

(Komolafe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, 16 Imm. L.R. (4th) 267, par. 11)

[236]                      De la même façon, de « lire entre les lignes » ne permet pas à une cour d’appel de réorienter le recours à sa guise, particulièrement en l’absence d’allégations. Bien qu’une requête puisse manquer de limpidité, comme le reconnaît la Cour d’appel à l’égard du dossier en l’espèce (par. 47), un fil conducteur doit néanmoins permettre de relier les points afin de permettre au tribunal d’inférer la cause d’action sur la base de déductions fondées sur les faits allégués (A c. Frères du Sacré-Coeur, 2017 QCCS 5394, par. 31 (CanLII)). Cela ne pourra cependant pas se faire en l’absence d’allégations et certainement pas en présence d’affirmations contradictoires. La facilitation de l’autorisation du recours collectif favorisée par la jurisprudence ne va pas jusque-là. Or, et avec respect, c’est ce qui s’est passé selon moi en Cour d’appel.

[237]                      La juge d’autorisation a analysé le recours contre Cabinet tel qu’il a été présenté par l’intimé dans sa requête pour autorisation, c’est-à-dire sous l’angle de la responsabilité contractuelle de Cabinet découlant d’un manquement au devoir d’information. Ce manquement allégué du devoir d’information a fait l’objet d’une analyse notamment dans le cadre d’un fondement contractuel qui découlerait de la relation mandant-mandataire entre les représentants de Cabinet et les clients (par. 208). Je rappelle ici que l’appréciation par la juge des conditions d’autorisation commande la déférence en appel en l’absence d’une erreur manifeste et déterminante.

(2)          L’exigence de questions communes (al. 1003a) C.p.c.)  

[238]                      Cabinet plaide essentiellement qu’à moins de démontrer un caractère systématique aux représentations ou omissions reprochées à l’ensemble des conseillers financiers de Cabinet, le recours collectif ne peut être autorisé, car la condition des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes n’est pas satisfaite.

[239]                      Je suis d’avis, à l’instar de la juge d’autorisation, que cette condition n’est pas satisfaite en l’espèce. La responsabilité de conseillers financiers pour un manquement au devoir d’information et de conseil ne se prête pas à un recours collectif en raison du caractère hautement individuel de la relation entre un client et son conseiller dans le cadre d’un contrat de services de placement. L’analyse de la responsabilité devrait alors être reprise dans chacun des cas individuels. La jurisprudence est constante à cet égard : il ne peut y avoir de questions communes dans de telles circonstances. Ceci ne signifie toutefois pas que les conseillers financiers sont à l’abri de tout recours collectif reprochant un manquement au devoir d’information. Lorsqu’un requérant parvient à démontrer que le manquement revêt un caractère systématique, la condition des questions communes ne fera pas obstacle à l’autorisation. C’est ce qu’avait fait le demandeur dans Oratoire en préparant un tableau des victimes qui, selon lui, révélait l’apparence d’une faute de nature systématique de la part des institutions défenderesses. Or, l’intimé n’a ni allégué ni démontré quelque manquement systématique que ce soit au devoir d’information des conseillers qui pourrait être imputé à Cabinet. De l’aveu même de l’intimé, il n’a aucune idée si d’autres clients étaient dans la même situation que lui. En bref, c’est l’absence de caractère systématique qui est fatal au recours de l’intimé et non le fait qu’il vise des conseillers financiers.

[240]                      L’intimé décrit comme suit la question à être traitée collectivement en ce qui concerne le devoir d’information de Cabinet :

[Cabinet a-t-elle] contrevenu à ce devoir [d’information] en omettant d’informer clairement les membres du Groupe [. . .] que les Placements PP et GA comprendraient des stratégies de placements susceptibles de réduire à néant, avant terme, toute possibilité de rendement?

(d.a., vol. II, p. 158)

[241]                      Même en présumant pour les fins de la discussion de la condition de l’al. 1003a) C.p.c. que l’intimé a une cause défendable contre Cabinet, je suis d’avis que le recours ne peut être autorisé en raison de l’absence de questions communes. L’existence, s’il en est, de la faute reprochée à Cabinet, soit un manquement à son devoir d’information concernant le caractère sécuritaire des placements PP et GA, requiert une analyse contextuelle impliquant plusieurs facteurs, dont : la nature de la relation entre le conseiller financier et son client, les informations transmises par le conseiller financier, le profil d’investisseur de chaque individu, son âge et son expérience, la compréhension par chaque investisseur des risques associés aux placements, le degré de sophistication de chaque investisseur, la tolérance de chaque investisseur au risque; tous des facteurs mettant essentiellement en évidence le caractère individuel, et non commun du devoir d’information en l’absence d’une démonstration du caractère systématique du manquement à ce devoir.

[242]                      Je conviens avec mon collègue que le devoir d’information se veut plus général que le devoir de conseil incombant aux représentants de Cabinet. Le devoir d’information est cependant une obligation à géométrie variable modulée par les circonstances propres à chaque cas, telles que les caractéristiques du client et la nature de la relation avec son conseiller (D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (3e éd. 2018), no 2006; N. L’Heureux et M. Lacoursière, Droit bancaire (5e éd. 2017), no 644). La dimension à géométrie variable du devoir d’information a été confirmée dans l’arrêt Banque de Montréal c. Bail Ltée, [1992] 2 R.C.S. 554, p. 586-587. Cela est d’autant plus vrai dans un cas où le devoir d’information est l’accessoire d’une prestation principale ayant pour objet le conseil (motifs du juge Kasirer, par. 59). En effet, le devoir d’information en l’espèce n’intervient pas à titre d’accessoire aux conventions de dépôt des placements PP et GA, puisque ces conventions interviennent entre les clients et leurs caisses populaires. Force est de constater que l’obligation d’information en l’espèce s’inscrit dans un contexte plus large, soit la prestation de services de conseiller financier, qui varie selon plusieurs facteurs, notamment la durée de la relation, les objectifs du client, son niveau d’expertise, et j’en passe. Il n’est donc pas surprenant que l’intimé ignore s’il existe d’autres membres dans la même situation que lui.

[243]                      C’est ainsi que le devoir d’information incombant à un professionnel qui dispense des services à un client profane comprend le devoir de se renseigner au sujet des faits susceptibles d’intéresser le client (Lluelles et Moore, no 2009.1). À ce titre, l’une des obligations les plus importantes incombant aux courtiers en valeurs mobilières et aux conseillers financiers est celle de connaître son client. Or, cette obligation de moyens est nécessairement individuelle, à contenu et à intensité variable (S. Rousseau, « L’obligation du courtier de connaître son client en droit canadien des valeurs mobilières » (2008), 2 R.D.B.F. 11). L’obligation du conseiller ou du courtier de connaître son client vient moduler sa relation avec ce dernier; il est clair que les circonstances spécifiques du client ont une importance significative.

[244]                      Notre Cour a par ailleurs déjà reconnu le contenu variable des obligations incombant aux intermédiaires de marché dans l’arrêt Laflamme c. Prudential-Bache Commodities Canada Ltd., 2000 CSC 26, [2000] 1 R.C.S. 638 :

Le contenu des obligations qui incombent au gestionnaire variera en fonction de l’objet du mandat et des circonstances. Une des plus fondamentales de ces obligations exige que le gestionnaire agisse avec l’habileté convenable et tous les soins d’un bon père de famille (art. 1710 C.c.B.C.). Ce comportement n’est pas celui du meilleur des gestionnaires, ni du pire. Il s’agit plutôt du comportement d’un gestionnaire raisonnablement prudent et diligent exerçant des fonctions semblables et placé dans une situation analogue. Ainsi, la conduite du gestionnaire de portefeuille doit « être analysée en tenant compte de sa qualité de spécialiste de ce genre d’opérations, en tenant compte des usages de chaque profession » ([N. L’Heureux, « La révocation d’un agent et le statut d’intermédiaire de commerce » (1977) 18 C. de D. 397], à la p. 425). Le Règlement sur les valeurs mobilières, (1983) 115 G.O. II, 1511, précise davantage cette obligation en exigeant que le gestionnaire apporte à la relation avec son client « les soins que l’on peut attendre d’un professionnel avisé, placé dans les mêmes circonstances » (art. 235). Il doit aussi agir de bonne foi, avec honnêteté et loyauté (art. 234.1). [Je souligne; par. 29.]

Et encore :

L’étendue et la nature de ce devoir varieront en fonction des circonstances. En particulier, on note l’importance de la personnalité du client. [. . .] L’intensité du devoir de conseil sera d’autant plus importante que les connaissances du client en matière d’investissements sont faibles (Mines c. Calumet Investments Ltd., [1959] C.S. 455; Proulx c. Société de placements & Co., [1976] C.A. 121). Le courtier, gestionnaire, est d’ailleurs tenu de bien connaître son client (Loi sur les valeurs mobilières, art. 161; Règlement sur les valeurs mobilières, art. 232; Commission des valeurs mobilières du Québec, Instructions générales québécoises Q-9, art. 57). [Je souligne; par. 34.]

Bien que ces commentaires aient été formulés dans le cadre d’un recours contre un courtier en valeurs mobilières agissant à titre de gestionnaire de portefeuille, j’estime qu’ils sont tout aussi pertinents dans le contexte qui nous occupe.

[245]                      Dans l’arrêt Richter & Associés inc. c. Merrill Lynch Canada inc., 2007 QCCA 124, [2007] R.J.Q. 238, par. 73, la Cour d’appel du Québec a également reconnu que les obligations du courtier varient selon les circonstances telles que « l’objet précis du mandat, les objectifs du client, les connaissances du client dans le champ de l’investissement envisagé, les risques associés à l’opération, la situation financière et la personnalité du client ».

[246]                      Plus récemment encore, la Cour supérieure du Québec a également confirmé qu’un recours fondé sur un manquement au devoir d’information se prête mal au véhicule du recours collectif en raison de la variabilité des circonstances de chaque membre. Dans l’affaire Louisméus c. Compagnie d’assurance-vie Manufacturers (Financière Manuvie), 2017 QCCS 3614, laquelle concernait également la vente de produits financiers, l’honorable juge Hamilton (alors à la Cour supérieure) a conclu à l’absence de questions communes, puisque l’analyse du manquement au devoir d’information du conseiller exigeait de se pencher sur les particularités de chacune des relations individuelles telles que les informations reçues par chaque conseiller, la compréhension des instructions reçues de chaque client, les communications faites par chaque conseiller à chacun de ses clients et les raisons ayant poussé chacun des clients à souscrire aux produits (par. 91-94 (CanLII); voir aussi Brunelle c. Banque Toronto Dominion, 2009 QCCS 4605). Je ne vois pas les mêmes limites que mon collègue le juge Kasirer voit à ces propos. Même s’il s’agit d’obiter, la force persuasive de Louisméus demeure.

[247]                      Bien que j’accepte qu’il ne faille pas s’attarder aux particularités de chacun des membres au stade de l’autorisation du recours collectif (Lafond, p. 63), il reste qu’ici, les éléments de la faute, la causalité et le préjudice invoqués par l’intimé au nom du groupe sont éminemment variables. Étant donné la nécessité d’une telle analyse contextuelle, il ne peut donc y avoir de caractère commun à la question de savoir s’il y a eu manquement au devoir d’information en l’absence d’une démonstration de son caractère systématique. L’analyse individualisée exigée par le recours éclipse la possibilité de procéder sur une base collective.

[248]                      Au Québec, il en a été décidé ainsi avant Vivendi et Infineon. Lorsque l’analyse dont il dépend est propre à chaque individu, le recours ne devrait pas procéder sur une base collective. Par exemple, dans Rosso c. Autorité des marchés financiers, 2006 QCCS 5271, [2007] R.J.Q. 61, le juge Lalonde, la Cour supérieure a conclu qu’il ne pouvait y avoir de questions communes lorsque l’analyse du lien de causalité doit être répétée pour chaque membre, avec pour résultat une multitude de litiges individuels (par. 45; voir aussi, Paré c. Desjardins Sécurité financière, 2007 QCCS 4566, par. 59-61 (CanLII), le juge Jasmin). En s’appuyant sur Louisméus, la Cour supérieure a également dit ce qui suit dans Farber c. N.N. Life Insurance Co. of Canada, [2002] AZ-50123096 :

[traduction] Si, en revanche, comme le prétend M. Farber, il a été victime de fausses déclarations, une telle prétention repose sur sa propre compréhension subjective soit des documents contractuels soit des exemples utilisés par le courtier qui lui a vendu la police pour illustrer ses explications. Il ne saurait, sur cette base, affirmer que tous les membres du groupe partageaient cette compréhension erronée, car la situation de chaque membre varie, en fonction de la compréhension que chaque acheteur ou acheteuse avait de ce qu’il ou elle achetait, et des objectifs particuliers que visait cette personne en matière de protection d’assurance ou d’épargne. Les possibilités sont trop variées et trop complexes sur le plan factuel pour permettre les économies de temps et d’argent qu’une action collective est censée réaliser. [par. 2]

[249]                      Cette interprétation de l’exigence de l’al. 1003a) C.p.c. a continué de prévaloir après Vivendi et Infineon, comme l’affaire Louisméus, décrite plus haut, le démontre.

[250]                      Mon collègue me reproche d’ajouter un critère de prépondérance des questions communes par rapport aux questions individuelles (par. 25). Je suis tout à fait d’accord avec lui qu’il n’existe pas en droit québécois de critère de prépondérance des questions communes, à la condition évidemment qu’une ou des questions communes existent. Il ne faut cependant pas oublier le sens de la condition prévue à l’al. 1003a) tel qu’énoncé dans Infineon et Vivendi. Cette condition vise à s’assurer que la dimension collective du recours proposé soit maintenue en vérifiant que le litige soulève minimalement une question permettant une analyse collective qui fera avancer le litige de façon « non-négligeable » (Vivendi, par. 58; voir Rozon c. Les Courageuses, 2020 QCCA 5, par. 68 (CanLII), le juge Hamilton). Dit autrement, son importance doit être telle qu’elle est « susceptible d’influencer le sort [du recours collectif] » (Infineon, par. 72). L’analyse de la question commune doit donc se faire par référence au recours qui est envisagé. Fondamentalement, l’objectif de cette condition est « d’éviter la répétition de l’appréciation des faits ou de l’analyse juridique » (Dutton, par. 39; Rumley c. Colombie-Britannique, 2001 CSC 69, [2001] 3 R.C.S. 184, par. 29; Vivendi, par. 44; voir Lafond, p. 92).

[251]                      Force est de constater que lorsqu’un recours exige la répétition de l’appréciation des faits entourant la prestation de services de chacun des conseillers financiers et la répétition de l’analyse juridique de chacun de leur manquement selon les circonstances de chaque espèce, il faut en conclure que la résolution de la question commune suggérée ne fait pas avancer le recours de façon non négligeable. Une telle approche reconnaît le rôle de la proportionnalité — un principe cardinal de la procédure civile — dans un recours qui présente surtout des questions hautement individualisées en prévenant la mise en branle du dispendieux et énorme vaisseau du recours collectif sans que des gains d’efficacité ne soient obtenus, alors que des recours individuels n’auraient pas pour effet d’alourdir indûment la résolution du litige (art. 4.2 C.p.c.; art. 18 du nouveau C.p.c.).

[252]                      Dans le cas présent, je suis donc d’avis qu’il n’y a aucune question commune qui puisse se poser vu la façon dont le recours est présenté par l’intimé. Il n’y a aucune allégation voulant que d’autres membres soient dans une situation suffisamment similaire à la sienne; au contraire, comme je le décris ci-dessous, on ignore s’il y a d’autres membres dans la même situation que lui.

[253]                      Je suis donc d’accord avec Cabinet pour dire qu’il était erroné pour la Cour d’appel, à la lumière de la requête tel que présentée, de conférer un caractère systématique à la situation de l’intimé voulant qu’une faute semblable ait été commise par chaque conseiller financier, à l’égard de chaque membre du groupe. Avec égards, il ne s’agit là que de spéculation et la Cour d’appel pousse la lecture « entre les lignes » trop loin à ce sujet.

[254]                      Afin d’identifier un caractère systématique à la faute reprochée, le juge Kasirer s’appuie fortement sur l’allégation de l’intimé voulant que Cabinet n’ait pas suffisamment instruit ses représentants quant aux placements PP et GA. Cette allégation se lit comme suit :

107.1     En outre, les représentants de [Cabinet] n’étaient pas suffisamment instruits quant aux caractéristiques et aux risques des Placements PP et GA et ne pouvaient donc pas juger de leurs avantages et de leurs inconvénients;

Cette allégation ne suffit toutefois pas à conférer un caractère systématique à une quelconque faute des représentants. Puisqu’elle ne repose que sur des généralités, cette allégation ne peut être tenue pour avérée. Comme le requiert la jurisprudence, une telle allégation générale doit donc être supportée par une certaine preuve pour qu’on puisse en tenir compte (Infineon, par. 67 et 134; Oratoire, par. 59). Or, l’intimé n’a offert aucune preuve supportant précisément cette allégation. En fait, il a plutôt offert une preuve contredisant le caractère systématique de la faute reprochée.

[255]                      L’intimé a reconnu qu’il ne savait pas s’il y avait d’autres investisseurs dans une situation similaire à la sienne :

[Procureur des appelantes] :

. . . Et donc, vous savez pas non plus comment, parce que ce sont des pièces qui ne vous concernent pas personnellement, vous ne connaissez pas les circonstances suivant lesquelles les autres membres, si c’est le cas, comment ils les ont reçues, dans quelles circonstances ils les ont reçues

 

[Procureur de l’intimé] :

C’est admis que le témoin ne connaît pas ces circonstances-là. Voulez-vous une autre admission?

 

[Procureur des appelantes] :

Et vous ne savez pas non plus quelles représentations auraient pu ou ne pas être faites à un membre lorsqu’il a reçu un ou l’autre de ces documents-là?

 

M. RONALD ASSELIN :

Je suis au courant de rien.

 

. . .

 

[Procureur des appelantes] :

Il connaît pas les circonstances suivant lesquelles les membres concernés sont arrivés à se retrouver avec ces pièces-là [pièces communiquées par des membres du groupe ou des tiers]?

 

[Procureur de l’intimé] :

Je vous ai déjà admis ça. Il ne connaît pas ces circonstances.

(d.a., vol. XII, p. 125-126)

Il n’y a donc aucune allégation ni démonstration du caractère systématique de la faute reprochée à Cabinet et à ses représentants à l’endroit de leurs clients. Je suis d’avis que la Cour d’appel a erré en extrapolant la situation de l’intimé à celle des autres membres du groupe proposé (par. 51-52, 76-79 et 149).

[256]                      Sans pour autant conclure qu’une réclamation pour un manquement au devoir d’information commis par un conseiller financier ne puisse jamais faire l’objet d’un recours collectif, je suis d’avis que ce n’est pas le cas ici. On n’allègue aucune faute systématique commise par les représentants de Cabinet, laquelle est essentielle selon moi pour conclure à l’existence d’une question commune. Toute question commune pouvant être identifiée ne ferait pas avancer le recours de manière non négligeable, particulièrement au vu de la kyrielle de questions individuelles devant être résolues.

[257]                      La question de la faute susceptible d’être commise par un tel conseiller, laquelle implique une diversité de questions pour chaque individu ayant souscrit des placements PP et/ou GA tel que je l’explique ci-dessus, et la question de la causalité en particulier sont éminemment variables puisqu’il faudra des procès individuels afin d’établir le contexte ayant mené à chaque investissement. Cela est vrai peu importe que l’on parle d’obligation d’information ou de conseil. Cette preuve devra être administrée individuellement pour chaque relation entre un conseiller financier et son client et risque d’être hautement personnalisée et subjective vu la nature du recours. L’appréciation des faits et l’analyse juridique devra être répétée systématiquement, de sorte que la question suggérée ne saurait faire avancer le litige de façon non négligeable. Elle ne peut donc être qualifiée de question commune en l’espèce (voir Lallier c. Volkswagen Canada inc., 2007 QCCA 920, [2007] R.J.Q. 1490, par. 21). En bref, le cas présent ne donnerait lieu à aucune analyse collective (Vivendi, par. 58) et le recours collectif intenté n’éviterait pas la duplication des recours.

[258]                      Je suis donc d’avis, à l’instar de la juge d’autorisation, que la condition de l’al. 1003a) C.p.c. n’est pas satisfaite en l’espèce.

[259]                      Selon moi, l’absence de caractère systématique est, à elle seule, suffisamment convaincante pour refuser l’autorisation du recours. Cette conclusion relative à la condition de l’al. 1003a) C.p.c. suffit pour disposer de l’appel de Cabinet et rejeter le recours contre cette dernière. Il n’est donc pas nécessaire de traiter de la deuxième sous-question soumise par Cabinet, à savoir l’absence de cause défendable suivant l’al. 1003b) C.p.c.

B.            Le recours proposé contre Gestion

(1)          L’intervention de la Cour d’appel

[260]                      Je rappelle encore ici que le pouvoir d’intervention d’une cour d’appel au stade de l’autorisation est limité. Cette dernière ne peut intervenir qu’en cas d’erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation des conditions de l’art. 1003 C.p.c. par le juge d’autorisation, ou en cas d’erreur de droit. Si une cour d’appel intervient à l’égard de l’appréciation d’une des conditions de l’art. 1003 C.p.c., elle ne peut substituer son opinion que pour cette condition.

[261]                      Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis qu’en ce qui concerne le recours de l’intimé contre Gestion, l’intervention de la Cour d’appel n’était justifiée qu’en partie.

(2)          Les dommages-intérêts punitifs

[262]                      L’intimé recherche une conclusion condamnant Gestion à payer à chacun des membres du groupe la somme de mille dollars à titre de dommages-intérêts punitifs. Selon l’intimé, Gestion doit des dommages-intérêts punitifs aux membres du groupe parce qu’une part importante des investissements constituant les placements PP et GA était composée de PCAA. Les appelantes auraient donc porté atteinte de façon illicite et intentionnelle aux droits des membres du groupe à la jouissance paisible et à la libre disposition de leurs biens en conservant des PCAA au sein des placements après que les PCAA soient devenus des actifs risqués et non-liquides, et en émettant de nouveaux placements constitués de PCAA.

[263]                      La juge d’autorisation a conclu que, dans l’hypothèse où le recours était autorisé, cette réclamation serait irrecevable en raison de la quittance relative aux PCAA contenue dans l’Ordonnance d’homologation rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario aux termes de la LACC . Cette quittance aurait pour effet d’empêcher ou de mettre fin à toute réclamation fondée sur l’utilisation des PCAA.

[264]                      La Cour d’appel est d’avis que la juge de première instance aurait dû carrément rejeter cet argument. Selon elle, les termes de quittance ne permettent pas de conclure avec certitude lesquelles de ses articles pourraient s’appliquer en l’espèce.

[265]                      Afin de déterminer si la quittance rend irrecevable la réclamation de l’intimé, deux questions doivent être tranchées.

[266]                      La première question est de déterminer si un juge d’autorisation peut tenir compte d’une quittance au stade de l’autorisation, et si oui dans quelle mesure il peut l’interpréter et l’appliquer aux faits.

[267]                      La deuxième question porte sur les circonstances propres au présent pourvoi. Elle requiert de déterminer si la quittance empêche l’intimé de réclamer des dommages-intérêts punitifs fondés sur les actes de Gestion relativement aux PCAA, à titre d’investissement au sein des placements PP et GA. 

[268]                      Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis que la juge d’autorisation a décidé à juste titre de tenir compte de la quittance et sa portée dans le but de déterminer si le recours proposé contre Gestion en réclamation de dommages-intérêts punitifs en lien avec les PCAA présentait une cause défendable (Oratoire, par. 55). En l’espèce, les termes de la quittance, ainsi que l’aveu de l’intimé voulant que la quittance sur les PCAA couvre les investissements effectués avant le mois d’août 2007 démontrent que le recours proposé contre Gestion, dans la mesure où il vise l’obtention de dommages-intérêts punitifs, ne peut être autorisé.

a)              L’application d’une quittance peut être considérée au stade de l’autorisation

[269]                      Généralement, les moyens de défense dont dispose la partie défenderesse sont examinés lors du procès sur le fond (Oratoire, par. 41). Néanmoins, comme je l’ai expliqué, le tribunal peut trancher une pure question de droit au stade de l’autorisation si le sort de l’action collective projetée en dépend. Ce principe qui s’applique à l’interprétation des textes législatifs couvre également l’interprétation d’une quittance incluse à l’Ordonnance d’homologation rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario, laquelle a « pleine vigueur et effet » au Québec selon l’art. 16  de la LACC . La question est de savoir si les conclusions recherchées par l’intimé peuvent tenir en présence de cette quittance, en tenant les faits pour avérés.

[270]                      Dans le cas présent, le sort de la portion du recours proposé quant aux dommages-intérêts punitifs en lien avec les PCAA dépend de l’interprétation des termes de la quittance et la juge d’autorisation était justifiée de l’interpréter dans le cadre de son évaluation du caractère soutenable de cette portion du recours projeté.

[271]                      Si une preuve s’avère nécessaire afin de pouvoir statuer sur l’application d’une quittance contenue à une ordonnance d’homologation, cette question devrait procéder au fond. À l’inverse, si une telle preuve n’est pas nécessaire, il ne serait ni logique ni souhaitable, dans une perspective d’économie judiciaire et de proportionnalité des procédures, de différer la détermination de cette question de droit lorsque le tribunal a la possibilité de la trancher au stade de l’autorisation. C’est donc dire qu’une difficulté soulevée par une question d’interprétation du stade de l’autorisation ne rend pas la question illégitime lorsqu’elle n’exige pas l’administration d’une preuve (voir, p. ex., TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144, par. 86-87). En droit comme dans la vie, il est préférable de ne pas remettre à demain ce qu’on devrait faire aujourd’hui. À partir du moment où il est clair et évident en droit qu’une quittance a pour effet de rendre irrecevable le recours, les ressources des parties et des tribunaux ne devraient pas être gaspillées en remettant à plus tard une décision qui peut être rendue par un juge d’autorisation sur la base du dossier devant lui.

[272]                      Cela est particulièrement vrai pour les quittances résultant d’une transaction ou d’un arrangement homologué par un tribunal en vertu de la LACC . Ces quittances profitent aux créanciers, car elles réduisent le risque de litige contre les parties protégées en vertu de la LACC et réduisent les risques de délais causés par des litiges complexes et l’épuisement des ressources pour les financer (Nortel Networks Corp., Re, 2010 ONSC 1708, 63 C.B.R. (5th) 44, par. 81, le juge Morawetz). Les quittances font progresser l’un des objectifs importants de la LACC  qui est de favoriser la restructuration en évitant les risques de litiges (L. Pearce, « Catch and Release : Class Actions and Solvent Third Parties Under the CCAA  » (2016), 11 Rev. Can. R. C. 171).

[273]                      Ces principes sont bien illustrés dans l’arrêt Holley c. Northern Trust Co. Canada, 2014 ONSC 889, 10 C.B.R. (6th) 1, conf. pour d’autres motifs, 2014 ONCA 719, 18 C.B.R. (6th) 162. Dans cette affaire, le juge Perell a radié un recours collectif, puisqu’en tenant les faits pour avérés, il était clair à la lecture de la quittance incluse à l’ordonnance d’homologation rendue en vertu de la LACC  que les causes d’action alléguées par les plaignants étaient visées par la quittance.

[274]                      Le caractère unique d’une quittance judiciaire intervenue dans le cadre de la LACC  milite en faveur de sa considération au stade préliminaire du recours, comme l’autorisation. Comme la Loi sur la faillite et l’insolvabilité , L.R.C. 1985, c. B-3 , la LACC  crée un système national ayant pour objet l’insolvabilité et la restructuration des compagnies telles que définies par la Loi : « [c]’est par l’intermédiaire du réseau d’entraide des cours supérieures des provinces et des territoires [. . .] que les décisions rendues par un tribunal siégeant dans une province donnée sont exécutées à l’échelle nationale » (Sam Lévy & Associés Inc. c. Azco Mining Inc., 2001 CSC 92, [2001] 3 R.C.S. 978, par. 25, citant In re Mount Royal Lumber & Flooring Co. (1926), 8 C.B.R. 240 (C.A.), p. 246, le juge Rivard).

[275]                      En ce sens, les art. 16  et 17  de la LACC  prévoient que les ordonnances rendues en vertu de la LACC  lient les autres tribunaux ayant juridiction sous la LACC  qui doivent les appliquer, de la même manière que s’ils avaient rendu eux-mêmes ces ordonnances (Canadian Red Cross Society (Re) (1998), 165 D.L.R. (4th) 365 (C.S. C.‑B.), par. 31; B. Boucher, Faillite et insolvabilité : Une perspective québécoise de la jurisprudence canadienne (feuilles mobiles), vol. II, p. 6-134). Par conséquent, il est impératif que les tribunaux du Québec donnent effet aux ordonnances de la LACC , peu importe la juridiction où se sont déroulées les procédures. La quittance incluse à l’Ordonnance d’homologation est donc directement applicable au Québec.

[276]                      Ce principe est bien illustré par la décision Hy Bloom inc. c. Banque Nationale du Canada, 2010 QCCS 737, [2010] R.J.Q. 912, où le juge en chef Wagner (alors à la Cour supérieure) a examiné l’application de la même quittance que celle invoquée en l’espèce, à une autre demande présentée au Québec. Les demandeurs ayant investi dans des PCAA avaient intenté une action contre la banque au motif que les PCAA leur avaient été présentés comme étant des investissements garantis et non risqués. En rejetant la demande, le juge en chef Wagner a statué comme suit :

. . . en appliquant les dispositions des articles 16  et 17  de la LACC , il n’a qu’à se satisfaire que l’ordonnance émane du tribunal désigné par la LACC et ne peut rouvrir le débat qui a déjà été complété devant l’autre tribunal légalement saisi de toutes les questions en litige.

 

Sans se prononcer sur la véracité ou le bien-fondé des allégations de la requête introductive d’instance amendée, le Tribunal est d’avis que le plan tel qu’homologué va permettre aux demanderesses de poursuivre leurs procédures dans la mesure où elles sont en position d’établir la fraude ou le dol tels que définis au plan. Cependant, elles ne pourront plus poursuivre [la Banque Nationale du Canada] pour toute autre réclamation qui découle de la vente de PCAA. [par. 101-102]

[277]                      Ainsi, les quittances sont pertinentes non seulement pour les fins de l’al. 1003b) C.p.c., soit l’apparence de droit, mais aussi pour les fins de l’al. 1003aC.p.c., soit l’existence de questions communes. Il s’agit d’une question qui relève du rôle du tribunal d’autorisation.

[278]                      Afin de donner effet au cadre de la LACC , il convient qu’un juge d’autorisation puisse examiner les conditions d’une quittance pour déterminer si celle‑ci rend irrecevable une réclamation en tout ou en partie. Si, en tenant les faits allégués pour avérés, les termes de la quittance empêchent clairement de poursuivre une partie du recours, cet aspect devrait être rejeté puisqu’il ne satisfait plus à la condition de l’apparence de droit.

b)             La quittance relative aux PCAA fait obstacle à la demande de dommages-intérêts punitifs

[279]                      Avant de passer à l’application de la quittance à la requête de M. Asselin, certaines précisions sont nécessaires.

[280]                      En août 2007, une crise de liquidités a menacé le marché canadien des PCAA. La crise fut déclenchée par une perte de confiance des investisseurs suite à l’annonce de défauts de paiement généralisés sur les prêts hypothécaires à risque aux États-Unis. Le 13 août 2007, le marché canadien des PCAA a été gelé dans le but de résoudre la crise par une restructuration de ce marché.

[281]                      Les acteurs principaux du marché canadien des PCAA se sont rencontrés à Montréal en août 2007. Le but de ces rencontres était d’arriver à une solution commune afin de préparer la restructuration éventuelle du marché canadien des PCAA, dont la valeur s’élevait alors à près de 32 milliards de dollars. Le fruit de ces rencontres est connu sous le nom de l’Accord de Montréal.

[282]                      Le Mouvement Desjardins, à titre de partie prenante du marché des PCAA, a participé aux discussions ayant donné lieu à l’Accord de Montréal et en est devenu signataire le 16 août 2007. L’Accord contenait entre autres une entente de principe relativement à une proposition devant servir à la restructuration du marché. Après la conclusion de l’Accord, le comité pancanadien d’investisseurs de papier commercial adossé à des actifs émis par des tiers, composé des investisseurs de PCAA, a été constitué en personne morale pour négocier les termes de la restructuration du marché pour le compte des investisseurs. Le comité pancanadien a ensuite présenté un plan d’arrangement initié par les créanciers qui a fait l’objet de la procédure Metcalfe & Mansfield (C.A.).

[283]                      Une entente de principe a été conclue le 23 décembre 2007 et une demande en vertu de la LACC a été déposée en mars 2008 concernant la restructuration du marché des PCAA. L’entente de principe constitue la base du plan de transaction et d’arrangement dans le processus de la LACC . Ce plan a été homologué par le juge Campbell (voir Troisième plan modifié de transaction et d’arrangement).

[284]                      Conformément au plan, les créanciers ont renoncé à leurs réclamations contre les courtiers qui leur ont vendu des investissements contenant des PCAA. Le plan prévoit une quittance en faveur des banques canadiennes, des courtiers, des porteurs de billets, des fournisseurs d’actifs, des émetteurs fiduciaires, des fournisseurs de liquidités et des autres participants au marché, soit pratiquement tous les participants au marché canadien des PCAA et les libère de toute responsabilité associée à la vente ou l’utilisation des PCAA, à l’exception de certaines allégations limitées de fraude.

[285]                      Les conditions de la quittance dans ce cas prévoient, à l’art. 10.1 du Troisième plan modifié de transaction et d’arrangement (art. 17 de l’Ordonnance d’homologation) que

[traduction] par les présentes, toute Personne (qu’elle soit ou non un Porteur de titre) [. . .] libère complètement, définitivement, irrévocablement et inconditionnellement, et décharge pour toujours, chacune des Parties libérées de l’ensemble des réclamations, droits, intérêts, actions, droits à indemnité, responsabilités, demandes, obligations, préjudices, dommages-intérêts, dépenses, honoraires [. . .], frais, coûts, compensations ou causes d’action de quelque type ou nature que ce soit, et, selon le cas, prévus ou imprévus, connus ou inconnus, invoqués ou non, éventuels ou réalisés, déterminés ou indéterminés, en matière délictuelle ou contractuelle, d’origine légale, ou fondés sur la common law ou l’equity — passés, présents ou futurs — basés sur quelque fait énuméré ci-après, en lien avec un tel fait, découlant d’un tel fait ou se rapportant de quelque manière que ce soit à un tel fait, en tout ou en partie, directement ou indirectement : toute action ou omission survenant à la Date de mise en œuvre du Plan ou avant qui est en lien avec le marché des PCAA émis par des tiers au Canada, les Conduits de PCAA, les PCAA visés, les activités et affaires de toute Partie libérée en lien avec les PCAA visés . . . [Je souligne.]

[286]                      Le plan homologué contient une exclusion limitée pour les « Excepted Claims » (« Réclamations exclues ») telles que définies par la quittance. Ces dernières comprennent principalement les demandes fondées sur des déclarations frauduleuses (art. 20 (d)(i) Ordonnance d’homologation; art. 10.4(c) Troisième plan modifié de transaction et d’arrangement). La quittance exige que les actes de procédures pour de telles demandes contiennent des informations spécifiques concernant : le représentant autorisé qui a fait la fausse déclaration, la personne à qui la fausse déclaration a été faite, les dates d’achat du PCAA, le texte de la déclaration dite fausse, et l’action prise par le demandeur potentiel en se fondant sur la déclaration (art. 20(d)(ii) Ordonnance d’homologation; art. 10.4(d)(ii) Troisième plan modifié de transaction et d’arrangement). Un demandeur potentiel ne peut exercer le droit à une demande exclue que dans les neuf semaines suivant la date de remise de l’avis par le contrôleur dans le cadre de la procédure en vertu de la LACC  (art. 20 (f)(ii) Ordonnance d’homologation; art. 10.4(f)(ii) Troisième plan modifié de transaction et d’arrangement).

[287]                      La Cour d’appel de l’Ontario, saisie d’un appel à l’encontre de l’Ordonnance d’homologation du juge Campbell, a confirmé le plan d’arrangement et a noté que la quittance exonère pratiquement tous les participants au marché canadien des PCAA de toute responsabilité liée aux PCAA (Metcalfe & Mansfield (C.A.), par. 29).

[288]                      Des décisions ultérieures ont confirmé que la quittance est une composante nécessaire du plan et a été rédigée de manière très large de façon à interdire toutes les réclamations relatives aux PCAA, à l’exception des demandes fondées sur de fausses déclarations qui ont été spécifiquement exclues (Mull c. National Bank of Canada, 2011 ONCA 488, par. 9 (CanLII)).

[289]                      L’intimé prend la position que la question de l’applicabilité de la quittance aux appelantes ne peut faire l’objet d’un débat au stade de l’autorisation parce que les appelantes n’ont offert aucune preuve permettant à la juge d’autorisation de déterminer si Gestion constitue une Partie libérée au sens de la quittance, ou si les PCAA auxquels les placements PP et GA ont pu être exposés étaient des « Affected ABCP » (« PCAA visés »). Cet argument ne peut tenir étant donné l’admission judiciaire de l’intimé lors de l’audience du 7 mai 2015 :

[Le procureur des appelantes] mentionne que [le procureur de l’intimé] a admis lundi qu’il retirait la réclamation pour la première composante reconnaissant qu’effectivement la quittance vient quittancer [Gestion] à cet effet-là et qu’il n’a donc aucun recours ou aucune réclamation en dommages punitifs à l’encontre de [Gestion] fondé sur la première composante.

 

[Le procureur de l’intimé] confirme que c’est exact, que c’est ce qu’il a plaidé devant le juge Godbout.

 

Le Tribunal résume ainsi l’admission judiciaire : [Le procureur de l’intimé] reconnaît que la quittance sur les PCAA couvre les investissements faits avant août 2007.

(d.a., vol. II, p. 194)

[290]                      Or, si le juge d’autorisation doit tenir pour avérés les faits allégués par le requérant, il ne peut pas alors ignorer les aveux de ce même requérant. L’intimé n’allègue pas que Gestion n’était plus une Partie libérée après août 2007. Il ne prétend pas non plus qu’après août 2007, les PCAA vendus par Gestion ne constituaient plus des PCAA visés. Par conséquent, nous pouvons tenir pour acquis que la quittance doit s’appliquer à Gestion et à ses investissements avant, pendant et après août 2007.

[291]                      Je comprends plutôt que, selon l’intimé, le seul changement important survenu en août 2007 était que Gestion avait alors pris conscience du risque associé à l’utilisation continue des PCAA dans ses placements, et que malgré cela, elle a conservé ce type d’investissement dans les placements PP et GA (d.a., vol. II, p. 150).

[292]                      La prise de conscience de Gestion qui est alléguée n’affecte en rien l’application continue de la quittance aux parties ou aux investissements. En fin de compte, cela ne fait que modifier le fondement de la réclamation de l’intimé. La question est alors de savoir si la réclamation peut survivre aux conditions de la quittance, laquelle ne permet que les demandes qui entrent dans la définition de Réclamation exclue. Or, la demande de l’intimé ne peut constituer une Réclamation exclue.

[293]                      La quittance comporte donc deux obstacles qui sont fatals à la réclamation en dommages-intérêts punitifs fondée sur les PCAA.

[294]                      Le premier obstacle découle de la cause d’action limitée qui est autorisée pour une Réclamation exclue : la réclamation doit être fondée sur des déclarations frauduleuses expresses faites au demandeur potentiel par un « représentant autorisé » du défendeur potentiel. L’exception pour les fausses déclarations doit être interprétée de manière restrictive, afin d’éviter une « cascade potentielle de litiges » qui résulterait d’une interprétation large (Metcalfe & Mansfield (C.S.), par. 113). La condition requise de fausse déclaration s’applique également aux juridictions de droit civil et de common law (par. 118).

[295]                      Or, la réclamation en dommages-intérêts punitifs de M. Asselin n’est pas fondée sur une fausse déclaration. Il soutient plutôt que la faute de Gestion en ce qui concerne les PCAA réside dans la « conception et [la] gestion déficientes [. . .] contraire à ses obligations et devoirs d’agir avec prudence et diligence et de suivre des pratiques de gestion saine et prudente » (d.a., vol. II, p. 150). Par ailleurs, les allégations ne sont pas suffisamment détaillées puisque la quittance exige des détails sur la date, le contenu et la source de la fausse déclaration. Ainsi, la requête n’allègue pas une cause d’action qui relève de la définition de Réclamation exclue.

[296]                      Même en s’inspirant d’autres parties de la requête, l’intimé ne prétend aucunement que les « représentants autorisés » de Gestion ont agi avec une intention frauduleuse. Ce fait à lui seul rend impossible tout syllogisme juridique susceptible d’être autorisé, car c’est le représentant qui doit avoir l’intention frauduleuse. Le juge Campbell lui-même était conscient de la possibilité que la quittance [traduction] « empêche le recouvrement dans des circonstances où des cadres dirigeants de banque qui avaient l’intention frauduleuse requise ont ordonné aux vendeurs de faire des déclarations que ces derniers croyaient raisonnablement, mais que les cadres dirigeants savaient être fausses » (Metcalfe & Mansfield (C.S.), par. 119).

[297]                      Le deuxième obstacle à la réclamation en dommages-intérêts punitifs concerne les délais stricts pour présenter une demande. Le délai de 9 semaines a commencé à courir à la date de remise de l’avis par le Contrôleur, qui était essentiellement la date à laquelle l’Ordonnance d’homologation a été rendue, c’est-à-dire le 5 juin 2008 (J. Carhart et J. Hoffman, « Canada’s Asset Backed Commercial Paper Restructuring : 2007-2009 » (2010), 25 B.F.L.R. 35, p. 56). La requête de M. Asselin pour autorisation d’exercer un recours collectif fut signifiée le 16 septembre 2011. En conséquence, la réclamation de M. Asselin en dommages-intérêts punitifs fondée sur l’utilisation par Gestion d’une stratégie d’investissement incluant des PCAA a été déposée hors délai.

[298]                      Les tribunaux ayant juridiction en vertu de la LACC  [traduction] « peuvent limiter définitivement la responsabilité et fermer la porte à de futurs litiges » (Pearce, p. 193). C’est le cas ici. Permettre à des réclamations d’être examinées indépendamment des décisions antérieures et de la quittance causerait une injustice manifeste à toutes les autres parties prenantes qui ont subi des pertes (Mull, par. 2). Autoriser la poursuite de la réclamation relative aux PCAA reviendrait à réengager un débat sur la quittance devant la Cour supérieure du Québec qui « court-circuiterait l’économie du système judiciaire » (Hy Bloom inc., par. 84).

[299]                      En conclusion, la quittance fait obstacle au syllogisme juridique de l’intimé quant à la faute de Gestion et la demande fondée sur les PCAA doit être rejetée. Il est évident à la lumière des allégations, des termes de la quittance et de l’admission de l’intimé que la réclamation fondée sur les PCAA pour les dommages-intérêts punitifs ne revêt pas l’apparence de droit qu’exige l’al. 1003b) C.p.c.

(3)          Les dommages-intérêts compensatoires

[300]                      Dans la mesure où la responsabilité de Gestion est recherchée à titre de conceptrice et gestionnaire des produits, je suis d’avis, à l’instar de la Cour d’appel, que le recours peut être autorisé à l’égard des dommages-intérêts compensatoires recherchés par l’intimé à l’encontre de Gestion.

[301]                      L’intimé allègue que Gestion a manqué à son devoir de compétence et de gestion en ce qu’elle aurait pris des risques contraires à ses obligations légales et contractuelles (d.a., vol. II, p. 63, par. 120). Entre autres, l’intimé reproche à Gestion d’avoir liquidé les sommes affectées au rendement des placements PP et GA afin d’honorer la garantie de capital, ce qui, selon lui, démontre l’ampleur du risque des placements. Ainsi, les stratégies d’investissement, outre le recours aux PCAA, comprenaient l’usage d’un effet de levier de cinq pour un, ce qui irait à l’encontre des obligations de Gestion en ce qu’elle a mis à risque le capital et forcé la liquidation des sommes affectées au rendement (par. 122.1). Le tout serait contraire aux obligations de Gestion d’agir avec prudence et diligence et aurait entraîné une perte de 100 p. 100 des actifs affectés au rendement (par. 127).  

[302]                      La juge d’autorisation a refusé d’autoriser cette partie du recours, notamment puisqu’elle estimait que ces pertes étaient attribuables à l’effondrement du marché lors de la crise de 2008, et que le recours ne revêt donc pas l’apparence de droit requise par l’al. 1003b) C.p.c. Je conviens avec la Cour d’appel qu’il s’agit là d’une erreur justifiant son intervention. En invoquant les effets de la crise financière de 2008, la juge d’autorisation s’est avancée sur le fond du recours. Ainsi, même si l’on peut penser que cet aspect du recours est ténu, il n’est pas pour autant dénué de fondement. Les allégations sont suffisamment précises pour permettre d’autoriser cet aspect du recours à l’encontre de Gestion.

[303]                      Je réponds donc partiellement par la négative à la deuxième question en litige, puisque je suis d’avis que la Cour d’appel avait raison d’autoriser le recours contre Gestion, sauf en ce qui concerne la réclamation en dommages-intérêts punitifs.

X.           Dispositif

[304]                      Je propose d’accueillir l’appel en partie. Je refuse d’accorder l’autorisation du recours contre Cabinet et j’autorise le recours contre Gestion, mais seulement à l’égard de la réclamation en dommages-intérêts compensatoires.

                    Pourvoi accueilli en partie, les juges Moldaver, Côté et Rowe sont dissidents en partie.

                    Procureurs des appelantes : McCarthy Tétrault, Montréal.

                    Procureurs de l’intimé : Trudel Johnston & Lespérance, Montréal; LLB Avocats, Québec; Paquette Gadler, Montréal.



[1]  Suivant l’adoption du nouveau Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01 (« nouveau C.p.c. »), on parle plutôt d’une « demande d’autorisation d’exercer une action collective ». Puisque les procédures en l’espèce ont été déposées en vertu de l’ancien Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25 (« C.p.c. »), je réfèrerai tout au long de mes motifs à la « requête pour autorisation d’exercer un recours collectif ».

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